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Full text of "Les origines indo-européennes, ou, les Aryas primitifs : essai de paléontologie linguistique"

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Ud'/of   Ottaua 


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University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/lesoriginesindoe02pict 


LES    ORIGINES 


INDO-EUROPÉENNES 


ou 


LES  ARYAS  PRIMITIFS 


ESSAI   DE   PALÉONTOLOGIE   LINGUISTIQUE 

PAR 

ADOLPHE     PICTET 

Ouvrage  couronné  par  l'Académie  française  [Prix  Volney) 
DEUXIÈME    ÉDITION,    REVUE    ET    AUGMENTÉE 

TOME    DEUXIÈME 


H-Cp.il 


PARIS 
LIBRAIRIE     FI  S  CH  BACHER 

SOCIÉTÉ  ANONYME 

33,     RUE     DE    SEINE,     33 


Tous  droits  réservés. 


BIBLIOTHEHA 


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SU 


LIVRE  TROISIEME 

LA  CIVILISATION  MATÉRIELLE  DES  ANCIENS  ARYAS 


§  160.  OBSERVATIONS  PRÉLIMINAIRES. 

Jusqu'à  présent  nous  ne  nous  sommes  occupés  que  des  faits 
relatifs  à  l'histoire  extérieure  de  l'antique  race  arienne,  à  ses 
origines  locales,  à  son  extension  graduelle,  et  à  ses  migrations 
lointaines.  Ici  et  là  seulement,  nous  avons  pu  signaler  quel- 
ques indices  d'un  développement  matériel  plus  ou  moins 
avancé,  tels  que  la  possession  des  métaux  usuels,  des  plantes 
cultivées  et  des  animaux  domestiques.  En  abordant  directe- 
ment l'étude  de  cet  ordre  de  faits,  nous  entrons  dans  un  champ 
de  recherches  d'un  intérêt  plus  vif,  mais  aussi  plus  difficile  à 
tous  égards,  et  les  difficultés  croissent  encore  quand  on  arrive 
aux  questions  qui  concernent  l'état  social,  les  mœurs,  les 
connaissances,  les  croyances  de  ce  peuple  primitif  que  nous 
n'entrevoyons  qu'à  travers  les  débris  de  son  langage,  disper- 
sés chez  ses  descendants.  Cela  résulte  déjà  de  la  nature  des 
problèmes  à  étudier.  Les  objets  du  monde  extérieur  restent 
toujours  les  mêmes,  et  leurs  noms  se  conservent  avec  une 
persistance  remarquable  ;  mais,  dans  la  vie  des  peuples,  tout 
tend  incessamment  à  changer,  et  d'autant  plus  que  cette  vie 
elle-même  a  plus  de  puissance  et  de  mouvement.  Avec  le  pro- 
II  i 


—     2     — 

grès  graduel,  les  usages,  les  mœurs,  les  institutions  se  trans- 
forment, les  connaissances  s'étendent,  les  idées  morales  et  reli- 
gieuses se  modifient,  et  cette  marche  n'est  pas  toujours  régu- 
lièrement progressive.  Les  migrations  lointaines,  les  agitations 
intestines,  les  guerres,  amènent  des  temps  d'arrêt,  des  reculs, 
des  perturbations,  qui  deviennent  autant  de  points  de  départ 
nouveaux  pour  de   nouvelles  évolutions  des  existences  natio- 
nales. Toutes  ces  phases  diverses  se  reflètent  fidèlement  dans 
les  langues,  et  s'y  reconnaîtraient  à  coup  sûr  si  l'histoire  de 
ces  dernières  nous  était  mieux  connue.  Dans  l'état  actuel  des 
choses,  les  matériaux  accessibles  ne  nous  offrent  plus  que  les 
résidus  épars,  et  confusément  mêlés,  des  révolutions  passées. 
Les  termes  anciens,  souvent  difficiles  à  distinguer  de  leurs 
synonymes  plus  récents,  ont  quelquefois  changé  de  sens  sous 
l'influence  des  idées  nouvelles,  ce  qui  devient  une  cause  fré- 
quente d'incertitudes  et  d'erreurs  possibles.  Tout  cela  impose 
une  grande  réserve,  quant  aux  inductions  à  tirer  pour  l'époque 
préhistorique.    Nulle  part    ces   observations  ne  s'appliquent 
mieux  qu'aux  races  ariennes  qui,  à  partir  du  moment  de  leur 
dispersion,  se  sont  développées  dans  des  directions  si  diverses. 
Toutefois,  cette  diversité  même  est  ce  qui  nous  permet  encore 
de  retrouver  les  traces  des  faits  primitifs.  Ce  que  telle  langue 
a  perdu,  telle  autre  l'a  conservé,  et,  si  l'on  doit  s'étonner  de 
quelque  chose,  c'est  de  l'abondance,  plutôt  que  de  la  pénurie, 
des  éléments  de  comparaison  qui  ont  résisté  à  l'action  de  tant 
de  siècles. 

Pour  nous  faire  une  idée  aussi  complète  que  possible  de  la 
civilisation  matérielle  des  anciens  Aryas,  nous  chercherons 
d'abord  quel  a  dû  être  leur  genre  de  vie,  pour  les  suivre  après 
cela  dans  les  diverses  branches  de  leur  industrie,  et  de  ses 
produits  variés.  Il  faut,  d'ailleurs,  rappeler  ici  une  observation 


—     3     — 

déjà  faite  (t.  I,  p.  219):  c'est  que  les  éléments  de  la  philologie 
comparée  ne  peuvent  nous  éclairer  que  sur  la  dernière  période 
de  l'existence  sociale  des  Aryas  avant  leur  dispersion,  et  que 
cette  période  elle-même  a  dû  être  précédée  par  plusieurs 
phases  de  progrès  graduel.  Ce  n'est  donc  plus  que  par  con- 
jecture que  nous  pouvons  distinguer  dans  le  vocabulaire 
l'âge  relatif  des  termes,  pour  en  tirer  quelques  inductions  sur 
l'histoire  de  l'ancienne  civilisation.  On  peut  bien  présumer, 
par  exemple,  que  les  noms  relatifs  à  la  famille  remontent  à 
l'époque  la  plus  reculée,  par  cela  seul  que  la  famille  est  le 
principe  même  de  toute  société  humaine  ;  mais  rien  ne  prouve 
que  son  organisation  ait  été  dès  le  début  aussi  complète  qu'elle 
nous  apparaît  au  temps  qui  a  précédé  immédiatement  la  dis- 
persion de  la  race  arienne.  Il  en  est  de  même,  et  à  un  plus 
haut  degré,  des  différentes  phases  sociales  qui  ont  dû  d'abord 
se  succéder,  mais  dont  les  éléments  ont  sans  doute  coexisté 
plus  tard,  dans  la  réalité  comme  dans  la  langue.  Il  est  possible 
que  la  vie  de  chasseur  ait  précédé  la  vie  pastorale,  comme 
celle-ci  l'agriculture  ;  mais  les  anciens  Aryas  ont  pu  rester 
chasseurs  et  pâtres  tout  en  devenant  laboureurs,  et  le  progrès 
n'aura  pas  suivi  la  même  marche  chez  des  tribus  placées  dans 
des  conditions  locales  plus  ou  moins  différentes.  Si  donc,  dans 
les  recherches  qui  suivent,  et  pour  plus  de  clarté,  nous  trai- 
tons séparément  de  ces  phases  diverses  dans  l'ordre  qui  semble 
le  plus  naturel,  nous  n'entendons  rien  préjuger  sur  la  réalité 
historique  de  cet  ordre,  quitte  à  signaler,  chemin  faisant,  les 
indications  qui  semblent  l'appuyer.  La  même  observation 
s'appliquera  aux  autres  sphères  de  la  civilisation  arienne  que 
nous  étudierons  tour  à  tour.  Point  d'hypothèses  préconçues 
et  stricte  observation  des  faits,  telle  est  la  règle  que  nous  de- 
vons nous  imposer. 


CHAPITRE  Ier. 


LE    GENRE     DE     VIE. 


SECTION   I. 


§  161.  LA  CHASSE  ET  LA  PÊCHE. 

On  ne  saurait  douter  que  les  anciens  Aryas,  comme  tous  les 
peuples  du  monde,  n'aient  cherché  dans  la  chasse  et  la  pêche 
des  moyens  de  subsistance,  d'autant  plus  que  leur  pays  devait 
abonder  en  gibier  de  toute  espèce  ;  mais  rien  n'indique  qu'ils 
aient  débuté  par  être  exclusivement  chasseurs,  à  l'exemple  de 
certaines  tribus  sauvages.  Lors  même  qu'il  en  aurait  été  ainsi, 
il  serait  impossible  de  le  prouver,  puisque  la  vie  pastorale 
d'abord,  et  ensuite  l'agriculture,  ont  certainement  prédominé 
avant  l'époque  de  la  dispersion.  Tout  ce  que  l'on  peut  cons- 
tater, c'est  que  les  affinités  d'un  certain  nombre  de  termes 
témoignent  encore  de  l'exercice  de  la  chasse  et  de  la  pêche  à 
côté  des  autres  occupations. 

1)  Le  sanscrit  vyâdha,  chasseur,  dérive  de  vyadh,  percer, 
blesser,  transpercer  avec  une  flèche,  mais  aussi  aiguillonner, 
exciter,  mettre  en  mouvement  ;  â-vyadh,  de  même  percer, 
blesser,  et  attaquer,  lancer,  mettre  en  fuite,  â-vyâdha,  -dhin, 


—    5     — 

adj.,  qui  blesse,  qui  attaque,  etc.  Le  vyâdha  est  donc  celui  qui 
blesse,  ou  qui  attaque  et  poursuit  le  gibier.  Dans  plusieurs 
formes  de  sa  conjugaison,  et  à  la  fin  des  composés,  vyadh 
devient  vidh,  comme  mrgâvidh,  chasseur,  c'est-à-dire  qui 
blesse,  l'animal  des  bois,  la  bête  fauve,  cerf,  gazelle  (mrga) 
(D.  P.). 

A  cette  forme  vidh  se  rattachent  d'autres  dérivés,  vêdha, 
vêdhana,  perforation,  vêdhaka,  qui  blesse,  etc. 

Bopp  (  Gl.  scr.j  v.  cit.  )  compare  le  latin  vënari,  contracté 
peut-être  de  vednari,  mais  la  rac.  scr.  vên,  appetere,  amare, 
c'est-à-dire  poursuivre,  semble  offrir  une  solution  plus  directe. 

Une  concordance  plus  sûre  se  présente  dans  Firlandais-erse 
fiadh,  gén.  féidh,  venaison,  cerf,  fiadhaige,  erse  Jiadhaiche, 
chasseur,  Jiadhach,1  erse  fiadhan,  chasse,  etc.  L'identité  com- 
plète des  formes  vyadh  et/ladh  n'est  cependant  qu'apparente, 
attendu  que  l'irlandais  ia  est  pour  un  ê  plus  ancien,2  de  sorte 
que  Jiadhach,  fiadhan,  répondent  à  vêdhaka  et  vêdhana.  Au 
sens  général  de  la  rac.  vyadh  se  lient  de  plus  l'irland.  Jladha, 
fiadhain,  fiadhanta,  féroce,  sauvage,  ainsi  que  le  cymr.  gwydd, 
armor.  gwéz,  gouéz,  avec  le  même  sens.  Le  sansc.  vyâdha  dé- 
signe aussi  un  homme  grossier,  barbare. 

Il  faut  peut-être  rattacher  aussi  à  ce  groupe  l'ancien  alle- 
mand weida,  chasse,  weidinari,  chasseur,  weidôn,  -danôn, 
chasser,  scand.  veidr,  veidi,  venatio,  veida,  veidha,  ags.  vaed- 
han,  venari.  La  dentale,  il  est  vrai,  est  irrégulière,  et  le  dh  du 
sanscrit  =  d  gothique  et  ang.-saxon,  aurait  dû  devenir  t  dans 
l'ancien  allemand.5 


1  Fiadach,  chasse  (Stokes,  Goid.2,  28). 

2  Cf.  Z.2,  p.  17. 

3  Aussi  Fick  (862),  qui  adopte  vaitha  comme  thème  germanique 
primitif,  le  rattache-t-il  au  scr.  vî  (vayati),  faire  aller,  chasser  =  ag  ; 


—     6     — 

2)  La  racine  sanscrite  rag,  rang,  ire,  prend  au  causatif, 
ragayatiy  le  sens  de  chasser,  venari,1  mais  dans  cette  acception 
je  n'en  trouve  aucun  dérivé.  On  peut  comparer  le  lithuanien 
râgi?iti,  rangyti,  exciter,  presser,  contraindre  ;  et,  plus  spécia- 
lement encore,  l'irlandais  et  erse  ruag,  ruagaim,  chasser, 
poursuivre,  d'où  ruaig,  chasse,  rtiagaire,  chasseur,  etc.  Comme 
ua  est  =  ô  plus  ancien  (Z.2,  22  ),  ruag  est  pour  rôg,  et  rôg 
probablement  pour  rong,  à  cause  du  g  non  aspiré. 

3)  Le  zend  azra,  chasse,2  dérive  de  az,  aj  =  sansc.  ag, 
agere.  Le  corrélatif  sanscrit  agra  signifie  qui  pousse,  qui  in- 
cite, dans  le  composé  védique  ghâsêagra,  qui  incite  à  manger 
(D.  P.,  v.  c),  et,  comme  subst.  masc,  agra  désigne  la  plaine, 
la  campagne,  en  tant  que  lieu  de  mouvement  libre.  Cf.  oiypoç, 
ager,  etc. 

L'acception  du  zend  se  retrouve  exactement  dans  le  grec 
oLypct,  chasse  (de  dyc*)),  d'où  câypivç,  dypcuoç,  chasseur, 
cLypîv[Act,  ctypvivoVy  filet  de  chasse,  etc.  Le  rapport  entre  ccypa 
et  clypog  est  identiquement  le  même  que  celui  de  azra  au 
sanscrit  agra. 

4)  Les  armes  du  chasseur  ont  dû  être  les  mêmes  que  celles 
du  guerrier,  lesquelles  seront  plus  tard  l'objet  d'un  examen 
particulier.   Mais,  à  côté  de  la  force,  on  employait  aussi  la 

en  zend  vî,  aller,  voler,  au  causatif  faire  aller,  mettre  en  fuite 
(Justi,  277);  en  comparant  le  lith.  wyti  (wêju),  chasser,  poursuivre, 
et  même  le  latin  vënari. 

1  D'après  Westerg.,  Rad.  skr.,  119.  Mais  cf.  D.  P.,  VI,  231,  où 
ragayati  mrgân  équivaut,  suivant  Pânini,  à  ramayati  mrgân,  ce  qui, 
à  p.  275,  signifie  :  réjouir  les  gazelles  par  l'accouplement.  Cf.  râga, 
passion,  désir  violent,  plaisir  à,  de  rag  fragyati],  être  excité,  en- 
traîné, se  plaire  à,  etc.  L'acception  de  chasser  n'y  est  pas  indiquée. 

2  Spiegel,  Avcsta,  I,  p.  239,  d'après  la  version  huzvaresh.  Ce  mot 
ne  paraît  qu'une  fois  dans  les  textes  zends.  De  même  Justi,  p.  16. 


ruse,  et  c'est  ce  qu'indiquent  encore  quelques  anciens  noms 
du  filet  de  chasse  et  de  pêche. 

a)  Le  sansc.  gala,  gâlaka,  filet,  d'où  gâlika,  gâlin,  chas- 
seur et  pêcheur,  et  qui  se  retrouve  dans  le  persan  gai,  filet, 
aurait  disparu  des  langues  européennes,  s'il  ne  s'était  pas 
conservé  dans  les  noms  du  cygne  aux  pieds  réticulés,  qui  cor- 
respondent au  sansc.  gâlapâd,  et  qui  ont  été  réunis  à  la 
page  484  du  premier  volume.  On  l'y  aurait  difficilement 
reconnu  sans  l'aide  du  composé  sanscrit. } 

b)  L'affinité  du  grec  7toçkoç->  filet  de  pêche,  avec  le  cymr. 
perced,  bow-net,  et  le  lithuanien  spurktus,  espèce  de  filet 
(watenetz),  indique  une  commune  origine  arienne.  Benfey 
rapporte  le  grec  à  la  rac.  sansc. pré  (parc),  spargere,  tangere, 
conjungere,  au  causatif  colligare.  Cf.  â-parc,  amplecti,  parka, 
dans  madhuparka,  mélange  de  miel  et  de  lait,  samparka,  mé- 
lange, connexion,  etc.  (D.P.),  et  7rAîK0ùy  plecto,  d'où  7rAîK- 
tôlvv\>  filet.  Le  mot  cymrique  se  lie  de  même  à  parc,  enceinte 
(d'où  notre  parc), par ciaw,  enfermer,  parquer,  etc.;  et  le  lith. 
spurktus  appartient  à  la  forme  sansc.  sprç  (sparç),  amplecti, 
capere,  évidemment  alliée  à  pré.  2 

c)  Dans  trois  langues  européennes,  le  filet  présente  aussi 
des  noms  concordants.  Ainsi  au  latin  rëte  répond  exactement 
le  cymr.  moyen  ruid  (Leg.,  I,  76),  pour  mit  =  rêt,  t  corn. 

1  Le  sanscrit  gala  signifie  aussi  figurément  ruse  et  sorcellerie,  d'où 
gâlika,  un  trompeur,  gâlma,  un  coquin,  etc.  Je  compare  donc  l'ancien 
irland.  gola,  trappe,  piège  (O'Dav.,  G7.,95),  proprement  ruse.  Deux 
autres  dérivés  sanscrits  trouvent  aussi  leurs  analogues,  savoir  gâlaka, 
nid,  en  tant  que  tissé,  tressé,  dans  le  grec  ycoXiôç,  tanière ,  lithuan. 
gvalys,  lett.  gola  (Fick,  307),  et  gala,  gâlikâ,  cotte  de  mailles,  et 
casque  en  fil  métallique,  dans  le  latin  galea,  en  irlandais  galiath 
(O'R.). 

2  Ici,  suivant  Walter  (Z.  S.,  12,  378),  le  nom  des  Parcœ,  en  tant 
que  fileuses, 


—     8     — 

ruid  (Zeuss2,  97),«armor.  roed  (ib.  98),roued,  irland.  riath 
=  rêtli,  erse  riadh(Cf.  irland.  réidh,  corde).  Le  lithuan.  rétas, 
rétis,  signifie  filoche  et  tamis.  —  L'étymologie  est  partout  in- 
certaine. Curtius  (Z.  S.,  16,  131)  conjecture  rëte  pour  srête, 
de  sero  =  scr.  sar,  d'où  sarit,  fil.  Fick  (389),  avec  moins  de 
probabilité,  suppose  un  thème  européen  primitif  râtya,  dont  Va 
serait  partout  en  désaccord.  Le  scr.  rîti,  ligne,  de  ri,  rî,  laisser 
aller,  conviendrait  mieux  malgré  son  sens  un  peu  différent. 

d)  Le  grec  clqkvç,  cljcvov,  filet,  a  été  ramené  par  Curtius 
(Z.  S.,  13,  398,  et  Gr.  Et?,  319)  à  la  même  racine  ark,  rak, 
que  dpa,%vyi  (t.  I,  p.  659),  en  comparant  dpKcivyj  =  to 
pctfifAct,,  tissu,  fil.  Cf.  le  pers.  râk,  fil,  et  peut-être  l'irlandais 
arach,  fishing  tackle  (0'R.),t  airches,  trappe  (Corm.,  GL,  2). 

e)  Le  latin  cassis  rappelle  l'ossète  chiss,  chiz,  filet,  et  tous 
deux  semblent  se  relier  au  scr.  kaksha,  cachette,  enceinte, 
ceinture,  sangle,  etc.,  en  pers.  kashah,  kasliî,  id.  Cf.  kashîdan, 
lier. 

f)  Le  latin  tenus,  -oris,  piège,  lacs,  appartient  à  la  rac.  ten 
de  tendo,  tenuis,  etc.  =  scr.  tan,  d'où  tantu,  fil,  etc.  Cette  ra- 
cine, conservée  par  la  plupart  des  langues  ariennes,  semble 
avoir  disparu  du  slave  et  du  lithuanien,  où  cependant  on 
trouve,  comme  noms  du  filet  de  chasse,  l'anc.  slave  teneto, 
tonoto,  tonotu,  et  le  lithuan.  tinklas,  filet  de  pêche  (Cf.  le  sansc. 
vîtansa,  filet,  lacs,  cage,  etc.,  de  vi-tan,  D.  P.,  et  d'où  vâitansika, 
oiseleur),  dérivé  par  le  suffixe  Mas  des  termes  qui  désignent 
des  instruments.  Cf.  ivbrtinklis,  toile  d'araignée  (wbras). 

g)  Enfin,  le  goth.  nati,  angl.-sax.  nete,  mais  ancien  saxon 
netti  et  ancien  allem.  nezzi,  correspond  au  sanscrit  naddhi, 
corde,  de  nah,  ligare,  d'où  aussi  nâha,  piège,  lacs.  Pour  le 
changement  de  ddhen  t,  tt,  zz,  cf.  t.  I,  p.  399. * 

1  Ici,  probablement,  le  latin  nassa,  pour  nadta.  Fick  (781)  rattache 


—     9     — 

Les  mots  de  cette  catégorie  ont  dû  prendre  leur  sens  spé- 
cial à  une  époque  où  les  tribus  ariennes,  encore  rapprochées 
de  leur  berceau  primitif,  commençaient  cependant  à  se  sépa- 
rer les  unes  des  autres. 

C'est  dans  cette  classe  de  mots  qu'il  faut  placer  aussi  un  des 
noms  européens  de  l'hameçon,  le  gr.  ccyicta'Tfov,  lat.  uncus,  unci- 
nus,  et,  avec  un  autre  suffixe,  l'ang.-sax.  angel,  scand.  aungull, 
anc.  ail.  angull,  etc.,  où  ang  est  pour  anh  par  l'influence  de  la 
nasale.  Le  sens  propre  est  celui  de  crochet,  lequel  appartient  seul 
au  sanscrit  anka,  ankuça,  de  ané,  curvare,  comme  au  grec 
oyjcoç,  oyjuvoç,  etc.1 

SECTION   II. 
§  162.  LA  VIE  PASTORALE. 

Si  les  termes  relatifs  à  la  chasse  ne  suffisent  pas  à  prouver 
que  les  anciens  Aryas  aient  débuté  par  être  un  peuple  chas- 
seur, il  en  est  autrement  de  ceux  qui  se  rapportent  à  la  vie 
pastorale.  Ici  tout  concourt  à  démontrer  que  ce  genre  de  vie 
a  dû  précéder  une  existence  sociale  plus  stable,  et  tout  au 
moins  prédominer,  pendant  longtemps  peut-être,  sur  les  tra- 
vaux de  l'agriculture.  Non-seulement  les  noms  des  principaux 
animaux  pâturants,  et  en  particulier  celui  de  la  vache,  se 
retrouvent,   comme  on  l'a  vu,   dans  la  plupart  des  langues 

nati  ou  natja  au  goth.  natjan,  mouiller,  natas,  mouillé,  allemand 
nass,  etc.,  sens  trop  vague,  ce  semble,  pour  caractériser  le  filet. 

1  En  zend,  anku,  crochet  (Justi).  Ici  aussi,  d'après  Stokes  (Rem.,  5), 
l'anc.  irland.  écath,  hamus  (Z.,  Gr.  C.2, 1009),  pour  encath. 


—     10     — 

ariennes,  mais  des  coïncidences  multipliées  se  révèlent  entre 
ceux  du  pâtre,  du  pâturage,  du  troupeau  et  de  ses  produits, 
de  l'étable,  de  la  baratte,  etc.  Un  grand  nombre  de  termes 
divers  se  rattachent  en  outre  clairement  aux  habitudes  et  aux 
souvenirs  de  la  vie  pastorale,  bien  que  plus  tard,  et  sous  l'in- 
fluence d'un  nouvel  état  de  choses,  leur  sens  primitif  se  soit 
souvent  modifié  jusqu'à  demeurer  incompris.  Rien  de  plus 
instructif  que  ces  transformations  qui  nous  font  voir  comme  à 
l'œil  l'ordre  successif  des  anciennes  phases  sociales  dont  elles 
sont  restées  les  seuls  témoignages.  A  ce  titre,  elles  méritent 
une  attention  particulière,  et  nous  leur  consacrerons  un  exa- 
men à  part  à  la  suite  de  la  revue  que  nous  allons  faire  des 
termes  plus  spéciaux. 


ARTICLE   I. 


§  163.  LE  PATRE. 

1)  Tout  un  groupe  des  noms  du  pâtre  se  lie  à  la  racine 
sanscrite  et  zend  pâ,  tue  ri,  servare,  nutrire,  d'où  pâyu,  protec- 
teur, nourricier,  et  le  pa,  qui  garde,  maître,  prince,  lequel 
figure  souvent  à  la  fin  des  composés,  et  entre  autres  dans 
gôpa,  littéral,  garde- vache,  puis  gardien  en  général,  chef  de 
village  et  roi.  A  pâ  répond  le  grec  7tolq^cl^  je  me  sustente,  je 
me  nourris,  puis  je  possède,  d'une  forme  active  7raûù>  Cf.  le 
dorique  7rcl^cc,  possession,  bétail  =  wvv\^ct.  De  là,  sans  doute, 
7rotfA,yivy  pâtre,  Trc/^j/rç,  troupeau,  etc.,  dont  le  suffixe  =  scr. 
man,  se  retrouve  dans  le  lithuanien  pêmu,   génit.  pêmenês, 


—   11   — 

jeune  pâtre.  Cependant  Yë,  oi,  semblent  indiquer  une  forme 
affaiblie  pi.1 

Le  synonyme  sansc.  pâla,  gardien,  protecteur,  se  montre 
plus  fréquemment  que  pa  dans  les  noms  du  pâtre,  en  compo- 
sition avec  ceux  des  animaux  qu'il  garde.  Ainsi  gôpâla,  va- 
cher,2 avipâla,  berger  ou  chevrier,  açvapâla,  gardien  de  che- 
vaux, etc.  J'ai  comparé  ailleurs  (t.  I,  p.  578)  le  7roAog  des 
composés  grecs  (Zov7roÀoç,  cti7roAoç,  olowoXoç  ;  mais  ce  rappro- 
chement, quelque  spécieux  qu'il  paraisse,  doit  être  abandonné 
si  7ToXqç  dérive  directement  de  7nXo^cci,  et  si  la  racine  77-gÀ, 
suivant  Bopp  et  d'autres,  répond  au  sansc.  cal,  car,  qui  revien- 
dra plus  loin.  Pâla,  d'autre  part,  dérive  de  pâlay,  que  l'on 
considère  comme  un  causatif  irrégulier  àepâ,  mais  qui  n'est 
probablement  qu'une  autre  forme  de  pâray,  causât.  de^>f,  dans 
le  sens  de  tutari,  custodire.  Pott  rapproche  de  pal  (aussi  pal, 
suivant  le  Dhâtup.)  le  nom  de  la  déesse  Pales,  qui  présidait 
aux  troupeaux,5  ainsi  que  palatium,  primitivement  pâturage, 
d'où  la  diva  Palatua,  et  pdlari,  errer  çà  et  là  comme  les  ber- 
gers (Et.  F.,  I,  192).  L'irland.  fol  (/  pour  p  ?)  désigne  le  soin 
des  troupeaux,  d'après  O'Reilly  (Dict.). 

Un  autre  groupe  appartient  à  un  thème  formé  de  pâ  par  le 
suffixe  na,  comme  en  sanscrit  pana,  protection,  mais  en  zend 
protecteur,  gardien,  dans  le  composé  shôithrapân,  protecteur 

1  Cf.  zend  paya,  pâturage,  qui  pourrait  dériver  de  pi,  engraisser, 
aussi  bien  que  de  pâ. 

2  Cf.  pers.  gôpârah  et  guwâl,  pâtre,  avecw  pour  p,  comme  dans 
shaw,  nuit  =  shab  et  scr.  kshap>a,  etc. 

3  De  même  Corssen  (Z.  S.,  V,  432).  Pales  de  pal.  Cette  rac.  pal 
(caus.  pâlayati)  semble  être  à  pâ  dans  le  même  rapport  que  sthal 
(caus.  sthâlayati)  à  sthâ.  Grassmann,  par  contre  (Z.  S.,  16,  179), 
rattache  Pales,  à  pala,  palea,  comme  présidant  aux  pâturages,  à  la 
nourriture  des  troupeaux. 


—     12     — 

du  pays,  —  synonyme  de  shôithrapaiti ,  EctTçolTrriç.1  C'est  le 
persan  pan,  ban,  gardien,  d'où  gôpân,  gawbân,  kourde  govâft, 
gavân,  pâtre,  vacher.  C'est  aussi,  sans  aucun  doute,  le  lithuan. 
portas,  maître,  seigneur,  porta,  maîtresse,  demoiselle  noble, 
comme  en  ancien  si.  et  russe  partît  et  partna,  et  en  pol.  pan  et 
pani.  L'illyr.  ban  est  le  nom  du  chef  ou  du  prince.2 

A  côté  de  gôpân,  on  trouve  en  persan  gûbân,  éôpân,  côbân, 
qui  n'en  sont  sans  doute  que  des  variantes,  le  g  et  le  g  alter- 
nant souvent  entre  eux,  ainsi  qu'avec  k  et  è?  Ce  composé  s'est 
conservé  dans  les  langues  slaves  et  le  lithuanien,  mais  avec  le 
sens  général  de  maître,  seigneur,  tout  comme  le  sansc.  gôpa 
est  devenu  plus  tard  le  chef  de  district  et  le  roi.  D'après 
Constantin  Porphyrogénète,  les  tribus  slaves  de  son  temps 
étaient  gouvernées  par  des  Zov7ravoi  yipovTiç.  C'est  là  Fane.  si. 
jupanîi,  le  dakor,  jupane,  seigneur,  l'ancien  polonais  zupan, 
chef  de  district,  le  boh.  zupan,  préposé  de  la  commune,  l'illyr. 
zupan,  intendant  de  maison,  etc.  En  lithuanien  on  ne  trouve 
que  le  fém.  zupône,  femme  noble,  dame,  anc.  prus.  supûni,  id. 
Que  la  signification  primitive  ait  été  celle  de  pâtre,  c'est  ce 
que  prouvent  l'alban.  tzobân  et  le  grec  moderne  t^ov7tccviç, 
qui  l'ont  conservée.  Le  polonais  zupan,  tunique,  vêtement 
de  dessous,  lithuan.  zuponas,  id.,  russe  jupanîi ,  surtout  court  et 
chaud,  a  probablement  désigné  dans  l'origine  une  chemise  de 
pâtre,  comme  en  pers.  kûrdî,  vêtement  de  laine,  de  kurd,  berger. 

Il  faut    séparer  des  termes  ci-dessus  le   persan  shubân, 

1  Haug,  Gâthâs,  I,  169. 

2  Pott  compare  aussi  le  nom  du  Dieu  Ilav,  avec  le  sens  propre  de 
pâtre  et  de  protecteur  (Et.  F.,  I,  191). 

3  Pott  (WWb.,  4,  68)  rattache  côbân  au  persan  côb,  cûb,  bâton, 
houlette,  en  comparant  le  scr.  kshupa,  buisson,  aussi  chupa.  11  fau- 
drait alors  le  séparer  de  gôbân.  Cf.  kourde  cû,  cà%  bâton  (Lerch, 
Gl.y  117,  200). 


—     13     — 

kourde  shevân,  shuané  (Lerch,  GL,  137 ,  225  ),  synonyme 
de  gôbân,  mais  composé  avec  un  autre  nom  de  la  vache  ou 
du  bétail,  le  zend  fshu,  et  répondant  à  un  thème  ancien 
fshupân  (Cf.  1. 1,  422). 

Nous  reviendrons  plus  tard  sur  d'autres  termes  dérivés  de 
gôpa,  et  qui  témoignent  de  la  haute  ancienneté  de  ce  nom  du 
pâtre.  Je  me  contente  de  renvoyer  ici  aux  pages  577,  579  de 
notre  premier  volume,  où  nous  avons  vu  les  deux  formes 
gôpa  etfshupa  désigner  fîgurément  le  vautour  en  grec  et  en 
slave. 

2)  C'est  aussi  à  la  rac.  pâ  que  l'on  s'accorde  généralement 
à  rattacher  le  latin  pasco,  pascor,  comme  un  inchoatif  en  sco, 
avec  sens  causatif.  Suivant  Corssen  (Z.  S.,  XI,  365)  et  Fick 
(122),  pastor  serait  pour  pasc-tor,  et  pastum  pour  pasc-tum, 
tandis  que  pâvi  et  pâbulum  auraient  conservé  la  racine  simple. 
Mais  comment  concilier  cela,  d'une  part  avec  le  gr.  ct-7rao-T0ç, 
sans  nourriture,  d-7rc&<rTict,,  jeûne,  et  de  l'autre,  avec  l'ancien 
slave  pas-ti ,  paître ,  pas-tva  et  pasha,  pashishte,  pâturage , 
pastouchu,  pasteur,1  où  la  racine  est  pas,  au  présent  pasà  ?  Je 
laisse  de  côté  le  cymr.  pasg,  nutrition,  engraissement,  pesgi, 
nourrir,  engraisser,  pasgell,  pâturage,  etc.,  armor.  paska,  ali- 
menter, etc.,  qui  peuvent  être  provenus  du  latin  ;  mais  que 
ferons-nous  du  siahpôsh  paslika,  pasteur,  berger,  qui  n'en  dé- 
rive sûrement  pas  ?  Faut-il  séparer  ces  termes  divers,  ou  peut- 
on  les  ramener  de  quelque  manière  à  une  origine  primitive 
commune  de  la  racine  pâ  ?  La  question  est  très-complexe,  et 
je  me  bornerai  à  indiquer  sommairement  les  solutions  tentées 
de  plusieurs  côtés. 

1  Le  synonyme  pastyrï,  néo-slave  pastir,  etc.,  est  sans  doute 
provenu  du  latin,  attendu  que  le  suffixe  -£or,  scr.  -tar,  est  représenté, 
en  slave,  par  telï.  Cf.  pastvitelï,  pastor. 


—     14     — 

Curtius  (  Gr.  Et.1,  254),  tout  en  maintenant  la  racine  pâ, 
dans  pa-scor,  etc.,  signale  l'existence  d'une  forme  augmentée 
pat,  dans  7TUTèo[J,cu  (i-7rct(rcrcno  ),  je  mange,  7rda-a-ircti  = 
icS-ia  (Hesych.),  d'où  cL7TcL(7toç  (supr.),  en  comparant  le  goth. 
fôdjan,  nourrir,  et  Fane,  slave  pitati,  id.;  mais  sans  parler  de 
pasti.  Par  contre,  Grassmann  (Z.  S.,  XI,  33),  s'appuyant  des 
formes  7rcc<rofJLcti,  i7rct(rctfXY\v,  7rt7rctr[jLcti,  revendique  la  pos- 
sibilité d'une  racine  pas,  comme  dans  pastor,pastus,  etc. 

Kuhn  (Z.  S.,  14,  221)  rapproche  7rcinofjLou  du  gothique 
fôdjan  (pour/o^/y'an  ),  ainsi  que  pasco,  pastum,  de  l'ags.  fôs- 
tor,  victus,  fôstre,  nutrix  ;  scand.  fôstr,  nutrition,  fôstri,  nour- 
ricier, etc.,  lesquels,  à  côté  du  goth.  fôdr,  anc.  allem.  fuotar, 
directement  de  pâ,  comme  pâbulum,  conduisent  à  pat  ou  à 
pas,  forme  désidérative  depâ. 

Pott,  qui  traite  longuement  de  la  rac.  pâ,  dans  son  W  Wb., 
I,  198,  sqq.,  y  rattache  aussi  directement  pa-soo,  comme  in- 
choatif,  ainsi  que  pa-s-tus,  pa-s-tor,  avec  s  pour  se.  Quant  au 
slave  pas-tî,  pascere,  et  ses  dérivés,  il  ne  veut  pas  les  séparer 
du  latin,  comme  le  fait  Miklosich  en  les  ramenant  au  sanscrit 
paç,  spaç,  voir,  observer,  considérer,  spectare,  spicere,  etc.1  Il 
préfère  voir  dans  p>as  une  forme  augmentée  de  pâ,  nourrir, 
semblable  à  celle  du  désidératif  sanscrit  pipâsati,  de  pâ,  dans 
le  sens  de  boire.  Cf.  pipâsa,  soif,  pipâsu ,  altéré,  etc.,  et,  plus 
haut,  l'opinion  de  Kuhn. 

1  A  paç  appartient  sans  doute  le  slave  pasti,  dans  o-pasti,  cavere, 
o-pasû,  diligentia,  sû-pasti,  servare,  sû-pasû,  salus,  etc.,  néo-slave 
pasti,  providere,  russe  pasti  sia,  cavere,  etc.  Mais  pasti  et  pascere  se 
rapportent  à  la  fonction  de  nourrir,  plutôt  qu'à  celle  d'observer  et  de 
garder.  —  Un  troisi;>me  verbe  slave  pasti,  cadere,  au  prés,  padâ, 
avec  pad  pour  racine,  est  encore  tout  différent.  Cf.  ou-pasti,  ou- 
padati,  deciderc,  léser,  ava-pad,  tomber,  et  le  zend  ava-paçti,  chute 
(Justi,  34),  que  Haug  (Gâthâs,  II,  88)   traduit  à  tort  par  prairie. 


—     15     — 

En  résumé,  il  faut  admettre,  ce  semble,  à  côté  de  pâ,  deux 
formes  secondaires,  pat  et  pas,  pour  ramener  tout  ce  groupe 
de  noms  à  une  même  source  primitive.1 

3)  La  rac.  sansc.  car,  dont  nous  venons  de  parler,  donne 
lieu  à  des  rapprochements  plus  étendus.  Son  acception  spé- 
ciale de  pasci,  pabulari,  dérive  de  son  sens  plus  général  d'er- 
rer çà  et  là,  ambulari,  peragrare  ;  mais  elle  remonte  sans  con- 
tredit au  temps  de  l'unité  arienne,  comme  le  prouvent  les 
concordances  multipliées  des  noms  du  pâtre,  du  bétail  et  du 
pâturage  qui  en  proviennent. 

En  sanscrit,  nous  trouvons  câraka,  gardien,  gôcâraka,  va- 
cher, du  causât,  câray,  pracâra,  pâturage,  gôcara,  id.,  puis, 
par  extension,  district,  contrée.2  J'ai  comparé  déjà  le  zend 
éaraiti,  animal  qui  pâture,^  ainsi  que  le  persan  carîdan,  paître, 
carâ,  caras,  carish,  etc.,  pâturage,  auxquels  il  faut  ajouter 
carand,  pasteur,  et  le  kourde  éiair,  arménien  garag,  pâtu- 
rage, etc. 

L'ancien  slave  nous  offre,  comme  nom  du  berger,  ovïcarï, 
russe  ovcarû,  polon.  owczarz,  illyr.  ovciar,  et  lithuan.  awczo- 

1  En  écartant  pâvi  et  pûbulum,  comme  directement  depâ,  on  peut 
présumer  que  pasco,  pour  pat-sco,  se  rattache  à  pat,  la  dentale  se 
supprimant  comme  dans  e-sco,  de  ed-sco.  Dès  lors  pastor  ne  serait 
pas  pour  pasctor,  mais  pour  pat-tor,  avec  s  pour  t  devant  t,  comme 
dans  l'ags.  fôstre,  nourrice,  scand.  fôstri,  nourricier,  de  la  rac.  fôd, 
fôth,  en  gothique.  A  la  forme  pas  appartient  peut-être  le  siahpôsh 
pashka,  berger.  Mais  où  faut-il  placer  le  védique pastya,  m.,  étable, 
gôpastya,  id.,  et  pastyâ,  f.,  demeure,  maison  et  cour,  établissement 
de  famille,  etc.,  que  le  D.  P.  laisse  inexpliqué  ? 

2  Au  vol.  I,  p.  449,  j'ai  cité  d'après  Rosen,  le  védique  caratha,  avec 
le  sens  depecus,  mais  j'ai  observé  que  le  D.  P.  ne  lui  donne,  comme 
adjectif,  que  celui  de  mobile,  vivant,  et,  comme  substantif,  de  mi- 
gration, voyage.  Cf.  Roth,  Nirukta,  Comment.,  p.  140. 

3  Mais  cf.  ib.,  l'observation  ajoutée. 

4  Cf.  ovishtepasû,  ovium  pastor,  depasti,  pascere  (supr.). 


—     16     — 

rus,  en  composition  avec  le  nom  du  mouton.  Le  lithuanien  a 
conservé  la  racine  éar  sous  la  forme  de  szar  (  sz  =  k  =.  é  ) 
dans  szérti,  pabulari,  d'où  pa-szaras,  pabulum,  et  szerétas,  la 
cour  où  le  bétail  mange. 

C'est  au  même  groupe  que  Benfey  rapporte  le  noAoç  du  gr. 
fiûv)COÀoç  =  gôcara,  ainsi  que  le  latin  colo,  colonus,  incola, 
avec  le  sens  de  versari,  agere,  facere,  qui  appartient  aussi  à 
car.  Cf.  pari-car,  colère,  ministrare,  etc.1  En  sanscrit  déjà, 
car  devient  cal,  procedere,  et  si  le  grec  7rtAo[/,cti  y  correspond 
également  avec  7r  pour  c,  il  faut  considérer  le  7toXog  de 
pov7To\oç,   ct,Ï7roAoç,  etc.,  comme  une  variante  phonique  de 

KOÀCÇ- 

J'ai  comparé  déjà  l'anc.  irland.  câira,  câirach,  mod.  caor, 
caora,  la  brebis  comme  animal  pâturant,  ainsi  que  caoraidh, 
bétail,  etc.  (t.  I,  p.  449).  Je  crois  retrouver  aussi  la  rac.  car, 
avec  le  changement  ordinaire  de  é  ou  k  en  p,  dans  le  cymr. 
pori,  pasci,  poriaw,  pascere,  d'où  pawr  (=  par),  axm.OY.peûr 

1  Kuhn,  Z.  S.,  VIII,  92.  Cf.  aussi  la  racine  sansc.  kal,  agere,  meâu, 
x.(x\ù),  etc.,  à  laquelle  Curtius  (  Gr.  Et.z,  140)  rattache  Bovxfooç. 
Ascoli  (Z.  S.,  12,  433)  en  sépare  colère  (svaoXoç,  WieeXoç),  qu'il  rap- 
porte à  kar,  faire,  en  observant  que  j'avais  entrevu  cette  connexion 
dans  mon  article  Z.  S.,  6, 180. 

Il  faut  ajouter  que  le  corrélatif  exact  de  8ovx.eh.oc  se  retrouve  dans 
l'irland.  f  bôchaill  (Z.2,  23  ;  S.  M.,  I,  84),  bûachaill  (Corm.,  GL,  20), 
irland.  moy.,  moderne  et  erse,  id.,  avec  le  sens  général  de  pasteur. 
De  là  les  pléonasmes  bûachaillbô,  bubulcus,  bûachaill  mucc,  porca- 
rius  (Stokes,  Ir.GL,  n°  583),  comme  en  grec  î^ttoBovxôXoç,  en  sansc. 
açvagôpa.  Cf.  cymr.  bug  ail,  bygel,  corn,  et  armor.  bugel,  pâtre,  etc. 
Stokes  (Corm.,  1.  c.)  rattache  aussi  le  second  élément  caill  à  kal, 
agere  ;  mais  le  Gl.  de  Cormac  l'explique  par  cail,  garde,  protection. 
Cf.  dans  O'R.  cail-bhearb  (lis.  cail-fearb  ?),  garde-vache,  vacher  ;  et, 
pour  le  sens  général  de  couvrir,  caille,  voile,  sansc.  cali,  couverture, 
cala,  toit  (D.  P.,  d'après  Wilson),  latin  celo,  germ.  hilan  (hal, 
hul),  etc.  Ainsi  la  question  étymologique  reste  encore  incertaine. 

2  Cf.  l'albanais  kol,  troupeau,  kulotas,  berger,  kulôture,  pâturage. 


—     17     — 


pâturage,  portant,  porfa,  etc.,  id.,  de  même  que  dans  pari, 
troupeau,  rapprochement  préférable  à  celui  que  j'ai  proposé 
antérieurement  (t.  I,  p.  332). 


ARTICLE   II. 

§  164.  LE  BÉTAIL  ET  LE  TROUPEAU. 

Les  noms  des  animaux  domestiques  ont  été  comparés  d'une 
manière  suffisamment  complète  dans  la  première  partie  de 
notre  ouvrage,  et  nous  n'avons  à  nous  occuper  ici  que  des 
termes  généraux  qui  s'appliquaient  au  bétail  et  au  troupeau. 

1)  Le  plus  ancien  et  le  seul  qui  se  soit  conservé  dans  les  prin- 
cipales langues  ariennes,  est  le  sanscrit  et  zenà  paçu,  l'animal 
domestique,  par  opposition  à  la  bête  sauvage,  l'animal  captif 
que  l'on  attache,  de  la  rac.  paç,  ligare.1  Cf.  pâça,  lien,  chaîne, 
attache  pour  le  bétail.2  De  là  pâçava,  troupeau,  et  les  compo- 
sés paçupâla,  -rakshin,  pasteur.  A  l'exception  du  zend  paçu 
et  de  l'ossète/os,  troupeau,  les  langues  iraniennes  semblent 
avoir  appliqué  ce  nom  plus  spécialement  à  la  chèvre,  en  sans- 
crit aussi  paçu,  ou  au  mouton.  Ainsi  l'afghan  psah,  chèvre, 
pse,  mouton,  kourde  paz,  pas,*  ossète,  fiss,  fuss,  id.,  etc.  ;  de 
même  qu'en  italien  pecora,  brebis,  est  provenu  de  pecus. 

En  Europe,  on  a  signalé  depuis  longtemps  les  concordances 
de  paçu  avec  le  grec  ttoùv-,   contracté  de  7T0Kv  ou  7Tq<tv^  le 

1  De  même  Justi  (187).  Le  D.  P.  ne  donne   point   d'étymologie. 
Pott  (WWb.,  I,  207)  la  déclare  encore  introuvée. 

2  Cf.  pers.  pâsîdan,  garder. 

3  Pèz,  menu  bétail  (Lerch,  Gt.,  151). 

4  Ou,  suivant  Benfey  (Gr.   Wl.,  2,  73),  d'un  thème  pâvu,  de  pâ.  — 

II  2 


—     18    — 

latin  pecus,  -ndis,  ou  -oris,  dérivés  par  d'autres  suffixes,  le 
lith.  pekus,  d'où  pekwcms,  berger,  et  le  goth.  failli^  qu'Ul- 
philas  n'emploie  que  dans  l'acception  de  bien,  propriété,  ar- 
gent (Cf.  peculium,  pecunia) ,  mais  qui  reprend  aussi  son  sens 
propre  dans  l'ancien  sax.  fehu,  l'ang .-saxon  feoh,  le  scand.  fé, 
l'anc.  fx\\.  Jihu,  etc.  Il  est  à  remarquer,  avec  Benfey  (Gh\  WL, 
II,  90),  que  ces  noms  germaniques  se  lient  indirectement  à 
la  rac./a/i,  goth.  fahan,  capere,  qui  correspond  au  sansc.  paç. 
L'erse  pasgân,  petit  troupeau,  se  rattache  peut-être  de  même 
à  la  rac.  pas g,fasg,  lier,  envelopper. 

2)  Une  coïncidence  remarquable,  mais  isolée,  est  celle  du 
sansc.  gavya,  m.,  bétail,  troupeau  de  vaches,  aussi  gavyâ,  f., 
dérivé  de  gô,  avec  le  lith.  gaibje,  f.,  troupeau,  et  gâuja,  gâuje, 
f.,  id.,  et  troupe,  en  parlant  des  loups  et  des  chiens,  le  sens 
primitif  étant  tout  à  fait  oublié. 

3)  Les  acceptions  de  troupe  et  de  troupeau  s'échangent 
naturellement  d'une  langue  à  l'autre,  et  se  confondent  quel- 
quefois. C'est  ainsi  que  le  sanscrit  vraga,  troupeau,  multi- 
tude, se  reconnaît  avec  sûreté  dans  le  latin  volgus,  vulgus, 
la  multitude,  le  troupeau  des  hommes.  Cf.  bhrâg ,  et  ful- 
geo,  mana  et  vulmis,  etc.  Un  rapport  inverse  se  révèle 
entre  le  sansc.  védique  çardha  ou  çardhas,  troupe  (Cf.  zend 
çaredha,  race,  espèce,  suivant  Haug,  Gâthâs.,  I,  205,  et  Justi, 
292),  parsi  çarda,  armén.  çerh,  etc.,  et  un  groupe  européen  de 
noms  du  troupeau.  A  çardha  correspond,  en  effet,  le  goth. 
hairda,  d'où  hairdeis,  pasteur,  ags.  heord  et  hirde,  anc.  allem. 
herta  et  hirti,  etc.,  et  probablement  aussi  l'ancien  slave  éreda, 
grex,  illyr.  credo,  pol.  czereda,  troupeau  de  la  commune,  d'où 
le  hongrois  csorda,  troupeau,  à  moins  que  ces  termes  n'appar-  . 

Curtius  aussi  ne  veut   pas  séparer    srwiï   de  Ttcit*^,   etc.  (Gr.  Et.*, 
2G3),  et  compare  le  sanscrit  védique  et  zend  pâyu,  gardien. 


—     19     — 

tiennent  à  la  rac.  car  (Voy.  plus  haut,  p.  15).  On  trouve,  en 
effet,  clans  quelques  dialectes,  une  autre  forme  avec  k,  le  slov. 
kardélo,  slovaq.  krdel,  troupeau  (Cf.  lithuan.  kerdzus,  pâtre). 
L'irland.  crodh,  bétail,  et  le  cymr.  cordd,  tribu,  famille,1  sem- 
blent se  rattacher  à  la  même  racine. 

Cette  racine  paraît  être  le  sansc.  vêd.  çrdh  (çardh),  adniti, 
excelsum  fleri  (West.,  Rad.  scr.),  d'où  çardha,  dans  le  sens  de 
force.2  De  là,  par  une  transition  naturelle,  l'acception  de  do- 
miner, garder,  posséder,  que  Haug  (Gâthâs.,  II,  179)  reven- 
dique pour  une  racine  zend  hypothétique,  çard.  Cette  notion 
primitive  de  force  reparaît  également  dans  le  goth.  hardus, 
dur,  ferme,  fort,  suivant  Grimm,  d'un  verbe  perdu  hairdan, 
iîrmari  (hird,  hard,  hurd),  auquel  appartiendrait  aussi  haurds, 
porta,  anc.  allemand  hurt,  crates,  etc.,  ce  qui  nous  ramène  à 
l'idée  de  garder.  Enfin,  le  goth.  haldan,  pascere,  =  anc.  ail. 
haltarij  tenere,  habere,  sustentare,  custodire,  d'où  hait,  pas- 
cuum,  hallara,  custos,  etc.,  ne  semble  différer  que  par  le  chan- 
gement de  r  en  l. 

ARTICLE   III. 

§  165.  LE  PATURAGE. 

Nous  avons  vu  déjà  plusieurs  noms  du  pâturage  dérivés  des 
rac.  car  et  pâ  ;  il  en  est  d'autres  encore  qui  proviennent  évi- 

1  Cf.  scand.  hyrd,  satellitium,  cœtus  hominum,  familia,  à  eôté  de 
hiôrd,  grex. 

2  D'après  Benfey  (Samav.  GL,  182)  et  Fick  (38);  mais  le  D.  P.  ne 
donne  que  çardha,  adj.,  hardi,  insolent,  de  çardh,  keck,  trotzigsein. 
Cela  n'explique  guère  le  nom  du  troupeau  dont  l'origine  reste 
obscure. 


—     20     — 

demment    du    fonds    commun    le   plus    ancien    des    langues 
ariennes. 

1)  Le  plus  intéressant,  par  les  extensions  de  sens  qu'il  a 
reçues  successivement,  est  le  sanscrit  gavya,  cité  plus  haut 
dans  l'acception  de  bétail.  Ce  dérivé  védique  du  nom  de  la 
vache,  gô,  signifie  comme  adjectif  ce  qui  est  relatif  à  l'animal 
domestique,  et  comme  substantif  un  pâturage  de  vaches.  Pott 
déjà  {Et.  F.,  I,  87,  184  )  avait  conjecturé  un  rapport  entre 
le  grec  yata  et  le  sansc.  gô,  dans  le  sens  de  terre,  et  Benfey 
(G.  WL,  II,  114  )  avait  adopté  ce  rapprochement  en  consi- 
dérant yciïa  pour  yaFict,,  comme  répondant  à  un  nom  sans- 
crit hypothétique  de  la  terre,  gavyâ,  provenu  de  gô,  id.  Ce  qui 
pouvait  en  faire  douter,  c'est  que  la  double  acception  de  gô 
comme  vache  et  terre  n'a  probablement  qu'une  origine  my- 
thique indo-iranienne  relativement  récente.  Dès  lors  le  védi- 
que gavya,  pâturage,  est  venu  confirmer  l'affinité  de  ces 
termes,  bien  que  d'une  manière  un  peu  différente.  Ce  qui 
n'était  d'abord  que  le  lieu  fréquenté  par  les  troupeaux  de  vaches 
est  devenu  plus  tard  le  nom  du  district,  comme  pour  gôcara, 
puis  de  la  province,  du  pays,  et  de  la  terre  entière  dans  le  grec 
yciïa,  identique,  sauf  le  genre,  et  contracté  ensuite  en  y  ta, 
y  cl  et  yvj.1 

C'est  à  bon  droit  que  Benfey  rattache  également  ici  le  grec 
yvia,  yvct,  yvqç,  autre  contraction  de  gavyâ.  L'acception 
plus  spéciale  de  champ,  ou  terre  labourée,  doit  remonter  à 
l'époque  où  l'agriculture  a  remplacé  la  vie  pastorale.  La  tran- 
sition du  sens  était  d'autant  plus  naturelle  que  le  sanscr.  gô  se 

1  Le  védique  gaya,  maison,  famille,  et  le  zend  gctya,  vie,  gaêtha, 
monde,  n'ont  sûrement  aucun  rapport  avec  le  grec  yccïu.  Burnouf  et 
Spiegel  (Beitr.,  \,  316)  conjecturent  pour  le  zend  une  rac.  gî  =  scr. 
gîv,  vivere.  Justi  (100)  donne  positivement  gi,  vivre. 


—     21     — 

trouvait  représenté  par  le  grec  (iovç,  et  que  l'étymologie  de 
y  via,  aussi  bien  que  celle  de  ycdct,  n'était  plus  sentie.1 

Par  la  même  raison,  on  ne  doit  pas  hésiter  à  rapprocher 
de  gavya  le  goth.  gavi  (thème  gauja\  Bopp,  V,  Gr.,  I,  255), 
anc.  ail.  gawi,  gewi,  anc.  sax.  gâ,  gô,  ail.  mod.  gau,  pagus, 
regio.  On  devrait  attendre  kavi,  en  accord  avec  le  nom  de  la 
vache  devenu  kû  en  germanique  (Cf.  I,  p.  410),  mais  on  avait 
perdu  de  vue  la  corrélation  des  deux  termes. 

Cet  ancien  nom  du  pâturage  se  reconnaît  encore  dans  le 
lith.  gojas,  gojus,  ancien  slave  et  russe  gai,  nemus,  pol.  gay 
(gén.  gaiu),  id.,  avec  la  même  signification  modifiée  que  pour 
le  latin.2 

Enfin,  l'irl.  gé  ou  ce,  terre,  suivant  O'R.,  si  toutefois  il  est 
bien  authentique,  nous  offre  une  contraction  toute  semblable 
au  grec  yyj  et  en  analogie  d'ailleurs  avec  les  changements  pho- 
niques usités  en  irlandais  (Cf.  dé,  génit.  de  dia,  dieu,  =  scr. 
dêvasya). 

2)  Le  latin  nemus,  bocage,  bois,  mais  primitivement  pâtu- 
rage, comme  npoç,  vofxoç-,  vofAq,  est  sûrement  d'une  origine 
ancienne,  bien  qu'un  peu  incertaine.  Les  termes  grecs  déri- 
vent directement  de  vtfAûô>  pasco,  mais  aussi  tribuo,  distribuo, 
et,  au  moyen,  vi^ofxcti,  pascor  et  possideo.  De  là,  les  autres 
acceptions  de  voftoç,  comme  distribution,  ordre,  loi,  coutume, 
et  de  vopoç  comme  demeure,  habitation.   Tout  jusqu'ici  est 

1  Une  trace  de  la  forme  primitive  gô  se  montre  cependant,  non- 
seulement  dans  yd-\u%  (V.  t.  I,  412),  mais  dans  yoiïoç,  o  sçyotrviç  Govç, 
suivant  Hesychius.  Cf.  sansc.  gavaya  et  gaya,  Bos  gavseus. 

2  Les  formes  ycctx,  yvix,  gauj.a,  gojas,  rappellent  singulièrement  le 
persan  kôy,  kûy,  district,  région,  village,  où  le  k  remplace  gr,  comme 
dans  l'ossète  kaw,  kau  et  gau,  village.  Le  persan  kûyah,  étable, 
pour  gûyah,  paraît  être  le  sanscrit  gavya,  ce  qui  convient  à  la  vache, 
et  pâturage. 


—     22     — 

assez  logique,  mais  les  difficultés  commencent  quand  on  veut 
remonter  à  l'idée  première.  A  vtfAW,  en  effet,  correspond  le 
goth.  et  ags.  niman,  capere,  sumere,  anc.  allem.  neman,  scand. 
nema,  id.,  et  occupare,  ainsi  que  l'anc.  slave  nimati  dans  su- 
nimati,  congregare,  russe  s-nimâtï,  ôter,  enlever,  pere-nimâtï, 
prendre,  pri-nimâtï,  recevoir,  pod-nimâti,  ramasser,  vy-ni- 
mâtïj  enlever,  saisir,  etc.  Si  nous  recourons  au  sanscrit,  nous 
trouvons  la  rac.  nam  avec  le  sens  encore  différent  de  incli- 
nare,  incurvare,  inclinare  se  venerandi  causa,  d'où  namas, 
salut,  inclination,  vénération.  Cf.  zend  nemanh,  culte,  persan 
namâz,  id.,  et  namîdan,  incliner  vers,  désirer,  etc.  Cela  ne 
concilie  guère,  au  premier  coup  d'œil,  les  acceptions  précé- 
dentes ;  toutefois  les  dérivés  de  nam  suggèrent  quelques  rap- 
prochements assez  frappants.  Ainsi  le  védique  namas,  nêma, 
nourriture  (Naigh.,  II,  7  ),  cf.  zend  nimata,  herba  (  Spiegel, 
Avesta,  I,  86),  aussi  nema  (  Justi,  174),  c'est-à-dire  ce  que 
l'on  offre,  ou  ce  que  l'on  prend,  semble  relier  vijiaûo,  pasco,  au 
goth.  niman  et  au  si.  nimati.  D'un  autre  côté,  au  grec  vo[à,6ç, 
habitation,  répond  le  lith.  namas,  maison,  demeure,  d'où  na- 
moti,  habiter,  et  beaucoup  d'autres  dérivés,  et  ceci  nous  rap- 
proche du  sens  de  viftoftcu,  posséder.  Ces  divers  rapports 
indiquent  certainement  une  origine  commune.  Kuhn  observe 
que  l'on  s'incline  pour  prendre,  et  que  le  bétail  baisse  la  tête 
pour  paître  (Ind.  Stud.  de  Weber,  I,  338).  On  s'incline  éga- 
lement pour  offrir  avec  respect,  et  c'est  là  sans  doute  la  notion 
primitive  qui  semble  le  mieux  concilier  les  divergences  indi- 
quées. 

3)  D'après  Kuhn  (1.  c,  p.  339),  le  sansc.  pada,  lieu,  site, 
station,  de  pad,  stare  et  ire,  désigne  plus  spécialement  un  pâ- 
turage dans  le  Rigvêda  ;  par  exemple  :  I,  67,  3  :  priyâ  pa- 
dâni  paçvô  nipâlii,  protège  les  pâturages  aimés  du  bétail.  Cf. 


—     23     — 

pers.  pâdah,  prairie,  pâturage,  pâdah-bân,  pâtre.  Il  compare, 
avec  raison,  le  grec  7riSov,  sol,  terre,  ainsi  que  l'ombrien  pe- 
rum  (de  pedum)  ; 1  mais  le  rapprochement  qu'il  propose  avec 
le  slave  pôle,  campus,  semble  moins  sûr.  L'analogie  de  l'adv. 
russe  polo,  ouvertement,  à  découvert,  c'est-à-dire  en  plein 
champ,  avec  le  lat.  palam,  nous  ramène  plutôt  à  cette  racine 
pal,  pal,  —  pf,  que  nous  avons  présumée,  avec  Pott,  dans  pa- 
latium,  Pales,  etc.  (Cf.  p.  11.  )  Ainsi  le  slave  pôle  aurait 
signifié,  dans  l'origine,  le  pâturage  en  tant  que  gardé,  comme 
en  sanscrit  pâlana  dans  pâçavapâlana,  pâturage.  Cf.  paçu- 
pâla,  pâtre.  En  persan  pal  désigne  un  champ  entouré  d'une 
levée  de  terre,  c'est-à-dire  gardé,  protégé,  et  pâlîz  un  jar- 
din. Cf.  scr.  pâli,  levée  de  terre,  digue,  limite,  c'est-à-dire  pro- 
tection, garde. 


ARTICLE   IV. 

§  466.  LES  LIEUX  DE  RÉUNION  DES  TROUPEAUX,  L'ENCLOS, 

L'ÉTABLE. 


Au  temps  où  les  troupeaux  constituaient  encore  la  princi- 
pale richesse  de  la  famille  et  de  la  tribu,  ils  étaient  sans  doute 
trop  nombreux  pour  être  renfermés  dans  des  étables  ;  et  les 
lieux  de  repos,  ou  de  refuge,  consistaient  en  enclos,  en  sta- 
tions, où  les  pâtres  et  le  bétail  se  réunissaient  pour  passer  la 
nuit.  Ce  n'est  que  plus  tard,  et  quand  le  travail  agricole  eut 
amené  le  partage  du  sol,  que  les  troupeaux  plus  divisés  purent 

1  Curtius  (Gr.  Et.3,  230)  compare  aussi  oppidum,  ro  ht\  rÇ  wê&*£, 
la  ville  qui  protège  la  campagne. 


—     24     — 

être  abrités  d'une  manière  moins  imparfaite.  Les  langues  con- 
servent encore  des  traces  de  cet  état  primitif,  ainsi  que  des 
changements  qui  ont  suivi. 

1)  Le  sansc.  gôshtha  ou  gôsthâna,  en  zend  gaôstâna,  n'a 
signifié  d'abord  qu'une  station  de  vaches,  de  gô  et  sthâ,  stare, 
d'où  sthâna,  lieu,  site,  puis  demeure,  maison,  ville,  etc.  Plus 
tard,  gôshtha  a  pris  le  sens  d'étable,  comme  açvasthâna  celle 
d'écurie  (de  chevaux),  et  sa  signification  s'est  ensuite  géné- 
ralisée dans  le  féminin  gôshthî,  jusqu'à  ne  plus  désigner  qu'une 
réunion,  une  assemblée,  une  société  d'amis.  La  nature  de  ce 
composé  est  si  bien  tombée  en  oubli,  que  l'on  a  dit  aussi  pour 
étable  gôgôshtha,  en  répétant  deux  fois  le  nom  de  la  vache.  Il 
n'est  pas  étonnant  d'après  cela  que  le  lith.  gûsztas,  gûzta, 
unique  exemple  à  moi  connu  d'une  coïncidence  européenne 
complète,  ne  signifie  plus  qu'un  poulailler  et  une  hutte. 

Le  substantif  simple,  sthâna,  se  retrouve  aussi  comme  nom 
de  l'étable  dans  le  zend  çtâna,  huzv.  çtân  (  Justi,  300  ), 
beloutche  thân,  lithuanien  staine,  polon.  staynia  et  l'alban. 
stan,  tandis  que  le  pers.  stân,  des  noms  de  pays,  et  l'anc.  slave 
stanUj  hospitium,  castra,  en  russe  station,  demeure,  polonais 
stan,  état,  etc.,  ont  conservé  des  significations  plus  ou  moins 
générales. 

Le  sansc.  sthala,  lieu,  site,  de  sthal,  firmiter  stare  (Dhâtup.), 
racine  alliée  à  sthâ,  désigne  aussi  une  étable  dans  le  composé 
avisthala,  bergerie.1  Il  en  est  de  même  dans  les  langues  ger- 

1  Je  crois  retrouver  ce  composé ,  probablement  proethnique,  dans  le 
gothique  avi-str,  bergerie,  ags.  ewe-stre,  eowe-stre,  qui  aurait  été  en 
zend,  *  avi-çtara.  En  sanscrit,  sthara  a  sans  doute  précédé  sthala. 
Cf.  sthûra  et  sthûla,  gros,  épais,  massif,  etc.  L'anc.  allem.  awista, 
ewist,  bergerie,  se  rattache  au  stha  du  sanscrit  gô-shtha,  étable  à  va- 
ches, et  serait  =  *  avishtha. 

Un  second  composé  du  même  genre  se  présente  sûrement  dans  le 


—     25     — 

maniques,  où  l'ags.  stal,  steal,  scand.  stallr,  ancien  allem.  stal, 
stall,  etc.,  étable,  et  aussi  lieu,  place,  dérivent  de  stellan,  stal- 
jan,  en  anc.  ail.  statuere,  ponere,  =  scr.  caus.  sthâlay.  Cf.  gr. 
(TTiKAoùy  etc. 

A  la  racine  sthâ,  restée  vivante  presque  partout,  se  lient 
également  (Zqvittclo'iç,  -(ttu<tiu,  -orcçofAOV,  stabulum,  d'où  l'irl. 
stâbul,  etc. 

2)  Le  sansc.  bhâsa,  enclos  pour  les  vaches  =  gôshtha,  se 
retrouve  identiquement  dans  le  scand.  bas,  prsssepe  bovis,  sta- 
bulum, d'où  basa,  boves  in  statione  disponere  (Biorn,  Lex.), 
ags.  bôs,  prassepe,  bôsig,  bôsih,  étable  à  vaches,  angl.  boose,  id., 
dans  les  dialectes  du  nord. 

Fick  (139)  rattache  ce  nom  à  bhâs,  luire,  briller,  en  tant 
que  construction  ouverte  (offnes  gebaùde).  J'y  verrais  plutôt 
un  enclos  à  ciel  ouvert.  Le  goth.  bansts,  qu'il  compare  aussi, 
semble  différer  par  son  sens  propre  de  magasin ,  dépôt 
(cL7ro3~riKV}  dans  Ulphilas),  aussi  bien  que  par  son  étymologie. 
Si  l'on  en  rapproche  l'allem.  banse,  horreum,  le  bas-lat.  bansta, 
basta,  banasta,  bansella,  corbeille  ronde  de  sparterie  (  Du 
Cange),  d'où  le  français  et  wallon  banse,  grande  manne,  l'esp. 
banasta,  grand  panier,  etc.,  etc.,  il  faut  évidemment,  avec 
Grrimm  (  D.  Wb.  ),  rapporter  bansts  à  bindan  (  band  ),  lier 
=  sansc.  bandh,  etc.,  avec  le  changement  de  la  dentale  en 
sifflante,  comme  dans  bast,  aubier,  etc.  Le  même  changement 
se  présente  déjà  dans  le  zend  baçta,  lié,  attaché,  de  la  rac. 
band  (Justi,  213)  =  scr.  baddha. 

3)  Sansc.  vraga,  enclos  pour  le  bétail,   étable,   station  de 

bostar,  -avis  du  Gl.  d'Isidore,  aussi  bostarium,  bovile  (Du  Cange, 
v.  cit.),  conservé  encore  par  l'espagnol  bostar  et  le  portugais  bostal 
(Diez,  Wb.,  2,  105),  et  qui  serait,  en  sanscrit,  * gôshthala,  ou  -ara. 
Ce  composé  n'est  sûrement  pas  latin,  et  le  fait  qu'il  ne  s'est  maintenu 
bu'en  Espagne  fait  présumer  une  origine  celtibère  et  gauloise. 


—     26     — 

pâtres  (=  gôshtha),  aussi  troupeau,  de  varg,  tourner,  détour- 
ner, puis  exclure,  défendre,  entourer.  De  là  varga,  troupe, 
classe,  division,  réunion  d'objets  semblables,  vrgina,  courbe, 
vrgàna,  enceinte,  cour,  village,  etc.  Cf.  latin  vergo,  et  aussi 
volgus,  vulgusj  la  multitude,  le  troupeau  des  hommes  ;  goth, 
varkjan,  prohibere,  vraiqs,  courbe,  etc. 

De  la  même  racine  devenue  ^içy  {ùpyvvfM,  ùpyoù),  enfer- 
mer, séparer,  exclure,  défendre,  dérive  e/gWT*;,  enclos,  prison 
=  scr.  vrkta,  part,  passé  de  varg.  Je  compare  aussi,  avec  un 
sens  plus  restreint,  l'irlandais  f  fraig,  toit  (Corm.,  GL,  76), 
mod.  et  erse  fraigh,  paroi,  mur,  limite,  ainsi  que  l'irlandais 
moyen  fraigh,  bouclier  (Magh  Lena,  p.  146),  c'est-à-dire  dé- 
fense, protection. 

4)  Scr.  maudira  ou  mandurâ,  littér.  un  lieu  de  sommeil, 
dormitorium,  de  mand,  dormire  (lsetari,  gaudere,  etc.),  puis 
une  étable,  un  lit,  une  maison,  et,  au  neutre,  un  temple,  une 
ville,  etc.1 

L'acception  d'étable  se  retrouve  dans  le  grec  fjt,ctvtyoc,  lat. 
mandra,  ainsi  que  dans  l'irland.  maindreach,  mainneir  (  = 
mandirali),  manrach,  erse  mainnir,   manrach,  bergerie,  parc. 

5)  J'ajoute  quelques  rapprochements  assez  frappants,  mais 
isolés,  entre  des  noms  iraniens  et  celtiques. 

Pers.  angarû,  angarwâ,  bergerie,  peut-être  allié  au  sanscrit 
angana,  cour.  —  Irland.  angar,  étable  (O'R.). 

Pers.  lân,  enclos  pour  le  bétail,  aire,  enceinte  d'une  maison. 
Cymr.  llân,  enclos,  aire,  cour,  place,  église,  village.  Irlandais 
erse,  lann,  enclos,  champ.  Cf.  le  lanum  des  noms  de  lieux  gaulois, 

A  Dans  leD.  P.,  mandurâ,  écurie  de  chevaux,  et  matelas.  —  L'ac- 
ception de  dormir,  dans  Westerg.,  Rad.,  171,  et  Wilson,  ne  se  trouve 
pas  dans  D.  P.,  qui  ne  donne  que  :  s'arrêter,  tarder,  attendre.  Ainsi 
mandira,  etc.,  désignerait  plutôt  un  lieu  d'arrêt  et  de  repos. 


—     27     — 

lequel  désignait  sans  doute  un  lieu  d'habitation  entouré  d'une 
enceinte. 

Belout.  bhân,  étable  à  vaches.  —  Irl.  ba?irach,  erse  banair, 
enclos  pour  le  bétail. 

ARTICLE  V.    LES   PRODUITS   DU   TROUPEAU. 


Les  pasteurs,  comme  de  raison,  se  nourrissaient  principale- 
ment de  la  chair  et  du  lait  de  leurs  troupeaux,  tandis  que  les 
peaux  et  la  laine  leur  fournissaient  de  quoi  se  vêtir.  Aussi  les 
termes  qui  s'appliquent  à  ces  divers  produits  offrent-ils  dans 
les  langues  ariennes  des  preuves  multipliées  d'une  origine  an- 
cienne et  commune. 


§  167.  LA  CHAIR,  LA  VIANDE. 

1)  Le  scr.  kravya,  vêd.  aussi  kravi,  kravis,  désigne  la  chair 
crue.  La  racine  est  incertaine,  mais  il  est  à  croire,  avec  Las- 
sen  (Anthol.  Gloss.),  qu'elle  est  la  même  que  celle  de  krûra, 
cru,  dur,  rude,  cruel.  Ses  dérivés,  dans  l'une  et  l'autre  accep- 
tion, offrent  de  nombreuses  analogies. 

Ainsi,  en  grec,  ttpecjç,  -ctrog  (  thème  KpiFctr),  avec  un  suf- 
fixe ctr  qui  disparaît  dans  les  composés  KçictvofAoçj  jcçtovpyoç, 
KpiioooKog.  Le  corrélatif  latin  n'est  pas  caro,  mais  bien  cruor, 
sang,  cruentus,  sanglant.  C'est  également  au  sang  que  s'appli- 
quent l'ancien  prussien  Jcraicja,  le  lithuan.  kraujas,  d'où  kru- 
ivinas,  sanglant,  l'anc.  slave  et  russe  krovï,  pol.  et  boh.  kreiv, 
illyr.  karv,  etc.,  l'anc.  irl.  cniu  (Corm.,  GL,  p.  35),  mod.  cru, 
et  le  cymr.  crau,  corn.  crou.  Par  contre,  l'anglo-saxon  lireaw, 


—     28     — 

scand.  hrae,  anc.  ail.  Jirêo,  corpus,  cadaver,  revient  à  la  pre- 
mière acception. 

Les  formes  qui  sont  alliées  au  sansc.  krûra  offrent  presque 
partout  un  parallélisme  évident  avec  les  précédentes.  Ainsi  le 
zend  Jchruij  cruel,  le  grec  Kpctvpoç,  rude,  dur,  le  lat.  crudus,  cru- 
delis,  l'irland.  cru,  cruadh,  rude,  sévère,  cruas,  cruauté,  cymr. 
creuder,  id.,  creulawn,  cruel,  sanguinaire,  l'ags.  hreow,  scand. 
lirâr,  anc.  ail.  rawer  (  de  hrawer  ),  crudus,  crudelis,  etc.1 

2)  Les  mêmes  transitions  de  sens  se  montrent  pour  le  scr. 
amis,  âniisha,  ou  amisha,  chair,  de  même  origine,  sans  doute, 
que  ama  ou  âma,  cru,  âmatâ,  crudité,  en  grec  MfjLog,  ôôfAOTVjç, 
en  irland.  amh,  omh,  cymr.  of  =  om,  ainsi  que  le  scr.  ama, 
âma,  crainte,  terreur,  maladie,  âmana,  etc.,  id.  ;  anc.  irl.  omun, 
cymr.  ofyn,  ofn,  crainte,  etc.2  La  rac.  est  am,  au  caus.  âmay, 
œgrotum  esse.  Aucun  nom  de  la  chair  n'en  dérive  ailleurs 
qu'en  sanscrit,  mais  l'irl.  omh,  sang,  se  rapporte  à  amis,  comme 
cruu  à  kravis. 

3)  Le  scr.  mas,  mâns,  mânsa,  semble  avoir  désigné  primi- 
tivement la  chair  préparée,  divisée ,  distribuée,  s'il  dérive, 
comme  cela  est  probable,  de  mas,  metiri  (Dhâtup.).5  Cf.  mânsa 
dans  l'acception  de  temps.  En  hindoustani,  et  en  tirhaï  du  Ca- 
boul, nous  trouvons  mas,  en  armén.  mis. 

Le  lat.  mensa,  repas,  table,  n'aura  signifié  dans  l'origine 
qu'une  portion  de  chair  (Cf.  mensio,  mensura),  comme  aussi 
l'irl.  méis,  plat,  dont  Y  s  maintenue  indique  une  nasale  suppri- 
mée, et  peut-être  maise,  nourriture  en  général.  Les  langues 

1  Sur  la  rac.  kru  et  ses  dérivés,  cf.  Weber  (Z.  S.,  5,  232). 

2  Cf.  les  noms  gaulois  Exsornnus,  Exobnus  (Exomnus) ,  que 
Zeuss  2  (40,47,  125)  explique  parl'anc.  irland.  es-omun,  cymr.  moy. 
eh-ouyn,  intrepidus. 

3  Cf.  masa,  m.,  mesure,  poids  (Wilson),  masana,  n.,  masii,  f.,  ac- 
tion de  mesurer. 


—     29     — 


germaniques  n'offrent  que  le  goth.  mimz  (pour  minz),  chair. 
L'anc.  pruss.  mensas,  devenu  en  lithuan.  mesa,  viande,  est 
presque  identique  au  sanscrit,  ainsi  que  l'anc.  si.  miâso,  pol. 
mieso,  russe  miaso,  illyr.  meso,  etc.1 


§  168.  LA  PEAU,  LE  CUIR. 

Les  peaux  des  animaux  domestiques,  brutes  ou  préparées, 
fournissaient  des  vêtements,  et  trouvaient  beaucoup  d'autres 
applications.  Nous  ne  parlerons  ici  que  des  termes  qui  dési- 
gnaient la  peau  séparée  de  l'animal. 

1)  Le  principal  est  le  scr.  carma,  carman,  peau,  cuir,  dont 
j'ai  traité  déjà  au  premier  vol.,  p.  237,  en  le  rapportant  à  la 
rac.  kfj  kar,  lsedere,  secare,  de  même  que  le  synonyme  krtti 
dérive  de  krt,  findere,  dividere,  et  le  grec  SijifAct  de  Sipœ,  di- 
viser, écorcher,  etc. 

Aux  mots  comparés  comme  provenant  de  la  même  racine, 
il  faut  joindre  le  lat.  corium.  Le  grec  XPÇiw  diffère  par  la  gut- 
turale initiale,  et  appartient  peut-être  mieux  à  la  rac.  hr  (har), 
rapere,  abripere.2 

2)  Le  scr.  drti,  peau,  cuir,  puis  outre  et  soufflet,  vient  de 
df,  dar,  dividere,  findere.  Cf.  pers.  darîdan,  id.,  grec  iïtçoô, 
goth.  tairan,  lith.  dirti,  anc.  si.  drati,  etc. 

1  Weber  (1.  c,  233)  admet  pour  la  rac.  mas,  d'après  plusieurs  dé- 
rivés, le  sens  primitif  de  gonfler,  nourrir,  engraisser,  et  y  rattache 
aussi  mânsa.  Le  D.  P.  ne  donne  pas  d'étymologie  ;  non  plus  que  Fick 
(152),  qui  rattache  (ib.)  mensa,  avec  mensus,  etc.,  au  scr.  ma,  mesu- 
rer, former.  Pour  un  rapport  direct  de  mensahmâs,  mânsa,  cf.  celui 
de  mensis,  mois,  à  mâs,  mâsa,  lune  et  mois,  suivant  D.  P.  de  ma. 

2  Cf.  Kuhn,  Z.  S.,  IV,  14,  qui  admet  pour  racine  commune  une 
forme  skar,  d'où  corium,  pour  scorium,  et  %é§tov  pour  <r^op<ov. 


—     30     — 

DeSipcô  se  forment  de  même,  en  grec,  Sipoç,  rîipctç,  -cltoç, 
iïopa,  Sipfxct,  peau,  cuir,  et  âopéç,  sac  de  cuir,  outre. 

3)  Les  coïncidences  suivantes  sont  propres  aux  langues 
celtiques. 

Scr.  krtti,  peau,  cuir,  de  krt,  kart,  flndere  ;  pers.  éarlah.  — 
Irl.  créât ,  peau,  à  côté  de  cairt,  cymr.  carth,  écorce,  latin 
cortex. 

Sanscrit  tanu,  peau,  de  tan,  extendere.  —  Irlandais  tonn, 
cymr.  ton. 

Sansc.  ghana,  peau,  écorce,  prop.  tenace,  dense,  compacte, 
de  han,    caedere.  —  Cymr.  ^m,peau. 

Pers.  pûst9pôst,  peau,  cuir,  belout.  post,  afgh.  postoke.  Cf. 
pôshîdan,  couvrir,  vêtir,  et  scr.  pus h  (pôshayati),  mettre  sur 
soi,  porter  (Wilson).1 

Par  le  changement  fréquent  en  irlandais  de  p  en  c,  on  peut 
comparer  cust,  peau,  d'où  custaire,  tanneur,  comme  en  persan 
postirah  de  pôst. 

§  169.  LA  LAINE. 

Les  langues  de  la  famille  offrent  un  accord  très-complet 
pour  cet  utile  produit  du  mouton. 

1)  Le  sansc.  ûrna,  n.,  ûrnâ,  f.,  laine,  et  ura,  dans  tira-bhra, 
bélier,  c'est-à-dire  porte-laine,  dérive  de  la  racine  vr,  var 
(yrnôti),  tegere,  d'où  la  forme  secondaire  ûrnu,  operire.  Ainsi 
ivrna  est  pour  varna,  et  ura  pour  var  a.  Ces  deux  thèmes  se 
retrouvent  également  dans  les  langues  congénères. 

A  vara,   augmenté   d'un   suffixe   k,  appartient  le  siahpôsh 

1  Dans  D.  P.,  obtenir,  posséder,  avoir.  Cf.  aussi  push,  diviser 
(Dbatup.). 


—     31     — 

warak,  laine.  Le  kourde  erri,  pour  verri,  verni  (?),  a  peut-être 
assimilé  Vn  ;  mais  le  grec  tpcç,  iipoç,  pour  Fîpoç,  cf.  gps#,  iptcv 
répond  à  vara.  Cf.  Curtius  (  Gr.  Et.5]  322). 

Le.  thème  primitif  varna  a  été  fidèlement  conservé  par  le 
lith.  wilnas,  l'anc.  si.  vluna,  russe  volna,  pol.  welna,  bohémien 
Wwa,  etc.,  avec  Z  pour  r.  L'illyr.  vuna  supprime  l  comme  à 
l'ordinaire.  L'irland.  olann,  pour  folann,  cymr.  givlan,  armor. 
gloan,  semblent  indiquer  un  thème  varana.  Enfin  Vn  du  suf- 
fixe s'est  assimilée  à  la  liquide  dans  le  lat.  vellus,  toison,  et 
villus,  tout  comme  dans  le  goth.  vulla,  l'ags.  ivull,  le  scand. 
ail  et  l'anc.  ail.  wolla. 

Il  est  à  remarquer  que,  en  sanscrit  même,  la  rac.  var  de- 
vient val,  tegi,  indui,  et  iïl  dans  quelques  dérivés,  comme 
ulva,  enveloppe  de  l'embryon,  et  de  l'œuf,  cavité  =  latin 
vulva,  etc. 

Un  autre  terme  sanscrit,  lava,  désigne  la  laine  tondue,  de 
lu,  secare,  primitivement  rw;cf.  ru,  action  de  couper  (Wilson), 
et  ru  (ravatê),  briser,  broyer  (D.  P.).  De  là  lôman  et  roman, 
laine  et  poil  en  général,  lômaça,  et  rômaça,  laineux,  poilu, 
bélier,  etc. 

Les  deux  formes  se  rencontrent  également  mêlées,  et  aussi 
avec  d'autres  suffixes,  dans  les  noms  de  la  laine,  de  la  toison, 
de  la  chevelure,  etc. 

A  lava  correspond  l'ang.-sax.  lae,  caesaries,  scand.  là,  coma, 
crines,  lô,  tomentum,  titivillitium  ;  tandis  que  le  scand.  rû, 
vellus,  rya,  vellere,  rûdr,  spoliatus,  se  lient  à  la  rac.  ru. 

Les  formes  analogues  à  lôman  et  roman  se  montrent  dans 
le  siahpôsh  lûm,  chevelure,  le  pers.  rûm,  pubes,  l'irland.  lom, 
dépouillé,  tondu,1  cymr.  llivm,  id.,  d'où  en  irland.  lomar,  lu- 

1  Peut-être  pour  lomn,  à  cause  du  maintien  de  Vm. 


—     32     — 

mar,  toison.  Le  suffixe  nian  reparaît  intact  dans  lumain,  erse 
luman,  manteau  (primit.  toison),  et  l'anc.  irl.  ruamnœ,  lodix 
(Z.2,  22),  se  rattache  sans  doute  au  sansc.  roman}  Cf.  sahas- 
rarôman,  sorte  d'étoffe  velue,  littér.  qui  a  mille  poils.  Le  cymr. 
llofyn  =  llomyn  désigne  une  mèche  de  cheveux. 

Un  autre  groupe,  formé  par  le  suffixe  na  (Cf.  sansc.  lûnà, 
coupé),  se  présente  dans  l'irl.  rôn,  raine,  ruine,  chevelure,  cymr. 
rhaivn,  armor.  reûny  poil,  crin.  L'anc.  si.  runo,  gén.  runese, 
russe  et  pol.  runo,  toison,  offre  une  augmentation  du  même 
suffixe. 

On  serait  tenté  de  rapporter  ici  le  grec  Xvjvoç,  XcLvoç,  et  le 
latin  lâna,  en  les  considérant  comme  contractés  d'une  forme 
lavana,  de  lu  ;  mais  Xa%vo<;,  Xct%VYi,  qu'il  est  difficile  d'en 
séparer,  conduit  à  une  origine  tout  autre.  Je  crois  y  voir  un 
dérivé  de  Xcvyxj&vùù  (à#%6)),  sortiri,  obtinere,  possidere,  qui 
désignerait  la  laine  comme  le  gain,  le  produit  obtenu  du  m.ç>vr 
ton.  L'irland.  finn,  final,  poil,  cheveux  (Corm.,  GL,  32),  rap- 
pelle de  même  la  rac.  scr.  vind,  adipisci,  obtinere.  Cf.  germ. 
winnan,  etc. 


170.  LE  LAITAGE. 


Nous  arrivons  au  principal  produit  du  troupeau,  à  celui  qui 
fournissait  sans  doute  à  l'alimentation  habituelle  de  l'ancien 
peuple  pasteur,  au  lait  et  à  ses  transformations  diverses.  Les 
termes  qui  s'y  rapportent  sont  nombreux  et  variés  dans  les 
langues  ariennes  ;  mais,  comme  après  la  dispersion  les  tribus 

• 

1  Stokes,  Ir.  gl.,  p.  74,  donne  ruaim,  crins  longs,  d'où  r u aimnech, 
fait  de  crins. 


—     33     — 

séparées  ont  conservé  plus  ou  moins:  et  pendant  longtemps, 
des  habitudes  pastorales,  et  y  sont  revenues  parfois  presque 
exclusivement,  beaucoup  de  ces  termes  datent  d'une  époque 
comparativement  récente.  Ceux-là  même  que  l'on  peut  con- 
sidérer comme  primitifs  ne  se  sont  pas  maintenus  d'une  ma- 
nière aussi  générale  que  bien  d'autres,  mais  ils  présentent  ici 
et  là  des  transitions  de  sens  qui  témoignent  de  leur  haute  an- 
tiquité. 

A)  Le  lait  et  la  crème. 

1)  De  la  rac.  duh  (dôgdhi),  mulgere,  viennent  en  sanscrit 
dôha  et  dugdha,  lait,  aussi  avadôha  et  dôhaga,  produit  par  l'ac- 
tion de  traire.  De  là  également  dôghdar,  mulctor,  bubulcus, 
vitulus,  dôhana,  mulctra,  etc.  —  Conjugué  à  la  lre  classe,  duh 
(duhati)  prend  le  sens  de  vexare,  proprement  sans  doute  tra- 
here,  lacessere,  et  qui  paraît  être  la  signification  première. 

Cette  racine  se  retrouve  dans  le  persan  duchtan,  dôchtan, 
traire,  et  dôgh  (  =  sanscrit  dôha,  dôglid)  y  désigne  le  lait  de 
beurre.  La  forme  dôshîdan,  en  kourde  dushim,  mulgeo,  se  lie 
probablement  au  désidératif  sansc.  duduksh.  Cf.  sansc.  dôsha, 
veau,  peut-être  pour  dôksha,  et  dûsa,  lait,  dans  avidûsa,  lait  de 
brebis.1 

Dans  les  langues  européennes,  les  corrélatifs  de  la  rac.  duh 
ne  se  présentent  qu'avec  le  sens  général  de  trahere,  mulcere. 
On  y  rapporte  le  lat.  duco,  malgré  l'irrégularité  du  c  pour  h, 
irrégularité  qui  reparaît  dans  le  goth.  tiuhan  (tauh\  ags.  téo- 

*  Quant  à  un  rapport  possible  du  persan  lûghîdan,  mulgere,  lûgh, 
pulûgh,  mulgendi  actus,  soit  avec  duh,  soit  avec  l'irland.  laogh,  veau. 
Cf.  t.  I,  p.  424. 

Il  3 


—     34     — 

han,  ancien  allem.  ziohan,  etc.,  où,  cependant,  Yh  est  pour  g, 
comme  l'indiquent  les  formes  synonymes  ags.  téogan,  scandin. 
toga,  et  les  prétérit  et  participe  zôg,  zogun  de  Fane,  allemand. 
En  grec,  Max  Millier  croit  retrouver  duh  dans  le  verbe  èoù^TCù, 
flatter,  c'est-à-dire  caresser  de  la  main  en  frottant,  tout  comme, 
suivant  lui,  Ôo,7ttûû  appartient  au  sansc.  dah,  urere,  plutôt  qu'à 
top  ou  à  dabh  que  l'on  a  comparés. l  Je  crois  le  reconnaître 
aussi  dans  le  cymr.  dygu,  ferre,  vehere  (trahere),  dwg,  action 
de  porter,  armor.  dougen  et  doug,  id.  Le  cymr.  dygnu,  mo- 
lester, tourmenter,  de  dygn,  pénible,  tourmentant,  etc.,  se  lie 
même  au  sansc.  duh,  vexare. 

Si,  toutefois ,  l'acception  de  traire  est  devenue  étrangère 
aux  corrélatifs  européens  de  duh,  d'autres  rapprochements 
prouvent  sans  réplique  qu'elle  s'est  maintenue  dans  plusieurs 
dérivés  qui  remontent  à  l'époque  la  plus  ancienne. 

En  première  ligne,  il  faut  placer  le  nom  de  la  fille,  en  scr. 
duhitar,  celle  qui  trait  les  vaches,  cet  office  étant  naturellement 
dévolu  au  sexe  le  plus  faible.  Ce  nom  significatif,  qui  est  resté 
dans  presque  toutes  les  langues  ariennes,  sera  plus  tard  l'objet 
d'un  examen  spécial. 

Un  autre  groupe  d'analogies  se  présente  pour  les  termes  qui 
désignent  la  pluie  et  la  rosée,  où  les  anciens  pâtres  voyaient 
comme  le  lait  des  nuages.  Cette  association  d'idées  se  montre 
encore,  avec  toute  son  actualité,  dans  le  Rigvêda,  où  plus 
d'une  fois  les  nuages  sont  comparés  à  des  vaches  que  les  divi- 
nités de  l'orage  traient  pour  en  faire  jaillir  la  pluie.2  Aussi  le 

1  Voy.  Z.  S.,  IV,  368,  son  savant  article  sur  les  verbes  en^rw.  Tou- 
tefois, pour  0«wt«,  ]'«  remplaçante  est  une  forte  objection. 

2  Par  exemple,  I,  64,  5,  en  parlant  des  Maruts  :  Duhanti  ûdhah  di- 
vyânî,  mulgent  ubera  cœlestia,  etï6.,6,  utsavi  duhanti  stanayan- 
tam,  nubem  mulgent  tonantem. 


—     35     — 

nuage  est-il  appelé  nabhoduha,  de  nabhas,  ciel  +  duh.  Kuhn 
compare,  avec  raison,  le  scand.  dôgg,  pluvia,  ros,  ags.  dectw, 
anc.  allem.  tau,  tou,  allem.  pomér.  dauk,  etc.,  où  le  d  primitif 
s'est  maintenu,  comme  dans  les  noms  germaniques  de  la  fille, 
dauhtar,  etc.  (Ind.  Stud.  de  Weber,  I,  327).  Il  faut  y  ajouter 
Fane.  si.  dïïjdï ,  pluie  (Cf.  scr.  dugdha,  lait),  russe  dojdï,  pol. 
dészcz,  illyr.  dasc,  etc. 

Enfin  l'anglais  dug,  pis,  trayon,  qui  provient  sans  doute  do 
l'anglo-saxon  où  il  ne  se  trouve  plus,  nous  ramène  plus  direc- 
tement encore  à  la  signification  de  traire. 

2)  Les  langues  européennes  possèdent  en  commun  une  ra- 
cine qui,  à  l'inverse  de  duh,  n'a  été  conservée  par  le  sanscrit 
que  dans  le  sens  général  de  frotter.  Le  grec  dfJLiXyoù,  latin 
mulgeo,  ancien  irland.  malg  (dans  do  omalg,  mulxi;Z.2,  61), 
ags.  meolcan,  scand.  miblka ,  ancien  allem.  melchan,  etc., 
anc.  slave  mlïïsti  (  mluzà  ),  etc.,  lithuan.  milszti  (  mïlzu  ),  qui 
tous  signifient  traire,  correspondent  au  sanscrit  mrg,  marg 
(mârshti  et  margati),  abstergere,  mulcere,  purificare;  cf.  grec 
d^ûyoù.  Cette  racine  ne  s'applique  jamais  à  l'action  de  traire, 
et  il  n'en  dérive  aucun  nom  du  lait,  tandis  que  le  goth.  mi- 
luks,  ags.  meoluc,  meolc,  scand.  miolk,  anc.  allem.  miluh,  etc., 
l'irland.  melg,  meilg,A  l'anc.  slave  mltko,  russe  moloko,  polon. 
mléko,  illyr.  mljeko,  etc.,  se  rattachent  clairement  à  la  racine 
européenne.  Il  faut  y  joindre  beaucoup  d'autres  dérivés,  tels 
que  le  gr.  dfJLoXyivg,  djmoXyiov,  seau  à  traire,2  en  lat.  mulctra, 
en  lithuanien  milsztuwe,  l'allemand  mod.  molke,  petit-lait,  en 

1  Irland.  f  mlaeht  (Corm.,  Gl.,  20),  melg  (107).  Cf.  ôi-melc,  com- 
mencement du  printemps,  c'est-à-dire  lait  des  brebis  (ib.  427). 

2  Hesychius  a  v-oXyù  =  vg^oç,  nuage,  sans  doute  par  suite  de  la 
même  liaison  d'idées  que  nous  avons  signalée  à  l'article  qui  précède. 
Nous  parlerons  ailleurs  de  Yol/u.oX'ydç  d'Homère,  dont  le  vrai  sens  est 
encore  débattu. 


—     36     — 

irl.  miolcj  le  russe  molozivo,  boh.  mleziwo,  colostrum,  l'irland. 
mulcan  (Stokes,  Ir.  GL,  n°  243),  sorte  dépotage  au  lait,  mul- 
chan  (O'R.),  lait  de  beurre,  erse  mulachan,  fromage,  etc.  — 
L'acception  primitive  de  frotter  avec  la  main,  essuyer,  s'est 
conservée  dans  le  lithuan.  milszti,  aussi  bien  que  dans  le  grec 
CLfJLiftycày  ofxoçyvvfju. 

On  a  remarqué  avec  raison  que  la  séparation  des  racines 
dnh  et  mrg  en  deux  groupes  distincts  est  un  fait  important 
pour  l'histoire  des  anciens  Aryas.  On  peut  inférer  des  rappro- 
chements ci-dessus  que  duh,  en  usage  à  l'époque  de  l'unité 
complète  avec  le  double  sens  de  trahere  et  de  mulgere,  n'a  été 
conservé,  dans  cette  dernière  acception,  que  par  les  Aryas 
orientaux,  tandis  que  les  tribus  occidentales,  déjà  séparées,  mais 
ne  formant  encore  qu'un  seul  peuple,  ont  substitué  mrg,  terme 
tout  aussi  primitif,  pour  exprimer  plus  spécialement  l'action  de 
traire.1  Cette  hypothèse,  soit  dit  en  passant,  expliquerait,  comme 
pour  d'autres  cas,  les  rapports  qui  relient  plus  spécialement  en- 
tre elles  les  langues  européennes,  sans  recourir  à  celle  de  Fick , 
de  l'existence  d'un  peuple  unique  au  centre  de  l'Europe,  divisé 
plus  tard  en  deux  groupes,  au  nord  et  au  sud. 

Un  fait  curieux,  que  je  me  borne  à  constater  sans  vouloir 
en  tirer  aucune  induction,  c'est  que  la  racine  marg,  dans  sa 
double  application  et  ses  formes  diverses,  correspond  singuliè- 

1  Une  trace  de  mrg,  chez  les  Iraniens,  dans  le  sens  de  traire,  se 
trouve  peut-être  dans  le  pers.  mîsîdan,  traire,  et  frotter,  presser, 
lequel  paraît  se  rattacher  au  désidér.  mrksh  (mimrksh\  cf.  védique 
ni-mrksh,  levari,  poliri,  et  mrksh,  mrasksh,  ungere,  où  maksh,  id., 
West.  Rad.).  Une  forme  intermédiaire  miksh,  comme  mish,  elfun- 
dere  =  mrsh,  rendrait  bien  compte  du  verbe  persan,  d'où  Ys  doit 
provenir  de  ks.  Il  est  remarquable  de  trouver  en  irlandais  le  mot  méis, 
opus  mulgendi  (O'R.),  dont  Y  s  ne  peut  s'être  maintenue  que  par  un 
effet  semblable.  En  ossète  misin  est  le  nom  du  lait,  en  scand.  misa 
celui  du  petit-lait. 


—     37     — 

rement  bien  à  tout  un  groupe  de  radicaux  sémitiques.  Ainsi, 
en  hébreu,  on  trouve  mârâh,  strinxit,  mârach,  fricuit,  contri- 
vit,  mâraq,  tersit,  polivit,  mundavit,  en  arabe  maraza,  il  a 
pressé  du  bout  des  doigts,  marasha,  il  a  pétri,  marasa,  il  a 
pressé  le  sein  d'une  femme,  maraya,  il  a  pressé  le  pis,  il  a 
trait;  puis  avec  l  pour  r,  malaka,  il  a  pétri,  malaqa,  il  a  tété 
(du  jeune  chameau),  malaga,  il  a  pris  le  sein  avec  la  bouche, 
malalia,  il  a  allaité,  d'où  milh,  bouchée  de  lait,  etc.,  etc. 

Faut-il  rattacher  au  groupe  qui  précède  le  gr.  yctKct  (gén. 
ycthc&KToç),  yXctyoç,  le  latin  lac,  lactis,  l'irland.  lacht,  lachd, 
le  cymr.  llaeth,  corn,  leath,  armor.  leach,  leazf  C'est  là  une 
question  qui  est  encore  controversée.  Pott  (  Et.  F.,  I,  236  ; 
II,  204)  penche  pour  l'affirmative,  en  faisant  provenir,  pour 
le  grec,  y  h  de  /3à  et  de  /U.À.  Benfey  (G.  WL,  I,  485)  recourt 
à  des  hypothèses  plus  ingénieuses  que  solides  sur  l'existence 
de  quelques  racines  fictives,  glaksh,  vlaksh,  inlaksh,  etc.,  pour 
expliquer  les  variations  de  ces  noms  du  lait.1  La  conjecture 
la  plus  plausible  est  certainement  celle  de  Bopp,  qui  voit  dans 
ya-Xc&KTO  un  composé  avec  l'ancien  nom  de  la  vache,  y 6  = 
gava,2  explication  que  Grimm  appuie  par  l'analogie  remarquable 
de  l'irl.  bleacht,  bliocht,  lait,  contracté  de  bo-leacht,  comme  le 
cymr.  blith  de  bu-laeth. 

Ceci,  toutefois,  n'éclaircit  pas  le  second  et  principal  élé- 
ment du  mot,  pour  lequel  les  incertitudes  recommencent.  Le 
rapprochement  que  propose  Bopp  (  1.  cit.)  de  Aclkto  avec  le 
sansc.  dugdha  pour  dukta  (  À  pour  d  )  paraît  difficilement 
acceptable   à  cause  de  la  différence  de  la  voyelle  radicale. 

*  Voir  les  objections  de  Curtius  (Gr.  Et.'A,  164).  Toutefois  Pott 
(WWb.,  I,  759)  tient  encore  mordicus  (sic)  à  son  ancienne  opinion. 

2  V.  Gr.  I,  254.  Cf.  pour  yoc,  le  kourde  ghà  ou  gà,  et  le  pashaï  gà 
=  sansc.  gô,  au  t.  1,  p.  410. 


—     38     — 

Weber  (Ind.  Stud.,  I,  240  )  s'appuie  de  l'analogie  du  sansc. 
gôrasa,  lait,  littéral,  suc  de  vache,  pour  conjecturer  un  syno- 
nyme gôrahta,  c'est-à-dire  sang  de  vache  ;  mais,  comme 
rakta  signifie  proprement  rouge,  il  est  peu  probable  qu'il  ait 
jamais  pu  désigner  le  lait  blanc,  sans  faire  entrer  en  ligne  de 
compte  ce  qu'une  pareille  image  a  de  peu  attrayant. 

Je  soupçonne,  quant  à  moi,  que  ce  nom  du  lait  est  propre 
aux  trois  branches  qui  le  possèdent,  bien  que  sans  doute  fort 
ancien,  car  ni  le  latin  ni  le  celtique  ne  l'ont  reçu  du  grec.  Sa 
racine  la  plus  prochaine  me  paraît  être  le  grec  ÀctÇa,  prendre, 
recevoir,  obtenir,  laquelle  répond  au  sansc.  rg,  arg,  obtinere, 
acquirere,  capere,  d'où  argana,  acquisition,  gain.  De  Àflfc^îw, 
rac.  Kay,  se  sera  formé  àc&ktoç,  comme  Mktoç  de  teyco, 
reclus  de  rego  (Cf.  scr.  rg  et  rgu),  comme,  en  sanscrit,  rakta, 
rouge,  de  rag,  rang,  colorer.  La  forme  Acty,  serait  conservée 
dans  le  synonyme  yhctyoç^  contraction  de  yct-Xccyoç.  Le  com- 
posé désignerait  le  lait  comme  le  profit,  le  gain  obtenu  de  la 
vache,  signification  très-naturelle,  et  que  nous  avons  présumée 
déjà  pour  le  nom  grec  de  la  laine  relativement  au  mouton 
(vid.  sup.).1 

3)  De  la  racine  pî,  bibere,  dérivent,  en  sanscrit,  payas, 
payasa,  pêya,  pîyûsha,  le  lait  en  tant  que  boisson.  En  zend, 
on  trouve,  outre  payanh,  nom.  paya,  un  thème  paêman,  le 
pehlwi  pîm  (  Anquetil,  Gl.  ),  en  afghan  poi,  py.  Le  persan 
paynû,  pînu,  bînû,  lait  de  beurre,  ne  diffère  sans  doute  que 

1  Max  Mùller  (Z.  S.,  12,  27)  a  proposé  une  nouvelle  solution  pour  le 
Xa,  Xccy.ro  final,  qu'il  rattache  à  la  rac.  rag,  primitivement  briller,  d'où 
ragas ,  atmosphère  (éclat),  puis  eau,  en  tant  que  lucide,  et  enfin 
nuage.  Cf.  cependant  D.  P.  où  ragas  =  goth.  rikis,  ne  signifie,  au 
contraire,  que  obscurité,  brouillard,  nuage,  poussière,  d'où  ragasa, 
sombre,  obscur,  etc.  Ainsi,  d'après  Muller,  lac,  lacti,  équivaudraient 
à  rakti,  tandis  que  yocÂa,  -otxroç,  serait  provenu  de  yXxyoç  =  gô-ra- 


—     39     — 

par  le  suffixe,  analogue  à  celui  de  vrïvov,  boisson,  de  7tiû), 
7rivcù,  7TifM,  bibo  ;  et  ceci  nous  conduit  au  lithuan.  pënas,  lait, 
que  l'on  a  rapporté,  avec  moins  de  raison,  ce  semble,  au  scr. 
phêna,  écume.  Je  ne  sais  si  Pags.  bëost,  anc.  ail.  piost,  colos- 
trum,  pourrait  se  rattacher  à  pî,  avec  l'affaiblissement  de  p  en 
b,  qui  se  montre  dans  le  sansc.  pibati,  piba  =  lat.  Mbit,  bibe.1 
Le  fînland.  pïimo,  esthon.  pïim,  lait,  a  tout  l'air  d'une  impor- 
tation iranienne. 

4)  Le  scr.  sara  ou  sara,  m.,  désigne  la  crème,  le  coagulum 
du  lait,  le  beurre  frais,  proprement  l'essence,  la  substance,  ce 
qui  provient  ou  découle  d'une  chose,  de  sr,  sar,  ire,  fluere. 
C'est  peut-être  l'armén.  ser,  crème,  siahpôsh  zor,  lait,  à  moins 
que  ces  termes  n'appartiennent  au  sansc.  kshar,  fluere,  d'où 
kshara,  eau,  et  kshîra,  lait,  le  pers.  shîr,  etc. 

A  sara-m,  au  neutre,  dans  le  sens  d'eau,  répond  exactement 
le  lat.  sermn,  petit-lait,  sérum  lactis,  prop.  eau  du  lait.  Le  gr. 
opoç,  que  l'on  a  comparé,  en  diffère  probablement,  à  cause  de 
la  forme  ofpoç  (pour  op<roç?  =  scr. rasa,  suc?).2 

gas,  avec  addition  d'un  £,  comme  dans  ôfvocfj,  -«xroç,  vù'| ,  -ktoç.  Il 
rejette  comme  trop  hypothétiques  les  explications  de  Grimm,  dePott, 
de  Benfey  et  de  Curtius.  A  l'objection  de  ce  dernier,  que  gô  est  de- 
venu /3owç  en  grec,  il  répond  que  yolxx  est  un  ancien  composé  de  la 
période  prohellénique.  —  Sur  ce  nom  du  lait,  voir  encore  une  mono- 
graphie de  Braunhofer,  critiquée  en  détail  par  Windisch  (Z.  S.,  21, 
243),  de  part  et  d'autre  avec  des  vues  différentes  encore  des  précé- 
dentes. Cf.  aussi  les  observations  de  Curtius  (Gr.  Et.3,  163)  sur  toute 
la  question. 

1  Pott  (WWb.,  2,  I,  348)  compare,  en  effet,  pîyûsha,  ainsi  que  le 
grec  nvoç,  qu'il  rapproche  de  pivâ,  eau.  — Weber,  par  contre  (Z.  S., 
5,  235),  rattache  tous  ces  mots  hpus,push,  nourrir. 

2  D'après  Curtius  [Gr.  Et.3,  325),  opo'ç,  la  forme  la  plus  ancienne, 
correspond  bien  à  sara-s,  et  ne  doit  pas  être  séparé  de  oppo'ç,  augmenté 
peut-être  par  un  suffixe  additionnel. 


—     40     — 

Comme  sara,  m.,  s'applique  également  au  coagulum  du  lait, 
il  faut  sans  doute  y  rapporter  l'ancien  slave  syru,  caseus  (Cf. 
syrieniie,  coagulatio),  russe  syru,  pol.  sér,  illyr.  sir,  lithuanien 
suris,  etc. 

5)  Le  scr.  dadhi,  lait  aigre,  thème  dadhan,  dans  les  cas 
obliques,  pour  lequel  le  D.  P.  ne  donne  pas  d'étymologie,  se 
retrouve  identiquement  dans  l'anc.  pruss.  dadan,  lait  (Nes- 
selm.,  Thés.,  25).  Cf.  peut-être  le  goth.  daddjan,  allaiter,  anc. 
ail.  deddi,  tetin,  suéd.  dadda,  nourrice,  ainsi  que  le  cymr.  didi, 
diden,  tetin. 

6)  Je  note,  enfin,  comme  coïncidences  isolées,  le  sanscrit 
sûma,  lait,  de  su,  succum  exprimera,  et  l'anc.  silésien  saum, 
crème  ;  ainsi  que  l'arménien  gathn,  lait,  de  gthel,  traire,  gith, 
action  de  traire,  et  l'irl.  geat,  lait,  d'après  O'Reilly. 


B)  Le  beurre  et  sa  préparation. 

L'art  de  battre  le  beurre  a  été  connu  des  anciens  Aryas  dès 
l'époque  la  plus  reculée,  ainsi  que  le  prouve  le  nom  de  la  ba- 
ratte qui  s'est  maintenu  dans  plusieurs  langues.  Il  semble 
n'avoir  servi  d'abord  que  d'aliment,  et  son  emploi  pour  les 
sacrifices,  qui  plus  tard  a  pris  une  si  grande  extension  chez 
les  Aryas  de  l'Inde,  paraît  être  propre  à  ces  derniers,  car  la 
riche  synonymie  du  sanscrit  pour  le  beurre  clarifié  que  l'on 
versait  sur  l'autel  ne  s'étend  pas  au  dehors  de  l'Inde.  Il  est 
singulier,  par  contre,  que  les  Grecs  et  les  Romains  aient 
ignoré  longtemps  l'usage  du  beurre,  tandis  qu'ils  connaissaient 
fort  bien  le  fromage.  Le  grec  (iovrvpov  ne  figure  guère  que 
dans  les  écrits  des  médecins,  les  Romains  ne  l'employaient 


—     41     — 

qu'en  guise  de  remède,  et  Pline,  encore,  en  parle  comme 
d'une  substance  peu  connue,  et  d'un  aliment  propre  aux  peu- 
ples barbares.1  Aussi  ces  deux  peuples  ne  possèdent-ils  aucun 
nom  de  la  baratte  et  du  barattement,  tandis  que  les  autres 
races  européennes  ont  conservé  les  anciens  termes,  avec 
l'usage  même  du  beurre. 

1)  Pour  exprimer  l'action  de  baratter,  le  sanscrit  emploie 
surtout  la  racine  math,  manth,  agitare,  peragitare,  agitando 
producere.  De  là  mâtlia,  mathana,  manthana,  barattement, 
manthinîj  baratte,  mathin ,  mantha,  manthara,  mantïiâna, 
batte  à  beurre,  manthara  et  manthaga  (né  du  barattement), 
beurre,  mathita,  pramathita,  lait  de  beurre,  etc.  Cette  racine 
a  des  affinités  étendues  dans  les  autres  langues  de  la  famille, 
mais  nous  n'en  suivrons  ici  les  dérivés  qu'autant  qu'ils  se  rat- 
tachent à  quelqu'une  des  acceptions  ci-dessus. 

En  persan,  et  par  le  changement  ordinaire  des  dentales  en 
sifflantes  devant  une  seconde  dentale,  il  faut  probablement  y 
rapporter  mâst,  mâstû,  mâstûnah,  mâstînah,  lait  de  beurre,  et 
lait  aigre,  en  kourde  mâst,  masti,  en  afghan  maste.  Cf.  persan 
mâstdân,  sorte  de  vase  à  baratter.2 

Dans  les  langues  européennes,  voyons  d'abord  ce  que  sont 
devenus  les  noms  de  la  baratte  et  de  la  batte  à  beurre. 

L'ancien  slave  a  conservé  la  rac.  rnath,  manth,  dans  mâtiti, 
russe  mutûï,  polon.  matac,  agitare,  perturbare.  Cf.  russe  mo- 
tâtï,  motnutï,  secouer,  branler.  A  mâtiti  se  lie  le  polon.  màteiv 
(gén.  mâtwi),  batte  à  beurre,  à  mutitï,  motâti,  le  russe  mu- 


1  Hist.  Nat.,  11,  41,  96  et  28,  9,  35.  —  Les  Hébreux  aussi  ne  pa- 
raissent pas  avoir  connu  le  beurre. 

2  La  forme  math  se  retrouve  dans  le  pers.  mai,  étonné,  confondu 
=  scr.  mathita,  id.  De  là  l'expression  de  mât  kardan,  faire  mat  aux 
échecs,  jeu  qui  nous  est  venu  de  l'Orient. 


—     42     — 

tôvka,  motilo,  motushka,  motôria,  moulinet,  moussoir  =  bâton 
à  baratter. 

Du  lithuanien  mensti  (mentu),  agiter,  proviennent  de 
même  mente  (  =  sansc.  mantha  ),  mentèle,  mentïkke,  spatule 
pour  remuer,  et,  surtout,  mentùre,  -ris,  batte  à  beurre  =  scr. 
mantliara} 

L'alban.  mutin,  baratte,  correspond  au  scr.  manthinî. 

A  l'extrême  Occident,  le  sansc.  mantliara  se  retrouve  par- 
faitement conservé  dans  l'irland.-erse  meadar,  baratte,  pour 
matar  et  mantar,  le  d  non  aspiré  indiquant  la  perte  de  l'an- 
cienne nasale.  Le  synonyme  irlandais  muidhe,  gén.  muidhean, 
par  contre,  se  rattache  à  mathana.  Un  troisième  synonyme, 
maistre,  maistred,  barattement  (Stokes,  Rem},  5),  d'où  mais- 
tirim,  baratter,  rappelle  les  formes  iraniennes  et  slaves  avec  s 
pour  th,  et  semble  indiquer  un  thème  primitif  mastra  pour 
mathtra.  En  cymrique,  nous  trouvons  mod-bren,  bâton  à 
remuer,  et  surtout  mwndill,  spatule,  cuiller  à  remuer.  Ce  der- 
nier nom  nous  conduit  au  scand.  môndull,  môndultré,  lignum 
teres,  seu  manubrium  ligneum  quo  mola  circumagitur,  que 
Kuhn  rattache  à  un  thème  sanscrit  mantliala,  ou  manthula 
=  mantliara.2  Cf.  russe  motilo,  moussoir. 

Enfin,  et  par  une  transition  facile  à  comprendre,  cet  an- 
cien nom  de  la  batte  à  beurre  se  reconnaît  sans  doute  dans 
le  latin  mentula,  dont  le  sens  primitif  s'était  complètement 
perdu  avec  la  pratique  même  du  barattement.  Ce  rapproche- 
ment est  d'autant  plus  sûr  que  le  sanscrit  ûrdhv amant Jiin  (ûr- 
dhva,  sursum  )  signifie  à  la  fois  batte  à  beurre  et  pénis.  Le 
latin  muto,  -onis,  de  munton  et  manton  ?  semble  de  même  ré- 

i  D'après  Mikuzky,    Beitr.,  I,  234. 

2  Die  Herabholung  des  Feucrs,  p.  13,  14. 


—     43     — 

pondre  à  manthana.  Il  serait  possible  que  le  lithuan.  motérus, 
adulte  r,  eût  été  dans  l'origine  synonyme  de  mentula  (  pars 
pro  toto),  surtout  dans  le  composé  sivëtmoteris,  id.,  de  sivêtis, 
étranger,  hôte.1 

Les  noms  des  produits  du  barattement,  le  beurre  et  la  bat- 
tue, qui  appartiennent  à  la  racine  math,  manth,  offrent  aussi 
quelques  analogies  à  signaler. 

J'ai  parlé  déjà  du  pers.  mâst,  etc.,  lait  de  beurre,  où  le  th 
de  la  racine  est  devenu  s.  Le  même  changement  se  présente 
fréquemment  en  slave,  et  parfois  ailleurs,  dans  des  circons- 
tances semblables.  Cf.  mesti,  jacere,  pour  met-ti,  etc.  Je  com- 
pare donc  l'anc.  slave  mastï,  unguentum,  pinguedo,  primiti- 
vement, sans  doute,  beurre  ;  d'où  mastiti,  ungere,  etc.,  et  de 
plus  maslo,  oleum,  et,  dans  tous  les  autres  dialectes,  butyrum, 
mat-lo,  comme  cislo,  numerus,  pour  citlo,  racine  cït,  nume- 
rare,  etc.  L'anc.  ail.  mast,  sagina,  et  ses  analogues,  ne  sau- 
raient être  séparés  du  slave.2 

Dans  les  langues  celtiques,  le  nom  du  lait  de  beurre,  sansc. 
mathita,  paraît  avoir  passé  au  petit-lait,  en  cymr.  maidd,  mais 
en  irland.  medg  (Corm.,  GL,  115),  mod.  meadhg,  meidh,miug, 
en  erse  mèag,  meang,  avec  un  g  final  énigmatique.  Cf.  vieux 
franc,  mègue.  Ne  serait-ce  point  là  un  débris  du  ga  dans  le 
sanscrit  manthaga,  beurre,  c'est-à-dire  né  du  barattement,  ce 
qui  peut  s'entendre  également  du  lait  de  beurre?  —  L'espa- 
gnol manteca,  beurre,   catal.   mantega,  portug.  manteiga,  est 

1  Sur  mentula,  de  manth,  cf.  Aufrecht,  Z.  S.,  9,  231.  Il  faut  ajou- 
ter l'anc.  irl.  moth,  membrum  virile  (Cormac,  Gl.,  108),  delà  forme 
math,  à  cause  du  t  aspiré.  Cf.  de  plus  Zeyss  (Z.  S.,  17,  431,  et  19, 188) 
pour  des  conjectures  différentes. 

2  Mais  voyez  ci-dessus  (p.  21  )  l'opinion  de  Weber  quant  à  une 
racine  mas. 


—     44     — 

isolé  dans  les  langues  néo-latines,  et  pourrait  bien  avoir  une 
origine  celtibère  et,  partant,  gauloise.1 

2)  A  côté  de  math,  le  sanscrit  offre  la  racine  khag,  agitare, 
remuer,  d'où  dérivent  khagâ,  barattement,  khagaka,  batte  à 
beurre,  khaga,  khagikâ,  cuiller  à  remuer,  etc. 

Kuhn  déjà  en  a  rapproché  le  grec  cxcl^ù)  =  sansc.  khang, 
claudicare,  ainsi  que  l'ags.  scacan,  scand.  skaka,  quatere,  con- 
cutere  (Z.  S.,  III,  429  ;  IV,  124),  comparaison  d'autant  plus 
sûre  que  le  scand.  skaka  désigne  aussi  la  masse  de  beurre  frais 
qui  sort  de  la  baratte. 

Je  compare  également  l'irland.  caigne,  van,  d'où  caignighim, 
vanner,  et  qui  pourrait  aussi  bien  signifier  une  baratte.  Un 
des  noms  de  cette  dernière,  cuinneog,  en  cymr.  cunnawg,  pro- 
vient peut-être  par  assimilation  de  euigneog,  ou  de  cuingeog. 

3)  Le  sansc.  gargara,  baratte,  suivant  le  D.  P.  une  onoma- 
topée, pourrait  bien  dériver,  par  réduplication,  de  la  rac.  gf, 
gary  dans  le  sens  causatif  de  conterere  (Cf.  gargara,  brisé,  di- 
visé), et  à  laquelle  appartiennent  sans  doute  l'ags.  cyrin,  cerene, 
baratte,  cernan,  scand.  kirna,  angl.  chum,  baratter,  anc.  allem. 
chirnan,  triturer,  etc.2  (Cf.  t.  I,  p.  326,  les  noms  slaves  et 
germaniques  de  la  meule.) 

4)  Je  réunis  ici  quelques  analogies  entre  des  termes  qui 
désignent  le  beurre,  le  lait  de  beurre,  etc. 

Scr.  ghrta,  beurre  clarifié,  comme  âghâra,  abhighâra,  id., 
de  ghr,  ghar,  conspergere.  —  Cf.  kourde  ghert,  lait  caillé.  — 
En  irl.,  on  trouve  f  gert,  lait  (O'Dav.,  Gl,  94),  mod.  geart, 
lait,  en  lithuan.  gréti?ie,  crème,  de  grëti  (grëju),  écrémer,  qui 
semble  répondre  à  la  forme  causât,  ghâray,  effundere. 

1  Cf.  Diez,  Wb.,  I,  148,  qui  conjecture  une  provenance  du  latin 
mantica,  sorte  de  sac,  bourse,  parce  qu'en  Espagne  on  a  pu,  à 
l'exemple  des  Arabes,  faire  le  beurre  dans  des  outres. 

2  Le  lett.  kêrne,  baratte,  est  sûrement  germanique. 


—    45     — 

Scr.  âgya  (vêd.),  beurre  clarifié,  dans  Wilson  âga,  de  ang, 
ungere,  d'où  angana,  unguentum.  —  Kuhn  (Z.  S.,  I,  384)  y 
ramène  fort  bien  l'anc.  allem.  ancho,  beurre,  thème  anchin, 
ail.  moy.  anke,  et,  en  Suisse  encore,  anken.1 

Scr.  patrala,  lait  écrémé,  lait  clajr,  ou  pattrala,  suivant 
D.  P.  de  pattra,  feuille,  c'est-à-dire  mince,  clair.  —  Lith.  pu- 
trullis,  lait  de  beurre. 

C)  La  caillebotte  et  le  fromage. 

Le  procédé  employé  pour  faire  cailler  le  lait  au  moyen  de 
divers  astringents,  paraît  avoir  été  connu  de  toute  antiquité, 
et  appliqué  en  vue  d'assurer  la  conservation  de  ce  précieux 
aliment,  en  lui  donnant  une  forme  solide.  C'est  là  du  moins  ce 
que  l'on  peut  conjecturer  en  comparant  quelques-uns  des 
noms  de  la  présure,  du  caillé  et  du  fromage. 

1)  Le  scr.  kvala,  présure,  caille-lait,  est  probablement  con- 
tracté de  kuvala,  ainsi  que  l'indique  le  D.  P.  Mais  kuvala,  qui 
désigne  le  fruit  du  Zizyphus  Jujuba,  employé  sans  doute  comme 
caille-lait,  n'est,  à  son  tour,  qu'une  forme  secondaire  de  hu- 
vara,  qui  signifie  astringent,  en  parlant  du  goût. 

A  ce  kuvara  semble  correspondre  le  cymr.  cywer,  ou 
cywair,  présure,  aussi  civyrdeb  (  deb,  suffixe  )  d'après  le  dict. 
de  Walters,  d'où  peut-être  l'anglais  curd,  caillebotte,  qui 
manque  aux  autres  langues  germaniques. 

Rien  ne  ressemble  mieux  à  kvala  que  le  cymr.  caul,  pré- 

1  C'est  aussi  à  la  rac.  ang  que  Siegfried  a  rattaché  l'irland.  f  imb, 
beurre  (Corm.,  GL,  96),  en  comparant  angi,  onguent,  avec  change- 
ment de  g  en  6,  comme  dans  bô,  vache  —  gô,  et  de  n  en  m  devant  la 
labiale.  Le  cymrique  f  emmeni,  pour  embeni,  mod.  aman,  corn,  f 
emenin,  armor.  amann,  beurre,  répondrait  de  même  au  scr.  angana. 


—    46     — 

sure,  armor.  keûlê,  kaouled.  Ce  ne  serait  là  toutefois  qu'un 
simple  jeu  du  hasard  si,  comme  cela  est  probable,  ces  termes 
proviennent  du  latin  coagulum,  de  même  que  notre  caillé,  ital. 
quagliato,  etc. 

2)  Le  persan  labwah,  présure,  paraît  se  rattacher  à  la  rac. 
sanscrite  labh,  capere,  concipere,  conservée  d'ailleurs  dans 
lâbîdan,  demander.  Cf.  sansc.  labhasa,  solliciteur,  demandeur. 
On  dit  se  prendre  pour  se  coaguler,  et  présure  vient  de  pre- 
hendere. 

Les  langues  germaniques  ont  conservé  ce  nom  dans  l'ang.- 
saxon  lib,  cese-lib,  présure,  scand.  lif,  caillebotte,  d'où  lifraz, 
coagulari,  ail.  moyen  et  mod.  lab,  coagulum,  labben,  leberen, 
coagulare,  etc.  —  L'irl.  slamban,  erse  lamban,  présure,  se  lient 
à  la  forme  sansc.  lambïi  =  labh. 

3)  Je  ne  connais  pas  de  nom  sanscrit  du  fromage,  et  les 
termes  iraniens  qui  le  désignent  n'ont  pas  d'analogues  en  Eu- 
rope. D'après  le  témoignage  de  Pline,  les  peuples  barbares, 
qui  faisaient  usage  du  lait  aigre  et  du  beurre,  ignoraient  celui 
du  fromage.1  Cela  doit  s'entendre  sans  doute  des  Germains  et 
des  Celtes  qui  auront  appris  des  Romains  à  faire  le  fromage, 
puisque  son  nom  latin,  caseus,  sl  passé  dans  l'ags.  cyse,  Pane, 
allem.  chasi,  etc.,  aussi  bien  que  dans  l'irland.  câis,  le  cymr. 
cawsj  armor.  kaouz,  etc.  Cependant  le  nom  et  la  chose  doivent 
remonter  certainement  à  une  haute  antiquité  ;  car  le  latin  ca- 
seus, qui  n'a  pas  d'étymologie  indigène,  semble  répondre  de 
tout  point  au  sanscrit  kashâya,  astringent,  et  parfumé,  comme 
substantif  saveur  astringente,  décoction,  suc  réduit  par  la 
coction,  etc.   La  rac.  est  kash,  scabere,  prurire,  d'où  kashana, 

1  H.  N.,  XI,  41,  96.  Mirum  barbaras  gentes,  quae  lacté  vivant, igno- 
rare,  aut  spernere  tôt  sncculis  casei  dotem. 


—     47-    — 

mal  mûr,  c'est-à-dire  acide,  etc.,  à  laquelle  appartiennent  sans 
doute  le  persan  kashk,  lait  aigre,  séché,1  et  l'ancien  slave 
kyslu,  acerbus,  kyslota,  acies,  le  russe  kiselï,  bouillie  aigre, 
lith.  kisëlus,  id.,  etc.  Il  est  fort  possible,  d'après  cela,  que  le 
fromage  ait  été  connu  des  anciens  Aryas,  aussi  bien  que  le 
beurre,  et  que,  dans  la  suite  des  temps,  leurs  tribus  séparées 
aient  adopté  de  préférence  l'une  ou  l'autre  de  ces  préparations 
du  lait. 

4)  Le  grec  Tvpoç,  fromage,  d'où  rvpiûo,  -ptoù,  faire  cailler 
le  lait,  puis,  flgurément,  mélanger,  et  qui  reparaît  dans  fiov- 
Tvpov,  beurre,  n'a  pas  d'étymologie  indigène,  mais  il  se  lie  à 
la  même  racine  que  l'anc.  si.  tvarogu,  lait  caillé,  russe  tvarôg, 
tvorég,  pol.  twarog,  etc.  En  anc.  prus.  tivarg,  dicarg,  lette  twa- 
raka,  désigne  un  petit  fromage  de  caillebotte  (Nessel.,  Thés., 
34).  Cf.  ail.  moy.  twarc  —  quark.  Ces  noms  dérivent  du  slave 
tvariati,  tvoriti,  formare,  facere,  en  lithuan.  twerti,  id.,  et  sai- 
sir, entourer,  d'où  tivaras,  tworà,  enclos,  enceinte,  tivirtas, 
ferme,  solide,  etc.  Cf.  ancien  slave  tvrudu,  firmus,  et  irlandais 
tuaramhuil,  ferme,  solide  (O'R.),  et,  pour  l'analogie  du  sens, 
l'ital.  formaggio,  fromage,  de  formare.    , 

Je  ne  trouve  en  Orient  aucun  nom  corrélatif  pour  le  caillé 
et  le  fromage  ;  mais,  comme  au  verbe  lithuanien-slave  répond 
sûrement  le  zend  thwareç,  former,  faire,  couper,  d'où 
thwarsta,  formé,  limité,  déterminé  (Justi,  141),  il  est  assez 
probable  que  quelque  terme  analogue,  encore  ignoré  ou  perdu, 
en  sera  dérivé.2 

1  Cf.  aussi  kasht,  sel,  salin. 

2  En  fait  de  produits  du  troupeau,  il  faut  encore  mentionner  le  fu- 
mier de  vaches,  employé  sans  doute,  à  l'état  sec,  comme  combustible, 
avant  de  l'être  comme  engrais  lors  du  développement  de  l'agriculture, 
et  tel  qu'il  l'est  encore  en  Orient  et  ailleurs.  Il  est  difficile,  en  effet, 
de  séparer  le  sanscrit  busa,  déjection,  ordure  et  fumier  de  vache  se- 


—     48     — 


ARTICLE    VI. 


§  171.  TERMES    DIVERS   EMPRUNTÉS  A  LA  VIE  PASTORALE. 

A  côté  des  noms  que  nous  venons  de  passer  en  revue,  il  est 
toute  une  classe  de  mots  qui  se  rattachent  moins  directement 
à  l'existence  des  anciens  pasteurs,  mais  qui  sont  très-propres  à 
nous  en  révéler  plus  d'un  trait  caractéristique.  On  conçoit 
aisément  que  les  habitudes,  les  intérêts,  les  préoccupations 
d'un  genre  de  vie  bien  déterminé  ont  dû  se  refléter  dans  beau- 
coup d'expressions  et  de  termes  figurés,  d'abord  clairement 
significatifs,  et  qui,  plus  tard,  se  sont  généralisés  en  perdant 
plus  ou  moins  leur  sens  primitif.  Ainsi  les  notions  de  pouvoir 
et  de  richesse  ont  été  liées,  dans  l'origine,  aux  fonctions  du 
pâtre  et  à  la  possession  des  troupeaux ,  les  divisions  du  jour 

ché  (D.  P.,  d'après  Wilson),  de  notre  bouse,  toutefois  le  rapport  ne 
saurait  être  direct.  Si  l'on  compare  le  provençal  boza,  buza,  le  comas- 
que  boascia,  le  roumantch  bovatscha  (Diez,  Wb.,  II,  228),  ainsi  que 
l'armor.  béuzel,  bouzil,  bouse  séchée  au  soleil  et  combustible,  le  corn. 
busl,  bouse,  le  cymr.  biswal,  id.,  on  reconnaîtra  que  ces  mots  ont  été 
rattachés  aux  noms  du  bœuf  et  de  la  vache,  bas,  bô,  bu,  cymr.  aussi 
biw,  etc.  (Cf.  t.  I,  411),  tandis  que  busa  paraît  provenir  d'une  racine 
bus,  laisser  aller,  déjeter  (Dhâtup.),  et  n'a  aucun  rapport  avec  gô,  le 
corrélatif  de  bos,  etc.  Les  noms  européens,  dérivés  ou  composés,  mais 
de  sens  obscurs,  semblent  bien  être  des  transformations  étymologiques 
du  terme  primitif. 

J'ai  parlé  ailleurs  déjà  (t.  I,  p.  411,  note  )  du  sansc.  gavya,  adj., 
ce  qui  provient  de  la  vache,  aussi  son  fumier,  pancagavya,  n.,  ses 
cinq  produits,  lait,  caillebotte,  beurre,  urine  et  fumier;  en  comparant, 
dans  cette  dernière  acception,  le  pers.  gôtj  et  l'irl.  f  gai,  gae. 

Un  autre  mot,  l'irland.  f  baccat,  fumier  de  vache  (Corm.,  Gl.,  27), 
rappelle  le  pers. jp&c'as/c,  bouse  séchée,  depac,  cuire,  sécher.  Cf.  scr. 
paliti,  cuisson,  pacata,  cuit,  etc. 


—     49     — 

ont  tiré  leurs  noms  des  soins  quotidiens  donnés  au  bétail,  etc. 
On  trouve  des  exemples  de  ce  genre  dans  toutes  les  langues 
ariennes  ;  mais  c'est  le  sanscrit  surtout  qui  en  présente  le  plus 
grand  nombre,  parce  qu'il  nous  reporte  très-haut  vers  les 
temps  de  la  vie  pastorale.  Beaucoup  de  ces  termes  anciens  se 
sont  perdus,  ou  ont  été  remplacés  par  des  équivalents,  mais  la 
philologie  comparée  peut  encore  en  signaler  quelques-uns  qui 
sont  restés  comme  des  témoignages  des  mœurs  simples  et  pa- 
triarcales de  nos  ancêtres.  Ce  sont  ceux-là  principalement  qu'il 
nous  importe  d'étudier  en  les  classant  suivant  l'ordre  d'idées 
auquel  ils  appartiennent. 

§  172.  LE  TROUPEAU  ET  LA  RICHESSE. 

Le  bétail  et  ses  produits  constituent  la  principale  richesse  des 
peuples  pasteurs,  et,  par  suite,  leur  moyen  habituel  d'échanges, 
l'objet  de  leur  ambition  comme  butin  de  guerre,  la  source  des 
libéralités  et  des  salaires,  etc.  Aussi  a-t-on  remarqué  depuis 
longtemps  les  affinités  fréquentes  qui  rattachent  les  noms  de 
la  propriété,  de  l'argent,  du  butin,  à  ceux  du  bétail  et  du 
troupeau.  Festus,  déjà,  fait  cette  observation  relativement  au 
latin  pecunia  et  peculium,1  et  on  en  trouve  ailleurs  des  exem- 
ples multipliés.  Ainsi,  le  goth.  faihu  =  pecus,  etc.,  désigne 
l'argent  dans  la  version  d'Ulphilas,  et  il  traduit  fxctfjLfjLCàvciç, 
richesse,  -p&rfaihuthraihns,\ittêr.  abondance  de  bétail.  Dans  les 
lois  lombardes  et  anglo-saxonnes,  la  dot  paternelle  est  appelée 
fader-fio,  faedering-feoh,  et  l'anglais   maidenfee,  dot  de  fille, 

1  Quorum  verborum  frequens  usus  non  mirum,  si  ex  pocoribus  pen- 
dent ;  cum  apud  antiquos  opes  et  patrimonia  ex  his  prsecipue  consti- 
terint,  ut  adhuc  etiam  pecunias  etpeculia  dicimus  (Festus,  voc.  ab- 
gregare). 

II  4 


—     50     — 

ainsi  qaefee,  salaire,  récompense,  ne  rappelle  plus  en  aucune 
manière  le  sens  primitif  de  bétail.  Le  goth.  skatts,  moneta, 
ags.  sceat,  scand.  skattr,  anc.  allem.  scaz,  pecunia,  thésaurus, 
se  lie  à  l'anc.  slave  skotiï,  $koti?ia,  jumentum,  pecus,  et  à  l'irl. 
scath,  troupeau,  dimin.  scottân,  sgotân.  Au  goth.  arbi,  patri- 
monium,  répond  l'anglo-saxon  yrfe,  pecus.  Il  en  est  de  même 
clans  les  langues  celtiques  où,  en  irlandais,  bosluaiged,  richesse, 
dérive  de  bo-sluag,  troupe  de  vaches,1  où  crodh,  crudh}  signifie 
à  la  fois  bétail,  propriété,  dot  et  argent,  et  spreidh,  le  cymr. 
praidd,  bétail  et  butin.  Cf.  lat.  prœda.  L'irl.  ealblia,  troupeau, 
prend  l'acception  de  bien,  gain,  profit,  dans  le  cymr.  elw,  d'où 
elwa,  ehoi,  s'enrichir,  etc.2 

En  Orient,  le  sanscrit  nous  offre  un  exemple  du  même 
genre  de  transition  de  sens  dans  le  mot  rûpya,  or,  argent, 
puis  monnaie,  roupie,  qui  est  provenu  de  rûpa,  bétail.5 

Avant  l'usage  de  la  monnaie,  tout  s'évaluait  en  têtes  de  bé- 
tail pour  les  échanges  et  les  salaires.  Dans  Homère  (IL,  VI, 
236),  les  armures  de  Glaucus  et  de  Diomède  sont  esti- 
mées valoir  respectivement  cent  bœufs  et  sept  bœufs.  Chez 
les  anciens  Romains,  un  bœuf  équivalait  à  dix  moutons,  et, 
chez  les  Scandinaves,  une  vache  à  douze  béliers.^1  Les  Cymris, 
au  moyen  âge  encore,  estimaient  tout  en  vaches,  et  donnaient 
vingt-huit  vaches  pour  sept  chevaux,  quatorze  vaches  pour 
quatre  chiens,  douze  vaches  pour  une  épée,  six  vaches  pour  un 

1  Stokes,  Ir.  Glos.,  p.  66. 

2  Cf.  le  nom  des  Elvii  et  des  Elvetii  gaulois,  qui  signifie  probable- 
ment pasteurs. 

3  Ce  rapprochement  n'est  qu'apparent.  Suivant  le  D.  P.,  rûpya 
dérive  de  râpa,  forme,  image,  et  désigne  l'argent  monnayé,  et  mar- 
qué d'une  effigie.  Le  sens  de  rûpa,  bétail,  ne  se  trouve  jusqu'à  présent 
que  dans  les  lexicographes  indiens. 

*  Mommsen,  Rom.  Gesch.,  I,  481. 


—     51     — 

faucon,  etc.1  En  Irlande,  d'après  les  lois  Brehon/les  sept  or- 
dres de  bardes  étaient  rétribués  en  vaches,  depuis  une  jusqu'à 
vingt,  quand  ils  étaient  appelés  à  fonctionner.2  Chez  les  anciens 
Iraniens,  le  salaire  des  médecins  consistait  également  en  bé- 
tail, comme  on  le  voit  aux  chap.  vu  et  ix  du  Vendidad  ;  et 
c'est  aussi  des  vaches  que  recevaient  dans  l'Inde  les  Brah- 
manes officiants.  Aux  temps  épiques,  on  voit  les  rois  les  dis- 
tribuer par  milliers,  mais  à  l'époque  védique  on  en  était  moins 
prodigue.  Les  épithètes  de  çatagu,  sahasragu,  qui  possède  cent 
ou  mille  vaches,  indiquaient  l'opulence  ;  mais  on  trouve  aussi 
daçagu,  possesseur  de  dix  vaches  (D.  P.,  II,  750,  v.  guy  n°  5),  et 
un  fils  d'Angiras,  nommé  Saptagu,  n'en  avait  que  sept.5  C'est 
ainsi,  sans  doute,  qu'il  faut  expliquer  les  noms  de  navagva  et 
de  daçagva,  qui  désignent,  dans  le  Rigvêda,  deux  classes  de 
prêtres  officiants,  et  que  l'on  a  interprétés  de  plusieurs  ma- 
nières différentes.4  Le  gva  final  est  peut-être  -pour  gava  —  gô 
et  gu,  et  ces  noms  indiquaient  probablement  le  nombre  de  va- 
ches, neuf  et  dix,  auquel  ces  prêtres  avaient  droit  comme  sa- 
laire. Cette  conjecture  trouve  certainement  un  appui  dans  le 
zend  hvôgva,  contracté  plus  tard  en  hvôva,  et  que  Haug  (  Gâ- 
thâs.j  II,  150  )  traduit  par  :  qui  a  des  vaches  à  soi,  c'est-à- 
dire  qui  est  riche,  en  y  rattachant  le  persan  chôb,  bon,  beau, 

1  Lib.  Landav.,  p.  456,  et  Mabinagion,  part.  IV,  p.  324.  Dans  le 
conte  de  Kilhwch  et  Olven  (ib.,  253),  il  est  parlé  du  riche  costume  du 
héros,  qui  avait  sur  ses  souliers  et  ses  étriers  pour  300  vaches  d'or 
et,  à  sa  chabraque,  quatre  pommes  d'or,  chacune  de  la  valeur  de  100 
vaches. 

2  Walker,  Hist.  of  the  irishBards.  Dublin,  1786,  p.  30. 

3  Rigvêda,  10,  47.  Cf.  pancagu,  acheté  pour  cinq  vaches,  panca- 
gavadhana,  possession  de  cinq  vaches.  D'après  Bopp  [Vergl.  Gr.,  3, 
474),  dvigu  signifie  proprement  :  qui  a  deux  vaches  ou  qui  les  vaut. 

4  Cf.  Langlois,  Rigvêda,  t.  I,  p.  274.  Roth,  Comment,  sur  le  Ni- 
rukta,  p.  149. 


—     52     — 

vaillant,  avec  perte  complote  du  sens  primitif.  Le  corrélatif 
sanscrit  serait  svagva.1  D'autres  épithètes  analogues,  formées 
en  sanscrit  avec  gn,  se  rapportent,  non  plus  au  nombre,  mais 
à  la  qualité  des  vaches  possédées.  Ainsi  l'ancien  prince  Ahî- 
nagu  (  Vishnu  Pur.  de  Wilson,  p.  386)  en  avait  d'intactes,  de 
prospères,  et  arishtagu,  sarvagu,  expriment  la  même  chose. 
Sugii  est  celui  qui  a  de  bonnes  vaches,  çâcigu,  de  forts  tau- 
reaux,2 ijushtigii,  des  vaches  grasses  ou  prospères,  mais 
krçagu,  des  vaches  maigres.  Etre  privé  de  vaches,  agu,  équi- 
valait à  être  pauvre,  et  en  avoir  beaucoup,  bhûrigu,  indiquait 
la  richesse.  Les  hymnes  du  Rigvêda  offrent  de  fréquentes  in- 
vocations aux  dieux  pour  demander  ce  qui  constituait  alors  le 
bien  principal.  Ainsi  (Langlois,  I,  371)  :  «  Accordez-nous  la 
«  richesse  et  des  centaines  de  vaches  !  »  Et  t.  IV,  213  : 
a  0  Dieu  que  le  monde  implore  !  puissions-nous,  par  le  nom- 
«  bre  de  nos  vaches,  surmonter  la  pauvreté  malheureuse,  etc.» 
Les  rapprochements  ci-dessus,  que  l'on  pourrait  multiplier 
encore,  ne  prouvent  toutefois  qu'une  similitude  inhérente  aux 
conditions  de  la  vie  pastorale,  mais,  par  cela  même,  on  peut 
déjà  en  inférer  qu'ils  ont  une  certaine  valeur  pour  les  temps 
de  l'unité  primitive.  Il  faut  maintenant  les  appuyer  par  la  com- 
paraison plus  directe  de  quelques  termes  qui  paraissent  dater 
de  cette  époque  reculée. 

1  Le  D.  P.,  cependant,  donne  à  -gva,  dans  les  composés  cités,  le 
sens  de  l'allemand  -fach,  -fâltig,  navagva,  adj.,  neunfach,  etc.,  ce  qui 
éloignerait  tout  rapport  avec  la  vache.  Justi,  d'autre  part  (334),  re- 
garde hvô  comme  une  forme  augmentée  de  hu  =  scr.  su,  bien,  bon, 
beau,  ce  qui  conduirait  encore  à  une  autre  signification.  Pour  hvôva, 
qui  était  le  nom  d'une  famille,  il  se  borne  à  comparer  le  sanscrit  na- 
vagva et  daçagva,  sans  s'expliquer  sur  le  gva  final.  Cf.  plus  loin  le 
sanscrit  sugava,  adject.,  zend  Hugâo,  possesseur  de  bonnes  vaches. 

2  Epithète  d'Indra.  Le  D.  P.  n'admet  pas  cette  interprétation  des 
commentateurs  et  n'en  donne  pas  d'autre. 


—     53     — 

1)  Je  viens  de  citer  deux  composés  sanscrits  avec  gu,  agu 
et  bhûrigu,  qui  signifient  autant  que  pauvre  et  riche.  Du  pre- 
mier se  forme  même  le  subst.  agôtâ,  pauvreté,  littér.  privation 
de  vaches.  En  grec,  nous  trouvons  les  analogues  parfaits  de 
ces  termes  dans  dSovTyjç  et  7roXvZo\)Tfig  (ttoài»  =  scr.  pulu, 
puru,  synonyme  de  bhûri).  Hésiode  emploie  le  premier  comme 
équivalent  de  àitTYifjLûùVi  d7ropog,  pauvre  : 

KfaàtV  eTgàooc'  ocviïpoç  oiGovrew.  (Op.  etD.,  v.  451.) 
Cor  autem  rodit  viri  bobus-carentis  (i.  e.  egeni). 

Le  second  se  trouve  dans  Homère  (II.,  ix,  154): 

'Ev  à'  ocveïfsç  voc(ov<ri  flroXvp'pjivsç,  Tto'kvÇoZToit. 
Et  viri  habitant pecudibus,  —  bobus-abundantes  (i.  e.  divites).1 

2)  Une  autre  coïncidence  remarquable  se  présente  entre 
le  sanscrit  sugu,  sugava,  adj.,  possesseur  de  nombreux  ou  de 
beaux  troupeaux  de  vaches,  le  nom  propre  zend  Hugâo 
(Justi,  326),  et  les  noms  grecs  Evfioioç,  '(iotcc,  EvGûottiç,  -rri, 
ainsi  que  celui  de  Evfioia,,  l'Eubée,  comme  riche  en  trou- 
peaux. 

3)  Le  sanscrit  gôtra,  de  gô  et  de  trâ,  servare,  primitive- 
ment au  neutre,  enclos  pour  les  vaches,  étable,  et  au  féminin 

1  ïloXvBovTyç,  ainsi  que  les  noms  propres  ïloXvfiovç,  -/3oç,  -Booms, -@oix, 
répondent  au  zend  pourugâo,-gâvô,  riche  en  vaches  (Justi,  193),  qui 
serait  en  sanscrit  purugu,  -gava.  Ces  noms,  qui  impliquaient  la  ri- 
chesse, étaient  comme  des  titres  d'honneur,  tels  que,  dans  l'Inde,  ceux 
de  gôsvamin ,  possesseur  de  vaches,  gômin,  gômant,  id.  et  riche, 
gôpati,  maître  des  vaches,  puis,  en  général,  chef,  seigneur.  En  Irlande, 
où  aire,  airech,  désignait  un  homme  noble,  un  chef  (Cf.  scr.  arya, 
ârya,  maître,  seigneur,  âryaka,  homme  respectable),  le  bô  aire  appar- 
tenait à  l'un  des  ordres  de  la  noblesse.  Il  devait  posséder  un  sclb,  ou 
domaine  héréditaire,  pouvant  nourrir  au  moins  dix  vaches  (O'Curry, 
Manners  and  customs  ofthe  anc.  Ir.,  édité  par  Sullivan,  t  3,  p.  519; 
et  O'Dom,  GL,  suppl/  à  O'Reilly), 


—     54     — 

gôtrâ,  troupeau  de  vaches,  a  pris  dans  la  suite  des  temps  des 
acceptions  très-diverses  ;  savoir,  au  neutre,  celles  de  famille, 
race,  tribu,  classe,  multitude,  puis  foret,  champ,  propriété,  ri- 
chesse, et  d'autres  encore;  au  masculin,  montagne,  comme  pâ- 
turage, et,  au  féminin,  terre,  dans  le  même  sens.  Ces  transi- 
tions se  comprennent  assez  bien  par  elles-mêmes,  et  celle  de 
richesse  doit  être  des  plus  anciennes.  En  lithuanien,  en  effet, 
nous  retrouvons  gôtra  sous  la  forme  de  gutras,  bien-être,  ai- 
sance. 

4)  Dans  le  Nâigh.  (il,  10),  bandhu  est  indiqué  comme  sy- 
nonyme de  dhana,  richesse,  bien  mobilier,  argent,  etc.  Si  l'on 
considère  que  ce  mot  dérive  de  bandh,  ligare,  capere,  d'où 
bandhana,  corde  pour  attacher  le  bétail,  tout  comme  paça,  id., 
de  paç,  d'où  vient  paçu,  bétail,  on  peut  présumer  que  bandhu 
a  eu,  dans  l'origine,  ce  dernier  sens.1  —  Il  est  très-remar- 
quable, du  moins,  de  trouver  dans  le  lithuan.  banda  la  double 
acception  du  gros  bétail,  et  de  fortune,  profit,  revenu.2 

5)  Un  rapport  analogue  existe  peut-être  entre  le  scr.  vrta, 
richesse,  trésor  (Nâigh. ,  il,  10)  ;  et  le  goth.  vrithus,  ags.  wraedh, 
troupeau. 

6)  Enfin,  au  sansc.  nîta,  richesse,  aisance,  de  ni,  ducere, 
secum  ducere,  portare,  répond  évidemment  l'irl.  ni,  pluriel 
neithe,  bétail,  et  bien,  chose  en  général.5  L'ags.  neat,  pecus, 
n'offre  qu'une  ressemblance  apparente,  car  il  se  rattache  au 
scand.  naut,  anc.  ail.  noz,  id.,  du  goth.  niutan,  anc.  ail.  niuzan, 

1  Bhandu  n'a  d'ailleurs  que  les  acceptions  de  connexion,  parenté  ; 
parent,  ami,  etc.  (D.  P.) 

2  Pour  ce  dernier  sens,  qui  manque  dans  Nesselmann,  cf.  Beitr.  de 
Kuhn,  II,  49. 

3  Zeuss2, 861,  donne  l'anc.  irl.  ni,  res. 


—     55     — 

uti,  frui.  —  On  peut  croire,  d'après  l'étymologie  de  nîta,  que 
l'acception  de  troupeau  a  précédé  celle  de  richesse.1 


§  173.  LA  VACHE  ET  LA  FAMILLE. 

Comme  source  principale  du  bien-être  et  de  la  richesse,  la 
vache  tenait  une  grande  place  dans  la  vie  et  les  affections  de 
la  famille.  Les  langues  ont  conservé  quelques  traces  de  ces 
souvenirs  de  la  vie  pastorale. 

1)  J'ai  déjà  parlé  plus  haut  du  sanscrit  gôtra,  dans  ses 
acceptions  diverses  d'étable,  de  troupeau  de  vaches,  de  pos- 
session ,  abondance ,  accroissement ,  etc. ,  puis  de  famille, 
race,  tribu,  etc.2  Gôtra  signifie  aussi  le  nom  de  famille,  gô- 
traka,  la  descendance,  la  généalogie.  De  là  sagôtra,  adj.,  qui  a 
de  la  race,  et  le  contraire,  agôtra,  sans  généalogie. 

Ni  le  zend,  ni  les  autres  idiomes  iraniens  n'ont  conservé 
gôtra  comme  famille,  et,  en  Europe,  je  n'ai  pu  signaler  que  le 
lithuan.  gûtras,  bien-être,  aisance,  comme  corrélatif  de  gôtra, 
possession,  abondance,  prospérité.  Mais,  à  son  défaut,  le  pers. 
moderne  gôhar,  gawhar,  famille,  en  offre  un  synonyme  par- 
fait. Il  s'explique,  en  effet,  par  gô,  gaiv,  vache,  et  le  zend  har, 
protéger,   nourrir,   d'où    hâra,    haretar,    protecteur,   hareta, 

i  Sur  nita  et  vrta,  cf.  les  doutes  de  Weber  (Beitr.,  4,  276).  Il  est 
certain  que  ces  rapprochements  n'impliquent  que  la  possibilité  que, 
dans  la  langue  primitive,  les  termes  en  question  aient  désigné  à  la  fois 
le  troupeau  et  la  richesse.  Pourlegoth.  vrithus,  cf.  encore  le  sanscrit 
vrâta,  troupe,  multitude,  delà  rac.  var,  entourer,  comme  aussi,  peut- 
être,  vrta,  richesse  (D.  P.). 

2  Les  significations  ultérieures  de  terre,  champ,  montagne,  etc.,  se 
lient  sans  doute  au  sens  primitif  de  lieux  de  séjour  et  d'entretien  pour 
les  vaches. 


—     56     — 

nourri,  harethra,  nourriture,  haurva,  adj.,  qui  protège  (Justi). 
Comme  gôtra,  gôhar  signifie  aussi  race,  lignée,  descendance, 
origine  ;  puis  un  homme  de  race  noble,  d'où  gawharî,  adj.? 
noble,  de  haut  lignage,  généreux,  etc. 

2)  Parla  vie  en  commun,  avec  ses  hasards  partagés,  par  les 
soins  de  chaque  jour  donnés  et  reçus,  par  les  liens  réciproques 
d'intérêt,  les  vaches  en  venaient  à  être  regardées  comme  fai- 
sant partie  de  la  famille,  et  à  prendre  part  à  ses  affections. 
Aussi,  en  sanscrit,  comme  dans  plusieurs  langues  ariennes,  on 
voit  les  noms  de  quelques-uns  des  membres  de  la  famille  pas- 
ser à  l'animal  domestique,  et  réciproquement. 

En  sanscrit,  la  vache  est  appelée  mâtar,  mère,  et  vaçâ, 
c'est-à-dire  l'aimante,  la  soumise,  comme  se  nomment  aussi  la 
femme  et  la  fille  (Cf.  t.  I,  421,  note).  Le  grec  7toûiç,  7ropTiç, 
7rof>Tot,£,  m.  et  f.,  désigne  à  la  fois  le  veau,  la  génisse,  et  le 
jeune  homme,  la  jeune  fille,  comme  en  latin  junix,  juvencus, 
-eu.  Au  cymr.  anner,  pour  ander,  génisse  (Cf.  f  enderic,  ju- 
vencus, mod.  enderig  ;  Beitr.,  VII,  411),  répond  l'irl.  f  ain- 
der,  femme,  jeune  femme  nubile,  maintenant  ainnear  (Corm., 
GL,  12).* 

Aucune  de  ces  assimilations  ne  paraît  remonter  à  l'époque 
de  l'unité  primitive ,  mais  il  en  est  une  très-remarquable  qui 
est  évidemment  dans  ce  cas. 

3)  Je  veux  parler  du  scr.  vatsa,  m.,  vatsâ,  f.,  veau,  dont  le 
sens  propre,  comme  on  l'a  vu  (t.  I,  p.  423),  est  celui  d^anni- 
culuSj  et  qui  prend  l'acception  d'enfant,  de  jeune  homme.  Au 

1  Cf.  le  basque  andrea,  femme,  peut-être  celtibère.  Les  noms  cel- 
tiques peuvent  être  en  rapport  avec  le  sansc.  antara,  -râ,  adj.,  qui 
tient  de  près,  proche,  très-affectionné.  Le  d  pour  t,  comme  dans  le 
préfixe  gaulois  ande,  irland.  f  ind,  inn  =  scr.  anti,  grec  «m,  germ 
md,  etc.  (Z.2,877). 


—     57     — 

vocatif,  il  s'emploie  fréquemment  comme  un  terme  d'affection, 
équivalant  hÇ>ite,  care!  mon  cher!  etc.  J'ai  comparé  déjà 
Falban.  vits,  veau,  et  vats,  jeune  garçon,  et,  pour  ce  dernier 
sens,  les  langues  celtiques,  où  nous  trouvons  Fane,  cymrique 
et  corn,  guas,  serviteur,  varlet,  c'est-à-dire  jeune  homme,  pour 
guass  et  guast  (  Z.2,  1058  ;  Lib.  Land.,  113,  etc.),  en  armor. 
gwaz,  serviteur,  sujet,  vassal.  Le  bas-latin  vassus,  vassalus,  est 
venu  du  gaulois  vassos,  qui  figure  plus  d'une  fois  dans  les 
noms  d'hommes.  Ainsi  Vassa,  f.  (Grrut.,  Insc,  745,  11;  Stei- 
ner,  3762);  Vassius  (Murât.,  1605,  7),  avec  les  dérivés  Vas- 
sillus  (Rev.  numism.,  1859,  p.  184),  Vassalus,  figul.  (Roach 
Smith,  Catal.,  p.  46).  Cf.  sansc.  vatsala,  adj.,  tendre,  aimant, 
tout  dévoué  à.  Puis  dans  quelques  composés,  comme  Vasso- 
rix  (  Orel.,  4967  ),  chef  des  serviteurs,  Dagovassus  (  Stein., 
948),  bon  serviteur.  Cf.  irl.  t  dag,  bonus,  dagduine,  bonus  vir 
(Z.2,  857  ).  L'affinité  de  tous  ces  termes  ne  saurait  être  mise 
en  doute,  et  on  voit  ainsi  que  le  veau  avait  part  aux  affections 
de  la  famille.  Cela  s'écarte  beaucoup  de  notre  manière  de  voir , 
car  l'idée  ne  nous  viendrait  pas  d'appeler  :  mon  veau!  un  en- 
fant, un  jeune  homme  ou  un  ami. 


§  174.  LES  VACHES  ET  LES  FLEUVES. 


Le  voisinage  des  rivières  est,  non-seulement  favorable, 
mais  nécessaire  pour  l'entretien  et  la  prospérité  des  trou- 
peaux de  gros  bétail.  C'est  naturellement  au  bord  des  fleuves 
qu'ont  dû  s'établir  les  pâtres  dès  les  temps  primitifs,  et  c'est 
d'eux  que  les  cours  d'eau  les  plus  favorables  à  leurs  intérêts 
auront  reçu  parfois  des  noms   caractéristiques.   Plusieurs  de 


—     58     — 

ces  noms  s'accordent  si  bien,  soit  par  le  sens,  soit  par  la  forme, 
dans  quelques  régions  occupées  par  des  races  ariennes,  que 
l'on  ne  peut  se  défendre  de  l'idée  qu'ils  ont  été  apportés  d'un 
centre  commun  à  la  suite  de  la  dispersion  des  Aryas  primitifs. 

1)  Deux  rivières  de  l'Inde  ancienne  se  lient  au  nom  de  la 
vache,  savoir  la  Gômatî,  affluent  du  Gange  au-dessus  de  Bé- 
narès,  c'est-à-dire  :  la  riche  en  vaches,  féminin  de  gômant,  id., 
et  la  Goda,  Gôlâ,  ou  Gôdâvarî,  dans  le  Dekhan,  dont  les  noms 
signifient  :  celle  qui  donne  des  vaches.1  Le  premier  nom  n'a 
pas  ailleurs  de  corrélatifs  à  moi  connus,  mais  le  second  en  offre 
quelques-uns  d'alliés  au  moins  de  très-près. 

Ainsi,  en  Grèce,  le  BovSoùpoç,  -iïopoç,  -iïopov,  rivière  de  l'Eu- 
bée  (Evfiotct,,  riche  en  troupeaux),  non  pas  :  outre  de  peau  de 
bœuf  (rindsschlauch) ,  comme  l'interprète  Benzler  (  Gr.  Nam. 
bucli),  ce  qui  ne  donne  aucun  sens  approprié,  mais  composé 
avec  SœûoÇi  de  Sco,  comme  iïûpov,  don.  Cf.  scr.  dâru,  libéral, 
et  donneur  =  dâtar,  dator  ;  ainsi  que  l'anc.  slave  daru,  don, 
de  da. 

A  la  même  formation  appartient  peut-être  la  Bootpiu  britan- 
nique (Ptol.,  2,  3,  5),  le  Firth  of  Forth  en  Ecosse,  composé 
de  bo,  vache,  et  d'un  analogue  de  ocopog,  oopoç,  darû,  etc.,  que 
je  ne  trouve  plus  en  néo-celtique  où,  cependant,  l'irl.  f  dan 
(Z.2,  16),  cymr.  daion,  donum  =  scr.  dâna,  ont  conservé  la 
rac.  dâ. 

Le  nom  de  la  Boda,  maintenant  Bode,  affluent  de  la  Saale, 
s'il  était  celtique,  comme  probablement  Sala  (Forstem.,  Na- 
menb.,  165,  1209),  répondrait  exactement  à  la  Goda  in- 
dienne. 

2)  L'Irlande  nous  offre  deux  noms  remarquables  de  rivières, 

1  Ce  sont  des  féminins  de  goda,  gôdàvan,  adj.,  de  gôetàe  dâ,  la, 
donner.  Cf.  le  zend  gaodaya,  -dâyu,  adj.,  qui  élève  des  vaches  (Justi). 


—    59     — 

lesquels,  sans  répondre  directement  à  ceux  de  l'Inde,  se  lient 
de  très-près,  par  leurs  significations  et  leurs  éléments  de  com- 
position, à  des  synonymes  sanscrits  tout  semblables. 

a)  Le  premier  est  celui  de  Bovoviviïctç  (Ptol.,  2,  2,  8)  = 
Bovinda,  plus  tard,  dans  les  chroniques,  Boind,  Boinn,  actuel- 
lement la  Boyne.  Comment  ne  pas  le  rapprocher  du  sanscrit 
Gôvinda,  qui  ne  désigne,  il  est  vrai,  aucune  rivière  connue, 
mais  seulement  une  certaine  montagne,  et  qui  est  une  épi- 
thète  de  Krichna,  comme  pasteur  divin  ?  Ce  composé  signifie, 
en  effet,  qui  trouve,  qui  gagne,  qui  procure  des  vaches,  comme 
Goda,  Godavarî.  Or,  tel  est,  sans  doute,  en  irlandais  môme, 
le  sens  propre  de  Bovinda,  si  l'on  compare  finnim,  pour  fin- 
dim,  je  trouve,  je  découvre  (O'Don.,  GL),  avec  le  sansc.  vind 
(vindati),  trouver,  obtenir,  acquérir,  procurer  à  quelqu'un, 
d'où  vinda,  vindu,  à  la  fin  des  composés.1  De  là,  en  irlandais, 
par  la  suppression  occasionnelle  de  Vf  initial,  inné  iinde), 
accroissement,  innud,  indud,  innile,  indile,  augmentation  du 
bétail  (  O'Don.,  GL  ),  de  sorte  que  Bovinda  et  Gôvinda  ont 
bien,  de  part  et  d'autre,  la  même  signification  propre.2 

b)  L'autre  nom  de  rivière  irlandaise  en  question  vient  ap- 
puyer cette  interprétation,  car  il  conduit  au  même  résultat. 
C'est  celui  du  Buas  (4  M.,  66,  etc.),  aujourd'hui  le  Bush,  dans 
le  comté  d'Antrim,  et  d'un  autre  Bush,  quelque  part  ailleurs, 
d'après  Keating  (Hist.  of  Ir.,  p.  72,  73,  de  la  trad.  anglaise). 
D'après  O'Reilly,  buas  signifie  :  abondant  en  bétail,  et  l'on 
trouve  dans  Cormac  (  GL,  106,  voc.  marc)  buasach,  expliqué 

1  Cf.  Vatsavinda,  n.  pr.,  qui  gagne  ou  procure  des  veaux,  etc. 

2  Ce  qui  pourrait  invalider  ce  rapprochement,  c'est  que  bô  find 
signifie  aussi  :  vache  blanche,  et  qu'il  y  avait  un  Loch  bôfinne  et  des 
Innis  bôfinde,  dont  les  noms  se  rattachaient  à  des  légendes  de  vaches 
blanches  enchantées  (Cf.  Joyce,  Ir.  names,*  p.  1G0,  101).  Toutefois, 
Bovinda  tout  seul  ne  pourrait  guère  avoir  désigné  une  rivière. 


—     GO     — 

par  :  un  homme  qui  possède  de  nombreuses  vaches.  Buas,  pour 
bufhas,  me  paraît  un  composé  de  bu  =  bo,  vache,  et  de  fâs, 
croissance,  augmentation,  de  fâsaim,  je  crois,  Vf  h  aspirée  en- 
tre les  voyelles  devenant  quiescente.  Cf.  scr.  vaksh,  crescere, 
vakshatha,  croissance,  au  causât,  vakshay,  faire,  croître,  faire 
prospérer,  zend  vakhsh,  d'où  vakhsha,  -shya,  croissance  ;  grec 
cùv^ûû,  ion.  di^ùùy  pour  £?&&),  avec  ci  prosthétique  (  Curtius, 
Gr.  Et},  p.  357  );  goth.  vahsjan,  ags.  veaxan,  anc.  allemand 
ivahsan,  etc. 

Le  sanscrit  n'offre  pas  de  composé  de  vaksh  avec  gô,  mais 
on  y  trouve  le  synonyme  Gôvardhana,  c'est-à-dire  qui  fait 
croître,  prospérer  les  vaches,  comme  nom  d'une  montagne 
=  Gôvinda.  Le  sens  indiqué  pour  Buas  semble  donc  bien 
établi. 

3  )  Un  nom  du  même^  genre  est  peut-être  celui  de  l'an- 
cien prussien  Guber,  Ghobar,  affluent  de  l'Aile  (  Nesselm., 
Thés.,  p.  54).  Gu,  go,  serait  celui  de  la  vache,  conservé  dans 
le  lett.  gôws  et  le  slave  govedo  (Cf.  t.  I,  p.  410  ),  et  ber,  bar, 
se  lierait  au  slave  brati  (berà),  colligere,  capere.  Cf.  scr.  bhar, 
zend  bar,  grec  Ç>ip&),  latin  fero,  goth.  bairan,  irl.  beirim,  etc., 
dans  leurs  acceptions  diverses  de  porter,  contenir,  posséder, 
apporter,  accorder,  supporter,  conserver,  soigner,  etc.  De  là, 
en  sanscrit  bhara,  adj.,  à  la  fin  des  composés  :  qui  porte,  ap- 
porte, accorde,  gagne,  conserve.  Un  composé  *  gobhara,  en 
zend  gaobara,  peut  d'autant  mieux  se  présumer  que  le  pers. 
gobârah  désigne  une  étable  et  un  troupeau  de  vaches. 

4)  A  côté  de  ces  noms  sûrement  anciens,  il  en  est  d'autres 
d'origine  récente  qui  expriment  également  ce  rapport  naturel 
entre  les  vaches  et  les  rivières.  Ainsi,  en  Ecosse,  dans  l'île  de 
Mull,  Ba,  pluriel  de  bo,  simplement  :  Les  vaches  ;  et,  dans  le 
Perthshire,  Allt  na  ba,  rivière  des  vaches  (  Robertson,  GaëL 


—     61     — 

Topog.).  En  Allemagne,  an  onzième  siècle,  Chuopach  =  Kû- 
hébach  (Forstem.,  Orlsn.,  375  ).  En  France,  dans  le  Cantal, 
un  Ruisseau  des  vaches.  Dans  le  Guatimala,  un  Rio  de  las 
vaccas,  etc.,  etc. 

§  175.  LE  PASTEUR  ET  LE  ROI. 

Rien  ne  donne  mieux  l'idée  du  pouvoir  souverain  tempéré 
par  les  sentiments  naturels  de  l'intérêt  et  de  l'affection,  que 
l'existence  indépendante  du  pasteur  aux  temps  primitifs.  Libre 
dans  son  isolement  relatif,  il  régnait  en  maître  absolu,  sur  sa 
famille  comme  père  et  chef,  sur  ses  troupeaux  comme  proprié- 
taire, mais  il  régnait  en  protecteur,  avec  sagesse,  douceur  et 
justice.  C'est  pour  cela  que,  de  très-bonne  heure,  les  rois  ont 
été  appelés  les  pasteurs  des  peuples,  comme  on  le  voit  par  le 
7roifJLYiv  Xctôov,  d'Homère,  et  lero'eh  de  la  Bible,  appliqué 
figurément  aux  princes  (  Jérém.,  2,  8  ;  3,  15,  etc.),  et  même 
à  Jéhova,  le  pasteur  suprême  (  Ps.,  23,  1  ).1  En  parlant  des 
noms  du  pâtre,  j'ai  déjà  signalé  plusieurs  exemples  semblables 
dans  les  langues  ariennes.  J'ajoute  ici  quelques  développements 
à  ce  sujet. 

C'est  un  fait  remarquable  déjà  de  voir,  en  sanscrit,  une 
même  racine  pâ,  tueri,  donner  naissance  également  aux  noms 
du  pasteur,  du  père  (pitàr),  du  maître  et  du  roi,  et  ces  noms 
se  retrouver  dans  la  plupart  des  langues  européennes.  Pour  ne 
parler  ici  que  des  deux  significations  qui  nous  occupent,  je 
rappelle  les  analogies  observées  entre  le  pers.^wi,  bân,  gobân, 

1  La  rac.  r«'  âh,  pavit  gregem  ,  puis  gubernavit ,  de  principe, 
n'offre  qu'une  ressemblance  sans  doute  fortuite  avec  le  sansc.  raksh, 
servare,  custodire,  pasecre,  d'où  raksha,  gardien,  etc. 


—     62     — 

côbân,  etc.,  pour  désigner  le  pâtre,  et  le  slave  panil  et  ju- 
panUj  etc.,  pour  maître,  chef,  prince  (  Cf.  p.  12  ).  Au  scr.  pa 
et  pâla,  dans  l'un  et  l'autre  sens,  répond  très-probablement 
l'irlandais  fo  et  fâl,  avec  l'acception  de  prince,  et  il' faut  y 
ajouter  sans  doute  le  grec  7rctÀfj,uç,  roi.  J'ai  déjà  men- 
tionné quelques-unes  des  transitions  de  sens  du  sanscrit  gôpa 
(t.  I,  p.  577),  un  des  noms  les  plus  anciens,  sans  contredit,  du 
pâtre  et  du  roi.  Je  reviens  encore  avec  plus  de  détail  sur  ce 
mot  intéressant. 

Ses  acceptions  intermédiaires,  à  partir  de  garde-vache,  ont 
été  celles  de  pasteur  en  chef,  de  gardien  en  général,  de  pré- 
posé à  plusieurs  villages,  puis,  enfin,  de  roi.  Les  synonymes 
gôpati  et  gôpâla  désignent  aussi  le  roi,  mais  le  premier  s'ap- 
plique encore  au  taureau  comme  maître  des  vaches,  d'où  il  a 
passé  au  soleil,  comme  maître  du  troupeau  céleste  des  astres. 
On  voit  ici  l'origine  de  ce  mythe  du  taureau  solaire  qui  a  pris 
plus  tard  tant  d'extension  dans  le  culte  de  Mithra,  ainsi  que  la 
source  des  traditions  grecques  relatives  à  Apollon  comme 
pasteur  et  possesseur  de  troupeaux  sacrés,  déjà  dans  Homère. 
Le  titre  de  gôpati  a  été  donné  aussi  à  Indra,  le  dieu  du  ciel, 
à  Vishnu  ou  Krishna,  le  pasteur  par  excellence,  et  à  Varuna, 
en  tant  que  dieu  des  eaux,  comparées  souvent  aux  vaches  dans 
les  hymnes  védiques. 

De  gôpa  s'est  formé  ultérieurement  le  dénominatif  gôpay 
ou  gôpây,  déjà  védique,  avec  le  sens  tout  général  de  garder,  et 
de  couvrir,  cacher,  où  il  n'est  plus  question  de  la  vache  ;  car 
on  trouve  des  expressions  telles  que  dliarman  gôpaya,  garde  la 
loi  (  Mahâbh.j  i,  6043  ),  gôpayanti  striyâs,  ils  gardent  les 
femmes  (  id.,  ni,  2751  ),  tout  comme,  dans  le  Rigvêda  (  i, 
101,4),  on  lit  açvanâh gôpati,  littér.  garde- vache  de  chevaux, 


—     63     — 

pour  gardien  de  chevaux.1  Mais  il  y  a  plus,  et  de  gôpay  est 
provenue  une  racine  en  apparence  primitive  gup,  tueri,  defen- 
dere,  déjà  védique  également,  au  désidératif,  gugups,  se  gar- 
der de,  s'abstenir,  éviter,  détester,  avoir  horreur,  d'où,  par 
exemple,  gugupsita,  une  action  qui  révolte.  Et,  de  cette  ra- 
cine gup,  on  voit  de  nouveau  sortir  une  abondance  de  dérivés 
qui  n'ont  plus  aucun  rapport  ostensible  avec  gô,  tels  que  gu- 
pila,  prince,  gôptar,  protecteur,  gupti,  cachette,  caverne,  pri- 
son, rempart,  etc.,  et  même  l'adverbe  guptam,  en  cachette, 
secrètement.2 

La  haute  ancienneté  de  ces  transformations  résulte  de  ce 
qu'on  en  trouve  des  traces  jusque  dans  les  langues  européennes. 
Ainsi  le  lith.  gobti,  couvrir,  cacher,  se  rattache  sans  doute  à 
gup.  Le  grec  yv7ryj,  caverne,  cavité,  répond,  sauf  le  suffixe,  à 
gupti,  et  l'anc.  ail.  chuof,  ags.  cyfe,  crater,  dolium,  s'accorde 
exactement  au  point  de  vue  phonique. 

§  176.  LE  PASTEUR  ET  L'HOSPITALITÉ. 

De  tout  temps,  et  en  tout  pays,  les  peuples  pasteurs  se  sont 
distingués  pour  les  vertus  hospitalières,  et  cela  s'explique  par 
la  nature  des  intérêts  et  du  mode  de  vivre.  Plus  ou  moins 
isolé  du  reste  du  monde,  surtout  aux  époques  primitives,  le 

1  D'autres  composés  analogues,  où  gô  n'est  plus  qu'un  pléonasme, 
sont  gôyuga,  paire,  couple  en  général,  â'oùgôgôyuga,  paire  de  bœufs, 
açvagôyuga,  paire  de  chevaux  :  gôshtha,  étable,  d'où  gôgôshtha, 
étable  à  vaches,  etc.  Cf.  aussi  svagôpa,  adj.,  qui  se  garde  lui-même, 
littér.  garde-vache  de  soi;  ainsi  que  svagôcara  ,  id.,  c'est-à-dire 
maître  de  soi. 

2  Cf.  zcnd  gup,  cacher,  protéger,  d'où  gufra,  adj.,  caché,  profond, 
et  protecteur. 


—  ^  84     — 

pasteur,  entouré  de  sa  famille,  voyait  arriver  avec  joie  un  hôte 
connu,  et  avec  une  curiosité  bienveillante  l'étranger  qui  se 
présentait  en  demandant  un  bon  accueil.  Les  voyages  étaient 
alors  longs  et  difficiles  ;  l'hôte  arrivait  fatigué  et  affamé,  et  le 
premier  devoir  consistait  à  le  restaurer  par  la  nourriture  et  le 
repos  ;  après  quoi  seulement,  on  l'interrogeait  sur  son  origine, 
ses  intentions,  ses  aventures,  etc.  Ce  sont  là  des  traits  que  l'on 
retrouve  chez  tous  les  anciens  peuples,  dans  la  Bible  comme 
dans  les  épopées  de  l'Inde  et  de  la  Grèce.  Il  devait  en  être  de 
même  chez  les  Aryas  des  temps  de  l'unité,  et  les  langues  ont, 
en  effet,  conservé  quelques  termes  qui  se  rapportent  encore 
aux  simples  coutumes  de  ces  âges  reculés. 

1)  Les  lieux  où  l'on  pouvait  compter  sur  un  accueil  hospi- 
talier étaient  naturellement  les  stations  de  bergers  déterminées 
par  l'excellence  des  pâturages.  Parmi  les  noms  qui  les  dési- 
gnaient en  sanscrit,  nous  trouvons  celui  de  gôshpada,  de  gôs, 
gén.  de  go,  et  depada,  station,  site,  et  pâturage  (  Cf.  p.  22  ). 
Or,  ce  terme  se  retrouve  presque  intact  dans  le  pol.  gospoda, 
avec  le  sens  d'hôtellerie,  d'auberge,  d'où  gospodarz,  hôte,  puis 
maître  de  maison,  chef  de  famille,  et  gospodgn,  maître  en  gé- 
néral, seigneur,  gospodynia,  hôtesse,  ménagère  ;  en  lithua- 
nien, respectivement,  gaspadà,  gaspadôrus  et  gaspadinne.  Je 
cite  le  polonais  en  première  ligne,  parce  qu'il  a  sûrement  con- 
servé l'acception  la  plus  ancienne,  tandis  que  l'ancien  slave 
gospodï,  gospodarï,  gospodinu,  n'offre  que  le  sens  secondaire 
de  dominus.  Il  en  est  de  même  en  russe,  où  Gospodï  s'emploie 
même  pour  le  Seigneur,  l'Eternel,  Dieu,  gospodmu,  pour 
gentilhomme,  maître,  monsieur,  gospojâ,  pour  dame  noble, 
maîtresse,  tandis  que  gospodarï,  chez  les  Slaves  du  sud,  hos- 
podar,  désigne  le  prince.  Ce  rapprochement,  auquel,  ce  sem- 
ble, il  n'y  a   rien  à  objecter,   paraît  préférable   à   celui  que 


—     65     — 

Benfey  a  proposé  avec  le  védique  gâspati,  maître  de  famille, 
et  que  Max  Millier  rejette  avec  raison  par  l'impossibilité 
d'identifier  pati  et  podïJ 

2)  Il  faut,  par  contre,  et  sans  aucun  doute,  chercher  un 
composé  avec  pati  dans  le  latin  hospes,  -pitis,  l'hôte  qui  reçoit 
et  l'hôte  reçu  ;  mais  ici  Vh  initiale  empêche  également  toute 
comparaison  avec  gâspati,  et  ne  peut  répondre  qu'à  une  h  ou 
un  gli  sanscrits.  Or,  nous  trouvons,  en  effet,  ghôsha  avec  le 
double  sens  de  pâtre  et  de  station  de  pâtres,  et  un  composé 
ghôshapati  peut  facilement  s'être  contracté  en  hospiti. 

L'étymologie  de  ghôsha  est  intéressante  au  point  de  vue  de 
l'ancienne  vie  pastorale.  La  rac.  ghush,  sonare,  strepere,  pro- 
clamare,  exprime  plus  spécialement  un  grand  bruit  confus, 
une  vaste  clameur,  et  ghôsha  s'entend  également  du  roulement 
du  tonnerre,  du  mugissement  de  l'orage,  du  tumulte  des  com- 
bats, du  bruit  de  la  multitude  et  du  beuglement  des  troupeaux. 
Le  ghôsha,  comme  station  de  pâtres,  désignait  un  lieu  où 
retentissaient  les  mugissements  des  vaches  et  les  appels  des 
bergers,  et  le  pâtre  lui-même  était  un  ghôsha,  c'est-à-dire  un 
criard.  Ceci  rappelle  le  jodeln  des  vachers  des  Alpes,  qui  se 
fait  entendre  à  d'énormes  distances,  et  il  est  certain  qu'une 
voix  stentorienne  est  fort  utile  au  pâtre  des  montagnes. 

On  conçoit  bien  que  le  ghôshapati,  le  maître  de  la  station 
pastorale,  ou  le  berger  en  chef,  ait  été  considéré  comme  l'hôte 
qui  reçoit,  et  qu'il  soit  devenu  dans  ce  sens-là  Yhospes  du  la- 
tin; mais  comment  son  nom  a-t-il  pu  passer  à  l'hôte  qui  est 
reçu  ?  Cela  s'explique,  je  crois,  par  l'antique  usage  d'offrir  à 
l'arrivant  tout  ce  que  l'on  possédait,  de  lui  dire  de  se  regar- 
der comme  le  maître,  et  d'en  exercer  les  prérogatives.  Et  c'est 

1  Essai  demyth.  comparée,  trad.  franc.,  p.  29. 

II  5 


—   M  — 

ainsi  que  le  titre  du  chef  recevant  passait  à  celui  qu'il  voulait 
accueillir  avec  honneur. 

Il  faut  observer  encore  que  le  scr.  ghôsha,  station  de  pâ- 
tres, se  retrouve  dans  le  pers.  ghôshâ,  ghôshâd,  enclos  pour  le 
bétail,  puis  auberge,  hôtellerie,  exactement  comme  le  pplon. 
gospoda,  id.,  répond  à  gôshpada,  station  de  vaches. 

3)  Un  troisième  groupe  de  mots  d'une  origine  tout  autre, 
malgré  quelque  ressemblance  apparente  avec  les  précédents, 
se  compose  de  l'anc.  slave  et  russe  gostï,  pol.  gosc,  illyr.  goost, 
boh.  host,  etc.,  hôte  reçu,  du  goth.  gasts,  id.,  et  étranger,  ags. 
et  anc.  ail.  gast,  etc.,  et  du  latin  hostis,  d'abord  un  étranger, 
puis  un  ennemi.  Bopp  pour  le  germanique  (Gl.  scr.,  114  )  et 
Miklosich  pour  le  slave  (Rad.  slov.,  v.  c,  et  Dict.)  pensent  ici 
à  la  rac.  scr.  ghas,  manger,  parce  qu'on  offre  des  aliments  à 
l'hôte,  et  cela  serait  assez  plausible  si  l'on  pouvait  réconcilier 
le  sens  très-différent  de  hostis  dans  son  rapport  évident  avec 
hostia  et  hostire.  Une  autre  conjecture  fort  ingénieuse,  et  pro- 
posée par  Kuhn  (  Ind.  Stud.  de  Weber,  I,  361  ),  lève  cette 
difficulté,  et  nous  révèle  en  même  temps  une  coutume  de 
l'hospitalité  chez  les  anciens  Aryas. 

En  sanscrit,  l'hôte  reçu  est  appelé  gôghna,  littér.  celui  qui 
tue  le  bœuf  ou  la  vache,  ou,  d'après  Pânini,  celui  pour  lequel 
on  tue  un  bœuf,1  ce  qui  répond  à  la  locution  biblique  :  tuer  le 
veau  gras.  C'est  sans  doute  à  cet  usage  que  fait  allusion  un 
passage  du  Rigvêda  (i,  31,  15)  :  Svâdukshadmâ  yo  vasatâu 
syônakrggîvayâgam  y  agate  sôpa7nâ  divah,  c'est-à-dire  d'après 
Rosen  :  Dulci  cibo  instructus,  qui  domi  (hospitïbus)  oblecta- 
menta  par  ans,  vivam  hostiam  mactat,  is  est  similis  cœlo.  Il  est 
évident    que    cette    coutume  n'a  pu  prévaloir   dans    l'Inde 

1   Yahmâi  gâmghnanti  (D.  P.). 


—    67     — 

qu'aux  temps  les  plus  reculés,  et  alors  que  la  vache  n'était  pas 
encore  entourée  d'un  respect  presque  religieux,  comme  dans 
les  lois  de  Manouetles  épopées.  D'après  Manou  (xi,  59, 108), 
tuer  une  vache,  ou  seulement  la  frapper  du  pied,  constituait  un 
grand  crime,  et  nous  avons  vu  qu'elle  était  appelée  aghnyâ, 
non  occidenda,  comme  le  taureau,  au  masculin  aghnya.  Aussi, 
dans  la  suite  des  temps,  on  se  contentait  d'offrir  une  vache  à 
l'hôte  par  un  acte  symbolique. 1 

Kuhn  rappelle  que  dans  Y  Iliade  (vi,  174),  le  roi  de  Lycie 
fait  tuer  neuf  bœufs  pour  fêter  pendant  neuf  jours  l'arrivée 
de  Bellérophon,  et  que  le  verbe  kpîvtiv  est  employé  dans 
Y  Odyssée  (xiv,  414  ;  xxiv,  216)  pour  exprimer  l'acte  de  tuer 
un  animal  en  l'honneur  de  l'hôte.  Il  conjecture,  d'après  cela, 
que  le  grec  çévoç,  %uvcç,  hôte,  se  liait  étymologique  ment  à 
KTtiVôô,  tuer,  et  signifiait,  comme  gôghna,  le  tueur.2  Si,  main- 
tenant, l'on  considère  que,  d'après  Festus,  hostire,  dénomin. 
de  hostis,  signifiait  frapper,  et  que  hostia  désignait  la  victime, 
on  est  conduit  à  une  rac.  hos  =  gos,  gas ,  en  slave  et  en  go- 
thique, et  has  ou  ghas  en  sanscrit,  avec  le  sens  de  frapper, 
tuer,  et  à  laquelle  Kuhn  rattache  également  le  sanscrit  hasta, 
la  main  qui  frappe,  et  le  lat.  hasta,  la  lance  qui  tue.  Il  observe, 
avec  raison,  que  le  scr.  ghas,  manger,  n'en  diffère  pas  essen- 
tiellement, puisque  l'on  voit  un  nom  de  la  mâchoire,  hanu,  dé- 


1  Colebrooke,  Mise.  Essays,  I,  203.  Dans  le  Ramâyana  (  I,  xxi,  13, 
éd.  Gorresio),  le  roi  Daçaratha  présente  à  son  hôte  Viçvamitra  pâ- 
dyam,  arghyam  et  gâm,  c'est-à-dire  l'eau  pour  les  pieds,  le  don 
d'honneur  et  la  vache,  et  c'est  sans  doute  à  tort  que  Gorresio  traduit 
gâm  par  terre,  d'après  le  double  sens  de  gô. 

2  Cf.  avec  leîvoç,  la  rac.  scr.  kshi,  kshin,  kshan,  interficere.  Auf- 
recht  (Z.  S.,  I,  120)  ramène  leîvcç,  éol.  levvoç,  à  ^'vfoç,  ce  qui  fait  tom- 
ber l'étymologie  proposée  par  Pott  (Et.  F.,  2,  53),  et  adoptée  par  Ben- 
fey  (Gr.  Wl.,  1,  280),  de  e|  =  anya,  c'est-à-dire  venu  d'autre  part. 


—     68     — 

river  de  Aem,  casdere.  J'ajouterai  que  le  Dhâtup.  donne  une 
rac.  ghash,  laadere,  interficere,  et  qu'en  tirhaï  du  Caboul 
ghashâ  signifie  flèche.  Le  suffixe  ti  forme  quelquefois  des  noms 
d'agents,  comme  en  sanscrit  mati,  consiliarius,  de  man,  yati, 
domitor,  de  yamy  etc.,  et,  en  latin,  vectis,  de  veho,  etc.  Il  n'y  a 
donc  aucune  objection  à  interpréter  hostis,  ainsi  que  le  slave 
gostï  et  le  goth.  gasts  (thème  gastï),  comme  le  tueur,  le  ïfilvoç, 
le  gôghna,  l'hôte,  et  la  démonstration  de  Kuhn  semble  aussi 
complète  qu'ingénieuse. 


177.  LA  VACHE  ET  LA  GUERRE. 


En  tant  que  richesse  principale  des  pasteurs,  la  vache  de- 
vait être  l'objet  des  désirs  et  de  l'ambition  de  tous,  le  plus 
précieux  butin  offert  comme  récompense  à  la  vaillance  du 
guerrier,  et  par  cela  même,  une  occasion  fréquente  d'entre- 
prises et  de  combats.  Les  enlèvements  de  troupeaux  à  main 
armée  constituaient  un  des  exploits  les  plus  ordinaires  chez 
les  peuples  de  race  arienne  restés,  à  divers  degrés,  fidèles  à  la 
vie  pastorale.  Chez  les  anciens  Indiens,  les  Vêdas  renferment 
de  nombreuses  allusions  à  ce  sujet,  et  l'un  des  chants  du  Ma- 
hâbhârata  raconte  un  gôharana,  ou  enlèvement  des  vaches. 
Les  traditions  grecques  en  offrent  des  exemples  suffisamment 
connus,  et  les  chroniques  irlandaises  abondent  en  récits  de  ce 
genre.1  Le  grec  teict,  butin,  désigne  les  troupeaux  au  pluriel 

1  Sur  les  récits  traditionnels  appelés  Bôtâin  ou  Tain  bô,  butin  de 
vaches,  voy.  O'Curry,  Lect.  on  anc.  ir.  hist.,  dans  l'index  final  (p.  716), 
où  ils  sont  énumérés. 


—     69     — 

Aiïcti,  et  l'irland.  tan ,  tain,  comme  le  cymr.  praidd,  réunit  les 
significations  de  bétail  et  de  butin.1 

Que  les  mêmes  causes  aient  produit  les  mêmes  effets  chez 
les  anciens  Aryas,  c'est  ce  que  l'on  peut  présumer  à  bon  droit; 
mais  le  sanscrit  nous  a  conservé  quelques  termes  qui  en  four- 
nissent encore  la  preuve  directe,  et  qui  viennent  élucider  le 
vrai  sens  originel  de  plusieurs  mots  européens. 

Le  sansc.  védique  gavish,  gavisha,  gavêshana,  composé  de 
go,  vache,  et  ish,  désirer,  signifie  littéralement  :  qui  désire  des 
vaches,  mais  se  prend,  déjà  dans  les  plus  anciens  textes,  dans 
l'acception  générale  de  désireux,  avide,  ardent  à  la  poursuite 
de  quelque  chose,  h^adj.  gavishti,  avec  le  même  sens,  conserve 
aussi  celui  de  désireux  d'avoir  des  vaches  ;  mais  le  substantif 
gavishti,  désir  ardent,  prend  en  outre  l'acception  d'ardeur 
guerrière  et  de  combat,  tout  comme  gavêshana,  celle  d'ardent 
au  combat.  On  voit  clairement  par  là  qu'aux  temps  védiques 
les  instincts  belliqueux  étaient  réveillés  par  le  désir  de  con- 
quérir des  vaches.  L'épithète  de  gôshuyudh,  combattant  pour 
des  vaches,  est  même  donnée  au  guerrier  dans  le  Rigvêda.2 

Si  gavish  se  généralise  déjà  dans  le  langage  védique,  il  finit 
plus  tard  par  s'éloigner  encore  davantage  de  sa  signification 
propre.  On  en  voit  se  former  un  verbe  gavêsh,  ou  par  con- 
traction gêsh,  chercher  avec  ardeur,  tendre  vers,  s'informer, 
s'efforcer,  même  purement  au  moral,  si'  bien  que  le  dérivé 
gavêshana  en  vient  à  désigner  la  recherche  de  l'esprit,  l'in- 
vestigation philosophique.   Le  grec  nous  offre  des  transitions 

1  L'arménien  goghobud,  butin,  semble  composé  avec  le  nom  de  la 
vache,  gov=  scr.  gô. 

2  R.  V.,  I,  112,  22  ;  VI,  6,  5;  X,  30,10  (D.  P).  Cf.  le  nom  propre 
zend  Parshatgâo,  c'est-à-dire  qui  combat  pour  des  vaches  (Justi, 
187). 


—     70     — 

de  sens  parfaitement  analogues  dans  (2ovx,oteco,  d'abord  soi- 
gner les  bœufs,  faire  paître,  puis,  au  moral,  consoler,  flatter 
d'espoir,  d'où  (iovKoAyjf^ct,  -Ay}<riç,  consolation,  etc.1 

Un  autre  verbe  védique  dérivé  du  nom  de  la  vache  est 
gavy,  vaccas  quserere,  comme  açvay,  equos  quaerere,  de  açva, 
mais  aussi  se  réjouir  de  posséder  des  vaches.  Le  part.  prés. 
gavyant,  désirant  des  vaches,  signifie  en  même  temps  ardent 
au  combat,  ainsi  que  l'adj.  gavyu,  lequel  se  prend  aussi  dans 
l'acception  de  joyeux  d'avoir  des  vaches.  De  là  encore  le  subst. 
gavyâ,  désir  de  vaches  et  de  combats.  Ce  groupe  de  mots  est 
surtout  intéressant  parce  qu'il  trouve  dans  les  langues  euro- 
péennes quelques  affinités  qui  nous  font  remonter  jusqu'au 
temps  de  l'unité  arienne. 

A  gavy  se  rattache  en  premier  lieu  le  lithuan.  guiti,  au  prés. 
guiju,  guju,  chasser  et  chercher  en  général,  comme  le  sanscrit 
gavêsh.  Une  seconde  forme  de  même  origine  est  sans  doute 
gâuti,  au  prés,  gaivju,  obtenir,  acquérir,  d'où  gawimmas  et 
gauklas,  acquisition,  gatisus,  abondant,  gausybe,  richesse,  uz- 
gaulis,  butin,  etc.,  et  le  causatif  gaudyti,  chercher  à  obtenir 
une  chose,  chasser,  gaudimas,  chasse,  etc.  Je  compare  aussi 
l'alban.  ghjuaig,  chasser,  ghja,  chasse,  ghjatûar,  ghjaikes,  chas- 
seur, etc.  Ici,  tout  souvenir  de  la  vache  a  disparu,  comme 
partiellement  en  sanscrit.2 

1  On  trouve  en  sanscrit  l'expression  singulière  de  putram  gavêsha- 
mâna,  littéralement  :  cherchant  son  fils  comme  avec  un  désir  de  va- 
ches (D.  P.,  11,746). 

2  Je  citerai  encore  ici  le  scr.  gôsha,  gôshan,  gôsan,  gôshani,  adj., 
qui  gagne  ou  butine  des  vaches,  gôshâti,  -sâti,  butin  de  vaches,  com- 
bat pour  des  vaches,  de  gô,  et  san,  sa,  gagner,  acquérir,  d'où  sani, 
acquisition,  sanara,  butin,  sâti,  profit,  butin,  etc.  Il  semble  difficile 
d'en  séparer  l'anc.  slave  gousa,  prœdones,  gousarï,  pra;do,  enillyrien 
ou  serbe  gusa,  gusar,  praedator,  gusariti,  piratam  esse  (Mikl.,  Lex., 


—     71     — 

Un  autre  rapprochement  remarquable  avec  gavy  se  pré- 
sente, je  crois,  dans  le  grec  yctia,  yavct),  pour  ycLFic*),  se  ré- 
jouir, se  vanter,  être  fier,  primitivement,  sans  doute,  comme 
gavy,  être  joyeux  et  fier  d'avoir  des  vaches.  Le  composé 
(iovyciïoç,  vantard,  jactator,  qui  se  trouve  dans  Homère  (7Z., 
xviii,  824  ;  Od.,  xiii,  79),  signifie  littéralement  :  fier  de  ses 
vaches,  et  serait  en  sanscrit  gôgavyu.  Le  synonyme  de  yuiao, 
yrjêîco,  semble  composé  avec  Ôîûû,  le  sansc.  dhâ,  tenere,  possi- 
dere,  précédé  de  yv\  =  gava,  gô,  comme  yct  dans  yccXct^, 
et  signifier  proprement  posséder  des  vaches.  Et  ceci  nous 
conduit  à  l'explication  la  plus  plausible  du  latin  gaudeo,  gavi- 
sus,  gaudium,  etc.,  composé  de  même  de  l'ancien  nom  de  la 
vache  avec  dhâ  ou  dhi  (dhiyati),  possidere.  Ce  sont  là,  si  je 
ne  m'abuse,  comme  des  souvenirs  lointains  et  incompris  de  la 
vie  pastorale  primitive,  où  la  possession  des  vaches  rendait 
joyeux  et  fier.1 


§  178.  MESURES  DIVERSES  EMPRUNTÉES  A  LA  VIE 
PASTORALE. 


Les  mots  qui  servent  à  désigner  les  mesures  de  tout  genre 
sont  tirés  généralement  des  objets  les  plus  familiers,  de  ceux 
que  l'on  a  toujours  à  sa  portée  comme  terme  de  comparaison. 

149,  et  Ardello,  Dizion.  illyr.,  221).  Ici,  également,  le  sens  primitif 
s'est  perdu. 

1  Cf.  pour  d'autres  vues  sur  yocvu,  gaudeo,  etc.,  Curtius  (Gr.  Et.*, 
163).  Le  gr.  yotvpoç,  fier,  qu'il  y  rattache  comme  dérivé,  appartient 
mieux  au  scr.  garva,  fierté,  orgueil,  garvara,  orgueilleux.  Cf.  garv, 
être  fier  (Dhâtup.),  et  peut-être  l'irland.  f  garb  (Corm.,  89),  rude, 
mod.  garbh,  cymr.  garw,  id.  Si  ce  rapprochement  est  fondé,  le  nom 
propre  irlandais  Bôgarbhan  (Ann.  Innisf.,  II,  65)  répondrait  à  un 
Govyocvçoç  hypothétique. 


—     72     — 

Les  membres  du  corps  humain  sont  la  source  la  plus  ordi- 
naire des  mesures  de  longueur,  telles  que  la  coudée,  la  palme, 
le  pouce,  le  doigt,  le  pied,  le  pas,  etc.  ;  celles  de  capacité  sont 
empruntées  à  des  vases  usuels  de  dimensions  variées,  celles 
de  pesanteur  à  la  pierre,  etc.  On  comprend  que  l'étude  des 
termes  de  cette  classe  puisse  devenir  instructive  pour  la  con- 
naissance des  usages  aux  temps  où  l'on  s'en  servait,  et,  bien 
qu'ici  les  points  de  comparaison  soient  rares,  quelques-uns  de 
ces  mots,  qui  sont  tirés  de  la  vie  pastorale,  méritent  de  fixer 
l'attention. 

1)  En  sanscrit,  plusieurs  noms  de  mesures  se  rattachent  à 
la  vache ,  tels  que  gôkarna,  une  oreille  de  vache,  pour  un  em- 
pan, gôshpada,  un  pas  de  vache,  comme  longueur,  ou  l'impres- 
sion en  creux  du  pied  de  l'animal  comme  capacité,  gavâhnika, 
le  grain  d'un  jour  pour  une  vache,  puis,  plus  tard,  et  sous  la 
forme  contractée  gônî,  un  sac,  une  mesure  de  grains  de  sept 
à  huit  livres.1  —  Le  pers.  gawnîz,  mesure  de  blé,  aussi  gawîz, 
gawtîz,  renferme  sûrement  aussi  le  nom  de  la  vache  ;  mais  je 
ne  trouve  rien  à  comparer  dans  les  langues  européennes. 

2)  Le  sanscrit  gavyâ,  troupeau  de  vaches,  a  désigné  secon- 
dairement une  distance  de  deux  hrôças,  soit  quatre  mille  dan- 
das,  ou  perches  de  quatre  coudées,  c'est-à-dire,  sans  doute, 
l'espace  de  terrain  suffisant  pour  un  grand  troupeau.  Le  syno- 
nyme gavyûti  ou  gavyûta,  de  gô  -f-  yûti,  réunion,  assemblage, 
conserve  encore,  dans  le  Rigvêda,  le  sens  général  de  pâturage 
et  de  district.  Il  se  retrouve  dans  le  zend  gaoyaoiti,  lieu  de 
réunion  pour  les  vaches,  et  l'épithète  de  vourugaoyaoiti,  qui 
possède  de  vastes  pâturages,  donnée  au  dieu  Mithra,  répond 

1  Weber  (Beitr.,  4,  276)  ne  l'admet  pas,  et  ramène  ce  terme  à 
gfwim,  corde. 


—     73     — 

au  composé  védique  urugavyûti,  avec  la  même  acception.  — 
Le  persan  gâw  désigne  une  distance  de  six  milles. 

Nous  avons  vu  déjà  gavyâ,  dans  le  sens  de  pâturage,  devenir 
le  grec  yoiïct, terre,  puis  yvïa,  champ  cultivé  (Cf.  p.  20).  Or,  de 
même  que  gavyâ  a  pris  l'acception  d'une  mesure  de  distance, 
yvict  a  reçu  celle  d'une  mesure  agraire  déterminée,  sans  doute 
également  par  suite  de  l'introduction  de  l'agriculture.  Cela 
prouve,  en  tout  cas,  la  haute  ancienneté  de  cet  emploi  du 
terme  en  question. 

3)  Une  autre  manière,  sûrement  très-primitive,  d'évaluer 
les  distances,  se  tire  de  l'étendue  du  son,  soit  de  la  voix  hu- 
maine, soit  des  cris  d'animaux.  Ainsi,  le  sansc.  gôruta,  littér. 
un  mugissement  de  vache,  représentait,  comme  gavyâ)  deux 
krôçaSy  et  le  krôça,  proprement  un  cri,  de  kruç,  clamare,  équi- 
valait à  la  distance  où  s'entend  une  voix  d'homme,  moins 
forte  de  moitié  que  celle  de  la  vache.  A  krôça  se  lie  le  persan 
Icôs,  lieue,  mais  ce  terme,  ainsi  que  gôruta,  ne  se  retrouve  pas 
dans  les  langues  européennes.  Par  contre,  les  analogies  de  fait 
abondent.  On  se  rappelle  tout  d'abord  la  comparaison  homé- 
rique (Od.,  vi,  294): 

To<r<rov  cctto  irrôxioç,  otrtrov  ts  yiyojvs  Bowotç. 

Tantum  ab  urbe,  quantum  (aliquis)  auditur  damans. 

Grimm,  dans  ses  Deutsche  Rechtsalterthûmer  (p.  76),  cite 
des  exemples  variés  de  ces  mesures  de  distance  par  la  voix  de 
l'homme,  le  chant  du  coq,  l'aboiement  du  chien,  etc. 

4)  En  fait  de  mesures  agraires,  le  sanscrit  nous  offre  un 
terme  dont  le  sens  donne  lieu  à  de  curieux  rapprochements 
quant  au  procédé  mis  en  œuvre,  et  d'un  caractère  trop  spé- 
cial pour  s'expliquer  autrement  que  par  l'existence  d'une  an- 
tique coutume. 


—     74     — 

Le  nom  de  gôtiarman,  littér.  une  peau  de  vache,  est  appliqué 
à  un  espace  de  terrain  suffisant  pour  recevoir  cent  vaches  et 
un  taureau,  avec  leurs  veaux.1  On  entendait  sans  doute  par  là 
l'espace  que  l'on  pouvait  entourer  et  mesurer  au  moyen  d'une 
peau  de  vache  coupée  en  lanières.  C'est  là  du  moins  ce  qu'in- 
diquent de  nombreuses  analogies.  2 

D'après  Lassen  (Ind.  Alt.,  m,  976),  chez  les  Râgapu- 
tras  de  l'Inde,  chaque  cavalier  possédait  de  droit  un  éursa 
(c'est-à-dire  une  peau)  de  terre,  ce  qui  équivalait  à  ce  qu'on 
pouvait  labourer  en  un  jour.  On  sait  que  les  Anglo-Saxons  dé- 
signaient de  même  par  le  nom  de  hyde,  peau,  une  étendue  de 
terrain  suffisante  pour  le  labour  d'une  charrue  ou  l'entretien 
d'une  famille.5  Ce  ne  sont  encore  là  que  des  équivalents 
du  sanscrit  gôcarman,  mais  le  procédé  indiqué  pour  le  mesu- 
rage  se  justifie  par  plusieurs  traditions  remarquablement  con- 
cordantes. 

On  connaît  celle  de  Didon  (Enéid.,  I,  371;  Justin,  18,  4), 
qui  demande  en  Afrique  la  concession  de  l'espace  de  terrain 
qu'elle  pourrait  faire  entourer  d'une  peau  de  bœuf,  taurino 
quantum  possent  circumdare  tergo,  et  qui  fait  couper  cette  peau 
en  lanières  de  manière  à  enclore  une  vaste  étendue.  D'autres 
traditions  semblables  sont  moins  connues.  Je  les  rapporte 
d'après  Grrimm.4 

1  D.  P.  Suppl.,  t.  V,  1338,  gôcarman,  mesure  d'une  pièce  de  terre 
du  produit  de  laquelle  un  homme  peut  vivre  pendant  une  année. 
D'après  Wilson,  une  pièce  de  300  pieds  de  long  sur  10  de  large. 

2  Je  trouve  dans  les  Sanskrit  texts  de  Muir  (IV,  107),  un  passage 
du  Çatap.  Brâhm.,  qui  met  la  chose  hors  de  doute.  Il  y  est  dit  que  les 
Asuras  ou  démons  se  partagèrent  la  terre  en  la  divisant  au  moyen  de 
peaux  de  bœuf,  âukshnâiç  carmabhis. 

3  D'après  Boxhorn  (Dict.),  aussi  une  pièce  de  120  acres. 

4  D,  Rechtsalt.,  90  etsuiv. 


—     75     — 

Les  chefs  saxons  Hengist  et  Horsa,  à  leur  arrivée  en  An- 
gleterre, font  la  même  demande  que  Didon  et  usent  du  même 
stratagème. 

ïvar,  fils  de  Ragnar  Lodbrok,  se  fait  céder  en  Angleterre, 
par  le  roi  Ello,  autant  de  terrain  que  peut  recouvrir  une  peau 
de  bœuf.  Il  fait  tanner  et  bien  distendre  la  peau  d'un  grand 
bœuf,  qu'il  coupe  ensuite  en  minces  lanières,  puis  il  en 
entoure  un  vaste  espace  suffisant  pour  y  fonder  la  forte- 
resse de  Lundunaborg ,  Londres.  D'autres  récits  parlent  d'une 
peau  de  cheval,  et  placent  l'événement  dans  le  Northumberland 
et  à  York. 

Une  tradition  toute  semblable  se  reproduit  encore  dans 
l'histoire  de  Raymond  et  de  Mélusine,  où.  Raymond  obtient 
de  Bertrand,  comte  de  Poitiers ,  tout  le  terrain  qu'il  pourra 
entourer  d'une  peau  de  cerf.  Le  procédé  mis  en  œuvre  ailleurs 
se  répète  également  ici. 

Il  serait  difficile  d'expliquer  ces  concordances  multipliées 
sans  les  faire  dériver  d'une  source  commune,  dont  le  point  de 
départ  ne  peut  se  trouver  que  chez  les  anciens  Aryas. 

§  179.  LES  DIVISIONS  DU  JOUR. 

Au  temps  de  la  vie  pastorale,  il  était  tout  naturel  de  dési- 
gner les  parties  du  jour  d'après  la  sortie  et  la  rentrée  des 
troupeaux,  ou  le  moment  de  traire  les  vaches.  Le  sanscrit,  sur- 
tout, est  encore  riche  en  termes  de  ce  genre  qui  reflètent  fidè- 
lement les  anciennes  habitudes,  et  leur  étude  peut  servir  à 
éclairer  l'origine  de  quelques  expressions  analogues  conservées 
par  les  autres  langues  ariennes. 

L'aube  du  jour  est  appelée  en  sanscrit  <jôsanc/a:  ou  sangava, 


—     76     — 

c'est-à-dire  le  rassemblement  des  vaches,  soit  pour  les  traire, 
soit  pour  les  conduire  au  pâturage.  On  disait  aussi  gôsarga,  la 
sortie  des  vaches,  ou  simplement  pratisara,  la  sortie.  Un 
autre  synonyme  très-caractéristique  est  strîghôsha,  littér.  le 
grand  bruit  des  femmes.  Ceci  nous  transporte  immédiatement 
au  milieu  de  la  scène  que  devait  offrir  le  point  du  jour,  alors- 
que  les  femmes  se  mettaient  à  l'œuvre  pour  traire  les  vaches 
avant  leur  sortie,  opération  qui,  à  coup  sûr,  ne  s'effectuait  pas 
en  silence. 

Un  terme  semblable  à  sangava,  mais  appliqué  au  soir  au 
lieu  du  matin,  doit  avoir  été  âgava,  à  en  juger  par  l'adj.  âga- 
vîna,  qui  signifie  :  occupé  jusqu'au  retour  des  vaches  (D.  P., 
v.  c).  Le  soir  est  encore  appelé  tishthadgu  (  de  sthâ  +  gô  ), 
c'est-à-dire  le  moment  où  la  vache  se  tient  immobile  pour  se 
laisser  traire  après  le  coucher  du  soleil  (ibid.,  v.  c). 

Aucun  de  ces  noms  significatifs  ne  paraît  se  retrouver  en 
dehors  du  sanscrit,  mais  les  langues  congénères  en  possèdent 
quelques-uns  du  même  genre. 

1)  Pour  désigner  une  partie  de  la  nuit,  Homère  emploie 
l'expression  de  vvktoç  d^oXyœ  (77.,  xv,  324  ;  Hymn.  in 
Merc.}  7),  dont  le  vrai  sens  est  encore  débattu.  Il  semble  dif- 
ficile de  ne  pas  admettre  un  rapport  entre  dfAoXyog  et  ctpiX- 
yav,  traire,  comme  l'ont  fait  les  anciens  grammairiens,  et  d'y 
voir  le  moment  de  traire  les  vaches,  soit  à  la  tombée  de  la 
nuit,  soit  au  crépuscule  du  matin.  Telle  est  aussi  l'opinion  de 
Voss  qui  traduit  vvktoç  dfAoXyû  par  :  in  dâmmernder  stunde 
der  melkzeit,  à  l'heure  crépusculaire  où  l'on  trait.  On  trouve 
dans  Hesychius  dfJuoXydfyi  comme  synonyme  de  ^ecn?/^/- 
&,  il  est  midi.  Ainsi  que  l'observe  Pott  (Et.  F.,  II,  128), 
cela  ne  peut  guère  s'expliquer  que  par  la  coutume  de  traire 
au  milieu  du  jour,  aussi  bien  que  le  matin  et  le  soir,  comme  on 


—     77     — 

le  faisait  chez  les  Anglg-Saxons  au  mois  de  mai,  appelé  d'après 
cela  thrimilci, l  et  dpoKyâ&i  a  dû  signifier  :  il  est  temps  de 
traire.  En  tout  cas,  cette  acception  s'oppose  tout  à  fait  au  sens 
d'obscurité  que  l'on  a  cherché  dans  dfxo\yoç.2 

Une  conjecture  dont  j'ai  peine  à  me  défendre,  malgré  les 
objections  qu'elle  peut  soulever,  c'est  que  le  nom  germanique 
du  matin,  goth.  maurgins,  ags.  morgen,  scand.  morgun,  anc. 
ail.  morgan,  se  rattache  également  à  la  rac.  mrg  et  au  grec 
dfJLipyoù,  dfjLîAyûo,  etc.  Il  est  vrai  que  le  gothique  devrait  être 
régulièrement  maurkins  ;  il  est  vrai  encore  que  la  rac.  mrg  est 
déjà  représentée  en  germanique  par  la  forme  milk.  On  peut 
répondre  que  lorsqu'il  s'agit  de  mots  très-anciens  et  dont 
l'étymologie  était  oubliée,  les  transitions  phoniques  sont  par- 
fois irrégulières,  et  qu'ici  la  forme  primitive  peut  s'être  main- 
tenue à  côté  de  celle  qui  s'est  modifiée.  Quant  au  rapport  que 
l'on  a  cherché  entre  maurgins  et  les  noms  slaves  du  crépus- 
cule, russe  sumerki  (plur.),  pol.  zmrok,  mrok,  etc.,  il  faut  obser- 
ver d'abord  que  la  concordance  phonique  ne  serait  pas 
meilleure,  puisque  le  k  aurait  dû  devenir  h  en  germanique,  et 
ensuite,  que  l'anc.  si.  mraku,  sûmrakïï,  signifie  obscurité,  ténè- 
bres, mrukati,  tenebris  obduci,  ce  qui  ne  saurait,  à  coup  sûr, 
s'appliquer  au  matin  où  surgit  la  lumière.  Si  le  pol.  mrok  dé- 
signe le  crépuscule  du  matin,  aussi  bien  que  celui  du  soir,  ce 

1  D'après  Beda  :  Thrimilci  dicebatur,  quod  tribus  vicibus  in  eoper 
diem  mulgebantur  (Grimm,  Gesch.  cl.  cl.  Spr.,  80,  92,  110).  D'après 
Cormac  (  GL,  127  ),  le  commencement  du  printemps  était  appelé,  en 
irlandais,  ôimelc,  lait  de  brebis,  parce  que  c'était  le  moment  de  la 
venue  de  leur  lait. 

2  Par  exemple  :  Léo  Meyer  (Z.  S.,  VIII,  362),  qui  compare  le  scand. 
myrkr,  etc.  Cf.  Pott  (Et.  F.*,  t.  II,  1,  391,  sqq.)  et  Curtius  (Gr.  Et.*, 
174)  qui,  sans  chercher  d'autre  explication,  n'admet  pas  le  rapport 
avec  dfxi'Kyct). 


—     78     — 

n'est,  comme  l'observe  Bantke  (Poln.  Wb.,  v.  c),  que  par  un 
abus  de  langage. 

2)  Le  latin  mâtutinum  dérive  d'un  ancien  nom  de  l'au- 
rore ,  matuta,  à  laquelle  on  rendait  un  culte  en  Italie,  comme 
mater  Matuta}  L'adv.  mdne,  au  matin,  sans  doute,  pour 
matne,  indique  une  rac.  mat,  probablement  la  même  que  le 
scr.  math,  manth,  agitare.  A  la  forme  manth  se  rattache  l'anc. 
irl.  mâtan,  mâtin,  plus  tard  madain,  maidin,  erse  maduinn, 
pour  maritaux,  mantin,  à  cause  du  t  non  aspiré,  et  comme  le 
montre  l'armor.  mintin.  Ces  noms  de  l'aurore  et  du  matin  ex- 
primaient peut-être  le  réveil  du  mouvement  et  de  l'activité; 
mais  d'après  l'application  plus  spéciale  de  la  rac.  math,  manth, 
au  barattement  (Cf.  p.  41),  on  peut  croire  aussi  que  la  déesse 
Matuta  présidait,  dans  l'origine ,  à  l'opération  de  battre  le 
beurre,  laquelle  s'accomplissait  à  la  fraîcheur  de  l'aube.  L'adv. 
mâne  =  matne  équivaudrait  alors  au  scr.  manthanê,  au  barat- 
tement, pour  dire  au  matin,  et  l'irl.  mâtan  =  mantan,  armor. 
mintin ,  serait  exactement  manthana.  Nous  aurions  donc, 
ici  encore,  un  souvenir  de  la  vie  pastorale. 

3)  Les  langues  celtiques  ont,  pour  l'aube  du  jour,  un  autre 
mot  qui  leur  est  propre,  mais  qui  rappelle,  quant  au  sens,  le 
scr.  gôsarga,  la  sortie  des  vaches.  C'est  l'anc.  irland.  buarach, 
que  le  Glossaire  de  Cormac  explique  par  matan  moch,  grand 
matin,  en  cymrique  bore,  boreu,  en  armor.  beûré.  Cormac 
(p.  20),  déjà,  décompose  le  nom  irlandais  en  bô  arach  =  bo 
erge,  c'est-à-dire  le  lever  des  vaches  (Cf.  O'R.,  v.  c;  et  l'irl. 
eirghim,  surgo). 

4)  De  même  que  le  matin  tirait  quelques-uns  de  ses  noms 

1  Roseam  Matuta  per  oras  setheris  auroram  differt  et  lumina  pandit 
(Lucr.,  V,  654). 


—    79     — 

de  la  sortie  des  troupeaux,  le  soir  en  avait  qui  se  rattachaient 
à  leur  rentrée.  Ainsi  le  scr.  abhipitva,  soir,  et  rentrée,  retour, 
suivant  le  D.  P.,  de  abhi  et  pitva  pour  apitva,  participation 
(proximité  ?),  subst.  formé  de  la  préposition  api  =  £7rt,  qui  ex- 
prime, en  général,  un  mouvement  vers  quelque  chose.  Cf. 
prapitva,  proximité,  et  le  contraire,  apapitva,  séparation,  éloi- 
gnement.1  Je  crois  que  tel  est  aussi  le  sens  primitif  d'un 
groupe  de  noms  du  soir  qui  appartient  à  plusieurs  langues 
européennes. 

Ce  groupe  se  compose  d'abord  Au  grec  \<r7TipQç,  lat.  vesper, 
d'où  peut-être  le  corn,  gwesper  et  l'armor.  gonsper,  puis,  avec 
une  gutturale  ou  une  palatale  remplaçant  la  labiale,  de  l'irl. 
feascar,  erse  feasgar,  du  lith.  wâkaras,  lett.  wakkars,  de  l'anc. 
slave  et  russe  vecerû,  pol.  ivieczor,  etc.  La  difficulté  est  de  sa- 
voir à  laquelle  de  ces  deux  consonnes  appartient  la  priorité, 
ce  qui  conduit  à  des  interprétations  différentes.  Bopp,  qui  ad- 
met le  p  comme  primitif,  cherche  dans  vesper,  vespera,  une 
forme  mutilée  du  sansc.  divaspara,  c'est-à-dire  l'autre  partie, 
la  seconde  partie  du  jour.  Pott,  dans  la  même  supposition, 
remplace  divas,  gén.  de  div,  par  l'adv.  avas,  deorsum,  et  ex- 

1  En  zend,  rapithwa  =  frapithwa?  désigne  le  milieu  du  jour, 
peut-être  comme  le  moment  de  la  rentrée  pour  le  repos.  Le  lithuan. 
pëtus,  midi,  s'il  est  pour  apëtus,  comme  en  sansc.  pi  pour  api,  se 
lierait  aux  mêmes  formations.  Cf.  apipétys,  le  moment  de  midi,  pa- 
pëtys,  l'après-midi,  prëszpëtys,  près  de  midi.  J'ajouterai  que  Justi 
(31)  considère  rapithva ,  midi  et  sud,  comme  une  abréviation  de 
arcmpitu,  midi,  sans  expliquer  ce  mot  qui  semble  composé  de  arem, 
pour  (cf.  scr.  aram,  adv.,  prêt,  présent),  et  àepitu,  nourriture,  ce  qui 
se  rapporterait  au  repas  du  milieu  du  jour.  Le  zend  frapitu,  abon- 
dance, superflu,  n'aurait,  d'après  Justi  (198),  qu'un  rapport  apparent 
avec  le  sanscrit  prapitva.  Les  autres  composés  analogues,  tarôpithva, 
mauvaise  nourriture,  dâityôpithva,  nourriture  normale,  nidhâtôpitu, 
adj.,  pourvu  de  nourriture,  conduisent  tous  à  un  sens  différent  des 
termes  sanscrits. 


—     80     — 

plique  vesper  par  le  côté  d'en  bas,  relativement  au  cours  du 
soleil  (Et.  F.2,  I,  595,  2e  édit.).  Ces  rapprochements  sont  sans 
doute  quelque  chose  de  très-spécieux,  mais  les  droits  de  la 
gutturale  à  la  priorité  peuvent  aussi  être  défendus  par  de 
bonnes  raisons.  On  sait  que  le  grec  change  fréquemment  le  k 
en  p,  et  le  latin  vesper  a  pu  se  modeler  sur  la  forme  hellé- 
nique ;  mais  il  n'y  a  pas  d'exemple  d'un  p  primitif  changé  en 
k  ou  en  c,  dans  le  lithuanien  et  le  slave.  L'irland.  feascar  ne 
prouverait  rien  par  lui-même,  car  ici  le  c  peut  avoir  remplacé 
un  p,  comme  dans  d'autres  cas  ;  mais  le  cymrique,  qui  suit 
ordinairement  la  règle  du  grec  pour  la  substitution  du  p,  nous 
offre,  pour  le  soir,  la  forme  inattendue  iicher,  dont  le  ch  sem- 
ble provenu  de  se,  comme  dans  syeh  =  irl.  seasg,  siccus,  scr. 
çushka.  Ainsi  ucher  pour  uscer,  et  wescer,  gwescer,  répondraient 
à  feascar,  dont  le  c  serait  bien  primitif. 

En  adoptant  la  conjecture  de  Pott  pour  le  premier  élément 
du  composé,  savoir  ves,feas  =  scr.  avas,  mais  dans  le  sens  de 
citra  ou  de  la  préposition  ava,  ab,  de,  on  peut  rattacher  avec 
probabilité  le  second  composant  à  la  rac.  sansc.  car,  ire,  am- 
bulare,  pasci,  etc.  (  Cf.  p.  15  ).  Nous  obtiendrions  ainsi  un 
thème  avaséara  avec  la  signification  de  retour  ou  de  départ  du 
pâturage,  pour  désigner  le  soir,  et  qui  rendrait  bien  compte 
des  formes  gréco-latines  et  celtiques,  tandis  qu'un  synonyme 
avacara  expliquerait  le  slave  veéeru  et  le  lith.  wâkaras.  Toute- 
fois, comme  le  scr.  car  précédé  de  ava  signifie  descendre,  ces 
noms  du  soir  pourraient  aussi  n'avoir  exprimé  dans  l'origine 
que  la  descente  du  soleil,  occasus,  ou  de  la  nuit  qui  tombe  du 
ciel. 1 

1  Curtius  (Gr.  £"L3,  352)  croit  à  un  rapport  avec  le  sansc.  vasati, 
nuit,  et  l'allem.  west,  occident,  de  vas,  envelopper,  couvrir  ;  mais 


—     81     — 

5)  On  trouve  encore  en  Allemagne  des  exemples  de  cette 
manière  d'indiquer  les  moments  du  jour  par  la  sortie  et  la 
rentrée  du  bétail.  D'après  diverses  lois  locales  citées  par 
Grimm: *  «  Les  gens  (laiten)  doivent  venir  quand  la  vache  re- 
«  vient  du  pâturage,  à  midi,  et  s'en  retourner  quand  la  vache 
«  retourne  au  pâturage.  Le  moissonneur  doit  sortir  le  matin 
«  quand  la  vache  sort,  et  rester  dehors  jusqu'à  ce  que  la  va- 
«  che  revienne  à  l'étable.  »  Cependant  les  langues  germani- 
ques n'ont  aucun  nom  du  soir  ou  du  matin  qui  s'y  rattache, 
car  l'anc.  ail.  âbant,  soir,  me  paraît  se  rapporter  aux  travaux 
de  l'agriculture.  Je  crois  y  voir,  en  effet,  un  composé  du  pré- 
fixe a  =  sansc.  ava,2  et  d'un  subst.  dérivé  de  bintan,  lier  = 
scr.  bandh,  avec  le  sens  de  moment  où  l'on  délie  les  bœufs.  Ceci 
rappelle  tout  à  fait  le  grec  (iovÀvToç  ou  (iovAvciÇj  soir,  dont 
la  signification  est  la  même,  et  qui,  déjà  dans  Homère,  s'est 
généralisé  jusqu'à  s'appliquer  au  coucher  du  soleil  (IL,  xvi, 
799  ;  Od.,  ix,  58). 

Quumvero  sol  transiret  ad  occasum. 


§  180.  LA  VACHE  ET  QUELQUES  NOMS  DE  PLANTES 
ET  D^OISEAUX. 

1)  Dans  toutes  les  langues,  les  plantes  sont  souvent  dési- 
gnées par  voie  de  comparaison  avec  les  divers  organes  des 
animaux,  d'après  quelques  ressemblances  plus  ou  moins  pro- 
cela ne  s'accorderait  plus  avec  les  formes  lithuan. -slaves.  Fick  (492) 
les  laisse  de  côté,  en  supposant  un  thème  européen  vaskara  qu'il 
n'explique  pas. 

1  Deut.  Rechtsalt.,  p.  36. 

2  Cf.  Pott  (Et.  F.,  2e  édit,  I,  620)  pour  les  exemples  de  â  —  ava. 

II  6 


—     82     — 

noncées,  et  ce  sont  naturellement  les  animaux  les  plus  fami- 
liers qui  fournissent  les  points  de  rapprochements.  Aussi  les 
noms  de  plantes  qui  se  rattachent  à  la  vache  sont-ils  surtout 
nombreux  chez  les  peuples  pasteurs,  et  quelques-uns  peuvent 
avoir  une  origine  très-ancienne.  Les  Indiens,  qui  ont  conservé 
longtemps  les  habitudes  pastorales,  en  possèdent  la  collection 
la  plus  riche,  et  presque  toutes  les  parties  de  la  vache  figurent 
dans  la  nomenclature  botanique  du  sanscrit.  Ainsi  l'on  trouve, 
pour  diverses  plantes,  les  noms  de  gavâkshâ,  œil  de  vache,1 
gokanta  et  gôkshura,  sabot  de  vache,  gokarnî,  oreille  de  va- 
che,1 gôçîrshaka,  tête  de  vache,  gôlômi,  poil  de  vache,  gôgihvâ, 
langue  de  vache,  gonasî,  nez  de  vache,  gôçrnga,  corne  de  va- 
che, gôstanâ,  pis  de  vache,  etc.  Les  plus  intéressants  pour 
nous  sont  ceux  qui  se  retrouvent  dans  quelques  langues  euro- 
péennes, sans  s'appliquer  toutefois  aux  mêmes  espèces  de 
plantes,  et  sans  offrir  autre  chose  que  des  équivalents  des  com- 
posés sanscrits.  Cela  ne  prouve  pas  qu'ils  ne  puissent  en  fait 
avoir  une  origine  commune,  car,  du  moment  que  leur  significa- 
tion restait  vivante,  leurs  éléments  ont  dû  changer  avec  les 
langues  elles-mêmes.  Il  n'y  en  a,  du  reste,  qu'un  petit  nom- 
bre d'exemples,  ainsi  : 

Scr.  gôgihva,  langue  de  vache  ou  de  bœuf,  Elephantopus 
scaber.  —  Cf.  le  pers.  gôzabân,  buglosse  ;  le  gr.  (iovyA&iovoç, 
Y  ancien  allemand  ohsenzimga,  le  cymr.  tafod  yr  ych,  l'armor. 
téôd  ejenn ,  l'erse  teangandaimh ,  le  russe  volovïî  iazykû, 
le  polonais  iëzyk  ivolowy,  etc.,  etc.,  tous  avec  le  même  sens. 
Le  lithuanien  godas  ou  gudas,  buglosse,  semble  avoir  con- 
servé le  nom  de  l'animal,  en  composition  avec  un  nom  altéré 
de  la  langue. 

1  Cf.  zend  yaokerèna,  le  haoma  blanc  (Spiegel,  Vendid.,  XX,  17). 


—     83     — 

Scr.  gôçrnga,  corne  de  vache,  plante  non  déterminée.  — 
Cf.  grec  (ZovKepctç,  Pœnum  grœcum,  appelé  en  allem.  bocks- 
horn. 

Scr.  gôstanâ,  -m,  pis  de  vache,  espèce  de  raisin.  —  Cf.  gr. 
(icv[AcL<rôoçi  id.,  espèce  de  raisins  à  gros  grains  (t.  I,  p.  311). 

Je  ne  doute  pas  qu'on  ne  trouve  dans  les  noms  vulgaires 
des  plantes  d'autres  exemples  de  coïncidences  semblables. 

2)  J'ai  parlé  déjà  de  la  nature  des  rapports  qui  s'établis- 
sent entre  certains  oiseaux  et  les  animaux  domestiques,  rap- 
ports que  l'observation  populaire  interprète  à  sa  manière.  Cf. 
pour  ceux  qui  concernent  la  vache  avec  le  pigeon  et  quelques 
espèces  d'Ardea,  t.  I,  p.  496,  etc.  J'ai  montré  les  analogies 
de  sens  qui  se  révèlent  entre  plusieurs  noms  sanscrits  d'oi- 
seaux, tels  que  gosâda,  gônândî,  gôbaka,  et  en  Europe,  (iovSv- 
TY\ç^  culufre,  cusceote,  etc.  On  peut  en  signaler  d'autres  encore. 
Ainsi  l'erse  budaighir,  espèce  d'Ardea,  paraît  s'expliquer  par: 
espoir  ou  confiance  de  la  vache,  de  bu  =  bo,  et  daigh,  doigh, 
spes,  fiducia,  ce  qui  répond  à  gônandî,  joie  de  la  vache.  En 
allemand,  kuhstelze,  motacilla  boarula,  et  kuhvogel,  bergeron- 
nette, indiquent  des  rapports  du  même  genre.  D'où  est  venu 
au  bouvreuil,  de  bovariolus,  diminutif  du  bas-latin  bovarius, 
ce  nom  de  petit  bouvier  ?  Sans  doute  de  quelque  habitude  de 
l'oiseau  que,  cependant,  je  ne  vois  mentionnée  nulle  part. 

Ici,  comme  pour  les  plantes,  les  analogies  ne  concernent 
que  la  signification  des  noms,  mais  pourraient  bien  se  fonder 
sur  d'anciennes  dénominations  modifiées  dans  la  suite  des 
temps. 


—     84     — 


§  181.  VERBES  DÉRIVÉS  DU  NOM  DE  LA  VACHE. 

Une  des  preuves  les  plus  frappantes  de  la  haute  ancienneté 
de  quelques-uns  des  mots  de  l'époque  pastorale,  c'est  assuré- 
ment d'en  voir  surgir,  en  sanscrit  déjà,  et  même  dans  l'idiome 
védique,  des  verbes  d'une  signification  générale  et  abstraite, 
lesquels  prennent  parfois  la  forme  de  racines  primitives.  Nous 
en  avons  vu  déjà  quelques  exemples,  comme  gup  (  gugôpa  ), 
tegeri,  tueri,  observare,  dérivé  de  gôpa,  vacher  (  Cf.  p.  62  ), 
gavêsh,  quasrere,  dérivé  de  gavish,  qui  désire  des  vaches  (Cf. 
p.  69).  J'en  ajoute  ici  deux  autres. 

De  gôshtha,  station  de  vaches  (  Cf.  p.  24  ),  s'est  formé  un 
verbe  gôsht  (gôshtatê),  plus  correctement  gôsth,  avec  le  sens 
de  coacervare,  accumulare,  parce  que  les  gôshtha  étaient  des 
lieux  de  réunions  nombreuses  pour  les  pasteurs  et  les  trou- 
peaux. Aussi  le  féminin  gôshthî  a-t-il  pris  l'acception  générale 
d'assemblée,  de  société,  puis  de  camaraderie,  de  conversation, 
de  discussion ,  et  il  en  est  venu  même  à  désigner  une  sorte  de 
composition  dramatique  en  un  acte,  un  dialogue.  Le  titre  de 
gôshthîpati  est  devenu  celui  d'un  chef  de  famille  et  d'un  pré- 
sident d'assemblée.  Un  autre  composé,  gôshthaçva,  signifie  en- 
vieux, malicieux,  médisant,  en  parlant  surtout  d'une  personne 
sédentaire  qui  aime  à  dire  du  mal  de  ses  voisins.  Le  sens  pri- 
mitif est  celui  de  chien  d'un  gôshtha,  sans  doute  parce  que  les 
chiens  de  garde  des  stations  de  vaches  aboyaient  contre  tous 
les  passants. 

L'autre  exemple  est  le  scr.  gôm  (gômayati),  illinere,  ungere, 
en  général,  mais  littér.  enduire  de  bouse  de  vaches,  gômaya, 


—     85     — 

bovinum,  substance  dont  les  Indiens,  comme  on  le  sait,  fai- 
saient un  grand  usage. 

Deux  anciens  dénominatifs  de  ce  genre,  savoir  gup  et  gavy, 
nous  ont  paru  se  retrouver  dans  le  lithuanien,  le  grec  et  le 
latin  avec  des  transitions  de  sens  analogues  aux  précédentes. 
Cela  peut  faire  croire  à  l'existence  d'autres  formes  sembla- 
bles conservées  ici  et  là  par  les  langues  européennes  seule- 
ment, et  dont  la  signification  primitive  était  oubliée.  Je 
crois  pouvoir  en  signaler  deux  cas  dans  l'ancien  slave,  sans 
me  dissimuler  que  j'entre  ici  sur  le  terrain  un  peu  aventureux 
de  l'étymologie  très-conjecturale.  Aussi  les  rapprochements 
qui  suivent  ne  sont-ils  présentés  qu'à  titre  d'hypothèses  en- 
core problématiques. 

L'ancien  slave  gobïziti,  divitem  fieri  ou  reddere,  de  gobïzû, 
prosper,  d'où  gobizïnû,  dives,  gobïzovatïï,  prosper,  etc.,  me 
paraît  être  un  composé  dont  le  second  élément  se  rattache  à 
la  rac.  ;scr.  bhag,  colère  et  obtinere,  possidere,  d'où  bhaga, 
prospérité,  fortune,  bhagana,  possession,  jouissance,  etc.  Le  z 
slave  serait  ici  pour  g,  comme  dans  znati,  noscere  =  gnâ,  zàbu, 
dens  =  gambha,  mlïzâ,  mulgeo  =  mr$,  etc.  Mais  que  peut 
être  go,  inconnu  d'ailleurs  comme  préfixe  en  slave  ?  Y  aurait- 
t-il  improbabilité  à  y  voir  le  nom  de  la  vache  que  nous  avons 
retrouvé  déjà  dans  le  slave  gospodu  (  Cf.  p.  64  ),  et  auquel 
appartient  aussi,  à  coup  sûr,  govedu,  bos  (Cf.  t.  I,  p.  410). 1  Le 
sens  que  l'on  obtiendrait  ainsi  serait  certainement  très-plau- 
sible, car  être  riche,  aux  anciens  temps,  c'était  posséder  des 
vaches.2  Un  composé  sanscrit  tout  semblable  se  présente  dans 

1  Cf.  aussi  Fane.  si.  gobino,  -na,  copia,  fruges,  gobinïnû,  copiosus, 
avec  le  scr.  gavini,  troupeau  de  vaches. 

2  Le  goth.  gabigs,  riche,  qui  manque  aux  autres  langues  germani- 
ques, est. peut-être  emprunté  au  slave  gobïzû. 


—     86     — 

gôgâgarika,  prospérité,  bonheur,  fortune,  évidemment  de  gô, 
et  gâgarika,-raka,  vigilance,  -rûka,  vigilant,  de  gâgr,  vigilare, 
intentum  esse,  providere,  la  prospérité  résultant  des  soins 
vigilants  que  l'on  donnait  aux  vaches. 

Ceci  nous  conduirait  à  expliquer  d'une  manière  analogue 
l'anc.  slave  gotoviti  ou  gotovati,  parare,  gotovu,  paratus,  etc., 
que  Miklosich  déjà  regarde  comme  composé  avec  la  rac.  ty, 
de  tyti,  pinguescere  =  scr.  tu  (  taviti),  crescere.  C'est  sans 
doute  à  tort,  toutefois,  qu'il  le  croit  provenu  du  goth.  taujan, 
gataujan,  facere,  car  taujan  ne  saurait  se  ramener  au  scr.  tu,  à 
cause  de  son  t  non  aspiré,  et  de  la  différence  des  significations. 
En  slave  même,  ty  se  développe  en  tov,  et  prend  un  sens  cau- 
satif  dans  le  serbe  toviti,  pabulum  amplum  prsebere.1  D'après 
cela,  et  si  go  est  bien  ici  le  nom  de  la  vache,  gotoviti  aurait 
signifié  primitivement  faire  croître  la  vache,  la  bien  nourrir, 
puis,  en  général,  s'occuper  avec  soin  d'une  chose,  préparer, 
apprêter.  Cette  transition  n'a  rien  de  plus  forcé  que  celles  de 
désirer  des  vaches  à  chercher  mentalement,  ou  de  garder  des 
vaches,  à  observer  en  général,  qui  ont  été  signalées  pour  le  scr. 
gavêsh  et  gup. 

Si  ces  verbes  slaves,  ainsi  interprétés,  ne  remontent  pas  au 
temps  de  l'unité  arienne,  ils  sont  du  moins  fort  anciens,  puis- 
que leur  sens  propre  était  complètement  oublié.2 

1  Miklos.,  Beitr.,l,  231. 

2  Un  exemple  remarquable  des  liaisons  semblables  d'idées  entre 
la  possession  des  vaches,  et  la  richesse,  la  prospérité,  le  rang  social 
et  même  la  culture  intellectuelle,  se  présente  dans  l'irlandais  huas, 
dont  il  a  été  question  (p.  59),  comme  nom  de  deux  rivières,  et  qui 
signifie:  abondant  en  bétail,  de  même  que  buasach  désigne  un  homme 
qui  a  beaucoup  de  vaches.  Or,  d'après  Cormac  (Gl.,  27  et  22),  buas, 
gén.  buaisse,  signifie  aussi  science,  pleine  connaissance  de  la  poésie; 
et  O'Dav.  (GL,  56)  l'explique  par  innbea,  dans  O'R,  inbhc,  dignité, 
rang,  bonheur,  bien  temporel,  inbheach,  éminent,  de  hautrang.  On 


87     — 


ARTICLE   VII. 


§  482.  LE  SYMBOLISME  MYTHIQUE  DE  LA  VACHE. 

On  doit  reconnaître,  d'après  tout  ce  qui  précède,  quelle 
place  considérable  tenait  la  vache  dans  la  vie  des  anciens 
Aryas,  de  combien  d'intérêts  divers  elle  constituait  pour  eux 
comme  le  centre.  Ce  fait  reçoit  une  nouvelle  évidence  de  ce 
que  l'animal  domestique,  source  de  tant  de  bienfaits,  était  rat- 
taché par  toute  sorte  d'images  et  de  mythes  aux.  phénomènes 
de  la  nature  et  aux  croyances  religieuses.  Dans  la  poésie  des 
Vêdas,  qui  nous  reporte  si  haut  vers  l'ancienne  vie  pastorale, 
l'image  de  la  vache  surgit  à  chaque  instant  et  à  propos  de 
tout.  Les  fleuves  qui  s'épanchent  vers  la  mer  sont  des  vaches 
qui  courent  à  l'étable  ;  les  nuages  sont  des  troupeaux  de  va- 
ches que  traient  les  vents,  et  dont  le  lait  nourrit  la  terre  ;  et  la 
terre,  à  son  tour,  est  une  vache  qui  donne  tous  les  biens.  Les 
rayons  du  soleil,  ou  bien  les  eaux  du  ciel,  sont  les  vaches  que 
le  démon  Vrtra,  le  nuage  personnifié,  retient  captives,  et  que 
délivre  le  dieu  Indra  en  le  frappant  de  la  foudre.  Les  premiers 
feux  de  l'aurore  sont  les  vaches  rouges  que  la  déesse  du  matin 
attelle  à  son  char.  Le  soleil  est  le  taureau  qui  règne  en  maître 

trouve,  ibid.,  buasamhail  =  soaim   no   gaoth,  riche   ou    sage,   et, 
p.  57,  buasach,  victorieux. 

Un  autre  exemple  du  même  genre  se  trouve  encore  dans  le  persan, 
où  gôhar,  gawhar,  famille,  race,  descendance,  proprement,  comme 
le  scr.  gôtra,  entretien  et  possession  de  vaches  (Cf.  p.  53),  prend  les 
acceptions  de  chose  précieuse,  joyau,  perle,  etc.,  puis  d'homme  noble 
et  généreux  (gawhâri,  adj.),  puis,  au  moral,  de  toute  vertu  cachée, 
et,  enfin,  d'intelligence  et  de  science. 


—     88     — 

sur  le  troupeau  des  vaches  célestes,  c'est-à-dire  les  étoiles.  Ces 
images  s'étendent  même  aux  idées  morales,  et  c'est  ainsi  que 
la  libation  et  la  prière  sont  comparées  à  des  vaches,  à  cause 
des  bienfaits  dont  elles  sont  la  source.  Plusieurs  de  ces  con- 
ceptions symboliques  appartiennent  sans  doute  exclusivement 
au  monde  de  l'Inde,  mais  quelques-unes  se  présentent  certai- 
nement comme  un  héritage  des  temps  tout  à  fait  primitifs, 
ainsi  que  nous  chercherons  à  le  montrer. 

Rien  n'indique  cependant,  pour  l'époque  védique,  et,  à 
plus  forte  raison,  pour  celle  de  l'unité  arienne,  ce  respect 
excessif  de  la  vache  qui  s'est  développé  plus  tard  dans 
l'Inde,  sans  aller  toutefois  jusqu'au  culte,  comme  on  l'a  dit 
faussement.  Jamais  les  Indiens  n'ont  adoré  l'animal  à  la 
manière  des  Egyptiens,  et  leur  vénération  s'explique  suffi- 
samment par  le  fait  que  la  vache  leur  fournissait  quelques- 
uns  des  principaux  ingrédients  pour  les  offrandes  du  sacri- 
fice, le  lait  caillé,  dadhi,  et  le  ghrta,  ou  beurre  clarifié.  On  mêlait 
aussi  du  lait  avec  le  sôma,  liqueur  spiritueuse  consacrée  plus 
spécialement  à  Indra^  et  personnifiée  sous  la  forme  du  dieu 
Sôma.  C'est  pour  cela  que  la  vache  était  appelée  la  mère  du 
sacrifice.1 

Cette  vénération,  cependant,  n'allait  pas  jusqu'à  respecter 
sa  vie  d'une  manière  absolue,  comme  le  prouve  déjà  le  nom 
de  gôghna,  qui  était  donné  à  l'hôte  (  Cf.  p.  66  ).  D'après  la 
tradition,  le  sacrifice  de  la  vache,  gômêdha  ou  gôyagna,  inter- 
dit depuis  le  commencement  de  Kaliyuga,  l'ère  du  monde  ac- 
tuel, était  antérieurement  en  usage  ;  et  si  le  taureau  et  la  va- 
che ne  devaient  pas  être  tués  (  aghnya,  aghnyâ,  t.  I,  451), 
c'était  à  cause  de  la  valeur  qu'on  y  attachait.  Chez  les  Grecs? 

1  Rigv.,  Langlois,  II,  104. 


—     89     — 

qui  ne  se  faisaient  pas  faute  de  se  régaler  des  bœufs  qu'ils  sa- 
criflaient;  on  trouve  des  souvenirs  analogues  d'un  respect 
presque  religieux  aux  temps  anciens.  Ainsi,  dans  les  Boupko- 
nies,  ou  sacrifices  de  bœufs  qui  se  célébraient  à  Athènes  à  la 
suite  des  fêtes  de  Cérès,  le  @ov(povoç,  en  sanscrit  gôlian^  ou 
(iovTV7roç,  s'enfuyait  après  avoir  frappé  la  victime  à  mort,  et 
les  assistants  se  défendaient  de  toute  participation  à  cet  acte  ; 
puis,  finalement,  le  couteau  seul  était  déclaré  coupable,  et 
lancé  comme  tel  au  fond  de  la  mer.  Tout  cela  pour  ne  point 
enfreindre  l'ordre  donné  par  Triptolème,  l'ami  de  Cérès,  de 
ménager  le  bœuf  de  labour.1         » 

Les  métaphores  hardies  par  lesquelles  les  chantres  ins- 
pirés des  Vêdas  poétisaient  la  vache  et  le  taureau,  ont  laissé 
des  traces  multipliées  dans  le  sanscrit  même,  et  ce  qui  n'était 
au  début  qu'un  jeu  de  l'imagination  s'est  transformé  plus  tard 
en  mythes  de  toute  sorte.  Ces  métaphores,  toutefois,  doivent 
avoir  été  familières  déjà  aux  Aryas  des  temps  de  l'unité, 
car  on  en  retrouve  également  des  réminiscences  manifestes, 
soit  dans  les  autres  langues  congénères,  soit  dans  les  mytholo- 
gies  de  l'Occident,  comme  on  le  verra  par  les  considérations 
qui  suivent. 

§  183.  LA  VACHE  ET  LA  TERRE. 

Plusieurs  des  noms  sanscrits  de  la  vache  désignent  aussi  la 
terre,  l'une  et  l'autre  étant  considérées  comme  la  source  de 
tous  les  biens.  Les  termes  qui  se  prennent  dans  ce  double  sens 
sont  gô,  ida,  ilâ  ou  ira,  aditi,  gagatî,  maki,  mâtar,  surabhi, 
en  partie  d'un  caractère  mythique.  H  en  est  de  même  du  zend 

1  Creuzer,  Symbolik,  im  Auszuge,  1822,  p.  754, 


—     90     — 

gâô,  vache  et  terre,  que  l'on  ne  sait  souvent  dans  quelle  accep- 
tion prendre  en  traduisant  l'Avesta.1  Aucune  de  ces  transi- 
tions ne  paraît  se  retrouver  dans  les  langues  européennes,  car 
le  grec  ycclct,  yyj9  ne  se  lie  pas  directement  à  go,  mais  à  ga- 
vya  qui  en  dérive  avec  le  sens  de  pâturage  (  Cf.  p.  20  ).  Le 
nom  de  A^fjbtfTfffi  peut-être  =  Tfjf*viTfi(>9  la  déesse  de  la  terre , 
n'a  de  rapport  immédiat  ni  avec  gô,  ni  avec  mâtar,  dans  le 
double  sens  ci-dessus,  bien  qu'il  se  rattache  d'une  manière  gé- 
nérale à  la  même  idée  de  production  universelle.  Tout  le  culte 
de  cette  déesse,  en  effet,  se  rapportait  à  l'agriculture,  quoi- 
qu'elle présidât  aussi  aux  troupeaux,  et,  si  on  la  représentait 
quelquefois  assise  sur  un  taureau,  c'était  par  allusion  au  bœuf 
de  labour.2 

Il  existe,  cependant,  un  cercle  de  mythes  où  les  idées  de  la 
vache  et  de  la  terre  se  rencontrent  parfois  dans  la  notion  com- 
mune des  sources  de  la  vie,  de  la  nourriture,  du  bien-être  et  de 
la  richesse.  C'est  celui  qui  concerne  la  vache  d'abondance, 
appelée  Kâmaduh,  Surabhî  et  Çabalâ  dans  les  traditions  de 
l'Inde,  et  dont  quelques  réminiscences  se  retrouvent  aussi  dans 
l'Occident. 

Le  nom  de  Kâmaduh  ou  Kâmadugha  signifie  celle  qui 
donne  à  celui  qui  la  trait  tout  ce  qu'il  désire.  Il  se  rencontre 
déjà  dans  des  textes  védiques,5  et  le  Rigvêda  parle  plus  d'une 
fois  de  la  vache  d'abondance.4  Cette  épithète  est  aussi  appli- 

1  Ainsi,  dans  les  Gâthâs,  Spiegel  traduit  gèus  urvâ  par  Yâme  du 
taureau,  et  Haug,  par  Yâme  de  la  terre,  ce  qui  conduit  à  des  concep- 
tions très-divergentes. 

2  Preller,  Griech.  Myth.,  I,  476. 

3  Voyez  la  citation  dans  le  D.  P.,  v.  c. 

*  Par  exemple  :  «  Indra  a  formé  le  soleil  et  la  vache  d'abondance.» 
(Langlois,  II,  104.)  «  A  la  voix  de  Bharadvâga,  préparez  le  lait  de  la 
vache  qui  donne  tous  les  biens.  »  (II,  479.)  —  «  La  prière  est  pour 


—     91     — 

quée  à  la  terre,  mahî,  prthivî;  par  exemple  dans  le  Bliâgava- 
tapurâna  (vt,  14,  10),  où  il  est  dit  que,  pour  le  roi  Tchitra- 
kêtu,  la  terre  était  kâmaduh,  ou  comme  la  vache  qui  donne 
tous  les  biens.1  Sous  le  nom  de  Surabhî,  la  désirable,  l'aimée, 
cette  vache  merveilleuse  est  célébrée  dans  le  Mahâbhârata 
comme  la  mère  de  toute  la  race  bovine,  et  ce  nom  désigne 
également  la  terre.  Enfin,  elle  figure  encore  sous  celui  de  Ca- 
bota ou  Çavalâ,  la  tachetée,  dans  le  bel  épisode  de  Ramâyana 
où  le  roi  Viçvamitra  veut  l'enlever  de  force  au  brahmane  Va- 
çishtha. 

Chez  les  Grecs,  c'est  la  corne  d'Amalthée,  la  cornu  copiai, 
qui  remplace  la  vache  d'abondance.  Elle  était  la  propriété  du 
dieu  des  fleuves,  Achéloiis,  comme  symbole  de  l'eau  qui  fé- 
conde tout,  et  Hercule  la  lui  enlève  avec  plus  de  succès  que 
n'en  a  Viçvamitra  pour  la  vache  Çabalâ.  La  chèvre  Amalthée 
elle-même,  la  nourrice  de  Jupiter,  représentait  la  force  nutri- 
tive, et  son  lait  était  la  pluie  bienfaisante,  de  même  que  sa 
peau,  l'Egide,  figurait  le  nuage  orageux  que  secoue  Jupiter 
pluvius  pour  en  faire  jaillir  les  eaux  fécondantes.2  On  recon- 
naît ici  des  rapports  analogues  à  ceux  que  les  mythes  védi- 
ques établissent  entre  le  dieu  Indra,  les  nuages  et  la  vache,  et 
auxquels  nous  reviendrons  plus  loin.  D'un  autre  côté,  la  corne 
d'abondance  était  un  des  attributs  de  Pluton  comme  dieu  de 
la  terre  et  des  richesses,3  ce  qui  fournit  une  nouvelle  analogie 
avec  les  mythes  orientaux.  Il  est  certain  que  la  vache  et  sa 

celui  qui  t'adresse  des  sacrifices  comme  la  vache  qui  donne  tous  les 
biens.»  (III,  255.) 

1  Cf.  dans  le  Bhâg.  Pur.,  t.  II,  p.  89,  éd.  Burnouf,  le  curieux  épi- 
sode de  Prthu,  qui  trait  la  terre. 

2  Cf.   Preller,   G%\  Myth.,  1,81,  etc.   Pott  explique  'Aftolxtou  par 
aux  +  ôMw,  celle  qui  fait  tout  croître  (Z.  S.,  IV,  427). 

3  Preller,  I,  490. 


—     92     — 

corne  étaient  à  tous  égards  des  symboles  mieux  appropriés 
que  la  chèvre  et  sa  corne  pour  figurer  l'abondance,  et  il  est 
fort  probable  que  le  mythe  primitif  a  passé  d'un  animal  à 
l'autre. 

Les  traditions  Scandinaves  offrent  aussi  quelques  rapports 
curieux,  et  plus  directs,  avec  les  mythes  indiens.  L'Edda  ra- 
conte comment  la  vache  cosmique  Audhumla  naquit,  à  l'ori- 
gine des  choses,  des  gouttes  de  vie  dans  Ginnûnga  gap, 
l'abîme,  en  môme  temps  que  le  géant  Ymir,  afin  de  le  nour- 
rir avec  les  quatre  torrents  de  lait  qui  coulaient  de  ses  ma- 
melles  ;  puis,  comment  ensuite,  en  léchant  les  rochers  de  sel, 
elle  en  fit  sortir  Buri,  le  premier  homme.  Dans  ce  mythe,  le 
géant  Ymir,  dont  le  corps  sert  plus  tard  à  construire  la  terre, 
représente  la  matière,  et  la  vache  Audhumla  est  la  source  de 
toute  nourriture,  la  mère  du  genre  humain,  une  véritable  Ça- 
balâ  cosmique.  C'est  aussi,  si  je  ne  me  trompe,  ce  que  son  nom 
môme  semble  indiquer.  Je  crois  y  voir,  en  effet,  une  contrac- 
tion de  Audthumbla,  composé  de  audr,  opes,  divitiae  (Cf.  au- 
dugrj  dives,  audna,  bona  fortuna,  et  le  goth.  audags,  ancien 
ail.  ôtag,  felix,  dives,  etc.  ),  et  de  thumbla  qui  se  rattache  à 
thembaz,  intumescere,  thambaz,  ingurgitare  ut  venter  tumes- 
cat,  thembr,  inflatus.  Cf.  anglo-sax.  thumle,  intestina.  Nous  au- 
rions ainsi,  comme  signification,  la  vache  dont  les  mamelles 
sont  gonflées  de  trésors,  la  Kâmaduh  par  excellence.  En  scr. 
tumbâj  tambâ,  tampâ,  désigne  la  vache  laitière  toute  prête  à 
traire,  c'est-à-dire  aux  mamelles  gonflées  par  le  lait;  la  chienne 
(qui  allaite  ?)  est  appelée  tumburî,  et  tumbâ  ou  tumbî  est  aussi 
le  nom  d'une  espèce  de  gourde,  semblable  sans  doute  à  une 
mamelle  gonflée.  La  racine,  d'ailleurs  inconnue,  de  ces  mots 
paraît  être  la  môme  que  celle  des  termes  Scandinaves  ci-dessus. 

Il  existait  sûrement,  dans  la  mythologie  du  Nord,  d'autres 


—     93     — 

traditions,  maintenant  perdues,  sur  la  vache  Audhumla.  On 
sait,  d'après  Tacite,  que  le  char  de  Nertkus,  la  déesse  de 
la  terre  chez  les  anciens  Germains,  était  traîné  par  des 
vaches,  et  les  Scandinaves  avaient  en  la  vache  une  foi 
toute  particulière,  âtrûnadhr  a  M.1  Il  est  raconté  que  le  roi 
Œgvaldr  possédait  une  vache  sacrée  qui  l'accompagnait  par- 
tout, sur  terre  et  sur  mer,  et  dont  il  buvait  le  lait.  Ce  qui  est 
plus  remarquable  encore,  c'est  qu'un  autre  roi  suédois,  Eys- 
teinn,  avait  aussi  une  vache  merveilleuse  qu'il  honorait  gran- 
dement, et  qui  portait  lé  nom  de  Sibilia,  lequel  rappelle  sin- 
gulièrement celui  de  la  vache  indienne  Çabalâ. 


§  184.  LES  VACHES  ET  LES  NUAGES. 

Rien  de  plus  naturel,  pour  un  peuple  de  pasteurs,  que  de 
comparer  les  nuées  mobiles  et  changeantes  à  des  troupeaux 
célestes,  et  la  pluie  qui  féconde  au  lait  nourrissant  des  vaches. 
Les  hymnes  védiques  nous  ont  conservé,  dans  leur  naïveté 
primitive,  les  mythes  que  l'imagination  des  anciens  pâtres 
a  rattachés  à  ces  phénomènes  naturels.  Pour  eux,  les  nuages 
sont  des  vaches  qui  appartiennent  à  Vâyu  et  aux  Marats,  les 
dieux  des  vents,  et  que  ces  divinités  traient  pour  produire  la 
pluie.  J'ai  touché  déjà  à  ce  sujet  (  Cf.  p.  34  ).  Aux  passages 
cités,  j'en  joins  encore  deux  autres  empruntés  à  la  traduction 
de  Langlois. 

«  Pour  toi  (Vâyu),  la  vache  au  lait  abondant  (le  nuage  ) 

<(  cède  tous  ses  trésors Ainsi  exauce  les  vœux  d'un  peuple 

«  innocent  :  que  toutes  ces  vaches  qui  dépendent  de  toi,  fas- 

1  Grimm,  D.  Mijthol,  p.  631,  2e  édit. 


—     94     — 

((  sent  descendre  sur  nous  leur  lait  doux  et  béni.  »  (T.  I, 
p.  330,  331). 

«  0  nobles  Maruts,  du  sein  de  l'océan  (  aérien  )  envoyez- 
<c  nous  la  pluie.  Versez  sur  nous  vos  torrents.  Les  vaches  qui 
«  vous  appartiennent  ne  sont  point  stériles.  »  (  T.  II,  340.  ) 

Ces  images  mythiques  ;  dont  il  serait  facile  de  multiplier  les 
exemples,  n'ont  pu  naître  que  chez  un  peuple  entièrement 
voué  à  la  vie  pastorale,  et  les  Indiens  les  ont  certainement 
reçues  de  leurs  ancêtres  les  Aryas  primitifs.  Partout  ailleurs 
elles  ont  presque  entièrement  disparu,  mais  en  laissant  des 
traces  manifestes  dans  les  noms  germaniques  et  slaves  de  la 
rosée  et  de  la  pluie,  que  nous  avons  vus  se  rattacher  à  la  racine 
duhj  traire,  ainsi  que  dans  le  grec  jUOÀyoç,  nuage. 

Suivant  un  autre  mythe  védique,  les  vaches  ne  sont  plus 
les  nuages,  mais  bien  les  eaux  que  le  démon  Vrtra  ou  Bala  y 
tient  renfermées  dans  une  caverne,  et  que  Indra  délivre  en 
foudroyant  l'ennemi.  C'est  pour  cela  que  le  mot  gô,  vache, 
désigne  aussi  l'eau  céleste  ou  terrestre  qui  féconde  tout,  le  lait 
des  nuages  aussi  bien  que  le  lait  ordinaire.  Si  l'on  se  souvient 
du  rôle  que  joue  l'océan  de  lait  dans  les  traditions  indiennes, 
on  ne  verra  rien  d'impossible  à  ce  que  l'irlandais  gô,  mer,  se 
lie  primitivement  au  même  cercle  d'idées.1 

§  185.  LES  VACHES  ET  LES  RAYONS  SOLAIRES. 

Le  sanscrit  gô  se  prend  encore  dans  l'acception  de  rayon, 
ce  qui  s'explique  par  une  autre  manière  de  concevoir  le  mythe 
du  combat  d'Indra  contre    Vrtra.   Ce  dernier,  dont  le  nom 

1  Dans  le  Hy  Fiachrach,  édité  par  O'Donovan  (p.  272,  273,  note), 
gô  est  traduit  par  sea,  mer. 


—     95     — 

même  signifie  :  celui  qui  couvre,  qui  enveloppe,  devient  le 
nuage  obscur  qui  retient  captifs  les  rayons  solaires,  c'est-à- 
dire  les  vaches  à? Indra  comme  taureau-soleil.  Celles-ci  alors 
sont  appelées  usriyâs,  ce  qui  équivaut  à  dire  les  lumineuses, 
les  rouges.1  La  même  métaphore  est  appliquée  parfois  à  l'Au- 
rore, Usrâ,  surnommée  la  mère  des  vaches,  et  qui  attelle  à  son 
char  la  troupe  des  vaches  rosées,  ainsi  qu'au  dieu  Agni,  qui  s'en- 
toure de   ses  vaches  lumineuses,   c'est-à-dire  de  ses  flammes.2 

Pour  en  revenir  à  ce  mythe  de  la  séquestration  des  vaches 
par  un  pouvoir  malfaisant,  et  leur  délivrance  par  un  dieu 
vainqueur,  mythe  qui  se  présente  déjà  sous  une  double  forme, 
il  a  subi  plus  tard  d'autres  modifications,  car  il  est  dans  la 
nature  des  traditions  de  ce  genre  de  se  métamorphoser  inces- 
samment. Ainsi  ailleurs  ce  sont  les  Panis,  compagnons  du  dé- 
mon Bala,  qui  ont  dérobé  les  vaches  des  Angirasides,  antique 
famille  sacerdotale,  et  qui  les  ont  cachées  dans  une  montagne. 
Indra  envoie  à  leur  recherche  la  chienne  céleste  Saramâ,  qui 
les  découvre  ;  puis  il  les  délivre  et  les  rend  aux  Angirasides.5 
Ici  déjà  la  signification  primitive  du  mythe  est  presque  déjà 
effacée  ;  il  n'est  donc  pas  étonnant  qu'en  s'éloignant  plus  en- 
core de  sa  source  première,  il  ait  changé  de  caractère,  tout  en 
conservant  quelques-uns  de  ses  traits  distinctifs. 

Le  principal  de  ces  traits,  le  vol  des  vaches,  se  retrouve  en 
effet,  et  chez  les  Grecs  et  chez  les  Romains,  mais  entouré  de 
circonstances  qui  diffèrent  considérablement.  Le  mythe  grec, 
le  plus  ancien  des  deux,  trahit  encore  son  origine  symbolique 
naturelle,  bien  que  son  caractère  badin  soit  tout  l'opposé  de  la 
grandeur  presque  tragique  du  récit  védique.  L'hymne  homé- 

1  Cf.  Rigv.,  I,  6,  5,  et  notre  t.  1.  p.  419. 

2  Cf.  Riyv.,  Langlois,  I,  307  ;  11, 1  ;  II,  201,  etc. 

3  Cf.  Rosen,  Rigv.,  Annot.,  p.  xxi. 


—     96     — 

rique  à  Mercure  nous  raconte  comment  le  petit  Hermès,  à 
peine  né,  imagine  de  voler  les  bœufs  de  son  frère  Apollon,  et 
par  quelle  ruse  ingénieuse  il  parvient  à  dérober  leurs  traces 
en  les  faisant  marcher  à  reculons.  Viennent  ensuite  tous  les 
expédients  mensongers  auxquels  il  a  recours  pour  dissimuler 
son  larcin,  la  colère  d'Apollon,  le  débat  en  présence  de  Ju- 
piter, et  enfin  la  réconciliation  des  deux  frères  quand  les 
bœufs  sont  retrouvés.  Si  l'on  voit,  avec  Preller,  dans  Hermès, 
le  dieu  de  la  pluie,  qui  dissout  et  fait  disparaître  les  nuages, 
c'est-à-dire  les  bœufs  d'Apollon,1  on  reconnaîtra  bien  que  le 
mythe  grec  se  rattache  au  même  ordre  d'idées  que  le  mythe 
indien.  La  circonstance  que  Hermès  était  aussi  le  dieu  des 
marchands,  et  de  leurs  ruses  peu  conformes  à  l'honnêteté, 
semble  former  un  trait  d'union  avec  celle  du  vol  des  vaches 
par  les  Panis,  car  pani,  en  sanscrit,  signifie  un  marchand. 

On  connaît  suffisamment  la  légende  d'Evandre  et  du  bri- 
gand Cacus,  qui  lui  dérobe  ses  bœufs  en  les  emmenant  par  la 
queue  dans  sa  caverne,  où  Hercule  les  lui  reprend  après 
l'avoir  tué.  Ici,  toute  allusion  aux  phénomènes  atmosphéri- 
ques a  disparu,  mais  on  ne  saurait  guère  douter  que  ce  mythe, 
comme  celui  de  Hermès,  ne  soit  une  réminiscence  d'une  an- 
tique tradition  de  l'époque  pastorale,  bien  plus  fidèlement 
conservée  par  la  poésie  védique.2 

§  486.  LES  VACHES  ET  LES  ASTRES,  LE  TAUREAU 
ET  LE  SOLEIL. 

Du  moment  que  les  rayons  solaires  sont  devenus  des  va- 
ches, le  soleil  devient  naturellement  un  taureau,   ou  bien  le 

1  Griech.  Myth.,  I,  242,  sq. 

2  Voy.  sur  ce  mythe,  l'excellent  travail  de  Bréal,  Hercule  et  Cacus, 
étude  de  mythologie  comparée.  Paris,  1863. 


—     97     — 

pâtre  divin  par  excellence.  C'est  pour  cola  que  gô,  au  mascu- 
lin, figure  parmi  les  noms  du  soleil,  et  du  ciel  étoile  en  géné- 
ral, car  les  astres  représentent  aussi  le  troupeau  des  vaches 
célestes.  Le  titre  de  gôpati,  maître  des  vaches  et  pasteur,  est 
donné  non-seulement  au  soleil,  mais  à  Krishna  et  à  Vishnu.1 
C'est  là  une  source  nouvelle  et  abondante  de  mythes  variés 
que  je  ne  veux  pas  suivre  dans  leurs  embranchements  multi- 
pliés, et  qui,  chez  les  Indiens  comme  chez  les  Grecs,  ont  leur 
origine  primitive  dans  l'ancienne  vie  pastorale.  Ici  seulement 
quelques-uns  des  rapprochements  les  plus  frappants. 

La  légende  indienne  de  Krishna,  incarnation  de  Vishnu, 
élevé  parmi  les  pâtres,  et  devenu  lui-même  un  dieu-pasteur, 
Gopâla,  Gôvinda,  légende  que  les  épopées  et  la  poésie  lyrique 
ont  développée  d'une  manière  brillante,  rappellent  singulière- 
ment l'Apollon  vofAioç,  et  les  mythes  qui  le  concernent.  Apol- 
lon, comme  Krishna,  remplit  l'office  de  pasteur  auprès  d'un 
mortel;  l'un  courtise  les  nymphes  comme  l'autre  les  gôpî  ou 
bergères  ;  l'un  tue  le  serpent  Python  comme  l'autre  le  dragon 
Kâliya;  tous  deux  ont  inventé  la  flûte,  et  se  plaisent  à  la 
musique  et  à  la  danse.  Ce  sont  là  des  traits  de  ressemblance 
assez  caractéristiques  pour  faire  présumer  une  origine  com- 
mune, bien  que  le  mythe  indien  ne  paraisse  pas  se  trouver 
dans  les  Vêdas,  et  n'ait  pris  ses  développements  que  dans  la 
poésie  épique  et  les  Purânas. 

Un  autre  fonds  d'analogies  se  présente  dans  les  troupeaux 
de  bœufs  sacrés  qui  appartenaient  à  Hélios,  le  dieu-soleil,  et 
que  gardaient  en  Sicile  ses  deux  filles,  <Pciiôov<rct,,  la  brillante, 

1  D'après  les  diverses  significations  de  gô,  gôpati  désigne  aussi  un 
roi,  comme  maître  de  la  terre,  et  le  dieu  Varuna  comme  maître  des 
eaux  et  de  l'océan. 

II  7 


—    98    — . 

et  AcL/*7riTivi,  la  rayonnante.1  Des  troupeaux  solaires  du  même 
genre  étaient  censés  exister  à  Taenaron  en  Elide,  et  dans  la 
colonie  corinthienne  Apollonia.2  Cela  ne  peut  guère  s'entendre 
que  des  rayons  ou  des  étoiles  dont  Hélios  était  le  berger, 
comme  le  Gôpati  indien. 

Le  mythe  du  taureau  solaire  tient  une  grande  place  dans 
la  religion  des  Parses  et  le  culte  de  Mithra  ;  et  l'Avesta  déjà 
en  contient  les  traits  principaux,  mais  en  allusions  trop  peu 
développées  pour  être  interprétées  avec  sûreté.  Le  gaoçpenta, 
ou  taureau  sacré  et  cosmique  du  Vendidad,3  créé  par  Or- 
muzd,  le  Gayomard  du  Boundehesh,  paraît  représenter  la 
terre;  mais  une  partie  de  sa  semence  a  été  transférée  au  soleil 
après  sa  mort,4  et  l'idée  du  taureau  solaire  et  lunaire  existait 
sans  doute  chez  les  Iraniens  comme  chez  les  Indiens. 

Le  sanscrit  gô,  masc,  en  effet,  est  aussi  un  des  noms, 
d'ailleurs  tous  masculins,  de  la  lune,  dans  laquelle  on  pouvait 
aisément  voir  un  taureau,  à  cause  des  cornes  de  son  croissant  ; 
et,  dans  l'Avesta,  la  lune  est  appelée  gaoéithra,  c'est-à-dire  qui 
contient  la  semence  du  bétail,  ce  qui  est  l'équivalent  de  tau- 
reau.5 Les  traditions  grecques  relatives  à  la  vache  Io  parais- 
sent en  faire  également  une  personnification  de  la  lune  et  de 
ses  phases.  Elle  paît  dans  le  bois  sacré  Junon,  c'est-à-dire 
dans  le  ciel,   gardée  par  Argus  aux  mille  yeux,  le  firmament 

1  Odys.,  xn,  126. 

2  Preller,  Gr.  Myth.,1,  291. 

3  Vendid.,  xxn,  1,  éd.  Brockhaus,  p.  187.  Il  est  singulier  que  la 
vraie  signification  du  gaoçpenta  zend  ait  été  si  bien  oubliée  plus 
tard,  que  déjà  l'huzv.  gôçpand,  parsi  gôçpend,  persan  gôsfand,  etc., 
ne  désignent  plus  que  le  menu  bétail,  chèvres  ou  moutons  (  Cf. 
Justi.p.  100). 

4  Spiegel,  Avesta,  l,  258. 
«  Cf.  ibid.,  261. 


—     99     — 

étoile,  que  Hermès,  surnommé  'ApyttQovrtiç,  couvre  et  obs- 
curcit en  sa  qualité  de  dieu  des  nuages  et  de  la  pluie.1  C'est 
encore  là  un  mythe  d'une  origine  pastorale,  mais  développé 
plus  tard  avec  d'autres  caractères  par  l'imagination  des 
Grecs. 

Une  fois  les  étoiles  comparées  à  un  troupeau  de  vaches 
célestes,  on  était  conduit  à  voir  dans  la  voie  lactée  le  chemin 
qu'elles  suivent  pour  aller  au  pâturage  et  en  revenir.  Le  scr. 
(jôvîthî,  ou  chemin  des  vaches,  n'a  pas,  il  est  vrai,  ce  sens,  et 
s'applique  à  une  portion  de  l'orbite  lunaire,  tandis  que  la  voie 
lactée  est  appelée  suravîthî  ou  dêvayâna,  le  chemin  des  dieux. 
Le  synonyme  de  gôvîthi  est  gôpatha,  qui  ne  s'est  trouvé  jus- 
qu'à présent  que   comme  titre  d'un  brâhmana,  ou  traité  de 
théologie  védique.  Mais  ici  Kuhn  a  signalé  une  remarquable 
coïncidence  dans  le  bas-allemand  kaupat  =  kuhpfad,  exacte- 
ment le  sansc.  gôpatha,  et  qui  est  un  des  noms  populaires  de 
la  voie  lactée.2  Ce  rapprochement  n'est  appuyé  d'ailleurs  par 
aucun  autre  exemple  connu;  mais  je  soupçonne  fort  que  le 
yctXct^ictç  kvjcAoç,  circulus  lacteus,  des  Grecs  a  tiré  son  ori- 
gine d'une  idée  analogue,  celle  du  lait  que  les  vaches  aux  ma- 
melles pleines  laissaient  couler  en  marchant,  et  que,  plus  tard 
seulement,  s'est  formé  le  mythe  du  lait  répandu  par  Junon  en 
allaitant  le  petit  Hercule.  Peut-être  qu'une  connaissance  plus 
complète  de  la  littérature  védique  achèvera  d'éclairer   cette 
question. 

1  Cf.  Preller,  Gr.  Mtjth.,  II,  27. 

2  Z.  S.,  II,  311. 


i 


100    — 


ARTICLE   VIII. 


§  187.  OBSERVATIONS. 

La  multiplicité  et  la  variété  des  rapprochements  qui  précè- 
dent montrent  quelle  empreinte  profonde  et  durable  les  habi- 
tudes et  les  idées  de  l'ancienne  vie  pastorale  ont  laissée  dans 
les  langues  et  les  traditions  de  toute  la  famille  arienne.  Cela 
prouve  que,  pendant  un  temps  plus  ou  moins  long,  et  avant 
leur  séparation,  les  Aryas  ont  été  essentiellement  un  peuple 
de  pasteurs  aux  mœurs  patriarcales.  En  réunissant  les  traits 
épars  que  nous  fournit  la  linguistique  comparée,  on  peut  arri- 
ver à  se  faire  encore  une  idée  assez  complète  de  cette  exis- 
tence d'une  simplicité  toute  primitive.  Je  ne  veux  pas  cher- 
cher maintenant  à  en  retracer  le  tableau  qui  sera  mieux  placé 
dans  le  résumé  général  de  nos  recherches.  Je  me  borne  ici  à 
une  remarque  sur  la  portée  des  inductions  que  l'on  peut  tirer 
des  faits  observés. 

Si  ces  faits,  dans  leur  ensemble,  concourent  à  démontrer 
qu'à  une  époque  quelconque,  et  sans  doute  la  plus  ancienne, 
les  Aryas  ont  été  des  pasteurs,  il  n'en  résulte  pas  cependant 
qu'ils  l'aient  été  exclusivement/  Les  développements  qui  sui- 
vront prouveront  clairement  le  contraire,  pour  le  moment  du 
moins  où  leur  séparation  s'est  effectuée,  et  il  paraîtra  très- 
probable  que  dès  longtemps  déjà  avant  ce  moment-là,  ils 
étaient  parvenus  à  un  état  de  culture  sociale  plus  élevée.  On 
peut  encore  reconnaître  les  traces  d'une  période  de  transition 
graduelle,  comme  lorsque  nous  avons  vu  les  noms  du  pasteur 


—     101     — 

en  chef  et  du  pâturage  passer  au  roi  et  aux  divisions  territo- 
riales, et  il  s'en  présentera  encore  d'autres  exemples. 

Rien  n'indique  non  plus  qu'à  une  époque  quelconque  les 
Aryas  primitifs  aient  été  un  peuple  de  nomades,  à  l'instar  de 
quelques  races  tartares.  La  nature  accidentée  de  leur  pays 
déjà  s'y  opposait,  et  leur  vie  pastorale  a  dû  être  celle  de  tribus 
plus  ou  moins  dispersées  dans  les  vallées  et  sur  les  montagnes, 
où  leur  bétail  trouvait  de  riches  pâturages.  Les  faits  relatifs 
à  l'agriculture  et  que  nous  allons  aborder  maintenant,  confir- 
meront mieux  encore  cette  manière  de  voir. 


SECTION  III. 
§  188.  L'AGRICULTURE. 

La  première  condition  d'un  état  de  société  stable  et  régu- 
lier, c'est  que  l'homme  reste  attaché  à  la  terre  qui  le  nourrit 
en  retour  de  ses  labeurs.  Avec  le  champ  naît  le  droit  de  la 
propriété  et  l'amour  du  travail.  A  côté  du  champ  s'élève  la 
maison,  où  croît  et  prospère  en  paix  la  famille.  Des  rapports 
de  bienveillance  mutuelle  et  de  protection  réciproque  s'éta- 
blissent, par  la  force  des  choses,  entre  les  petites  communau- 
tés que  leurs  intérêts  rapprochent.  L'industrie  se  développe, 
les  droits  sociaux  se  fondent  avec  les  pouvoirs  qui  les  garan- 
tissent. Les  unités  sociales  s'étendent  graduellement  et  se  gé- 
néralisent. A  la  maison  succède  le  village,  au  village  la  ville, 
comme  au  champ  le  district,  au  district  le  pays,  comme  à  la 
famille  la  tribu,  et  à  la  tribu  la  nation.  Alors  seulement  peu- 
vent entrer  en  jeu  les  forces  morales  et  intellectuelles  qui  amè- 
nent la    civilisation,  l'amour  du  sol  natal  et  de  la  race,  le 


—     102     — 

patriotisme  qui  inspire  le  dévouement,  le  sentiment  national 
qui  élève  les  âmes,  le  désir  de  la  gloire  qui  enfante  les  héros. 
Avec  le  temps  et  les  événements,  les  traditions  naissent  et 
grandissent,  conservées  et  transmises  par  la  poésie.  Les 
croyances  religieuses  s'affermissent  par  le  culte,  et  la  nation 
commence  à  vivre  de  cette  vie  propre  qui  lui  assignera  sa 
place  dans  l'histoire  de  l'humanité. 

Si  nous  consultons  cette  histoire,  nous  verrons  que  nulle 
part  le  développement  social  n'a  accompli  ses  phases  sans 
avoir  l'agriculture  pour  point  de  départ  et  pour  base.  Les  tri- 
bus de  chasseurs  restent  à  l'état  sauvage,  et  les  nomades  ne 
s'élèvent  guère  au-dessus  de  la  barbarie.  Or,  nous  savons  déjà 
que  les  anciens  Aryas  n'ont  été  exclusivement  ni  chasseurs, 
ni  nomades,  et  nous  savons  de  plus  qu'ils  ont  pratiqué  l'agri- 
culture à  un  degré  quelconque,  puisqu'ils  connaissaient  les 
céréales  et  plusieurs  de  nos  plantes  usuelles.  Si  la  vie  pasto- 
rale a  prédominé  chez  eux  au  début,  il  faut  que  de  très-bonne 
heure,  et  dans  une  mesure  variable  sans  doute  suivant  les 
localités,  ils  y  aient  associé  le  travail  de  la  terre.  Les  deux 
éléments  sont-ils  arrivés  à  peu  près  à  s'équilibrer  ;  et  peut-on 
retrouver  encore  quelques  indices  d'une  transition  graduelle  ? 
La  comparaison  des  langues  peut  seule  nous  éclairer  à  cet 
égard,  car  l'histoire  se  tait  absolument  sur  les  origines  de 
l'agriculture.  Chez  les  peuples  les  plus  anciens,  l'art  de  tra- 
vailler la  terre,  et  l'invention  de  la  charrue,  sont  attribués  à 
des  bienfaiteurs  purement  mythiques  de  l'humanité,  ce  qui 
indique,  en  tout  cas,  un  sentiment  vif  et  vrai  de  l'importance 
de  l'agriculture  pour  le  bien-être  social.  Il  s'agit  donc  de 
rechercher  maintenant  quel  degré  de  développement  elle  avait 
atteint  chez  les  Aryas  primitifs,  et  jusqu'à  quel  point  ce  dé- 
veloppement a  été  commun  à  toute  la  race,  ou  limité  seule- 


—     103     — 

ment  à  quelques-uns  de  ses  embranchements.  C'est  en  exami- 
nant avec  soin  les  noms  du  labourage,  du  champ,  des 
semailles,  de  la  moisson,  ainsi  que  des  divers  instruments  des 
travaux  rustiques,  que  nous  pouvons  espérer  quelques  ré- 
ponses à  ces  questions. 


ARTICLE  I.    LE   LABOURAGE   ET   SES   INSTRUMENTS. 

§  189.  LE  LABOURAGE  EN  GÉNÉRAL. 

Pour  exprimer  Faction  de  labourer,  les  langues  ariennes 
possèdent  deux,  racines  principales,  et  également  anciennes, 
mais  dont  l'une  appartient  en  commun  aux  langues  de  l'Eu- 
rope, tandis  que  l'autre  est  restée  en  usage  chez  les  Aryas  de 
l'Orient.  On  a  voulu  en  conclure,  d'une  manière  trop  absolue 
sans  doute,  que  l'agriculture  ne  s'est  développée  de  part  et 
d'autre  que  postérieurement  à  l'époque  de  l'unité  primitive  et 
de  la  vie  pastorale,  mais  on  verra  que  bien  des  faits  s'oppo- 
sent à  une  hypothèse  aussi  tranchée. 

1)  Toutes  les  langues  européennes  emploient,  dans  le  sens 
de  labourer,  la  rac.  ar,  comme  on  le  voit  par  l'énumération 
suivante  : 

Grec  cLpoct),  latin  aro,  irlandais  arai?n,  cymr.  aru,  armor. 
ara,  goth.  arjan,  ags.  erian,  scand.  eria,  ancien  allem.  aran, 
lithuan.  ârti,  anc.  si.  orati,  russe  orati,  pol.  orac,  etc.;  alban. 
ârene. 

On  retrouve  bien,  en  sanscrit,  cette  racine  r,  ar,  mais  avec 
l'acception  générale  de  lœdere,  d'où,  entre  autres  dérivés, 


—     104     — 

arus  et  îrma,  blessure.1  Cependant  la  transition  fort  naturelle 
au  sens  de  labourer,  c'est-à-dire  de  blesser  la  terre,  ou,  peut- 
être,  de  la  remuer,  de  la  soulever,  d'après  d'autres  acceptions 
de  ar,  ne  serait  pas  restée  étrangère  au  sanscrit,  si,  d'après  la 
conjecture  de  Kuhn,  le  nom  de  Arya,  comme  synonyme  de 
Vâiçya,  ou  homme  de  la  troisième  caste,  celle  des  travailleurs, 
a  désigné  primitivement  un  laboureur.2  Max  Mùller  va  plus 
loin,  et  pense  que  les  Aryas,  comme  peuple,  se  sont  ainsi 
nommés  en  tant  que  agriculteurs,  et  par  opposition  aux  races 
touraniennes  nomades.5  Il  rattache  également  à  r,  dans  le  sens 
de  labourer,  le  scr.  ira,  terre,  auquel  nous  reviendrons  plus 
loin.  Ce  seraient  là  assurément  des  preuves  très-précises  d'un 
ancien  accord  pour  l'emploi  de  cette  racine,  si  les  étymologies 
indiquées  ne  laissaient  aucune  prise  au  doute,  mais  il  faut  bien 
ajouter  que  les  auteurs  du  D.  P.  en  donnent  de  leur  côté  de 
toutes  différentes.4 

2)  La  seconde  racine,  restée  en  usage  dans  l'Orient,  est  le 
scr.krsh  (karsli),  zend  karesh,  dont  le  sens  propre  est  trahere, 
hue  illuc  trahere,  vexare,  ce  qui  s'applique  évidemment  au 
travail  de  la  charrue.  De  là  le  scr.  karshû,  zend  karsha,  sillon, 
c'est-à-dire  trait,  comme  le  grec  oAkqç  de  îXkôo,  tirer.  Il  en 
dérive  beaucoup  d'autres  termes  relatifs  à  l'agriculture,  tels 
que  karsha,  krshi,  krshti  (  zend  karsti,  labour  à  la  charrue), 
krshaka,  soc  et  laboureur,  etc.  Dans  le  Rigvêda,  les  hommes 
en  général  sont  appelés  parfois  krshtayas,  comme  habitants 

1  Cf.  grec  ccçn,  dommage,  malheur,  oepaw,  etc.,  scand.  or,  cica- 
trice, et  peut-être  anc.  irland.  âr,  strages  (Zeuss.2, 17),  mais  cymr. 
aer,  peut-être  tous  deux  de  ager  (ibid.). 

2  Ind.  Stud.,àe  Weber,  I,  352. 

3  Lect.  on  the  science  oflanguage,  1861,  p.  224. 

4  Cf.  pour  le  nom  des  Aryas,  notre  t.  I,  p.  38. 


—     105     — 

de  la  terre  cultivée.1  Les  Iraniens  divisaient  celle-ci  en  sept 
karshvare,  ou  pays  de  labour,  comme  les  Indiens  en  sept 
dvîpas  ou  îles.2  En  persan  moderne  on  trouve  karsidan,  se 
contracter,  se  rider,  puis,  avec  perte  de  IV,  kêshîdan,  tirer, 
traîner,  tracer,  et,  enfin,  kâshtan,  kishtan,  labourer,  culti- 
ver, d'où  kishtâwar,  labourer,  kisht,  kishmân,  champ  cul- 
tivé, etc.5 

Cette  racine  s'est  conservée  également  dans  quelques  lan- 
gues européennes  avec  son  acception  générale,  et  si ,  pour 
celle  de  labourer,  elle  a  fait  place  à  la  rac.  ary  plusieurs  de  ses 
dérivés  se  rapportent  cependant  au  travail  de  la  terre.  Au  sens 
général  de  tirer,  tirailler,  puis  vexer  et  exciter,  se  rattachent 
le  lithuan.  karszti,  carder,  étriller,  sérancer  ;  cf.  alban.  kréshe, 
étrille,  et  kréshte,  brosse,  et  Fane,  slave  kresiti,  excitare.  En 
fait  de  dérivés,  on  peut  y  rapporter  le  grec  Kiptriov,  chardon, 
ainsi  que  le  latin  crista,  la  crête  à  la  forme  lacérée  ;  cf.  ancien 
ail.  hursti,  id.,  et  hurst,  rubus,  horst,  sylva,  etc.  Quant  aux  si- 
gnifications qui  se  rapprochent  plus  ou  moins  de  celle  du  la- 
bourage, je  citerai  le  pol.  krésic,  krysic,  sillonner,  rayer,  krés, 
krésa,  sillon,  raie  ;  cf.  scr.  karshû,  zend  karsha,  id.  ;  lithuanien 
karsztas,  anc.  slave  krûsta,  korsta,  irlandais  créas  (de  creast), 
fosse,  tombe.  Kuhn  compare  aussi  l'allemand  karst,  hoyau/ 
mais  le  k  inaltéré  est  une  objection.  Par  contre,  l'angl.-sax. 
hruse,  terra,  regio,  qui  correspond  exactement,  paraît  avoir 
désigné  primitivement  la  terre  cultivée.5 

1  De  krshti,  ager  cultus  (D.  P.,  II,  411). 

2  Vendidad,  19,  129.  Vispered,  12,  35,  etc. 

3  Cf.  Justi,  80,  pour  d'autres  termes  iraniens. 

4  Ind.  Stud.,  I,  351. 

5  Comme,  en  grec,  un  k  primitif  devient  parfois  un  t,  Curtius  (Gr. 
Et.3,  444)  rattache  ici  rs'x<rov,  sillon-limite,  dans  Homère,  de  même 
sens  que  le  scr.    kârshman,   dans  le  Rigvêda.  —  Cf.   avec  le  même 


—     106     — 

Les  langues  sémitiques  nous  offrent  ici  une  remarquable 
analogie,  car  rien  à  coup  sûr  ne  ressemble  mieux  au  sanscrit 
krsh,  'karsh,  que  l'hébreu  chârash,  incidit  et  aravit,  d'où  cha- 
rîsli,  tempus  arandi,  et  l'arabe  charasha,  il  a  gratté,  etc.  Il  est 
difficile  cette  fois  de  ne  pas  croire  à  une  affinité  réelle  dont 
l'explication  nous  échappe  encore. 

On  voit,  en  résumé,  que  les  deux  racines  ar  et  karsh,  dans 
leurs  acceptions  générales  de  lsedere  et  de  trahere,  sont  com- 
munes aux  Aryas  de  l'Orient  et  de  l'Occident,  et  que  très- 
probablement  elles  ont  été  employées  comme  synonymes,  au 
temps  de  l'unité,  pour  exprimer  l'action  de  labourer.1  Il  n'en 
reste  pas  moins  évident  que,  plus  tard,  ces  racines  se  sont  sé- 
parées, et  ont  prévalu  respectivement,  lors  d'une  première 
scission  des  Aryas  dans  les  deux  groupes  que  tout  porte  à  ad- 
mettre avant  la  dispersion  finale.  C'est  là  une  répétition  du 
fait  observé  déjà  pour  les  racines  duh  et  mrg  (Cf.  p.  36). 

§  190.  LA  TERRE  ET  LE  CHAMP. 

1)  De  la  rac.  ar,  er,  or,  restée  vivante  dans  les  langues  eu- 
ropéennes, dérivent  presque  partout  des  noms  du  champ,  au 
moyen  de  suffixes  variés.  Ainsi  le  grec  apovça  de  dçùûû  ;  le 
latin  arvum,  de  aro  ;  l'erse  ar,  et  iom-air,  im-ir,  champ  la- 
bouré (im,  deimb,  préf.  =  dptpi,  etc.),   de  araim;  le  cymr. 

changement  de  r  en  l,  l'irl.  clas  (de  clast),  sillon,  tranchée,  cymr. 
clais,  id.,  petit  ruisseau. 

'  Cf.  l'opinion  de  Pott  (Et.  F.\  II,  1,  842;  WWb.,  I,  736,  et  II,  2, 
359).  Il  rattache  à  karsh  le  nom  de  la  déesse  Cerës,  comme  ayant 
inventé  la  charrue  (prima  Ceres  unco  glebas  dimovit  aratro;  Ovide, 
Met.,  5,  341),  et  il  en  infère  une  pratique  de  l'agriculture  déjà  au 
temps  de  l'unité. 


—     107     — 

ar,  armor.  oar,  aor,  de  aru,  ara;  le  lith.  arimmas,  de  ârti;\e  rus. 
relia,  pol.  rola,  pour  orola,  de  orati  (comme  ralo,  charrue,  pour 
ancien  slave  oralo),  pol.  aussi  oranina,  serb.  oranie,  etc.,  etc. 
Tous  ces  termes  sont  naturellement  d'une  origine  relativement 
moderne  ;  mais  il  en  est  autrement  d'un  groupe  des  noms  de 
la  terre  qui  se  rattachent  bien  également  à  la  même  racine, 
mais  non  aux  formes  qu'elle  a  prises  dans  les  langues  particu- 
lières, ce  qui  indique  une  source  commune  beaucoup  plus 
ancienne. 

Ainsi  le  grec  îpcc,  terre,  que  l'on  peut  inférer  de  ipc&Çt,  humi, 
cf.  îviçoi,  inferi,  et  ttoâu^oç,  riche  en  terre  (  Hesych.  ),  ne 
saurait  dériver  directement  de  dça,  dçooô,  non  plus  que  le 
goth.  airtha,  ags.  eordhe,  scand.  jôrd,  anc.  allem.  erda,  etc.,  de 
arjan,  etc.,  non  plus  également  que  l'irland.  ire,  gén.  ireann, 
de  araim.  Si  l'on  y  joint,  avec  M.  Millier,  le  scr.  ira  ou  idâ, 
terre,  il  faut  recourir  avec  lui,  pour  l'explication  de  ces  termes 
divers,  à  la  forme  primitive  r,  ri,  ir,  de  la  rac.  ar,  et  alors  le 
goth.  airtha,  par  exemple,  équivaudrait  à  un  thème  sanscrit 
rta,  rita}  Suivant  Millier,  le  vrai  sens  de  idâ,  que  les  Brah- 
manes interprètent  par  prière,  n'a  jamais  été   reconnu.2  A 

1  Ceci  est  contraire  à  l'opinion  de  Bopp  et  de  la  plupart  des  india- 
nistes allemands,  qui  considèrent  ar  comme  la  forme  primitive?  et  r 
comme  un  affaiblissement.  Bopp  d'ailleurs  rattache  le  goth .  airtha  au 
sansc.  ar,dans  le  sens  de  ire,  comme  lieu  de  mouvement  (  V.  Gr.,  I, 
256). 

2  Lect.  on  the  science  of  lang.,  p.  240.  —  Je  note  ici  les  vues  di- 
vergentes du  D.  P.,  où  ira  n'est  regardé  que  comme  une  forme  secon- 
daire, nebenform,  de  idâ,  ilrâ,  vivification,  restauration,  bien-être, 
force  vitale,  nourriture,  puis  libation  et  prière.  Le  sens  de  terre  n'au- 
rait été  inféré  que  improprement  d'expressions  telles  que  idâijâspada, 
le  lieu  de  la  prière,  et  le  mot  de  ira,  terre,  n'est  cité  qu'au  nombre 
des  significations  diverses,  eau,  liqueur  spiritueuse,  parole,  données 
par  les  lexicographes  indiens  seulement.  Entre  de  si  hautes  autorités, 
je  m'abstiens,  comme  de  raison,  de  tout  jugement. 


—     108     — 

l'appui  de  celui  de  terre,  en  tant  que  labourée,  c'est-à-dire 
blessée,  déchirée,  on  peut  rapprocher  de  ira,  non-seulement 
îrma,  blessure,  mais  surtout  irina,  rigole,  entaille,  creux,  fosse, 
puis,  en  général,  sol  déchiré,  et,  par  suite,  stérile. 

Les  langues  iraniennes  nous  offrent  un  nom  de  la  terre  qui 
ressemble  singulièrement  au  goth.  airtha,  etc.  ;  c'est  le  pehlwi 
artâ,  armén.  art,  kourde  ard,  cf.  ossète  ardus,  champ,  prairie. 
Il  est  très-probable  cependant  que  l'origine  en  est  sémitique, 
si  l'on  compare  l'arabe  ardh,  le  syriaq.  artô  et  l'hébreu  erets. 
Cf.  aussi  le  chai,  ar  'â,  araq.  Ces  mots  n'ont  pas  d'étymologie 
indigène,  et  cependant  il  est  difficile  de  croire  à  un  rapport 
réel  avec  la  rac.  ar,  et  de  supposer  que  les  Sémites  aient  reçu 
des  Aryas  un  nom  de  la  terre.  D'autres  coïncidences  de  ce 
genre  sont,  à  coup  sûr,  purement  fortuites,  et  personne  ne 
songera  sérieusement  à  comparer  le  pawni  orârô,  terre,  de 
l'Amérique  du  Nord,  avec  le  grec  açovça,  ou  l'aïmara  urrake, 
id.,  de  l'Amérique  du  Sud,  avec  le  dongola  arikke,  de  l'Afrique, 
et  le  chaldéen  araq. 

2)  Le  sansc.  védique  agra,  déjà  cité  à  l'article  de  la  chasse, 
se  prend  dans  l'acception  générale  du  latin  campus,  la  campa- 
gne, la  plaine,  l'espace  libre,  et  d'après  sa  provenance  de  ag, 
agere,  abigere,  il  a  dû  désigner  plus  spécialement  le  pâturage 
de  la  tribu,  où  l'on  faisait  aller  les  troupeaux.1  On  y  reconnaît 
sans  peine  le  grec  dyçbç  qui  conserve  encore  le  sens  général 
de  campus  à  côté  de  celui  de  ager,  comme  le  montre  cvy^ùç, 
rustique,  sauvage,  exactement  le  sanscrit  agrya,  ce  qui  appar- 
tient à  la  plaine.  L'application  au  champ  cultivé  exclusive- 
ment, dans  le  latin  ager,  doit  être  fort  ancienne,  car  elle  se 
retrouve  aussi  dans  le  goth.  akrs,  ags.  aecer,  scand.  akr,  ekra, 

'  Cf.  Kuhn,  Z.  S.,  III,  334. 


—     109     — 

anc.  allem.  achar,  etc.  ;  d'où  l'irl.  acra,  le  cymr.  egr,  et  notre 
franc,  acre,  comme  mesure  de  terre  seulement.  La  racine  ver- 
bale ag  s'est  maintenue  également  dans  les  trois  branches,  gr. 
dya),  lat.  ago9  scand.  aka  (ôk,  ekid).  La  transition  du  sens  de 
plaine  ou  de  pâturage  à  celui  de  champ  labouré  est  très-natu- 
relle, puisque  la  culture  de  la  terre  a  dû  commencer  surtout 
dans  le  pays  plat,  et  au  fond  des  vallées.  Elle  est  la  même  que 
celle  du  latin  campus  à  notre  champ. 1 

3)  Il  ne  faudrait  pas  conclure  de  là  que  la  notion  plus  pré- 
cise du  champ,  comme  terrain  enclos  et  protégé,  ait  été  étran- 
gère aux  anciens  Aryas,  car  elle  se  trouve  exprimée  par  le 
sansc.  vârata,  de  la  rac.  vr}  var,  circumdare,  tegere.  Cf.  va- 
rana,  âvarana,  prâvara,  enceinte,  etc.  De  là  aussi  le  zend 
vara,  locus  circumseptus,  devenu,  dans  l'Avesta,  le  nom  tradi- 
tionnel de  cette  portion  de  la  terre  que  Djemshid  rendit  habi- 
table en  y  portant  les  germes  des  plantes  et  des  animaux,  en 
quelque  sorte  le  champ  primitif  par  excellence. 

Cet  ancien  nom  du  champ  paraît  conservé  dans  l'anglo- 
saxon  wordh,  ivordhig,  ivurdhig,  prasdium,  agellus,  fundus,  le 
worth  de  beaucoup  de  noms  de  lieux  anglais.  Cf.  iveard,  iva- 
radh,  rivage,  c'est-à-dire  enceinte  de  la  mer,  et  l'anc.  allem. 
ivarid,  insula,  ainsi  que  les  verbes  warian,  iverian,  etc.,  defen- 
dere.  Au  vara  du  zend  correspondent  l'anglo-saxon  icar,  se- 
pimentum,  le  scand.  ver,  domicilium,  Fane,  allem.  wori,  clau- 
sura,  etc.  L'irl.  fearann,  ager,  fundus,2  semble  se  rattacher  au 
scr.  varana,  enceinte  ;  mais  le  cymr.  gweryd,  sol,  anc.  corn. 

1  L'armén.  agarag,  champ,  mais  aussi  contrée  et  village,  appar- 
tient au  même  groupe  de  mots. 

2  Ferenn,  ager  ;  ferann,-rand  (Stokes,  Ir.  Gî.,  n°  390).  Cf.  ferenn, 
jarretière  (Corm.,  GL,  72). 


—     110     — 

gueret,  d'où  le  français  guéret,  terre   labourée,1   se  lie  peut- 
être  au  groupe  ci-dessus. 

4)  Le  latin  rus,  ruris,  pour  rusis,  a  été  rapporté  par  Àuf- 
recbt  à  la  rac.  scr.  krsh,  arare,  avec  perte  du  h  initial,2  mais 
il  est  plus  probable  que  ce  nom  du  champ  n'a  pas  subi  de  mu- 
tilation. Il  correspond,  en  effet,  au  cymr.  rhws,  terre  cultivée, 
et,  quant  à  sa  racine,  à  l'anc.  slave  rusagu,  regio,  ainsi  surtout 
qu'au  persan  rûstâ,  terre  à  blé,  lieu  cultivé  et  habité,  puis 
village,  d'où  rûstâr,  villageois,  le  latin  rusticusê  La  racine 
doit  avoir  signifié,  comme  r,  ar,  la?dere,  puis  arare,  comme 
l'indiquent  les  analogies  du  sanscrit  rsh,  ferire,  transfigere, 
rish,  rush,  lush,  lûsh,  laadere  (  Dhâtup.),  persan  rushtan,  dé- 
pouiller, peler,  lûsh,  déchiré,  mis  en  pièces,  anc.  slave  rushiti, 
destruere,  russe  rushiti,  couper,  découper,  goth.  liusan,  per- 
dere,  etc.  Le  lith.  rausyti,  creuser,  fouiller  la  terre,  d'où  rau- 
sis,  creux,  ainsi  que  nisas,  silo  pour  le  blé,  conduit  directe- 
ment à  la  notion  du  labourage,  et  mieux  encore  l'ang.-saxon 
reost,  anc.  ail.  riostar,  ail.  mod.  rûster,  coutre  de  charrue.  Cf. 
erse  risteal,  espèce  de  charrue  des  Hébrides,  avec  un  coutre 
en  forme  de  faux. 


§  191.  LE  SILLON. 

Dans  l'Inde  des  temps  védiques,  le  sillon,  sîtâ,  fém.,  était 
personnifié  et  invoqué  sous  la  forme  d'une  déesse  au  teint 
brun  et  aux  yeux  noirs,  brillante  de  beauté,  couronnée  d'épis, 
épouse  du  dieu  Indra,   ou  Parganya,   et  qui  dispense  aux 

1  Cf.  cependant  l'étymologie  ordinaire  du  latin  vervactum. 

2  Umbr.  Sprachd.,1,  57.  Cf.  Z.  S.,  III,  247. 

3  Cf.  irl.  ros,  terre  arable,  plaine,  de  rost? 


—   111   — 

hommes  les  fruits  de  la  terre.1  Cela  prouve  l'importance  con- 
sidérable qu'avait  prise  déjà  alors  l'agriculture  ;  mais  rien  de 
semblable  ne  se  rencontre  chez  les  autres  peuples  de  la  fa- 
mille, et  le  nom  même  de  sîtâ  paraît  être  purement  indien.2 
Aucun  autre  terme  ne  s'est  conservé  généralement  pour  dési- 
gner le  sillon,  mais  on  peut  signaler  encore  quelques  analogies 
partielles  qui  sont  dignes  d'attention. 

1)  J'ai  déjà  comparé  plus  haut  le  scr.  karshû,  zend  karsha, 
de  krsh,  trahere  et  arare,  avec  le  polon.  crés,  crésa,  sillon,  raie. 
Il  faut  probablement  ajouter  l'irl.  das,  dais,  sillon,  cymr.  dais, 
raie,  petite  tranchée.  Toutefois,  le  maintien  de  Y  s,  en  irlandais, 
indique  la  perte  d'un  suffixe,  peut-être  ti  ;  das  de  dasti  = 
scr.  krskti,  aratio,  comme  as  =  scr.  asti. 

2)  Le  latin  porca  trouve  son  corrélatif  parfait  dans  l'ags. 
furh,fyrli,  anc.  ail.  furh,  furhî,  allem.  moà.furdie,  etc.,  avec 
cette  différence  que  le  nom  germanique  s'applique  au  creux  du 
sillon.  Il  y  a  ici,  de  part  et  d'autre,  un  rapport  évident  avec 
les  noms  du  cochon,  latin  porcus,  porca,  anc.  ail.  farh,  farah, 
lith.  parszas,  etc.  ;  mais  comment  faut-il  entendre  ce  rapport 
qui  ne  saurait  être  direct,  car  rien  ne  ressemble  moins  à  une 
truie  qu'un  sillon  ?  Nous  avons  présumé  pour  l'animal  le  sens 

1  Cf.  Rigv.,  IV,  57,  6,  7,  et  surtout  les  Omina  et  Portenta  de 
Weber,  p.  369  etsuiv.  où  se  trouve  une  invocation  d'une  haute  poésie. 
A  la  Sîtâ  indienne  répond  exactement,  pour  la  forme,  le  surnom  de 
2<rw  donné  à  AyifÀtîryjp,  mais  que  l'on  rattache  à  o-7toç ,  froment, 
d'ailleurs  probablement  de  la  même  origine  étymologique.  Cf.  scr. 
sîtya,  blé,  etc.  (t.  I,  p.  328). 

2  Le  D.  P.  rattache  sîtâ,  avec  siman,  limite,  sîra,  charrue,  etc.,  à 
une  racine  hypothétique  sî,  tirer  une  ligne  droite,  rectifier.  —  On  ne 
saurait  guère  y  ramener  le  scand.  sîlâ,  sulcare,  incidere,  sîling,  inci- 
sura,  d'où,  suivant  Diez  (Wb.,  II,  412),  notre  siller,  sillon,  ainsi  que 
le  milan,  sciloira,  piémont.  sloira,  charrue,  car  ici  Yl  appartient  à 
la  racine. 


—     112     — 

étymologique  de  celui  qui  fouille  et  disperse  la  terre  (  Cf.  1. 1, 
p.  463),  et  d'après  cela,  le  sillon  ne  peut  guère  être  ici  que 
la  terre  dispersée  et  soulevée  par  la  charrue.  Le  persan  vient 
à  la  fois  appuyer  cette  interprétation,  et  prouver  l'ancienneté 
des  termes  européens.  Nous  y  trouvons,  en  effet,  paréam, 
comme  un  des  noms  de  la  charrue,  et  ce  nom  dérive  deparéî- 
dan,  enfoncer,  diviser,  d'où  paréah,  fragment,  etc.,  dont  l'af- 
finité avec  le  sanscrit  pré,  parc,  spargere,  ne  semble  pas  dou- 
teuse. Cf.  aussi  l'armén.  prié,  houe.1 

Une  trace  du  sillon,  considéré  comme  limite,  paraît  se  trou- 
ver dans  l'armor.  ant,  fosse  entre  deux  sillons,  rigole,  tranchée, 
si  l'on  compare  Je  scr.  anta,  limite,  bord,  fin,  goth.  andis,  etc. 
Ce  mot  semble  étranger  aux  autres  dialectes  néo-celtiques. 


§  192.  LA  BÊCHE  ET  LA  PIOCHE. 

Le  premier  homme  qui  s'avisa  de  travailler  la  terre  dut 
être  aussi  le  premier  inventeur  d'un  outil  quelconque  pour 
rendre  l'opération  possible,  car,  seul,  le  secours  des  mains  n'y 
saurait  suffire.  Très-imparfait  au  début,  cet  outil  n'aura  servi 
d'abord  qu'à  gratter  le  sol,  et,  pour  arriver  à  le  couper,  à  le 
fouiller,  à  le  retourner  plus  profondément,  il  a  dû  passer  par 
bien  des  transformations  successives  ;  ou  plutôt,  les  instru- 
ments de  travail  se  seront  multipliés  pour  accomplir  séparé- 
ment leurs  divers  offices.  La  bêche  tranchante  qui  coupe  la 
terre,  et  la  pioche  pointue  qui  pénètre  le  sol,  auront  été  les 
deux  formes  prédominantes,  grossières  d'abord,  en  bois,  en 

1  Pour  une  autre  explication  de  porca,  par  le  grec  npourid  (?),  gar- 
tenbeet,  cf.  Fick  (Z.  S.,  18,  413). 


—     113     — 

os,  en  pierre,  avant  l'emploi  des  métaux,  et  telles  qu'on  les 
trouve  encore  chez  quelques  peuplades  sauvages.  Ce  n'est  que 
plus  tard,  sans  doute,  que  l'on  en  sera  venu  à  imaginer  la 
charrue,  et  la  charrue  elle-même  s'est  modifiée  cent  fois  avant 
d'arriver  à  ce  qu'elle  est  de  nos  jours. 

Par  cela  même  que  les  outils  les  plus  simples  ont  été  les 
premiers  dans  l'ordre  des  temps,  leurs  anciens  noms  ont  dû 
se  perdre  facilement,  et  se  remplacer  par  des  termes  nouveaux 
à  la  suite  des  modifications  de  forme,  de  matière  et  d'emploi, 
subies  par  les  instruments  eux-mêmes.  Aussi  les  affinités  à  si- 
gnaler sont-elles  fort  isolées  pour  la  plupart,  et  laissent-elles 
prise  à  plus  d'un  doute  quant  à  leur  valeur  réelle.  Dans  les 
rapprochements  qui  suivent,  je  ne  sépare  pas  la  bêche  ou  pelle 
de  la  pioche  ou  du  hoyau,  parce  que  leurs  noms  dérivent  sou- 
vent des  mêmes  racines  qui  expriment  l'action  de  diviser, 
couper,  fouiller,  etc. 

1)  Le  scr.  kudâla,  bêche,  fossoir,  est  composé  sans  doute 
de  ku,  terre,  et  de  data,  qui  divise,  rac.  df,  dar,  dal,  findere, 
dividere.1  Cf.  dalita,  fendu,  déchiré,  dali,  dalanî,  motte  de 
terre,  etc.  Le  synonyme  gôdârana,  bêche  et  charrue ,  a  exac- 
tement le  même  sens,  et  avadârana,  bêche,  offre  une  signifi- 
cation analogue.  Le  premier  composé  se  retrouve  dans  le 
persan  kôdâl,  grosse  pioche,  qui  n'est  peut-être  qu'un  mot 
d'emprunt,  mais  dalang,  fossoir,  se  rattache  directement  à  la 
racine  dal,  dar,  conservée  dans  le  verbe  darîdan,  diviser,  dé- 
chirer. Cf.  dârah,  faux. 

Cette  racine,  sous  ses  deux  formes,  s'est  maintenue  dans 

1  Comme  le  mot  s'écrit  aussi  kuddâla,  Weber  (  Beitr.,  4,  277) 
préfère  le  rapporter  à  la  rac.  kutt,  provenue  de  kart,  couper  ;  mais  la 
substitution  de  d  au  t  cérébral  est  une  objection.  Le  D.  P.  s'abstient 
de  toute  conjecture. 

TI  8 


—     114     — 

toutes  les  langues  européennes,  grec  Sîpw,  lat.  dolo,  irlandais 
dailim,  goth.  tairan,  lithuan.  dirti  et  daliti,  anc.  slave  drati 
et  deliti,  etc.  On  en  voit  dériver  plusieurs  noms  d'outils  tran- 
chants, comme  le  latin  dolabra,  doloire,  Fane,  slave  dlato,  scal- 
prum,  etc.  L'application  à  l'agriculture  se  remarque  dans  le 
lithuan.  dirwà,  champ  cultivé,  de  dirti,  d'où  dirwininkas,  la- 
boureur, ainsi  que  dans  l'ang.-sax.  tilian,  anglais  tïll,  arare, 
tilia,  arator,  tilth,  cultura  ;  cf.  anc.  ail.  zîla,  sulcus,  linea.  La 
voyelle  forte  de  la  racine  semble  conservée  par  l'ang.-sax.  et 
scand.  toi,  anglais  tool,  outil  en  général,  peut-être  primitive- 
ment outil  aratoire. 

2)  Le  scr.  gôkîla,  littér.  pieu  de  terre,  désigne  la  charrue, 
et  kîla,  pieu  pointu,  lance,  dérive  sans  doute  de  kf,  kar,  lœ- 
dere;  cf.  kîrna,  blessé,  et  la  rac.  çf,  car,  kedere,  dirumpere,  d'où 
çîrna,  défait,  détruit,  etc. 

On  peut  comparer,  comme  de  même  origine,  le  russe  kirkâ, 
pioche,  bêche  ;  et  peut-être  le  m.Xy\  ou  ;ceÀÀ<fc  (  de  KlAtct  ?) 
du  grec  iaclkîXvi,  [AciKiÀAci,  et  SiaihKcc,  c'est-à-dire  le  hoyau 
à  une  et  à  deux  pointes,  ainsi  qu'on  interprète  ordinairement 
ces  noms  ;  mais  les  opinions  diffèrent  encore  à  ce  sujet.1 

3)  Le  scr.  phala,  pliâla,  soc  de  charrue,  lame  d'épée  ou  de 
couteau,  de  la  rac.  pliai,  findere,  findi,  aura  désigné,  en  géné- 
ral, un  instrument  plat  et  tranchant.  Cf.  phala,  phalaka,  plan- 
che, banc,  feuille,  etc.,  le  pers.  palah,  le  plat  de  la  rame,  Fane, 
slave  politsa,  russe  et  pol.  polka,  planche,  tablette,  etc.,  avec 
p  pour  scr.  pli,  comme  dans  d'autres  cas.  On  peut  donc  com- 
parer avec  assez  de  sûreté  le  lat.  pàla,  pelle,  cymr.  pal,  pal, 
irl.  fol,  bêche,  d'autant  mieux  que  la  racine  verbale  semble 

1  Cf.  Pott  (Et.  F.,  I,  223).  Léo  Meyer  (Z.  S.,  VIII,  140)  décompose 
le  mot  en/U.0«c-£XXoc.,  sxxot  suffixe.  Ahrens  fybid.,  354)  conjecture  une 
contraction  de  /uc*-*  xsxxoc,  rac.  «x,  acus,  etc. 


—     115     — 

conservée  dans  le  cymr.  palu,  armor.  pala,  couper  et  remuer 
la  terre,  labourer,  bêcher.  Le  Scandinave  pâli,  rutrum,  est 
sans  doute  un  mot  d'emprunt  ;  mais  Y  an  glo-sax.  fealg,fealga, 
herse,  se  lie  peut-être  à  la  même  racine  que  les  termes  ci- 
dessus.1 

4)  Un  des  noms  persans  de  la  pioche  est  pikan,  paykan,  et 
payhân  signifie  aussi  un  dard,  une  lance,  une  pointe  de  lance. 
Cf.  armén.  pkhin,  flèche.  —  L'analogie  avec  pioche,  pic,  pi- 
que, piquer,  est  évidente,  et  s'explique  probablement  par  l'in- 
termédiaire du  celtique.  En  armor.,  en  effet,  pîk,  pic,  etpigel, 
houe,  dérivent  de  pika,  piquer  et  fouir,  comme  le  cymr.  pig, 
pic,  pointe,  picell,  dard,  de  pigaw,  piquer.  L'irl.  péac,  pointe, 
picidh,  pique,  piocaid,  hoyau,  ainsi  que  piocaim,  je  pique,  sont 
des  termes  d'emprunt,  à  cause  de  leur  c  non  aspiré  ;  et  il  en 
est  de  même  de  l'anglo-sax.  pykan,  scand.  piaka,  angl.  to.pick, 
pike,  etc.  Pour  les  affinités  plus  étendues,  lat.  spico,  spica,  etc. 
(Cf.  1. 1,  p.  614.) 

5)  Le  grec  <ncct7rccvy}y  fossoir,  vient  de  <r;c#tfT&>,  creuser, 
fouir,  dont  Ys  initiale  disparaît  dans  kcù7titoç,  fossé,  et  KiJ7roç, 
jardin.  C'est  Fane.  si.  kopati,  russe  kopâtï,  kopnûti,  polonais 
kopac,  etc.,  creuser,  fouir,  bêcher,  en  lithuan.  kapôti,  et  ska- 
pâti,  tailler,  hacher,  d'où  dérivent  également,  comme  noms  de 
la  bêche,  le  russe  kopanitsa,  l'illyr.  kopacja,\e  boh.  kopac,  etc., 
et  comme  ceux  du  hoyau  ou  sarcloir,  le  lith.  kapone  et  kapo- 
kas.  Cf.  anc.  si.  kopiie,  kopishte,  lance,  kopyto,  ungula,  etc.  A 
la  même  racine  avec  Ys  initiale,  skap,  se  rattachent  peut-être 
Fangl.-sax.  scofl,  pelle,  anc.  allem.  sçûvala,  seufla,  etc.,  malgré 
la  différence  de  la  voyelle.  Nous  la  retrouvons  encore  dans  le 

1  Je  note  ici  pour  mémoire  les  analogies  sémitiques  de  l'hébreu  pâ- 
lag,  fidit,  pâlach,  sulcavit  terram  ;  arabe  falaga,  il  a  fendu,  falaha, 
il  a  labouré,  etc. 


—     116     — 

persan  kaftan,  Jcu/tan,  kafîdan,  creuser ,  fendre ,  d'où  kâf, 
kaft,  kuft,  fissure,  etc.,  mais  aucun  nom  à  moi  connu  d'outil 
aratoire. 

L'irl.  caibe,  coibe,  erse  caibe,  cymr.  caib,  bêche,  pioche,  a 
encore  sa  racine  verbale  dans  l'erse  cab  (impér.),  incide,  fode, 
d'où  cabadh,  labourage,  etc.,  et  qu'il  faut  peut-être  distinguer 
de  la  précédente.  Comme  le  b  non  aspiré  remplace  quelquefois 
en  irlandais,  un  v  primitif,1  je  crois  à  un  rapport  plus  direct 
avec  le  latin  cavo,  cavus,  etc.,  sans  admettre,  toutefois,  le  fait 
d'une  transmission.  Le  persan,  en  effet,  nous  offre  kâwîdan,  et 
kâbîdan,  creuser,  labourer  à  la  charrue,  kâw,  kâwish,  labour, 
kâwâk ,  cavité,  formes  alliées,  mais  non  identiques,  à  ha/tan  et 
kafîdan? 

6)  Un  autre  groupe  étendu,  mais  purement  européen,  se 
lie  à  la  rac.  scr.  ru  (ravatê),  ferire,  secare,  d'où  le  subst.  ru, 
qui  coupe,  qui  divise,  conservée  d'ailleurs  par  l'anc.  si.  ryti, 
fodere,  ruvati,  avellere,  russe  rytt,  poL  ryc,  creuser,  fouiller, 
bêcher,  le  lith.  rauti,  rawëti,  sarcler,  le  scand.  rya,  vellere,  et 
rôa,  remigare,  le  lat.  ruo,  etc.  Entre  autres  dérivés  nombreux 
on  en  voit  provenir  plusieurs  noms  d'outils  aratoires.  Ainsi 
l'anc.  si.  rylo,  rylïtsa,  pioche,  russe  rytelï,  pol.  rydel,  boh.  ryl, 
reyl,  id.  (  Cf.  russe  rylo,  pol.  ryi,  le  groin  qui  fouille  ),  l'anc. 
allem.  riutel,  paxillum  —grebil  (Cf.  riuti,  novale,  riutjan,  mod. 
reuten,  extirpare,  et  reute,  houe)  ;  le  lat.  rutrum,  bêche,  rutel- 
lum,  id.;  l'irl.  ruamhet  rabhan,  cymr.  rhaw,  pelle.  Cf.  irland. 
rumhar,  mine,  ruamhar,  labour,  etc.  —  L'analogie  des  suf- 
fixes lo  (de  dlo,  tlo),  tel  y  trum,  indique   un  thème   primitif 

1  Par  exemple  fedb,  veuve  =  scr.  vidavâ,  etc. 

2  Cf.  toutefois  l'ancien  cymr.  cep,  fossorium  (Z.2,  1061),  dont  le  p 
nous  ramène  à  une  rac.  cap. 


—     117     — 

rutra  ou  rutar,  que  nous  retrouverons  ailleurs  dans  quelques 
noms  de  la  rame. 

7)  Le  latin  vanga,  hoyau,  paraît  avoir  la  même  origine 
que  l'anglo-saxon  wecg,  Scandinave  veggr,  ancien  allemand 
wekki,  weggi,  cuneus.  Je  compare  également  l'irlandais  feac, 
espèce  de  pioche,  1feacadh,  fossoir,  allié  kfeacc^feagy  dent,/^, 
coupure,  entaille,  etc.,2  d'un  thème  plus  ancien  feng,  comme 
l'indique  le  g  ou  c  non  aspiré,  et  surtout  l'armor.  gueng,  coin 
à  fendre.3  Cf.  aussi  le  lith.  wâgis,  ivagélis,  coin,  et  wagà,  wagas, 
sillon,  d'où  wagôti}  sillonner.  La  racine  primitive  reste  fort  in- 
certaine. 


§  193.  LA  CHARRUE  ET  LE  SOC. 

Si  l'invention  de  la  charrue  a  dû  être  précédée  pendant 
longtemps  peut-être  par  l'emploi  des  instruments  plus  sim- 
ples, elle  remonte  cependant  à  une  très-haute  antiquité,  car  le 
souvenir  en  est  perdu  partout.  Cette  invention,  d'une  utilité 
si  grande,  a  pris  aux  yeux  des  anciens  peuples  un  caractère 
divin,  comme  les  origines  de  l'agriculture  elle-même.  Les 
Egyptiens  en  faisaient  honneur  à  Osiris,4  les  Grecs  à  Cérès 
ou  à  Minerve,5  les  Chinois  à  leur  roi  mythique  Chin-Noung, 
le  laboureur  divin.  Les  Scythes  croyaient  qu'une  charrue  et  un 

1  f  Fec,  pelle  (Corm.,  Gl.,  78). 

2  Cf.  f  fiacail,  dens  (Z.2, 18,  Corm.,  GL,  76),  etf  fegi,  tranchant 
(Oingus,  GL,  dans  Stokes,  OU  Irl.  GL,  132). 

3  Bict.  breton  de  Rostrenen. 

4  Primus  aratra  manu  solerti  fecit  Osiris 

Et  tenerem  ferro  sollicitavit  humum  (Tibul.,  i,  El.  7). 

5  Preller,  Gr.  Myth.,  I,  196,  476. 


—     118     — 

joug  d'or  étaient  tombés  du  ciel.1  D'après  le  Rigvêda,  ce  sont 
les  Açvins  qui  ont  appris  à  Manu,  le  premier  homme,  à  la- 
bourer avec  la  charrue  et  à  semer  l'orge.2  Les  Cymris  aussi 
ont  une  curieuse  tradition  à  cet  égard.  Dans  leur  53me  triade 
historique,  il  est  dit  que  Hu,  le  puissant,  leur  enseigna  le  pre- 
mier à  labourer,  alors  qu'ils  étaient  encore  dans  le  pays  de 
Vété  (givlad  yr  haf)  avant  leur  arrivée  dans  l'île  de  Prydain, 
où  plus  tard  Coll  apporta  le  froment  et  l'orge,  tandis  que,  au- 
paravant, il  n'y  avait  que  l'avoine  et  le  seigle.5  En  fait,  la 
charrue  n'aura  eu  nulle  part  un  inventeur  unique,  et  sera  née 
graduellement  des  perfectionnements  apportés  à  un  premier 
instrument  qui  n'y  ressemblait  guère  :  un  simple  crochet  de 
bois  dur  probablement,  pour  gratter  la  terre  par  la  traction. 
Le  soc  métallique,  le  coutre,  le  versoir,  et  l'emploi  du  bœuf 
de  labour  ne  seront  venus  que  beaucoup  plus  tard. 

La  charrue  a-t-elle  été  connue  des  Aryas  au  temps  de 
l'unité,  et  qu'était-elle  à  cette  époque  reculée  ?  L'étude  de  ses 
noms  nous  montrera  que,  comme  ceux  du  labourage,  ils  se  di- 
visent en  deux  groupes  principaux,  l'un  à  l'Orient,  l'autre  à 
l'Occident,  sans  que  l'on  puisse  en  inférer  autre  chose  qu'une 
première  division  partielle  de  la  race  arienne  qui  possédait 
déjà  la  charrue  antérieurement. 

1)  Le  groupe  européen  se  rattache  généralement  à  la  rac. 
ar,  qui,  dans  tout  l'Occident,  exprime  l'action  de  labourer 
(Cf.  p.  103).  De  là  dérivent,  par  des  suffixes  en  partie  sem- 
blables, le  grec  ctporpoj/j  latin  aratrum;  cymr.  aradyr,  aradr, 
arad,  ancien  corn,  aradar,  armor.  arazr,  arar,  alar,  irlandais 

1  Hérod.,  Mety).,  c.  5. 

2  Rigv.,I,  147,  71.  —  Yavan  vrkênâçvinâ  vapaniâ,  hordeum  ara- 
iro  serentes,  Â-çvini  ! 

3  Arch.  of  Wales,  II,  p.  67. 


—     119     — 

t  arathar  (Corm.  GL,  7),  mais  aussi  crann-arbhair,  erse,  crann- 
ou  arain,  c'est-à-dire  bois  ou  arbre  de  labour,  et  araeh,  soc  ; 
anc.  ail.  erida,  scand.  ardr,  anc.  slave  oralo  (pour  oradlo),  et, 
par  aphérèse,  ralo,  russe  et  illyr.  ralo,  pol.  radio,  etc.  ;  mais  en 
lith.  arklas,  avec  le  suffixe  des  noms  d'instruments,  cf.  arklys, 
le  cheval  qui  laboure.  On  voit  qu'aucune  branche  de  la  fa- 
mille occidentale  ne  manque  ici  à  l'appel. 

En  Orient,  on  ne  trouve  à  comparer  directement  que  l'ar- 
ménien arôr,  charrue,  d'où  le  dénominatif  arôratrel,  labourer, 
mais  il  n'est  pas  sûr  que  ce  mot,  comme  d'autres,  ne  soit  pas 
un  emprunt  du  grec.  Le  véritable  corrélatif  de  dpoTpov,  ara- 
trum,  serait,  suivant  Kuhn,  le  védique  aritram  (nom.  neut.), 
qui  ne  désigne  pas  la  charrue,  mais  le  vaisseau  et  la  rame,  qui 
labourent,  en  quelque  sorte,  et  sillonnent  les  eaux.  Kuhn 
appuie  ces  rapprochements  par  l'analogie  du  nom  slave  de  la 
charrue,  anc.  slave  et  russe  plugu,  pol.  plug,  illyr.  plugh,  lith. 
plûgas,  d'où  sont  provenus,  sans  doute,  Fane,  allem.  pfluoeh, 
ploh,  scand.  plogr,  angl.  plough,  etc.  Le  slave,  en  effet,  se  rat- 
tache directement  à  pluti,  plavati,  navigare  ;  cf.  russe  plovu, 
bateau,  illyr.  plav,  vaisseau,  etc.  =  scr.,  plava,  de  plu,  natare, 
hue  illuc  moveri,  salire.  H  en  dérive,  d'après  Schleicher,  par 
un  suffixe  gïï,  analogue  au  ga  de  sluga,  servus,  du  verbe  sluti, 
audire.1  Kuhn  mentionne  encore,  comme  exemples  de  cette 
assimilation  de  la  charrue  au  vaisseau,  les  processions  du  prin- 
temps où  ils  figuraient  également  en  guise  de  symboles  chez 
les  Grecs,  les  Romains  et  les  Germains.2 

Je  reviendrai  plus  tard  au  scr.  aritra,  dont  on  trouve  les 

1  Slaw.  Formenlehre,  p.  104. 

2  Cf.  Ind.  Stud.,  1,  p.  353  et  suivantes.  J'ajoute  ici,  et  à  l'appui,  que 
le  boukharc  kishti ,  vaisseau ,  signifie  proprement  charrue  (  Cf. 
Justi,  81). 


—     120     — 

analogues  dans  quelques  noms  européens  de  la  rame  et  du 
vaisseau  ;  et  je  me  borne  à  remarquer  que,  d'après  ce  qui  pré- 
cède, il  n'y  a  rien  d'improbable  à  crohe  qu'il  a  été  appliqué  à 
la  charrue  au  temps  de  l'unité  arienne. 

2)  Le  principal  nom  oriental  de  la  charrue  ne  dérive  pas, 
comme  on  pourrait  s'y  attendre,  de  la  rac.  krsh,  qui  remplace 
ar  chez  les  Indiens  et  les  Iraniens,  mais  du  scr.  krt,  krnt  (kart), 
scindere.  De  là  krntatra,  charrue,  l'instrument  qui  coupe,  et 
kuntala,  par  altération  de  krntala.  Comme  la  rac.  krt  est  de- 
venue plus  tard  kut,  kutt,  il  faut  y  rapporter  aussi  kûta,  kû- 
taka,  corps  de  la  charrue  et  soc,  ainsi  que  kôtiça,  herse,  etc.;  et 
c'est  sans  doute  à  cette  forme  secondaire  que  se  lient  le  kourde 
kotan,  ossète  guton,  charrue,  armén.  kutlian,  attelage  de  bœufs 
de  labour,  pour  charrue.  Cf.  scr.  kartana,  coupure,  kartanî, 
ciseaux,  krntanikâ,  couteau,  etc. 

Cette  racine  krt,  kart,  se  retrouve  dans  plusieurs  langues 
européennes  avec  son  sens  général  de  couper,  trancher,  latin 
certo,  combattre,  c'est-à-dire  frapper,  tailler,  cymr.  certhain,  id., 
le  lith.  kirsti  (kertu),  couper,  l'anc.  si.  kratiti,  truncare,  et  crï- 
tati,  incidere,  d'où  crïta,  crûta,  lineola,  etc.  On  en  remarque 
aussi  plus  d'une  application  au  labour  et  à  ses  instruments. 
Ainsi,  le  lith.  kartéti,  labourer  une  seconde  fois  à  la  charrue, 
d'où  kartojimas,  second  labour,  par  opposition  à  rêkti,  défri- 
cher. Cf.  karta,  ligne  (sillon  ?),  et  le  scr.  védique  karta,  creux, 
fosse.  Ainsi  encore  le  latin  culter,  coutre,  cultellus,  couteau, 
qui  est  à  krt  comme  mulgeo  à  mrg,  etc.  Cf.  scr.  kartarî,  cou- 
teau. Ce  mot  latin  a  passé  à  l'ang.-sax.  cultor,  angl.  coulter, 
comme  probablement  aussi  à  l'irland.  coltar,  cultar,  le  cymr. 
cultir,  cwlltyr,  cylltawr,  anc.  corn,  colter,  armor.  koultr.1  Cf. 

1  Ici,  peut-être, l'irland.  f  celtair,  fer  de  lance  (Cf.  Co-rm.,  Gfï.,  et 
O'Dav.,  Gl,  68). 


—     121     — 

cymr.  cyllell,  couteau,  pour  cyltell,  de  cultellus,  d'où  égale- 
ment, sans  doute,  l'armor.  kountel,  kontel,  id.,  arrivé  par  une 
voie  toute  différente  à  la  même  forme  que  le  scr.  kuntala, 
charrue,  et  kuntalikâ,  espèce  de  couteau. 

J'ai  observé  ailleurs  (t.  I,  p.  568)  que  les  noms  slaves  de  la 
taupe  qui  laboure  le  sol  se  lient  à  la  rac.  krt  (en  slave  krat  et 
crït),  et  que  l'ang.-sax.  hrither,  hrudher,  anc.  ail.  hrind  (  plur. 
hrindir),  jumentum  bos,  a  dû  signifier  le  laboureur,  bien  que 
aucune  racine  germanique  hrith,  hrind,  ne  réponde  à  krt, 
krnt. 

On  voit  qu'il  est  difficile  de  séparer  les  deux  groupes 
ci-dessus  en  attribuant  l'un  à  l'Orient  et  l'autre  à  l'Occident. 
Ici,  comme  pour  les  racines  ar,  krsh,  il  faut  admettre  que 
la  division  existante  a  été  précédée  par  une  simultanéité 
d'emploi. 

3)  Le  scr.  védique  vrka,  charrue  (D.  P.),  paraît  deux  fois 
dans  le  Rigvêda,  en  parlant  des  Açvins,  qui  ont  semé  et  cul- 
tivé l'orge  avec  la  charrue  (vrkêna) .  Comme  vrka  est  aussi  le 
nom  du  loup,  les  scholiastes  indiens  l'ont  pris  dans  ce  sens 
pour  les  passages  en  question  ;  mais  Roth,  dans  son  Commen- 
taire sur  le  Nirukta  (p.  92),  doute  de  cette  assimilation  et 
présume  une  allusion  à  quelque  mythe  inconnu. 

J'ai  cherché,  en  parlant  du  loup  (t.  I,  p.  541),  dans  vrka 
l'animal  qui  saisit,  tire,  entraîne  sa  proie,  le  raptor,  plutôt  que 
celui  qui  la  déchire,  en  me  fondant  sur  les  rapports  qui  se  pré- 
sentent en  slave,  en  lithuanien  et  en  grec,  entre  les  noms  du 
loup  et  les  racines  alliées  au  vrk,  vark,  saisir,  du  Dhâtup.  Or,  la 
charrue  est  non-seulement  tirée,  traînée,  mais  elle  saisit  la 
terre  et  tire,  trace  le  sillon.  Cf.  supr.  la  rac.  karsh,  tirer  et  la- 
bourer, etc.  Si  son  nom  védique  vrka  ne  s'est  pas  conservé 
en  Europe,  on  trouve  cependant,  soit  en  grec,  soit  en  lithuano- 


—     122     — 

slave,  plusieurs  termes  relatifs  à  la  traction  et  au  labour  qui 
ont  évidemment  la  même  origine.  Ainsi  oXkoç  (foà^oV),  sillon, 
de  iXKùùi  littér.  trait,  et  aussi  bien  :  ce  qui  tire,  que  :  ce  qui 
est  tiré  ;  en  polon.  wlbczka,  herse,  de  wloke,  tvloczë,  wlec,  her- 
ser, traîner  çà  et  là,  wlok,  traîne,  wlbka,  traîneau  qui  remplace 
les  roues  de  la  charrue  ;  en  russe  volcki,  plusieurs  espèces  de 
traîneaux,  de  volocitï,  anc.  slave  vlaciti,  tirer,  traîner.  Le  lith. 
ivélke,  de  wilkt,  welku,  tirer,  corde  de  trait,  désigne  plus  spécia- 
lement celle  qui  lie  le  joug  au  timon  de  la  charrue.1 

4)  Le  scr.  lângala,  charrue  (et  pénis),  se  rattache  peut-être 
à  une  rac.  lag,  lang,  lung,  ferire,  qui  ne  se  trouve  encore  que 
dans  le  Dhâttipâtha,  mais  que  paraît  confirmer  le  persan 
langîdan,  creuser  =  rangîdan,  graver,  d'où  rangîn,  soc.  Cf. 
langar,  l'ancre  qui  se  fixe  en  creusant,  et  lung,  le  dard  qui 
blesse. 

A  lag  peuvent  appartenir  le  latin  ligo,  -onis,  hoyau,  et  l'irl. 
laighe,  bêche,  pelle,  laighe-an ,  lance,  javeline,  tandis  que  lag, 
lagân,   creux,  cavité,  se  rattache  à  lang,  à  cause  du  g  non 

1  A  côté  de  vrka,  on  trouve  kôka  comme  nom  du  loup  (  Cf.  t.  I, 
p.  543),  et  c'est  ce  qui  avait  conduit  Kuhn  à  en  rapprocher  le  goth. 
hôha,  charrue.  J'ai  objecté  déjà,  dans  ma  première  édition  (t.  II, 
p.  91),  que  s'il  est  naturel  de  comparer  la  charrue  à  un  sanglier  qu 
fouille  la  terre,  il  Test  beaucoup  moins  d'y  voir  un  loup  qui  ravit  sa 
proie.  Mais  une  objection  plus  directe  a  été  tirée  dès  lors  du  défaut  de 
concordance  des  voyelles,  qui  rend  ce  rapprochement  illusoire.  L'ô 
sanscrit,  en  effet,  toujours  provenu  de  u,  ne  répond  point  à  Vô  goth. 
qui  remplace  un  a  primitif,  comme  le  grec  w,  à  côté  de  n  (Cf.  Schlei- 
cher,  Compend.2,  152).  Cette  objection  fait  tomber  également  tout 
rapport  de  hôha  avec  le  sansc.  kuça,  kuçî,  comme  je  l'avais  conjecturé. 
Ce  nom  gothique  paraît  bien  être  purement  germanique,  et  se  lier  à 
hahan,  pendre  et  suspendre  (accrocher),  d'où  peut-être  pour  la  char- 
rue le  sens  de  crochet.  Cf.  ags.  hôh,  hô,  talon,  angl.  hough,  propre- 
ment crochet,  comme  l'anc.  ail.  hacen,  mod.  hacken,  à  côté  dehako, 
hakko,  scand.  haki,  ags.  hoc,  etc.,  uncus,  hamus  (Cf.  Diefenbach, 
Goth.  m.,  II,  493,  592). 


—     123     — 

aspiré.  La  nasale,  cependant,  paraît  s'être  aussi  maintenue, 
non-seulement  dans  l'irl.  lang,  pique  =  persan  lung,  dard, 
mais  surtout,  ce  qui  est  plus  intéressant,  dans  un  nom  celtique 
du  vaisseau,  l'irland.  erse  long,  cymr.  Hong.  Ce  nom  se  trouve 
ainsi,  vis-à-vis  du  scr.  lângala,  dans  le  rapport  inverse  do 
aratrum  à  aritra,  et  de  plugu  à  plava,  ce  qui  confirme  le  fait 
observé  d'une  ancienne  assimilation  du  vaisseau  à  la  charrue. 

Comme  lag,  lang  =  rag ,  rang ,  conservé  par  le  persan 
rangîdan,  je  ramène  au  même  groupe  l'armor.  rega,  fouir  la 
terre,  labourer  légèrement  avec  la  charrue,  régi,  rogi,  rompre, 
déchirer.  Cf.  cymr.  rhigaw,  creuser,  tailler  ;  anc.  slave  rezati, 
incidere,  litt.  rëszti  (rëzu),  id.  (z,'z  de  g),  et  peut-être  grec 
pyyvvfju,  fendre,  déchirer.  Les  langues  germaniques  nous 
offrent  ici  régulièrement  le  scand.  raka,  ags.  racian,  radere, 
sarculare,  d'où  reka,  ligo,  spada,  et  raca,  anc.  ail.  radio,  ras- 
trum. 

5)  Parmi  les  noms  persans  du  soc  et  de  la  charrue,  on 
trouve  sûl  et  sûlî.  Comme  Ys,  en  persan,  répond  ordinairement 
au  ç  sanscrit,  tandis  que  Y  s  du  sanscrit  devient  h,  sûl  est  sû- 
rement le  corrélatif  de  çûla,  pique,  dard,  pal,  broche  de  fer,1 
suivant  Wilson,  d'une  rac.  çûl  (çûlati),  transpercer,  empaler. 
Cf.  çûr,  lsedere,  occidere  (  Dhâtup.),  çf  (car),  lasdere,  dirum- 
pere,  le  zend  çûra,  lance,  armén.  cour,  le  pers.  sûrî,  javeline, 
flèche,  et  l'ancien  slave  et  russe  sulitsa,  illyr.  suliza,  lance  et 
dard. 

On  n'hésiterait  pas  à  comparer  avec  le  persan  l'ang.-saxon 
sul,  syl,  sulh,  suluh,  charrue  et  soc,  n'était  que  le  ç ,  en  ger- 
manique, ne  devient  pas  s,  mais  h.  D'un  autre  côté,  Y  s  paraît 
être  ici  pour  sw,  car,  à  côté  de  sulung,  aratiuncula,  on  trouve 

1  L'irl.  cecht,  charrue,  rappelle  de  même  le  scr.  çakti,  lance.  Cf. 
aussi  le  pers.  tîr,  soc  et  flèche. 


—     124     — 

swulung,  swoling.  Ceci  conduirait  à  la  rac.  sval  ou  svar,  svf, 
lœdere  (svrnâti;  cf.  sf  et  sûr,  id.  ),  l'ancien  allemand  suer  an, 
dolere,  suero ,  dolor,  etc.,  d'où  probablement  suert,  ago, 
sweord,  scand.  sverd,  le  glaive  qui  blesse.  Cf.  cymr.  chwarel, 
dard,  javelot,  et  eliwerw,  tranchant,  acre,  amer,  etc.,  où  chw 
est  régulièrement  pour  sv.  D'après  la  transition  déjà  observée 
de  lœdere  à  arare,  on  peut  comparer  aussi  l'irlandais  suraim 
(O'R.,  to  fallow),  défricher  par  un  premier  labour. 

Si,  d'après  cela,  il  faut  sans  doute  renoncer  à  rapprocher 
l'ang.-sax.  sul,  sulh,  dû  persan  sûl,  sûlî,  on  peut;  ce  semble,  à 
meilleur  droit,  y  rattacher  le  lat.  sulcus,  sillon,  pour  svulcus, 
lequel  devrait  être  séparé  de  oAkoç.  Les  véritables  corrélatifs 
grecs  de  sulh,  suluh,  et  sulcus,  paraissent  être  ivKctKct,  ctvXctKot, 
soc,  avÀctci  (homér.  &5à|),  sillon,  aussi  #ÙÀci|,  où  le  spiritus 
asper  conservé  remplace  un  o*F  disparu,  comme  dans  d'autres 
cas  analogues.1  Les  synonymes  coAiy^y  oopiy^  sillon,  que  l'on 
ne  saurait,  pas  plus  que  les  précédents,  ramener  à  eÀ;t&>,  se 
relieraient  de  la  même  manière  à  la  rac.  svf ,  svar  et  sval.2 

6)  Le  bas-latin  soccus,  socus,  paraît  être  d'origine  celtique, 
si  l'on  compare  l'irl.  soc,  socc,  gén.  suie,  bec,  groin,  soc,  corps 
pointu  en  général,  d'où  socach,  rostratus,  le  cymr.  sweh, 
soc  et  groin,  anc.  corn,  soch,  armor.  souch,  soh.  Ce  mot  a  des 
affinités  plus  étendues,  mais  son  origine  primitive  reste  incer- 
taine.5 Dans  l'anc.  ail.  nous  trouvons  suoha,  herse,  à  côté  de 

1  Par  exemple,  vnvoç  =  svapnas,  $vç,  svadus,  et  sans  spir.  asp.; 
l<>  =  rac.  svid,  iiïoç  =  svêdas,  etc. 

2  Cf.  Legerlotz  (Z.  S.,  10,  370,  sqq.),  qui  compare  sulcus  et  sulh, 
en  partant,  pour  le  grec,  d'une  forme  FoeXF«|,  et  d'une  rac.  o-f«x. 
Curtius,  par  contre  (  Gr.  Et.3,  3,  131),  combat  cette  explication  et 
suppose  un  thème  plus  ancien  oc-FXax,  de  eXxw,  F£X>cw,  d'où  aussi 
âxxoç.  De  même  Fick  (397). 

3  Ces  noms  du  soc  et  du  groin  s'identifient  tellement  avec  ceux 


—     125     — 

seh,  sech,  soc,  fossoir,  et  de  sahs,  ags.  seaœ,  scand.  saœ,  cou- 
teau, peut-être  tout  différents  à  cause  de  la  voyelle.  Cf.  latin 
seco,  etc.  Le  russe  et  polon.  socha,  charrue,  d'où  le  russe  sosh- 
nikû,  soc,  complique  encore  la  question,  car,  d'une  part,  l'anc. 
si.  socha  ne  signifie  que  fustis,  vallus,  comme  le  russe  soshka, 
pol.  soszka  une  étaie,  une  fourche  à  étayer,  et  de  l'autre,  le  ch 
slave  correspond  dans  la  règle  à  s  ou  sh  sanscrit,  et  parfois  à 
ksh}  On  ne  sait  de  plus  si  Yo  remplace  ici  un  a  ou  un  u  pri- 
mitif. Le  sanscrit  ne  nous  vient  point  en  aide,  car  ni  sûka, 
flèche,  ni  sûci,  aiguille,  cône,  ne  peuvent  rendre  compte  des 
formes  celtiques  et  slaves. 

Toute  conjecture  sur  l'origine  de  ces  noms  du  soc  et  de  la 
charrue  reste  d'autant  plus  incertaine  que,  soit  hasard,  soit 
rapport  réel,  les  langues  sémitiques  présentent  ici  quelques 
analogies  frappantes  dans  l'arabe  sikkat,  soc,  sikkîn,  couteau 
(  =  hèh.  sakkîn),  sakka,  coin  à  monnayer,  clou,  tous  du  radi- 
cal sakka,  shakka,  shaqqa,  il  a  fendu,   coupé,  percé,   divisé, 


du  cochon,  anc.  irland.  socc,  cymr.  hwch  =  socc,  etc.  (Cf.  t.  I,  p.  460), 
que  l'on  ne  peut  guère  les  en  séparer.  Cf.  le  sansc.  pôtra,  soc  et 
groin,  de  pu,  nettoyer,  d'où  pôtrin,  sanglier;  et  plus  loin  le  grec 
vviç.  —  Le  latin  soccus,  espèce  de  chaussure  légère ,  auquel  on  a 
voulu  rattacher  soc,  en  quelque  sorte  comme  le  soulier  de  la  charrue, 
semble  tout  différent,  mais  d'une  origine  obscure.  Spiegel  (Z.  S.,  XIII, 
372)  le  rapproche  du  zend  hakha,  plante  du  pied,  de  hac  =  scr.  sac, 
s'attacher  à,  suivre,  en  comparant  hakhi  =  scr.  sakhi,  socius,  etc.  De 
même  Justi  (314,  avec?).  De  même  aussi  Fick  (192)  qui  ajoute  le 
phrygien  <rvx,%oç  (Hesych.),  espèce  de  chaussure,  malgré  la  différence 
des  voyelles.  Corssen,  par  contre  (Krit.  Beitr.,  27),  explique  soccus  par 
sog-cus,  de  la  rac.  sag,  couvrir,  et  Pauli  (Z.  S.,  19,  38)  admet, 
comme  également  possibles,  soccus  de  *sodicus,  rac.  sad,  aller,  ou  de 
*sopicus,  rac.  sap,  être  attaché,  suivre;  comme,  en  slave,  sapogû,  cal- 
ceus.  On  voit  à  quel  point  les  conjectures  diffèrent. 
1  Schleicher,  Slav.  Formenlehre,  p.  138. 


^-     126     — 

lequel  se  retrouve  même  dans  l'ancien  égyptien  sekeu,  sekea, 
labour,  copbte  skai,  skei ,  labourer,  et  siki ,  sike,  briser, 
broyer.1 

7)  Le  gr.  vvtç,  vvviç,  aussi  uvfj,  vvvyj,  soc,  a  été  rattaché  de- 
puis longtemps,  et  déjà  par  Plutarque,  à  vçy  cochon  (Cf. 
Grrimm,  Gescli.  d.  d.  Spr.,  57,  et  Curtius,  Gr.  Et?,  357  ). 
Cela  s'accorderait  bien  avec  le  rapport  signalé  plus  haut  entre 
les  noms  néo-celtiques  du  soc  et  du  cochon,  ainsi  qu'avec  le 
sansc.  mukhalângala,  pour  l'animal  auquel  son  groin  sert  de 
charrue  (t.  I,  464).  Toutefois  le  D.  P.  (t.  VII,  258)  présume 
une  connexion  différente  entre  vvy,  vviç,  et  le  sanscrit  sunâ  ou 
çunâ,  qui  désignerait  le  soc  dans  le  composé  sunâsîra  ou  çunâ- 
sîra,  soc  et  charrue,  au  duel  nom  de  deux  génies  préposés  à  la 
culture  des  céréales.  Cf.  çunâvant,  adj.,  appliqué  à  sîra,  char- 
rue, en  tant  que  munie  du  soc.  Le  D.  P.  n'indique  d'ailleurs 
aucune  étymologie,  et  je  ne  trouve  rien  d'autre  à  comparer. 

S  194.  LE  JOUG. 


Les  données  qui  précèdent  fournissent  sans  doute  de  fortes 
présomptions  de  croire  que  les  anciens  Aryas  ont  employé  la 
charrue,  mais  les  preuves  ne  sont  pas  encore  décisives.  En  de- 
hors des  deux  groupes  principaux  des  noms  de  la  charrue,  qui 
appartiennent  l'un  à  l'Orient  et  l'autre  à  l'Occident,  nous  ne 
rencontrons,  en  fait,  que  des  analogies  indirectes,  ou  trop  iso- 
lées et  incertaines  pour  entraîner  une  pleine  conviction.  Il  en 
est  autrement  du  nom  du  joug,  dont  l'accord  est  général  dans 
toutes  les  langues  ariennes,  comme  on  le  verra  par  l'énuméra- 
tion  suivante. 

1  Bunsen,  /Egypten,  1. 1,  vocab. 


—     127     — 

Scr.  yuga,  m.,  joug,  n.,  couple  ;  dans  ce  dernier  sens  aussi 
yug,  yugala,  yugma.  Cf.  yugya,  animal  de  joug,  yôktra,  la  corde 
du  joug,  etc.  —  La  racine  est  yug  (yunakti),  jungere. 

Zend  yug,  joindre,  yukhta,  joint,  attelé,  yûkhtar,  qui  attelle. 
Le  nom  même  du  joug  manque.  Les  autres  langues  iraniennes 
offrent  le  pers.  yûgh,  yôgh,  gûgh,  guh,  gô,  d'où  yûghîdan}  met- 
tre le  joug  ;  le  kourde  gôt,  d'où  gôt  hem,  labourer,  gôtkâr,  la- 
boureur ;  le  belout.  gô ,  l'ossète  oziau.  Cf.  armén.  zoygkh, 
couple,  paire,  et  zugél,  accoupler,  atteler. 

Grec  Çvyoç,  Çvyov,  &vyoç,  fyvyÀrj  (Cf.  sanscr.  yugala), 
Çuyioç  (fiovç)  —  scr.  yugya.  —  Rac.  Çvy,  dans  fyuyvvfjii,  etc. 

Latin  jugum.  Cf.  jumentum,  bête  de  trait,  jugerum,  acre  de 
terre  pour  une  paire  de  bœufs,  etc.  —  Rac.  jung  dans  jungo. 
Irl.  ughaim,  ughmadh,  harnais,  erse  uigheam,  id.;  sens  géné- 
ralisé. Cf.  scr.  yugma.  —  La  racine  verbale  manque. 

Cymr.  ancien  iou,  mod.  iau,  anc.  corn.  ieu,  armor.  ieô,  iaô, 
géô. —  La  racine  verbale  manque  également. 

Goth.  jukuzi,  joug,  juk,  gajuk,  couple  ;  ags.  iuc,  ioc,  geoc, 
joug  ;  scand.  oh,  oki,  ancien  allem.  juh,joh,  etc.  De  là  Fallem. 
moyen  et  mod.  jûch,  juchart,  acre,  comme  le  latin  jugerum. 
—  La  racine  verbale  est  conservée  dans  le  Scandinave  oka, 
jungere.1 

Lith.  jungas,  lett.  jûgs  ;  juncti,  atteler  au  joug.  Cf.  jautis, 
jauczias,  bœuf,  comme  jumentum  a  jugando. 

Anc.  slave  et  russe  igo,  bohém.,  par  aphérèse,  gho.  —  La 
racine  verbale  manque. 

Ce  nom  si  éminemment  arien  du  joug  a  passé  du  sanscrit 
au  malai  îgû,  et  du  slave  aux  langues  finnoises,  finland.  ikkja, 

1  Cf.  Diefenbach,  Goth.  Wb.,  I,  124. 


—     128     — 

esthon.  ikki,  carél.  iyuge,  olon.  yugei,  perm.  igo,  etc.,  sans 
doute  avec  l'emploi  de  la  charrue  elle-même. 

De  cet  accord  général  on  peut  conclure  avec  sûreté  que  le 
nom  et  la  chose  ont  appartenu  aux  Aryas  primitifs  ;  car,  bien 
que  la  racine  soit  restée  vivante  dans  plusieurs  langues,  il  est 
impossible  d'admettre  qu'elles  y  aient  rattaché  le  nom  du  joug 
chacune  de  son  côté,  tandis  qu'elles  pouvaient  le  faire  dériver 
de  bien  d'autres  radicaux.  Or,  de  ce  seul  fait  découlent  plu- 
sieurs inductions  importantes  pour  le  degré  de  développement 
de  l'agriculture  au  temps  de  l'unité. 

Le  joug,  en  effet,  ne  convient  qu'au  bœuf,  qui  pousse  mieux 
qu'il  ne  tire,  et  dont  la  force  réside  dans  les  muscles  puissants 
du  cou,  tandis  que  celle  du  cheval  est  dans  son  arrière-train. 
Ce  n'est  que  pour  le  bœuf  que  le  joug  peut  avoir  été  inventé, 
et  sa  signification  même  d'instrument  qui  joint,  indique  son 
emploi  pour  régulariser  l'action  d'un  couple  de  bœufs.  D'un 
autre  côté,  c'est  pour  la  charrue  que  le  joug  est  surtout  né- 
cessaire, parce  qu'elle  exige  une  grande  force  de  traction,  et  il 
est  peu  probable  que  le  char  en  ait  suggéré  l'idée,  d'autant 
moins  que  la  charrue  a  dû  précéder  le  char,  beaucoup  plus 
compliqué,  dans  l'ordre  des  inventions.  On  peut  donc  conclure 
de  l'existence  du  joug,  non-seulement  à  celle  de  la  charrue  en 
général,  mais  encore  d'une  charrue  solide,  puisqu'il  fallait  deux 
bœufs  pour  la  tirer,  et,  partant,  d'un  labour  profond,  et  plus 
complet  qu'on  n'aurait  pu  l'obtenir  du  seul  emploi  des  forces 
humaines.1 

1  L'emploi  du  bœuf,  comme  animal  de  trait  et  de  labour,  suppose 
la  castration,  carie  taureau  indompté  ne  peut  jamais  avoir  été  sou- 
mis au  joug.  La  preuve  que  ce  procédé  a  été  pratiqué  par  les  anciens 
Aryas,  résulte  d'une  coïncidence  de  termes  entre  le  sanscrit  et  le 
grec.  Le  védique  vadhri,  adj.  de  vadh,  frapper,  briser,  apa-vadh, 
couper ,  retrancher ,   signifie    châtré ,    émasculé,  impuissant.  De  là 


—     129 


§  195.  LA  HERSE. 

L'invention  de  la  herse  a  dû  suivre  de  près  celle  de  la 
charrue,  dont  elle  complète  l'œuvre.  Cependant  ses  noms 
sanscrits  kôtiça,  de  kôti,  pointe,  lêshtughna,  lêshtubhêdana, 
qui  détruit  ou  fend  les  mottes,  sont  purement  indiens  ;  mais 
le  persan  en  possède  deux  qui  se  retrouvent  dans  les  lan- 
gues européennes,  et  celles-ci  en  ont  en  commun  un  autre 
qui  doit  être,  en  tout  cas,  fort  ancien. 

1)  Le  pers.  kirâz,  herse,  paraît  se  lier  à  la  rac.  scr.  kf,  kar 
(kii7ati),  spargere,  d'où  vient  kira,  kiri,  le  sanglier  qui  dis- 
perse et  remue  la  terre,  comme  la  herse.  Le  peigne, 
qui  ressemble  en  petit  à  la  herse ,  est  appelé  vârakîra 
(  Wilson  ) ,  de  vâra  ,  queue  chevelue ,  d'où  le  védique 
vâravantj  caudatus  ,  épithète  du  cheval  (  Cf.  grec  ovpct, 
queue),  et  de  kîra,  qui  disperse,  peut-être  isolément  aussi 
un  nom  du  peigne.  En  irlandais,  en  effet,  le  verbe  cio- 
raim  =  cïrim,  signifie  peigner,  et  on  en  voit  dériver  cir,  cz'or, 

vadhrikâ,  m.,  eunuque,  vadhrimatî,  femme  dont  le  mari  est  impuis- 
sant, Vadhryaçva,n.  pr.:  qui  possède  des  chevaux  châtrés.  Aussi,  au 
moral,  vadhrivâç,  adj.,  qui  prononce  de  vaines  paroles.  A  ce  vadhri  ré- 
pond exactement  IB-çiç,  pour  Ft§-§iç  (  Hesych.),  bélier  châtré  ;  aussi 
ïB-piç  (Suidas,  \oc.  otpj>sv)}  '/%/ç  avu'p,  eunuque  (Cf.  Pott,  WWb.,\N,  866). 
On  ne  saurait  comparer  le  goth.  vithrus,  agneau,  scand.  vedhr,  ags. 
vedher,  anc.  ail.  widar,  bélier,  etc.,  dont  les  dentales  ne  correspon- 
dent pas  régulièrement,  et  qui  se  rattachent  à  vat,  année  (Cf.  t.  I, 
p.  423).  Mais,  comme  ces  termes  germaniques  désignent  aussi  partiel- 
lement le  vervex,  mouton  châtré,  en  anglais  ivether,  etc.,  on  peut 
présumer  qu'il  y  a  eu  confusion  entre  un  ancien  vidrus  ou  vidras, 
de  la  même  racine  que  vadhri,  sS-f^,  et  vithrus,  de  vat. 

II  9 


—     130     — 

peigne,  aussi  bien  que  ciran,  herse,  et  cirin,  cirén,  crête,1 
comme  en  anglais  comb,  et  en  allem.  kamm,  pour  crête  et 
peigne.  A  la  même  racine,  avec  un  suffixe  encore  différent, 
se  rattache  l'ang.-sax.  hyrwe,  angl.  harrow,  herse. 

2)  Le  synonyme  persan  barn,  herse,  dérive,  ainsi  que 
barnas,  barras,  ciseaux,  barah,  serpette,  barmah,  foret,  burâ, 
burindah,  tranchant,  àeburîdan,  tailler,  couper,  en  zend  rac. 
bere,  bar,2  en  kourde  barum,  je  coupe.  C'est  le  grec  (pctpu, 
fendre,  diviser,  Qctpoœ,  labourer  à  la  charrue,  le  latin /oro, 
percer,  etferio,  blesser,  frapper,  l'irl.  buraim,  blesser,  écor- 
cher,  d'où  burach,  labour,  et  buiridhe,  bêche,  houe,  et  bear- 
raim,  couper,  béarnaim,  fendre;  le  cymr.  beru,  percer;  l'ags. 
borian,  scand.  bora,  anc.  allem.  porôn,  terebrare,  scand.  beria, 
ferire,  anc.  allemand  perjan,  terere,  anc.  si.  briti,  tondere,  et 
brati,  boriti,  pugnare,  etc.,3  avec  une  foule  de  dérivés  divers. 

Pour  en  revenir  à  la  herse,  le  pers.  barn  trouve  son  corré- 
latif dans  toutes  les  langues  slaves,  le  russe  boronâ,  l'illyrien 
brana,  le  pol.  brona,  le  boh.  brany,  etc.,  mais  je  n'en  trouve 
pas  de  trace  ailleurs. 

3)  Le  groupe  européen  des  noms  de  la  herse,  dont  j'ai  parlé 
plus  haut,  provient  certainement  d'une  même  racine,  mais  par 
des  suffixes  qui  diffèrent  en  partie. 

Le  grec  o%v*  se  lie  à  olçbç,  tranchant,  acéré,  et  désigne 
l'instrument  armé  de  pointes.  La  racine  est  og,  forme  secon- 
daire de  oh  =  scr.   aç  et  aksh,  penetrare.    Cf.  âçu  =  u»cvç; 

d^ivrj,  hache,  etc. 

Le  lat.  occa,  d'où  occare,  herser,  semble  indiquer  un  thème 

1  Cf.  scr.  kirîta,  diadème. 

2  Spiegel,  Z.  S.,  V,  234,  et  Justi,  244. 

a  Cf.  scr.  vêd.  bhara,  pugna,  anc.  slave  borï,  id. 


—     131     — 

primitif  açka  =  akka,  formé  de  aç,  ak,  comme  çushka,  le  lat. 
siccus,  de  çush. 

L'anc.  cymrique  oeet,1  maintenant  oged,  et  aussi  og,  ogan, 
armor.  oged,  hoged,  paraît  dériver  directement  du  verbe  ogi 
(oci),  herser  ;  et  son  suffixe  est  le  même  que  celui  de  l'anglo- 
sax.  egedhe,  anc.  allem.  egida,  ail.  mod.  egde,  egge,  où  le  g  est 
affaibli  de  h.  Cf.  goth.  ahs,  spica,  etc. 

Ce  suffixe  se  retrouve  également  dans  le  lith.  ekkêczos,  pi. 
(  cz  pour  t,  ekkëtojis,  celui  qui  herse  ),  proprement  sans  doute 
les  pointes,  d'où  le  dénom.  ekkëti,  herser. 

Ces  noms  de  la  herse,  comme  celui  de  la  charrue  et  d'autres, 
confirment  le  fait  d'une  première  séparation  de  la  race  arienne 
en  deux  branches  principales. 


ARTICLE   II. 


496.  LES  SEMAILLES. 


C'est  aussi  ce  qu'indique  l'accord  des  langues  européennes 
entre  elles  pour  exprimer  l'action  de  semer.  Comme  pour  celle 
de  labourer,  ces  langues  emploient  ici  une  même  racine,  la- 
quelle, en  sanscrit,  n'a  qu'une  signification  plus  générale,  et 
dont  les  synonymes  orientaux  ne  donnent  lieu  qu'à  un  petit 
nombre  de  rapprochements  avec  l'Occident. 

1)  {jes  termes  européens  sont  les  suivants  : 

Lat.  sero  (sévi,  satum),  d'où  sëmen}  sator,  Sëia,  déesse  des 
semailles,  etc.  Sero  est  probablement  pour  seso,  forme  redou- 
blée de  seo,  rac.  se,  sa. 

1  Z.2,1062. 


—     132     — 

Irl.  sûim,  dénom.  de  su,  semence  ;  rac.  si. 

Cymr.  hau,  heu,  rac.  ha,  he  =  sa,  se.  —  De  là  had,  graine, 
corn,  hâz,  armor.  had,  d'où  hada,  semer.  De  là  aussi  Ml  et  sil, 
progéniture,  et  semence,  comme  l'irl.  sil. 

Goth.  saian,  redoublé  saisô,  ags.  sâivan,  angl.  soie,  scand. 
sa,  sôa,  ancien  allem.  sâan,  sâhan,  etc.,  racine  sô.  —  De  là  le 
goth.  sêths,  satio,  semen,  ags.  saed,  scand.  sâd,  saedi,  anc.  ail. 
sât,  sâti,  etc.,  mais  aussi  sâmo,  sâmon  =  lat.  sëmen. 

Lith.  sëti  (sëju),  d'où  sëja,  semaille,  sêtëjas,  semeur,  sëklà, 
semence,  sëmu,  sëmene,  id.,  pa-sëlis,  terrain  ensemencé.  Cf. 
irl.  sil,  cymr.  hil. 

Anc.  si.  seti,  seiati,  russe  sieiatï,  ill.  sjati,  pol.  siac,  etc.  De 
là  l'anc.  si.  setiie,  setva,  satio,  et  semé,  russe,  siemia,  polonais 
siemie,  illyr.  sjeme,  boh.  semeno,  etc.,  semence. 

Le  grec,  qui  manque  seul  à  cette  énumération,  et  qui  em- 
ploie le  verbe  (T7riipûù^  possède  cependant  aussi  la  racine  com- 
mune dans  (rue*),  (TVjêoûy  cribler,  c'est-à-dire  répandre,  ce  qui 
est,  en  fait,  sa  signification  primitive.2 

Léo  Meyer  croit  la  retrouver  dans  le  sansc.  sô,  proprement 
sa,  destruere,  conficere,  mais  dont  le  sens  originel  serait,  sui- 
vant lui,  jeter,  et  qu'il  considère,  avec  Benfey,  comme  une 
provenance  de  la  rac.  as,  jacere.5  C'est  là,  toutefois,  une  hypo- 
thèse bien  hardie,  et  il  semble  préférable  de  recourir,  avec 
Bopp,  à  la  rac.  san,  donner,  répandre,  d'une  forme  primitive 

1  Cf.  <r7rô§oç}  o-néç/AXi  semence,  et  la  rac.  scr.  spr ,  spar,  vivere  (Dha- 
tup.),  lat.  spiro,  spiritus,  irl.  spré,  animation,  esprit  et  bétail  vivant. 
Il  est  naturel  de  considérer  la  semence  comme  vivante,  et  le  eymrique 
aman,  graine,  sperme,  dérive,  comme  anal,  souffle,  de  la  rac.  scr. 
an,  spirare,  d'où  animus,  etc.  — L'armén.  sprel,  semer,  serait-il  em- 
prunté du  grec?  Cf.  aussi  irl. pôr,  graine,  de  spôrl 

2  Cf.  Curtius  (Gr.  Et.*,  354). 
»  Z.  S.,  VIII,  250. 


—     133     — 

sa,  rapportée  à  la  5e  classe,  sâ-nôti,  au  lieu  de  la  8e,  san- 
ôti,  etc.1  Bopp  compare,  d'après  cela,  le  goth.  sêths,  thème 
sêdi,  avec  le  scr.  sâti,  don,  la  semence  étant  ce  que  Ton  donne, 
ce  que  l'on  confie  à  la  terre. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  signification  spéciale  de  semer  est  cer- 
tainement propre  aux  langues  européennes,  et  on  n'en  trouve 
aucune  trace  sûre  en  Orient.  L'armén.  serran,  graine,  serma- 
nel,  semer,  que  l'on  pourrait  être  tenté  de  comparer,  est  pro- 
bablement un  mot  sémitique  avec  une  terminaison  arienne, 
comme  on  en  trouve  plusieurs  dans  le  pehlwi.  Cf.  héb.  zâra', 
arabe  zarda,  sparsit,  sévit,  zerd,  chald.  zrd,  semen,  etc.,  dont 
la  ressemblance  avec  sero  est  purement  fortuite.  On  pourrait 
mieux  penser  à  l'ossète  thaun,  semer,  rac.  tha,  si  le  th,  pro- 
noncé à  l'anglaise,  remplace  ici  la  sibilante,  comme  quelque- 
fois ailleurs. 

2)  Pour  semer,  dans  le  sens  agricultural  et  physiologique 
(gignere)  également,  le  scr.  emploie  la  rac.  vap,  proprement 
jeter,  répandre.  De  là,  d'une  part,  vapa,  vapana,  âvâpa, 
upti,  etc.,  ensemencement,  vaptar,  semeur,  vapra,  vapri,  champ 
cultivé,  etc.,  et  de  l'autre,  vapana,  sperme,  vaptar,  vapra,  va- 
pila,  père,  etc.  Cf.  zend  vap,  lancer,  répandre,  etvip,  semen 
emittere. 

En  Europe,  on  ne  trouve  des  traces  un  peu  certaines  de 
cette  racine  que  dans  cette  dernière  acception.  Ainsi,  j'ai  déjà 
comparé  avec  vapra,  genitor,  l'anc.  si.  vepru,  ou  veprï,  illyr. 
vepar,  le  verrat  ou  sanglier,  comme  fécondateur  (Cf.  1. 1,  p.465). 
Il  faut,  sans  doute,  y  rapporter  aussi,  avec  Benfey,  le  grec 
07TVÛ0,  07rviûû,  coire   cum  femina,   probablement  dénominatif 

1   Vergl.  Gr.yll,  499. 


—     134     — 

d'un  subst.  yqwvç  =  scr.  vapus,  le  corps  qui  engendre.1  Une 
application  à  l'agriculture  ne  se  montre  nulle  part  avec  sûreté. 
Kuhn,  il  est  vrai,  croit  reconnaître  la  rac.  vap  dans  l'ancien 
allem.  uoban,  colère,  exerce  re,  d'où  uobo,  colonus,  uoberi,  cul- 
tor,  le  scand.  aefa,  ail.  mod.  ûben,  etc.  ; 2  mais,  d'une  part,  les 
labiales  ne  correspondent  pas  régulièrement,  b  étant  =  bli 
sanscrit,  et  non  p,  et  de  l'autre,  la  signification  de  exercere, 
restée  seule  en  usage  dans  l'allemand  moderne,  et  même  celle 
de  colère,  paraissent  différer  un  peu  trop  dejacere  et  serere. 

3)  Le  pers.  kârîdan,  semer,  afghan  karal,  id.,  se  rattache 
sûrement  à  la  rac.  scr.  kf,  kar,  jacere,  jaculari,  plutôt  qu'à 
kr,  kar,  facere,  le  persan  kardan.  Les  significations  toutefois 
se  confondent,  et  kârîdan  se  prend  aussi  dans  l'acception 
de  travailler,  de  même  que  kâr  désigne  également  l'action  de 
semer  et  de  labourer,  et  kurd,  kurz,  un  champ  ensemencé  et 
cultivé. 

Il  est  curieux  de  voir  les  deux  sens  indiqués  se  réunir  de  la 
même  manière  dans  l'irl.  cuirim,  erse  cuir,  semer,  planter,  mais 
aussi  faire,  agir,  exécuter,  forme  sous  laquelle  se  confondent 
les  racines  kf,  et  kr.  De  là,  dans  la  première  acception,  l'irl. 
erse  cur,  curachd,  seminatio.  La  neige,  comparée  à  une  se- 
mence qui  tombe,  est  aussi  appelée  cur,  comme  en  sanscrit 
kara,  karaka,  est  le  nom  de  la  grêle,  et  comme  en  zend  vafra, 
pers.  barf,  kourde  bâfer,  de  vaf  =  vap,  désigne  également  la 
neige. 

1  Griech.  Wl.,  1,341. 

2  Ind.  Stiid.,  I,  352. 

3  Justi,  2G7;  huzv.  vafr,  afghan  vâvarah,  boukh.  bcrf,  etc. 


135 


ARTICLE   III. 


§  197.  LA  MOISSON  ET  SES  INSTRUMENTS. 


Ici  encore,  nous  nous  trouvons  en  présence  d'un  groupe  eu- 
ropéen principal,  à  côté  duquel  on  peut  signaler  quelques  ana- 
logies plus  isolées  avec  l'Orient. 

1)  La  racine  verbale  européenne  paraît  être  ma,  avec  une 
forme  augmentée  mat,  met. 

Dans  le  grec  cI(ji,ciûû,  moissonner,  cl  n'est  qu'un  préfixe  qui 
figure  quelquefois  avec  le  sens  de  ct7ro>  ou  du  sanscrit  ava.  De 
là  cl/^yj,  faucille,  cL[à,i>itv}ç9  moissonneur,  etc.1 

L'anc.  allem.  mahan,  allem.  moy.  maien,  maen,  mêwen,  ags. 
mawan,  anglais  mow,  etc.,  font  présumer  un  verbe  gothique 
maian,  lequel  serait  à  ma  comme  saian,  serere,  à  sa,  vaian, 
flare,  à  va?  Les  dérivés  germaniques  sont  l'ang.-sax.  maedh, 
falcatio,  angl.  math,  ail.  moy.  mât,  id.,  et  foin,  pré;  l'anc.  ail. 
amat,  amad,  herbe  nouvelle  à  faucher,  madari,  moissonneur, 
faucheur,  etc.  Le  scand.  ma  n'a  que  le  sens  plus  général  de 
terere,  atterere,  d'où  mâdr,  détritus. 

La  forme  augmentée  se  trouve  dans  le  latin  meto,  messis, 
messor;  l'anc.  irl.  meithel,  metil,  bande  de  moissonneurs,  meta, 
moisson  (Corm.,  GL,  107),  cymr.  medi,  moissonner,  medel, 
troupe  de  moissonneurs,  medwr,  moissonneur  ;  corn,  f  midil, 

1  De  même  Fick,  385.  —  Curtius,  par  contre  (Gr.  Et. 3,301),  part 
de  la  forme  d^d-oj,  avec  le  sens  primitif  de  rassembler,  et  non  de 
couper. 

2  Léo  Meyer,  Z.  S.,  VIII,  261. 


—     136     — 

messor;  armor.  médi,  midi,  moissonner,  couper,  méd&r,  etc. 
Cf.  anc.  slave  mesti  (meta),  verrere,  jacere,  russe  metâtï,  d'où 
metlâ,  pol.  miotla,  balai,  etc. 

Léo  Meyer  (loc.  cit.)  compare  la  rac.  scr.  mi,  jacere,  proji- 
cere,  dejicere,  delere,  proprement  ma,  au  fut.  mâsyati,  au 
prêt,  mamâu,  etc.,  rac.  sans  doute  alliée  à  ma,  metiri,  avec  le 
sens  primitif  de  diviser.  Cette  dernière  présente  aussi  une 
forme  augmentée  d'une  dentale  dans  le  sanscr.  mâd,  le  zend 
mâdh,  le  latin  mêto,  le  gothique  mitan  (mat),  le  lithuan.  ma- 
toti,  etc.,  ce  qui  le  rapproche  encore  plus  de  ma  dans  la  pre- 
mière acception.1 

C'est  de  la  racine  lu,  secare,  que  le  sanscrit  fait  dériver  les 
divers  termes  relatifs  à  la  moisson,  ainsi  qu'au  butin,  tels  que 
lu,  lava,  lavana,  lûni,  coupe,  moisson,  abhilâva,  action  de  cou- 
per le  blé,  lavâka,  lavitra,  faucille,  lôtra,  butin,  etc.  J'ai  déjà 
remarqué  (Cf.  t.  I,  p.  623)  qu'un  des  noms  ariens  de  la  caille 
et  de  l'alouette  se  rattache  à  la  racine  lu,  et  désigne  l'oiseau 
qui  coupe  les  épis,  l'oiseau  moissonneur.  Aux  termes  com- 
parés il  faut  ajouter  le  grec  hoiïoç,  de  ActFioç,  espèce  de  caille, 
suivant  Aristote  (Hist.  anim.,  ix,  19).  D'autres  analogies  prou- 
vent plus  directement  encore  cette  application  à  la  moisson, 
au  temps  de  l'unité  arienne.  Ainsi  le  grec  Ayjïov>  Autov,  la 
moisson  sur  pied,  exactement  le  sanscrit  lavyam,  n.,  meten- 
dum,  secandum.  Le  Scandinave  lia,  pour  livâ,  désigne 
l'herbe  nouvellement  coupée,  et  liâr,  de  livâr,  faux,  semble 
provenir  comme  l'afghan  lur,  faucille,  d'un  thème  lavara 
=  lavitra,  l'instrument  qui  coupe.2  L'armoricain  levé,  rente 

1  Le  goth.  maitan,  couper,  est  à  wd,  oc-/*a«,  comme  mitcm,  mesu- 
rer, est  à  ma,  id. 

2  Cf.  Bugge  (Z.  S.,  20, 10),  scand.  lé,  pour  lei,  primit.  leva,  lëvan; 


—     137     — 

annuelle  de  bien-fonds,  a  eu  peut-être  le   sens  primitif  de 
moisson. 

3)  Le  scr.  stambaghna,  ou  -ghana,  stambalianana,  faucille, 
est  composé  de  stamba,  javelle,  touffe  d'herbe,  etc.,  et  de  han 
(ghan),  csedere,  dejicere.  Cette  racine,  qui  en  zend  devient  zan, 
se  retrouve,  avec  le  sens  de  moissonner,  dans  l'ancien  slave 
jeti  (jinâ),  vussejatï  (jnu),  pol.  zàc  (znë),  et  avec  y  pour  z  et 
h.  De  là  beaucoup  de  dérivés,  tels  que  l'ancien  slave  jetva, 
moisson,  jêtelï,  moissonneur,  russe  jâtva  et  jatelî,  id.,  jnetsu, 
moissonneur,  jinanie,  moisson,  polonais  zëcie,  znhvo,  moisson, 
zonàé,  donner  un  coup  de  faucille,  etc.,  etc.  —  Le  gh  primitif 
de  la  racine  est  resté  dans  l'alban.  ghanni,  moisson.  Cf.  litliuan. 
genéti  (gémi),  tailler,  frapper,  etc. 

4)  Au  sansc.  bal,  fruges  in  granario  reponere  (Dhâtup.), 
to  hoard  grain  (Wilson),  d'ailleurs  sans  dérivés,  paraît  cor- 
respondre le  lith.  walyti  (walau),  faire  et  rentrer  la  moisson, 
walimas.  Le  sens  primitif  de  la  racine  reste  obscur.  Je  ne  sais 
si  le  gaulois  vallum,  suivant  Pline,  un  char  à  rentrer  la  mois- 
son,1 a  quelque  droit  à  un  rapprochement. 

5)  Une  coïncidence  plus  sûre,  bien  qu'isolée,  est  celle  du 
pers.  ban,  banû,  moisson,  avec  l'irland.  buain,  id.,  de  buainim, 
moissonner,  couper,  tondre,  frapper,  d'où  aussi  buainire,  mois- 
sonneur. Cf.  beanaim,a\ec  le  même  sens,2  et  banaim,  bainim, 
abattre,  enlever,  piller,  ainsi  que  l'armor.  béna,  tailler.  La  ra- 
cine verbale  paraît  manquer  en  persan,  comme  en  sanscrit 
où  elle  devrait  être  blxan,  si  l'on  compare  le  gr.  Qem,  <pivoç, 
le  goth.  bani,  blessure,  banja,  coup,  l'ang.-sax.  benn,  vulnus, 

liâr,  nom.  sing.,  serait  provenu  du  pluriel  liâr,  pour  lévar,  et  non 
d'un  thème  lavarâ. 

1  Hist.Nat.,  XVIII,  30. 

2  Ane.  irl.  ben,  cœsio,  oecisio  (Z.2,  37,  44). 


—     138     — 

bânat  interfector,  scand.  bani,  mors  et  percussor,  benia,  vulne- 
rare,  etc. 


§  198.  LA  FAUX,  LA  FAUCILLE. 

J'ai  parlé  déjà  du  scr.  lavitra,  lavâka,  aussi  lavânaka,  fau- 
cille, de  lu,  couper,  moissonner,  en  comparant  l'afghan  lur  et 
le  scand.  liâr.  Les  autres  noms  varient  beaucoup  et  ne  don- 
nent lieu  qu'à  un  petit  nombre  d'observations. 

1)  Le  persan  sifâlah,  sufâlah,  faucille,  est  pour  sfâlah, 
avec  une  voyelle  intercalée  pour  remplacer  le  groupe  initial 
sf  —  sp,  çp,  qui  manque  au  persan,  comme  en  général,  les 
combinaisons  de  Ys  initiale  avec  une  autre  consonne.  Cf.  sa- 
fêd,  sapêd,  blanc  =  zend  çpaêta,  etc.  Ce  mot  se  rattache 
ainsi  très-probablement  à  la  racine  sanscr.  sphal,  concutere  ; 
cf.  anc.  allem.  spaltan,  findere,  spalt,  fissure,  etc.,  erse  spealt, 
assula,  irland.  spealtaim,  findo,  etc.  La  racine  simple  se  re- 
trouve encore  dans  l'irland.  spealaim,  couper,  moissonner,  d'où 
spealadoir,  moissonneur,  et  speal,  faucille,  exactement  le  pers. 
sifâlah} 

2)  Le  grec  ccû7rrj9  faux,  est  sans  doute  pour  cru()7rri,  comme 
l'indique  le  latin  sarpo,  émonder,  d'où  notre  serpe,  et  surtout 
Fane.  si.  srupu,  faux,  russe  serpu,  illyr.  sarp,  polon.  siérp,  boh. 
srp,  etc.  C'est  là  sans  doute  un  nom  fort  ancien,  mais  d'une 
origine  encore  incertaine.  Pott  conjecture,  pour  le  grec,  un 
composé  du  préfixe  cl  =  scr.   sa,    cum,  avec  la  rac.  rap,  qui 

1  Irl.  moy.  spel,  faucille  (Corm.,  GL,  149).  -  Stokes  jfeompare  Téol. 

<T7T0CXtÇ. 


—     139     — 

se  montre  dans  rapio  et  ailleurs.1  D'après  cela  Y  s  des  termes 
slaves  ne  serait  également  qu'un  préfixe,  et  on  pourrait  com- 
parer l'ang.-sax.  ri/ter,  faux,  moissonneur,  de  ripan,  moisson- 
ner, rip,  moisson,  etc.,  ainsi  que  le  lat.  irpex,  urpex,  sorte  de 
hoyau,  extirpateur.  Kuhn,  par  contre,  s'appuie  de  quelques 
exemples  d'une  substitution  de  s  à  un  sk  primitif,  comme 
l'anc.  allemand  sarf,  acéré  =  scarf,  le  latin  sirpus  =  sûr- 
pus,  etc.,  pour  ramener  les  noms  de  la  faux  à  une  rac.  skarp 
(Cf.  scalpo),  dont  Y  s  se  supprimerait  dans  le  lat.  carpo,  le  gr. 
Kc&p7roç,  Kcip7ri^co}  etc.  Cela  le  conduit  à  rapprocher  de  ètpTrfj 
(macédonien  yop7rv\),  pour  <TKot,p7nn,  le  scr.  çalpa,  qui  ne  dési- 
gne, il  est  vrai,  qu'une  arme  de  jet,  une  espèce  de  flèche,  mais 
qui  joue  dans  un  mythe  indien  le  même  rôle  que  la  cbpmi  dans 
celui  de  l'émasculation  d'Uranus  par  Kronus.2  Ces  considéra- 
tions ingénieuses  seraient  bien  propres  à  entraîner  la  convic- 
tion, n'était  le  slave  srupîc,  qu'il  faudrait  aussi  faire  provenir 
de  skrupu.  Peut-être,  après  tout,  que  l'opinion  de  Grimm  qui 
rattache  àpwvi  et  srupu  à  gû7T&>,  serpo,  le  scr.  srp,  est  encore 
la  mieux  fondée,  car  il  était  naturel  de  comparer  la  faux  courbe 
à  un  serpent  qui  se  glisse  entre  les  tiges  pour  les  abattre.3  Les 
flèches  aussi  sont  souvent  comparées  à  des  serpents  dans  la 
poésie  indienne,  et  il  ne  serait  pas  impossible  que  çalpa  fût 
pour  salpa  et  sarpa,   par  la  substitution  fréquente  du  ç  à  Ys.lt 

»  Et.  F.,  II,  123. 

*  Z.  S.,  IV,  22. 

3  Gesch.  d.  d.  Spr.,y.  303. 

*  Mais  voici  que  le  mot  çalpa  même  menace  de  disparaître,  depuis 
que  le  D.  P.  (t.  VII,  109)  donne  çalpa,  çalpaka,  comme  des  fausses 
leçons  pour  çalya,  çalyaha, 


140 


§  199.  LA  FOURCHE. 

La  variété  des  noms  de  la  fourche  n'est  pas  moins  grande 
que  pour  la  faux,  et  les  rapprochements  que  l'on  peut  faire  se 
réduisent  aux  suivants. 

1)  Le  scr.  gabhasti  désigne  un  timon  fourchu,  une  limo- 
nière,  et  dans  un  passage  du  Rigvêda,  un  carreau  de  foudre 
à  deux  pointes  (D.  P.,  v.  c),  de  sorte  que  son  sens  propre  a 
dû  être  celui  de  fourche.  Il  s'applique  aussi  à  la  main,  par 
suite  de  l'analogie  de  forme.  La  racine  est  gabli,  gambh  =  gabh, 
gambhy  oscitare,  d'où  dérivent  plusieurs  noms  d'objets  divers 
qui  s'ouvrent,  bâillent,  s'écartent  pour  saisir  ou  engloutir, 
comme  gabha,  fente,  vulve,  gambhan,  gouffre,  profondeur, 
gambha,  gueule,  dent,  cf.  youQoç  et  anc.  si.  zàbû,  etc.  Kuhn 
en  a  traité  en  détail  dan|  un  intéressant  article  de  son  journal 
sur  la  racine  en  question  (Z.  S.,  I,  123),  et  aux  exemples  de 
dérivés  qu'il  donne,  il  faut  ajouter  l'irl.-erse  gab,  gob,  bouche, 
bec,  de  gamb  =  gamba,  et  d'où  vient  le  français  gober.  Kuhn 
y  rapporte  aussi  le  nom  germanique  de  la  fourche,  anc.  allem. 
kapala,  gabala,  scand.  gaffai,  ags.  au  plur.  gaflas,  les  fourches 
pour  le  gibet,  angl.  galloivs,  et  pour  le  faîte  d'un  toit,  goth. 
gibla,  scand.  gafl,  anc.  allem.  gibil,  etc.  Ces  formes  font  pré- 
sumer un  thème  scr.  gabhala,  synonyme  de  gabhasti,  lequel  se 
retrouve  également  dans  les  langues  celtiques,  anc.  irlandais 
gabul,  fourche  (Z.2,  7(38),  mod.  gabhal,  gobhal,  erse  gobhlag, 
gobhlan,  cymr.  gafl,  gaflacli,  armor.  gavl,  gaol.  Il  est  à  remar- 
quer qu'ici  la  racine  verbale  s'est  maintenue  dans  l'ancien  irl. 
gabim,  capio  (Z.2,  429),  maintenant  gabhaim,  en  cymr.  gafael, 


—     141     — 

capere,  etc.,  le  sens  transitif  de  capere  appartenant  aussi, 
d'après  Kuhn,  au  scr.  gambh  (1.  c.,  p.  127).1 

A  côté  de  gabh,  gambh,  on  trouve  en  sanscrit  les  formes 
sans  aucun  doute  plus  primitives  grbh,  grmbh,  bâiller,  s'ou- 
vrir, d'où  grmbha,  bâillement,  grmbhita,  ouvert,  épanoui, 
bâillant,  etc.  Il  est  évident,  d'après  cela,  que  la  rac.  védique 
grbh,  capere,  c'est-à-dire  s'ouvrir  pour  saisir,  est  originaire- 
ment identique  à  grbh,  gabh  et  gabh.  Les  affinités  de  cette 
racine  grbh  s'étendent  fort  au  loin,  et  il  serait  intéressant  de 
mettre  en  regard  ses  dérivés  divers  avec  ceux  de  la  rac.  gabh. 
Je  ne  puis  m'attacher  ici  qu'aux  termes  qui  concernent  la 
fourche  et  les  instruments  analogues. 

A  grbh  correspond  Fane,  slave  grabiti,  rapere,  russe  gra- 
biti, polon.  grabic,  etc.;  de  là  le  polon.  grabki  (plur.),  fourche 
à  plus  de  deux  pointes.  L'anc.  allemand  chrapho,  trident,  se 
lie  de  même  à  la  rac.  chrap,  conservée  chripsjan,  rapere, 
scand.  krabba,  attrectare.  En  irlandais,  grabaim  signifie  arrê- 
ter, empêcher,  c'est-à-dire  saisir,  et  la  fourche  est  appelée 
grâpa,  grâpadh.  Cf.  grabach,  grobach,  dentelé.  La  racine  est 
ici  gramb,  à  cause  du  b  non  aspiré,  mais  gribh,  doigt,  se  rapporte 
à  grbh. 

Les  noms  germaniques  du  peigne,  angl.-sax.  camb,  scand. 
kambr,  anc.  ail.  champ,  etc.,  se  rattachent  à  la  rac.  gambh,  et 
de  même  en  slave,  on  voit  provenir  de  grab  ceux  du  peigne 

1  Ce  nom  de  la  fourche  était  aussi  sûrement  gaulois,  à  en  juger  par 
ceux  de  plusieurs  rivières  bifurquées.  Ainsi  Gabellus  (Pline,  3,  20,  4), 
affluent  du  Pô,  peut-être  la  Secchia,  d'après  Mannert  (XI,  104). 
T§iyoî0otXoi  (Polybe,  2,  16, 14),  localité  à  l'embouchure  du  Pô,  proba- 
blement à  Ferrare,  où  il  se  divise  en  trois  branches.  Gapellus  (au 
xme  siècle),  le  Gapeau  (Var) .  Cf.  en  Vannes,  le  Stergavale  ou  -gaule, 
ruisseau  fourchu  {Cartul.  Redon.,  xn°  siècle),  et,  en  Irlande,  Gabhal, 
rivière  (Leab.  n.  Ceart,  214),  et  Abhainn  gabhla,  rivière  de  la  four- 
che, maintenant  Owengowle,  dans  le  Galway. 


—     142     — 

et  du  râteau,  en  russe  grébenïvt  grabli(\A\\\\),  en  pol.  grzebien 
et  grabie,  en  illjr.  grebuglia,  râteau,  cf.  lith.  greblys,  id.  Ici  en- 
core se  placent  l'irland.  sgrabân,  étrille,  et  crib,  cymr.  crib, 
armor.  krîb,  peigne,  avec  cpour^. 

Ces  rapprochements  ont  ceci  d'intéressant  qu'ils  indiquent 
que  les  formes  grbh,  grabli  et  gabh  ont  dû  coexister  au  temps 
de  l'unité  arienne,  fait  qui  se  reproduit  aussi  pour  d'autres 
racines  dont  l'altération  avait  déjà  commencé. 

2)  L'ossète  sagoi,  fourche,  se  rattache  au  scr.  çâkhâ,  çikhâ, 
branche,  en  pers.  shach,  shag,  etc.  (Cf.  t.  I,  p.  232.)  Le  même 
rapport  existe  entre  le  lith.  szâke,  fourche,  et  szakà,  branche, 
évidemment  parce  que  l'on  confectionnait  l'instrument  avec 
une  branche  fourchue. 


§  200.  LE  CHAR  ET  SES  PARTIES. 

Je  place  ici  le  char,  qui  sert  à  rentrer  la  moisson,  et  dont 
l'origine  se  lie  sûrement  aux  besoins  de  l'agriculture,  bien  que 
son  rôle  ait  pris  dans  la  suite  plus  d'extension. 

Comme  l'invention  de  la  charrue,  celle  du  char  se  perd  dans 
la  nuit  des  temps  mythiques,  et  nous  le  trouvons  mis  en  œuvre 
chez  les  principaux  peuples  anciens  dès  l'aurore  de  leur  his- 
toire. Non-seulement  le  char  rustique,  mais  le  char  de  guerre, 
dont  la  construction  devait  être  plus  soignée,  figure  déjà  dans 
les  traditions  et  sur  les  monuments  de  l'Egypte  et  de  l'As- 
syrie, et  tient  une  grande  place  dans  les  épopées  de  l'Inde  et 

1  Les  noms  de  la  fourche  et  du  peigne  se  confondent  dans  le  pers. 
shânah.  Cf.  shanah,  shinah,  fourche,  et  shanîzah,  peigne,  arménien 
sandr.  Ce  sont  les  corrélatifs  du  gr.  |«v/ev,  peigne,  de  t«»'v«,  peigner. 
Cf.  scr.  kshan,  lœdere,  frangere. 


—     143     — 

de  la  Grèce.  Les  Romains  le  trouvèrent  en  usage  chez  les 
Gaulois  et  les  Bretons  insulaires,  et  les  Germains,  comme  les 
Scythes,  avaient  des  chariots  ambulants  qui  transportaient 
leurs  familles,  et  qu'ils  utilisaient  pour  la  défense  de  leurs 
camps.  Les  Chinois  et  les  Grecs  attribuaient  l'invention  du 
char  et  de  la  charrue  à  un  même  personnage  mythique,  ceux- 
là  à  leur  roi  Chin  Noung,  ceux-ci  à  la  déesse  Cérès.  Il  est 
probable  que  ces  deux  inventions  ont  surgi  d'une  manière  in- 
dépendante chez  plusieurs  races  d'hommes,  et  que  le  char,  en 
particulier,  a  différé  dans  sa  construction  suivant  le  genre  de 
services  qu'il  était  appelé  à  rendre.  Ce  qui  paraît  certain,  c'est 
que  les  anciens  Aryas  l'ont  bien  inventé  de  leur  côté,  et  porté 
déjà  à  un  certain  degré  de  perfection  ;  car  ses  noms,  ainsi  que 
ceux  de  ses  parties  principales,  sont  purement  ariens  et  s'ac- 
cordent d'une  manière  remarquable  dans  toutes  les  langues 
de  la  famille. 


A)  Le  char  en  général. 

Ses  noms  forment  deux  groupes  presque  également  étendus. 

1)  Scr.  vaha,  vâha,  vahya,  vahana,  vâhika. 

Zend  vâsha,  au  nom.  vâklisô,  de  vaz  (=scr.  vaJi)  et  vaksli 
(Justi,  275).  —  Huzv.  vâsh. 

Gr.  h%oçy  oxîïov,  o%viKct,  pour  fo%cç,  etc. 

Lat.  vehiculum,  vehëla,  vectalndum. 

Irl.  f  fén  (  Zeuss  2,  19  ),  contracté  de  feghen  =  scr.  va- 
hana.  —  Cymr.  gitiain."1 

1  Cf.  cywain,  venere,  ire,  cy-wain,  comme  ar-wain,  ducere,  am- 
wain,  circumducere.  Gluck  [Neue  Jahrh.,  48G4,  p.  51)9)  y  rattache  le 
gaulois  covinnus,  char,  de  co-vignos. 


—     144     — 

Ang.-saxon.  waegen,  ivaen,  scand.  vagn,  wôgur,  anc.  allem. 
wagan,  etc. 

Lith.  wazis,  wazelis,  wezimas;  lett.  vezka. 

Anc.  si.  et  russe  vozv,  pol.  w6z,  illyr.  voz,  vozenie,  etc. 

La  racine  de  tous  ces  termes  est  le  scr.  vah,  ferre,  vehere, 
dont  j'ai  déjà  comparé  ailleurs  les  divers  corrélatifs  (  Cf.  t.  -I, 
p.  157).  Le  char  était  appelé  le  porteur,  comme,  en  sanscrit,  le 
bœuf,  vâhya,  vahati,  vahatu,  et  le  cheval,  vâha. 

2)   Scr.  rallia,  rathya,  char  et  roue. 

Zend  ratha,  char. 

Lat.  rota,  id.  et  roue. 

Gaulois  rêda,  char  (Fortun.,  Carm.,  III,  22),  reta  (Isid., 
Orig.,  xx,  12),  rita  (?),  roue,  dans  petorritum,  char  à  quatre 
roues  (Aul.  Gel.,  15,  20  ;  Quintil.,  1,  5). 

Anc.  irl.  riad  (  Z.2,  18  )  =  rêda  ;  rotli,  roith,  roue;  erse 
roth,  rotlian,  rathan. 

Cymr.  rhodatvr,  rhodawg,  char;  rliod,  roue,  corn,  roz, 
armor.  rôd. 

Ang.-sax.  rad,  char;  scand.  reid,  id.;  anc.  ail.  rad,  roue. 

Lith.  ratas,  roue. 

Comme  il  n'existe  en  sanscrit  aucune  racine  rath,  le  subst. 
ratha  dérive  sans  doute  par  le  suffixe  tha,  d'une  racine  de 
mouvement  de  râ  (râti,  Naigh.,  ir,  14,  gatïkarma),  d'où  ra, 
m.,  vélocité,  et  rî,  f.,  mouvement  (  Wilson,  Dict.).  D'après 
cela,  l'irl.  reathaim,  rithim,  courir,  doit  être  un  dénominatif 
de  réth,  cursus  (  Z.2,  11  ),  tout  comme  l'armor.  rédek,  courir, 
de  réd,  ret,  course,  flux,  etc.1 

*  Le  D.  P.  indique  trois  racines  de  mouvement  proposées  pour  ratha, 
savoir  ar,  ranh,  et  ram.  Cf.  le  zend  râthma,  route,  que  Justi  (256) 
rapproche  de  ratha. 


—     145     — 

3)  A  côté  de  ces  deux  noms  principaux,  il  en  est  d'autres 
qui  n'offrent  que  des  rapports  plus  isolés.  J'en  ajoute  ici  quel- 
ques-uns. 

a)  Scr.  anas,  char,  plus  spécialement  à  transporter  les  far- 
deaux. De  là  anadvâh,  taureau,  anadvâhî,  vache,  currum  tra- 
hens.  La  racine  paraît  être  an  (anitï),  ire  (Naigh.,  2,  14). 

Ebel  compare  le  gr.  ct7r-yivri,  char  (Z.  S.,  VI,  431).  —  Le 
lat.  onus,-eris,  est  exactement  =  anas,  mais  ne  signifie  plus 
que  fardeau.  —  L'irl.  an,1  vase,  coupe,  se  lie  peut-être  à  ce 
nom  du  char,  de  même  que  ian,  vase,  correspond  au  scr.  yâna, 
char,  véhicule,  de  yâ,  ire. 

b)  Scr.  yoga,  yugya,  char,  de  yug,  jungere  (  Cf.  plus  haut 
l'article  du  joug). 

Gr.  &vyoç,  ÇivyzïoVy  id. 

Le  kirgise  giak,  char,  bachkire  giok,  turc  de  Kazan  iuk, 
provient  sans  doute  des  noms  persans  du  joug,  déjà  men- 
tionnés. 

c)  Le  gr.  KdTTccv?],  char  thessalien,  semble  répondre,  quant 
h  sa  racine,  à  l'anc.  irlandais  cap,  char  (  Corm.,  GL,  32),  et 
cette  racine  ne  peut  guère  être  que  le  scr.  kap,  kamp,  cap, 
camp,  ire,  tremere  (Cf.  p.  430  et  456). 

D'autres  noms  du  char  se  rattachent  à  quelqu'une  de  ses 
parties,  et  reviendront  plus  loin. 

B)    La  roue. 

Le  nom  principal  de  la  roue,  scr.  ratha,  etc.,  a  déjà  été 
examiné.  Je  fais  suivre  quelques  rapprochements  plus  partiels. 

1  Corm.,  Gl.}  7,  au  plur.  âna.  Stokes,  ib.,  présume  la  perte  d'un 
p  initial,  et  compare  le  se.  pana,  vase  à  boire ,  de  la  rac.  pâ. 

II  10 


—     146     — 

1)  Scr.  cakra,  roue,  cercle,  disque,  çakrî,  roue. 

Pers.  carch,  car  chah,  roue,  carch,  cak,  char;  armén.  garkh, 
char. 

Grec  kvkAoç,  cercle,  et,  comme  en  persan,  par  métathèse, 
KipKOÇt  ttpiKOç,  KctpKivoç,  etc.;  latin  circus.  Cf.  cymr.  cylch  et 
cyrch,  cyrchell,  cercle,  peut-être  du  latin,  comme  l'irl.  ciôrcal, 
et  sûrement  l'ang.-sax.  circol. 

Le  D.  P.  ne  s'explique  pas  sur  l'origine  de  cakra,  que 
Schleicher  regarde  comme  une  réduplication  de  car,  ire,1  mais 
si  cakra  est  pour  kakra,  on  le  rapporterait  peut-être  mieux  à 
la  rac.  kak,  instabilem  esse,  vacillare  (Dhâtup.  ),2  kank  = 
cane,  ire,  tremescere  (  Cf.  cakita,  tremblant,  effrayé,  et  can- 
kura,  char,  ainsi  que  le  pers.  cak,  id.).  Dans  l'une  ou  l'autre 
supposition,  le  sens  obtenu  de  mobile,  vacillant,  indique  la 
priorité  de  celui  de  roue  sur  celui  de  cercle.3 

2)  L'anc.  slave  kolo,  au  plur.  kola,  char,  russe  koleso,  d'où, 
notre  calèche,  etc.,  appartient  sans  doute  à  éar,  cal,  ire,  vacil- 
lare ;  cf.  cala,  mobile,  calana,  pied  =  anc.  si.  koleno,  genou, 
et  le  verbe  dérivé  kolebati,  -biti,  movere,  agitare.  —  L'irland. 
f  cul,  char  (  Corm.,  GL,  39  ),  se  rattache  également  à  cette 
racine,  dont  le  scr.  kul,  continuo  procedere,  ne  semble  être 
qu'une  forme  modifiée.  Cf.  gr.  kvAiûû,  KvÀiviïûû,  circumagere. 
Le  sansc.  kula,  troupe,  multitude,  famille,  peut  n'avoir  signifié 
primitivement  que  cercle  et  roue,  de  même  que  cakra  et  man- 

1  Slav.  Form.,  p.  94. 

2  De  là,  peut-être,  le  gr.  jcocjcoç,  primit.  lâche,  tremblant. 

3  Fick  (51)  présume,  comme  forme  primitive,  kvakra,  d'un  kvar 
hypothétique  —  skar,  id.,  tourner  ;  et  compare,  outre  kwxàoç,  l'anglo- 
saxon  hveohl,  pour  hvehvol,  anglais  wheel.  Cf.  les  vues  différentes  de 
Curtius  [Gr.  Et.3,  150),  ainsi  que  notre  vol.  I,  p.  486,  où  j'ai  présumé 
une  origine  imitative  du  bruit  de  la  roue.  Le  persan  gargar,  char,  est 
aussi  une  onomatopée.  Cf.  scr.  gar,  craquer,  pétiller,  etc.;  ainsi  que 
glwshtra,  char,  de  ghush,  crier,  craquer  (D.  P.,  d'après  Wilson). 


—     147     — 

dala,  réunissent  ces  divers  sens.  Un  des  noms  sanscrits  du 
potier,  kulâla,en  pers.  kulâl,  Jcalâl,  semble  justifier  pour  hula 
l'acception  de  roue,  puisque  le  potier  est  aussi  appelé  cakrin, 
qui  a  une  roue,  de  cakra. 

3)  Scr.  mandata,  roue,  cercle,  disque,  globe,  monceau,  mul- 
titude, etc. 

Aufrecht  a  comparé  le  scand.  môndull,  rota,  axis  rotarum 
(Z.  S.,  I,  473).  En  l'absence  d'une  racine  qui  fournisse  une 
explication  (mandne  signifie  que  ornare,  vestire,dividere, etc.), 
Kuhn  croit  à  une  altération  de  manthala,  rac.  math,  manth, 
agitare,1  conjecture  que  semble  appuyer  le  russe  motalïnitsa, 
motâria,  motushka,  dévidoir,  moulinet  à  dévider,  de  motâtï, 
dévider,  pol.  motac,  allié  à  math. 

4)  Scr.  dalbha,  roue,  probablement  d'une  racine  drbli,  darbh, 
que  donne  le  Dhâtup.  avec  le  sens  de  timere  seulement,  mais 
qui  a  dû  signifier  primitivement  tremere,  vacillare,  d'après 
l'analogie  du  lith.  drebëti  (drebïi),  trembler,  drebûs,  tremblant, 
draubinti ,  agiter,  branler,  etc.;  russe  driabietï,  trembler, 
s'ébranler  ;  goth.  drobjan,  agiter,  drobnan,  être  agité,  etc.  — 
Cf.  aussi  scr.  drmbhû,  roue  (Wilson). 

Comme  le  nom  de  la  roue  passe  quelquefois  au  char,  je  crois 
pouvoir  rapprocher  de  dalbha  l'irl.  drabh,  drubh,  char,  si  tou- 
tefois il  n'appartient  pas  à  la  rac.  dru,  courir. 

5)  Pers.  kundah,  roue  (de  potier).  Cf.  scr.  kunda,  vase  rond, 
kundala,  cercle,  anneau. 

A  cette  dernière  forme,  ou  plutôt  à  un  thème  kudala,  ré- 
pond l'irl.-erse  cuidheal,  roue. 

1  Die  Herabh.d.  Feuers,  p.  7. 


148 


C)   Le  moyeu. 

La  diversité  est  ici  plus  grande,  parce  que  le  moyeu  a  été 
comparé  tour  à  tour  à  des  objets  dont  il  rappelait  la  forme. 
Ainsi,  l'erse  cioch  est  une  mamelle,  le  pol.  piasta,  un  poing,  en 
russe  piastï,  le  russe  stupitsa,  un  petit  mortier,  etc.  D'autres 
noms  sont  caractéristiques,  comme  7t\v\\my\,  le  plein  de  la  roue, 
de  7rAY\fM,  7r\iûù,  ou  woîf,  %von,  la  partie  qui  frotte  et  grince, 
de  Kvdod,  wave*).  Le  lat.  modiolus  est  le  milieu  de  la  roue,  le 
lithuanien  stebulys,  de  stebyti,  arrêter,  fixer,  le  support  des 
rais,  etc.  Un  nom  seulement  peut  être  considéré  comme  vrai- 
ment ancien. 

1)  C'est  le  scr.  nâbhi,nâbhî,  moyeu  et  ombilic.  QLnabhîla, 
le  creux  de  l'ombilic,  le  pers.  nâf,  kourde  nafk,  le  gr.  bpQcLXoç, 
lat.  umbilicus,  l'irl.  f  imbliu  (  Corm.,  GL,  93  ),  gén.  imlenn; 
mod.  uimleac,  imleog,  erse  iomlag,  l'ags.  nafel,  anc.  allemand 
napalo,  etc.  Très-souvent,  ce  nom  de  l'ombilic  s'emploie  figu- 
rément  pour  désigner  le  centre  d'un  objet,  comme  de  la  terre, 
du  bouclier,  etc.;  mais  l'application  spéciale  au  moyeu  de  la 
roue  se  retrouve  dans  les  langues  germaniques,  anglo-saxon 
nafa,  nafu,  anglais  7iave,  anc.  allem.  naba,  mod.  nabe.  Il  est  à 
remarquer  que  ces  noms  du  moyeu  sont  féminins,  tandis  que 
ceux  de  l'ombilic,  distincts  aussi  par  le  suffixe,  sont  mascu- 
lins, ce  qui  indique  une  séparation  très-ancienne  des  deux 

significations. 

Les  Cymris  emploient,  dans  le  double  sens  ci-dessus,  leur 
mot    bogel,    qui,     étranger    d'ailleurs    aux    autres    langues 


—    149     — 

ariennes ,  semble  resté  en  rapport  avec  l'albanais  botziel, 
moyeu. 

2  )  Un  rapprochement  beaucoup  moins  sûr  se  présente 
entre  le  scr.  pindi,  pindikâ,  moyeu,  litt.  monceau,  masse  = 
pinda,  de  pind,  coacervare,  colligere,  d'où  aussi  pnndala,  pin- 
dila,  jetée  de  terre,  digue,  etc.,  et  l'armorie,  pendel  ou  bendel, 
moyeu,  à  côté  de  moell,  le  lat.  modiolus.  Si  la  ressemblance  est 
fortuite,  elle  est  certainement  curieuse. 

Les  autres  parties  de  la  roue,  le  cercle,  la  jante,  le  rais,  ne 
m'ont  offert  aucun  cas  de  rapprochements. 


D)  L'essieu. 


Ici  l'accord  des  langues  est  aussi  complet  que  pour  les  deux 
premiers  noms  du  char.  Ainsi  : 

1)  Scr.  aksha,  essieu,  et,  par  extension,  roue,  char. 

Grr.  à,%ûùv}  -ovoç.  Cf.  ctf^ot^ct,  char,  ctyu  =  sam,  c'est-à-dire 
qui  a  un  essieu. 

Lat.  axis. 

Irl.  aisilj  essieu,  ais,  char,  comme  aksha. 

Cymr.  echel,  armor.  liael,  aël. 

Ang.-sax.  aeœ,  eax,  scand.  as,  anc.  ail.  ahsa,  etc. 

Lith.  aszis. 

Anc.  si.  et  russe  osï,  pol.  os,  boh.  os,  wos,  etc. 

La  racine  est  peut-être  ahsh  =  aç,  penetrare,  occupare, 
parce  que  l'essieu  traverse  les  moyeux. 

2)  Une  coïncidence  isolée  est  celle  du  sansc.  mûla,  propre- 
ment racine,  principal,  qui  désigne  l'essieu  dans  le  composé 


—     150     — 

mûlavibhuga,  char,  litt.  qui  fait  tourner  l'essieu  (  ivhat  bends 
the  aœle,  Wilson),  avec  l'irl.-erse  mul,  essieu.1 


JE)  Le  timon. 

Deux  des  noms  du  timon  ont  des  droits  à  remonter  à  l'épo- 
que primitive,  bien  que  ni  l'un  ni  l'autre  n'offrent  des  coïnci- 
dences directes  entre  l'Orient  et  l'Occident. 

1)  Le  sansc.  dhur,  m.,  désigne,  soit  le  timon,  soit  le  joug, 
ou  quelqu'une  de  leurs  parties.  Ainsi,  d'après  D.  P.,  a)  la 
partie  du  joug  qui  est  placée  sur  l'épaule  de  l'animal,  puis  im- 
proprement le  fardeau  porté  ;  aussi  dhura  =  bhâra  ;  b)  l'ex- 
trémité  antérieure  du  timon,  aussi  dhura,  dliurya  ;  puis,  en 
général,  le  devant,  l'avant,  la  première  place,  la  place  d'hon- 
neur. De  là  une  abondance  de  dérivés  et  de  composés,  parfois 
avec  des  extensions  de  sens  au  moral.  Ainsi  dliurya,  dhurîna, 
dhaurêya,  adj.,  propre  à  l'attelage,  et  animal  de  trait  ;  dur- 
dhur,  adj.,  impropre  au  joug,  sudhur,  -va,  adj.,  le  contraire,  et 
bon  cheval  de  trait  ;  sadliura,  adj.,  attelé  au  même  timon,  puis 
en  général,  bien  d'accord  (eintràchtig),  pratidhura,  m.,  second 
cheval  au  timon,  et  le  contraire  apratidhura,  cheval  sans  com- 
pagnon bien  appareillé  ;  sarvadhurîna,  propre  à  tout  attelage, 
êkadhurîna,  adj.,  (char)  à  un  cheval  (  einspànnig  ) ,  dhurari- 
dhara,  porteur  du  joug,  etc. 

Les  composés  les  plus  remarquables  par  l'extension  au  mo- 
ral de  leur  signification  propre,  sont,  outre  sadhura,  cité  plus 
haut,  uddhura,  adj.,  délivré  du  timon,  puis  content,  joyeux, 

1  D'après  le  D.  P.,  le  composé  sanscrit  signifierait  :  qui  courbe  les 
racines  fmûlaj,  ce  qui  rendrait  illusoire  le  rapprochement  avec  l'ir- 
landais, 


—     151     — 

svadhur,  adj.,  qui  a  son  propre  timon  =  indépendant  ;  vid- 
hura,  adj.,  sans  timon,  en  parlant  d'un  char  (ratha),  puis,  en 
général,  désemparé,  endommagé,  abandonné,  isolé,  abattu, 
misérable,  d'où  vidhuratâ,  privation,  misère.1 

Ce  nom  du  timon,  dhur,  dfaira,  sans  doute  de  la  rac.  dhar, 
porter,  soutenir,  maintenir,  ne  paraît  pas  se  retrouver  comme 
tel  en  dehors  du  sanscrit  ;  mais  des  traces  indirectes  semblent 
en  être  restées  dans  le  grec  et  l'irlandais. 

Un  synonyme  de  vidhura  est  adhura,  sûrement  :  sans 
timon,2  auquel  répond  exactement,  pour  la  forme,  d&vçoçy 
mais  avec  le  sens,  au  moral,  de  sans  frein,  effréné,  libre, 
joyeux.  De  là  ci&vptcû,  -ça,  jouer,  se  divertir,  se  jouer  de, 
faire  en  se  jouant  (Cf.  dB-vfJLîoù,  de  cLôvftoç,  sans  courage), 
â&vçfAci,  jeu,  jouet,  ciS-vçoyAôûo-o'oç,  ou  -ario^oç^  bavard,  etc. 
Au  point  de  vue  grec,  on  a  expliqué  ce  mot  par  cL&vçct,  sans 
porte  ;  mais  si  l'on  compare  le  sanscrit  uddhura,  joyeux,  con- 
tent, libre,  composé  avec  ud,  ex,  ici  de  même  valeur  que  Va 
privatif,  on  reconnaîtra  que  l'image  du  timon  convient  mieux 
que  celle  de  la  porte  pour  les  significations  indiquées.  Il  est 
très-probable,  d'après  cela,  que  &vpoç  a  été  le  corrélatif  de 
dhur a? 

1  L'accord  de  ces  composés,  quant  à  leurs  significations,  témoigne 
bien  d'un  emploi  constant  de  dhura,  comme  timon  ou  joug.  Cependant 
le  D.  P.  incline  à  séparer  vi-dhura,  appliqué  au  char,  de  vidh-ura, 
abandonné,  délaissé,  isolé,  en  le  rapportant  à  une  racine  vidh,  vindh, 
manquer  de,  être  privé  de,  nouvellement  signalée  par  Roth,  et  d'où 
dériverait  aussi  vidhavâ,  la  veuve,  à  l'article  de  laquelle  la  question 
reviendra. 

2  Je  dis  sûrement,  parce  que  dans  le  D.  P  (1,155),  probablement 
par  une  négligence  typographique,  le  sens  du  mot  est  resté  en  blanc, 
bien  qu'il  soit  divisé  en  a-dhura,  et  que  le  D.  P.,  au  mot  dhura,  y 
renvoie  comme  à  un  composé  analogue  aux  autres.  Ni  l'errata,  ni  le 
supplément  du  t.  V,  ne  relèvent  cette  omission. 

3  Ce  5-ypoç  se  trouve  peut-être  encore  dans  (ttS-vpotiu.&oç,  chant  à 


—     152     — 

Une  autre  trace,  peut-être  indirecte,  de  dhur  a  été  signalée 
par  Stokes  dans  l'irlandais  du  vieux  glossaire  Dûil  laithne 
(Goid.2,  81  ),  où  l'on  trouve  daur-ailm,  bœuf,  et  dur-aïbind, 
vache.  Stokes  compare  le  scr.  dhurya,  dhurîna,  bête  de  somme; 
mais  on  pourrait  aussi  y  voir  directement  dhur  ;  car  daur- 
ailm  paraît  signifier  :  bétail  de  joug  ou  de  timon  (Cf.  almha, 
troupeau  de  vaches,  O'Don.,  GL;  aima,  armenta,  Dict.  d'Ed.  ; 
ailmhin,  troupeau,  O'R.),  et  dur-aibind,  avec  aibind,  amœnum 
(  Corm.,  GL,  10  ),  a  pu  désigner  la  vache  comme  docile  au 
joug  ou  au  timon.  Cf.  plus  haut  le  synonyme  sanscrit  sudhur, 
sudhura. 

2)  L'autre  nom  du  timon,  européen  seulement,  se  rattache 
par  sa  racine  à  l'Orient,  sans  y  avoir  de  corrélatif  à  moi 
connu.  C'est  l'ang.-saxon  tliixl,  thisl,  anc.  allem.  dîhsala,  ail. 
deichsel,  qui,  rapproché  de  dehsa,  dehsala,  hache,  conduit  avec 
sûreté  au  sansc.  taksh,  tailler,  façonner,  fabriquer  ;  en  zend 
tash,  id.  Cette  racine,  qui  manque  au  germanique,  se  retrouve 
bien  dans  Fane,  slave  tesatï,  et  le  lith.  taszyti,  où  elle  donne 
naissance  à  des  noms  de  la  hache,  mais  pas  du  timon.1  Cf.  plus 
loin  la  hache.  A  la  même  racine,  conservée  cette  fois  dans 
texo,  se  rattache  le  latin  tëmo,  pour  texmo,  tesmo,  comme  tëlum, 
pour  texlum,  tëla,  pour  texla.  Le  timon  est  ainsi  la  pièce  de 
bois,  taillée,  façonnée. 

vers  libres,  où  &  pour  Vioi,  comme  en  latin  di,  dis ,  exprime- 
rait la  séparation,  et  où  -Boç  répondrait  au  sansc.  ga,  qui  va,  à  la  fin 
des  composés.  Cf.  la  rac.  Qx=ga,  dans  Qïïui,  fàfAct,  Botivoo, Bocvog,  etc.; 
ainsi  que  les  composés  analogues  sanscrits,  turanga  (turam,  adv.  -j- 
ga  ),  rapide,  pataïiga,  qui  va  en  volant,  plavanga,  qui  va  en  sau- 
tant, etc.  Le  ï)i-§-vpot,n-$Q<;  serait  ainsi  le  chant  libre,  dégagé  du  timon 
ou  du  joug  de  la  versification  régulière. 

'  L'anc.  si.  tesû,  asser,  peut  avoir  désigné  le  timon,  comme  en  cymr. 
llâth  fcerbydj,  perche  du  char,  armor.  gw a len-garr,  id.,  anglais 
pôle,  etc. 


153     — 


ARTICLE   IV.    LA   PREPARATION    DES    CEREALES. 

§  204.  LE  BATTAGE  ET  L'AIRE. 

La  récolte  enlevée  sur  le  char  était  amenée  à  l'aire,  ou  mise 
en  réserve  pour  le  moment  du  battage.  On  sait  que  cette  opé- 
ration s'exécutait  de  plusieurs  manières,  suivant  les  temps  et 
les  lieux.  On  pilait  les  épis  dans  un  mortier,  on  les  battait 
avec  le  fléau,  ou  bien  on  les  faisait  fouler  sur  l'aire  par  des 
bœufs  ou  des  chevaux  qui  tournaient  en  cercle.  Ce  dernier 
procédé  a  été  surtout  en  usage  chez  les  peuples  de  l'Orient, 
ainsi  qu'en  Grèce,  où  l'emploi  du  fléau  était  inconnu.  Aussi  ce 
dernier  n'a-t-il  de  nom  ni  en  grec,  ni  en  sanscrit.  Dans  le 
nord  de  l'Europe,  et  par  suite  du  climat,  c'est  le  battage  en 
grange  qui  était  généralement  usité.  On  comprend  que,  par 
l'effet  même  de  cette  diversité  de  procédés,  les  termes  qui  se 
rapportent  au  battage  ont  dû  varier  considérablement.  Il  ne 
faut  donc  s'attendre  ici  qu'à  des  rapprochements  isolés  et, 
par  conséquent,  plus  ou  moins  douteux. 

1)  Le  scr.  kad,  kand  (  kâdayati,  kandayati  ),  peut-être  un 
dénominatif,  signifie  grana  extrahere,  et  findere.  Cf.  khad7 
khand,  frangere,  conterere.  De  là  kandana,  l'action  du  verbe, 
la  balle  du  grain,  le  mortier  à  battre  le  grain,  et  kadatra,  sorte 
de  vase  sans  doute  analogue. 

Le  d  cérébral  semble  ici  avoir  remplacé,  comme  dans  d'au- 
tres cas,  un  d  dental,  si  l'on  compare  le  gr.  Kî^ct^ct),  fendre, 
diviser,  le  lith.  hedëti,  se  fendre,  et  kâsti  (kcmdh),  mordre,  etc. 
On  peut  donc,  sans  invraisemblance,  comparer  l'irlandais  câ- 


—     154    — 

tliaim,  câiihim,  vanner,  c'est-à-dire  séparer  le  grain  de  la 
balle,  avec  th  pour  d,  comme  dans  ithim  =  admi,  edo,  etc. 
De  là,  de  même  qu'en  sanscrit,  le  nom  de  la  balle,  câth,  câith 
ou  câidh,  et  celui  du  van,  caiteach,  pour  cainteach,  à  cause  du 
t  non  aspiré.  La  nasale  se  retrouve  dans  l'armor.  kanta,  van- 
ner, et  kant,  van.1 

Les  termes  suivants  ne  concernent  que  les  langues  euro- 
péennes. 

2)  Latin  trlturo,  forme  redoublée  de  tero  (trivi,  tritum), 
d'où  trïbiditm,  fléau  à  battre,  trïtieum,  blé,  etc.  —  A  tero, 
broyer,  fouler,  etc.,  répondent  le  grec  TZipco,  l'ancien  slave 
treti,  le  lithuanien  triti,  le  cymr.  tbri,  armor.  terri,  etc.  Au 
sens  plus  spécial  se  rattache  l'irland.  tioramh,  battage  du  blé. 
Les  langues  germaniques  s'y  lient  de  plus  loin  par  leur  verbe 
fort  go  th.  thriskan,  ags.  therscan,  scand.  threskia,  anc.  allem. 
drescan,  etc.,  d'où  le  goth.  gatlirask,  aire,  et  l'ang.-sax.  thers- 
col,  anc.  ail.  driskil,  fléau.  C'est  là,  sans  doute,  une  forme  aug- 
mentée de  la  racine  ci-dessus. 

3)  L'anc.  si.  mlatiti,  triturare,  russe  molotiU,  polon.  mlo- 
cic,  etc.,  proprement  marteler,  demlatû,  molotu,  marteau,  ap- 
partient à  la  rac.  mal,  qui  est  commune  à  la  plupart  des  lan- 
gues ariennes,  et  qui  reviendra  plus  loin  à  l'article  du  moulin. 
De  là  le  russe  molotilo,  fléau,  et  le  boh.  mlat,  aire,  auxquels  se 
lie  de  près  l'irl.  malôid,  fléau. 

4)  Les  noms  de  l'aire  diffèrent  presque  partout,  et  ne  don- 
nent lieu  qu'à  deux  observations  comparatives. 

1  L'anc.  irl.  câith,  -thech,  acus,  furfur  (Z.2,  30;  Corm.,  GL,  31), 
répond  mieux  au  sanscr.  çûta,  déchet,  de  çat,  abattre,  disperser  ;  au 
causât,  çâtay  ;  mais  aussi  çada,  de  çad,  decidere  (  caus.  çâday.  Cf. 
lat.  cado  et  cœdo).  Ici  aussi  l'irl.  f  câithen,  fumier  (Stokes,  Goid.2, 
80).  Cf.  scr.  çâtana,  n.,  action  de  faire  tomber,  et  çâdana.  n., 
chute,  etc.  La  dentale  varie  comme  dans  l'irlandais. 


—    155    — 

a)  Le  scr.  khala,  aire,  n'a  pas  d'étymologie  certaine,  mais 
il  est  probable  que  sa  racine,  quelle  qu'elle  soit,  a  signifié  fou- 
ler ou  battre.  En  persan,  en  effet,  on  trouve  kâlîdan,  fouler 
aux  pieds,  presser,  disperser,  mettre  en  pièces,  où  le  k  peut 
répondre  au  kh  sanscrit,  comme  dans  kandan,  creuser  =  khan, 
L'armén.  gai,  aire,  est  sans  doute  pour  kal. 

La  même  racine  reparaît  dans  le  lith.  kulti,  frapper,  battre 
le  blé,  d'où  kultuivas,  le  fléau,  etc.  Cf.  anc.  slave  klati  (kola), 
russe  kolotï,  fendre,  couper,  piquer,  tuer,  etc.  Le  lithuan.  klôti, 
stratifîer,  paver,  planchéier,  préparer  l'airée,  doit  avoir  signi- 
fié primitivement  battre  le  sol  pour  l'égaliser,  et  de  là  dérive 
le  nom  de  l'aire,  klojimas,  et  de  l'airée,  kloyis,  qui  semblent 
ainsi  alliés  au  scr.  khala. 

b)  Un  autre  nom  sansc.  de  l'aire,  khaladhânya,  ou  -dhâna, 
a  dû  désigner  plus  spécialement  la  portion  de  l'aire  où  l'on 
mettait  le  blé  en  réserve  avant  de  le  battre,  le  réceptacle  ou 
magasin  de  l'aire,  car  tel  est  le  sens  de  çlhâna  ou  dhânî  (rac. 
dhâ,  ponere,  collocare)  à  la  fin  des  composés.  Or,  à  ce  dhânya 
répond  exactement  l'anc.  ail.  ténni,  allem.  mod.  tenue,  aire, 
grange,  avec  nn  pour  ny,  comme  dans  beaucoup  d'autres  cas. 
Le  synonyme  ang.-sax.  adan,  aire,  ne  semble  pas  représenter 
moins  fidèlement  le  sansc.  âdliâna,  lieu  de  dépôt, 

§  202.  LE  VAN  ET  LE  CRIBLE. 

Ce  que  nous  avons  dit  du  battage  s'applique  également  au 
vannage  et  à  ses  instruments.  La  nature  de  ces  derniers  a  varié 
avec  celle  des  opérations,  et  dès  lors  les  noms  ont  aussi 
changé.  Le  van  a  consisté  tantôt  en  une  pelle,  tantôt  en  une 
toile,  ou  une  corbeille  à  anses  pour  lancer  le  grain  en  l'air. 


—     156    — 

L'action  même  de  vanner  ne  s'exprime  nulle  part  par  une  ra- 
cine spéciale,  mais  par  des  verbes  qui  signifient  purifier,  agiter, 
lancer,  souffler,  etc.  Les  coïncidences  directes  sont  donc  ici 
également  limitées,  isolées,  et,  par  cela  même,  peu  sûres.  Je 
me  bornerai  à  celles  qui  paraissent  les  moins  contestables. 

Le  van  jouissait,  d'ailleurs,  d'une  certaine  considération 
parmi  les  instruments  de  l'agriculture,  chez  les  anciens  peu- 
ples ariens.  Un  de  ses  noms  sanscrits,  udbhata,  signifie  aussi 
distingué,  excellent.  Il  était,  chez  les  Grecs,  le  symbole  des 
bienfaits  de  Cérès,  et  la  mythologie  en  faisait  le  berceau  de 
Bacchus,  surnommé  AucviTyjÇ'1 

1)  Scr.  pava,  pavana,,  action  de  vanner,  et  vent.  On  dit 
aussi  nishpava,  et  paripûta.  La  racine  est  pu,  purificare,  de 
vento  flando. 

Benfey  compare  avec  raison  le  grec  7TTV0V,  attique  7TTeov, 
pelle  à  vanner,  où  le  t  intercalé  est  une  addition  phonique, 
comme  dans  TTTotepoç  pour  7ro\ifA,oç,  3"nW<y  pour  flr/<ro"û)  = 
scr.  pish.  De  même  7rnov  est  pour  7nov,  de  ttsfoi/  =  pava-m? 

Un  second  rapprochement  paraît  s'offrir  dans  l'ang.-sax. 
fann,fon,  ventilabrum,  que  son/,  provenue  de  p,  empêche  de 
comparer  avec  le  latin  vannus  et  l'allemand  wanne,  malgré  la 
ressemblance  des  formes.  Le  mot  saxon  doit  avoir  été  plus  an- 
ciennement/aum  ou  faivan  =  scr.  pavana. 

2)  Scr.  çûrpa,  -pi,  van.  —  Origine  incertaine.  —  Le  verbe 
çûrpay,  mesurer,  est  un  dénominatif  qui  indique  pour  çûrpa 
le  sens  de  mesure  de  capacité. 

Kuhn  (Z.  S.,  IV,  23)  conjecture  skûrpa  comme  forme  pri- 
mitive, et  compare  le  lat.  scirpus,  anc.  ail.  sciluf,  jonc,  roseau, 
scirpo,   tresser,  lier,  scirpea,  corbeille  d'un  char,  etc.;  aussi 

1  Cf.  Virgil.,  Gcorg.,  I, 166,  mystica  vannus  Jacchi. 

2  Gr.  Wl.,  1,417,11,354. 


—     157     — 

corbis,  anc.  allem.  korb,  de  skorb,  mais  avec  doute  quant  au  b 
pour^. 

3)  Pers.  sigaw,  van,  sikû,  sorte  de  fourche  à  vanner.  Ce 
nom  paraît  se  rattacher  à  la  rac.  scr.  çîk  ou  sîk  =  sic,  spar- 
gere;  efïundere. 

Le  scand.  sigti  désigne  à  la  fois  le  van  et  le  tamis,  et  sîa  ou 
sya,  le  tamis  et  le  filtre.  La  rac.  est  sîh  —  scr.  sîk,  comme  le 
prouve  Fane.  ail.  sihan,  filtrer,  sîha,  colum.1 

4)  Pers.  pal,  tamis,  filtre,  pâlûdan,  pâlîdan,  purifier,  fil- 
trer, etc.  Ici,  peut-être  le  polonais  o-palac,  vanner,  purifier  le 
grain,  o-palka,  van,  d'où  le  lith.  apolkas,  id.  En  russe,  po~ 
loti,  o-polotï,  o-pâlyvatï,  signifie  sarcler,  c'est-à-dire  nettoyer 
le  sol. 

5)  Legr.  àikvov,  van,  ÀMtytoç»  pelle  à  vanner,  d'où  À^v/Çw, 
ÀiKfActco,  paraissent  se  lier  à  la  rac.  scr.  rie,  purgare,  vacuefa- 
cere,  disjungere,  dividere,  d'oùrêka,  rêcana,  purification,  etc. 
—  Cf.  anc.  si.  et  russe  riesheti,  solvere,  faire  sortir,  débarras- 
ser, délivrer,  peut-être  d'une  forme  désidérative  riksh.  De  là 
aussi  le  nom  du  crible,  anc.  si.  resheto,  russe  riesheto,  lithuan. 
rëszus,  etc. 

6)  La  plupart  des  langues  européennes  s'accordent  à  rat- 
tacher le  nom  du  van  à  celui  du  vent,  ou  à  la  rac.  va,  souffler. 
Ainsi  : 

Lat.  vannus,  probablement  pour  vatmis  (Cf.  scr.  vâta,  vent), 
et  ventilabrum,  de  vent  do. 

Cymr.  givyntyll  de  gwynt,  vent,  corn,  guinzal,  van,  armor. 
gwenta,  vanner. 

Goth.  vinthi-skaurô,  pelle  à  vanner;  ags.  ivindivian,  vanner 
(to  ivinnotv),  ivind-scobl,  scand.  vind-skupla,   pelle   à   vent, 

1  L'anc.  ail.  sehtari,  situla,  ressemble  singulièrement  au  sanscrit 
sêktra,  baquet,  de  sic;  cependant  il  peut  provenir  du  lat.  sextarius. 


—     158    — 

vinsa,  vanner  ;  anc.  ail.  teinta  et  ivanna  (latin  ?),  van,  vintôn, 
tvannôn,  vanner. 

Anc.  si.  veiati,  russe  vieiatï,  pol.  iviaé,  ivieiaé,  etc.,  vanner 
et  souffler,  ventiler;  anc.  slave  et  russe  veialo,  vieialo,  van, 
pol.  tvieiaczka,  etc. 

Lith.  ivëtiti,  vanner,  ivëtykle,  van,  etc. 


§  203.  LA  MOUTURE,  LE  MOULIN,  LA  MEULE,  LA  FARINE, 

LE  SON. 


Pour  compléter  ce  qui  concerne  les  manipulations  du 
grain,  je  joins  ici  un  article  sur  la  mouture,  bien  que  cette 
opération  n'appartienne  plus  à  l'agriculture.  Mais  la  posses- 
sion du  moulin,  même  dans  sa  simplicité  primitive,  implique 
celle  des  céréales,  et  par  suite  un  certain  développement  du 
travail  agricole.  Sous  ce  rapport,  cette  question  a  d'autant 
plus  d'intérêt  que  nous  trouvons  ici  un  accord  très-général 
entre  les  langues  de  la  famille  arienne,  ce  qui  nous  permet 
d'assurer  les  inductions,  parfois  incomplètes,  que  l'on  peut  tirer 
des  autres  faits. 

Pour  broyer  le  grain,  on  n'employa  dans  l'origine  que  deux 
pierres,  procédé  qui  est  encore  celui  de  quelques  tribus  sau- 
vages ;  mais  la  nécessité  d'accélérer  le  travail  dut  suggérer  de 
très-bonne  heure  l'idée  d'un  mécanisme  auxiliaire,  et  conduire 
à  l'invention  du  moulin  à  bras,  resté  en  usage  chez  les  peu- 
ples de  l'Orient.  Il  est  très-probable  que  les  anciens  Aryas 
déjà  possédaient  quelque  appareil  de  ce  genre,  bien  qu'on  ne 
puisse  plus  savoir  quelle  en  était  la  disposition.  En  tout  cas, 
les  racines  qui   expriment  l'action  de  moudre,  ainsi  que  plu- 


—     159     — 

sieurs  des  termes   qui  en  dérivent,   se  sont  remarquablement 
conservés  dans  les  diverses  langues  de  la  famille. 

1)  Le  scr.  malana,  action  de  moudre,  de  broyer,  se  ratta- 
che à  une  rac.  mal,  forme  secondaire  de  mar,  mr,  dans  le  sens 
actif  de  détruire,  tuer,  écraser.  De  là,  entre  autres  dérivés, 
marâla,  tendre,  doux,  c'est-à-dire  broyé,  et  mala,  boue.  Cette 
forme  mal,  perdue  en  sanscrit  comme  verbe,  se  retrouve  par- 
tout ailleurs  avec  un  ensemble  complet.  Ainsi  : 

Pers.  mâlîdan,  moudre,  broyer,  frotter,  labourer  à  la  char- 
rue, d'où  mâlah,  herse,  mâlidah,  broyé,  brisé,  etc. 

Grec  fJLvXAù),  moudre,  jAvÀy,  fJivAci^  meule,  fJLvXûùy,  mou- 
lin, (MiVÂoôp&i,  meunier,  etc.  —  De  plus  [ActAivpov,  farine  = 
ctMvpov,  et  clAiûo,  moudre,  pour  [tcttec*),  suivant  Ahrens  (  Z. 
S.,  VIII,  340). 

Lat.  molo,  moudre,  mola,  meule,  molina,  moulin,  etc. 

Irl.  meilim,  moudre,  anc.  melim  (Z.2,  429),  meile,  moulin  à 
bras;  mulenn,  pistrinum  (Z.2,  778),  muillion,  moulin. 

Cymr.  malu,  moudre,  melin,  moulin,  meilon,  farine  ;  armor. 
mala,  moudre,  milin,  moulin. 

Groth.  malan,  malvjan,  moudre,  broyer;  malma,  poussière; 
ags.  mylen,  miln,  myll,  moulin,  meule;  meleio,  mealeive,  farine; 
scand.  mala,  moudre,  mylna,  meule,  mêl,  miôl,  farine;  anc. 
ail.  malan,  moudre,  muli,  meule,  mêlo,  farine,  etc. 

Lith.  mâlti  (malu),  moudre,  malûnas,  moulin,  miltai  (pi.), 
farine. 

Anc.  si.  mleti  (meliâ),  su-milati,  moudre;  russe  molôtï,  illyr. 
mlieti,  polon.  mlec  (mielam);  russe  mélivo,  mouture,  mlinû, 
meule,  melïnitsa,  moulin,  illyr.  mlin,  pol.  mlyn,  id. 

2)  Le  scr.  pêshana,  mouture  et  moulin  à  bras,  vient  de  la 
rac.  pishj   terere,  d'où  aussi  pishta,  farine,  etc.  En  zend,  on 


—     160     — 

trouve  pish  et  pistra,  mouture  (Justi,  190),  id.;  en  arménien 
pshrel,  moudre. 

Le  grec  nous  offre  7TTi<r<roù  pour  7ri<r<rûû,  d'où  7ri(rvct,  balle 
de  grains,  son.  Cf.  cymr.  peiswyn,  scand.^s,  anc.  allein.  fesa, 
acus,  palea. 

Le  latin  piso,  -onis,  mortier  à  piler,  de  pinso  ==  pish,  ré- 
pond presque  à  pêshana.  Cf.  pistor,  boulanger,  pistrina,  mou- 
lin, pistillum,  pilon,  etc.  —  A  la  même  racine  se  lient  l'ir- 
landais piosa  (de  pinsa),  miette,  morceau,  armor.  pisel,  pesel, 
pensel,  id. 

Le  lith.  paisyti  signifie  émonder  l'orge  en  la  faisant  fouler 
par  des  chevaux,  et  pesta  désigne  le  mortier  et  le  pilon  ;  en 
russe  péstu  (Cf.  t.  I,  p.  359,  aux  noms  du  pois). 

3)  Les  Germains  et  les  Lithuano- Slaves  ont  en  commun 
un  nom  de  la  meule,  qui  est  sûrement  fort  ancien,  et  dont  j'ai 
parlé  déjà  (t.  I,  p.  326).  C'est  le  goth.  qvaimus,  ags.  cweorn, 
cwern,  scand.  qvôrn,  qvern,  anc.  allem.  quirn,  meule  et  moulin 
à  bras,  auxquels  correspondent  régulièrement  l'ancien  slave 
jrûnûvû,  le  russe  jernovû,  meule,  l'illyr.  sciarn,  sciarvan,  boh. 
zernov,  pol.  zarna  (plur.),  moulin  à  bras.  En  lithuanien,  on 
trouve  girna,  meule,  et  girnôs  (plur.),  les  meules,  pour  moulin. 
La  racine  commune  est  le  sansc.  gf,  gar,  aussi  gur,  gui,  con- 
terere,  et  confici,  d'où  gîrna,  contritus,  etc.  Le  gr.  yvpiç,  farine, 
en  provient  également. 

4)  Parmi  les  noms  de  la  farine,  le  plus  intéressant  est  le 
scr.  samîda  ou  samitâ,  fine  farine  de  froment.  La  première 
forme  semble  la  plus  correcte  d'après  les  analogies  qui  sui- 
vent. La  racine  paraît  être  mid,  être  doux,  onctueux,  en  com- 
position avec  sa  =  sain,  qui  indique  la  possession,  car  le  pers. 
maydah,  fleur  de  farine,  s'y  rattache  directement.  Le  pers.  offre 
aussi  samtd,  pain  de  froment,  pain  blanc,  comme  corrélatif  de 


—     161     — 

mîda,  mais  c'est  là  peut-être  un  mot  d'emprunt  à  cause  de  Ys 
restée  inaltérée  contre  la  règle. 

Ce  qui  est  plus  important,  c'est  que  ce  mot  reparaît  chez 
plusieurs  peuples  européens  avec  la  signification  spéciale  du 
sanscrit.  Ainsi  en  grec  trtf/,iocLÀiç,  fleur  de  farine  du  froment, 
en  latin,  avec  l  pour  d,  simila,  similago,  d'où  l'italien  semola 
et  notre  semoule.  A  cette  forme  latine  correspond  le  scand. 
similia,  similiu-miôl,  anc.  allem.  semala,  simula,  semal-mêlo, 
qui  en  provient  peut-être;  mais  il  n'en  est  pas  de  même  de 
l'ang.-sax.  smeodoma,  smideme,  smedmen,  smedme,  qui  a  con- 
servé la  dentale  avec  un  suffixe  différent.  Je  n'ai  retrouvé  ce 
nom  ni  en  celtique,  ni  en  lith.-slave,  mais  les  rapprochements 
indiqués  ne  laissent  aucun  doute  sur  son  origine  arienne.  Il 
faut  en  conclure  que,  chez  les  anciens  Aryas,  le  procédé  de  la 
mouture  devait  avoir  atteint  une  certaine  perfection  pour 
fournir  un  produit  aussi  distingué.1 

article  v. 
§  204.  RÉSUMÉ  ET  OBSERVATIONS. 

De  l'ensemble  des  recherches  qui  précèdent,  on  peut  tirer 
quelques  inductions  qui  ne  sont  pas  sans  importance  pour 
l'histoire  primitive  de  la  race  arienne. 

1  Cf.  Lassen,  Ind.  Alt.,  I,  247,  note  2.  —  Fick  (495)  part  d'un 
thème  gréco- italien  simala,  suivant  lui,  peut-être  de  la  racine  euro- 
péenne si,  tamiser,  en  comparant  IfAocfacc,  surplus  de  la  farine,  »Vocà/oç, 
surabondant,  lnot'hiç,  déesse  de  la  mouture,  et  sans  tenir  compte  de 
samîda,  <re^u&xX*ç.,  etc. 

II  il 


—     162     — 

Il  en  résulte  d'abord,  d'une  manière  plus  positive,  que  l'agri- 
culture a  succédé,  dans  l'ordre  des  temps,  à  la  vie  pastorale, 
ce  qui   d'ailleurs  est  conforme  à  la  nature  des  choses.  Les 
termes,  en  effet,  qui  se  rapportent  à  l'existence  des  anciens 
pasteurs,  offrent,  en  général,  des  affinités  plus  étendues  et 
plus  multipliées  que  ceux  qui  concernent  les  laboureurs..  Les 
transitions  de   sens  de  quelques-uns  de  ces  termes,  comme 
celles  du  troupeau  à  la  richesse  ou  au  butin,  ou  du  pâturage  à 
la  terre  et  au  champ  cultivé,  confirment  le  fait  de  cette  anté- 
riorité. Toutefois  les  premiers  commencements  de  l'agricul- 
ture doivent  remonter  bien  au  delà  du  moment  de  la  disper- 
sion définitive  des  tribus  ariennes,  et  ses  développements 
auront  été  graduels.  On  comprend  que  dans  un  pays  acci- 
denté, entrecoupé  de  vallées  et  de  cours  d'eau,  tel  que  l'était 
la  Bactriane,  le  travail  de  la  terre  se  soit  associé  de  bonne 
heure  aux  soins  des  troupeaux  sur  les  pâturages  alpestres.  La 
proportion  mutuelle  des  deux  industries  aura  varié  naturelle- 
ment suivant  les  localités,  les  montagnards  restant  plus  ex- 
clusivement pasteurs,   les   habitants   des  vallées  s'adonnant 
davantage  à  l'agriculture ,    et   de    nouvelles   variations   ont 
dû  se  produire  par  suite  des  extensions  successives  de  la  po- 
pulation dans  son  pays  d'origine,  et  avant  ses  migrations  plus 
lointaines. 

Ici  se  place  le  fait  peu  douteux  d'une  première  sépara- 
tion, plus  ou  moins  marquée,  en  deux  groupes  distincts, 
l'un  à  l'orient  dans  la  région  montagneuse,  l'autre  à  l'oc- 
cident, vers  les  contrées  plus  ouvertes  qui  avoisinent  le 
cours  de  l'Oxus  et  la  mer  Caspienne.  C'est  dans  ces  der- 
nières que  l'agriculture  aura  pris  les  développements  dont 
témoignent  plus  particulièrement  les  langues  européennes. 
C'est  là  que  le  pâturage,  agra,  gavya,  sera  devenu  le  champ 


—     163     — 

de  labour,  cLypoç,  yvict,  etc.,  que  la  racine  ar  aura  pris  le 
sens  spécial  de  labourer,  que  le  nombre  des  plantes  cultivées 
aura  reçu  de  notables  accroissements,  etc.  Les  Aryas  orien- 
taux, par  contre,  semblent  être  restés  plus  fidèles  à  la  vie 
pastorale.  On  la  voit  prédominer  encore  chez  les  Indiens 
de  l'époque  védique  ;  et  les  anciens  Iraniens,  au  temps  de 
Zoroastre,  pratiquaient  si  peu  l'agriculture,  que  le  réformateur 
la  recommande  sans  cesse  comme  une  institution  divine,  afin 
d'amener  son  peuple  à  un  état  social  plus  stable.1 

Tout  ceci  ne  prouve  cependant  pas  que  l'agriculture  ait  été 
étrangère  au  premier  noyau  de  la  race  arienne,  puisque  la 
possession  de  plusieurs  céréales,  et  très-probablement  l'usage 
de  la  charrue,  remontent  jusqu'aux  temps  de  l'unité  primitive. 
Les  variations  des  termes  en  usage  s'expliquent  suffisamment 
par  une  division  partielle  des  tribus,  sans  recourir  à  une  hy- 
pothèse que  trop  de  faits  démentent.  Cela  serait  plus  évident 
encore  si  Max  Millier  avait  raison  de  rattacher  le  nom  même 
des  Aryas  à  la  racine  ar,  labourer,  et  d'y  voir  le  peuple  essen- 
tiellement agricole  par  opposition  aux  races  nomades  duTou- 
ran.2  On  aurait,  toutefois,  quelque  peine  à  s'expliquer  que  le 
nom  de  laboureurs  fût  resté  attaché  aux  deux  tribus  orien- 
tales, qui  labouraient  peu,  et  fût  devenu  presque  étranger  à 
celles  qui  pratiquaient  davantage  l'agriculture.  Il  vaut  donc 

1  Cf.  Haug,  Die  Gâthâs  d.  Zor.,  II,  252. 

2  Lectures  on  the  science  of  language,  p.  226.  Millier  s'appuie  sur 
ce  que  arya  désignait  un  homme  de  la  troisième  caste,  celle  des 
Vâiçyas,  ou  habitants  travailleurs,  et  primitivement  cultivateurs,  qui 
formaient  la  masse  principale  du  peuple.  C'est  ainsi  que  le  dérivé 
ârya  a  pu  devenir  le  nom  général  de  la  nation.  Il  est  assez  singulier 
de  voir,  tout  au  contraire,  le  savant  indianiste  Gorresio,  l'éditeur  du 
Ramâyana,  chercher  dans  les  Aryas  les  erranti,  migranti,  en  fai- 
sant dériver  leur  nom  de  la  rac.  ar,  aller,  se  mouvoir  (Rivista  di  filo- 
logia,  Torino,  1873,  I,  5). 


—     164     — 

mieux,  ce  semble,  s'en  tenir  à  l'interprétation  généralement 
adoptée  par  les  indianistes  (Cf.  t.  I,  p.  38),  bien  que  la  con- 
jecture deuMuller  ne  soit  pas  dénuée  de  vraisemblance,  si  l'on 
admet  pour  l'ethnique  ârya  une  origine  postérieure  aux 
temps  de  la  vie  primitive  pastorale. 


CHAPITRE  II. 


§  205.  LES  ARTS  ET  MÉTIERS. 


La  pratique  de  l'agriculture  suppose  un  état  de  société  ré- 
gulier, et  une  industrie  déjà  développée  dans  plus  d'une  di- 
rection. La  construction  des  instruments  aratoires,  et  en  par- 
ticulier de  la  charrue  et  du  char,  indique  une  certaine  habileté 
à  travailler  le  bois  et  le  métal  à  l'aide  d'outils  convenables. 
D'ailleurs,  un  peuple  devenu  agricole  possède  nécessairement 
les  conditions  matérielles  d'une  existence  confortable.  Il  doit 
avoir  des  habitations  fixes,  des  ustensiles  variés,  des  vêtements 
appropriés  au  climat,  sans  parler  des  armes  .pour  la  chasse  et 
la  guerre.  Nous  verrons  qu'à  ces  divers  égards  les  anciens 
Aryas  étaient  richement  pourvus,  ce  qui  ne  peut  s'expliquer 
que  par  un  développement  assez  avancé  de  la  division  du  tra- 
vail, sans  laquelle  les  arts  mécaniques  restent  toujours  dans 
l'enfance.  Nous  allons  chercher  ce  que  la  comparaison  des 
angues  peut  nous  apprendre  à  ce  sujet. 


166 


SECTION  I. 


§  206.  LE  MÉTIER  ET  L'ARTISAN  EN  GÉNÉRAL. 

Ces  termes  généraux,  variables  de  leur  nature,  ne  présen- 
tent qu'un  petit  nombre  de  rapprochements  isolés,  bien 
que  assez  sûrs. 

1)  Un  groupe  des  noms  du  métier  et  de  l'artisan  se  lie,  en 
sanscrit,  à  la  rac.  kr,  kar,  facere.  De  là  karana,  kâru,  kârikâ, 
art,  métier,  aussi  kalâ,  de  kal  =  kar;  et  kâru,  kâri,  kâruka, 
artisan,  ouvrier,  ainsi  que  kâra  à  la  fin  des  composés,  comme 
ayaskâra,  ouvrier  en  fer,  tamrakâra,  ouvrier  en  cuivre,  liêma- 
kâra,  orfèvre,  etc.;  cf.  krta,  œuvre,  krtaka,  artificiel,  krtin, 
krtnu,  habile,  adroit,  etc.  Du  pers.  kardan,  faire,  kârîdan,  tra- 
vailler, dérivent  de  même  kar,  métier,  karîgar,  artisan,  et  le 
gar  des  composés  tout  semblables  au  sanscrit,  âhangar,  ou- 
vrier en  fer,  zargar,  orfèvre,  etc. 

Racine  et  dérivés  se  trouvent  également  en  irlandais,  où 
de  cer  (cearaim),  faire,  on  voit  provenir  l'ancien  irland.  cert, 
cerd,  aararius  (  Z.2,  60),  cerddchae,  officina  (ibid.),  irlandais 
moyen  cerd,  m.,  artisan,  cerd,  f.,  art  (Stokes,  Ir.  GL,  p-58), 
irl.  mod.  céard,  id.  La  forme  creth,  art,  que  donne  O'Reilly, 
répond  au  sanscrit  krta  ou  krti.  En  cymrique,  où  la  racine 
verbale  est  crëu,  faire,  créer,  on  trouve  cerdd,  art,  cerddawr, 
artisan,  etc.1 

1  Mais  cf.  le  lat.  cerdo,  -onis,  ouvrier,  ainsi  que  y.(p^oçf  gain,  avantage, 
puis  adresse,  ruse,  etc.,  d'où  xspàocw,  -àa/voi,  gagner,  et  xzpiïuv,  nom 
d'esclave.  Au  scr.  karana,  métier,  paraît  se  lier  l'irland.  cirnéis,  id., 
main-d'œuvre  (O'Don.,  Gl.  s.). 


—     167    — 

Le  lith.  kivrti,  construire,  bâtir,  kurrêjas,  constructeur,  ap- 
partient probablement  au  même  groupe,  ainsi  que,  dans  un 
sens  plus  général,  le  lat.  creo,  etc. 

2)  Un  autre  terme  sanscrit,  çilpa,  métier,  art  manuel, 
d'où  çilpin,  artisan,  est  pour  kilpa ,  et  appartient  sans 
doute  à  la  racine  Mrp  (kalp) yuans  le  sens  de pamre,facere,  ou 
swfficere. 1 

Ce  sont  encore  les  langues  celtiques  qui,  seules ,  nous 
offrent  des  termes  corrélatifs  dans  l'irl.  mlby  artisan  (O'B,.), 
le  cymrique  celfy  cerf,  art,  métier,  celfyddy  habile,  celfyddwry 
artisan  ,  celfi  ,  outils,  instruments ,  etc.,  2  l'armor.  kalvez, 
kalvéy  charpentier,  d'où  kilvizia,  charpenter,  kilvizerez,  char- 
penterie,  etc. 

3)  Le  Dhâtup.  donne  une  racine,  las,  lâsayatiy  artem 
exercere,  opificem  esse ,  à  laquelle  on  rapporte  lasta}  habile, 
adroit.5 

Ici,  ce  sont  les  langues  germaniques  et  slaves  qui  répon- 
dent au  sanscrit  par  l'ang.-sax.  list,  ars,  ingenium,  scand.  list, 
art,  métier,  listmadry  artisan,  anc.  ail.  list  y  art,  ruse,  etc.,  anc. 
si.  lïstïy  d'où  lïstïnïïy  rusé,  trompeur.  Cf.  lisuy  liska,  lisitsa, 
renard ,  etc. 

1  Cf.  le  goth.  hilpan  fhalp,  hulpansj,  ags.  helpan  (prêt,  hulpori): 
anc.  ail.  hilfan,  aider,  secourir,  hilfa,  hûlfa,  secours,  etc.;  le  lith. 
szèlpti,  aider,  pa-szalpa,  aide,  soin. 

2  Cf.  irl.  fcerbele,  artisan  (  Stokes,  Goid.2,  80).  —  I/étymologie 
proposée  pour  celf  devient  douteuse  en  présence  de  l'anc.  cymrique 
celmed,  efficax  (Z.2,  1153)  =  mod.  celfydd,  qui  conduirait  mieux  à  la 
racine  sanscrite  kar,  du  n<>  1,  d'où  karman,  œuvre,  karmatha, 
habile. 

3  Dans  Wilson  las  (cl.  10)  to  be  skillful,  to  do  any  thing  skillfully; 
mais  le  D.  P.  ne  donne  à  las  que  les  acceptions  de  briller,  paraître, 
bruire,  se  réjouir,  et  au  causât,  lâsayati,  celle  seulement  de  danser 
et  d'enseigner  à  danser.  Le  lasta,  skillfull  de  Wilson ,  ne  s'y  trouve 
pas. 


—     168     — 

4)  Le  scr.  dârû,  artisan,  ouvrier,  paraît  venir  de  df,  dar, 
dividere,  findere,  et  désigner  celui  qui  taille,  coupe,  etc.1 

Le  lith.  daryti  (  daraù  ),  faire,  préparer,  exécuter,  semble 
avoir  généralisé  le  sens  primitif.  De  là,  entre  beaucoup  de 
dérivés,  darymas,  daryne,  ouvrage,  œuvre,  et  surtout  daris, 
qui  forme  des  composés  exactement  comme  le  scr.  kâra,  auk- 
sadaris,  orfèvre,  namadaris,  architecte,  etc.  On  trouve  dailis 
employé  delà  même  manière,  ratadailis,  carrossier,  staladailis, 
menuisier,  et  ce  mot,  ainsi  que  daile,  art,  dailus,  habile,  dai- 
lyda,  artisan,  charpentier,  se  rattache  sans  doute,  bien  que 
peut-être  indirectement,  à  la  forme  secondaire  de  dar,  en  scr. 
dal  et  en  lith.  daliii,  diviser.  Ici,  probablement,  le  grec 
SctiSaAoç ,  plein  d'art ,  ScbiSctXov^  iïatâctAfAU,  œuvre  d'art, 
SdtSctWoù,  etc.,  formes  redoublées  de  SctX. 

Les  termes  nombreux  propres  aux  diverses  langues  ne  doi- 
vent pas  nous  occuper  ici.  Je  me  bornerai  à  remarquer  que  le 
latin  ars,  artis,  que  l'on  a  plus  d'une  fois  rapporté  à  aro,  la- 
bourer, se  rapporterait  mieux  au  scr.  rti,  manière,  mode.  Cf. 
rta,  ordre,  coutume,  rtu,  id. ,  lat.  ritus,  ratio,  et  l'allem.  art,  où 
cependant  la  dentale  est  irrégulière. 

Je  passe  maintenant  aux  métiers  spéciaux. 

1  Cf.  gr.  àpaw. 

2  Cf.  anc.  si.  dèliti,  dividere,  à  côté  de  drati  fderâj,  scindere;  le 
grec  }>êpa>9  le  lat.  dolo,  etc.  Cf.  dolabra,  doloire,  armor.  daladur;  ainsi 
que  l'anc.  si.  dlato,  scalprum. 


169 


SECTION  IL 


§  207.  LE  TRAVAIL  DES  BOIS. 

La  racine  verbale  qui,  dans  l'origine,  paraît  avoir  exprimé 
plus  particulièrement  Faction  de  façonner  les  bois,  se  présente 
en  sanscrit  sous  la  double  forme  de  tvaksh  et  taksïi,  avec  les 
significations  de  tailler,  couper,  fendre,  gratter,  former,  fabri- 
quer, puis,  en  général,  agir,  travailler.  Mais  ces  formes  elles- 
mêmes  sont  évidemment  secondaires,  et  dérivées,  selon  toute 
probabilité,  de  tvak  et  tak  par  Y  s  des  verbes  désidératifs  ou 
intensitifs.  Les  langues  congénères  nous  offrent,  en  effet,  ces 
types-  plus  primitifs  à  côté  des  premiers,  ce  qui  assure,  en  tout 
cas,  à  ceux-ci  une  très>-haute  antiquité.  Je  réunis  ici  les  termes 
de  comparaison,  avec  leurs  significations  plus  ou  moins  diver- 
gentes, mais  toutes  analogues. 

Scr.  tvaksh,  taksh,  sens  indiqué. 

Zend  takhsh,  tash,  couper,  doler,  façonner,  faire.1 

Pers.  tâchtan,  percer,  filer. 

Gr.  tvkûù,  tailler,  façonner;  tw^où,  préparer,  construire; 
TiKCO,  TiHTCt),  produire,  engendrer  ;  tclcctoù,  ordonner,  dis- 
poser. 

Lat.  teœo,  tisser. 

Irl.  tachaim,  gratter,  racler  ;  peut-être  aussi  tescad,  teas- 
gad,  couper  (O'Don.,  GL),  par  inversion  pour  tecsad? 

Cymr.  tociaiv,  tivciaw,  couper,  tailler,  émonder. 

1  Dans  Justi  (133)  tash,  seulement;  mais  anc.pers.  taks,  parsi  tâsî- 
dan,  huzv.  tashîtan,  armén.  tashel. 


—     170    — 

Lith.  taszyti,  tailler  avec  la  hache  ;  taisyti,  arranger,  pré- 
parer. 

Ane.  si.  tukatij  tisser  ;  tesati,  couper,  tailler.  Les  autres  dia- 
lectes passim. 

Ce  tableau  devrait  être  complété  par  les  dérivés  nombreux 
qui  se  rattachent  tour  à  tour  à  la  forme  primitive  et  secon- 
daire, et  dont  les  principaux  reviendront  plus  loin. 

§  208.  LE  CHARPENTIER. 

En  premier  lieu  se  placent  ici  les  anciens  noms  du  char- 
pentier, en  sanscrit  takshan,  takshaka,  tashtar,  tvashtar,  celui 
qui  taille,  qui  façonne,  aussi  kâshthataksh,  qui  taille  les  bois. 
En  zend  tashan,  formateur,  créateur.  Dans  la  mythologie 
védique,  Tvashtar  est  l'artisan  céleste  qui  donne  la  forme  à 
toute  chose. 

Deux  de  ces  noms  ont  leurs  corrélatifs  parfaits  dans  les 
langues  européennes.  A  takshan  répond  le  grec  tzktôôv,  -ovoç, 
charpentier,  avec  kt  pour  ksh,  comme  dans  d'autres  cas.1 
Takshaka  se  retrouve  dans  l'anc.  irland.  Tassach,  artifex,  de- 
venu le  nom  propre  de  l'artisan  au  service  de  saint  Patrice, 
d'après  la  tradition.2 

Le  russe  tektonu,  charpentier,  est  emprunté  du  grec,  le 
boh.  tesarï  se  rattache  directement  au  slave  tesati,  d'où  teslï, 
faber,  comme  le  pol.  ciesla  à  ciesac,  tailler,  avec  c  pour  t  de- 
vant i,  comme  souvent  d'ailleurs. 

Il  faut  ajouter  ici  les  noms  du  blaireau  et  du  castor  (t.  I, 
p.  553),  qui  se  lient  certainement  à  la  rac.  taksh. 

1  Cf.  Pott,  Et.  F.,  I,  270.  Benfey,  Gr.  Wl,  II,  247. 

2  Stokes,  Ir.  Glos.,  p.  104. 


171 


209.  LA  HACHE. 


Cet  instrument  principal  du  charpentier  paraît  avoir  été, 
avec  le  couteau,  le  plus  ancien  outil  taillant,  à  en  juger  par 
les  nombreux  échantillons  en  silex  que  nous  en  a  transmis 
l'âge  de  la  pierre.1  Les  anciens  Aryas,  qui  connaissaient  plu- 
sieurs métaux,  et  qui  n'en  étaient  plus  à  l'usage  exclusif  de 
la  pierre,  ont  sûrement  fabriqué  des  haches  de  plus  d'une 
espèce,  soit  pour  le  travail,  soit  pour  la  guerre.  C'est,  du  moins, 
ce  qu'indique  l'existence  de  plusieurs  synonymes  qui  appar- 
tiennent également  au  temps  de  l'unité. 

1)  Le  nom  le  plus  répandu  de  la  hache  se  lie  encore  à  la 
rac.  taky  taksh,  et  à  ses  analogues.  Ainsi  : 

Scr.  takshanî  et  tanka? 

Zend.  tasha  (Spiegel,  Avesta,  I,  204,  et  Justi,  133). 

Pers.  tash,  tashtan.  Cf.  tashang,  espèce  d'outil  de  charpen- 
tier. 

Arm.  tagur. 

Grr.  Tv^oÇy  hache  de  bataille;  tvkoç,  ciseau  à  tailler,  coin. 

Irl.-erse  tuagh. 

Ane.  ail.  dehsa,  dëhsala. 

Lith.  taszlyczia,  teszlyczia. 

1  Voy.  à  ce  sujet  l'ouvrage  de  M.  Boucher  de  Perthes  :  Antiquités 
celtiques  et  antédiluviennes,  Paris,  1847.  Les  découvertes  de  cet  in- 
vestigateur zélé,  trop  longtemps  contestées  comme  imaginaires,  ont 
été  confirmées  dès  lors,  en  ce  qui  concerne  la  très-haute  antiquité  des 
haches  en  silex,  par  plusieurs  géologues  très-compétents.  Sur  les  ha- 
ches en  pierre  trouvées  en  Suisse,  voyez  l'excellent  livre  de  M.  Troyon, 
Habitations  lacustres,  1861.  Dès  lors  on  en  a  trouvé  à  peu  près  partout 
en  Europe. 

2  Tanka  et  tanka,  ciseau  à  tailler,  houe  (brecheisen),  D.  P. 


—     172     — 

Ane.  si.  testa,  teslitsa;  russe  et  illyr.  testa.  Cf.  russe  tesâkïï, 
épée,  pol.  tasak,  coutelas.1 

Il  se  présente  ici  un  fait  singulier,  et  qui  pourrait  don- 
ner lieu  à  des  hypothèses  fort  aventurées.  Ce  nom  de  la  ha- 
che, si  complètement  arien,  trouve  ailleurs  de  nombreuses 
analogies  qui  s'étendent  non-seulement  dans  l'Asie  du  nord, 
mais  jusqu'à  l'Océanie,  et  même  l'Amérique  septentrionale. 

La  permanence  d'une  rac.  tah  est  manifeste  dans  le  groupe 
suivant. 

Asie  du  Nokd.  Eniséen  d'Imbazk  tok;  samoyède  tuka; 
toungous  tukka  (Klaproth,  As.  Potygl.). 

OcÉanie.  Nouvelle  -  Zélande  toki;  noukhahiwa  toki; 
tonga  togui  ;  taïti  toi  (  Buschmann,  Iles  Marquises,  etc., 
Yocab.  ). 

Amérique  du  Nord.  Mohawk  ottoku;  cayuga  (Iroquois) 
atokea  ;  shawni  (  Algonquin  )  tekaka;  illinois  takahakan; 
miami  takakaneh;  massachusset  togkunk;  tchinouk  tukait- 
khlba  (Americ.  Ethnot.  Soc,  Vocab.).  —  Othomi  (Mexique) 
thégui  (Vater,  Sprachproben,  p.  367). 

Ces  coïncidences,  dont  l'énumération  n'est  sûrement  pas 
complète,  sont  trop  multipliées  pour  être  mises  sur  le  compte 
du  hasard;  mais  on  ne  peut  pas  mieux  les  attribuer  à  une  com- 
munauté d'origine,  ou  à  des  transmissions  de  peuple  à  peuple. 
La  seule  explication  possible  est  ici  celle  du  principe  de  l'ono- 
matopée, la  racine  tak,  tok  imitant  très-bien  le  bruit  de  la 
hache  qui  taille. 

2)  Un  autre  nom,  également  ancien,  est  le  sansc.  paraçu, 
parçu,  dont  l'étymologie  est  encore  incertaine.  Celle  que  pro- 
pose Pott  (Et.  F.,  I,  231),  dépara  +  çu  (de  çô,  acuere),  ulte- 

1  Stokes  {Rem.{,  16)  rapproche  de  tesla  l'irland.  tal,  hache,  pour 
tasal,  Vs  devenant  quiescent  entre  deux  voyelles. 


—     173     — 

riorem  aciem  habens,  semble  bien  hypothétique,  en  l'absence 
d'un  çu  réel  pour  acies.  En  supposant  la  perte  d'un  a  initial, 
on  pourrait  conjecturer,  comme  thème  primitif,  apa-raçu, 
l'outil  qui  tranche.  Cf.  rç,  arç,  riç,  ruç,  laedere,  arça,  blessure, 
pcL<r<roù,  panée*),  fendre ,  diviser,  iptijccû,  Xcmaoù,  id.;  irlandais 
rôichim,  déchirer,  cymr.  rhychu,  trancher,  sillonner,  lithuan. 
rëkti,  couper,  etc.  Un  composé  analogue  se  montre  dans  le 
védique  kuliça,  hache,  suivant  le  D.  P,  de  ku  -j-  Uç  =  riç,  lae- 
dere,  quomodo  laedens.  Il  faudrait  alors  que  cet  a  eût  disparu 
déjà  dans  la  langue  primitive,  d'après  les  analogies  qui  sui- 
vent.1 

Ossète  farathj  hache,  si  le  th,  prononcé  à  l'anglaise,  rem- 
place la  sifflante. 

Gr.  7riAiKvç,  d'après  Hesych.  aussi  9reÀu|,  où  Avjc  =  ruç? 
De  là  7Tî\îKcLûùy  tailler,  et  7rtteKciç,  -cIvtoç,  le  pivert  qui  taille 
le  bois  de  son  bec  (Cf.  t.  I,  613). 

Irl.  faracha,  farcha,  fairce,  maillet,  par  transition  de  sens, 
erse  faraich,  cuneus  doliarii, /ara»,  tudes.  L'/ici  pour  p.2 

3)  Le  sanscrit  drughana  ou  drughnî,  hache,  signifie  :  qui 
frappe  le  bois,  de  dru  -\-han  (ghan  ),  csedere.  Le  substantif 
simple,  ghana,  désigne  une  massue  et  une  masse  d'armes. 

A  la  même  racine  appartient  le  scand.  genia,  hache,  et  sans 
doute  aussi  le  gr.  ytvvç,  id.,  et  mâchoire  =  scr.  hanu  dans 
cette  dernière  acception.  Le  y  est  ici  irrégulièrement  pour  h, 
gh,  comme  dans  éycov  =  scr.  aham,  etc.   Cf.  le  lith.  genys, 

1  Le  D.  P.  propose  de  rattacher  paraçu  à  une  racine  hypothétique 
parc,  courber,  en  comparant  parçu,  côte,  faux,  faucille,  cimeterre 
courbe  (Cf.  zend  pereçu,  côte,  côté,  kourde  pârçu,  ossète  farç,  etc.; 
Justi). 

2  Cf.  l'anc.  cymr.  pelechi,  gl.  clavse  (Juvenc.  gl.,  Beitr.,  4,  94).  Il 
faut  ajouter  que,  dans  l'irlandais  moyen  (O'Don.,  GL),  faracha  dé- 
signe aussi  un  carreau  de  foudre,  comme  paraçu  en  sanscrit  (D.  P.). 


—     174     — 
pivert,  de  genëti,  tailler  (  Cf.  t.  I,  p.  614),  comme  ci-dessus 

TTîAtKclç. 

4)  Le  pers.  bayram,  hache  de  charpentier  et  foret,  dans  ce 
dernier  sens  aussi  baylam,  se  rattache  probablement  à  la  rac. 
zend  bëre,  couper,  dont  les  affinités  ont  été  indiquées  déjà  à 
l'un  des  noms  de  la  herse. 

Comme  cette  racine  se  retrouve  dans  le  scand.  beria,  ferire, 
d'où  barinn,  contusus,  il  faut  peut-être  y  rapporter  l'anc.  ail. 
parta,  barta,  hache,  ainsi  que  pm*sa,  ang.-sax.  byrs,  id.  La  res- 
semblance singulière  de  ce  germanique  barta  avec  l'arabe 
burt,  hache,  provient  de  ce  que  la  rac.  bar  existe  également 
dans  les  langues  sémitiques,  où  l'on  trouve  l'héb.  bârâ,  bârâh, 
bârash,  bârath,  cecidit,  secuit,  en  arabe  baraya,  barata,  d'où 
burt,  hache.  On  est  surpris  de  voir  reparaître  ce  nom  dans  le 
tchouvache  borta,  hache,  que  les  autres  dialectes  turcs  possè- 
dent aussi  sous  la  forme  de  balta.  Cf.  arabe  balt,  qui  coupe,  de 
balata  =  barata.  Et  par  une  nouvelle  singularité,  ce  balta 
rappelle  le  scand.  byllda,  bûllda,  hache,  à  côté  de  byla,  id.  Il  y 
a  là  une  complication  de  rapports,  sans  doute  en  partie  for- 
tuits, et  que  je  ne  me  charge  pas  de  débrouiller. 

Le  scand.  byla,  hache,  conduit  à  une  autre  série  de  termes 
non  moins  pleine  d'incertitudes.  Une  racine  bil,  peut-être 
=  zend  bere,  se  montre  dans  le  persan  Ml,  bîlah,  pic-hoyau, 
pelle,  rame,  etc.  Cf.  baylam,  foret  =  bayram,  foret  et  hache. 
Le  Dhâtup.  sanscrit  donne  aussi  bhil  ou  bil,  findere,  qui  ne 
semble  être  qu'une  forme  secondaire  de  bldd.  Mais  où  faut-il 
placer  le  scand.  bila,  frangere,  anc.  allem.  pillôn,  dans  durah- 
pillôn,  terebrare?  ainsi  que  le  scand.  bîlldr,  scalpellum,  l'ang.- 
sax.  bil,  ensis,  hvi-bill,  bipennis,  anc.  ail.  pill,  ensis,  uuidu-bil, 
runcina,  le  scand.  bilaeti,  ags.  bilidh,  anc.  allem.  piladi,  statua, 
forma,  c'est-à-dire  image  taillée?  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'il 


—     175     — 

faut  en  séparer  l'allem.  beil,  hache,  qui  provient  de  l'ancien 
Mal,  bihal,  dont  l'origine  est  tout  autre,1  et  qui  semble  avoir 
passé  dans  l'irl.  Mail,  le  cymr.  bwyell  et  l'armor.  bouchai,  bo- 
chal,  hache. 

Je  laisse  à  de  plus  habiles  la  tâche  de  porter  la  lumière  dans 
ce  chaos. 

4)  Le  persan  talaivsah,  petite  hache,  ainsi  que  talah,  talî, 
pierre  à  aiguiser,  se  rattachent  peut-être  à  la  même  origine, 
d'ailleurs  incertaine,  que  le  sansc.  talirna,  couteau  de  chasse, 
épée  ;2  cf.  tala,  surface  plane. 

On  peut,  sans  invraisemblance,  comparer  l'irl.  tâl,  erse  tàl, 
tàlag,  hache,3  armor.  taladur,  doloire,  ainsi  que  le  verbe  irl. 
tallaim,  tailler,  et  le  lat.  tâlea,  taille,  greffe. 

5)  Au  persan  tabar,  tawar,  hache,  boukhare  tawar,  kourde 
teper,^  armén.  dabar,  correspond  évidemment  l'ancien  slave 
et  russe  toporû,  polon.  topor,  boh.  topor,  etc.;  mais  l'origine 
première  est  douteuse.  Le  persan  a  pu  désigner  l'outil  qui 
perce  ou  qui  frappe,  si  l'on  compare  tabîdan,  percer,  forer, 
tapak,  martinet,  taprah,  timbale,  tapânéah,  coup.  D'un  autre 
côté,  le  slave  toporïï  semble  se  rattacher  à  tepsti  (tepâ),  per- 
cutere,  en  russe  topatï,  battre,  et  tiapatï,  tiapnutï,  tailler,  ha- 
cher, polon.  tapac,  tupaê,  frapper  du  pied,  etc.,  lesquels,  comme 
le  sanscrit  tup,  tv7TTûo,  taper,  etc.,  sont  sans  doute  des  ono- 
matopées. Cependant  une  transmission  du  persan  au  slave, 
ou  vice  versa  (?) ,  n'aurait  rien  d'improbable   pour  un  instru- 

1  Suivant  Benfey  (Gr.  Wl.,  II,  175),  bi-hal,  comme  bi-pennis,  fei= 
scr.  dvi,  deux,  et  hal  =  scr.  cala,  lance,  etc. 

2  Cf.  talawâri,  épée,  en  armén.  talabr,  en  tirhaï  tarwâli,  en  siah- 
pôsh  tawali,  etc. 

3  Mais  cf.  la  note  ci-dessus,  p.  172. 

4  Dans  les  Vocab.  Catharinœ. 


—     176     — 

ment  comme  la  hache,  qui  a  dû  servir  très-anciennement  de 
moyen  d'échange,  et  le  chaldéen  thbar,  arabe  tabara,  fregit, 
pourrait  suggérer  une  origine  sémitique.  Le  tchérémis  tubar, 
tovar,  et  le  lamoute  tobar,  hache,  sont-ils  venus  du  persan  ou 
du  slave  ? 

6)  Le  pers.  sikiz,  espèce  de  hache  de  charpentier,  semble- 
rait au  premier  abord  devoir  se  rattacher  à  la  même  racine  que 
le  latin  securis,  et  l'anc.  slave  sekyra,  seéivo,  hache,  polonais 
siekiera,  id.,  siekacz,  tranchet,  etc.;  savoir,  d'une  part  seco,  et 
de  l'autre  seshti  (sekà),  couper.  Mais  cette  racine,  d'où  déri- 
vent en  Europe  les  noms  de  plusieurs  outils  tranchants,1  ne  se 
retrouve  ni  en  persan,  ni  en  sanscrit  ;  2  et,  comme  Y  s  initiale 
persane  ne  répond  pas  dans  la  règle  à  Y  s  primitive,  qui  devient 
A,  il  faut,  je  crois,  rapporter  sikiz,  hache,  ainsi  que  sikanah, 
sikînah,  foret,  à  la  racine  sémitique  sakka,  déjà  mentionnée  à 
l'article  du  soc.  Quant  à  un  rapport  d'affinité  possible  entre 
ce  sakka  et  seco,  etc.,  c'est  une  question  qui  reste  obscure, 
comme  toutes  celles  qui  concernent  les  origines  communes 
des  Sémites  et  des  Aryas. 

7)  J'ajoute  encore  ici  un  groupe  purement  européen  des 
noms  de  la  hache,  qui  doit  être  en  tout  cas  fort  ancien,  et  qui 
se  lie  à  la  même  rac.  ak,  aksh,  que  le  n°  3  de  la  herse.  Le  grec 
d^lvyj;  hache,  en  effet,  ne  diffère  pas  essentiellement  de  o^ivct, 
herse.  Le  latin  ascia  n'est  probablement  qu'une  inversion  de 

1  Lat.  secula  etsicilis,  faux,  d'où  l'ags.  sicel,  anc.  allem.  sihhila, 
id.,  et  l'irl.  seical,  séran  ;  cf.  cymr.  hicel,  serpe,  et  hoc,  id.,  scandin. 
sigd,  faucille,  anc.  allem.  segansa,  faux,  etc.  Lat.  serra,  scie,  ags.  et 
anc.  ail.  saga,  etc.  Ancien  allem.  seh,  coutre,  etsahs,  couteau,  ags. 
seax,  etc. 

2  Fick  (400)  admet  une  racine  européenne  's ak,  couper,  en  compa- 
rant le  zend  skâ,  couper  =  scr.  châ  et  khâ  (p.  206). 


—     177     — 

acsia.1  Dans  les  langues  germaniques,  nous  trouvons  le  goth. 
aqvizi,  anc.  sax.  acus,  ags.  acas,  aex,  eax,  scand.  ôx,  ôxi  (gén. 
axar),  anc.  ail.  achus,  akus,  akis,  etc.,  où  cependant  la  gut- 
turale n'a  pas  subi  le  changement  régulier  en  h.  En  lithuanien 
enfin,  jekszis,  jeksztis,  qui  ne  semble  pas  provenir  du  germa- 
nique.2 

Aucun  nom  oriental  de  la  hache  n'est  comparable,  mais  on 
peut  en  rapprocher  peut-être  le  persan  âkus,  qui  désigne  un 
ciseau  de  maçon.  Le  sanscr.  agis,  crochet  du  serpent,  de  aç, 
pénétrer,  offre  aussi  une  formation  très-analogue  au  gothique 
aqvizi,  etc. 

J'ai  réuni,  pour  la  hache,  à  cause  de  son  importance,  tout 
ce  qui  m'a  paru  offrir  des  indices  d'affinité  ;  mais  il  est  à 
peine  nécessaire  d'ajouter  que  les  deux  premiers  groupes  de 
noms  seuls  procèdent  avec  certitude  du  temps  de  l'unité 
arienne. 


§  210.  LE  COUTEAU. 

Appliqué,  non-seulement  au  travail  des  bois,  mais  à  beau- 
coup d'autres  usages,  le  couteau  figure  avec  la  hache  parmi  les 
premières  productions  de  l'âge  de  la  pierre,  et  on  ne  saurait 
douter  de  sa  possession  par  les  anciens  Aryas,  quand  bien 
même  quelques-uns  de  ses  noms  n'en  fourniraient  pas  la 
preuve.  Ce  sont  les  suivants. 

i  Benfey,  Gr.  Wl.,  I,  162. 

2  Cf.  l'anc.  cymr.  ochcul,  espèce  de  hache,  de  och  (dans  Ducange; 
acha,  achia,  securis)  et  cul,  tenuis  (Z.2, 1061). 

II  12 


—     178     — 

1)  Scr.  kartarî,  karttrikâ,  couteau  et  ciseaux,  de  fort,  kart, 
scindere. 

Zend  kareta  (Spiegel,  Avesta,  I,  205);  pers.  kârd,  couteau, 
kârdû,  ciseaux  à  tondre  ;  kourde  kârdi,  ossète  kard. 

Lat.  culter,  cultellus. 

Cymr.  cyllell  (du  latin?  ou  directement  de  cyllu)  pour 
cyltu  =  krt  f).  Pour  l'armor.  kountel,  et  son  rapport  peut-être 
indirect  avec  le  scr.  kuntala,  kuntalikâ,  ainsi  que  pour  les 
noms  du  coutre  analogues  à  culter,  cf.  p.  120. 

2)  Scr.  krpânî,  -nikâ,  couteau,  ciseaux  ;  cf.  krpâna,  glaive, 
karpana,  espèce  de  lance,  et  kalpanî,  ciseaux ,  de  klrp,  kalp, 
parare,  facere;  cf.  kalpana,  action  de  former  et  de  couper.1 

Armén.  kharp,  glaive. 

Lat.  scalprum,  de  scalpo.  Cf.  sculpo. 

Irl.  sgeilpin,  petit  couteau  ;  de  sgealpaim,  scalpaim,  fendre, 
couper.2 

Ang.-sax.  screope,  scalprum,  strigil,  de  screopan,  scalpere. 
Cf.  sceorfan,  concidere  minutatim,  anc.  ail.  screfôn,  incidere, 
scurfjan,  rescindere,  etc.,3  et  le  lith.  kirpti  (  kerpu  ),  couper, 
tondre. 

Russe  kliapikUy  couteau  de  cordonnier,  tranchet. 

Le  roseau,  en  latin  scirptts,  anc.  ail.  sciluf,  mod.  schilf,  aura 
reçu  son  nom  de  sa  feuille  tranchante,  et  semblable  à  un  cou- 
teau. 

Ici,  comme  dans  d'autres  cas,  la  différence  des  suffixes  pro- 

1  Cf.  le  siahpôsh  kolba,  charrue  ;  en  aymak  de  l'Afghanistan  kulpa 
(Gabellenz,  D.  Morg.  Ges.,xx,  330). 

2  Cf.  irl.  f  cerp,  coupure  ou  tranchant  (O'Dav.,  Gl.,  63,  et  Stokes, 
Rem.\  10). 

8  Grimm  admet  une  racine  perdue  scerf,  scarf,  scurf  (Deut.  Gr., 
II,  62).  Delà  aussi  l'anc.  ail.  scarf}o,gs.  scearp,  acer,  acutus. 


—     179     — 

près  aux  diverses  langues  n'empêche  pas  d'admettre  comme 
très-probable  l'existence  d'un  nom  primitif  du  couteau  dérivé 
de  la  rac.  karp,  kalp,  ou  skarp,  shalp. 

3)  Scr.  kshura,  m.,  rasoir,  kshâurî,  f.,  id.,  kshurikâ,  petit 
rasoir  ;  kshuradhârâ,  outil  tranchant  comme  un  rasoir  ;  kshu- 
rapavi,  adj.,  à  tranchant  acéré  ;  kshurapra,  espèce  de  flèche 
semblable  à  un  rasoir.  De  là  kshurin,  kshâurika,  barbier, 
kshâura,  action  de  raser,  de  tondre,  etc.  Cf.  kshurî,  éhurî, 
khurâ,  couteau,  poignard.  Suivant  D.  P.,  la  racine  est  peut- 
être  kshar,  glisser.  Le  kshur,  couper,  creuser,  rayer,  du 
Dhâtup.,  serait  inféré  de  kshur  a.  Mais  cf.  aussi  chur,  rayer, 
inciser  (D.  P.),  et  khur,  couper  (Dhâtup.).1 

Armén.  sur,  couteau,  épée  ;  pers.  sûrî,  espèce  de  flèche  ou 
de  javelot  (Cf.  kshurapra);  kourde  shûr,  couteau. 

Grec  %v(>6ç,  -pov,  rasoir,  jgjçtov,  petit  rasoir,  %uç*iK9jç,  tran- 
chant comme  un  rasoir,  ^oS^iw;, -JImwj,  boîte  à  rasoirs,  comme 
en  sanscrit  kshuradhâna,  kshurabhânda,  et  peut-être  *kshura- 
dhâkâ.  De  là  ^uçclco,  -ptc*),  raser,  tondre,  etc. 

En  Europe,  ce  mot  ne  semble  se  retrouver  d'ailleurs,  chose 
singulière,  que  dans  surin  ou  chourin,  couteau,  terme  d'argot 
en  France,  d'où  chouriner,  assassiner  à  coups  de  couteau,  chou- 
rineur,  assassin  (Voy.  les  Mystères  de  Paris,  de  Sue).  Ces  mots 
seraient-ils  provenus  peut-être  de  quelque  dialecte  des  Zin- 
ganis  ou  Bohémiens,  originaires  de  l'Inde,  comme  on  le  sait, 
et  qui  en  ont  fourni  d'autres  encore  à  l'argot  des  malfai- 
teurs? 2 

1  Cf.  la  racine  germanique  scer,  scar,  scur,  couper,  tondre,  d'où 
l'ags.  scear,  anc.  ail.  scar,  scaro,  soc,  scar  a,  scera,  ciseaux,  et  peut- 
être  l'ags.  et  ancien  allem.  scur,  hache,  s'il  ne  provient  pas  du  latin 
securis. 

2  De  la  parfaite  concordance  du  kshur  a,  déjà  védique,  avec  £upoç, 


180     — 


§  211.  LA  TARIÈRE. 


Les  instruments  à  percer  le  bois  exigent  l'emploi  du  métal 
plus  que  les  outils  taillants,  parce  qu'ils  doivent  réunir  une 
grande  solidité  à  une  forme  plus  ou  moins  déliée.  Aussi  sont- 
ils  l'indice  d'une  industrie  assez  avancée,  et  je  ne  crois  pas 

déjà  dans  Homère  {IL,  x,  174),  on  peut  conclure  que  les  anciens 
Aryas  se  rasaient  la  barbe,  soin  qui  indique  un  certain  degré  de  cul- 
ture. On  sait,  d'après  Diodore  (v,  28),  que  les  chefs  gaulois  se  rasaient, 
en  ne  conservant,  comme  signe  distinctif,  que  de  longues  moustaches. 
Ce  fait  s'est  confirmé  par  la  découverte  de  nombreux  rasoirs  en  bronze 
dans  les  tumulus  de  la  Gaule,  des  sources  du  Rhône  aux  embou- 
chures du  Rhin.  On  en  a  recueilli  près  de  quatre-vingts.  Dans  le  voi- 
sinage de  Bologne  aussi,  au  cimetière  de  Villanova,  on  a  trouvé 
douze  rasoirs  qui,  d'après  le  comte  Gozzadini,  doivent  dater  de  sept 
ou  huit  siècles  avant  notre  ère.  Une  quarantaine  d'autres  ont  été 
recueillis  dans  l'Italie  supérieure  (Cf.  Mém.  des  Antiq.  de  France, 
t.  34,  p.  319,  sqq.). 

Le  nom  gaulois  du  rasoir  ou  du  couteau  ne  nous  est  pas  parvenu. 
Mais,  comme  en  gaulois,  un  x  primitif  se  change  parfois  en  s,  ss,  de 
même  qu'en  irlandais  et  dans  les  langues  iraniennes  (Cf.  les  noms 
propres  des  inscriptions  gallo-romaines  Andoxus  et  Andossus,  Texia 
et  Tessia,  Excingus  et  Escingus,  Maxia  et  Masia,  Moxus  et  Mo- 
sus,  etc.,  etc.),  on  peut  conjecturer  que  le  nom  d'homme  éduen  Surus 
(Ces.,  8,  45),  Surus  Tribocus  (Orel.,  2728),  fréquent  aussi  dans 
Gruter,  se  rattache  à  kshura.  Un  Surinus  Vindelicus  (Steiner,  2619, 
Ratisb.)  rappelle  singulièrement  le  sanscrit  kshurin,  barbier,  et  surin, 
couteau  de  l'argot.  Barbier  et  Couteau  sont  des  noms  propres  très- 
communs  en  France. 

A  la  suite  des  outils  tranchants,  il  faut  mentionner  un  ancien 
nom  de  la  pierre  à  aiguiser,  le  scr.  çâna,  de  çâ  (ci),  aiguiser,  d'où 
gâta,  cita,  tranchant.  Cf.  zend  çâ,  couper,  détruire,  çâna,  destruction. 
C'est  le  persan  sân,  shân,  ap-sân,  af-sân,  fa-sân,  etc.  En  Europe,  le 
corrélatif  se  trouve  dans  le  scand.  hein,  angs.  haen,  angl.  hone.  A  la 
même  racine  appartient  le  lat.  côs,  côtis,  et  aussi  catus,  rusé,  adroit, 
proprement  acéré.  Cf.  Aufrecht  (Z.  S.,  I,  363,  472)  qui  en  rapproche 
également  le  scand.  hvatr,  hvass,  acutus,  etc. 


—     181     — 

que  l'âge  de  la  pierre  en  ait  fourni  autre  chose  que  de  très- 
grossiers  échantillons. 

1  )  Un  seul  des  noms  de  la  tarière  en  Orient  présente 
quelque  analogie  avec  ceux  de  plusieurs  langues  européennes. 
C'est  le  persan  barma,  bayram,  baylam,  bîrah,  de  la  rac.  zend 
bere,  bar,  couper,  déjà  mentionnée  aux  articles  de  la  herse  et 
de  la  hache.  Cf.  lat.  foro,  d'où  notre  foret.  L'anc.  allem.  bor, 
pora,  se  rattache  de  même  à  porôn,  ags.  borian,  scand.  bora, 
terebrare.  L'irl.-erse  bàireal  et  le  russe  burâvu,  foret,  d'où 
buravitï,  percer,  forer,  dont  les  suffixes  diffèrent,  ne  provien- 
nent sûrement  pas  du  germanique.  Il  y  a  donc  là,  très-pro- 
bablement, un  ancien  nom  de  l'outil,  qui  s'est  modifié  de  plu- 
sieurs manières. 

2)  Cela  est  plus  incertain  pour  un  autre  groupe  de  termes 
purement  européens,  quoique  leur  racine  soit  arienne  dans  le 
sens  général.  Le  grec  Ttpîrpov  j  latin  terebra  ;  irland.  tarathar 
(Corm.,  Gl.,  161),  tarar,  tarachair,  toramh  (  O'R.  ),  erse 
tora  ;  cymr.  f  tarater  (Z.2,  1061),  moy.  taradyr(Leg.,I,  82), 
mod.  taradr,  armor.  tarar,  talar  ;  alban.  turjéle,  ainsi  que 
notre  tarière,  etc.,  se  rattachent  tous  à  la  rac.  tr,  tar,  traji- 
cere,  gr.  riipcù,  Tpecû,  lat.  tero,  etc.  Au  grec  Tiûirpov,  cymr. 
taradr,  répond  exactement  le  sansc.  taritra,  qui,  toutefois,  ne 
désigne  pas  le  foret,  mais  le  bateau  qui  traverse  les  eaux.1 

§  212.  OBSERVATIONS  SUR  D'AUTRES  OUTILS. 

Les  trois  instruments  qui  précèdent  sont  les  seuls  dont  les 
anciens  noms  se  soient  partiellement  transmis  jusqu'à  nous  ; 
mais  cela  ne  prouve  pas  que  d'autres  encore  n'aient  pu  être 

»  Cf.  encore  taratrum,  vox  gallica,  d'après  Isidore. 


—     182     — 

en  usage  au  temps  de  l'unité.  Il  est  difficile  de  croire  que,  ré- 
duits à  des  moyens  aussi  limités,  les  anciens  Aryas  eussent 
pu  fabriquer  des  chars,  et  surtout  des  roues,  et  la  scie^  en  par- 
ticulier, ne  doit  pas  leur  avoir  été  connue.  Si  nous  possédions 
une  nomenclature  orientale  plus  complète  des  outils  de  menui- 
serie, il  est  probable  qu'il  se  révélerait  de  nouvelles  analogies 
avec  les  langues  européennes.  Quelques  faits  isolés  tendent  à 
appuyer  cette  conjecture. 

Ainsi,  nous  trouvons  en  sanscrit  une  racine  lue,  luné,  evel- 
lere  (to  eut,  to  pare,  to  peel,  Wilson),  d'où  luncita,  coupé, 
pelé,  luncana,  action  d'arracher,  etc.;  cf.  anc.  slave  lâciti, 
sejungere,  separare  ;  mais  on  n'en  voit  dériver  aucun  nom 
d'outil  tranchant,  comme  on  aurait  pu  s'y  attendre.  Par  contre, 
le  grec  pvacLvyj,  rabot,  a  perdu  sa  racine  pv x,  =  lue,  tandis  que 
le  lat.  runcina,  id.,  l'a  conservée  dans  runco  =  luné.  Ceci 
peut  déjà  faire  présumer  l'existence  d'un  ancien  nom  de 
l'outil  à  planer,  et  cette  présomption  se  fortifie  quand  nous 
trouvons,  pour  le  rabot,  l'irl.  locar,  erse  locair  (  de  loncar,  à 
cause  du  e  non  aspiré),  d'où  le  dénominatif  locaraim,  raboter, 
planer,  dont  la  racine  loe,  lonc  =  luné,  a  disparu  comme  en 
grec. 

Un  second  ^exemple  se  présente  dans  le  pers.  rand,  randah, 
rabot,  doloire,  racloir,  râteau,  de  randidan,  planer,  polir,  cou- 
per, racler,  scier.  Ce  verbe  correspond  au  scr.  rad,  findere, 
fodere,  mais  on  n'en  voit  provenir  que  rada,  radana,  la  dent 
qui  creuse  et  divise.  Le  latin  possède  aussi  cette  racine  sous 
la  double  forme  derâdo,  gratter,  polir,  planer,  et  de  rôdo,  ron- 
ger, et  de  la  première  viennent  ràdula,  rallum,  racloir,  et 
rastrum,  râteau.  D'un  autre  côté,  l'irl.  rodhbh,  rudhbh,  scie, 
dont  la  racine  manque,  se  lie  certainement  au  même  groupe, 
et  rappelle  rada,  dent. 


—     183     — 

On  peut  croire,  d'après  cela,  que  les  anciens  Aryas  ont 
rattaché  aux  racines  ruk,  runk,  et  rccd,  rand,  les  noms  de 
quelque  outil  à  planer  les  bois,  et  peut-être  celui  de  la  scie 
dentelée. 

SECTION  III. 
§  213.  LE  TRAVAIL  DES  MÉTAUX. 

Nous  avons  vu  (t.  I,  p.  218  et  suiv.)  qu'au  temps  de  l'unité 
arienne  on  connaissait  déjà  la  plupart  des  métaux  usuels  ; 
mais  il  est  plus  difficile  de  savoir  jusqu'à  quel  point  on  avait 
porté  l'art  de  la  métallurgie,  surtout  pour  le  fer,  dont  l'em- 
ploi est  resté  inconnu  à  plusieurs  peuples  d'une  industrie 
d'ailleurs  très-avancée.  Les  métaux  fusibles  et  ductiles  auront 
été,  comme  de  raison,  les  premiers  mis  en  œuvre,  l'or  et  l'ar- 
gent pour  les  bijoux  et  les  ornements,  le  cuivre  et  l'airain  pour 
les  outils  tranchants,  les  armes  et  les  vases  à  cuire.  Malheu- 
reusement les  anciens  noms  de  ces  divers  objets  ne  nous 
apprennent  guère  de  quelle  matière  ils  étaient  faits,  et  il  ne 
nous  reste,  pour  nous  éclairer  sur  cette  question,  que  l'exa- 
men des  termes  qui  se  rapportent  au  travail  des  métaux,  aux 
opérations  du  fondeur  et  du  forgeron,  ainsi  qu'aux  outils  in- 
dispensables pour  la  métallurgie. 

§  214.  LA  FUSION. 

1)  Pour  exprimer  l'action  de  fondre,  le  sanscrit  emploie 
la  rac.  ri}  lî,  solvere,  liquefare  ;  d'où  rîna,  lîna,  liquéfié,  rîti, 
flux,  laya,  fusion,  etc.  La  forme  secondaire  lî  se  retrouve  dans 


—     184     — 

les  langues   lith.-slaves,   et  l'irlandais,  avec  des  applications 
spéciales  à  la  fusion  des  métaux.  Ainsi  : 

Ane.  si.  liti,  liiati,  russe  litï,  fondre,  couler,    verser,  litié, 
liianie,  fonte,  litetsu,  fondeur,  liialo,  moule,  loi,  chose  fondue, 
slitoku,  lingot;  illvr.  u-liti,  sliti,  fondre;  pol.   lac  (leië),  id., 
lanie,  fonte,  lity,  fondu  massif,  etc. 

Lithuan.  lëti,  causât,  lydyti,  fondre ,  lëtas,  métal  fondu, 
lêjëjas,  lëtojis,  lydytojis,  fondeur,  lëtuive,  creuset,  lëjimas, 
fonte. 

Irland.  leaghaim  =  scr.  layâmi,]^  fonds,  leaghadh,  fusion,1 
leaghthoir,  leaghadôir,  fondeur,  etc. 

2)  Au  gr.  fA,i\iïûù,  fondre,  liquéfier,  répond  le  goth.  maltjan, 
l'ang.-sax.  meltan,  smeltan,  scand.  melta,  smelta,  anc.  allem. 
smelzan  (transit,  et  intrans.  ),  etc.  La  racine  sansc.  corrélative 
est  mrd,  avec  le  sens  analogue  de  conterere,  comminuere.  Cf. 
mardana,  dans  himamardana,  fonte  de  neige  (D.  P). 

3)  Les  termes  comparés  ci-dessus  n'ont  pas,  en  sanscrit, 
une  signification  assez  spéciale  pour  donner  la  preuve  de  leur 
application  à  l'ancienne  métallurgie,  bien  que  cette  application 
soit  très-probable.  Le  rapprochement  suivant  serait  plus  con- 
cluant s'il  était  moins  hypothétique,  faute  d'intermédiaires. 

Le  scr.  sandhânî,  fonderie  et  distillation,  est  dérivé  dans 
Wilson  de  sam  -f-  dhâ,  componere,  comme  sandhâna,  combi- 
naison, mélange,  ce  qui  ne  donne  pas  un  sens  bien  satisfai- 
sant, et  il  vaudrait  peut-être  mieux  recourir  à  la  rac.  dhan  = 
dhanv,  dans  l'acception  de  faire  couler  (D.  P.),  mais  avec  sam, 
faire  couler  ensemble,  c'est-à-dire  fondre.  En  cymrique,  en 
effet,  nous  trouvons  dyne,  fonte,  fusion,  d'où  dynëu,  gorddy- 

1  Cf.  f  legad,  dissolutio  (Z.?,  625). 


—     185    — 

nëu  (gor  préf.  intens.),  fondre,  aussi  dinëu,  puis  dinëwr,  fon- 
deur, dyneudy,  fonderie  (ty,  maison  ),  etc.,  termes  qui  se  rat- 
tachent mieux  à  dhan  qu'à  dhâ. 

Ce  dyn  cymr.  reparaît  encore,  ce  semble,  dans  odyn,  four, 
fournaise,  odyn-dy,  fonderie,  forge,  et  ici  se  présente  une  se- 
conde analogie  remarquable  avec  le  scr.  uddhâna,  four,  peut- 
être  de  ud  -f-  dhan  qui  signifierait  effundere.  Ce  dernier  rap- 
prochement, toutefois,  serait  illusoire  si,  comme  le  présume  le 
D.  P.,  la  forme  véritable  du  mot  sanscrit  était  uddhmâna,  de 
dhmâ,ûare.  Cf.  russe  damna, fournaise,  et  p.  189. 

§  215.  LA  FORGE  ET  LE  FORGERON. 

L'action  de  forger  s'exprime,  dans  les  langues  ariennes, 
par  des  verbes  divers,  lesquels  se  rattachent  à  quelque  no- 
tion plus  générale,  comme  faire,  former,  fabriquer,  frapper, 
battre. 

1)  La  rac.  kr,  kar,  facere,  paraît  avoir  été  en  usage,  dès 
les  temps  les  plus  anciens,  avec  cette  acception  plus  spéciale, 
comme  si  forger  était  l'œuvre  par  excellence.  De  là  les  noms 
sanscrits  du  forgeron,  kârmara  ou  kârmara,  de  karman,  œu- 
vre, c'est-à-dire  l'ouvrier,  l'artisan,  et  karmakâra,  littéral, 
celui  qui  fait  l'œuvre;  cf.  plus  haut  l'article  du  métier  en 
général. 

La  même  application  se  montre  dans  le  pers.  kurali  ou  kû- 
rali,  forge,  proprement  atelier,  fabrique,  de  kardan,  faire. 

En  irlandais,  le  nom  de  l'artisan  cerd,  cert,  céard,  de  cea- 
raim,  faire,  désigne  plus  particulièrement  le  forgeron ,  et  la 
forge  est  appelée  céardach.1 

1  Ane.  irl.  cerd,  cert,  aerarius  ;  cerddchœ,  officina  (Z.2,  70). 


—     186     — 

Enfin  comme,  en  sanscrit  déjà,  kar  devient  kal,  on  peut  y 
rattacher  le  lithuan.  kdlti,  forger,  d'où  kâlwe,  forge,  kahvis, 
forgeron,  et  le  kalys  des  composés  aukskalys,  orfèvre,  anglais 
goldsmith,  sidabrokalys ,  angl.  silversmith,  etc.,  composés  tout 
semblables  à  ceux  du  sanscrit  avec  kâra  et  du  persan  avec 
kar7gar  (Cf.  p.  166).1 

2)  Les  langues  slaves  ont  pour  forger  un  verbe  particulier, 
anc.  si.  konti  (kova)  ou  kovati  (kuiâ\  o-kovati,  po-kovati,  d'où 
kovacîj  kouzriîtsï,  forgeron,  kovalînitsa,  forge,  na-kovalo,  en- 
clume; en  russe  kovàtï,  forger,  kovalnia,  forge,  kovâlo,  mar- 
teau, kévka,  ferrure,  etc.,  dont  les  analogues  se  retrouvent  dans 
tous  les  dialectes  slaves.  Cf.  litb.  faijis,  marteau,  et  kujininkas, 
forgeron. 

Miklosich  (Rad.  slov.y  p.  41,  et  D.  si.)  compare  la  rac.  scr. 
ku,  kûy  sonare,  mais  cette  racine  exprime  plus  spécialement  le 
son  de  la  voix,  vociferari,  gemere,  etc.,  ce  qui  ne  convient  pas 
au  bruit  du  marteau  qui  forge.  Il  est  plus  probable  que  le  verbe 
slave  signifie  proprement  battre,  frapper.  Cf.  lithuanien 
kauti,  kowiti,  combattre,  kaioà,  kowà,  combat;  ainsi  que  l'an- 
glo-saxon heawan,  secare,  fodere,  ancien  allemand  hauwan, 
hauan,  concidere,  dolare,  d'où  hauwa,  fossorium,  notre 
houe,  etc.2  Or,  ces  diverses  significations  se  réunissent  dans 
le  pers.  kawîstan,  kuwîstan,  frapper,  kuwîst,  percussion,  coup, 
et  kâwîdan,  combattre ,  creuser,  labourer,  etc.,  dont  la  racine 
ku,  kaw,  est  ainsi  le  vrai  corrélatif  du  slave  et  du  ger- 
manique. Cette  racine  semble  avoir  eu,  en  persan  même, 
le  sens  plus  spécial  de  forger,  à  en  juger  par  le  nom  propre 
Kdivahj  celui  du  forgeron  de  la  tradition  qui  leva  l'étendard  de 

1  Sur  cette  racine  kal,  cf.  les  vues  différentes  de  Fick  (Z.  S., 
20,  356). 

8  Cf.  siahpôsh  cavi,  hache. 


—     187     — 

la  révolte  contre  le  tyran  Zôhak,  ainsi  que  le  raconte  le  Shah- 
nameh. 

3)  Parmi  les  noms  du  forgeron,  il  en  est  un  qui  donne  lieu 
à  un  rapprochement  curieux  et  difficilement  illusoire.  C'est 
le  persan  gâwbân,  qui  désigne  à  la  fois  le  forgeron  et  le  pâtre, 
mais,  étymologiquement  parlant,  le  dernier  seulement  (  Cf. 
p.  12),  et  qui  offre  un  rapport  frappant  avec  l'ancien  irland. 
goban  ou  goba,  génit.  gobann,  goband,  irland.  moy.  gabann^ 
moderne  gobha,  gabha,  erse  gobha,  gobhann ,  cymr.  gof,  gof  an, 
gofant,  armor.  gof,  gôv,  corn,  gof,  partout  forgeron  exclusi- 
vement. 

Zeuss  (1.  cit.,  37,  90,  138)  compare  le  nom  gaulois  Goban- 
nitio  ou  Gobanitio  (  Ces.,  vu,  4  ),  et  Gluck  y  ajoute  Goban- 
nicno,  corrigé  du  Gobannilno  de  Muratori  (Insc,  1384,  4),2 
le  Gobannium  britannique  deYItin.  Antonini,  le  nom  d'homme 
cymrique  Gouannon  =  Gobanton,  et  irlandais  Gobanus 
(Acta  SS.  Aug.,  I,  349).3  J'y  joins  de  plus  le  Gobban  des 
Annal.  InnisfaL,  p.  13,  et  le  Gobnenn  des  Annal.  Tighern., 
p.  136.  La  comparaison  de  ces  formes  diverses  suggère  plu- 
sieurs observations. 

En  premier  lieu,  il  paraît  singulier  que  dans  l'irlandais  an- 
cien et  moyen  le  b  ne  soit  pas  aspiré  entre  les  deux  voyelles, 
suivant  la  règle  constante,  puisque  le  gaulois  n'indique  aucune 
autre  consonne  supprimée  avant  ou  après  le  b.  Cette  anomalie 
s'expliquerait  peut-être  en  admettant,  d'après  l'analogie  du 
persan  gâwbân,  un  thème  plus  ancien  gobban,  qui  se  trouve  en 
effet  dans  les  Ann.  Innisfal.  (vid.  sup.),  et  où  gob,  pour  gov, 

i  Z.2,  p.  37;  Stokes,  Ir.  Glos.,  n<>  369. 

2  C'est-à-dire  fils  de  Gobannus.  Pour  cnos,  fils,  voy.  mon  Essai  sur 
quelques  inscriptions  gauloises,  p.  39,  et  Nouv.  Essai,  p.  38. 

3  Gluck,  Dieheltischen  Namen  bei  Cœsar,  p.  107. 


—     188     — 

représenterait  le  pers.  gâw  =  sansc.  gava  pour  go,  vache,  au 
commencement  des  composés.  Le  gaul.  go,  ou  serait  déjà  con- 
tracté de  gov,  ou  répondrait  directement  au  gô  du  synonyme 
pers.  gôpân} 

La  réduplication  de  Yn,  que  confirment  les  formes  gauloises, 
semble  s'opposer  à  une  comparaison  immédiate  avec  le  persan 
ban  ou  pan,  gardien,  chef,  qui,  de  même  que  le  slave  panû, 
dérive  de  la  racine pâ,  tueri,  par  le  suffixe  na  (Cf.  p.  11).  Il 
est  probable,  en  effet,  que  le  thème  celtique  primitif  a  été 
gobant,  affaibli  de  gopant  (  Cf.  la  variante  irland.  goband  et  le 
cymr.  gofant).  D'après  cela,  il  faudrait  voir  dsoispant  un  par- 
ticipe présent  de  la  rac.  pâ,  en  scr.  pânt,  et  les  noms  persans 
et  celtiques,  sans  être  identiques,  seraient  composés  des  mêmes 
éléments. 

Enfin,  la  forme  cymrique  plus  simple  gof  peut  se  rattacher 
au  nom  sanscrit  du  pâtre,  gôpa. 

Reste  la  question  principale  :  comment  se  fait-il  que  le  nom 
primitif  du  gardien  des  vaches  soit  devenu  celui  du  forgeron 
chez  les  Persans  et  les  Celtes  ?  On  sait  que  les  bergers,  livrés 
aux  loisirs  d'une  vie  solitaire,  s'adonnent  volontiers  à  la  re- 
cherche et  à  la  pratique  de  quelques  industries  secrètes,  de 
procédés  mystérieux  de  sorcellerie,  de  médecine,  etc.  Or, 
l'ancienne  métallurgie  était  une  de  ces  industries  pleines  de 
mystères,  et  les  forgerons  passaient  pour  des  sorciers  chez 
les  anciens  Irlandais  comme  chez  les  Scandinaves.2  D'après 
le  double  sens  du  persan  gâwbân,  on  voit  que  les  bergers  de- 

1  II  faut  observer  que,  dans  l'ancien  irlandais,  l'aspiration  du  b 
n'est  souvent  pas  indiquée,  et  doit  être  suppléée  quand  on  la  trouve 
rétablie  dans  l'irlandais  moyen  et  moderne,  ce  qui  dispenserait  de 
l'explication  proposée. 

2  Saint  Patrice  invoque  des  secours  divers  contre  les  incantations 
des  femmes,  des  forgerons  et  des  Druides  (Stokes,  Ir.  Glos.,  p.  70). 


—     189     — 

vaient  exercer  le  métier  de  forgerons,  et  l'analogie  du  celtique 
semble  faire  remonter  cette  coutume  jusqu'aux  temps  les  plus 
anciens.  C'est  là  ce  qui  donne  à  ce  rapprochement  un  intérêt 
particulier. 

Je  dois  ajouter  que  Z.2  (p.  37  )  et  avec  lui  Stokes  (  1.  cit.  ) 
présument  un  rapport  étymologique  entre  goba  et  le  latin 
faber;  mais  si  ce  dernier,  ipour  fagbery  dérive  defacio,  ce  qui 
est  très-probable,  je  ne  vois  aucun  moyen  de  ramener  ces 
termes  à  une  même  origine. 


§  216.  LE  SOUFFLET. 

La  nécessité  de  produire  un  calorique  intense,  soit  pour 
fondre  les  métaux,  soit  pour  ramollir  le  fer,  a  dû  conduire  de 
bonne  heure  à  l'invention  du  soufflet,  et  on  le  trouve  en  usage, 
de  temps  immémorial,  chez  les  peuples  les  plus  divers.  Toute- 
fois ses  noms  ariens  ne  donnent  lieu  qu'à  un  petit  nombre  de 
comparaisons,  parce  qu'ici,  comme  en  général  pour  les  objets 
dont  le  rôle  est  bien  caractérisé,  les  langues  ont  remplacé  in- 
cessamment les  termes  anciens  par  des  mots  clairement  signi- 
ficatifs, comme  le  gr.  fyùTrvçov,  qui  vivifie  le  feu,  l'allem.  blase- 
balg,  sac  à  souffler,  le  cymr.  chwythbren,  bois  à  vent,  notre 
soufflet,  etc. 

1)  Un  des  noms  primitifs  de  cet  utile  instrument  se  ratta- 
chait sans  doute  à  la  rac.  dhmâ  (dhain),  flare,  d'où  le  sanscrit 
âdhmâna,  soufflet,  et  dhamaka,  dhmâkâra,  forgeron,  littéral, 
souffleur.  Cf.  dhama,  dhma,  en  composition,  qui  souffle,  dha- 
mana,  id.;  dhmâtar,  souffleur  et  fondeur,  etc.  De  même,  en 
persan,  dam,  damah,  soufflet,  et  dam-gâh,  lieu  à  soufflet,  pour 


—     190     — 

forge,  de  damîdan,  souffler.  Cf.  siahpôsh  dama,  vent,  ossète 
dimgh,  demgah,  id. 

De  la  forme  causative  dhmâpay  vient  le  scr.  âdhmâpanâ, 
soufflet.  Cette  forme  paraît  se  retrouver  dans  le  lith.  dumpti, 
(dwnpja),  souffler  le  feu,  et,  plus  spécialement,  faire  aller  le 
soufflet,  dumple  ou  dumpptmve.  Il  est  fort  probable  que  les 
Slaves  ont  eu  aussi  quelque  nom  analogue  du  soufflet,  rem- 
placé plus  tard  par  miechu,  car  Fane.  si.  a  conservé  la  racine 
dham  dans  dâti,  au  présent  dûmà,  flo,  d'où  dwneniie,  inflatio; 
cf.  russe  dmitï,  enfler,  dménie,  enflure,  damna,  fournaise, pol. 
dâc  (dîne),  souffler,  dménie,  souffle,  dma,  vent  d'orage,  et 
dmuchawka,  tube  à  souffler. 

Pott  (Et.  F.,  I,  187)  y  rattache  aussi  le  gr.  (T^ûoç,  o'f&uvf}, 
coup  de  vent,  avec  c  pour  ô  devant  m.  On  peut  en  signaler 
encore  d'autres  traces  dans  les  langues  congénères,  mais  sans 
aucun  nom  du  soufflet. 

2)  Au  scr.  bhastrâ,  -trî,  -trakâ,  -trikâ,  soufflet  et  outre,  sac, 
répond,  sauf  la  voyelle  radicale,  le  gr.  (pvcrviTYip,  aussi  (pv<rct,, 
soufflet  et  souffle,  vent,  d'où  <Q\)<tùloù,  souffler.1  La  variation 
de  la  voyelle  n'a  pas  ici  d'importance,  parce  qu'il  s'agit  d'une 
racine  imitative  qui  a  dû  être  également  bha8f  bhus  ou  bhis. 
Dans  les  langues  germaniques,  en  effet,  nous  trouvons  le 
scand.  basa,  suffocare,  anniti,  bisa,  summo  nixu  moliri,  bastl, 
rudis  labor,  dont  le  sens  propre  est  souffler  fortement,  ce  que 
confirme  l'anc.  allem.  bîsa,  pîsa,  le  vent  du  nord,  la  bise.  Ici 
probablement  aussi  l'ang.-sax.  bôsum,  bôsm,  anc.  ail.  bôsam, 
mod.  busen,  la  poitrine  qui  souffle  et  respire.  Je  crois  de  plus  que 
l'anc.  ail.  bôsi,  ineptus,  inanis,  vanus,  signifie  proprement  enflé, 

1  Cf.  Curtius  {Gr.  Et.3,  463)  qui  rattache  <&So-«,  etc.,  à  une  racine 
hypothétique  spu.  Bugge  (Z.  S.,  19,  442)  compare  le  scand.  bysia, 
effluere,  suéd.  busa,  souffler  avec  force,  ainsi  peut-être  que  fis-tula. 


—     191     — 

vide,  comme  le  lat.  vdnus  se  rattache  à  va,  flare.  Enfin,  les 
langues  celtiques  nous  offrent  l'irl.  bôsd,  cymr.  bosd,  vanterie, 
proprement  inflatio,  d'où  peut-être  l'ang.  boast,  qui  manque  à 
l'ang.-saxon  ;  cf.  irl.bos  (de  bostf),  vil,  abject,  comme  l'anc.  ail. 
bôsi,  et  bosân  (de  bossdn,  bostdn?),  bourse.  En  scr.  bhastrikâ 
désigne  aussi  une  outre  gonflée  pour  servir  de  flotteur.  Il  ne 
s'y  trouve  pas  de  racine  bhas  avec  le  sens  de  souffler,  mais 
bhash,  latrare,  a  une  affinité  peu  douteuse. 

3)  Le  soufflet  n'a  consisté  d'abord  qu'en  une  outre  gonflée 
que  l'on  pressait.  Aussi  le  pers.  mâsah,  soufflet  de  forge  (Cf. 
mas,  amas,  enflure,  tumeur),  se  lie-t-il  sûrement  au  scr.  ma- 
çaka,  outre  de  cuir  à  tenir  l'eau,  d'une  origine  d'ailleurs  incer- 
taine. 

Les  deux  significations  se  réunissent  dans  les  langues 
slaves  ;  anc.  slave  mechu,  outre,  mèshïtï,  poche,  russe  miechû, 
polonais  miech,  bohém.  mech,  illyr.  mjesiniza,  outre  et  souf- 
flet ;  russe  mieshokû,  polon.  mieszek,  illyr.  mascja,  sac,  poche. 
Cf.  lith.  mdszas,  maiszas ,  grand  sac,  maiszélis,  poche,  mdszna, 
bourse. 

Il  en  est  de  même  en  celtique  où,  à  l'irl.  miach,  sac,  corres- 
pond le  cymr.  et  armor.  megin  (de  mekin),  soufflet.1 

En  fait  de  rapports  analogues,  je  citerai  encore  l'irl.  bolg, 
builg,  soufflet  et  outre,  l'anc.  gaulois  bulgap  le  scand.  belgr, 
soufflet,  ags.  blaest-belg,  anc.  allem.  plâspalg,  id.,  goth.  balgs, 
sac,  etc.  ;  ainsi  que  le  latin  follis ,  soufflet  et  outre  =  grec 
ôvAXiç,  etc. 

1  Bugge  (Z.  S.,  20,  4)  ramène  avec  beaucoup  de  probabilité  ces 
noms  du  soufflet  au  sansc.  mêsha  (=  maisa),  bélier,  mouton,  et  aussi 
la  peau  de  l'animal  et  les  objets  que  l'on  en  faisait.  Le  D.  P.  compare 
également  le  slave  mechu  et  le  lith.  maiszas. 

2  Bulgas  Galii  sacculos  scorteos  vocant  (Festus). 


192 


§  217.  L'ENCLUME. 

Plusieurs  des  noms  de  l'enclume,  dans  les  diverses  langues 
ariennes,  dérivent  naturellement  de  verbes  qui  signifient  frap- 
per ou  forger.  Ainsi  le  lat.  incus,  -udis,  de  cudo ,  l'anc.  allem. 
anapôz,  de  pôzjan,  tundere,  l'anc.  slave  nakovalo,  de  kovati, 
forger,  le  lith.  prekalas  de  kàlti,  id.,  l'irl.  ingeoin  (Voy.  plus 
loin  au  marteau),  etc.  Tous  ces  termes  sont,  comme  de  raison, 
des  formations  secondaires.  Parmi  les  autres,  je  n'en  connais 
pas  qui  soient  directement  comparables,  mais  quelques-uns 
nous  permettent  de  reconnaître  ce  qu'était  l'enclume  aux 
temps  primitifs. 

Le  plus  important  est  le  gr.  ctx,f/,a)V,  -ovoç,  enclume,  dont  le 
corrélatif  sanscrit,  açman,  signifie  pierre,  rocher,  ce  qui  mon- 
tre que  l'ancienne  enclume  ne  consistait  qu'en  une  grosse 
pierre.1 

Le  sanscr.  sthûnâ,  enclume,  et  pilier  de  maison,  dérive  de 
sthâ,  stare,  et  exprime  la  stabilité,  la  solidité.  Le  sens  de  pierre 
lui  est  étranger  ;  mais  le  goth.  stains,  ags.  stân,  scand.  stên, 
anc.  allemand  stein,  ainsi  que  l'illyr.  stena,  rocher,  et  le  grec 
arleb,  crriov,  pierre,  proviennent  sans  doute  de  la  même  ra- 
cine. Pour  la  variation  de  la  voyelle,  cf.  sanscr.  sthira,  ferme, 
solide.  Le  scand.  stedi  (enclume,  cf.  stedia),  firmare,  est  radi- 
calement allié  à  sthûnâ. 

Le  pers.  sindâr,  enclume,  aussi    sindân,  sandah,  kourde 

1  Chez  les  anciens  Germains,  le  marteau  était  aussi  de  pierre, 
comme  l'indique  le  scand.  hamar  qui  réunit  encore  les  deux  sens;  cf. 
ags.  hamor,  anc.  ail.  hamar,  etc.,  le  marteau  seulement.  Ce  nom 
correspond  au  sansc.  açmara,  lapideus,  de  açman,  par  la  même  in- 
version qui  se  remarque  dans  le  slave  kamenï,  pierre,  pour  akmenï. 


—     193     — 

sanddn,  désigne  également  une  grosse  pierre  ;  et  ce  double 
sens  reparaît  dans  l'erse  innean,  incus  et  rupes,  saxetum, 
d'après  le  Dictionnaire  d'Edimbourg. 

Ainsi,  de  plusieurs  côtés,  les  indications  convergent  vers  le 
même  résultat.  Il  est  évident  d'ailleurs  qu'aux  temps  anciens, 
alors  que  le  cuivre  et  le  fer  étaient  encore  rares  et  précieux, 
on  ne  pouvait  guère  songer  à  se  donner  le  luxe  d'enclumes 
métalliques.  Les  populations  de  l'Afrique  orientale,  qui  savent 
depuis  longtemps  fondre  et  travailler  le  fer,  ne  se  servent  en- 
core maintenant  que  d'une  pierre  pour  enclume. l 


§  218.  LE  MARTEAU. 

Pour  cet  outil  simple  et  primitif,  les  analogies  linguistiques 
sont  plus  multipliées  qu'étendues,  et  il  semble  avoir  eu  de 
très-bonne  heure  plusieurs  synonymes. 

1)  Sanscr.  ghana,  arme  semblable  à  un  marteau,  massue, 
masse,  comme  adj.  dense,  dur,  ferme  ;  vighana,  marteau, 
maillet,  udghâta,  marteau,  arme,  ayôghana,  marteau  de  fer 
(ayas),  tous  de  la  rac.  han,  caedere,  avec  vi,  ud,  etc. 

Je  compare,  comme  de  même  origine,  l'irl.  geannaire,  erse 
geannair,  marteau;  mais  la  formation  diffère,  ainsi  que  l'in- 
dique, outre  le  suffixe,  la  réduplication  de  Yn.  Ce  mot,  en 
effet,  dérive  immédiatement  de  geannaim  =  geangaim,  je  bats, 
je  frappe,  verbe  qui  semble  répondre  à  la  forme  redoublée  de 
han,  gaghan,  gaghn,  avec  transposition  de  la  nasale,  geang 
pour  geagn.  Cf.  geogna,  coup,  blessure,  avec  le  scr.  gaghni, 

'  Burton  et  Speke,  Voy.  aux  grands  lacs  de  l'Afrique  orientale, 
p.  619. 

II  13 


—     194     — 

gaghnu,  qui  frappe,  tue,  et  à  côté  de  gen,  gain,  erse  gonag, 
blessure,  du  verbe  simple  gonaim,  je  blesse  =  han. 

Ici  se  rattache  également  le  nom  celtique  de  l'enclume,  irl. 
ingeoin,  inneoin,  erse  innean,  cymr.  eingion,1  armor.  annéan, 
anneô,  où  in,  ein,  an,  sont  sans  doute  des  restes  de  l'ancien 
préfixe  gaulois  anti,  anc.  irl.  int,  ind,  devenu  plus  tard  inn  et 
m.2  Ce  composé  est  ainsi  parfaitement  analogue  au  gr.  cLvtitv- 
7roç,  enclume  (Hérod.,  i,  67),  c'est-à-dire  ce  qui  est  opposé 
au  marteau. 

Le  nom  celtique  du  coin  (cuneus),  en  irl.-erse  geinn,  cymr. 
gaing,  armor.  genn,  appartient  au  même  groupe,  aussi  bien 
que  ceux  de  la  hache  (  p.  173  ),  et  d'autres  encore  de  quel- 
ques armes  qui  viendront  plus  tard. 

2)  Scr.  mudgara,  marteau,  massue,  masse.  Origine  incer- 
taine. 

Conservé  peut-être  dans  cifAvyiïctAoç,  par  allusion  à  la  forme 
du  fruit  de  l'amandier  (Cf.  t.  I,  p.  289). 

3)  Pers.  kôpîn,  kôbt7i,  kôbân,  marteau  ;  cf.  kuftan,  battre, 
piler,  et  la  rac.  sansc.  kup,  au  caus.  kôpay,  concutere,  com- 
movere. 

Gr.  K07rccvoVy  tout  instrument  qui  sert  à  frapper,  K07tc6vi^ù)3 

battre. 

Alban.  kopân,  maillet. 

Cf.  KOTTrù),  K&7roç>  coup,  kottiç,  couteau,  K07rîvç,  burin,  etc. 

4)  Pers.  tapak,  marteau  de  forge,  tûbak,  marteau  à  foulon. 
Kourde  tupùz,  massue. 

Gr.    TU7TCIÇ,  TV7riç,  marteau,  maillet  ;  tv7tclvov,  tv{A7tclw, 
battoir,  etc. 

1  Cf.  f  ennian,  incudo  (Z.2,  1061),  cymr.  moy.  eing on  (ibid.). 

2  Z.2,  877. 


—     195    — 

Alban.  topus,  massue. 

Cf.  scr.  tup,  tumpj  pulsare,  ferire,  gr.  tv7TTù),  ancien  slave 
tâpiti,  obtundere,  cymr.  tivmpian,  frapper,  et  le  n°  5  des 
noms  de  la  hache,  p.  175. 

5)  Lat.  maliens  (pour  malteus  ?),  martulus,  marcus,  mar- 
culus. 

Ane.  si.  mlatû,  russe  molôtu,  pol.  mlot,  illyr.  mlat. 
Cymr.  mwrthwyl,  armor.  morzel,  probablement  du  latin. 
Scand.  miôlnir,  le  marteau  du  dieu  Thor. 
La  racine  commune  est  mar,  mal,  broyer  ;  cf.  p.  154. 

6)  Gr.  Ktorpcti  marteau,  et  espèce  d'arme,  aussi  le  mar- 
teau, poisson.  Cf.  xetfTpov,  burin. 

Irl.  casar,  casnr,  marteau,  de  castar. 

Cf.  scr.  castra,  arme,  glaive,  de  cas,  ferire,  occidere. 

Les,  rapprochements  qui  précèdent  sont  trop  isolés  pour 
qu'on  puisse  y  reconnaître ,  avec  quelque  sûreté,  les  noms 
vraiment  primitifs  du  marteau.  Je  les  ai  signalés  cependant, 
parce  qu'une  investigation  plus  complète  pourra  faire  décou- 
vrir de  nouvelles  analogies  à  l'appui  des  uns  ou  des  autres. 
Comme,  après  tout,  on  ne  saurait  douter  que  les  anciens 
Aryas  n'aient  eu  des  marteaux,  puisqu'ils  avaient  des  haches 
et  des  couteaux,  la  question  purement  philologique  a  peu  d'im- 
portance. 

§  219.  LES  TENAILLES. 

La  variété  des  termes  est  ici  très-grande,  par  la  môme  rai- 
son que  pour  le  soufflet,  savoir  la  tendance  naturelle  des  lan- 
gues à  remplacer  par  de  nouveaux   noms  significatifs   ceux 


—     196     — 

des  objets  dont  le  principal  attribut  est  bien  saillant.  C'est 
ainsi  que  notre  tenaille,  de  tenir,  a  pris  la  place  du  latin  for- 
ceps, et  que  ce  dernier,  de/om  capio,  a  été  sans  doute  subs- 
titué à  quelque  mot  plus  ancien.  Il  en  est  de  même  du  grec 
ÀotS/çj  de  Àatêû),  saisir,  du  composé  7rvoctypc&,  etc.  Parmi  les 
noms  d'une  origine  plus  ancienne,  et  devenue  parfois  obscure, 
je  n'en  trouve  qu'un  seul  qui  semble  remonter  jusqu'aux 
temps  primitifs. 

En  sans'crit,  la  tenaille  est  appelée  sandança,  -aka,  de  sam 
-f-  danç,  mordere.  Cf.  (Tvv-^ukvûo  ou  SctyKccvoù.  Le  subst.  simple 
dança,  morsure,  désigne  aussi  la  dent  qui  mord,  et  s'applique- 
rait également  bien  à  la  tenaille.  La  racine  danc  ou  daç ,  gr. 
iïc&K,  se  retrouve  en  gothique  sous  la  forme  régulière  tah,  tah- 
jan,  lacerare,  (nrctùcnriiv ,  <TKop7riÇziv,  scand.  ta,  discerpere  ; 
et  à  cette  racine,  ou  à  sa  forme  nasale  tanh,  se  rattachent 
l'ang.-sax.  tanga,  scand.  tông,  anc.  ail.  zanga,  tenaille. 'Le  g 
est  ici  un  affaiblissement  de  h,  comme  dans  le  goth.  tagr, 
pour  talir,  ags.  taeher,  anc.  allem.  zahar  =  Scmcûv,  lacryma, 
de  la  même  racine  dak,  pour  exprimer  l'âcreté  mordicante  de 
la  larme. 

L'anc.  irland.  tenchor,  forceps,  mod.  teanchair,  n'a  aucun 
rapport  avec  le  germanique;  c'est  un  composé  de  ten,  tene, 
feu,  et  de  cor,  main  =  scr.  kara,  analogue  au  gr.  7rvfoKct(ilç 
(Stokes,  Goidï,  131  ).  Cf.  f  coir,  main  (O'Dav.,  GL,  66). 

§  220.  LA  LIME. 

Les  noms  de  la  lime,  comme  ceux  de  la  scie,  n'offrent  au- 
cune analogie  à  signaler  entre  l'Orient  et  l'Occident,  et  celles 
qui  se   remarquent  clans  les  langues  européennes  paraissent 


—     197     — 

résulter  de  transmissions.  Ainsi,  le  latin  lima,  de  lio,  polir,  a 
passé  sans  doute  dans  l'irl.-erse  liomhdn,  le  cymr.  llif,  et  l'ar- 
mor.  Mm.  Au  si.  pila,  lime  et  scie,  répond  l'ang.-sax.  feola, 
anc.  aW.fîla,  mais  il  est  difficile  de  savoir  auquel  appartient  la 
priorité.  Le  slave  peut  dériver  de  piti,  clamare,  comme,  en 
irlandais,  la  lime  est  appelée  eighe,  la  criarde,  de  eighim,  crier. 
Legr.  p/vîfse  rattache  peut-être  au  scr.  rî  (rînâti),  rudere.1  La 
scie  qui  grince,  Trpicov,  vient  de  même  de  7rpico9  7rp(Ça.  Cf. 
cymr.  criaw,  armor.  kria,  crier.  En  sanscrit,  elle  est  appelée 
krakara,  litt.  qui  fait  kra. 


§  221.  OBSERVATIONS. 

Malgré  les  lacunes  que  présentent  encore  les  recherches 
relatives  à  la  métallurgie,  il  résulte  cependant  de  leur  en- 
semble que  les  anciens  Aryas  ont  su  fondre  et  travailler  quel- 
ques métaux.  A  l'égard  du  fer,  toutefois,  la  comparaison  des 
langues  ne  nous  apprend  rien  de  décisif,  les  opérations  de  la 
fonte  et  de  la  forge  pouvant  n'avoir  conservé  que  le  cuivre  et 
le  bronze.  Les  noms  mêmes  du  fer,  ainsi  que  nous  l'avons  vu 
(t.  I,  p.  188),  n'offrent  pas  de  ces  affinités  générales  qui  for- 
cent la  conviction.  Weber,  il  est  vrai,  dans  l'esquisse  rapide 
qu'il  a  tracée  de  l'ancienne  civilisation  arienne,  affirme  que 
Vépée ,  la  lance,  le  couteau,  la  flèche  étaient  de  fer  ;  2  mais 
j'avoue  que  j'ai  cherché  en  vain  ce  qui  pourrait  justifier  une 
assertion  aussi  positive  ;  je  n'ai  trouvé  que  des  probabilités.  Il 
paraît  bien  certain  que  les  Indiens  védiques,  ainsi  que  les  Ira- 

1  Wilson  et  Wefstergard.  Le  D.  P.  ne  donne  pas  cette  racine,   mais 
seulement  râ  frayj,  aboyer. 

2  Hist.  de  la  littér.  indienne,  trad.  franc.,  p.  10. 


—     198     — 

niens,  à  peu  près  contemporains,  savaient  travailler  le  fer  ; 1 
mais  comme,  dans  leurs  langues  respectives,  ayas  et  ayanh,  le 
la  t.  œs,  désignent  aussi  le  bronze,  on  reste  en  doute  sur  la  va- 
leur primitive  de  ce  nom.  L'emploi  de  ce  dernier  métal  pré- 
dominait chez  les  Grecs  du  temps  d'Homère,  et  semble  avoir 
précédé  celui  du  fer  chez  les  peuples  du  nord  de  l'Europe. 
Toutefois,  comme  je  l'ai  observé  ailleurs  (t.  I,  p.  220),  il  n'y 
aurait  rien  d'improbable  à  ce  que  ces  peuples,  à  la  suite  de 
leurs  longues  pérégrinations,  eussent  perdu  de  vue  l'usage  du 
fer,  pour  y  revenir  graduellement  plus  tard. 

En  définitive,  cette  question  n'a  pas  beaucoup  d'importance 
pour  celle  du  développement  de  l'industrie  des  Aryas.  Plu- 
sieurs peuples,  tels  que  les  Mexicains,  les  Péruviens,  et  sur- 
tout les  Egyptiens,  sont  arrivés,  sans  connaître  le  fer,  à  une 
industrie  très-avancée,  et,  d'un  autre  côté,  les  tribus  afri- 
caines qui  travaillent  fort  bien  par  des  procédés  très-primitifs, 
sont  cependant  restées  dans  la  barbarie.2  La  possession  de  ce 
métal  a  pu  dépendre  en  bonne  partie  de  l'état  naturel  où  il 
se  rencontre,  ou  résulter  de  quelque  observation  fortuite  plu- 
tôt que  d'une  recherche  raisonnée.  On  ne  saurait  douter  que 
les  anciens  Aryas  n'aient  eu  des  instruments  tranchants  de 
plusieurs  sortes,  ainsi  que  des  armes  en  métal  :  c'est  là  l'es- 
sentiel. Qu'ils  y  aient  employé  le  fer  ou  le  bronze,  c'est  ce  qui 
importe  peu  pour  apprécier  le  degré  d'avancement  de  leur 
industrie  à  l'époque  préhistorique. 

1  Cf.  Vendidad,  3,  110,  traduction  de  Spiegel,  où  il  est  dit  que  les 
Daêvas  se  précipitent  vers  l'enfer  comme  du  fer  en  fusion. 

2  Les  indigènes  de  l'Afrique  orientale  fondent  le  minerai  entre 
deux  couches  de  charbon,  dans  un  trou  creusé  en  terre,  et  à  l'aide 
d'un  soufflet.  La  fonte  qu'ils  obtiennent  ainsi  est  «excellente,  et  au 
moyen  de  deux  pierres,  dont  l'une  sert  d'enclume  et  l'autre  de  mar- 
teau, ils  en  fabriquent  des  faucilles,  des  houes,  des  rasoirs,  des  an- 


199 


SECTION  IV. 


§  222.  LES  CONSTRUCTIONS. 

De  quelle  nature  étaient  les  habitations  des  anciens  Aryas  ? 
Nous  verrons  plus  tard  qu'ils  en  avaient  de  plusieurs  sortes,  à 
en  juger  par  la  variété  de  leurs  noms  ;  mais  quel  degré  l'art 
des  constructions  avait-il  atteint,  depuis  la  simple  cabane 
jusqu'à  la  demeure  des  chefs?  Y  employait-on,  outre  le  bois, 
la  brique  ou  la  pierre?  Y  avait-il  des  maçons  et  des  architectes? 
Sur  ces  questions  nous  restons  forcément  dans  un  vague  à 
peu  près  complet,  parce  qu'ici  la  comparaison  des  éléments 
linguistiques  ne  suffit  pas  à  nous  éclairer.  Ceux  des  anciens 
noms  de  la  maison  qui  peuvent  être  ramenés  à  leurs  ori- 
gines étymologiques  conduisent  à  des  notions  générales  qui 
nous  apprennent  fort  peu  de  chose,  et  il  en  est  de  même  de 
la  plupart  des  termes  qui  se  rapportent  à  l'art  de  bâtir.  Je  me 
borne  au  petit  nombre  de  conjectures  que  peut  suggérer  leur 
examen. 

1)  Les  verbes  qui  expriment  l'action  de  bâtir  se  rattachent 
ordinairement  à  quelque  notion  moins  déterminée,  comme 
faire,  poser,  fonder,  élever,  ériger,  etc.,  et  cela  dès  les  temps 
les  plus  anciens.  Ainsi,  le  sansc.  éi  =  ki,  colligere,  accumu- 
lare,  en  pers.  éîdan,  se  prend  dans  l'acception  d'ériger  un 
bûcher,  une  construction  :  de  là  éita,  édifice,  et  kâya,  maison, 
qui  se  retrouve  dans  l'irland.  cai,  id.1  La  racine  dhâ,  ponere, 

neaux  et  des  aimes  (Burton  et  Speke,  Voij.  aux  grands  lacs  de  VAfr. 
orient. }  p.  619,  620). 

1  Ca,  cae,  maison  (Corm.,  Gl.,  46,  Z.2,  60)..—  Cf.  kourde  (dial. 
zaza)  kei  (Lerch,  196). 


—     200     — 

d'où  dhâman,  maison,  reparaît  avec  le  sens  de  fonder  dans  le 
latin  con-do,  et  avec  celui  d'édifier,  de  bâtir,  dans  l'anc.  slave 
z-dati,  zïdati,  zazdati,  sïïz-dati,  d'où  zïdu,  maison,  en  russe 
zdânie,  bâtiment,  etc.  A  la  rac.  kar,  facere,  se  lie  sans  doute 
le  lithuan.  kicrti,  bâtir.  Le  latin  struo  correspond  au  russe 
stroitï,  bâtir,  construire,  arranger,  accorder,  d'où  stroenïe,  bâ- 
tisse. Cf.  anc.  si.  stroiti,  administrai,  u-stroiti,  parare,  etc.  Le 
corrélatif  sanscrit  est  str,  star,  sternere,  tegere,  upa-star,  pa- 
rare, etc.  Ces  verbes,  et  d'autres  encore,  ne  jettent  aucun  jour 
sur  la  manière  de  bâtir.  Il  en  est  peut-être  autrement  de  deux 
racines  dont  les  dérivés  paraissent  dater  du  temps  où  les  cons- 
tructions se  faisaient  en  bois. 

La  première  est  le  scr.  taksh,  primitivement  tak,  tailler, 
couper  le  bois,  etc.,  déjà  mentionnée  plus  haut,  et  d'où  dérive 
le  nom  de  l'architecte  divin  Takshaka,  proprement  le  char- 
pentier.1 On  peut  y  rapporter  le  tacara  des  inscriptions  de 
Persépolis  que  Lassen  traduit  par  œdes,  et  qu'il  compare  avec 
le  persan  moderne  tagar,  habitation  d'hiver,  magasin  de  sub- 
sistances.2 Le  grec  tzktw,  charpentier  et  architecte,  tiktq- 
(rvvvji  architecture,  tîktclivûû,  construire  en  bois,  charpenter, 
montrent  que  TîKûOy  tIktcù^  a  dû  se  prendre  dans  une  accep- 
tion plus  spéciale  que  celle  de  produire  et  d'engendrer. 
L'ancien  irlandais  nous  l'offre  également  dans  les  composés 

1  A  Takshaka  répond  exactement  l'irl.  Tassach,  nom  d'un  évêque, 
ami  de  saint  Patrice,  et  son  principal  artisan,  faber  œrarius,  pour 
la  confection  et  l'ornementation  des  croix,  des  crosses,  des  châsses, 
des  cloches,  etc.  (  O'Curry,  Lect.  on  anc.  Ir.  hist.,  368,  603,611.) 
Takshaka  et  Takshan  étaient  aussi  des  noms  d'hommes  (D.  P.,  III, 
194  ),  comme  en  français  Charpentier ,  en  allemand  Zimmer- 
mann,  etc. 

2  Z.  S.  fur  d.  K.  Morgenlands,  t.  VI,  14.  Ya  iman  tacaram  âqu- 
nus,  is  hanc  aîdem  œdificavit  ;  âqunus  =  scr.  akrnôt,  fecit,  rac.  kar. 


—     201     — 

cuim-tgim,  construo,  cum-tach,  aadificatio.1  Cf.  irlandais  mod. 
togaim,  bâtir,  élever,  togtha,  bâti,  erse  tog,  strue,  togail, 
aedes,  etc.;  le  g  non  aspiré  pour  g  s,  es,  ksh,  comme  dans 
tiiag,  arc  =  t6%ov.  Il  est  probable,  d'après  tout  cela,  que  la 
racine  taksh  ou  tak  a  exprimé  très-anciennement  l'action  de 
construire  en  bois,  comme  le  gotb.  timrjan,  aedificare,  qui  dé- 
rive d'un  nom  même  du  bois  (Cf.  t.  I,  p.  245). 

L'autre  racine  en  question  est  le  gr.  ot{t,  oî^cce),  construire, 
d'où  iïofjtcç,  maison,  scr.  dama,  etc.  La  rac.  dam,  en  sanscrit, 
ne  signifie  que  domare,  Sct^ctoù  5  mais  son  sens  primitif,  ainsi 
que  celui  de  olfAoù,  a  sans  doute  été  ligare.  Da?n,  en  effet,  est 
à  dâ,  ligare,  comme  gam,  ire,  est  à  gâ,  et  comme  oî^où  est  à 
Sîûù,  lier.  De  part  et  d'autre,  cette  racine  a  dû  se  prendre  dans 
l'acception  de  construire  en  liant,  ce  qui  ne  peut  guère  s'en- 
tendre que  des  bois.  Comme  le  nom  de  la  maison  qui  en  dérive 
se  retrouve  dans  toutes  les  langues  ariennes,  il  a  pour  la  ques- 
tion une  importance  particulière. 

Il  est  naturel  de  penser  que  l'emploi  du  bois  a  précédé  celui 
de  la  pierre  pour  les  habitations.  Il  ne  faudrait  pas,  cependant, 
conclure  de  ce  qui  précède  que  les  anciens  Aryas,  avant  leur 
séparation,  en  sont  restés  à  un  mode  de  construction  aussi 
simple,  et  il  est  fort  possible,  ici  comme  dans  d'autres  cas,  que 
les  termes  usités  aux  premiers  âges  se  soient  maintenus  quand 
bien  même  les  procédés  avaient  changé.  Il  faut  bien  dire,  tou- 
tefois, que  les  langues  ne  nous  fournissent  pas  de  preuves  suf- 
fisantes d'une  architecture  plus  développée.  Les  noms  de  la 
brique,  ainsi  que  ceux  de  la  truelle,  diffèrent  partout;  et,  si 
ceux  de  la  chaux  et  du  mortier  présentent  quelques  analogies, 

1  Z.2,  872.  Cf.  Stokes,  Ir.  GL,  p.  103,  qui  compare  aussi  tech, 
maison. 


—     202     — 

il  reste  douteux  que  leur  préparation  ait  été  ce  qu'elle  est  de- 
venue plus  tard. 

2)  Les  noms  européens  de  la  chaux  se  lient  généralement 
au  latin  calœ  que  les  Romains  ont  porté  au  loin.  Ainsi  l'irl.- 
erse  cailc,  cymr.  calch,  armor.  kalch,  l'ang.-sax.  cealc,  scand. 
kalkj  anc.  allem.  chalch,  le  lithuan.  kalkes  (plur.),  Fillyrien 
klak,  etc.1  J'ai  comparé  ailleurs  déjà  le  sansc.  karkara,  espèce 
de  chaux,  dont  se  rapproche,  plus  encore  que  calœ,  l'albanais 
kelkjére  (t.  I,  p.  151).  J'ajouterai  que  ce  mot  sanscrit  peut 
être  allié  à  karka,  blanc,  tout  comme  la  chaux  est  appelée  en 
kourde  spi,  la  blanche,  en  pers.  kal  safêd,  argile  blanche,  en 
afghan  spinakhal,  id.,  etc.  Je  ne  sais  si  le  persan  arabe  kils, 
chaux  vive,  mortier,  n'est  point  provenu  de  calx? 

^e  &r-  X&hé,  chaux,  est  peut-être  tout  différent  de  cala,  et 
semblerait  correspondre  au  sansc.  khâdî,  khadikâ,  ou  khatî, 
khatikâ,  craie,  par  la  substitution  fréquente  d'une  cérébrale  à 
la  liquide.5 

Ces  rapprochements  font  bien  présumer  que  les  anciens 
Aryas  ont  connu  la  chaux,  mais  ne  prouvent  pas  qu'ils  aient 
su  la  préparer  et  l'employer  pour  les  constructions. 

3)  On  peut  en  dire  autant  du  mortier  ou  plâtre,  en  sansc. 
lêpa,  vilêpa,  de  la  rac.  lip,  ungere,  oblinere,  et  d'où  lêpakara, 
maçon.  Cf.  ÀfWç,  Xi7roç,  graisse,  anc.  si.  lepû,  viscum,  lepiti, 

1  La  chaux  a  cependant  aussi  des  noms  originaux  dans  ces  di- 
verses langues,  tels  que  l'irl.  aol,  l'armor.  râz,  le  scand.  lîm,  le  slave 
vapno,  etc. 

2  On  trouve  aussi  en  arabe  kilhâ,  action  de  crépir  à  la  chaux,  d'un 
radical  kalaha. 

3  Fick  (408)  rapproche  %c*X<|,  pour  o-kocâ^,  de  calx,  et  les  ramène 
également  à  un  thème  européen  skala,  pierre,  comme  en  ancien  slave, 
et  en  comparant  le  goth.  skalja,  brique.  Toutefois  le  latin  scala, 
écaille,  sûrement  sans  rapport  avec  calx,  conduirait  à  une  origine 
différente. 


—     203     — 

conglutinare,  russe  liepitï,  coller,  modeler,  lipnutï,  s'attacher, 
se  coller,  lipkiï,  gluant,  tenace  ;  pol.  lep,  glu,  lepic,  coller,  etc., 
lithuan.  lipti,  se  coller,  lipyti,  enduire,  etc.  En  pol.  lepianka 
désigne  une  paroi  enduite  d'argile,  lepiarz,  l'ouvrier  qui 
crépit,  en  lithuanien  lippitojis,  id.,  ap-lippinti,  crépir  un 
mur,  etc.  Il  semble  évident,  d'après  cela,  que  le  sansc.  lêpa 
n'a  signifié  autre  chose,  dans  le  principe,  qu'un  enduit  onc- 
tueux et  gluant,  comme  l'argile,  et  non  pas  le  mortier  pré- 
paré à  la  chaux.1 

4)  Au  sansc.  éhurâ,  f.,  chaux,  répond,  sauf  le  genre,  le  gr. 
crxvpoç,  (tkvûoç,  gyps,  mortier,  mais  aussi  (TKipog.  D'après 
D.  P.,  la  racine  est  chur,  inciser,  graver,  corroder,  au  causât. 
churay,  chôray,  incruster  des  incisions  avec  des  substances. 
Cf.  Fick  (208)  qui  admet  skur,  skar,  rayer,  écorcher,  comme 
racine  primitive.  Ici  encore,  il  ne  s'agit  pas  du  mortier  à 
bâtir. 

SECTION  v. 

§  223.  LE  TRAVAIL  DES  ÉTOFFES. 

Il  est  à  peine  besoin  de  prouver  que  les  anciens  Aryas  ont 
su  se  vêtir,  puisque  le  climat  même  de  leur  pays  leur  en  fai- 
sait une  nécessité  absolue.  Qu'ils  n'allassent  pas  nus,  comme 
certains  sauvages,  c'est  ce  que  l'on  pourrait  inférer  déjà  de  ce 
que  chez  eux  la  nudité  était  accompagnée  du  sentiment  de  la 

1  De  la  rac.  lip  avec  ava  dérivent  avalêpa,  action  d'enduire,  puis 
action  d'orner,  puis  orgueil,  vanité,  avalipta,  vain,  orgueilleux,  etc. 
Il  est  curieux  de  retrouver  aussi  ces  significations  secondaires  dans 
l'anc.  slave  lepû,  decorus,  lepota,  pulchritudo,  etc.,  et  dans  le  lith. 
lépe,  orgueil,  lépùs,  orgueilleux,  vain,  etc. 


—     204     — 

honte.  C'est,  en  effet,  à  la  rac.  nag,  pudere  (Dhâtup.),  que  l'on 
rattache  le  sansc.  nagna,  nu,  ainsi  que  ses  corrélatifs  euro- 
péens, latin  nudus ,  pour  nugdus  (?),  irland.  nochd ,  cymr. 
noeth,  goth.  naqvaths^tc^  lithuan.  nâgas,  anc.  si.  nagîi,  etc.1 
Toutefois,  comme  ils  auraient  pu  ne  se  couvrir  que  de  peaux 
de  bêtes,  à  l'instar  de  plusieurs  peuples  barbares,  il  importe 
de  rechercher  s'ils  ont  connu  l'art  du  tissage,  et  jusqu'à  quel 
point  ils  l'avaient  porté.  Nous  passerons  donc  en  revue  les 
termes  qui  s'y  rapportent,  ainsi  qu'au  filage  qui  le  précède 
nécessairement,  et  à  la  couture  qui  en  met  en  œuvre  les  pro- 
duits. L'examen  de  ces  produits,  transformés  en  vêtements, 
sera  plus  tard  l'objet  d'un  article  particulier. 


ARTICLE  i. 
§  224.  LE  FILAGE. 

La  première  substance  filée,  au  temps  de  la  vie  pastorale,  a 
sans  doute  été  la  laine  que  fournissaient  les  troupeaux,  et 
l'emploi  des  plantes  textiles  ne  sera  venu,  ou  n'aura  été  per- 
fectionné et  généralisé,  qu'à  la  suite  du  développement  de 
l'agriculture.  Nous  avons  vu  que,  si  la  connaissance  du  chan- 
vre remonte  avec  quelque  probabilité  au   temps  de  l'unité 

1  Le  D.  P.  doute  de  cette  dérivation  de  nagna,  la  rac.  nag  n'étant 
point  constatée,  et  peut-être  seulement  une  modification  de  lag,  lagg, 
pudere.  Fick  (107)  recourt  à  une  rac.  nag  =.  scr.  nig,  purifier,  laver 
(v/£w,  vjVtw).  Cette  conjecture  trouve  un  appui  dans  l'irlandais,  où 
f  nocht,  nud,  est  donné  aussi  comme  =  nighi,  lotion,  et  necht  = 
glan,  pur  (O'Dav.,  Gl.,  108,  etCorm.,  G/.,  33,  voc.  cruithnecht) .  Cf. 
fo-nenaig,  lavit,  forme  redoublée  de  la  rac.  nig  (nighim),  nighset,  ils 
lavèrent,  etc.  (Stokes,  0.  Ir.  Gl.t  lxxiv.) 


—     205     — 

arienne,  la  possession  du  lin  ne  saurait  être  attribuée  qu'aux 
Aryasdéjà  plus  ou  moins  séparés  à  l'Occident  (Cf.  t.  I,  §§  78 
et  79).  Comme  les  produits  de  ces  plantes  ne  peuvent  être  uti- 
lisés qu'à  la  suite  de  plusieurs  préparations,  il  semble  que 
l'étude  de  ces  dernières,  au  point  de  vue  linguistique,  devrait 
jeter  quelque  jour  sur  ces  questions.  Cependant  la  comparai- 
son des  mots  techniques  ne  m'a  donné  aucun  résultat  de  quel- 
que valeur.  Les  expressions  usitées  en  Europe  pour  rouir, 
tailler,  broyer,  sérancer  le  chanvre  et  le  lin,  diffèrent  beau- 
coup suivant  les  langues,  et  les  termes  orientaux  correspon- 
dants me  sont  restés  trop  incomplètement  connus  pour  une 
étude  comparative.  Il  faut  donc,  pour  le  moment,  les  laisser 
de  côté,  et  ne  commencer  que  par  l'opération  subséquente  et 
moins  spéciale  du  filage. 

Pour  l'exprimer,  les  langues  ariennes  partent  tour  à  tour 
des  notions  plus  générales  de  tourner,  tordre,  étendre,  lier,  etc., 
et  il  est  difficile  de  savoir  laquelle  a  prévalu  dans  l'origine,  car 
les  affinités,  bien  qu'assez  multipliées,  ne  sont  pas  de  nature 
à  résoudre  cette  question.  Il  faut  se  contenter  de  réunir 
par  groupes  les  termes  qui  semblent  avoir  une  origine 
commune,  sans  se  flatter  de  pouvoir  déterminer  leur  ordre 
d'ancienneté. 

1)  La  racine  usitée  en  sansc.  est  krt,  kart  (krnatti),  distincte 
de  krt  (Jcrnati),  scindere,  et  qui  signifie  proprement  tourner 
le  fil,  avec  ud,  défaire  en  développant,  avec  pari,  entourer, 
envelopper,  etc.  De  là  kartdna,  l'action  de  filer.  D'après  le 
D.  P.,  il  faudrait  y  rattacher  aussi  le  nom  du  fuseau  tarku,  par 
inversion  pour  kartu;  mais  on  verra  plus  loin  que  cette  con- 
jecture est  tout  au  moins  douteuse. 

J'ai  observé  ailleurs  (t.  I,  p.  397)  que  le  nom  persan  du  lin, 
katân,  kourde  ktân,  est   venu  de  kart,  par  la  suppression  de 


—     206     — 

IV,  comme  dans  le  mahratte  katane,  filer,  et  kâtîna,  arai- 
gnée, ou  le  persan  kâpas,  coton,  du  sansc.  karpâsa.  De  là  aussi 
l'arabe  quttun,  et  notre  coton,  produit  originaire  de  l'Inde. 
Toutefois,  le  persan  a  conservé  intégralement  la  rac.  to^dans 
kartân  ou  kârtana,  l'araignée  fileuse,  et  kartanah  ou  kartînah, 
toile  d'araignée  ;  peut-être  aussi  dans  karatlân,  fuseau  et  que- 
nouille. 

En  Europe,  je  ne  trouve  à  comparer  que  le  lith.  kërte,  tige 
de  fuseau,  et  peut-être  l'irl.  ceirtle,  peloton  de  fil  ou  de  filasse, 
en  erse  ceirsle.1 

2)  En  persan,  on  trouve,  pour  filer  et  tordre,  le  verbe  rash- 
tan,  rishtan,  ristan  ou  risîdan,  d'où  rêshah,  fil  tordu,  rishtah, 
rismân,  fil,  arash,  arîsh,  arêsh,  chaîne  de  tissu ,  ras,  rasan, 
rasîman,  corde,  etc.  Cf.  kourde  resané,  corde,  armén.  arasan, 
tirhaï  rassai,  id.,  ainsi  que  le  persan  et  kourde  rîsh,  laine.  — 
Le  sanscrit  nous  offre  une  double  analogie  dans  raçanâ,raçmi, 
corde,  ceinture,  et  la  rac.  riç,  tirer,  tirailler  (rupfen,  zerren), 
d'où  rishta,  tiraillé. 

Le  lith.  riszti,  lier,  d'où  riszys,  raisztis,  raisztas,  lien,  paraît 
allié  à  ce  groupe  ;  et  l'on  peut  en  rapprocher  également  le 
latin  restis,  corde,  et  peut-être  réte,  filet,  pour  reste?  Toutefois 
l'analogie  singulière  de  l'hébreu  resheth,  filet,  suivant  Gese- 
nius  de  iârash,  cepit,  laisse  en  doute  sur  l'origine  vraiment 
arienne  des  termes  ci-dessus. 

3  )  Le  persan  tanîdan,  tanûdan,  filer  et  tresser,  tisser, 
signifie  proprement  tendre,  étendre,  comme  la   rac.  scr.  tan 

1  Fick  (36)  compare  xocproiXoç,  corbeille  tressée,  cràtes,  goth.  haurds, 
etc.,  claie,  porte. 

2  Kuhn,  avec  moins  de  probabilité,  ce  semble,  cherche  dans  restis, 
pour  près tis,  un  corrélatif  du  sansc.  prusiti,  lien,  de  pra-\-  si,  ligare 
(Z.  S.,  II,  476).  Pour  rëte,  cf.  l'article  du  filet,  p.  7. 


—     207     — 

qui  reviendra  plus  loin,  avec  ses  dérivés,  à  l'article  du  tissage. 
Ici,  je  ne  compare,  à  cause  du  sens  spécial,  que  l'irl.  toin- 
nim,  filer,  tresser,  tordre ,  toinneadh,  toinneamh,  filage,  toinnte, 
fil  entre  la  quenouille  et  le  fuseau,  etc.  L'n  redoublée  indique 
une  assimilation,  et  toinn  pour  toint  est  probablement  un  dé- 
nominatif, comme  notre  filer  de  fil.  Cf.  scr.  tantu,  fil,  etc.,  et 
le  vêd.  tânva,  adj.,  tissu  tressé. 

4)  Un  troisième  verbe  persan,  tâchtan,  tazîdan,  filer,  tordre, 
d'où  tâchtah,  cordon  ;  cf.  kourde  test  kem,  filer,  et  test,  fu- 
seau, se  rattache  clairement  à  la  rac.  scr.  taksh,  fabricari,  que 
nous  avons  vue  appliquée  déjà  à  deux  espèces  de  travaux,  et 
qui  reparaîtra  encore  au  tissage. 

Je  crois  la  retrouver,  avec  le  sens  de  filer,  dans  Fane,  allem. 
dâht,  ail.  mod.  docht,  mèche  de  lampe,  c'est-à-dire  fil,  comme 
le  scand.  thâttr,  filum  funis,  et  qui  répond  exactement  au  pers. 
tâchtah,  cordon.  Ces  mots  peuvent  avoir  perdu  Ys  de  taksh, 
conservée,  d'ailleurs,  dans  dehsa,  hache,  et  dihsila,  timon 
(Cf.  p.  152,  171),  ou  bien  se  lier,  comme  probablement  dâha, 
testa,  à  la  forme  plus  primitive  tak. 

5)  Un  groupe  important,  mais  dont  il  est  difficile  de  récon- 
cilier les  divergences,  appartient  surtout  aux  langues  euro- 
péennes. Sa  racine,  à  l'état  le  plus  simple,  se  montre  dans  le 
grec  vîûûy  lat.  neo,  filer,  dont  la  voyelle  s'allonge  dans  VYifjua, 
fil,1  vvjtoov-,  fuseau,  w]<riçy  filage,  névi,  nêUis,  nêre,  etc.  On  peut 
en  inférer  une  forme  primitive  nâ,  laquelle  reparaît,  en  effet, 
dans  l'anc.  ail.  nâ-an,  nâian,  nâwan,  nâhan,  avec  le  sens  ana- 
logue de  coudre,  c'est-à-dire  de  lier;1  cf.  nât,  couture,  et  nâ- 
dala,  goth.  nê-thla,  aiguille. 

Jusqu'ici  tout  est  bien,  mais  les  difficultés  commencent  du 

1  Cf.  Léo  Meyer,  Z.  S.,  VIII,  260,  et  Fick,  782.' 


—     208     — 

moment  que  l'on  compare  la  racine  scr.  nah,  ligare  (en  zend 
naz),  d'où  nâha,  lacs,  piège,  etc.,  avec  une  gutturale  addition- 
nelle qui  semble  reparaître  dans  necto,  neœus.  D'après  l'ana- 
logie de  veho,  vecto  =  scr.  vah,  macto  =  scr.  mah,  on  serait 
tenté  d'admettre  neho  pour  neo,  dont  l'A  aurait  pu  disparaître 
comme  dans  nïl  pour  nihil.1  D'autres  traces  de  cette  guttu- 
rale se  montrent  encore  dans  le  pers.  nach,  fil  écru,  fil  de  lin, 
etl'armor.  nachen,  nahen,  tresse;  mais  l'A  de  l'anc.  ail.  nâhan 
est  d'une  tout  autre  nature.2 

Ce  n'est  pas  tout.  Au  sansc.  nah  se  rattachent  plusieurs 
dérivés  qui  indiquent  une  forme  primitive  nadh,  comme  nad- 
dha,  lié,  7iaddhi,  corde,  etc.,  et  cette  forme  nous  conduit  à  une 
série  de  rapprochements  beaucoup  plus  étendue  que  la  précé- 
dente. On  a  comparé  d'abord  le  gr.  vffêa,  mais  la  différence 
de  quantité  de  la  voyelle  porte  plutôt  à  y  voir,  avec  Pott  et 
Léo  Meyer  (1.  cit.),  une  formation  secondaire  de  vîc*),  comme 
7rAvjôù),  de  7tMùù,  etc.  A  nadh,  par  contre,  répond  certaine- 
ment le  cymr.  nydduy  filer,  corn,  nédha,  armor.  néza,  et  néa, 
néein,  où  la  suppression  du  z  =  dh  amène  une  identité  appa- 
rente avec  vtoù-  En  irlandais,  nous  trouvons,  avec  une  s  pros- 
thétique,  l'anc.  sndthe  (Z.2,  16),  mod.  snâth,  snâdh,  snadhm, 
et  sans  s,  naidhm,  gén.  nadma,  nadmann  (O'Don.,  Gl.  ), 
contrat,  gage,  garantie,  c'est-à-dire  lien.5  Dans  les  langues 
germaniques,  nous  avons  déjà  rapproché  du  sanscrit  naddhi, 
corde,  le  goth.  nati,  ancien  allemand  nezzi,  etc.,  filet  (  Cf. 
p.  85),  et  il  faut  sans  doute  aussi  ramener  à  nadh  l'ang.-sax. 
nestan,  filer,  proprement  lier,  comme  le  suédois  nàsta,  danois 
7ieste,  etc.  Ce  sont  là  des  dénominatifs  d'un   subst.  nest,  lien 

i  Cf.  Pott,  Et.  F.,  I,  282. 

2  Cf.  sâhan,  rac.  sa,  mâhan,  rac.  ma,  wâhan,  rac.  va,  etc. 

3  Cf.  naidmther,  is  bound  or  fastened  (O'Don.,  GL). 


—     209     — 

(Cf.  scand.  nist,  fibula,  anc.  ail.  nestila,  ilmiculus,  fascia),  où 
Ys  représente  une  ancienne  dentale,  comme  dans  l'ail,  last  do 
laden,  hast  de  binden,  etc.1 

A  ce  groupe  déjà  étendu,  il  faut  ajouter  encore  le  cymr. 
noden,  fil,  et  nodioydd,  aiguille,  en  armor.  neûd  et  nadoz,  le  lat. 
nodus,  nœud,  et  les  termes  germaniques  qui  y  correspondent 
avec  une  gutturale  prosthétique  d'origine  obscure,  ang.-sax. 
cnotta,  anc.  ail.  chnoda,  et,  de  plus,  avec  variation  de  la  voyelle 
dans  le  scand.  knûtr,  linûtr,  nœud,  hnyttr,  nexus,  etc. 

Nous  sommes  ainsi  en  présence  de  trois  racines,  nâ,  nàh 
(nagli)  et  nad-h,  qui  doivent  avoir  coexisté  au  temps  de 
l'unité  arienne,  et  dont  les  dérivés  peuvent  s'être  parfois  con- 
fondus.2 Les  formes  snadh  et  knadh  paraissent  purement 
secondaires. 

Nous  voyons  en  outre  apparaître  dans  l'anc.  slave  niti,  fil, 
russe  nui,  nûka,  pol.  nié,  etc.,  une  racine  ni,  qui  se  retrouve 
encore  avec  une  s  prosthétique,  et  un  autre  suffixe,  dans  l'irl. 
sniomh,  filage,  sniomha,  fuseau,  sniomliaim,  filer,  et  qui  doit 
être,  sans  aucun  doute,  séparée  des  précédentes.  Miklosich 
(  Rad.  slov.,  57  )  y  voit  avec  raison  le  scr.  ni,  ducere.  Nous 
avons  ici,  en  effet,  les  analogies  du  latin  ducere  filuin,  et  du 
gr.  Kctrctyav  pour  filer.  Le  pers.  duchtan  =  scr.  duh,  signifie 
à  la  fois  traire  et  coudre,  tirer  le  fil  (Cf.  armén.  dogh,  fil),  et 
le  nom  du  fuseau  ;  dûk,  duy,  dûk,  se  lie  évidemment  à  la  même 

1  Ce  changement  de  d,  dh  en  s  devant  une  dentale,  se  remarque 
également  en  zend,  en  grec,  en  latin  et  en  slave. 

2  Sur  nah  —  nagh,  mais  non  =  nadh,  cf.  Fick  (108).  —  Le  D.  P. 
donne  encore  une  rac.  nets,  se  joindre,  se  réunir  à,  qui  pourrait  bien 
rendre  compte  des  termes  germaniques  nestan,  nist,  nestila,  aussi 
anc.  ail.  nusta,  nexio.  Cf.  de  plus  nusca,  fibula,  et  Fane.  irl.  nasc, 
bracelet  (Corm.,  125),  mod.  nasg,  lien,  nasgaim,  lier,  que  Stokes 
ramène  à  la  rac.  nak,  nec-to,  etc. 

II  14 


—     210     — 

racine.  Je  ne  sais  si  l'arménien  ninthel,  filer,  appartient  à  nî 
ou  ailleurs. 

6)  Le  grec  kAôôÛûû,  filer ,  d'où  KAù)0"Ty]p,  fileur,  KAcoa-fjLci, 
fil ,  etc.,  répond  à  la  rac.  scr.  çrath,  çranth,  nectare,  ligare,  que 
le  Dhâtup.  donne  comme  variante  de  grath,  granth,  id.  De  là 
çrantha,  çranthana,  action  de  lier  ensemble  =  grantha,  gran- 
thana.  A  cette  dernière  forme  appartient  le  scand.  kranz, 
ancien  allemand  chranz,  guirlande  (  Je  régulièrement  pour 
g  ),  tandis  que  çrath  paraît  se  retrouver  dans  le  latin  crdtes, 
treillis,  claie  ;  irland.  creathach,  lithuanien  krdtas,  -tis,  polon. 
krata,  et  avec  l  pour  r,  dans  l'irland.  cleath,  cllath,  id.  Cf. 
anc.  slave  Meta,  decipula,  kleti,  cella,  russe  klietka,  polonais 
klatka,  cage,  etc.,  cymr.  moy.  cluit  (Z.2,  97),  corn,  t  cluit  = 
clêtj  etc.1 

7)  Je  termine  par  un  groupe  dont  les  ramifications  très- 
étendues  donnent  lieu  encore  à  maintes  difficultés.  C'est  celui 
qui  se  rattache  au  goth.  spinnan  (  spa?m,  spunmin),  et  à  ses 
analogues  germaniques,  dont  le  sens  propre  est  tendere,  ex- 
tendere,  anc.  allem.  spannan;  cf.  scandin.  spenia,  trahere, 
ducere,  ang.-sax.  spanan,  allicere,  sollicitare,  etc.;  ainsi  que 
l'irl.  spionaim,  spûinim,  tirer,  arracher,  enlever,  piller,  dé- 
pouiller, etc.  La  forme  plus  simple  du  grec  <r7rctûù,  tendre, 
étendre;  cf.  lat.  spatium,  allié  au  scr.  sphâ,  sphây,  crescerej 

1  Ces  derniers  rapprochements  deviennent  incertains  depuis  que  le 
D.  P.  ne  donne  à  çrath,  çranth,  que  l'acception  contraire  de  se  dé- 
faire, se  délier,  se  relâcher.  Kuhn  (Z.  S.,  4,  320)  ramène  hXw9-w 
à  grath  (le  jc  pour  y  à  cause  du  S-);  Fick  (36,  347),  cràtes  à  kart 
(v.  sup.  p.  205).  A  granth,  d'où  granthi,  nœud,  grantha  ou  grathna, 
paquet,  touffe,  appartient  sûrement  l'irl.  f  grinde,  fagot  (Corm.,  Gl., 
77);  grinne  (O'Don.,  Gl.) ,  au  pi.  grinnenu,  bandages,  dat.  pi.  grin- 
nib  (Stokes,  Goid.*,  30).  Cf.  grend,  barbe  (touffue),  Corm.,  GL,  90; 
mod.  greann,  aussi  chevelure,  que  Stokes  (ib.)  rapproche  du  pro- 
vençal gren,  barbe,  v.  franc,  grenon,  grignon  (Diez,  I,  224). 


—     211     — 

augeri,  jette  du  doute  sur  Yn  comme  élément  primitif,  et  d'un 
autre  côté,  le  lith.  pinti  (pinnu),  tresser,  anc.  si.  pëti  (pïnâ), 
mettre  en  croix,  c'est-à-dire  étendre,  comme  le  polon.  piâc 
(pnë)  et  le  boh.  pnouti,  etc.,  qui  n'ont  pas  Y  s  initiale,  font 
naître  le  même  doute  à  l'égard  de  cette  dernière.  Sans  rien 
préjuger  sur  ces  questions,  je  réunirai  ici,  d'après  Pott,  Benfev, 
Diefenbach  et  d'autres,  les  termes  divers  relatifs  au  filage  et 
à  ses  produits,  qui  paraissent  se  rattacher  à  quelqu'une  des 
formes  ci-dessus. 

Outre  les  noms  germaniques  bien  connus  du  fuseau,  de 
l'araignée,  etc.,  qui  dérivent  de  spinnan,  on  trouve  : 

En  anc.  slave,  de  pïnâ,  pâto,  polonais  pëto,  etc.,  lien,  en- 
trave, etc.;  anc.  slave  poniava,  linteum,  o-pona,  vélum,  cor- 
tile,  etc. 

En  lith.,  de  pinti,  pyne,  tresse  ;  de  plus  pantis,  corde,  lien, 
en  rapport  probable  avec  panôti,  envelopper  en  liant.  Cf.  irl. 
pâinte,  corde,  pâintei?*,  lacet,  lacs. 

En  grec  7ryjvoç,  7ty\vy\,  7tv\v[ov,  le  fil  delà  trame,  etc.;  peut- 
être  pour  (T7rrjvcÇ)  de  (nraoù. 

En  latin,  pdnus,  id.  (du  grec  ?),  et  pannus,  étoffe. 

En  goth.  fana,  étoffe,  drap,  ancien  allem.  fano,  drap,  dra- 
peau, etc.,  mots  qui  ne  sauraient  se  lier  directement  à  spinnan, 
ni  avoir  perdu  une  s  initiale. 

A  ces  rapprochements  j'ajouterai  encore  l'albanais  peu, 
corde,  et  surtout  le  persan  panâm,  fil  de  soie  (cf.  banah,  corde, 
et  kourde  ben,  fil),  qui  étend  notre  groupe  à  l'Orient. 

Il  est  certainement  singulier  de  ne  trouver,  dans  tous  ces 
exemples,  aucune  trace  de  Y  s  initiale  de  la  racine  span,  et  cela 
dans  plusieurs  langues  où  le  groupe  sp  est  très  en  usage.  Je 
n'en  connais  qu'un  cas  unique,  mais  remarquable,  parce  qu'il 


—     212     — 

se  rencontre  dans  le  tirhaï  du  Caboul ,  où  spct7isî  est  le  nom 
du  fil.  D'après  tout  cela,  et  sans  pouvoir  décider  si  la  forme 
primitive  de  la  racine  a  été  spâ,  span  ou  pan,  avec  le  sens 
d'étendre,  puis  de  filer,  tresser,  tisser,  il  faut  admettre  que  très- 
probablement  les  deux  formes  ont  coexisté  déjà  avant  la 
séparation  des  Aryas.1 

§  225.  LA  QUENOUILLE  ET  LE  FUSEAU. 

Ces  deux  instruments  primitifs  du  filage  remontent  certai- 
nement à  la  plus  haute  antiquité,  et  leur  simplicité  même  a 
contribué  à  en  perpétuer  l'usage  jusqu'à  nos  jours,  à  côté 
du  rouet  plus  compliqué  et  d'une  invention  relativement 
moderne. 

1)  Les  noms  de  la  quenouille,  bien  que  très-variés,  appar- 
tiennent, en  général,  au  fond  le  plus  ancien  des  diverses  lan- 
gues. Cela  vient,  en  partie,  de  ce  que  dans  l'origine  on  se  ser- 
vait d'un  roseau,  à  la  fois  solide  et  léger,  pour  y  placer  la 
laine  ou  l'étoupe,  et  que  le  nom  du  roseau  devenait  celui  de 
la  quenouille.  Or,  l'ancienne  synonymie  du  roseau  était  déjà 
très-riche,  et  chaque  idiome  semble  y  avoir  puisé  de  son  côté. 
Plus  d'une  fois,  en  effet,  tel  mot  européen  qui  ne  désigne  que 
la  quenouille  trouve  son  corrélatif  probable  parmi  les  noms 
orientaux  du  roseau.  En  voici  quelques  exemples. 

Scand.  rockr,  quenouille  ;  anc.  allem.  rocho,  roccho;  allem. 
mod.  rocken;  angl.  rock.  —  Armén.  rokh,  quenouille  ;  mais 
pers.  ruch,  roseau.  Cf.  ancien  slave  et  russe  rogozû,  polonais 
rogoz,  etc.,  id. 

1  Sur  aWw,  span,  cf.  Fick,  216  et  914;  et  .Curtius  (Gr.  Et.2, 
255)  avec  des  vues  en  partie  différentes.  Voir  aussi  Pott  (  WWb., 
I,  382). 


—    213     — 

Grec  Y\hciKctTYi,  quenouille,  et  roseau,  flèche,  etc.  —  L'ar- 
ménien aghegad  =  alegad,  quenouille,  semble  provenu  du 
grec,  dont  l'origine  est  fort  incertaine.  —  Je  ne  sais  si  dans 
l'armén.  eghêkn  =  elêkn,  roseau,  il  y  a  plus  qu'une  ressem- 
blance fortuite.1 

Lat.  colus,  quenouille,  peut-être  allié  à  calamus,  KctAujLtoç, 
germ.  halm,  etc.,  ainsi  qu'au  sansc.  kalama,  kalana,  roseau; 
cf.  corn,  koilen,  id.,  et  t.  I,  p.  231.  —  Le  bas-latin  conucula, 
d'où  notre  quenouille,  est-il  pour  colucula,  ou  vient-il  de  co?ius, 
malgré  la  longueur  de  Yo?  Quoi  qu'il  en  soit,  il  a  passé  à  l'anc. 
ail.  cuncla,  ail.  mod.  kunkel,  et  Stokes  (Ir.  GL,  p.  80)  y  rat- 
tache aussi  l'irland.  moy.  cuigel,  de  cuingel,  à  cause  du  g  non 
aspiré.  Mais  pourquoi  le  cymr.  cogel,  armor.  kégel,  corn,  kigel, 
ont-ils,  contre  l'ordinaire,  supprimé  la  nasale?  Il  est  certaine- 
ment singulier  que  le  persan  kâgal  se  trouve  désigner  un  ro- 
seau, et  l'irl.  cuigel  pourrait  être  provenu  du  cymr.  cogel  = 
kâgal. 

Ane.  si.  kâdelï,  pensum  lini  (Dobr. ,  Instit.,  p.  105),  mais 
trama,  suivant  Miklosich  (Leœ.).  Dans  tous  les  autres  dia- 
lectes, quenouille,  russe  kudélï,Y>o\.  kàdziel,i\\yr.  kudjeglia,  'etc. 
—  Scr.  kânda,  tige,  verge,  tige  de  roseau  entre  deux  nœuds, 
flèche,  etc.  Cf.  kandâla,  kândôla,  corbeille  de  joncs. 

2)  Le  fuseau  présente  également  une  synonymie  très- 
variée,  dont  les  termes  se  rattachent,  en  partie,  aux  verbes  qui 
expriment  l'action  de  filer  (vid.  sup.).  Deux  de  ses  noms  pa- 
raissent anciens. 

a)  J'ai  parlé  plus  haut  du  scr.  tarku  ou  tarkutî,  fuseau,  tar- 
kuta,  filage,  que  le  D.  P.  considère  comme  une  inversion  de 

^urtius/Gr.  Et.3,  319),  d'accord  avecWalter  (Z.  S.,  12,  377),  ra- 
mène y'A-ot-K-dTn,  avec  des  voyelles  intercalées,  à  une  racine  ccKx, 
ark,  d'où  aussi  oipy.vç  et  dpd%yy\.  Cf.  t.  I,  p.  660,  t.  II,  p.  8. 


—     214     — 

kartu.  Il  est  plus  probable,  toutefois,  qu'il  dérive  de  la  racine 
tark}  laquelle  n'a  plus  que  le  sens  abstrait  de  perpendere,  dubi- 
tare,  suspicari,  mais  dont  la  signification  primitive,  ainsi  que 
le  remarque  Benfey  (Gr.  Wl.}  I,  674),  a  dû  être  celle  de  tour- 
ner. Cf.  volvere  animo.  Cette  conjecture,  d'ailleurs,  est  tout  à 
fait  appuyée  par  la  comparaison  du  lat.  torqueo;  dugoth.  trei- 
han,  ags.  ihregian,  anc.  ail.  drahjan,  tourner,  tordre,  etc.,  du 
cymr.  torcJii,  id.,  trwc,  tour,  armor.  treki,  troquer,  échanger, 
c'est-à-dire  tourner,  trok,  trohl,  troc,  etc.  Cf.  aussi  l'arménien 
turkn,  roue  de  potier.1 

Pour  en  revenir  au  fuseau,  Benfey  (loc.  cit.)  rapproche  de 
tarku  le  gr.  oLtùciktoç,  fuseau  (cl  préfixe  =  sa  ou  ava),  ainsi 
que  de  tarka,  doute,  l'adj.  cLrptMJç,  vrai,  certain,  indubi- 
table.2      • 

b)  Le  sansc.  vartana  ou  vartulâ,  de  vrt,  vertere,  désigne 
plus  spécialement  le  peson  du  fuseau,  ou  la  boule  qu'on  y 
adaptait  pour  faciliter  sa  rotation.  A  la  première  forme  répond 
exactement  l'ancien  slave  vreteno,  fuseau,  russe  vereteno, 
pol.  wrzeciono,  etc.  ;  à  la  seconde,  le  diminutif  polon.  wartolka, 
peson  du  fuseau.  La  racine  verbale  est  conservée  dans  l'anc. 
si.  vrïtetij  vratiti,  circumagere,  vertere,  russe  vertietï,  polon. 
wierciec,  id.,  wartac,  faire  tourner  le  fuseau.  Du  latin  verto 
dérive  également  verticillus,  bas-lat.  verteolus,  d'où  peut-être 
l'ail,  mod.  wertelj  wirtél,  qui  manque  aux  anciens  dialectes  ; 
mais  cf.  ang.-sax.  wrîdhan,  scand.  vrida,  torquere.  Enfin,  et  bien 
que  les  langues  celtiques  ne  possèdent  plus  la  racine  verbale, 
on  trouve  en  irlandais  moyen  fersaid,  mod.  fearsaid,  fuseau, 

1  L'irl.  tore,  cœur,  de  son  mouvement,  répond  au  scr.  tarka,  agi- 
tation d'esprit,  doute,  conjecture,  désir. 

2  Curtius  (Gr.  Et.3,  427),  à  rpeVw,  compare  aussi,  avec  Schweizer 
Siedler,  le  latin  trïcae,  trïcari,  ainsi  que  le  sansc.  trikvan,  trkvan, 
voleur,  dans  le  sens  de  versutus. 


—     215     — 

^ovlv  fertaid  (Cf.  feartas,  roue),  en  cymr.   gwerthyd,  en  corn. 
gurhthit,  et  en  armor.  gwerzid. 

c)  En  fait  d'analogies  purement  européennes,  je  citerai  en- 
core le  lith.  warpste,  -tis,  fuseau,  werptmvis,  peson  de  fuseau, 
de  werpti,  filer,  avec  beaucoup  d'autres  dérivés.  Cf.  werbti, 
tourner  le  foin,  et  le  goth.  livairban,  ags.  hweorfan,  Scandinave 
hverfa,  anc.  ail.  hiverban,  vertere,  verti.  En  cymrique,  le  fu- 
seau est  aussi  appelé  chwarf,  chiverfan,  de  chioerfu,  tourner, 
dont  le  chw  =  sv  indique  une  s  prosthétique  au  lieu  de  Yh 
=  k  du  germanique. 


§  226.  LES  PRODUITS  DU  FILAGE,  LE  FIL,  LA  CORDE. 

Plusieurs  des  noms  du  fil  dérivent  des  verbes  qui  expri- 
ment l'action  de  filer,  et  ont  été  déjà  mentionnés  incidem- 
ment. D'autres,  ainsi  que  ceux  de  la  corde,  ont  le  sens  pri- 
mitif de  lien,  et  ne  prouveraient  pas  par  eux-mêmes  que  les 
anciens  Aryas  aient  su  filer,  puisqu'on  peut  faire  des  liens  avec 
des  fibres  de  plantes,  des  lanières  de  cuir,  etc.  Toutefois, 
comme  le  fait  de  la  pratique  du  filage  est  suffisamment  dé- 
montré, je  joins  ici  ceux  de  ces  noms  que  leurs  analogies  pa- 
raissent faire  remonter  au  temps  de  l'unité. 

1)  Scr.  bandha,  bandhana,  lien,  corde,  pour  le  bétail,  bad- 
dhrîj  courroie,  etc.;  rac.  badli,  bandh,  ligare.  —  Pers.  band, 
lien,  corde ,  de  bandan,  bastan,  lier  ;  belout.  bandich,  fil, 
corde. 

Goth.  bandi,  lien;  ags.,  scand.  band,  id.  et  fil,  scand.  benda, 
corde  ;  anc.  ail.  pant,  pinta,  lien,  etc.  ;  rac.  bind,  band,  bund, 
lier.  —  Le  6  pour  scr.  b  est  ici  une  exception. 


—     216     — 

Irlandais-erse  bann,  corde,  lien  ;  cymr.  bydd,  dyddag,  lacs, 
piège,  etc. 

Voit  {Et.  F.,  I,  251)  compare  aussi  7riïa"[4,af  corde,  de  la 
rac.  ttiÙ,  7riiûûô,  persuader,  primit.  lier.  Benfey  (Gr.  Wl.,  II, 
94)  part  d'une  forme  ttîvS  =  band,  comme  ttvÔ  =  budh,  etc. 
Cf.  7Ttoêtp6ç>  beau-père,  et  sanscr.  bandhura,  parent.  Pott 
place  également  ici  le  lat.  /unis  pour  fudnis,  malgré  l'irrégu- 
larité de  Vf  pour  b,  au  lieu  de  bh,  comme  en  germanique  b  pour 
b  au  lieu  de  bh.  Ces  termes  seraient  entre  eux  dans  le  même 
rapport  que  le  sansc.  budhna,  le  gr.  7rvôfArjv,  l'anc.  allemand 
bodam  et  le  lat.  fundus. 

2)  Scr.  sêtra,  lien,  de  si,  ligare.1  Cf.  sêru,  qui  lie,  sîman, 
sîma,  limites,  et  le  vêd.  sîrâ,  fleuve,  suivant  Kuhn  (Z.  S.,  II, 
457)  proprement  fil.2 

Gr.  Iftctç,  -[Aclvtqç,  pour  erifActç,  courroie,  Iftova,,  corde  de 
puits;  et  peut-être  crupct,  -prh  corde  (Benfey,  Gr.  Wl,  I,  289, 
mais  cf.  n°  5). 

Irl.  sioman,  erse  sïaman,  corde  =  sîman,  mais  Y  m  devrait, 
ce  semble,  être  aspirée. 

Ane.  sax.  si?no,  lien,  scand.  seymi,  fil.  —  Gotb.  sail,  corde, 
ags.  sael,  scand.  et  anc.  ail.  seil,  id.,  anc.  ail.  silo,  trait  d'un 
ebar.  —  Anc.  ail.  saito,  saita,  corde,  said,  lacs,  etc.  D'après 
Kubn  (Z.  S.,  II,  466),  anc.  ail.  sinwa,  senwa,  ags.senw,  scand. 
sin,  nervus.  Cf.  scr.  sinâti,  sinôti,  de  si? 

1  Zend  hi,  d'où  hita,  lier,  et  hita,  m.,  attelage  de  chevaux  (Justi, 
325). 

2  Le  D.  P.  rattache  sîrâ  à  la  rac.  sar,  couler. 

3  Cf.  irl.  f  sin,  moy.  sion,  collier,  chaîne  (Corm.,  GL,  152);  ainsi 
que  f  sén,  filet  d'oiseleur  (ib.  et  O'Dav.,  Gl.,  117  )  =  cymr.  hwyn, 
pour  hên,  et  sên,  piège,  lacs.  Le  français  seine,  senne,  esp.  de  filet, 
n'a  qu'une  ressemblance  fortuite,  s'il  provient  bien  de  sagena  (Diez, 
Wb.,l,  408). 


—     217     — 

Lith.  sëtas,  corde  pour  le  bétail,  sêris,  fil.  —  Cf.  lett.  seet, 
lier. 

Ane.  si.  seti,  russe  sieti,  lacs,  pol.  sieé,  filet.  —  Ane.  slave 
silo,  russe  silokû,  lacet.  —  Russe  sima,  ficelle,  etc. 

On  remarquera  surtout  l'identité  du  suffixe  man,  ma,  dans 
plusieurs  branches. 

3)  Scr.  daman,  dama,  corde,  de  dâ,  ligare. 
Gr.  SifAct,,  -utoç,  de  8iœ. 

Irl.  damhnadh,  corde. 

4)  Scr.  pâça,  lien,  de  paç,  ligare. 

Zend  paçman,  liaison,  de  paç  (Justi,  188). 

Irl.  fasg,  id.,  faisgim,  lier;  cym.v.ffas^ffasg,  id. 

Ane.  si.  pasmo,  filorum  numerus  ;  russe  pdsmo,  pol.  pasmo, 
écheveau  de  fil  ;  pol.  pasek,  lien,  bande.  Cf.  lith.  paszyti,  pelo- 
tonner ;  lett.  pâs?na,  écheveau  ;  anc.  ail.  faso,  nW.faser,  fibre  ; 
etfasto,  scand.  fastr,  ags.  fôst,  etc.,  ferme,  c'est-à-dire  lié. 

5)  Scr.  sarî,  corde,  sarat,  sarit,  fil,  de  sr,  sar,  ire,  fluere, 
caus.  sâray,  extendere. 

Armén.  sarich,  corde. 

Gr.  opfAcç  corde,  chaîne,  collier,  oppict,,  ligne  à  pécher,  îpjbtcc, 
lien,  pendant  d'oreille,  etc.,  de  iqùù,  tipco  =  latin  sero,  d'où 
séries,  sertum,  etc.  Cf.  Benfey  (Gr.  WL,  I,  59  )  et  Curtius 
(Gr.  Et?,  330),  rac.  <rg£,  èç,  d'où  aussi  cuça,  corde,  crîpiç, 
ceinture  (Hesych).En  lith.  seris,  fil.1 

6)  Scr.  snâva,  tendon,  muscle,  de  snu,  fluere,  comme  sarat, 
de  sar,  par  la  notion  du  mouvement  continu  en  ligne  droite.2 

1  Ici,  peut-être  l'irl.  f  sir,  cymr.  hir,  long,  étendu.  Cf.  scr.  sâra, 
extension,  et  rac.  sar,  dans  pra-sar,  vi-sar,  étendre,  s'étendre,  vi- 
srta,  étendu,  etc. 

2  Suivant  Weber  ( Ind.  St.  5,  232,  et  Beitr.,  4,  277),  de  snâ 
ou  peut-être  de  si,  lier. 


—     218     — 

Goth.  snôrjô,  corde,  scr.  mura,  anc.  ail.  snôr,  snuor,  filum, 
linea.  Cf.  goth.  snivan  (snau,  snêvun,  ags.  sneowan,  et  snyrian, 
alacriter  ire). 

Russe  o-snôva,  pol.  o-snowa,  chaîne  de  tissu,  fil  de  la  vie,  etc., 
et,  figurément,  en  russe  et  en  anc.  slave,  base,  fondement.  — 
Cf.  ancien  slave  snouti,  russe  snovatï,  polonais  snowac,  snuc, 
ourdir  la  chaîne,  tirer  un  fil,  mais  aussi  glisser  sur  l'eau,  ram- 
per, etc. 

7)  Scr.  andu,  anduka,  lien,  chaîne  que  l'on  met  aux  pieds 
des  éléphants,  sorte  d'ornement  au  pied  des  femmes.  —  Sui- 
vant les  grammairiens  indiens,  d'une  racine  ad,  and,  ligare 
=  at,  ant,  ît,  înt,  id.  (Dhâtup.);  mais  d'après  le  D.  P.,  ima- 
ginée pour  expliquer  andu.  Toutefois,  plusieurs  analogies  sem- 
blent appuyer  l'existence  réelle  d'une  racine  dans  l'acception 
indiquée.  Ainsi  : 

Ossète  andach,  fil. 

Alban.  and,  ind  ou  ent,  int,  tisser,  indme,  éndme,  inture, 
tissu. 

Irl.  edim,  prendre,  saisir  (  pour  endim),  id,  chaîne ,  collier, 
edire  (pi.),  captifs  (Lhuydd  et  O'R.).  Cf.  eide,  eideadh,  étoffe, 
vêtement,  eidighim,  vêtir;  erse  éid  (impér.),  vesti,  éididh,  eu- 
dach,  étoffe.  Anc.  irl.  étach,  éitach,  etiuth,  vestitus  (  Z.2,  802, 
810),  con-étid,  induite  (870),  rac.  ent. 

Cymr.  edau,  edaf,  fil,  eddi,  chaîne  de  tissu,  lisse. 

Cette  même  racine  existe  peut-être  en  composition  avec  le 
préfixe  prie  =  pra,  dans  l'ancien  si.  predà  (prëstï),  je  file, 
d'où  predivo,  fil,  prêslitsa,  fuseau,  etc.  Cf.  passim  les  autres 
dialectes. 


219     — 


ARTICLE   II. 


227.  LE  TISSAGE. 


Pour  l'action  de  tisser,  la  langue  primitive  possédait  sans 
doute  déjà  plusieurs  racines,  dont  les  deux  principales  se 
retrouvent,  avec  de  nombreux  dérivés,  dans  la  plupart  des 
idiomes  de  la  famille. 

1)  La  plus  simple,  et  probablement  la  plus  ancienne,  se 
présente  en  sanscrit  sous  la  forme  de  va,  vê  (vayati),  dont  j'ai 
déjà  parlé  à  l'article  de  l'araignée  (t.  I,  p.  657).  De  là  vayî, 
tisseuse,  vâya,  tisseur,  vêni,  tissu,  tresse,  mais  aussi  vâni,  tis- 
sage, avec  un  â  plus  primitif  que  Yê  (Cf.  l'infin.  vâtum  et  le 
futur  vâta,  vâsyati  ),  de  sorte  que  la  véritable  racine  est  va.1 
Ce  va  se  contracte  en  u,  û,  dans  plusieurs  temps  du  verbe, 
partie,  passé  uta,  ûta,  prêt.  oe  pers.  plur.  ûvus,  ûyus,  passif 
ûyatê,  etc.;  et  de  même  dans  ûti,  tissage,  etc.  Ces  varia- 
tions sont  importantes  à  noter  pour  les  rapprochements  com- 
paratifs. 

Cela  permet,  en  effet,  de  rattacher  à  va  l'afghan  ôdal, 
tisser,  où  dal  est  le  suffixe  de  l'infinitif,  de  sorte  que  la  ra- 
cine se  réduit  ko,  comme  dans  le  védique  ô-tu,  trame,  pour 
vâtu.2  Je  n'en  trouve  pas  d'autres  exemples  dans  les  langues 
iraniennes. 

En  grec,  la  rac.  va  ne  s'est  conservée  que  dans  quelques 

1  D.  P.  ne  donne  que  va.  Justi  (277)  donne  le  zend  vî,  mais  sans 
justification. 

2  Cf.  Ewald,  dans  la  Z.  S.  f.  d.  K.  cl.  Morg.  de  Lassen,  t.  II,  298 
et  310. 


—     220     — 

dérivés.  Pott  y  rattache  ij-Tptov>  tissu  et  chaîne  de  tissu  (Et- 
F.,  I,  230  ),  suivant  Benfey,  d'un  substantif  perdu  qrfov, 
F?}Tf)ov  =  sanscr.  hypoth.  vâtra-m  (Gr.  Wl.,  I,  285).  De  plus, 
v-f^fjv,  vfitvoç,  tissu,  membrane  ;  cf.  scr.  vêman,  métier  à  tis- 
ser. D'autres  rapprochements  paraissent  moins  sûrs. 

En  latin,  nous  trouvons  vieo  =  vyâ,  part,  vîta,  tisser,  tres- 
ser, lier,  d'où  vïmen,  tige  flexible,  osier,  vïtis,  etc.  Ici,  proba- 
blement vélum,  voile,  c'est-à-dire  tissu.  Cf.  irland.  fiai  (  Z.2, 
p.  18),  armor.  gwél,  id.2 

A  vayâmi  répond  d'ailleurs  l'irl.  fighim,  avec  ses  dérivés 
fghe,  fgheadh,  tissage,  figheadôir,  tisserand,  etc.  La  forme 
simple  reparaît  dans  le  cymr.  gioëu,  givan,  l'armor.  gwéa,  le 
corn,  guia,  avec  de  nombreuses  provenances. 

Les  langues  germaniques  ne  semblent  pas  offrir  de  traces 
de  cette  racine,3  mais  l'anc.  slave  nous  offre  viti  (yiia)  avec  le 
sens  un  peu  différent  de  circumvolvere,  comme  le  latin  vieo; 
russe  viti,  pol.  wic,  tresser,  tordre,  etc.  De  là  vhiîtsï,  russe  vie- 
nokîi,  pol.  wiena,  ivianek,  guirlande,  tortis;  anc.  slave  veika, 
vimen,  polon.  wic,  id.,  etc.  ;  anc.  slave  na-voi,  liciatorium,  en- 
souple,  de  na,  super  +  viti.  Les  termes  lithuaniens  correspon- 
dants sont  wyti  (wyiu),  tresser,  ivytis,  osier,  ivainikkas,  guir- 
lande, etc.* 

Le  lithuanien  toutefois  possède  la  racine  va  sous  une  autre 

1  Ici  vîyv,  vigne  sauvage  (Hesych.,  à  l'accus.),  aussi  vUv  ;  comme  en 
sanscr.  ûy  pour  vay.  De  même  olvy,  olvolç,  vigne,  de  yoivyi,  si  toutefois 
ils  ne  viennent  pas  de  oïvoç  (Cf.  I,  p.  313). 

2  Curtius  [Gr.  Et.3,  182),  contre  Corssen,  rattache  vélum  à  veho,  à 
cause  du  diminutif  vexillum. 

3  Si  ce  n'est  peut-être  sous  la  forme  augmentée  vith,  vid,  si  elle  est 
bien  telle  (Cf.  t.  I,p.  259). 

4  Cf.  l'irl.  -j-  féith,  fibra,  rien  ;  cymr.  gwden  pour  gwiden,  anglais 
withe  (Stokes,  Ir.  GL,n°99). 


—     221     — 

forme  dans  austi  (  andu,  aadmi),  tisser,  d'où  proviennent 
udis ,  audimmas,  tissu,  audejas ,  tisserand,  etc.  Le  d  n'est 
ici  qu'une  addition  qui  caractérise  les  verbes  causatifs  en 
lithuanien.  Cf.  wôras,  araignée,  c'est-à-dire  tisseuse,  de  va  + 
suff.  va. 

2)  A  côté  de  va,  on  trouve  en  scr.  vap,  texere,  mais  aussi 
jacere,  serere ,  gignere ,  tondere.  Ce  n'est  là  probablement 
qu'une  forme  causative  de  va  =  vâpay,  avec  la  voyelle  de- 
venue brève,  comme  dans  snapay,  de  snâ,  etc.,  et  suppression 
de  la  caractéristique  ay.  De  même  que  va,  texere,  semble  ex- 
primer, comme  va,  flare,  un  mouvement  continuel  de  va-et- 
vient,  le  causât,  vap,  texere,  jacere,  serere,  paraît  s'appliquer 
à  l'action  de  lancer  la  navette  ou  la  semence.  La  forme  vabh, 
signalée  par  Aufrecht  dans  un  nom  de  l'araignée  (  Cf.  t.  I, 
p.  658),  et  que  confirment  les  analogies  du  grec  et  des  lan- 
gues germaniques,  n'est-elle  qu'une  variante  de  vap,  ou  une 
racine  distincte  ?  La  question  reste  douteuse.1 

Spiegel  reconnaît  la  rac.  vap,  contractée  en  up,  dans  le 
partie,  zend.  ubda,  d'où  l'adj.  ubdaêna,  littér.  fait  d'un  tissu.2 
La  forme  régulière  uf,  pour  vaf,  se  montre  dans  d'autres  cas, 
avec  le  sens  secondaire  de  composer  poétiquement,  et  de  célé- 
brer, comme  pour  le  gr.  v<pdivoù  (JBeitr.,  I,  315).  Le  persan 
moderne  l'a  conservée  dans  bâftan,  bâfidan,  tisser,  d'où  bâ- 
fandah,  bâf-kar,  tisserand,  baf,bafrah,wafraJi,  métier  à  tisser, 
abaft,  grosse  étoffe,  etc. 

1  Cf.  avec  vabh  la  rac.  ubh,  tenir  ensemble,  tenir  réuni,  avec  apa 
etpra,  lier,  joindre,  ce  qui  conduirait  à  la  notion  de  tisser  par  une 
autre  voie  que  vap.  LeD.  P.  ne  donne  pas  cette  racine  vabh. 

2  Vendid.,  VIII,  65,  68.  Vaçtra  abdaena,  vêtement  de  tissu,  par 
opposition  à  vaçtra  îzaêna,  vêtement  de  peau.  Cf.  Justià  vap  et  ubda 
—  scr.  upta,  tissé. 


—     222     — 

A  vabh,  nbh,  appartient  sans  doute  le   grec  vQclIvûô,  tisser, 
v@9j,  tissage,  vQoç,  tissu,  etc.,  plutôt  qu'à  vap. 

Il  en  est  de  même  de  Fane.  ail.  iveban  omvepan,texere,  d'où 
webevi,  textor,  weppi,  wuppi,  textura,  wâba,  favus,  le  gâteau 
de  miel  étant  comparé  à  un  tissu.  Dans  l'anglo-saxon  xoefan, 
scand.  vefa,  texere,  et  leurs  dérivés,  weft,  vaf  vefr,  vefari,  etc., 
1'/ représente,  comme  souvent,  un  bh  primitif,  et  non  pas  un 
p,  et  le  b  régulier  reparaît  dans  l'ang.-sax.  iveb,  tissu,  icebba, 
tisserand.  Toutefois,  l'ancien  allemand  offre  aussi  quelques 
formes  avec/,  telles  que  wefal,  subtemen,  et  vif j an,  texere,  qui 
se  lient  mieux  à  vap  qu'à  vabli,  et  qui  semblent  indiquer  la 
coexistence  des  deux  racines.  Cf.  le  goth.  veipan  (vaip,  vipun), 
(TTi<pcLvovv,  d'où  vaips,  vipja,  guirlande,  où  le  p  primitif  est 
resté  intact,  comme  dans  d'autres  cas. 

L'affaiblissement  de  la  voyelle  a  en  i,  qui  se  remarque  ici, 
se  produit  déjà  dans  le  scr.  vip,  jacere  =  vap,  ainsi  que  dans 
le  zend  vip,  vif  semen  emittere  =  scr.  vap,  serere,  au  partie. 
vipta  ou  vîpta,  au  potentiel  ufyât,  etc.  Une  forme  germanique 
vib  ou  vîb,  provenue  de  vabh,  peut  également  s'inférer  du 
goth.  bi-vaibjan,  entourer,  envelopper.  Cf.  plus  haut  l'accep- 
tion du  san se.  ubh,  peut-être  =  vabh.  C'est  à  cette  forme,  ce 
semble,  et  dans  le  sens  de  tisser,  qu'il  faut  rapporter  le  nom 
germanique  de  la  femme,  anc.  ail.  wîp,  ivîb,  ags.  wîf,  scandin. 
vif,  ainsi  nommée  d'une  de  ses  principales  occupations  aux 
temps  plus  anciens.1 

1  Benfey  (Gr.Wl.,l,  341)  voit  dans  wîb  celle  qui  reçoit  la  semence, 
de  vip  pour  vap,  serere,  gignere,  et  compare  le  grec  ot$e«,  coire,  qui 
appartient  à  yabh,  id.;  mais,  d'une  part,  le  b  germanique  ne  répond 
pas  ù  p,  et  de  l'autre,  le  nom  de  la  femme  exigerait  quelque  suffixe 
qui  indiquât  la  passivité.  Fick  (877)  rattache  vip,  vif,  au  scand.  veifa, 
vibrare,  agitare,  ags.  wûfian,  osciller,  hésiter,  anc.  ail.  weibôn,  se 


—     223     — 

3)  La  rac.  taksh,  fabricari,  déjà  mentionnée  plusieurs  fois 
avec  des  applications  diverses,  tailler,  construire,  filer,  prend 
encore  l'acception  de  tisser  dans  le  pers.  tâchtan,  et  lat.  texo, 
d'où  têla,  toile,  sub-tèmen,  trame,  tissu,  etc.,  tandis  que 
télum  et  témo  se  rattachent  encore  à  celle  de  tailler.  La  même 
transition  se  remarque  dans  le  russe  tësma,  tesïma,  tissu,  ruban 
de  fil,  pol.  tasma,  par  rapport  à  tesdtï,  tailler  =  scr.  tahsh. 
Mais  les  langues  slaves  ont  en  outre,  pour  tisser,  Fane,  slave 
tukati,  russe  tkatï,  illyr.  tkati,  polon.  tkaé,  etc.,  avec  une  foule 
de  dérivés  dont  je  ne  cite  ici  que  l'anc.  slave  tïïkaéï,  textor, 
tukaniie,  textura,  le  russe  utoku,  zatokû,  trame,  boh.  auiek,  pol. 
wâtek,  etc.,  formes  qui  correspondent  à  la  racine  plus  simple 
tak. ï 

Nous  verrons,  en  parlant  de  la  poésie,  que  le  sanscrit  em- 
ploie taksh  aussi  bien  que  va,  tisser,  pour  exprimer  le  travail 
de  la  composition  poétique,  comme  en  latin  teœere  carmina. 
Comme  on  ne  taille  pas  les  poëmes,  il  est  probable  que  taksh  a 
été  pris  ici,  et  peut-être  plus  généralement,  dans  l'acception 
de  texo. 

4)  Plusieurs  des  termes  du  tissage  et  de  ses  produits  se 
lient  à  la  rac.  scr.  tan,  tendere,  qui  a  figuré  déjà  à  l'article 
du  filage.  De  là  tantu,  chaîne  de  tissu  et  fil,  tanti,  tisserand, 
tantra,  métier  à  tisser,  tântava,  tissu,  santânikâ,  toile  d'arai- 
gnée, etc. 

Au  pers.  tanîdan,  tendre,  puis  tisser  et  filer,  se  lient  tanah, 
tanîd,  tissu,  tânah,  chaîne  de  tissu,  tanîdah,  métier  à  tisser, 
tantah,  toile  d'araignée,  etc.  —  Cf.  ossète  digor.  tuna,  étoffe, 
drap. 

En  irlandais,  où  nous  avons  trouvé  tonnaim,  filer,  le  subst. 

balancer,  etc.  =  scr.  vip,  vep,  trembler,  être  agité.  La  femme  serait 
alors  l'active,  la  mobile  ou  la  timide. 
1  Cf.  Fane,  prussien  tuckoris,  tisserand  (Nessclm.,  Thés.,  192). 


—     224     — 

tannaidh  désigne  la  trame.  Il  est  probable  que  tona,  tonach. 
vêtement,  chemise,  a  signifié  simplement  toile  ou  tissu,  ce  qui 
conduit  à  comparer  aussi  le  lat.  tunica. 

5)  Une  autre  racine,  commune  à  plusieurs  langues  dans  le 
sens  de  tresser,  tisser,  se  rattache  au  sanscr.  pré,  prné,  et  prg, 
prng,  parg,  prag ,  conjungere,  miscere.  Cf.  ava-praggana, 
bord  d'une  chaîne  de  tissu. 

A  prng  répond  l'anc.  si.  preshti  (pregà),  avec  la  significa- 
tion un  peu  divergente  de  intendere,  mais  qui  prend  celle  de 
jungere,  avec  le  préfixe  vu,  in.1  Cf.  russe  priajka,  boucle  ; 
mais  priaéï,  joindre,  unir,  à  scr.  prné.  Partout  ailleurs,  c'est 
cette  dernière  forme  qui  prévaut.  Ainsi  : 

Pers.  paréîdan,  river  un  clou,  c'est-à-dire  joindre  ;  mais 
paréali,  étoffe  de  coton,  paréam,  frange,  ramènent  à  la  notion 
de  tisser. 

G-r.  7tAîkco,  lat.  plecto,  plico,  tresser,  lier,  tisser,  avec  leurs 
dérivés  7rXinoç,  7tXikty\->  7rteKTct,vy],  7tXokyi,  plexus,  etc.,  corde, 
filet,  tresse,  tissu,  etc. 

Ane.  ail.  flelitan  (flaht,  floht,  fluht),  scand.  fletta,  nectere, 
intexere,  plectere,  gefleht,  gefluhte,  textura.  Cf.  goth.  fiahtom, 
torquibus.  De  là  aussi  flahs,  lin. 

Cymr.  plygu,  armor.  plégà,  plicare,  et  plethu,  tresser,  pli- 
thaiv,  être  mêlé,  complexe,  avec  suppression  du  c  devant  t, 
comme  à  l'ordinaire. 

L'anc.  slave  plesti  (pletâ),  plectere,  d'où  piétina,  textura, 
plotu,  sepes,  etc.,  que  l'on  a  comparé,  est  probablement  diffé- 
rent, l'absence  de  la  gutturale  ne  s'expliquant  pas  comme  pour 
le  cymrique.  Schleicher  (Form.  lehre,  120)  compare  le  goth. 
falthan,  plicare,  sûrement  distinct  dejïethtan. 

»  Miklosich,  Rad.  Slov.,  p.  69,  et  Lex.  si.  (753).  Cf.  prëglo,  tendi- 
cula,  néo-sl.  progla,  res.  etc. 


—     225     — 

6)  L'armén.  anganel,  tisser,  semble  appartenir  à  la  même 
racine  que  le  sanscrit  anhii,  angustus,  le  goth.  aggvus,  le  grec 
dy%co,  latin  ango,  etc.,  car,  en  tissant,  on  serre,  on  étreint 
les  fils. 

Je  croîs  retrouver  cette  application  spéciale  de  la  racine 
angh  dans  l'irland.  eige,  oige,  uige,  tissu,  dont  le  g  non  aspiré 
indique  une  nasale  supprimée.  Cf.  anc.  irl.  ôigthidi,  sartores 
(Z.2,  794). 

La  même  suppression  se  remarque  dans  eigean,  anc.  irland. 
écen  (  Z.2,  804  ),  nécessité,  compulsion  ;  cf.  dvccyjc?},  pour 
cLvccyx/i)  de  civet,  -f-  dy%od\  tandis  que  le  cymr.  ing,  étroit, 
difficile,  a  conservé  la  nasale. 

En  anc.  si.  cette  racine  se  présente  sous  la  forme  âz,  iâz, 
d'où  âzu,  iâzûj  vinculum,  âzina,  âzota,  angustia,  etc.  ;  mais  on 
trouve  aussi  vâzïï,  pol.  wiâz,  lien,  avec  un  v  qui  ne  paraît  être 
que  le  préfixe  vît,  in,  en  russe  v,  en  polon.  u\  D'après  cela,  le 
verbe  vïzenie,  ligare,  russe  viazati,  polon.  iviâzaé,  etc.,  semble 
composé  de  vu  -f-  âz  ou  iâz.  Or,  en  russe,  viazati  signifie 
non-seulement  lier,  mais  nouer,  tisser,  tricoter,  et  de  là  déri- 
vent viazeia,  tricot,  viazeia,  tricoteuse,  etc.,  ce  qui  nous  ra- 
mène aux  applications  spéciales  de  l'arménien  et  de  l'irlan- 
dais. 

7)  A  côté  du  tissage  proprement  dit,  on  a  connu  et  prati- 
qué, sans  doute,  dès  les  temps  les  plus  anciens,  l'art  analogue 
de  combiner  les  fils  par  divers  systèmes  de  mailles.  C'est  ce 
qu'exprime,  en  sanscrit,  la  rac.  srg,  sarg,  srag ,  proprement 
emittere,  effundere,  puis  extendere,  serere,  d'où  srag,  guirlande, 
puis,  enfin,  tricoter,  comme  l'interprète  Weber,  dans  un  pas- 
sage où  il  est  question  d'un  travail  de  femmes.1   Kuhn,  qui 

1  Zwei   wedische  Texte,  iiber  omina  et  portenta.  Berlin,   1859, 

p.  373. 

II  15 


—     226     — 

traite  de  cette  racine  (  Z.  S.,  II,  457  ;  IV,  25,  26),  compare 
l'anc.  allem.  strecchan,  extendere,  d'où  strie,  stricch,  laqueus? 
funis,  et  stricchan,  nectere,  ail.  mod.  stricken,  tricoter,  etc.  Il 
y  ramène  également  strang,  funis  (rac.  string,  strang,  strung), 
ainsi  que  (TTpayyôù  et  stringo,  et  présume  une  racine  primi- 
tive strg,  starg,  sirag.  Toutefois  le  t  peut  avoir  été  ajouté  par 
les  trois  langues  ci-dessus,  auxquelles  le  groupe  initial  sr  est 
étranger.  L'irlandais ,  en  effet,  qui  possède  bien  le  groupe 
str,  nous  offre  cependant  sreangaim,  stringo,  et  sreang,  corde, 
lacet,  fibre.  En  grec  même,  on  trouve  (raoyccvri,  lien,  corde,  et 
ouvrage  tressé,  corbeille,  etc.,  mais  aussi,  il  est  vrai,  rctpyctvv\, 
tous  deux  peut-être  de  crTctpycùvvj,  * 


§  228.  LE  MÉTIER  A  TISSER. 

Les  premiers  essais  du  tissage  auront  été  faits  simplement 
à  la  main  ;  mais  la  lenteur  et  l'imperfection  de  ce  procédé  ont 
dû  conduire  de  bonne  heure  à  imaginer  des  moyens  d'exé- 
cution plus  expéditifs.  De  là  l'invention  du  métier  à  tisser,  la- 
quelle remonte  partout  aux  temps  préhistoriques,  et  qui  s'est 
modifiée  d'âge  en  âge  par  des  perfectionnements  successifs.  Ce 
qu'il  a  été  au  début,  et  dans  sa  simplicité  primitive,  c'est  ce 
dont  il  n'est  plus  possible  de  se  faire  une  idée  précise,  et  les 
langues  ne  nous  fourniront  à  cet  égard  que  des  données  fort 
incomplètes. 

Les  indications  réelles  les  plus  anciennes  que  nous  possé- 
dons à  ce  sujet  pour  les  peuples  de  race  arienne  sont  celles  qui 
se  trouvent  dans  quelques  passages  des  poëmes  homériques, 

1  Cf.  Curtius  (Gr.  Et.*,  356). 


—     227     — 

mais  elles  restent  obscures  en  plusieurs  points.  Le  plus  impor- 
tant de  ces  passages  est  celui  de  Y  Iliade  (xxm,  760),  où  l'on 
voit  la  tisseuse  à  l'œuvre.  Malheureusement,  ici  déjà,  les  tra- 
ducteurs ne  s'accordent  point  sur  ce  qu'il  faut  entendre,  soit 
par  le  xclvcûv  qui  est  près  de  sa  poitrine,  et  qu'elle  tend 
(tuvvctctvj),  d'autres  traduisent  qu'elle  lance,  avec  les  mains, 
soit  par  le  7rvjvlôv  qu'elle  tire  hors  de  la  chaîne,  fxlroç.  Je  laisse 
de  côté  les  conjectures  diverses  qui  ont  été  faites,  parce 
qu'elles  n'intéressent  pas  la  question  plus  obscure  encore  du 
métier  à  tisser  au  temps  de  l'unité  arienne. 

1  )  Ses  noms  dérivent  généralement  des  racines  vap  ou  va, 
avec  des  suffixes  qui  varient.  Le  sanscrit  a  les  composés  âvâ- 
pana,  de  a  +  vap,  causât.,  tantuvâpa,  qui  tisse  le  fil,  vâpa- 
danda,  vânadanda,  vâyadanda,  bâton  à  tisser,  etc.  Le  persan 
ivafrah,  bafrah,  baftarî,  de  baftan,  répond,  pour  les  suffixes, 
au  scr.  vapra  et  vaptar,  mais  de  vap  dans  l'acception  de  semer, 
père,  semeur,  champ,  etc.  Le  lith.  austuwas  vient  de  même 
de  austi  (Cf.  p.  221).  Les  composés  germaniques  ang.-saxon 
iceb-beam,  scand.  wef-stadr,  anc.  ail.  weppi-paam,  mod.  web- 
stuhlj  ainsi  que  l'erse  beart-fhige,  machine  à  tisser,  etc.,  sont 
des  formations  toutes  récentes. 

Un  seul  des  noms  de  cette  classe  paraît  être  décidément 
ancien  ;  c'est  le  sansc.  vêma,  vêman,  de  va.1  Si  l'on  se  rappelle 
le  changement  de  va  en  u  dans  les  dérivés,  et  si  l'on  compare 
le  scr.  umâ,  lin,  dont  la  formation  est  la  même,  on  n'hésitera 
pas  à  y  rattacher  l'ang.-sax.  uma,  métier  à  tisser  (Boxhorn, 
voc.  cit.).  Ce  nom,  d'ailleurs  isolé  dans  les  langues  germani- 
ques, est  peut-être  celtique,  car  il  se  retrouve  dans  l'irl.  um, 

1  D.  P.,  VI,  1373,  avec  vêmaka,  m.,  -ki,  f.,  tisserand,  tisseuse.  Cf. 
le  zend  vaêma,  huzv.  vêm,  lacs,  piège,  auquel  répond  l'irlandais 
fiam  =  fêm,  chaîne  (O'R). 


—     228     — 

uam,  uaim,  a  weaver's  harness  (O'R.),  d'où  uamaim,  accou- 
trer. Cf.  uaim,  broderie.  On  devrait  cependant  attendre  umh, 
au  lieu  de  nm,  et  le  mot  pourrait  aussi  provenir  de  l'anglo- 
saxon. 

2)  Ce  premier  groupe  de  noms  ne  nous  apprend  rien  sur 
la  disposition  de  l'ancien  métier,  mais  un  autre  nous  fournit  la 
preuve  que  le  tissage  s'opérait  verticalement,  et  non,  comme 
plus  tard,  horizontalement.  Cela  résulte  de  quelques-uns  des 
noms  du  métier  et  de  la  chaîne. 

Le  sanscrit  n'a  pas  de  terme  qui  se  rapporte  à  ce  procédé, 
mais  on  y  trouve  sthavi,  tisserand,  de  sthâ,  stare,  ce  qui  in- 
dique déjà  que  l'ouvrier  travaillait  debout. 

Le  grec  Icroç^  de  iffTyjfju,  désignait,  soit  le  métier,  soit  la 
chaîne,  soit  la  pièce  d'étoffe  en  œuvre.  De  là  î<TTovpyoç,  l(TT0' 
7TQV0ç,  tisserand,  larav,  atelier  à  tisser,  IfTTiov,  tissu,  etc. 
L'expression  de  lariv  t7roixo[Aivy],  tournant  autour  du  métier 
ou  de  la  toile,  qu'emploie  Homère  en  parlant  de  Calypso 
(  Od.,  v,  63),  montre  que  la  tisseuse  était  debout,  et  se  por- 
tait alternativement  aux  deux  côtés  de  son  ouvrage.  Hésiode 
recommande  à  la  femme  de  dresser  la  chaîne,  icrrov  ctvjo-ciito 
yvvvj.  La  chaîne  elle-même  s'appelait  ot^julcûv,  comme  en  latin 
stâmen,  et  l'on  disait  aussi  crTyjfrcti  tov  o-Tyjpovct.  *  Elle  était 
maintenue  verticalement  par  des  poids,  cLyvvêiç,  Xciïou,  pon- 
déra. Quemadmodum  tela  suspensis  ponderibus  rectum  stamen 
extendat  (Senec,  Epist.,  90). 

A  la  même  rac.  sthâ  se  lient,  dans  les  autres  langues  de 
l'Europe,  le  cymr.  ystawf =  ystâm,  chaîne  de  tissu,  d'où 
ystofi,  ourdir  la  chaîne,  etc.,  en  armor.  steûven,  steûen,  d'où  le 

1  Cf.  Ovid.,  Metam.,  IV,  275  :  Radio  stantis  percurrens  stumina 
telœ. 


—     229     — 

verbe  steûvi,  steiri  ;  le  scand.  ve/stadr,  métier  à  tisser,  le  lith. 
stâkles  (pi.),  ici.,  le  russe  stanïï,  stanôku 9id.9  etc. 

Une  coïncidence  extra-arienne  à  signaler  est  celle  de  l'hé- 
breu shthi,  chaîne  de  tissu,  arabe  satâ,  satât  (Cf.  pers.  satâ- 
dan,  stare),  suivant  Gesenius,  d'une  racine  inusitée  shâtâh, 
texuit.  Il  va  sans  dire  que  je  n'en  infère  pas  que  les  Sémites 
aient  reçu  des  Aryas  l'art  du  tissage. 

Le  tissage  vertical,  resté  en  usage  dans  l'Inde,  existait 
aussi  chez  les  anciens  Egyptiens,  comme  on  le  voit  par  un 
dessin  que  reproduit  Wilkinson  {Ane.  Egypte,  p.  85).  Living- 
ston  observe  que,  aujourd'hui  encore,  à  Angola  et  dans  toute 
l'Afrique  centrale,  le  procédé  est  exactement  le  même.1 

3)  Les  diverses  parties  du  métier  à  tisser  ont  reçu  des  noms 
particuliers  à  mesure  que  son  mécanisme  s'est  modifié.  La 
navette  également  a  changé  de  nature  et  de  forme,  par  suite 
de  l'introduction  du  tissage  horizontal,  de  sorte  que  les  termes 
qui  la  désignent  dans  les  diverses  langues  n'offrent  rien  qui 
puisse  nous  révéler  son  nom  primitif. 


§  229.  LA  CHAINE  ET  LA  TRAME. 

Ces  deux  éléments  nécessaires  de  tout  tissu  n'ont  jamais 
essentiellement  varié,  et  cependant  leur  nomenclature  pré- 
sente des  divergences  multipliées,  parce  que  les  termes  se  rat- 
tachent tour  à  tour  aux  notions  diverses  de  tisser,  jeter,  battre,2 
dresser,  traverser,  etc.  J'en  ai  déjà  signalé   quelques  affinités 

1  Travels  in  South  Africa,  p.  399. 

2  Par  exemple  xp«t»,  trame,  de  k/js'kw,  comme  l'allemand  einschlag. 
—  L'ang.-sax.  wearp,  scand.  varp,  anc.  ail.  waraf,  chaîne,  de  vair- 
pan,  jeter,  comme  le  cymr.  bwrw,  chaîne  et  jet,  etc. 


—     230     — 

dans  les  articles  qui  précèdent,  j'y  reviens  ici  pour  réunir  et 
compléter  ces  rapprochements. 

1)  A  la  racine  va  se  lient  plusieurs  noms  de  la  chaîne  et 
de  la  trame,  mais  avec  des  formations  très-diverses. 

Scr.  ôtu,  trame,  pour  vâtu. 

Gr.  vjTQiov,  chaîne,  pour  FyjTçtcv. 

Lith.  at-audai,  pi.,  trame,  de  austi,  tisser  (Cf.  p.  221). 

Irland.  f  innech  (Corm.,  GL,  95),  mod.  et  erse  inneach, 
trame,  probablement  composé  avec  le  préfixe  inn,  int  =  oLvti, 
inn-each  pour  int-fheach,  de  int-fighim,  littér.  contre-tisser 
(Cf.  p.  220). 

Cymr.  anwe,  armor.  anneûen,  trame,  du  même  préfixe  an, 
ann,  de  ant,  et  de  givëu,  tisser. 

Au  synonyme  vabh,  gr.  v(p,  se  rattachent  i<Pv(prj,  <rvvv<pYi, 
trame,  ainsi  que  les  termes  germaniques,  ang.-sax.  tueft,  ivefla, 
aweb,  oweb,  scand.  va/,  veftr,  anc.  allem.  weppi,  angl.  woof: 
iveft,  etc. 

2)  Sansc.  tantra,  chaîne:  rac.  tan,  tendere. 
Pers.  tânah,  id. 

Irl.  tannaidh,  trame  (Cf.  p.  224). 

3)  Pers.  târ,  târah,  chaîne  de  tissu,  et  fil,  corde,  corde 
d'arc  ou  instrument.  Cf.  tîr,  tîrah,  fil,  en  arménien  ther ; 
et  le  sanscrit  tara,  corde  d'instrument.  La  racine  est  tr,  tar, 
trajicere. 

Le  fil  mis  en  travers  constitue  mieux  encore  la  trame.  De 
là  le  lat.  trama,  qui  parfois  désigne  aussi  la  chaîne,  et  auquel 
répond,  avec  un  sens  primitif  analogue ,  le  scand.  thrôm,  anc. 
ail.  drum,  limbus,  angl.  thrum,  les  fils  qui  dépassent  le  bord 
de  la  toile  après  le  tissage,  to  thrum  =  to  weave,  twist,  fringe. 
Cf.  armor.  trémen,  passage,  etc. 

4)  Gr.  o-TrjfACûV,  chaîne. 


—     231     — 

Lat.  stâmen. 

Cymr.  ystawf,  armor.  steûven  (Cf.  p.  228). 
Le  corrélatif  sanscrit  sthâman  ne  signifie   que    stabilité, 
force. 


§  230.  LES  PRODUITS  DU  TISSAGE. 

Ici  encore  les  termes  directement  comparables  sont  en  très- 
petit  nombre,  et  cela  s'explique  facilement.  Au  début,  les 
produits  du  tissage  étaient  simples  et  peu  variés;  mais,  dans 
la  suite  des  temps,  ils  se  sont  multipliés  à  l'infini,  et  ils  ont 
pris  des  noms  spéciaux.  Quelques-uns  de  ces  noms  ont  passé 
d'une  langue  aux  autres  par  l'influence  du  commerce,  et  ne 
prouvent  rien  quant  aux  affinités  primitives.1  D'un  autre 
côté,  les  termes  généraux  qui  désignent  l'étoffe,  le  tissu, 
la  toile,  le  drap,  ont  suivi  le  sort  des  racines  qui  expriment 
l'action  de  tisser,  et  nous  en  avons  signalé  déjà  quelques-uns. 
D'autres  trouveront  leur  place  à  l'article  qui  concernera  les 
vêtements. 

1  Quelques  exemples  de  ce  genre  sont  les  suivants  : 

Gr.  xcîf>'7roc<rQÇ,  lat.  carbasus,  terme  importé  par  les  Phéniciens.  Cf. 
hébr.  karpas  (Esth.,  \,  6),  arabe  kirbâs,  kurfus,  empruntés  au  pers. 
kirpâs,  kirbâsah,  étoffe  de  coton  ou  de  lin,  du  scr.    karpâsa,  coton. 

Goth.  etang.-sax.  saban,  anc.  ail.  saban,  sabo,  byssus,  linteum,  du 
grec  itxBxvov,  sabanum,  d'origine  sémitique.  Cf.  arabe  sabanîyat, 
voile  de  lin,  du  nom  de  Saban,  près  de  Bagdad,  où  on  les  fabriquait. 

Notre  taffetas,  du  pers.  tâftah,  étoffe  de  soie,  de  tâftan,  tàbldan, 
tisser. 

Notre  camelot,  peut-être  du  pers.  kamlah,  espèce  d'étoffe.  Cf.  scr. 
kambala,  étoffe  de  laine. 


232 


ARTICLE  III. 


§  231.  LA  COUTURE. 

Le  fil  et  l'étoffe  une  fois  obtenus,  il  ne  reste  plus  qu'à  les 
mettre  en  œuvre,  au  moyen  de  l'aiguille,  pour  en  confectionner 
des  vêtements.  Ici,  nous  rencontrons  de  nouveau,  pour  les 
termes  relatifs  à  la  couture,  un  ensemble  remarquable  de  coïn- 
cidences qui  viennent  compléter  et  confirmer  les  affinités  signa- 
lées pour  tout  le  travail  des  étoffes. 

1  )  La  racine  verbale  est  la  même  dans  les  langues  sui- 
vantes. 

Scr.  sîv  (sivati),  part,  syûta,  etc.  —  Cf.  deer  (du  Caboul) 
si,  impér.  couds. 

Ossète  chouin,  choin,  je  couds.  Le  ch  résultant  d'une  con- 
traction en  sv. 

Gr.  (Tvoù)  dans  Kctç-crvco,  coudre  du  cuir,  de  Kctrct-a'v gù  ,  ou 
peut-être  de  kccç  ==  iïiptAa  (Hesych.).1 

Lat.  suo. 

Groth.  siujan,  ags.  siwian,  suwan,  angl.  sew,  anc.  ail.  siwan, 
shvjan,  suéd.  sy,  dan.  sye,  etc. 

Lith.  sûti  (suivit,  sunu)  ;  lett.  shût  (shuju). 

Anc.  si.  shiti  (shivà),  russe  shitï,  illyr.  sciti,  pol.  szyc,  etc. 

De  ces  diverses  formes  de  la  racine  dérivent,  par  des  suf- 
fixes variés  et  parfois  concordants,  d'abord  les  noms  de  la  cou- 
ture, de  la  suture,  du  fil,  etc. 

*Cf.  Curtius,  Gr.£L3,  p.  356. 


—     233     — 

Scr.  syûti,  sûti,  sîvancij  sêvana,  couture,  sûtra,  fil. 

Lat.  sutura,  sutela. 

Ane.  ail.  siutj  allem.  moy.  sût;  ags.  seam,  scand.  saumr  (d'où 
sauma,  suere),  anc.  ail.  saum,  sarcina,  limbus;  scand.  seymi, 
fila  sartorum. 

Lith.  suwimas,  suie,  suture,  sulas,  fil. 

Anc.  si.  shïvïïj  shïveniie,  id.;  russe  sJiovû,  shitïë,  illyr.  scjavy 
pol.  szew,  etc. 

Puis  ceux  de  l'aiguille  à  coudre. 

Scr.  sêvanî  et  sûéî  (de  sûki). 

Belout.  shîshin,  laghmani,  sûneik,  ossète  suginy  arménien 
sugn. 

Lat.  subula, 

Irl.  siobhal,  épingle,  épine. 

Anc.  ail.  sûila,  sûla;  ail.  mod.  seuwel,  subel,  dan.  syel,  etc. 

Anc.  si.  et  russe  shiloj  pol.  szydlo  et  szwayca. 

Puis  ceux  du  tailleur  et  du  cordonnier. 

Scr.  sûcika,  sâuéi  (de  sûéî). 

Lat.  sûtor. 

Anc.  allem.  sutari;  ags.  seamere,  scand.  saumari}  de  smm, 

Lith.  suwêjas,  suwikkas. 

Anc.  si.  shïvïtsï,  russe  shvetsu,  ill.  svitar,  sejavaz,  polonais 
szwiec,  szwacz,  etc. 

Les  langues  celtiques  paraissent  avoir  perdu  la  racine  ver- 
bale, et  ne  nous  ont  offert  jusqu'ici  que  l'irlandais  siobhal  = 
subula.  Une  autre  coïncidence  à  noter  est  celle  de  l'irlandais 
siunân ,  sorte  de  banne  en  paille  pour  la  farine,  avec  le  sansc. 
syôna,  sac,  en  tant  que  cousu  ( aussi  sêvaka,  sêvana*  syûta, 

1  On  à  rapproché   de  sêvaka  le  gr.  a-olxoç,  s-ockkoç,  saccus ,  qui  a 


—     234     — 

syuti).  L'ang.-sax.  seam  désigne  également  un  sac.  Comme  le 
v  disparaît  en  irlandais  entre  deux  voyelles,  on  pourrait  en- 
core voir  dans  séan,  filet,  le  corrélatif  du  scr.  sêvana.  * 

2)  Aux  noms  de  l'aiguille  déjà  mentionnés,  il  faut  ajouter 
celui  de  l'alêne,  plus  spécialement  appliquée  au  travail  des 
cuirs.  Le  terme  sanscrit  est  ara,  probablement  de  r,  ar,  dans 
le  sens  de  lœdere,  et  qui  désigne  aussi  une  espèce  d'arme, 
attribut  du  dieu  Pushan  (D.  P.,  v.  a).  De  la  même  racine 
vient  sans  doute  ala  pour  ara,  l'aiguillon  du  scorpion  ;  et  ce 
changement  de  r  en  l  se  reproduit  dans  l'ang.-sax.  al,  ael,  le 
scand.  air,  Fane.  ail.  ala,  alêne,  auquel  répond  le  lith.  yla,  id., 
et  l'irl.  ail,  aiguillon,  piquant. 


SECTION  VI. 


§  232.  LA  NAVIGATION. 

S'il  est  un  art  dont  les  origines  doivent  être  considérées 
comme  multiples,  c'est  à  coup  sûr  la  navigation,  que  nous  trou- 
vons pratiquée  à  quelque  degré  partout  où  il  y  a  des  hommes 
et  de  l'eau.  Aussi  n'en  est-il  aucun  qui  remonte  à  une  anti- 
passé dans  toutes  les  langues  européennes  ;  mais  l'hébr.  saq  indique 
une  origine  sémitique. 

1  La  forme  ancienne  sén,  filet  d'oiseleur  (Corm.,  Gl.,  152;  O'Dav., 
Gl.i  147),  se  rattache  mieux  à  la  racine  scr.  si,  lier,  zend  hi,  d'où, 
avec  un  sens  différent,  sêna  et  haêna,  armée,  c'est-à-dire  troupe 
réunie,  organisée.  Cf.  avec  h  pour  s,  comme  en  zend,  le  cymr.  hwyn, 
hwymjn,  long  cheveu  ou  fil,  et  piège,  lacs  ;  hwyn  =  hên.  Cf.  la  note, 
p.  216.  Au  scr.  et  zend  sêna,  haêna,  se  rattache,  avec  une  signifi- 
cation analogue,  le  cymr.  hain,  essaim ,  multitude  d'insectes,  d'où 
heiniaw,  foisonner,  etc. 


—     235     — 

quité  plus  reculée,  et  qui  ait  accompagné  plus  constamment 
les  phases  de  la  civilisation  humaine,  depuis  l'arbre  creusé  du 
sauvage  jusqu'au  vaisseau  de  ligne  de  nos  jours.  Ses  progrès, 
naturellement,  ont  dépendu  de  la  position  géographique  des 
peuples,  suivant  qu'elle  favorisait  plus  ou  moins  les  relations 
du  commerce,  et  les  expéditions  maritimes  lointaines.  Sous  ce 
rapport,  et  d'après  les  conjectures  les  mieux  fondées,  les  an- 
ciens Aryas  n'ont  pas  été  placés  dans  des  circonstances  favo- 
rables ;  car  la  mer  Caspienne,  la  seule  qu'ils  aient  pu  connaître, 
n'était  pas  alors  une  voie  de  communication  entre  les  peu- 
ples, et  il  est  même  douteux  qu'au  temps  de  l'unité  ils  se  soient 
établis  sur  ses  bords.  Il  est  certain  cependant,  et  l'on  a  ob- 
servé depuis  longtemps,  que  les  noms  du  vaisseau,  ou  plutôt 
du  bateau,  présentent  un  accord  remarquable  dans  les  lan- 
gues ariennes  ;  mais,  d'un  autre  côté,  cet  accord  ne  s'étend 
qu'à  la  rame,  et  cesse  dès  que  l'on  arrive  aux  agrès  néces- 
saires pour  la  navigation  maritime.  On  doit  en  conclure  que  les 
anciens  Aryas  n'ont  navigué  que  sur  des  fleuves  ou  des  lacs, 
et  ceci  tend  à  confirmer  les  autres  inductions  de  diverse  na- 
ture qui  permettent  de  fixer  approximativement  la  position  de 
leur  berceau  primitif.  Voyons  maintenant  ce  que  la  compa- 
raison des  langues  peut  nous  apprendre  à  ce  sujet. 


§  233.  LE  BATEAU. 


Trois  noms  principaux  du  bateau  ont  été  certainement  en 
usage  au  temps  de  l'unité  arienne,  et  d'autres  font  présumer 
l'existence  d'une  synonymie  encore  plus  étendue. 

1)   Sanscr.  nâu,  f.,  dimin.   nâukâ;  aussi  nu,   m.,  et  nâvâ, 


—     236     — 

f.  nâvya,  navigable,  nâvika,  matelot,  pilote,  etc.  —  La  racine 
est  probablement  nu  (navatê),  ire  (JSfaigh.,  2,  14),  peut-être 
nave  vehi,  comme  le  conjecture  Westergaard  (  Rad.  scr., 
p.  45),  alliée  sans  doute  à  snu,  fluere,  dont  Vs,  ainsi  que  dans 
d'autres  cas,  pourrait  bien  n'être  pas  primitive,  comme  le 
pense  Weber  (Beitr.,  I,  506).  Cf.  aussi  snây  lavari. 

Ane.  persan  nâvi,  persan  nâw,  nâivaïi,  naivâraJi,  dimin. 
nâwêah,  bateau,  puis  tout  objet  creux  et  long,  auge,  canal,  etc., 
puis  vase  en  général.  Kourde  naw;  armén.  nav,  navag,  navig; 
ossète  nau.1 

Grec  vctvÇy  ion.  vvfiçi  f.,  vctvTqç,  vclvtiAoç,  matelot,  etc.  — 
Cf.  vue*)  pour  vctFùù,  éol.  vctvco,  couler  =  sansc.  snu,  le  groupe 
initial  sn  étant  étranger  au  grec. 

Latin  nâvis,  f.,  nauta,  nàvita,  matelot,  etc. 

Ane.  irl.  née  (  Z.2,  56  ),  nau  (  ib.,  33  ),  mod.  naoi,  naebh 
(O'R.),  dimin.  naomhôg,  —  Cf.  cymr.  noe,  armor.  nev,  néô, 
baquet,  auge. 

Ane.  allem.  naivaou.  nawi  (Graff,  II,  1109);  dial.  bavarois 
nau.  Cf.  scand.  nôi,  vasculum.2 

Polon.  nawa,  manque  en  ancien  slave  et  russe. 

2)  Scr.  plava,  plavâkâ,  bateau,  radeau;  de  plu,  natare, 
nave  vehi,  fluctuare,  salire  =  pru;  enzend/rw  (Bopp,  Verg. 
Gr.,  I,  233). 

Gt.  7rXoïoVy  bateau  ;  de  7rhioù  (7rAiFa)),  flotter,  naviguer. 
Cf.  7rhooç,  7rXovÇ)  navigation,  7tXoùty\^  batelier,  nageur,  etc. 

Ang.-sax.  jlota,  jliet,  vaisseau,  flota,  matelot;  anc.  allem. 
fiudar,  radeau,  floz,  scapha  (Grimnij  D.  Gr.,  III,  437);  scand. 

1  Justi  (171)  donne  le  zend  nâvaya,  adj.,  fluide,  coulant,  suivant 
lui  de  ç nâ,  laver,  et  —  scr.  nâvya. 

*  Ici,  peut-être  le  goth.  nd£a,  poupe,  d'ailleurs  isolé. 


—     237     — 

floti,  lin  ter,  elassis.  Cf.  ags.  flôwan,  fluere,  scand.  Jlôa,  inun- 
dare,  anc.  ail.  flatvjan,  fluitare,  lavare,  etc. 

Litli.  plauksmas,  plausmas,  radeau,  de  la  forme  augmentée 
plaukti,  naviguer,  nager.  Cf.  plduti,  plowiti,  laver,  pléditi, 
flotter,  etc. 

Anc.  slave  plavï,  navis  ;  russe  plovû,  canot  ;  illyrien  plav, 
vaisseau,  plavza ,  plavciza,  bateau.  — Cf.  ancien  slave  et 
russe  pluti,  plavati,  naviguer,  nager,  illyrien  plivati,  polonais 
plywaé,  id.,  etc.1 

3)  Pers.  parandah,  barque ,  bateau,  aussi  oiseau,  de  parî- 
dan,  voler,  proprement  traverser  l'air.  Cf.  zend  par,  père,  scr. 
pf,  traducere,  d'où  para,  rive  opposée,  pâraha,  qui  fait  traver- 
ser un  fleuve,  du  causât,  pâray. 

Grec  7TUf>ûùv,  espèce  de  vaisseau  léger,  latin  paro.  —  Cf. 
7rtpcLùù,  traverser,  etc. 

Ang.-s&x.faer,  scand.  far,  navire  ;  anc.  ail.  ferid,  id.,  farm, 
celox,  navis  genus,  ferjo,  ferari,  nauta,  furt,  vadum,  etc.  — 
Cf.  goth.  faran,  farjan,  ire,  vehi  (nave,  curru),  et  ses  analo- 
gues germaniques. 

Lith.  par  amas,  bac,  radeau.  Cf.  anc.  aW.farm. 

Russe  paromu,  polon.  prum,  id.  —  De  là  l'allem.  moderne 
prahm  et  notre  prame.  Cf,  anc.  slave  prati  (perd  )  et  pariti, 
volare,  d'où  pero,  plume,  comme  en  pers.  par,  far,  plume  et 
aile,  kourde  per,  de  paridan,  voler.  Le  latin  pluma  se  lie  de 
même  à  la  racine  phi,  d'où,  en  sanscrit,  plâvin,  l'oiseau  qui 
nage  dans  l'air. 

4)  A  côté  de  ces  trois  groupes  de  noms  dont  les  affinités 
sont  assez  multipliées  pour  être  sûres,  il  se  présente  un  bon 

1  Ebel  (Z.  S.,  7,  228)  compare   aussi  le  latin  plaustrum,  en  tant 
que  véhicule. 


—     238     — 

nombre  de  rapprochements  d'une  valeur  plus  incertaine,  et 
que  je  fais  suivre  ici  à  titre  d'indications. 

a)  Scr.  kalâ,  bateau,  sans  doute  de  kal  (kalayati),  agere, 
impellere. 

Kourde  kalek,  espèce  de  radeau  sur  des  outres. 

Latin  celox,  vaisseau  léger.  Cf.  celer,  celeritas,  et  le  grec 
KiXv\ç,  coursier,  KîXofAc&i,  xztevù),  tcîAXct),  agere,  mcitare. 

Russe  éelnïï,  celnoku,  nacelle,  bateau,  pol.  czblno,  czolnek, 
boh.  élun;  peut-être  plus  directement  au  scr.  calcina,  mobile, 
fluctuant,  vacillant,  de  cal,  ire,  vacillare,  allié,  d'ailleurs,  à 
kal.  Cf.  anc.  si.  clanu,  élenu,  articulation  mobile. 

F)  Scr.  kola,  canot,  radeau.  —  Cf.  kul  (  kôlati  ),  continuo 
procedere  (Dbâtup.),  mais  racine  fictive  suivant  le  D.  P. 

Irl.-erse  culaidh,  bateau. 

c)  Scr.  aritra,  vaisseau  (?)  et  rame.1  Voy.  plus  loin  pour 
l'étymologie. 

Irl.  arthrach,  vaisseau,  bateau  (O'R.);  mais  on  trouve  aussi 
arthach  et  atrach  (O'R.),  ce  qui  rend  ce  rapprochement  dou- 
teux tant  que  la  vraie  forme  n'est  pas  constatée.2 

d)  Scr.  tara,  radeau;  tari,  tarant,  taritrî,  tarantî,  etc.;  ba- 
teau. De  la  rac.  tf,  tar,  transire. 

Russe  tara,  espèce  de  bateau  ancien  ;  pol.   trativa,  radeau. 
é)  Scr.  kanthâla,  bateau,  baratte,  etc.  (Orig.  incertaine.) 

1  Le  D.  P.  ne  donne  à  ce  mot  védique  que  les  acceptions  de  rame 
et  de  gouvernail.  Kuhn  [Ind.  Stud.,  I,  353),  en  accord  avec  Rosen, 
lui  attribue  aussi  celle  de  vaisseau.  Il  est  certain  que,  dans  le  passage 
du  Rigvêda  (I,  46,  8)  :  Aritrâ  va  divasprthu  tîrthô  sindgûnâm ,  na- 
vis  vestra,  cœlo  amplior,  in  littore  marium  (est),  précédé  qu'il  est  par: 
â  nô  nâvâ  yâtam,  nos  nave  adite,  le  sens  de  vaisseau  convient  mieux. 
Un  gouvernail  grand  comme  le  ciel  occuperait  décidément  trop  de 
place. 

2  Dans  le  Cath  Maghleana,  édité  par  O'Curry,  je  trouve  le  datif 
plur.  arthraigibh,  rendu  par  :  to  the  vessels. 


—     239     — 

Gr.  Kccvêupoç,  espèce  de  bateau?  vase  à  boire,  etc. 

/)   Scr.  vâriratha,  radeau,  littér.  char  d'eau. 

Lat.  ratis,  id. 

Erse  ràth. 

Le  scr.  vahana  désigne  à  la  fois  un  char  et  un  bateau,  et 
de  vah,  vehere,  dérive  vahitra,  bateau,  comme  en  latin  vecto- 
riwn,  vaisseau  de  transport,  de  veho. 

g)  Scr.  bhasad,  radeau  et  canard  (Cf.  t.  I,  p.  489). 

Gr.  <pcL<j-rjXoç,  canot. 

h)  Pers.  kiraiv,  canot.  —  Cf.  karap,  kirep,  hereb ,  bateau, 
dans  plusieurs  dialectes  turcs   (Klaproth,  As.  Polyg.,  Atlas). 

Gr.  Kct,pa(icç  5  lat.  car  abus,  scapha  e  vimine  et  coria  (Isid., 
Glos.). 

Irl.  carbh,  vaisseau  et  char;  dimin.  cairbhin. 

Ane.  si.  korabï,  korablï,  navis,  russe  korablï,  pol.  et  bohém. 
korab. 

Lith.  korâblus,  id. 

L'origine  de  tous  ces  noms  n'est  peut-être  pas  la  même 
malgré  leur  ressemblance.  Miklosich  (Rad.  slov.,  p.  37)  rat- 
tache les  mots  slaves  à  kora,  cortex,  en  observant  que  le  boh. 
korab  a  les  deux  acceptions.  Cf.  le  scand.  barkr,  bateau,  barque, 
et  bôrkr,  écorce.1 

i)  Pers.  sal,  bateau,  radeau.  Cf.  scr.  cal,  sal,  sél,  vacillare, 
ire  (Dhâtup.). 

Lith.  sêla,  sêlis,  radeau  de  bois  flotté.  Cf.  selêti,  glisser  dou- 
cement, ramper. 

k)  Armén.  lasd,  vaisseau  (Orig.  ?). 


1  Le  russe  kôca,  bateau,  cymr.  cwch,  armor.  kôked,  irl.  coca,  anc. 
ail.  kocho,  id.  (mot  d'emprunt?),  rappellent  de  même  le  sansc.  éôéa, 
écorce,  armor.  koehen. 


—     240     —     . 

Tri.  leastar,  cymr.  llestr,  armor.  léstr,  vaisseau,  bateau,  vase. 
Cymr.  llest,  llyst.  vase. 

Quand  une  partie  seulement  de  ces  rapprochements  seraient 
fondés,  ils  prouveraient  déjà  que  les  anciens  Aryas  ont  pos- 
sédé plusieurs  espèces  de  bateaux,  radeaux,  etc. 

§  234.  LA  RAME  ET  LE  GOUVERNAIL. 

Les  noms  de  la  rame  présentent  des  affinités  remarquables 
dans  la  plupart  des  langues  ariennes,  mais  elles  ne  sont  pas 
encore  classées  d'une  manière  sûre,  et  il  reste  des  incertitudes 
sur  les  origines  étymologiques. 

1)  Le  scr.  aritra,  rame,  gouvernail,  et  probablement  aussi 
vaisseau,  a  été  rapporté  par  Kuhn,  ainsi  que  nous  l'avons  vu, 
à  la  rac.  ar)  dans  le  sens  de  lœdere^  scinder •#,  appliquée  plus 
tard  à  l'action  de  labourer,  ce  qui  l'a  conduit  à  comparer  ari- 
traavec  aratrum,  etc.  (Cf.  p.  119).  Le  D.  P.,  toutefois,  n'ad- 
met pas  cette  étymologie,  et  rattache  aritra  à  la  rac.  ar,  dans 
l'acception  d'inciter,  exciter,  mouvoir,  faire  aller,  d'autant 
plus  que,  comme  adjectif,  aritra  signifie  qui  fait  aller,  qui  met 
en  mouvement  (treibe?id),  ce  qui  s'applique  parfaitement  à  la 
rame,  mais  moins  bien  au  gouvernail,  et  point  du  tout  au 
vaisseau,  ni  à  la  charrue.  D'un  autre  côté,  il  est  certain  que  la 
rame  prend  quelquefois  les  noms  de  la  pelle  qui  laboure,  de 
sorte  qu'il  est  difficile  de  savoir  lequel  des  deux  sens  a  prévalu 
dans  l'origine.  Le  subst.  aritar,  rameur,  ne  décide  rien,  car 
il  a  pu  désigner  celui  qui  fait  aller  le  bateau,  propulsor,  ou 
celui  qui  laboure  les  eaux,  arator.  Seulement  il  fait  présumer 
que  la  racine  ar  a  été  employée  pour  exprimer  l'action  de 
ramer. 


—     241     — 

En  grec,  et  par  suite  de  sa  double  acception,  la  racine  en 
question  a  pris  aussi  une  double  forme,  savoir  ctp  pour  labourer, 
et  ip  pour  ramer.  Ainsi  iptryç  =  ipirrip,  rameur  =  sanscrit 
aritar,  se  distingue  nettement  de  dpoTVjp,  laboureur.  Toute- 
fois, le  v\pv\ç  des  composés  cifAQvjpqç,  qui  a  des  rames  de  deux 
côtés,  Tptripriç,  qui  a  trois  rangs  de  rames,  ctAiyjpyjç,  etc.,1  et 
mieux  encore  le  opoç  de  7rèVTy}KOVTopoç,  qui  a  cinquante  rames, 
offrent  des  variations  de  la  voyelle.  Le  verbe  i^ica'où,  içîTTO)y 
est  sans  doute  un  dénominatif.2  De  là  ipiT^oç,  rame,  lat.  rëmus, 
de  resmus. 

Je  crois  retrouver  encore  notre  racine  dans  7rpûûpa,,  la  proue, 
en  composition  avec  7rpo,  et  ici  le  sens  de  couper  et  de  labou- 
rer conviendrait  assurément  mieux  que  celui  de  faire  aller 
pour  la  proue  qui  fend  l'eau;  mais  peut-être  le  nom  n'exprime- 
t-il  que  le  simple  mouvement  en  avant.  Cf.  scr.  pra  -f-  ar, 
procedere. 

La  racine  simple  reparaît  dans  l'ang.-sax.  et  scand.  âr,  f. 
angl.  oar,  suéd.  ara,  dan.  aare,  rame  (  Cf.  gr.  qpviç),  thème 
primitif  ara,  fém.  Le  verbe  roivan,  auquel  je  reviendrai  tout 
à  l'heure,  semble  différent. 

En  irlandais,  nous  trouvons  ara,  action  de  ramer  (O'R., 
d'après  un  ancien  glossaire),  et  la  racine  verbale  est  con- 
servée dans  iom-raim,  pour  iom-araim,  je  rame,  d'où  iom- 
radh,  iom-ramh,  remigatio,  à  côté  de  l'erse  iom-airt,  id.,  de 
iom-air,  remiga,  à  l'impératif.5  Il  est  probable  d'après  cela 
que  l'irl.  rdmha,  erse  ramh,  d'où  râmliaim,  je  rame,  râmhaire, 

1  L'expression  de  xwV»  olxtyptiç  (Eurip.,  Hec,  455)  ne  peut  guère 
signifier  que  la  lame  qui  laboure  la  mer ,  et  non  qui  pousse  ou  fait 
aller. 

2  Cf.  Benfey,  Gr.  Wl,  II,  305. 

3  Le  préf.  iom,  anciennement  imm,  imb,  correspond  au  gaulois 
am&i,  au  germ.  umbi  et  au  grec  «V<£'- 

II  1G 


—     242 

rdmhadoir,  rameur,  a  perdu  un  a  initial,  et  n'a  pas  de  rapport 
direct  avec  le  latin  rêmus.1 

Par  contre,  c'est  probablement  du  latin  qu'est  provenu  le 
cymr.  rhwyf,  rame,  pour  rhwym  =  rêm,  d'après  les  mutations 
ordinaires  ;  corn.  rui/}  armor.  roéàv,  roév,  id.;  mais  à  la  rac. 
ar  appartiennent  sans  doute  l'anc.  corn,  airos,  armor.  aros, 
poupe,  et  l'anc.  irl.  erosse,  id.  (Z.2,  49,  1070),  peut-être  pro- 
prement gouvernail. 

Enfin,  le  lithuanien  nous  l'offre  encore,  sous  la  forme  de  ir, 
dans  irti  (irru),  ramer,  d'où  irklas,  rame,  irtojis,  irrëjas, 
rameur,  irrimas,  action  de  ramer,  etc.  Ce  ir  est  à  ar,  la- 
bourer (Cf.  irklas,  rame,  et  arklas,  charrue),  comme  le  grec 

if  à  ÛLf. 

En  résumé,  les  deux  racines,  malgré  leur  tendance  à  se 
séparer  quelquefois,  se  confondent  à  tel  point  dans  leurs  dé- 
rivés et  leurs  acceptions,  qu'il  est  bien  difficile  de  s'arrêter  à 
une  décision   étymologique.   Si  l'interprétation  de  Kuhn   a 
contre  elle  le  D.  P.,2  elle  a  pour  elle,  d'un  autre  côté,  l'appui 
plus   récent  de  Max   Mûller,   qui  l'adopte  tout  à  fait.0   On 
peut  alléguer  aussi  en  sa  faveur  l'analogie  de  plusieurs  autres 
noms  de  la  rame  qui  se  rattachent  à  la  notion  de  couper  et  de 
labourer.   Ainsi  le  grec  kûû7tyi^  de  kq7ttùù)  alban.   kupi  (  Cf.  le 
n°  5  des  noms  de  la  bêche,  p.  115),  le  russe  greboku,  greblo, 
rame,  anc.  si.  grepsti  (grebâ),  ramer,  grebeniie,  remigatio,  etc. 
=  grepsti,  sepelire,  c'est-à-dire  fodere,  d'où  grobïï,  fosse.  Cf. 
german.  graban,  etc.  Le  groupe  qui  suit  est  de  même  nature. 
2)  Il  faut,  je  crois,  séparer  tout  à  fait  de  la  racine  ar  l'ang.- 
sax.  réican  (reoiv,  reic),  scand.  rôa,  angl.  roiv,  remigare,  d'où 

1  Cf.  cependant  l'anc.  irl.  râm,  remus  (Stokes,  Hem.1,  26). 

2  Et  aussi  l'opinion  de  G.  Curtius,  Gr.  Et.3,  p.  319. 

3  Science  oflangitage,  p.  242. 


—     243     — 

ags.  rodhere,  redhra,  remus,  nauta,  rewele,  remigatio,  navi- 
gium,  scand.  rôdr,  remigatio,  rôdhr,  remus,  ancien  allemand 
ruodar,  id.,  etc.  La  ressemblance  apparente  de  ces  derniers 
termes  avec  le  sansc.  aritra,  dont  on  les  rapproche  ordinaire- 
ment, ne  provient  sans  doute  que  de  l'identité  du  suffixe  de 
dérivation,  car  on  ne  saurait  assimiler  Yi  bref  du  sanscrit,  qui 
n'est  qu'une  voyelle  de  jonction,  kYô,  uo  du  germanique,  qui 
appartient  sûrement  à  la  racine.  Cette  racine  me  paraît  être 
ru,  rû,  scindere,  d'où  nous  avons  vu  provenir  déjà  plusieurs 
noms  d'outils  aratoires  (Voy.p.  116).  Le  véritable  corrélatif  de 
rôdhr,  ruodar,  rude?*,  est  le  latin  rutrum,  qui  se  sépare  bien 
nettement  de  aratrum  et  de  aritra.  Je  compare  de  plus  le  pol. 
rudel,  gouvernail,  russe  rulï  (pour  rudlï),  lith.  rûdelis,  id.  (Cf. 
pol.  rydel,  russe  rytelï,  anc.  si.  rylo,  etc.,  pioche,  de  ryti,  fodere, 
1.  cit.  ),  auxquels  ressemble  singulièrement  le  cymr.  rliodl, 
rlwdol,  rame. 

Je  trouve  la  confirmation  de  ce  qui  précède  dans  un  second 
groupe  de  mots  qui  se  rattachent  probablement  à  la  forme 
sanscrite  lu,  scindere,  de  la  racine  rû  ou  ru.  En  cymrique,  le 
gouvernail  est  appelé  llyiv,  d'où  llyioydd,  ancien  corn,  leuuit, 
timonier  (  Z.2,  1070  ),  en  armor.  levier,  id.,  de  lévia,  ramer 
à  l'arrière  avec  une  seule  rame,  louvoyer  (mot  celtique).  Les 
bateliers  disent  couper,  pour  faire  dévier  l'esquif  avec  la 
rame  de  l'arrière.  On  peut  comparer  de  plus  le  lithuanien 
laiwas  et  lîitas,  lotas,  bateau  ou  petit  esquif,  en  tant  qu'il  fend 
l'eau. 

3  )  Le  persan  palah ,  le  plat  de  la  rame,  se  lie  aux  noms 
de  la  pelle  (p.  114  ).  Cf.  latin  pahnula,  cymr.  palf,  id.,  ainsi 
que  l'irland.-erse  failm,  gouvernail,  irl.  aussi  palmaire  etfal- 
madoir. 

Le  pers.  lâtû,  rame,  semble  avoir  perdu  un  p  initial,  si  l'on 


—     244     — 

compare  7t\cltv\,  ici.,  et  7rÀurvçt  plat,  large  =  scr.  prthu  et 
lat.  latus. 

§  235.  L'ANCRE. 

Les  langues  européennes  s'accordent  ici  presque  généra- 
lement, mais  cet  accord  ne  résulte  sans  doute  que  d'une 
transmission  du  grec  ayKvpct,  qui  signifie  proprement  un 
crochet.  Cf.  ctyx,oç,  ctyitvAoç,  etc.  Dans  ce  sens,  il  répond  au 
sanscrit  anka,  a?ikuça,  crochet,  de  anc,  curvare.1  Le  dérivé 
ankura,  coïncide  lettre  pour  lettre,  mais  ne  désigne  qu'un 
bourgeon,  un  rejeton,  une  tumeur,  etc.  Il  est  bien  à  croire 
que  quelque  terme  analogue  aura  été  appliqué  à  l'ancre 
dès  les  temps  les  plus  anciens,  mais  la  preuve  positive  fait 
défaut.  Je  ne  connais  même  aucun  nom  sanscrit  de  l'ancre, 
et  le  persan  ankar,  angar,  langar,  vient  très-probablement  du 
grec. 

Les  autres  noms  européens  sont  le  lat.  ancora,  l'anc.  irland. 
ingor  (  Z.2,  781  ),  mod.  ancoir,  accaire,  erse  acair,  acrach,  le 
cymr.  angor,  l'angl.-sax.  ancor,  ancra,  scand.  akkéri,  anc.  ail. 
ancher,  le  russe  iakôrï,  et  le  lith.  inkorus.  Quelques  noms  ori- 
ginaux, comme  le  cymr.  Jieor,  armor.  héôr,  éôr,  l'irland.  fos,  le 
scand.  stiôri,  l'anc.  ail.  senkil,  l'anc.  si.  kotva,  lith.  hâtas,  etc., 
prouvent  bien  que  les  peuples  du  Nord  n'ont  pas  reçu  des 
Grecs  ou  des  Romains  l'ancre  elle-même ,  mais  ils  sont 
d'ailleurs  fort  isolés. 

1  Sur  la  rac.  anc  et  ses  nombreux  dérivés,  cf.  Pott  (  WWb.,  3, 
119,  sqq.). 


—     245 


§  236.  OBSERVATIONS. 

Ainsi  que  je  l'ai  dit  plus  haut,  les  termes  qui  se  rapportent  à 
un  art  plus  avancé  de  la  navigation,  à  la  quille,  au  mât,  à  la 
voile,  etc.,  pour  autant  du  moins  qu'ils  sont  connus  en  sans- 
crit et  dans  les  langues  iraniennes,  n'offrent  aucun  rapport 
avec  leurs  synonymes  européens;  et  ceux-ci  même  diffèrent 
beaucoup  entre  eux  partout  où  ils  n'ont  pas  passé  d'un 
idiome  à  l'autre.1  Il  semble  bien,  d'après  cela,  que  les  anciens 
Aryas  n'ont  point  navigué  sur  la  mer,  mais  seulement  sur 
les  grands  fleuves  de  leur  pays,  l'Oxus ,  le  Jaxartes  et 
quelques-uns  de  leurs  affluents.  On  ne  saurait  cependant  en 
conclure  qu'ils  n'aient  eu  aucune  connaissance  de  la  mer  Cas- 
pienne avant  leur  dispersion.  Lors  même  qu'ils  se  seraient 
avancés  partiellement  sur  ses  rives,  comme  nous  le  croyons, 
rien  ne  les  aurait  stimulés  à  s'aventurer  au  large,  et  ils  ont  pu 
se  borner  à  l'emploi  de  simples  bateaux  à  rame  pour  la  pêche 
ou  la  navigation  côtière.  Ainsi,  les  preuves  diverses  que  j'ai 
réunies  au  Chap.  vi  de  cet  ouvrage  conservent  bien  toute  leur 
force. 

1  Le  latin  vëlum,  d'après  Curtius,  Gr.  .EL3,  182,  dérive  de  veho, 
comme  aussi  vexillum.  Cf.  sanscr.  vahala,  vaisseau  (douteux,  d'après 
D.  P),  et  le  slave  veslo,  rame.  De  là,  peut-être,  l'irland.  f  fiai  =vêl 
(Z.2,  21),  corn  f  guil,  mod.  goyl,  armor.  gwêl,  gwîl.  L'anc.  allem. 
segal,  scand.  segl,  ags.  segel,  angl.  sail,  etc.,  est  rapporté  de  même 
par  Fick  (891)  à  la  rac.  scr.  sah  (sagh),  tenir,  porter,  supporter,  d'un 
sens  analogue  à  vah.  Du  germanique  sont  provenus,  d'une  part  le 
lith.  zeglas,  pol.  zagiel,  de  l'autre,  l'irl.  seôl,  cymr.  huil,  hwyl  =  sêl. 
L'anc.  si.  vëtrilo,  de  vëtrï,  vent,  ne  se  lie  qu'indirectement  au  sansc. 
vâtapata,  toile  à  vent. 


24:6     — 


SECTION  VII. 


§  "131.  LA  GUERRE  ET  LES  ARMES. 

On  se  tromperait  fort  si  l'on  se  figurait  que  les  Aryas  pri- 
mitifs menaient,  au  sein  de  leurs  vallées,  une  existence  toute 
paisible,  livrés  uniquement  aux  soins  des  troupeaux  et  à  la 
culture  des  champs,  et  ne  faisant  usage  de  leurs  armes  que 
contre  les  animaux  de  la  forêt.  Tout  indique,  au  contraire, 
qu'ils  formaient  une  race  belliqueuse,  sans  cesse  en  lutte,  soit 
de  tribu  à  tribu,  quand  ils  eurent  pris  une  certaine  extension, 
soit  contre  les  peuples  étrangers  qui  les  entouraient  au  nord 
et  au  midi.  C'est  ce  que  l'on  pourrait  inférer  déjà  du  carac- 
tère essentiellement  guerrier  et  héroïque  que  toutes  les  nations 
de  sang  arien  ont  déployé  si  brillamment  dans  l'histoire;  mais 
c'est  ce  que  prouvent  plus  directement,  et  mieux  encore,  les 
termes  nombreux  qui  concernent  la  guerre  et  les  armes,  et  qui 
sont  restés  dans  les  diverses  langues  de  la  famille  comme 
autant  de  témoins  des  dispositions  belliqueuses  de  nos  pre- 
miers ancêtres. 

ARTICLE   i. 

§  238.  LA  GUERRE  EN  GÉNÉRAL,  LE  COMBAT,  L'ARMÉE. 

Les  termes  généraux  qui  présentent  des  affinités   plus   ou 
moins  étendues  sont  les  suivants  : 

1)   Sansc.  agi,  combat,  lutte  ;  âgikrt,  qui  lutte;  âgitur,  qui 


—     247     — 

triomphe  dans  le  combat,   âgipati,   maître  du  combat  ;  agma, 
agman,  combat,  expédition,  carrière.  Eac.  ag,  agere. 
Gr.  dydùVy  lutte,  àyti/tct ,  armée,  etc.  ;  de  dry  où. 
Lat.  agmen,  armée,  expédition,  marche  ;  de  ago.1 
Irl.  dgh,  bataille,  aghach,  belliqueux,  aighe,  vaillant.2 

2)  Scr.  hâra,  guerre,  combat;  praharana,  id.,  prahartar, 
combattant.  Bac.  hr,  har}  violenter  agere;  avec  pra-,  ferire, 
vim  inferre,  irruere,  avec  sam-pra,  pugnare. 

Pers.  â-zarm,  guerre,  bataille,  violence,  colère.  Cf.  zârîdan 
et  â-zurdan,  molester,  vexer,  troubler  (z  régulièrement  =  h). 
Cf.  zend  zar,  être  en  colère,  tourmenter,  zaranu,  colère 
(Justi). 

Gr.  %ctp^,  combat,  dans  Homère.  Hesychius  donne  %clùcl 
pour  opyrj,  colère,  ce  qui  correspond  au  sens  du  pers.  âzarm, 
ainsi  qu'à  celui  du  védique  hrni,  colère  (Naigh.,  II,  13),  d'où 
hrnîy,  iratum  esse.  Le  gr.  Xctp^oLy  joie,  de  %a,ipoùy  exprime 
d'une  autre  manière  un  mouvement  vif  de  l'esprit. 

Alban.  X6Pg'   guerre. 

Irland.  grim,  guerre,  combat ,  pour  girm  f  ==  %ot,pfjLvi, 
zarms* 

Lith.  zalna,  armée,  éalnërus,  soldat;  zal  pour  zar=  har  ; 
cf.  zalas,  vert,  et  scr.  hari,  id.,  etc. 

3)  Scr.  kâra,  kârana,  meurtre,  carnage;  rac.  kf,  kar,  occi- 
dere,  laedere. 

1  Stokes  [Rem.1,  10)  rapproche  de  agmen,  l'anc.  irl.  «m,  troupe, 
manus  (Z.,  Gr.  C2,  268).  Cf.  lat.  ex-âmen,  essaim,   pour  ex-agmen. 

2  O'Dav.,  GJ.,50,  aighe=  calma,  brave;  agh  =  indsaighed,  atta- 
que (ib.,  51).  Ici  aussi  l'irl.  âr,  cymr.  aer,  bataille,  carnage,  deagro, 
si  Zeuss,  Gr.  C.*,  17,  a  raison  d'y  rattacher  le  gaulois  Veragri. 

3  Mais  cf.  aussi  le  scr.  san-grâma,  bataille.  Ici,  directement,  avec 
g  =  h,  %i  le  goth.  gramjan,  scand.  gremia,  anc.  ail.  gremjan,  irri- 
ter, mettre  en  colère,  du  scand.  gramr,  grôm  (ags.  et  anc.  allemand 
gramj,  irrité,  hostile,  grcmi,  colère,  ail.  grimm,  etc. 


—     248     — 

Ane.  persan  kâra,  armée  ;  persan  mod.  kâr,  bataille,  kârî, 
champion,  combattant. 

Irl.  cear,  mort,  sang.  i 

Groth.  harjis,  armée,  ags.  hère,  scand.  lier,  ancien  ail.  hari, 
heri,  id.  Cf.  ags.  herian,  vastare,  scand.  heria,  arma  circum- 
ferre,  herian,  bellator,  anc.  ail.  heriôn,  etc. 

Litb.  haras,  guerre,  combat,  armée,  karône,  bataille,  ka- 
reiwis,  guerrier,  karauti,  combattre.  De  là  peut-être  kardlus, 
le  roi,  comme  chef  de  l'armée,  anc.  si.  kralï,  russe  korolï,  pol. 
krôl,  etc.  (Nesselmann,  Lith.  Wb.,  v.  c.) 

4)  Scr.  yuddha,  yudlima,  combat,  yudhâna,  yôdha,  yoddhar, 
guerrier,  âyudha,  arme,  etc.;  rac.  yudh,  certare. 

Pott  et  Benfey  comparent  \)0~^ivv\,  combat,  pour  vS-'juLivy}, 
le  spir.  asp.  remplaçant  l'y  (Et.  F.,  I,  252  ;  Gr.  Wl,  I,  680J. 
Benfey  conjecture  aussi  vtrcoçy  javelot,  de  vd-ioç. 

Irl.  iodhnach,  belliqueux,  iodhlan,  guerrier,  héros,  iodhan, 
lance,  iodhna,  armes.2  —  Ici ,  probablement ,  le  Iud  des  an- 
ciens noms  propres  cymriques  et  armoricains,  Iudnerth,  force 
du  combat,  ludri,  chef  de  bataille,  Iudbiu,  Iadnoe,  ludlowen, 
ïudivallon,  etc.  (Cf.  Zeuss,  passim.) 

On  a  comparé  l'ancien  allem.  gund,  ags.  yudh,  etc.,  bellum 
(Bopp,  GL,  v.  c);  mais,  outre  le  g  pour  Yy  (?),  les  dentales 
ne  correspondent  pas,  et  il  faudrait  gunt  et  gud.  Si  l'on  veut 
passer  sur  cette  anomalie,  on  rapprocherait  mieux  gund  du 
scr.  nir-gandhana,  carnage,  de  gandh,  bedere  (Dhâtup.). 

5)  Scr.  bhara,   bataille  (Naigh.,  II,  17).  —  Cf.  rac.  bhf, 


1  Ici  les  K»î/}£ç,  déesses  de  la  mort  dans  les  combats  ?  Cf.  wpxivw, 
(Hesych.),  nuire,  ruiner,  blesser. 

2  Iodhna,  armes  (O'Don.,  Gl.  ),  aussi  inna,  deidna,  et  îudna. 


-—     249     — 

vituperare  (Dhâtup.),  ou  zend  bere,  couper,  tailler,  Qapcà, 
fer io,  etc.1 

Pers.  barnûs,  armée  (?). 

Irl.  barn,  bataille,  baran,  guerrier,  baire,  baradh,  mort. 

Ang.-sax.  bearn,  guerrier. 

Lith.  bârnis,  bdrimas,  querelle,  dispute  ;  bdrti  (bâra),  gron- 
der, blâmer,  disputer.  Cf.  scr.  bhf ,  bhar,  vituperare. 

Ane.  si.  brati,  boriti,  pugnare,  bremï,  bellum,  borïba,  certa- 
men,  borïtelï,borïtsï,  certator;  russe  borôtï,  combattre,  vaincre? 
brarii,  guerre,  querelle,  dispute,  etc.,  etc. 

6)  Sanscr.  unmâtha,  pramâtha,  pramathana,  carnage, 
meurtre  ;  rac.  math,  manth,  agitare,  avec  ud  et  pra,  ferire, 
occidere. 

Gr.  fJLQ&oç,  bataille,  tumulte  du  combat. 

7)  Scr.  sprdh,  sprdha,  combat  ;  rac.  sprdh,  spardh,  con- 
tendere,  pugnare,  semulari.  Cf.  lithuan.  sprauditi,  sprausti, 
pousser,  presser. 

Grec  7Tèf)S-ûô,  détraire,  ravager,  7riû(nçy  destruction,  «t- 
Trif&ûû,  expugno  (Cf.  Kuhn,  Z.  S.,  IV,  13). 

Goth.  spaurds,  carrière,  ags.  spyrd,  anc.  allem.  spurt,  etc. 
Proprement,  lutte,  comme  en  sansc.  agi,  carrière  et  combat. 

8)  Scr.  badha,  bandhana,  carnage,  meurtre  ;  badhatra, 
arme,  rac.  badh,  bâdh,  ferire. 

Irl.  béd,  béad,  béud,  dommage,  mal  ;  de  bend,  à  cause  du  d 
non  aspiré. 

Anglo-saxon  beado,beadu,  -dote,  combat,  guerre,  carnage  ; 
scand.  bôd,  pugna,  bôdvarr,  pugnax,  bôdull,  bôdill ,  carnifex. 

9)  Scr.  varaka,  bataille;  rac.  vr,  var,  defendere,  tegere.  Cf. 
vâraka,  défense,  obstacle,  vârana,  résistance,  défense,  etc. 

1  Le  D.  P.  explique  bhara,  par  das  anpacken,  l'action  de  saisir,  de 
la  rac.  bhar,  portenir,  emporter,  agir  avec  violence. 


—     250     — 

Irl.  forn,  foirn,  combat.  —  Cî.foirim,  assister,  secourir,/^, 
défense,  forach,  lutte. 

Ang.-sax.  waer,  guerre,  angl.  war.  —  Cf.  goth.  varjan,  ags. 
waerian,  defendere,  etc. 

10)  Scr.  ru,  guerre,  combat;  proprement  bruit  =  rava, 
ravana;  rac.  ru,  rudere,  clamare.1 

Irl.  rae,  bataille  2  =  rava;  cymr,  rhae,  id. 
Ane.  si.  rïïvariï,  pugna,  rïvaniie,  mugitus.  Cf.  riuti  (rêva), 
mugire  ;  russe  revu,  reviénie,  mugissement,  etc. 

11)  Scr.  khaga,  combat;  rac.  khag,  commovere,  agitare. 
Cf.  khanga,  épée,  cimeterre. 

Irl.  cogairn,  combattre,  t  cogad  (Corm.,  GL,  44),  moderne 
cogadh,  guerre,  cogach,  cogamhuil,  belliqueux,  coigne,  lance.  Le 
g  non  aspiré  indique,  comme  forme  primitive,  cong  =  sansc. 
khang,  avec  le  sens  analogue  de  claudicare  (agitare).5 

12)  Scr.  râti,  guerre,  combat;  rac.  rat,  mugire,  ululare. 
Ane.  si.  et  russe  ratï,  guerre,  ratïnu,  belliqueux,  etc.;  reti, 

contention,  lutte,  retiti,  lutter.4 

1  Cf.  scr.  tumula,  bruit  confus,  et  bataille,  lat.  tumultus,  et  scr. 
rana,  bruit  et  combat. 

2  f  Rôe,  combat  (S.  M.,  I,  250). 

3  Cf.  Cogidunus  f-dumnus?),  rex  Britanniaî  (Tacit.,  Agricola,i4:; 
Orelli,  1338),  c'est-à-dire  grand  à  la  guerre  (Gluck,  Kelt.  IV.,  74); 
mais  aussi,  avec  la  nasale,  Congé  (Duchal.,  494),  Congi,  man.  fig. 
(Roach  Smith  Catal.,  42),  Congi di as,  insc.  à  Modène  (Longperrier) . 

4  J'ajoute  encore  ici  le  scr.  sênâ,  troupe  en  ordre,  armée,  sans 
doute  de  si,  lier,  comme  le  zend  haêna,  anc.  pers.  hainâ,  arménien 
hên,  armée,  de  hi  =  si  (Justi,  312).  Ce  mot  ne  se  retrouve,  à  ma  con- 
naissance, que  dans  le  cymr.  hain,  avec  le  sens  de  troupe  nombreuse 
et  d'essaim,  d'où  heiniaw,  essaimer.  Cf.  pour  le  sens  examen,  de  ex- 
agmen.  A  la  même  racine  hi,  si,  se  rattache  le  cymr.  haid,  armor. 
Iiëd,  essaim,  troupe,  ainsi  que  l'irl.  f  saithe,  multitude,  essaim 
d'abeilles  (O'Dav.^  GL,  116,  et  O'Don.,  GL),  dans  O'R.  aussi  armée. 
Cf.  scr.  sêtu,  lien,  connexion,  puis  digue,  pont,  zend  haêtu. 


—     251     — 

Dans  les  rapprochements  qui  précèdent,  et  qui,  malgré  leur 
nombre,  ne  sont  sûrement  pas  complets,  j'ai  laissé  de  côté  plu- 
sieurs termes  européens  qui  paraissent 'avoir  une  origine  com- 
mune, et  trouver  leur  racine  en  sanscrit.  Ainsi  le  cymr.  bel, 
beli,  guerre,  ravage,  bêla,  combattre,  belu,  ravager,  dévaster, 
l'irl.  bal,  combat.  Si  l'on  compare  le  cymr.  bala,  peste,  le  goth. 
balveins,  tourment,  ags.  balew,  balo,  exitium,  malum,  scand. 
bôlv,  bol,  calamitas,  anc.  ail.  palo,  pernicies,  pestis,  J'anc.  si. 
bolï,  aegrotus,  bolestï,  morbus,  bolieti,  cruciari  doloribus,  etc.  ; 
si  l'on  remonte  de  là  au  persan  bala,  violence,  mal,  on  est 
conduit  à  la  rac.  scr.  bhal  ou  bhall,  ferire,  occidere  (Dbâtup.). 
Un  autre  exemple  est  le  grec  ftcLxfly  bataille,  de  fict^of^cci, 
auquel  répond  l'irl.  machair,  combat,  et  dont  le  sens  primitif, 
conservé  par  le  latin  7nacto,  se  retrouve  dans  le  sansc.  védique 
mah,  caedere,  mactare  (Westerg.).  Cf.  maha  et  makha,  immo- 
lation, sacrifice,  et,  sur  ces  mots,  Kuhn,  Z.  S.,  IV,  19,  21J 
Quelques  cas  analogues  se  présenteront  encore  incidemment 
dans  les  articles  qui  suivent.2 

1  Toutefois  le  D.  P.  ne  donne  à  mah  que  les  acceptions  de  réjouir, 
vivifier,  exciter,  honorer,  célébrer,  d'où  maha,  solennité,  fête,  sacri- 
fice =  mahas  et  makha,  comme  adj.,  joyeux,  vif;  et  comme  subst., 
sacrifice,  mais  non  immolation.  Reste  l'affinité  des  termes  européens 
entre  eux.  Cf.  Curtius,  Gr.  Et.3,  305,  et,  plus  loin,  l'un  des  noms  de 
l'épée,  n°6. 

2  Un  exemple  de  ce  genre  se  présente  dans  l'irland.  cath,  bataille, 
cymr.  f  cat,  mod.  cad,  le  gaulois  Catu-  des  noms  d'hommes  (Cf. 
Z.2,  4,  37,  81).  C'est  là  exactement  l'anc.  ail.  hadu,  ags.  headhu, 
guerre,  combat,  goth.  *  kathu.  Leur  racine  commune  ne  se  trouve 
que  dans  le  scr.  çat,  de  kat,  abattre,  renverser,  disperser,  ni-çat, 
frapper,  abattre,  vi-çat,  briser,  mettre  en  pièces,  etc.  Cf.  çatêra, 
çatru,  ennemi,  çâtana,  -tin,  qui  détruit,  zend  çâtar,  ennemi,  tyran. 
Fick  (29)  compare  aussi  jcotcç,  haine,  colère,  et  ailleurs  (Spracheinh. 
422)  le  nom  propre  thrace  et  phrygien  Kôtvç,  guerrier,  combattant,  et 
Kôrvç,  comme  déesse  de  la  guerre.  J'ajouterai  que  Katu  est  aussi  un 
nom  d'homme  en  zend  (Justi,  77), 


252 


§  239.  LA  GUERRE  DES  SIÈGES ,  LE  REMPART, 
LA  FORTERESSE. 


Il  est  certain  que  les  Aryas,  au  temps  de  l'unité,  n'étaient 
pas  disséminés  à  la  façon  des  races  nomades,  et  qu'ils  avaient 
non-seulement  des  demeures  fixes,  mais  des  centres  perma- 
nents de  population,  des  villages  et  des  villes,  ce  dont  nous 
verrons  plus  tard  les  preuves  positives.  Dès  lors,  et  comme 
ces  centres  de  population  devaient  se  trouver  exposés  aux  ha- 
sards de  la  guerre,  il  est  à  présumer  qu'ils  étaient  protégés 
par  des  enceintes  susceptibles  d'une  certaine  défense,  si  ce 
n'est  par  de  fortes  murailles,  et  que  l'art  de  l'attaque  et  de  la 
défense  pouvait  bien  avoir  pris  ses  premiers  développements. 
On  remarque,  en  effet,  une  analogie  si  générale  entre  les 
termes  qui  désignent  l'opération  d'assiéger,  que  le  fait  d'une 
pratique  ancienne  des  sièges  ne  saurait  être  contesté. 

Les  termes  en  question  se  rattachent  presque  partout  à  la 
rac.  sad,  sedere,  en  combinaison  avec  divers  préfixes.  Ainsi  : 

Scr.  upasad,  upasada,  siège  de  ville,  de  upa  +  sad,  pro- 
prement considère. 

Gr.  7rpo<rKct,3-èÇoiu,cti,7ripMet3-iÇofÀ,6tiy  assiéger,  7rtptKct3-y](riçi 
siège;  de  ttçqç  ou  TTipi  +  kcctcù  +  tÇoTrctiy  rac.  iiï  —  sad. 

Lat.  obsideo,  assiéger,  obsidium,  obsidio,  obsessio,  siège. 

Irl.  iomsuidhe,  siège,  de  iom,  hum,  imb  -f-  suidhim.  Cymr. 
sawd  =  sad,  siège. 

Ang.-sax.  ymbsittan,  assiéger,  anc.  ail.  umbisizan,  id.  — 
Ags.  ymbsety  anc.  allem.  umbisez,  bisezida,  siège,  hari-sezza, 
siège  d'armée. 

Lith.  apsédëti,  assiéger. 


—     253     — 

Ane.  si.  obûsesti,  id.,  obûsèdeniie,  siège;  russe  obsiesti,  pod- 
siesti,  assiéger,  osajdenïe,  osàda,  illyr.  obsieda,  siège,  etc. 

Un  accord  aussi  complet  ne  saurait  être  attribué  au  déve- 
loppement propre  de  chaque  langue,  bien  que  la  racine  sad 
soit  restée  partout  en  usage.  Le  sens  de  cette  racine,  en  effet, 
n'a  pas  un  rapport  nécessaire  avec  l'opération  d'assiéger,  qui 
aurait  pu  s'exprimer,  et  qui  s'exprime  réellement  de  plusieurs 
manières  différentes.  On  doit  en  conclure  que  les  anciens 
Aryas  ont  fait  et  soutenu  des  sièges,  et  que,  par  conséquent, 
ils  ont  eu  des  places  susceptibles  de  défense. 

2)  Quant  aux  noms  de  la  forteresse ,  du  rempart,  du  mur 
d'enceinte,  etc.,  je  me  borne  à  indiquer  les  analogies  suivantes, 
sans  vouloir  les  garantir  de  tout  point. 

a)  Scr.  kalatra,  forteresse,  peut-être  de  kal,  dans  le  sens 
de  tenere,  ligare,  firmare,  munire  (D.  P.). 

Pers.   kalât,    kalâtah,    château  fortifié    sur   une  hauteur; 
kourde  kalâ,  id.  ;  ossète  galoan,  forteresse. 
Alban.  kaljà,  id.;  illyr.  kula. 
Irl.  caladh,  caleith,  port,  havre,  comme  lieu  protégé  (?). 

b)  Scr.  varana,  mur  extérieur,  enceinte,  âvarana,  rempart 
(wall,  outer  bar.  Wils.),  en  général  protection,  et  tout  ce  qui 
protège  ;  de  var,  vr,  tegere,  circumdare. 

Zend  vara,  vare,  locus  circumseptus;  pers.  bar,  bârah,rem- 
part,  fortification,  bârû,  id.,  tour. 

Lat.  vallum,  rempart;  peut-être  de  vahium,  comme  vellus 
de  velnus  (p.  31).  Cf.  scr.  val,  vall,  tegi  (Dhâtup.),  de  var,  et 
valaya,  enceinte. 

Irland.  fâl,  id.,  enceinte ;fâlaim,  enclore,  entourer;  cymr. 
givàl,  id.  Cf.  irl.  balla,  rempart,  et  batte,  ville. 

Ancien  allem.  wari,  weri,  rempart,  etc.;  de  ivarjan,  etc., 
defendere. 


—     254     — 

Ang.-sax.  weall,  wall,  mur,  ail.  ivall,  rempart. 
Pol.  waroivnia,  forteresse;  waroivaé,  fortifier. 
Lith.  wâlinaSj  ivôlas,  mur. 

c)  Persan  bast,  mur;  de  bastan,  lier,  enfermer;  racine  bad, 
band.  —  Kourde  beden,  mur  de  ville;  armén.  badnêsh,  baduar, 
mur,  rempart. 

Irl.  badhon,  rempart,  boulevard  (?).  O'R. 

d)  Pers.  daz,  diz,  forteresse.  Cf.  rac.  sanscr.  dagh,  dangh, 
tegere,  protegere  (Dhâtup.).  Le  z  persan  pour  gh,  h,  sanscrit. 

Cette  racine,  qui  n'est  pas  encore  constatée,  et  qui  n'offre, 
en  sanscrit,  aucun  dérivé  connu,  se  retrouve  cependant  en 
lithuanien,  où  dengti  signifie  couvrir,  denga,  couverture,  dangtis, 
toit,  dangùs,  ciel,  etc. 

Irl.  daingean,  fort,  fortification  ;  anc.  irl.  daingnigim,  mœnio 
(Z.2,  435). 

é)  Grr.  7rvpyoç,  tour;  macéd.  (ivpyoç. 

Goth.  baurgs,  place  fortifiée,  ville,  ags.  burh,  id.,  beorh, 
rempart,  scand.  borg,  anc.  ail.  punie,  etc. 

Irl.  briïgh,  forteresse,  bourg,  palais,  etc. 

L'origine  première  de  ces  noms  est  d'autant  plus  incertaine 
que  l'on  trouve  en  arabe  burg,  pour  forteresse,  tour,  château, 
rempart,  bastion.  Serait-ce  là  un  nom  emprunté  à  l'Europe, 
et  par  quelle  voie  ? 

§  240.  LE  GUERRIER,  LE  HÉROS. 

1)  Parmi  les  noms  du  guerrier  qui  ne  se  rattachent  pas 
directement  à  ceux  de  la  guerre  et  du  combat,  il  en  est  un  qui 
semble  jeter  quelque  jour  sur  l'ancienne  manière  de  combattre, 
et  qui  mérite  une  attention  particulière.  C'est  le  sanscr.  sâdi, 


—     255     — 

sâdin,  guerrier, plus  spécialement  celui  qui  combat  à  cheval  ou 
sur  un  char,  c'est-à-dire  qui  est  assis,  de  sad,  sedere,  par  oppo- 
sition au  fantassin,  padaga,  padga,  padâta,  qui  va  à  pied,  de 
pad,  pada  -f-  garni  ou  at,  ire.1 

En  anc.  slave,  le  cavalier  est  appelé  de  même  vïïsadïnû,  vû- 
sadtniku,  russe  vsadniku,  de  vû-siedati,  conscendere,  monter  à 
cheval  ou  en  char,  littér.  s'asseoir  sur.2 

L'irl.  suidh,  erse  saoidh,  guerrier,  héros,  est  également  à 
suidhim,  sedeo,  sad,  dans  un  rapport  qui  serait  resté  incom- 
pris sans  les  rapprochements  ci-dessus.  Il  en  est  peut-être  de 
même  du  cymr.  sawdwr,  guerrier  (=  sâdivr),  bien  qu'il  se  soit 
éloigné  de  seddu,  être  assis,  parce  que  son  sens  primitif  était 
oublié.  Cf.  saivd,  siège  (Owen),  sodi,  placer,  fixer.  La  circons- 
tance que  les  chars  de  guerre  étaient  en  usage  chez  les  Bre- 
tons du  temps  de  César,  et  les  anciens  Gaëïs,  aussi  bien  que 
chez  les  Indiens,  les  Iraniens  et  les  Grecs  homériques,  peut 
expliquer  la  conservation  de  ce  nom,  qui  paraît  ainsi  remonter 
jusqu'à  l'époque  de  l'unité,  ainsi  que  la  manière  de  combattre 
à  laquelle  il  se  rattache.5 

1  Aussi  patti,  padika.  Cf.  gr.  TriÇôv,  TreÇiyôv,  infanterie,  oi  nsÇoi,  lat. 
pedites,  cymr.  peddyd,  etc. 

2  Cf.  russe  siadlo,  pol.  siodlo,  illyr.  sedlo,  selle,  lat.  sella,  de  sedla; 
ags.  sadel,  scand.  sôdal,  anc.  ail.  sattul,  peut-être  du  slave,  à  cause 
de  l'irrégularité  du  d,  t  pour  d. 

3  Pour  les  anciens  noms  du  char,  cf.  §  200.  —  En  zend,  le  guerrier 
est  appelé  rathaêstar,  in  curru  stans,  comme  en  sanscrit  rathêshthâ- 
Cf.  savyêshthar,  ou  -shthâ,  le  cocher  qui  se  tient  à  gauche,  pour 
laisser  au  guerrier  le  libre  usage  de  sa  main  droite.  Quelques  noms 
de  la  bride  et  du  mors  prouvent  que  l'art  de  conduire  les  chevaux 
était  connu  des  anciens  Aryas.  Ainsi  le  scr.  khâlîna,  mors,  se  retrouve 
dans  le  grec  %a\mç,  mors  et  bride.  Au  persan  kâmah,  gâm,  bride, 
répond  le  grec  xaVo?,  latin  camus,  mors,  anc.  ail.  chamo,  id.,  lith. 
hamanôs  (plur.),  rênes.  —  L'irl.  cab,  mors,  de  camb,  rappelle  l'ar- 
ménien gab,  bride;  cf.  scr.  gambha,  gueule,  en  irl.  gob,  etc. 


—     256     — 

2)  Le  scr.  vira,  héros,  guerrier,  comme  adj.,  fort,  puissant, 
d'où  virya,  vîratâ,  force,  vigueur,  héroïsme,  vâira,  prouesse, 
valeur,  vâirin,  héros,  etc.,  dérive  sans  doute  de  vr,  var,  arcere, 
tegere,  sustentare,  d'où,  plus  haut,  un  des  noms  de  la  guerre 
(n°  9).1  Le  héros  était  le  défenseur,  le  protecteur,  et  tel  est 
aussi  le  sens  de  l'ang.-sax.  haeledh,  anc.  ail.  helid,  mod.  held, 
de  helan,  tegere. 

On  a  rapproché  depuis  longtemps,  soit  de  vira,  soit  mieux 
de  vara,  lelat.  vir,  goth.  vairs,  lith.  ivyras,  anc.  ir\.  fer,  cymr. 
gwr  (pi.  gwyr\  etc.  Pott  et  Benfey  comparent  également 
comme  provenu  du  moins  de  la  même  rac.  var,  le  grec  ripaç, 
-ooç,  pour  Ftipoç,  forme  renforcée  par  guna  et  pourvue  d'un 
autre  suffixe  (mais  lequel?).2  A  l'appui  de  cette  conjecture, on 
peut  citer  le  cymr.  gwawr,  héros  =  gwâr,  qui  suppose  un 
thème  primitif  vâra.  Cf.  scr.  vâraka,  défenseur,  vârana,  dé- 
fense, et  le  cymr.  gwara,  -red,  défendre,  garder,  etc. 

3)  Le  scr.  çûra,  héros,  lion,  sanglier,  signifie  proprement 
ferme,  fort  ;  de  là  çûratâ,  fortitude.  Zend  çûra,  fort.  Cf.  rac. 
çûr,  firmum  esse  (Dhâtup.),  aussi  çûray,  dénomin.5 

Ici  le  gr.  xvpioç,  maître  ,  seigneur,  xvpcç,  puissance,  pou- 
voir, d'où  xvpoct),   fortifier,  etc. 

Puis,  mieux  en  accord  avec  le  sens  spécial  du  sanscrit,  l'irl. 
curadh,  erse  curaidh,  curach,  héros,  guerrier,  curanta,  vaillant, 
curantachd,  vaillance.  Cf.  cur,  puissance,  force.  —  Le  cymr. 
cawr,  homme  fort,  géant,  serait  comparable,  si  la  diphthongue 

1  D'après  D.  P.,  vira  proviendrait  de  la  même  racine  que  vayas, 
force.  Est-ce  tn,  dans  le  sens  de  saisir,  entreprendre,  attaquer,  ou  bien 
exciter,  pousser? 

2  Et.  F.,  I,  221  ;  Gr.  Wl.,  I,  316. 

3  Suivant  D.  P.,  à  la  rac.  çû,  dominer,  être  vainqueur  ;  zend  eu, 
être  fort  (Justi,  295). 


—     257     — 

aw  (au)  ne  représente  pas  ici,  comme  dans  la  règle,  un  a  pri- 
mitif. 

4)  C'est  également  à  la  notion  de  force  que  se  rattache  un 
nom  germanique  et  celtique  du  guerrier  et  du  héros  qui 
remonte  sans  doute  à  l'époque  la  plus  ancienne. 

L'anglo-saxon  secg,  scand.  seggr}  vir  fortis,  miles  strenuus, 
illustris  (Cf.  segi,  pulpa  nervosa,  seigr,  firmus,  seigia,  firmitas), 
se  lie  à  la  même  racine  que  le  goth.  sigis,  ags.  sige,  sege, 
sigor,  scand.  sigr,  sigur,  anc.  ail.  sigi,  sigu,  victoire.  Comme 
Aufrecht  l'a  montré  dans  un  article  plein  de  développements 
intéressants  (Z.  S.,  I,  355),  cette  racine  a  été  conservée  par 
le  scr.  sah,  sustinere,  perferre,  resistere  hosti,  vincere,  d'où 
saha,  sahas,  force,  exactement  le  goth.  sigis  et  le  vêd.  sahuri, 
victorieux,  en  ang.-sax.  sigora.1 

Un  autre  dérivé  sanscrit,  sahana,  fort,  trouve  son  corrélatif 
dans  l'irland.  séighion,  guerrier,  héros,  tandis  qu'à  salia,  fort, 
se  rattache  le  nom  de  l'urus  ou  buffle,  segh,  et  celui  du  fau- 
con, séigh,  l'oiseau  fort.  Gluck  compare  avec  raison  le  Sego 
de  plusieurs  noms  d'hommes  et  de  lieux  gaulois,  tels  que  Sego- 
maruSj  Segobodium^  Segobriga,  Segodunum,  etc.,  ainsi  que 
Sigo  dans  Sigovesus.%  Dans  la  chronique  irlandaise  des  IV  Ma- 
gist.  (p.  219,  492),  on  trouve  les  noms  propres  Segan  et 
Segonan. 

5)  J'ajoute  encore  comme  possible,  mais  incertaine  à  cause 

1  De  la  rac.  scr.  darsh,  être  hardi,  courageux,  au  causât,  darshay, 
violenter  agere,  surmonter,  dompter,  vaincre,  d'où  durdarsha,  dif- 
ficile à  vaincre,  vient  aussi  adrshya,  adrshta,  invincible.  —  Gluck 
{NeueJahrb.,  1864,  p.  600)  en  rapproche  'Av£paVr»j,  la  déesse  britan- 
nique de  la  victoire.  Cf.  cymr.  andras,  espèce  de  démon  (Owen). 
Pour  les  autres  affinités  européennes  de  darsh,  voy.  Curtius,  Gr.  Et.3, 
241,  et  Fick,  99. 

2  Gluck,  Die  kelt.  Namen  bei  Cœsar,  p.  152. 

Il  n 


—     258     — 

de  son  isolement,  la  comparaison  du  scr.  ûrdara,  héros,  d'ori- 
gine inconnue,  avecl'irland.  ordlach,  id.,  c'est-à-dire  vaillant, 
de  ord,  gén.  uird,  id.1 


§  24) .  L'ESPION. 

La  ruse,  aussi  bien  que  la  force,  jouait  son  rôle  à  la  guerre 
aux  temps  les  plus  anciens,  et  l'espion  avait  déjà  pour  office 
de  scruter  les  desseins  de  l'ennemi.  C'est  ce  que  prouve  un  de 
ses  noms  qui  est  resté  en  usage  en  sanscrit  comme  dans  plu- 
sieurs langues  européennes. 

Le  sansc.  spaça,  espion,  émissaire,  agent  secret,  vient  de 
spaç,  proprement  tangere,  puis  (d'après  Wilson)  informer, 
rendre  clair,  évident,  d'où  spashta,  manifeste,  évident,  comme 
nous  disons  ce  qui  se  touche  au  doigt.2  La  forme  paç,  qui  y 
tient  de  près,  a  pris  le  sens  de  voir,  et  fournit  quelques  temps 
à  la  racine  irrégulière  drç,  videre. 

En  grec,  spaç  devient  <tk,17T,  par  inversion  pour  Œ7riK\ 
<rKi7TT0[A,cu,  considérer,  regarder  au  loin,  et,  à  spaça,  répond 
<rx,o7roç,  espion,  gardien,  d'où  a"K07nct),  épier,  surveiller,  etc. 

Le  corrélatif  latin  spex  ne  s'emploie  qu'en  composition  dans 
auspex,  haruspex,  etc.,  et  le  nom  de  l'espion,  speculator,  se 
rattache  à  speculari,  de  spécula,  et  de  specio,  specto. 

L'anc.  allemand  spehari,  espion,  speha,  exploration,  spêhon, 
épier,  spahi,  circonspect,  sage,  spahida,  sagesse,  prudence  ; 
Scandinave   spâ ,    vaticinari ,    vaticinium ,    spakr  ,  prudens , 

1  Dans  Corm.,  GL,  132,  ordlach,  de  ord,  brave,  mais  avec  un?  de 
Stokes. 

2  Ajouter  le  zend  spaç,  espion,  de  spaç,  voir,  observer,  veiller  sur; 
armén.  çpaç,  pers.  çipâç  (Justi,  303). 


—     259     — 

sapiens,  etc.,  font   présumer   un  verbe   goth.  spaihan,  spali, 
spêhun,  qui  manque  dans  Ulphilas.1 

C'est  du  germanique  sans  doute  qu'est  provenu  l'italien 
spia,  espag.  espia,  notre  espie,  espion,  anglais  spy,  ainsi  que  le 
cymr.  yspiwr,  armor.  spier  (Cf.  spî,  observation,  affût,  spia, 
cymr.  yspeiaiv,  épier),  et  l'irl.-erse  spin,  espion ,  tandis  que  le 
cymr.  peithiwr,  de  peithiaw,  yspeithiaw,  paith,  vue,  aspect,  se 
rattache  au  latin  specto. 

L'irlandais,  qui  conserve  rarement  un  p  initial,  lequel  dis- 
parait ou  se  change  parfois  en  /  ou  en  b,  semble  avoir  con- 
servé la  racine  paç  dans  féachaim,  voir,  à  l'impératif  féach, 
féuch,  vois!  =  scr. paçya,  à' ou  féich,  vision, féachdin,  aspect, 
féachadôir,  voyant,  devin  ; 2  mais  on  trouve  aussi  une  forme 
avec  b,  d'où  beacht,  observation,  perception,  beachdaim,  con- 
sidérer, et,  surtout,  beaclitôir,  erse  beachdair,  espion,  lequel 
serait,  en  sanscrit,  pashtar,  pour  paçtar  et  paktar. 

Je  ne  sais  si  le  pol.  szpieg  et  le  lith.  spëgas,  espion,  sont  in- 
digènes ou  empruntés  au  germanique. 

§  242.  L'ENNEMI. 

1)  Le  plus  important  des  anciens  noms  de  l'ennemi  est  le 
sansc.  dasyu,  le  destructeur,  le  méchant,  le  barbare,  le  bri- 
gand, épithète  ordinaire  du  démon  Vrtra,  l'ennemi  par  ex- 
cellence. La  racine  est  dâs  =  das,  occidere ,  ferire,  laedere 
(Dhâtup.),  d'où  dasra,  dasma,  destructeur,  brigand,  le  vêd. 
dâsa,  démon,  barbare,  etc. 

1  Grimm,  D.  Gr.,  II,  53.  Ulphilas  (Marc,  6,  27)  emploie  pour  espion 
le  mot  étranger  spaikulatur,  du  latin. 

2  L'anc.  irland.  faicim,  qui  n'aspire  pas  le  c,  ainsi  que  l'observe 
Stokes^/r.  Glos.,  149),  serait-il  pour  faictim  =  specto  ? 


—     260     — 

En  zend,  on  retrouve  clahma  =  da&ma,  avec  le  même  sens 
de  destructeur,  et  dahâka,  le  Zôhah  des  traditions  persanes, 
est  le  surnom  du  serpent  créé  par  Ahriman.1  Le  scr.  dasyu, 
par  contre,  est  devenu  daqyu  et  danhu,  par  suite  des  mutations 
phoniques  propres  au  zend,  et  a  pris  l'acception  très-diver- 
gente de  province.  Il  est  probable,  comme  le  pense  Burnouf, 
que  ce  nom  a  désigné  dans  l'origine  une  contrée  ennemie  et 
barbare,  devenue  tributaire  des  Iraniens.2 

Un  corrélatif  de  dasyu  a  été  reconnu  par  Kuhn  dans 
l'adjectif  grec  Svfioç^  Sdïoç,  ennemi,  pour  Syjtrioç,  avec  le  <r  sup- 
primé, comme  à  l'ordinaire,  entre  deux  voyelles  (Ind.  Stud., 
I,  337).3 

Je  crois  pouvoir  en  signaler  un  second  dans  l'irlandais  et 
erse  daoi,  homme  méchant,  pervers,  insensé,  animal  féroce, 
plus  anciennement,  sans  doute,  dai,  la  triphthongue  aoi  étant 
moderne,  et  provenu  de  dasi  par  la  même  règle  de  suppression 
de  Ys  qu'en  grec. 

Ce  qui  donne  à  ces  rapprochements  un  intérêt  particulier, 
c'est  que  cet  ancien  nom  de  l'ennemi  paraît  aussi  avoir  été 
celui  de  l'esclave,  d'où  il  résulterait  que  ce  dernier  était  l'en- 
nemi vaincu,  le  prisonnier  de  guerre.  En  sanscrit,  en  effet, 
l'esclave  est  appelé  dâsa,  au  fém.  dâsî,  c'est-à-dire  le  barbare, 
comme  dasyu  et  dâsa.  De  là  dâsya,  dâsatva,  esclavage,  etc. 
C'est  le  persan  dâh,  serviteur,  servante,  et,  comme  adjectif, 
bas,  vil,  ignoble. 

i  Zend  dahma,  de  dah,  détruire,  ruiner,  nuire;  dahaka,  malfaisant 
(Justi,  150). 

2  Burnouf,  Comment,  sur  le  Yaçna,  p.  110,  note.  —  Lassen,  Ind. 
AU.,  I,  524,  compare  le  dahyu,  province,  des  inscriptions  de  Persé- 
polis.  Cf.  Justi,  145. 

3  De  môme  Max  Muller  (Z.  S.,  5,  151).  Cf.  le  phrygien  àa'oç,  loup, 
pour  iïoco-oç  (?). 


—     261     — 

Pott,  le  premier  {Et.  F.,  I,  189),  a  interprété  le  grec  §i<r- 
7roTYiç  comme  maître  des  esclaves,  ce  qui  serait,  en  sanscrit, 
dâsapati,  et  Kuhn,  qui  adopte  ce  rapprochement,  l'appuie  en 
comparant,  avec  iïi<T7roivct,  pour  Siom7roTVtu,  le  vêd.  dâsapatnî, 
malgré  son  sens  différent  d'épouse  du  démon  ou  de  l'ennemi 
(Ind.  Stud.,  I,  337).  Plus  récemment  encore,  Max  Mùller 
(Mytli.  comp.,  p.  29  )  le  considère  comme  presque  certain, 
mais  il  prend  otç  =  dâsa,  dans  l'acception  de  nation  soumise, 
d'abord  ennemie,  qui  est  propre  au  zend  daqyu.  Tout  cela, 
cependant,  a  été  mis  de  nouveau  en  doute  par  Benfey  (Z.  S., 
IX,  110),  qui  voit  dans  SiCTTrorviç  le  scr.  daînpati,  maître  de 
maison,  en  supposant  une  forme  damspati,  conjecture  à  la- 
quelle se  rallie  le  D.  P. 

S'il  fallait  renoncer,  d'après  cela,  à  la  certitude  d'un  rap- 
prochement de  §îç  avec  dâsa,  on  peut,  d'après  Pott  (1.  cit.), 
en  présumer  un  autre  de  SovAog,  esclave ,  pour  «WuÀoç,  avec 
les  noms  sanscrits  de  l'esclave  et  de  l'ennemi,  ce  que  rend 
très-probable  l'analogie  de  SctvKog,  asper,  hirsutus,  pour 
dWuÀoç,  de  Scurvç,  id.  Cf.  scr.  dasra  =  dasyu,  brigand,  et 
qui  pourrait  être  dasura,  dasula.  Ce  qui  est  assurément  remar- 
quable, c'est  que  ce  SovKoç,  paraît  se  retrouver  dans  l'irland. 
dûile,  esclave,  serviteur,  qui  semble  provenu  de  dusile  parla 
suppression  de  Ys  entre  les  voyelles.1  Je  ne  sais  si  l'on  peut 
comparer  aussi  le  scand.  doli,  servus,  dont  le  d  ne  correspond 
pas  régulièrement,  et  qui  manque  aux  autres  dialectes  germa- 
niques. C'est  peut-être  là  un  mot  étranger. 

On  peut  donc  présumer  avec  beaucoup  de  probabilité  que, 
chez  les  anciens  Aryas,  l'ennemi  prisonnier  de  guerre  deve- 

1  Dans  le  glossaire  de  Cormac  (p.  59),  on  trouve  duile  (pour  dui- 
liu,  servio),  comparé  avec  SqvXzvùj,  et  sans  doute  aussi  un  dénomi- 
natif. 


—     262     — 

nait  esclave,  comme  d'ailleurs  chez  la  plupart  des  peuples  de 
l'antiquité.  Parmi  les  autres  noms  de  l'ennemi,  les  suivants 
donnent  lieu  à  quelques  rapprochements. 

2)  Scr.  pîyu,  pîyatnu,  ennemi,  scélérat;  dêvapîyu,  ennemi 
des  dieux,  de  pîy,  offendere,  lsedere,  etc.  Aufrecht,  qui  traite 
de  cette  racine  et  de  ses  dérivés  (Z.  S.,  III,  200),  lui  attribue 
principalement  le  sens  d'insulter,  de  blâmer,  de  haïr.1  Il  com- 
pare, avec  toute  raison,  le  goth.  fijan,  haïr,  etfaian,  blâmer, 
à^oùfijands,  ennemi,  et fiathva,  inimitié.  Cf.  ags.  fianetfiend, 
fiond,  scand.^rt  etjiandi,  anc.  ail.  fiên  et  fiant,  etc.  Il  y  rat- 
tache aussi  le  lat.  pejor,  j>essi7nus,  etc. 

Comme  l'irlandais  change  parfois  en  /  un  p  primitif,  il  est 
possible  que/,  mauvais,  méchant,  fiamh,  horrible,  abomina- 
ble, fiamhan,  crime,  forfait,  appartiennent  au  même  groupe, 
d'autant  mieux  que  le  cymr.  offre  Jiaidd,  abominable,  d'où 
ffieiddiaw,  exécrer.  Mais,  comme  le  p,  dans  quelques  cas,  de- 
vient aussi  b,  on  pourrait  également  comparer  l'erse  biûi, 
biîiidh,  biitthaid,  hostis,  et  pugnator. 

3)  Scr.  vimata,  ennemi,  de  vi  privatif  et  mata,  honoré, 
considéré,  rac.  man.  Cf.  vimati,  aversion,  vimanas,  adverse, 
vimâna,  mépris,  etc. 

Je  compare,  quant  au  second  élément  et  à  la  formation, 
l'irlandais  ancien  ndma,  gén.  ndmat,  pour  ndmanta,  ennemi, 
au  nominat.  plur.  namait ,  nantit,  inimicus  (  Z.2,  801), 
irl.  mod.  ndmh,  ndmhaid,  où  nd  est  la  négation.  Stokes,  il  est 
vrai,  explique  ce  mot  par  na-amat ,  na-amanta  =  in-imicus 
(Ir.  Glos.,  p.  65);  mais  il  me  semble  mieux  se  rapporter  aux 
composés  analogues  tels  que  air-mitiu,  honor  (Z.2,  868),  for- 

1  Dans  D.  P.,  pîy,  insulter, mépriser, pîyu,  piyatnu,  adj.,  hôhnisch; 
piyaka,m.,  épithète  des  démons. 


—     263     — 

met,  memoria,  der-met,  oblivio  (223),  qui  appartiennent  sans 
contredit  à  la  rac.  man. 

Un  groupe  de  formations  toutes  semblables  avec  le  préfixe 
dus,  maie,  offre  des  analogies  très-étendues.  Ainsi,  scr.  dur- 
manas,  durmati,  méchanceté,  haine ,  zend  dushmata,  qui  a  de 
mauvaises  pensées,  pers.  dusJmian,  ennemi,  kourde  dushmén, 
afghan  dochmen,  id.,  grec  S'va-f^ivyjç,  ennemi  ;  irl.  domhaoin, 
méchant,  mauvais  ;  illyr.  barb.  duscmanin,  ennemi,  etc. 


§  243.  LE  BUTIN. 

Nous  avons  vu  déjà,  au  §  177,  que  la  guerre,  aux  temps 
primitifs,  devait  souvent  avoir  pour  but  l'enlèvement  des 
troupeaux,  qui  constituaient  alors  la  principale  richesse,  et 
l'amour  du  butin  en  général  a  été  toujours  et  partout  un  mo- 
bile puissant  des  entreprises  belliqueuses.  Les  anciens  Aryas 
n'auront  pas  été,  plus  que  les  autres  peuples,  à  l'abri  de  ces 
entraînements,  et  c'est  ce  qu'indiquent  quelques  noms  du 
butin  qui  se  sont  conservés  à  partir  de  l'époque  de  l'unité. 

1)  Le  scr.  Iota,  lôtra,  butin,  pillage,  vient  de  la  racine  lu, 
secare,  desecare,  et  signifie  proprement  dépouille.  Cf.  lava, 
lavana,  lûni,  moisson,  tonte,  etc.,  et  p.  136,  etc. 

En  grec,  nous  trouvons  Àewfc,  butin,  pour  Mfiu,  Àrçiç,  etc., 
et  la  racine  verbale  se  montre  encore  dans  d7ro-Kctvoù,  prendre 
part  et  jouir  d'une  chose,  d'où  cc7roKctv(nç,  jouissance,  avan- 
tage, etc.  On  y  rattache  aussi  Xcltçov,  salaire,  ActTpiç,  merce- 
naire, etc.,  de  Kccùù,  pour  Kclyoù  =  Xolvùù} 

1  Cf.   Pott,   Et.  F.,  I,  209;  Benfey,  Gr.   Wl.,  II,  2;  Curtius,  Gr. 
£*.3,338. 


—     264     — 

Le  latin  nous  offre  lucrum,  lucre,  et  le  nom  de  la  déesse  des 
voleurs  Laverna,  d'où  'Idvemiones,  voleurs. 1 

L'irlandais  se  rapproche  tout  à  fait  du  sanscrit,  par  son  lot, 
rapine,  mieux  sans  doute  loth,  si  l'on  compare  lothar  = 
lôtra  (?),  abscission,  a  cutting  down  (O'R.). 

Lé  goth.  et  scand.  laun,  anc.  allem.  laon,  ags.  ledn,  n'a, 
comme  A#tooj/,  que  le  sens  de  salaire.  Cf.  scr.  lavana  et  lûni, 
moisson,  etc. 

L'anc.  si.  loviti,  captare,  d'où  lovu,  venatio,  lovitelï,  vena- 
tor,  lovlienina,  praeda,  etc.,  se  rapproche  de  nouveau  de  l'ac- 
ception du  sanscrit.  Cf.  pol.  low,  polow,  butin,  et  les  autres 
dialectes  passim. 

2)  Un  second  groupe  moins  étendu  se  rattache  à  la  racine 
scr.  lup  (lumpati),  rumpere,  d'où  lôptra,  butin.  Cf.  rup,  vio- 
lare,  perturbare. 

Bien  que  cette  racine  se  retrouve  dans  la  plupart  des  lan- 
gues ariennes,  on  n'en  voit  provenir  des  noms  du  butin  qu'en 
germanique  et  en  lith.-slave.'  Ainsi: 

Scand.  rupl,  rapina,  ruplari,  prsedo,  rupla,  spoliare.  Cf. 
goth.  raupian,  evellere,  ags.  rypan,  spoliare,  anc.  ail.  rauf- 
jan,  vellere  ;  sansc.  riûfa,  rumpere,  etc.,  à  côté  du  goth.  rau- 
bôn,  spoliare,  etc.,  rac.  prim.  rubh,  qu'il  faut  peut-être  en  dis- 
tinguer. 

Lett.  laupiums,  butin.  —  Cf.  lith.  lùpti,  écorcher,  peler, 
luppimas,  action  d'écorcher,  etc. 

Pol.  lup,  butin.  —  Cf.  lupac,  lupiè,  rompre,  fendre,  peler, 
piller,  russe  lupitï,  id.,  etc. 

1  Cf.  corn,  f  lowern,  id.;  pi.,  leuirn  (Lib.  Land.,  251);  armor. 
louarn,  loarn,  le  renard,  comme  déprédateur  ;  ainsi  que  le  nom 
propre  gaulois  Aovépvioç,  roi  des  Arvernes  (  Posid.  dans  Athénée, 
iv,  13). 


—     265 


§  244.  LA  GLOIRE. 

Si  l'espoir  du  butin  était  souvent  une  incitation  à  la  guerre, 
on  peut  croire  cependant  que  les  anciens  Aryas  y  ont  été 
portés  aussi  par  des  mobiles  d'une  nature  plus  relevée,  le  pa- 
triotisme, l'honneur  de  la  race,  la  gloire  des  armes.  L'idée  de 
la  gloire  surtout  doit  avoir  tenu  une  grande  place  dans  les 
préoccupations  de  nos  communs  ancêtres,  car  les  termes  qui 
l'expriment  ne  forment  qu'un  seul  groupe  étymologique  dans 
six  des  rameaux  principaux  de  la  famille  arienne. 

Le  scr.  gravas,  gloire,  renommée,  vient  de  gru,  audire,  et 
signifie  ce  qui  est  entendu  au  loin.  De  là  gravasyu,  avide  de 
gloire,  çruta,  fameux,  çruti,  renommée,  etc.,  ainsi  que  les  noms 
propres  tels  que  Prthuçravas,  celui  dont  la  gloire  est  grande, 
Satyagravas,  celui  dont  la  renommée  est  vraie,  etc. 

En  grec,  cru  devient  kKv  et  il  en  dérive  kMoç, gloire,  pour 
KXiFOÇi  exactement  =  gravas,  kKvtoç,  célèbre  =  gruta,  etc. 
Kuhn  signale  la  parfaite  identité  du  nom  propre  'EtiokAyiç 
avec  Satyaçravas  (Z.  S.,  IV,  400). 

En  latin,  nous  trouvons  cluo,  clueo,  être  réputé,  d'où  in- 
clutus,  inclitus,  célèbre.1 

1  Pott  (Et.  F.,  I,  214)  compare  aussi  gloria,  mais  sans  justifier  un 
rapprochement  aussi  hardi.  Kuhn  (Z.  S.,  III,  398)  tente  cette  justifica- 
tion, et  cherche  même  à  identifier  g  loria  et  le  védique  çravasyâ.  Mais 
gloria  répond  évidemment  à  l'irland.  glôr,  bruit,  voix,  glôir,  gloire, 
gloire,  glôrach,  glôrdha,  glôrmhar,  fameux,  glorieux,  du  verbe  glô- 
raim,  bruire  en  général,  qui  ne  saurait,  en  aucune  manière,  se  ra- 
mener à  cru,  et  dont  le  sens  même  éloigne  toute  idée  d'un  emprunt 
fait  au  latin.  Cela  empêche  aussi  d'admettre  la  conjecture  de  Bugge 
(Z.  S.,  19,  421),  gloria  pour  clària,  de  clàrus. 


—     266     — 

Les  langues  celtiques  nous  offrent  également  du  pour  ra- 
cine, dans  l'anc.  irl.  clûu,  gloria,  fama  (  Z.2,  25  ),  moderne 
cliu,  ià.,  cliuthach,  célèbre,  cloth,  renommée,  louange.  Cf.  clui- 
nim,  audio  =  scr.  çrnômi,  part,  clotha  =  çruta,  clos,  auditio, 
cluas,  oreille,  etc.  —  Cymr.  clod,  renommée,  clyw,  audition, 
clust,  oreille,  etc. 

Les  idiomes  germaniques  présentent  une  double  forme  hru 
et  Mu,  dans  Fane,  allem.  hruom,  hrôm,  gloire,  mod.  ruhm,  et 
hliumunt,  renommée,  rumeur,  mod.  leumund  ;  l'anglo-saxon 
hlysa,  hliosa,  gloire,  hlysan,  anc.  ail.  hlôsen,  célébrer,  etc.  Cf. 
goth.  hliuma,  hliuth,  auditus,  scand.  hlust,  auris,  etc. 

Enfin  l'anc.  slave  sluti,  audire,  donne  naissance  à  slutiie, 
slava,  slavitsa,  gloire,  slavïnu ,  glorieux,  comme  à  slovo, 
parole,  termes  qui  se  retrouvent  dans  tous  les  dialectes.  De  là 
le  lith.  szléwe,  gloire.  Le  nom  même  des  Slaves  se  rattache 
sans  doute  ici. 

On  voit,  par  cet  accord  remarquable,  que  cet  amour  de  la 
gloire  qui  pousse  aux  exploits  guerriers,  et  qui  est  resté  si  vi- 
vace  chez  tous  les  peuples  de  sang  arien,  leur  a  été  transmis 
par  leurs  premiers  pères, 

ARTICLE   II. 

§  245.  LES  ARMES  ET  LES  INSIGNES  DE  GUERRE. 

Il  va  sans  dire  que  les  anciens  Aryas  possédaient  des  armes, 
puisqu'ils  faisaient  la  chasse  et  la  guerre.  D'ailleurs,  l'inven- 
tion des  instruments  d'attaque  et  de  défense  a  été  partout  une 
des  premières  en  date.  On  a  trouvé  des  tribus  sauvages  sans 
vêtements,  sans  ustensiles,  sans  habitations  ;  je  ne  crois  pas 


—     267     — 

qu'on  en  ait  découvert  aucune  qui  fût  sans  armes.  Partout 
aussi  les  armes  sont  les  mêmes  en  principe,  et  ne  diffèrent  que 
par  une  exécution  plus  ou  moins  perfectionnée.  La  massue  et 
la  lance,  les  plus  simples  de  toutes  après  le  bâton  et  la  pierre, 
n'ont  pas  exigé  de  grands  efforts  d'invention.  L'arc  et  la 
flèche  sont  déjà  le  résultat  d'une  industrie  plus  avancée,  et  ce- 
pendant on  les  trouve  en  usage,  de  temps  immémorial,  dans 
l'ancien  et  le  nouveau  monde,  sans  que  l'on  puisse  supposer 
aucune  transmission  de  peuple  à  peuple.  La  pierre  et  les  os 
ont  servi  au  début  pour  confectionner  les  pointes  des  lances  et 
des  flèches,  tout  comme  les  couteaux  et  les  haches  ;  mais  les 
glaives,  qui  exigent  l'emploi  du  métal,  sont  sans  doute  d'une 
origine  plus  récente.  En  fait  d'armes  défensives,  le  simple 
bouclier  aura  été  la  première  en  date,  tandis  que  l'armure  sera 
née  pièce  à  pièce,  en  se  complétant  avec  les  progrès  de  l'in- 
dustrie. Quand  on  voit  ce  qu'étaient  déjà  les  armes  chez  les 
Grecs  à  l'époque  de  la  guerre  de  Troie,  et  chez  les  Indiens 
des  temps  épiques,  on  doit  reconnaître  que  ce  perfectionne- 
ment graduel  a  dû  commencer  de  très-bonne  heure,  et  se  con- 
tinuer pendant  bien  des  siècles  antérieurs. 

A  quel  degré  les  anciens  Aryas  étaient-ils  arrivés  sous  ce 
rapport  ?  On  ne  peut  le  savoir  que  d'une  manière  imparfaite, 
parce  que  les  noms  seuls  des  diverses  armes  ne  nous  appren- 
nent rien  sur  leur  qualité.  De  plus,  ces  noms,  très-riches  en 
équivalents,  ont  subi  de  nombreux  renouvellements,  par  cela 
même  que  les  armes  ont  été  l'objet  d'un  intérêt  constant,  et 
de  modifications  successives.  Cela  explique  pourquoi  les  coïn- 
cidences que  l'on  peut  encore  signaler  sont  ordinairement 
limitées  à  deux  ou  trois  branches  de  la  famille  arienne,  et  n'of- 
frent aucune  de  ces  affinités  étendues  que  l'on  remarque,  par 


—     268     — 

exemple,  pour  les  noms  de  quelques  animaux  domestiques.  Il 
faut  ajouter  que  les  transitions  d'une  arme  à  l'autre,  ou  des 
noms  généraux  aux  noms  spéciaux,  sont  assez  fréquentes, 
l'arme  qui  tue,  qui  blesse,  etc.,  pouvant  désigner,  ici  la  lance 
ou  la  flèche,  et  là  l'épée  ou  la  massue.  Ceci  soit  dit  en  vue  des 
rapprochements  qui  suivent. 


§  246.  LA  LANCE,  LA  PIQUE,  LE  JAVELOT. 

1)  Scr.  cala,  lance,  bâton,  piquant  de  porc-épic  ;  çalâkâ, 
pieu,  piquant,  pointe  de  flèche  ;  çalya,  çalyaha,  id.  Cf.  çara3 
çaru,  çarya,  flèche,  çiri,  id.  et  épée  :  tous  de  la  racine  çr,  car, 
lasdere,  dirumpere  =  kf,  kar,  lgedere,  occidere.  Je  ne  compare 
ici  que  les  noms  de  la  lance. 

Irl.  cdil,  lance,  javeline,  calg,  colg,  aiguillon.  Cf.  cymr.  cal, 
col,  cala,  cola,  colyn,  aiguillon  ;1  anc.  slave  et  russe  kolû,  pieu, 
pal,  de  klati  (koliâ),  mactare,  russe  kolotï,  piquer,  pol.  hbl, 
pieu,  kolka,  aiguillon,  etc. 

Irl.  coir,  lance,  coirr,  carr,  id.2  =  çara,çarya. 

La  rac.  çr  prend  aussi  la  forme  çûr,  lsedere,  occidere  (Dhâ- 
tup.).  De  là,  avec  l  pour  r,  comme  ci-dessus,  çûla,  pique, 
dard ,  broche,  çûlâ,  pieu  à  empaler,  en  zend  çûra,  lance  ;  anc. 
persan  crvpotç  ==  fj,ct%ct,içciç  (  Hesych.  )  ;  armén.  cour  (  Justi, 
296). 

Ici,  sans  doute,  le  sabin  curis,  javelot  (Ovide,  Fast., 
2,  477).  Cf.  persan  sûrî,  espèce  de  flèche,  où  s  est  =  ç  sans- 
crit. 

1  Cal  aussi  pénis,  gr.  jcwXjj,  latin  coles,  alban.  kar,  kare.  Curtius 
(Gr.   Et.3,  p.  142)  compare  aussi  xîxov,  flèche,  trait. 

2  f  Carr  (Corm.,  GZ.,  47). 


—     269     — 

De  même,  avec  s  pour  ç,  comme  dans  d'autres  cas,  ancien 
slave  et  russe  sulitsa,  illyr.  suliza,  lance  (Cf.  p.  123). 

2)  Scr.  kunta,  lance.  Cf.  kuntala,  charrue. 
Gr.  kqvtoç,  bois  de  lance,  perche,  pénis. 
Lat.  contus,  lance,  pique,  pénis. 

Cf.  cymr.  cont,  irl.  eut,  de  cunt,  queue  ;  comme  en  cym- 
rique  llost,  queue  et  lance. 

3)  Scr.  kâsû,  espèce  de  lance;  probablement  de  kas  =  cas, 
cans,  csedere,  kedere,  ferire;  que  le  Dhâtup.  donne  à  côté  de 
kash,  cash,  cash,  çish,  etc.  Cf.  pers.  kushtan,  tuer,  kourde  kust, 
il  tua. 

Irl.  ceis,  lance,  pique.  —  Cf.  casa,  broche,  aiguille,  casdn, 
casair,  épine,  piquant,  casar,  casrach,  meurtre,  casar,  mar- 
teau (  Cf.  p.  195  ).  Le  maintien  de  1'*  indique  partout  une 
consonne  supprimée,  s  pour  st,  ou  pour  ns  en  recourant  à 
çans  =  cas. 

Lithuan.  kassulas,  épieu  de  chasseur.  —  Cf.  kàsti  (kàssu), 
fouir,  creuser,  et  kassyti,  gratter,  étriller  =  scr.  kash,  id. 

4)  Zend  gaêçu,  gaêsu,  nom  d'une  arme  indéterminée  dans 
le  Vendidad,  7,  150,  et  le  Yaçna,  9,  33. 

Spiegel  (Avesta,  II,  135)  compare  gaesum,  ycturoç,  yoiïtrov. 
On  sait  que  ce  mot  était  gaulois  et  désignait  une  sorte  de 
javelot.  De  là  le  nom  des  TcturcLTOh  pilo  armati.  Zeuss  y  rat- 
tache aussi  le  galate  TcuÇaropioç,  au  gén.  (Polyb.,  25,  4  ),  en 
corrigeant  pioç  par  piyoç,  nom.  pi%.  Il  compare  de  plus  Fane, 
irl.  gai,  hasta,  gaicle,  gaithe ,  pilo  armatus  (Z.252;  Stokes,  Ir. 
Glos.,  n°  216).  O'Reilly  donne  aussi  gaisde,  armé. 

Scand.  kêsia,  lance.  —  Grrimm  conjecture  pour  l'ang.-sax. 
gâr,  scand.  geir,  anc.  allem.  kêr,  lance,  un  corrélatif  goth.  gais 
—  gaesum;  mais  le  goth.  gairu,  stimulus,  rend  cette  supposi- 


—     270     — 

tion  douteuse.1  Le  g  initial  serait  d'ailleurs  irrégulier,  à  moins 
que  le  mot  ne  fût  emprunté  du  gaulois.2 

5)  Pers.  san,  lance,  sha?iî,  javelot,  sanî,  fer  de  lance  ou  de 
flèche. 

Armén.  suin,  lance.  —  Cf.  scr.  kshan,  lsedere,  interfi.cere, 
gr.  Zcu'vûô,  P&vtov  =r=  pers.  shânah,  shanîzah,  le  peigne  armé  de 
pointes. 

Gaulois  saunium,  espèce  de  javelot  à  fer  droit  ou  recourbé 
(Diod.   Sic,  v,  29,  30). 

Irl.  so?i,  sonn,  pieu,  massue  ;  somiaim,  percer,  frapper,  son- 
nadh,  combat,  etc.  Cf.  erse  sbnas,  vexation,  et  cymrique  sènu, 
vexer,  insulter. 

6)  Pers.  paykân,  lance,  pique,  dard, flèche,  pointe  de  lance. 
Cf.  paykan,  pîkan,  pic-hoyau,  et  p.  115. 

Armén.  pkhin,  flèche. 

Lat.  spïca,  pointe,  spiculum,  dard,  flèche. 

Cymr.  picell,  dard,  javelot;  irl.  picidh,  pique,  etc. 

Une  rac.  pik,  avec  le  sens  de  blesser,  piquer,  piler,  broyer, 
et,  en  général,  nuire,  peut  s'inférer  de  tout  un  groupe  de 
termes  épars  dans  les  langues  ariennes.  Ainsi  en  grec  7TM,pôç, 
âpre,  amer,  cruel,  en  lithuan.  peikti,  mépriser,  blâmer,  paikas, 
mauvais,  méchant,  piktà,  méchanceté ,  piktis,  le  diable,  etc.  ; 
en  armoricain  pika,  piquer,  fouir,  etc.,  etc.  Ici  probable- 
ment, comme  formations  secondaires ,  l'angl.-sax.  feohtan, 
scand.  Jikta,  anc.  ail.  fehtan,  pugnare.  Les  Pictavi  ou  Pictones 

1  Grimm,  D.  Gr.,  I,  91;  II,  455,  494.  —Cf.  Diefenbach,  Goth. 
Wb.,\.c. 

2  Sur  le  zend  gaêçu ,  ses  acceptions  probables,  et  les  conjectures 
qu'il  a  fait  naître,  cf.  Justi,  98.  Voir,  en  particulier,  un  article  de  Bic- 
kell  (Z.  S.,  12,  438) ,  qui  rattache  le  mot  zend  au  scr.  gavêsh,  gêsh, 
d'où  gavishti,  combat  (voy.  p.  69). 


—  •    271     — 

gaulois,  et  les  Picti  calédoniens  n'étaient  peut-être  que  des 
guerrier  s. x 

7)  Lat.  sparus,  sparum,  lance. 

Ang.-sax.  spere,  id.;  scand.  spam,  spôir,  telum,  anc.  allem. 
spër,  hasta,  etc. 

Cymr.  par,  hasta,  pour  spâr  (Stokes,  Rem},  12). 

Anc.  pr.  sparte,  pique  (Nesselm.,  Thés.,  221). 

L'analogie  du  persan  siparî,  espèce  de  flèche,  indique  une 
origine  arienne  primitive,  et  qui  se  trouve  peut-être  dans  la 
racine  védique  spr,  spar,  d'après  Benfey  (Sama  Vêda,  Glos.), 
proprement  combattre,  puis  protéger.2  La  lance,  en  effet,  peut 
être  considérée  comme  une  arme  défensive  aussi  bien  qu'of- 
fensive. Cf.  pers.  sipar,  ispar,  bouclier. 

8)  Gr.  Àoyx^j  lance,  javelot. 

Lat.  lancea,  mot  gaulois,  suivant  Diod.  Sic,  v,  30,  qui  écrit 
AayKiu. 

Irl.  lang,  lann,  lance,  javeline. 

Anc.  si.  lâshta,  lance. 

Cf.  pers.  lung,  dard.  —  En  sanscrit,  lankâ  désigne  seule- 
ment une  branche  d'arbre  (Cf.  t.  I,  232),  et  c'est  là,  en  effet, 
ce  qu'était  la  lance  à  son  état  primitif. 3 

1  Cf.  Fick,  124,  qui  admet  une  racine  pik,  primitivement  couper, 
tailler,  ce  qui  serait  aussi  le  sens  propre  du  sanscrit  piç,  former, 
orner,  etc. 

2  Le  D.  P.  ne  donne  à  spar  [sprnôtij  que  les  acceptions  de  libérer, 
sauver,  attirer  à  soi,  gagner  pour  soi;  d'où  sparana,  ad.j.,  qui  délivre, 
sauve,  etc.,  et  compare  sperno.  —  D'un  autre  côté,  sparitar,  m., 
agent  de  douleur,  se  rapporterait  mieux  à  spar  (sprnâti),  d'après  le 
Dhâtup.,  frapper,  blesser,  nuire,  tuer,  etc.  =  hins.  De  là  sans  doute 
aussi  les  noms  de  la  lance. 

3  On  peut  encore  ajouter  ici  Fane.  irl.  err,  pique  (Goid.t,  66),  pour 
ers,  comme  corrélatif  du  sansc.  rshti,  lance,  de  ars/i,  piquer,  percer, 
en  zend  arsti,  id.,  de  ares  h  (Justi,  32). 


272     — 


§  247.  LA  FLÈCHE. 

1)  Scr.  pîlu,  flèche. 

Pers.  pîlali,  pîlak,  bîlak,  espèce  de  flèche. 

Lat.  pïlum,  javelot. 

Cymr.  pilwrn,  id.  ;  pilan,  lance,  ffil,  dard. 

Ags.  pil,  scand.  pîla,  anc.  allem.  phîl,  mod.  pfeil,  etc.,  tous 
du  latin. 

Si  l'on  compare  les  noms  de  la  balle  qui  se  lance,  grec 
7rÏKoç,  lat.  pila,  irl.  peiléir,  cymr.  pel,  peled,  pelen,  armor. 
pellen,  etc.,  on  est  conduit,  comme  racine,  au  sansc.  pil  (pê- 
lay),  projicere,  mittere  (Dhâtup.).  Cf.  pêl,  pal,  pall,  ire,  grec 
ttclXKoù,  lancer,  ttc^àûç,  jet,  7rctXAct,  balle  ;  lat.  pello,  cymr. 
pelu,  lancer,  peliaw,  brandir,  etc. 

2)  Scr.  astra,  flèche,  arme  de  jet,  asanâ,  asta,  id.;  de  la 
rac.  as,  jacere.  Cf.  astar,  archer,  et  prâsa,  flèche  barbelée,  de 
pra  +  as. 

Zend  asta,  id.,  de  aç  =  scr.  as,  lancer  (Justi,  43). 

Armén.  ashdê,  lance. 

Irl.  astal,  astas,  javelot  (O'R.).  Cf.  as,  lancé,  projeté,  pour 
ast  =  scr.  asta,  comme  as,  est  =  scr.  asti.  La  différence  des 
suffixes  rend  peu  probable  une  provenance  du  latin  hasta, 
dont  l'origine  est  tout  autre.  —  Cymr.  aseth,  javelot. 

Benfey  (Gr.  WL,  I,  663)  et  Kuhn  (Z.  S.,  I,  540)  compa- 
rent cL(Tty\û,  clcrTûov,  astrwn,  zend  açtar,  pers.  âstar,  l'astre 
qui  lance  ses  rayons  comme  des  flèches.  Il  est  certain  que  sou- 
vent les  noms  de  la  flèche  et  du  rayon   sont  les  mêmes  ou 


—     273     — 

dérivent  des  mêmes  racines/  et  que  ces  racines  ont  parfois  le 
double  sens  de  lancer  et  de  luire,  ce  qui  paraît  être  le  cas  pour 
as,  lucere,  d'après  le  Dhâtup.  Il  n'y  a  donc  rien  à  objecter  à 
ce  rapprochement,  et  d'autant  moins  que  le  nom  grec  de 
Téclair  cL<rTçct7rYii  oL<TTiQQ7rYi,  renferme  certainement  celui  de  la 
flèche.  Kuhn  considère  aussi  comme  appartenant  à  ce  groupe, 
avec  perte  de  Va  initial,  le  védique  star,  étoile,  latin  Stella, 
goth.  stairnô,  etc.,  aussi  bien  que  le  slave  striela,  ang.-saxon 
strael,  anc.  ail.  strâla,  flèche  et  rayon  ;  mais  la  rac.  str,  star, 
sternere,  a  été  invoquée  avec  autant  et  plus  de  droit  pour  ex- 
pliquer ces  termes  divers.  Je  doute  plus  encore  de  son  rappro- 
chement du  scr.  tara,  étoile,  constellation,  météore,  vêd.  tar, 
avecastar,  etc.  Cf.  grec  tuqqç,  plur.  Tilçict  (II. ,-xviii,  485), 
constellations.  L's  initiale  de  star  a  pu  facilement  se  perdre; 
mais,  pour  astar,  il  faudrait  supposer  que  la  racine  entière  a 
disparu  pour  ne  laisser  que  le  suffixe,  ce  qui  serait  par  trop 
extraordinaire. 2 

Je  crois  retrouver  encore  un  corrélatif  du  sanscrit  asanâ, 
flèche,  dans  le  goth.  azna,  de  arhvazna,  id.,  en  considérant 
arhv,  avec  Diefenbach  (Goth.  Wb.,  v.  a),  comme  l'analogue 
du  lat.  arcus.  Ce  mot  composé  désignerait  la  flèche  en  tant 
que  lancée  par  l'arc,  comme  le  grec  to^oQoàoç.  3 

3)  Scr.  ishuj  ishukâ,  flèche,  ishîkâ,  id.,'  et  roseau,  êshana, 
flèche  de  fer;  de  la  rac.  ish,  lancer,  zend  ishu,  id.,  anc.  persan 
içu  de  ish  (Justi,  58). 

1  Par  exemple,  scr.  gô,  rayon  et  flèche,  aktu,  id.,  id.,  grec  otïyXy, 
B(\oç,  irl.  gath,  anc.  ail.  strâla,  id.,  id.,  etc. 

2  Cf.  Curtius  (Gr.  Et.3,  194).  Justi,  298,  s'en  tient  à  la  rac.  as. 
Fick,  par  contre  (211),  donne  la  préférence  à  star.  De  même  D.  P. 

3  Cf.  le  sanscrit  çarâsa,  -âsana,  arc,  c'est-à-dire  qui  lance  des 
flèches. 

II  18 


—     274     — 

Pott  et  Kuhn  (  Et.  F.,  I,   139  ;   Z.    S.,   II,   137  )   ont 

comparé  le  grec  ïoç,  flèche,  pour  uroç,  ce  qui  suppose  un 
thème  isha.  Benfey  (  Gr.  WL,  II,  137)  y  rattache  aussi 
oÏ<ttoç,  flèche,  pour  oykttoç,  de  ava  +  ish.  L'irlandais  fiuthid, 
erse  fihthaidh,  fiuîûiaidh,  fiùi,  et  iidJiaidh,  flèche,  où  iu  est 
peut-être  =  ishu,  serait-il  composé  de  même  avec  un  pré- 
fixe/, fi  =  sansc.  vi  intensitif?  Mais  l'élément  ajouté  resterait 
obscur. 

4)  Scr.  bhalla,  espèce  de  flèche.  Cf.  bhal,  bhall,  ferire,  occi- 
dere  (Dhâtup.). 

Gr.  (pctXXÔç,  <paXv\g,  -yroç,  phallus,  sans  doute  primitive- 
ment dard,  comme  kcvtoç,  etc. 

Irl.  bail,  arme  en  général,  membre,  instrument,  etc.  ;  cymr. 
bollt,  dard. 

Ang.-saxon  boita,  pilum,  scand.  byla,  bylda,  telum,  bolti, 
clavus  ferreus;  anc.  ail.  polz,  bolz,  telum. 

Pol.  belt,  flèche,  trait  d'arbalète. 

5)  Scr.  pradara,  pradala,  flèche,  c'est-à-dire  qui  déchire, 
fend,  de  pra  +  df,  dar,  dal,  dirumpere,  findere. 

Pers.  dalang,  dard. 

Ird.  duillean,  lance,  dula,  épingle.  Cf.  duille,  feuille,  cymr. 
dal,  dail,  avec  le  scr.  data,  id. 

Russe  drotu,  drotiku,  dard,  javelot.  —  Cf.  anc.  slave  drati 
{dera),  scindere.  L'ang.-sax.  daradh,  dard,  scand.  dôrr,  hasta, 
anc.  ail.  tart,  lancea,  d'où  l'armor.  dared  et  notre  dard,  n'ap- 
partient pas  à  dr,  en  goth.  tairan,  etc.,  mais  à  une  racine  ger- 
manique dar,  angl.-sax.  derian,  léser,  nuire,  dam,  lésion, 
anc.  ail.  ter j an,  laedere,  tara,  damnum,  etc.,  qui  serait  en  sans- 
crit dAar.  Cf.  dhûr,  ferire,  laedere,  et  dhru,  occidere,  grec 
èçctvct),  etc. 


—     275     — 

A  dal  se  rattache  le  scr.  dalapa,  arme  en  général,  ainsi  que 
le  grec  SoXûùv,  lat.  dolo,  poignard.  Cf.  dolabra,  hache,  doloire, 
de  dolo,  et  l'anc.  slave  dlato,  russe  doloto,  etc.,  scalprum,  de 
deliti,  lith.  daliti,  dividere  (Cf.  p.  168). 

6)  Scr.  ghâta,  flèche,  c'est-à-dire  qui  tue,  de  han  (ghan), 
occidere,  icere.  Cf.  ghâtaka,  ghâtana,  meurtrier,  ghâtanî, 
espèce  de  massue,  et  ha,  hanu,  gaghni,  arme  en  général. 

Irl.  gath,  gadh,  flèche,  lance,  goth,  gothnadh,  goithne,  lance,1 
guin,  erse  guineach,  dard.  Cf.  gen,  gean ,  épée,  et  gen,  goin, 
guin,  blessure,  de  gonaim,  guinim,  blesser  =  sansc.  han. 

7)  Scr.  gô,  flèche,  carreau  de  foudre,  rayon.  —  Dans  ce 
dernier  sens,  et  au  pluriel  gavas,  les  rayons  sont  considérés 
comme  les  vaches  célestes  (Cf.  p.  96),  de  sorte  que  ^o,  rayon, 
puis  flèche,  aurait  une  origine  mythologique.  On  pourrait  ce- 
pendant ne  voir  là  qu'un  jeu  de  mots,  et  rapporter  gô  à  la 
racine  de  mouvement  gâ,  en  composition  gu,  d'où  gô,  le  cheval 
rapide,  ou  bien  à  gu,  sonare,  du  bruit  de  la  flèche  et  de  la 
foudre. 

Irl.  gô,  lance  (O'R.);  rapprochement  douteux,  soit  à  cause 
de  l'origine  spéciale  possible  du  mot  sanscrit,  soit  parce  que 
gô  peut  n'être  qu'une  variante  de  goth,  lance,  qui  appartient 
à  ghâta.  2 

8)  Scr.  svaru,  flèche  et  carreau  de  foudre,  svarus,  id.,  de  la 
rac.  svar,  sonare. 

Cymr.  chwarel,  dard,  javeline.  —  Cf.  chwara,  jeu,  propre- 
ment bruit,  chwardd,  rire,  chwyrn,  ronflement,  sifflement,  où 

1  Goitni,  lance  (Stokes,  Goid.2,  81).  Cf.  scr.  ghâtin,  adj.,  meur- 
trier. 

2  Cf.  cependant  plus  loin  une  conjecture  sur  l'existence  de  gô,  flè- 
che, dans  deux  noms  européens  du  carquois. 


—     270     — 

chiv  est  pour  sv,  comme  dans  chioaer,  sœur  =  svasar,  chwys, 
sudor,  de  svid,  sudare,  etc. 


§  248.  L'ARC. 

Les  noms  de  l'arc,  bien  qu'assez  nombreux,  n'offrent  presque 
aucune  coïncidence  directe  certaine  entre  l'Orient  et  l'Occi- 
dent; mais  les  termes  qui  le  désignent,  quand  ils  n'ont  pas  un 
sens  clairement  dérivé  dans  les  langues  particulières,  trouvent 
plus  d'une  fois  leur  explication  par  des  étymologies  que  j'ap- 
pellerais préhistoriques,  et  qui  témoignent  de  leur  ancienneté. 
Il  semblerait,  d'après  cela,  que  les  peuples  ariens  se  sont  par- 
tagé ici  un  fonds  commun  de  synonymes  usités  déjà  à  l'époque 
primitive,  comme  on  le  verra  mieux  par  les  rapprochements 
qui  suivent  : 

1)  Scr.  âsa,  astra,  arc,  de  as,  jacere;  en  composition  ish- 
vâsa,  vânâsana,  çarâsana,  lance-flèche,  dûlâsa,  pour  dûr-âsa, 
qui  lance  au  loin. 

Benfey  (  Gr.  WL,  II,  203  )  rattache  à  la  même  racine  le 
grec  ctîfjLfAct,  arc,  pour  ctF-îfTf^a,  de  ava  +  as,  mais  on  pour- 
rait aussi  penser  au  scr.  â-yam,  tendere,  d'où  âyamana,  action 
de  tendre,  âyâma,  tension,  etc. 

Scand.  ys,  yr,  arc.  —  La  différence  de  la  voyelle  est  une 
objection,  car  y  est  une  modification  de  û,  ou  répond  au  iu  du 
gothique  et  de  l'anc.  allemand  (Grimm,  D.  Gr.,  I,  291).  Ce 
mot  est  d'ailleurs  isolé  dans  les  langues  germaniques  et  euro- 
péennes. 

2)  Pers.   kamân,   arc  ;  aussi   kaywân;   laghmani  et  tirhaï 
(du  Caboul)  kamân,  kourde  kâvena,  arménien  kamar.  —  Cf. 


—     277     — 

zend  kamerë,  voûte,   pers.  kamar,  id.  et  ceinture,  aussi  kam, 
kamand,  etc.  Cf.  gr.  KctfAdpct,  lat.  caméra  et  camurus. 

Il  est  singulier  que  la  racine  verbale  kam,  courber,  ait  dis- 
paru en  Orient,  et  partout  ailleurs,  car  l'irl.  camaim,  courber, 
cymr.  camu,  armor.  kamma,  sont  provenus  de  camb  (Cf. 
x,a,fÂ,7rTC*)),  et  le  gaulois  cambo-  (cambos)  dans  plusieurs  com- 
posés (Zeuss,  G.  C2,  64,  81,  etc).  Le  scr.  kmar,  curvare,  que 
donne  le  Dhâtup.,  est  sûrement  dissyllabique,  comme  le  zend 
kamar.  Le  scr.  kâmuka,  arc,  que  l'on  serait  tenté  de  compa- 
rer, n'est,  d'après  le  D.  P.,  qu'une  altération  de  kârmuka,  dé- 
rivé de  krmuka,  espèce  de  bois  dont  on  faisait  des  arcs,  et 
n'aurait  ainsi  aucun  rapport  avec  les  noms  iraniens.  Il  est  dif- 
ficile, cependant,  de  croire  qu'une  racine  kam  n'ait  pas  existé 
en  Orient.1 

3)  Gr.  to^ov,  arc. 

Ane.  irl.  tuag,  id.  (Z.2,  27);  irl.  mod.  tuagh.  — ^Cf.,  p.  171, 
tuagh,  hache,  et  scr.  takshanî,  id. 

J'ai  déjà  comparé  ailleurs  (  t.  I,  p.  265  )  le  persan  taksh, 
l'arbalète,  et  le  nom  de  l'if  taxus,  qui  servait  sans  doute  à  faire 
des  arcs. 

4)  Lat.  arcus. 

Goth.  arhu  (?),  dans  arhvazna,  flèche  (vid.  supra). 

Irl.  earc,  arc-en-ciel  (O'E.),  peut-être  du  latin. 

Pott  (JEt.  jF.,  I,  271)  ramène  arcus  à  arceo,  dçKtù),  sansc. 
raksh,  avec  le  sens  d'arme  défensive;  explication  qui  laisse 
bien  quelque  chose  à  désirer,  car  on  se  défendrait  fort  mal 
avec  un  arc  seul.  Le  sanscrit  semble  en  offrir  une  meilleure 

1  Le  sens  primitif  de  la  racine  sansc.  kam,  amare,  aurait-il  été 
celui  d'incliner  vers,  de  se  courber  ? 

2  Ce  nom  de  l'arc,  en  tant  que  fabriqué,  taillé,  de  taksh,  semble 
avoir  son  pendant  dans  le  lith.  kilpa,  kityinnis,  arc,  de  la  rac.  scr. 
kalp,  avec  la  même  acception. 


—     278     — 

dans  la  rac.  arc,  lancer  et  rayonner,  d'où  arka,  foudre, 
rayon,  etc.1  Toutefois,  cette  même  rac.  arc  conduit  aussi  à  une 
autre  étymologie  non  moins  satisfaisante,  en  partant  de  l'ac- 
ception de  canere,  sonare,  qui  lui  appartient  également. 

En  effet,  la  sonorité  de  l'arc  et  de  sa  corde,  le  JcXuyyvj 
d'Homère,  le  gyâghôsha  des  épopées  indiennes,  est  un  sujet 
fréquent  d'allusions  poétiques.  Ainsi,  dans  le  Ramâyana  (I,  5, 
19,  éd.  Schlegel),  la  ville  d'Ayôdhya  est  appelée  dhanuhsva- 
naninâditâ,  arcuum  stridore  resonans.  Homère,  en  parlant  de 
l'arc  de  Pandarus,  dit  (77.,  IV,  125)  : 

\iy\z  Bioç,  vsvçh  Si  fxîy'  /a%£v,  ocXto  «ToiVraç. 
Stridit  funis,  nervusque  valde  sonuit,  saliitque  sagitta. 

Et  quand  Ulysse  tend  son  arc  vengeur  (Od.,  xxi,  411),  la 
corde  rend  un  son  clair,  semblable  à  la  voix  de  l'hirondelle. 

C'est  pour  cela  que  le  sansc.  dhanu,  dhanus,  dhanvan,  dé- 
signe certainement  l'arc  en  tant  que  sonore,  de  la  rac.  dhan, 
sonare,  laquelle  cependant  n'est  pas  encore  constatée;2  tout 
comme  la  corde,  l'arc  est  appelé  çingâ,  çinginî,  en  pers.  ching, 
de  çing,  tinnire.0  Un  autre  nom  de  la  corde,  lôcaka,  semble 

1  Cf.  angs.  earh,  flèche,  trait  ;  ce  qui  serait  le  sens  du  goth.  arhv- 
azna,  siFick  a  raison  (p.  341)  de  ne  voir  dans  azna  qu'un  suffixe  de 
dérivation. 

2  Par  cette  raison,  sans  doute,  le  D.  P.  ne  donne  aucune  étymologie 
de  dhanu,  et  pourtant  l'existence  de  la  rac.  dhan,  sonare,  est  plei- 
nement confirmée  par  les  langues  congénères.  Ainsi,  pers.  dânidan, 
murmurer,  dan,  lamentation,  danah,  chant  ;  ang.-sax.  dynan,  stre- 
pere,  scand.  duna,  tonare,  dynia,  resonare  ;  irl.  dan,  chant,  cymr. 
dwn,  murmure,  etc.,  etc. 

3  Cf.  le  passage  védique  cité  dans  le  Nirukta,  9,  18,  où  il  est  dit  de 
la  corde  de  l'arc  :  yôshê'va  çinktê  vitaiâ'dhi  dhanvan,  tendue  sur 
l'arc,  elle  chante  comme  une  femme. 


—     279     — 

signifier  celle  qui  parle ,  de  lôc,  loqui,1  et  le  pers.  rûd,  rôda, 
corde  d'arc,  a  aussi  le  sens  de  chant  et  de  conversation 
joyeuse,  bruyante.2  La  rac.  arc,  dans  les  Vêdas,  s'emploie  par- 
fois en  parlant  du  vent  qui  mugit,  et  pour  exprimer  un  bruit 
qui  résonne  en  se  prolongeant.  Il  n'y  a  donc  rien  d'impro- 
bable à  ce  qu'il  y  ait  eu  anciennement  un  synonyme  de 
dhanu,  arka  ou  arku,  corrélatif  du  latin  arcusê 

5)  Ang.-sax.  bôga,  scand.  bogi,  anc.  ail.  pogo,  etc. 

Ane.  irl.  bocc  (Z.2,  854),  irl.  mod.  et  erse  bogha;  cymrique 
bwa.  La  racine  verbale  est  conservée  dans  le  goth.  biugan, 
baug,  bugun,  courber,  ags.  beogan,  etc.  Les  verbes  irlandais 
boghaighim ,  et  cymr.  bwâw ,  id.,  sont  des  dénominatifs, 
comme  arcuare,  et  ces  noms  de  l'arc  proviennent  sans  doute 
du  germanique.  Les  termes  celtiques  sont  tuag  et  lub,  lubdn, 
de  lubaim,  courber,  pour  l'irlandais,  et  gwyrag,  gwarek,  pour 
le  cymrique  et  l'armoricain.  Cf.  gwyr,  courbe  =  irl.  fiar  et 
lat.  varus. 

En  sanscrit,  on  trouve  bien  la  rac.  bhuéj,  curvare,  flectere, 
avec  plusieurs  dérivés,  mais  sans  aucun  nom  de  l'arc,  comme 
on  devrait  s'y  attendre. 

6)  Anc.  si.  ïàkû,  arc  et  courbe,  russe  lukû,  illyr.  luk,  pol. 
luk,  etc. 

Lith.  lankas. 

i  D'après  Wilson  et  Westerg.  flôcayatij;  mais  le  D.  P.  ne  donne 
à  ce  causatif  qne  le  sens  d'éclaircir,  faire  voir,  considérer  (â-lôc),  etc. 

2  Cf.  encore  le  sansc.  gadayitnu,  arc,  et  loquace,  de  gad,  loqui. 

3  On  pourrait  aussi,  et  peut-être  mieux,  penser  à  la  rac.  arc  dans 
le  sens  de  lancer  (abschnellen,  abschiessen,  D.  P.),  identique  sans 
doute  à  arc,  rayonner,  d'où  arka,  rayon,  arci,  -cis,  id.,  etc.  Arka 
désigne  aussi  un  jet  d'éclair  et  un  rayon  de  foudre,  ainsi  que  le  so- 
leil. Cf.  anc.  irl.  erc,  ciel,  irland.  mod.  earc,  soleil,  ciel  et  arc-en-ciel 
(O'R.;  Corm.,  GL,  19  ;  O'Dav.,  Gl.,  81). 


—     280     — 

La  racine  est  Pane,  slave  lështi  (lêkâ),  lith.  lenkti,  curvare, 
avec  beaucoup  de  dérivés.  Je  crois  ici,  comme  pour  l'un  des 
noms  de  la  lance  (vid.  sup.),  à  un  rapport  avec  le  scr.  lankâ, 
branche,  car  l'arc  n'était  primitivement  qu'une  branche.  On 
peut  présumer  une  racine  perdue  lank,  rank,  curvare,  alliée 
peut-être  à  anc,  ank,  id.,  à  laquelle  appartiendrait  aussi  le  si. 
râkû,  lith.  ranka,  main.  Cf.  le  sansc.  bhuga,  main  et  bras,  de 
bhug,  curvare. 

Nous  avons  fait  le  tour  des  langues  de  la  famille,  et,  à  l'ex- 
ception d'un  seul  cas  certain  (n°  3)  et  d'un  autre  douteux 
(n°  1),  nous  n'avons  trouvé  aucun  accord  direct  entre 
l'Orient  et  l'Occident.  Mais  partout  les  noms  de  l'arc  se 
rattachent  avec  probabilité  à  des  origines  étymologiques 
ariennes  primitives,  et  se  présentent  ainsi  comme  des  legs  du 
temps  de  l'unité.  C'est  d'ailleurs  ce  que  confirment  les  noms 
de  la  corde  de  l'arc,  lesquels,  chose  singulière,  se  sont  mieux 
conservés  que  ceux  de  l'arc  même. 


§  249.  LA  CORDE  DE  L'ARC. 

1)  Scr.  gyâ,  gyâkâ. 

Zend  zya,  écrit  jy 'a  dans  Justi  (117);  pers.  zah,  belout. 
zaiha,  siahpôsh^M 

Gr.  (itoç,  (i  pour  g,  g,  aussi  arc. 

Cymr.  gi,  pi.  giau,  dimin.  gieuyn,  nerf,  tendon;  anc.  corn. 
goiuen,  id. 

Lith.  gija,  fil,  trame. 

J'ai  déjà  comparé  ailleurs  ces  mots  (t.  I,  p.  392)  et  con- 
jecturé un  rapport  de  gyâ  avec  gayâ,  chanvre.   Dès  lors  le 


—     281     — 

D.  P.  nous  a  révélé  une  racine  védique  gyâ  (ginati),  sans 
doute  alliée  à  gi,  vincere,  et  avec  le  sens  analogue  de  surmon- 
ter, opprimer,  violenter,  d'où  gyâ,  oppression,  violence,  pri- 
mitivement force,  comme  le  grec  /3/a,  (Holoù,  (ZiaÇco,  qui  y 
répond  de  tout  point.1  La  corde  constitue  bien  la  force  de 
l'arc,  et  c'est  là  sans  doute  ce  qu'exprime  son  nom.  Je  ne 
crois  donc  plus  à  une  contraction  de  gayâ,  chanvre,  mais  plu- 
tôt à  une  affinité  primitive,  avec  la  notion  commune  de  force 
qui  appartient  aussi  à  gi,  vaincre,  gciya,  victoire,  etc.  Cf.  zend 
zaya,  zaêna,  arme,  instrument  ;  pers.  gân,  gânah,  armén.  zen, 
arme,  etc.  —  C'est  probablement  à  tort  que  j'ai  rapproché 
des  termes  en  question  le  russe  gujû,  corde,  à  cause  de  la  na- 
sale de  l'ancien  slave  gâjvitsa,  vimen,  qui  indique  une  origine 
différente. 

2)   Scr.  tâvara,  corde  d'arc. 

Zend  thanvara,  thnavara,  id.  (Spiegel,  Avesta,  I,  p.  209). 
Brahui  (du  Caboul)  tanâb. 

Ni  Wilson,  ni  le  D.  P.  n'indiquent  d'étymologie  pour  le 
sanscrit  qui,  vu  la  concordance  du  zend,  ne  peut  guère  déri- 
ver que  de  la  rac.  tan,  tendere  et  sonare,  avec  perte  de  Vn 
devant  le  suffixe,  et  allongement  de  l'a. 

A  la  même  racine  se  lie  le  grec  tovoç,  tendon,  corde,  nerf, 
et  aussi  son,  ton,  accent,  de  Ttiva),  Tèvco. 

Puis,  avec  un  suffixe  différent,  l'anc.  slave    tetiva,  corde 

1  Cf.  (Z.  S.,  15,  217)  les  vues  divergentes  de  Max  Millier,  qui  rat- 
tache 0iog  à  la  rac.  vê  (va),  tresser,  tourner,  et  Bloc  au  sansc.  vayas, 
force  =  f(ç,  vis.  Ascoli  {Vorles.,  98,  99)  conteste  ces  rapproche- 
ments. 

2  D'après  Justi  (138),  thanvara  et  thanvana  désignent  l'arc,  et  non 
la  corde,  de  la  racine  tan.  Kuhn  (Z.  S.,  2,  236)  et  Weber  (Beitr.  4, 
278)  ramènent  aussi  le  scr.  dhanvan  à  la  forme  plus  complète  stan, 
tendere  et  sonare,  le  dh  pour  t,  par  suite  de  la  suppression  de  s. 


—     282     — 

d'arc,  russe  tetiva,  pol.  cieciwa,  lith.  temptywa,  id.  Cf.  tempti, 
tendre. 

L'anc.  irland.  tét,  fidis  (  Z.2,  68  ),  irland.  mod.  téad,  te'ud, 
cymr.  tant,  répond  au  sansc.  tantu,  corde,  et  ne  désigne  pas 
spécialement  celle  de  l'arc.  Pour  ce  dernier  sens,  on  trouve 
l'irland.-erse  taiféid  =  taifet,  ta/et  (?),  qui  semblerait  indi- 
quer un  thème  primitif  tanvant,  synonyme  de  tâvara  et  de 
thanvara. 

Tous  ces  noms  divers  peuvent  avoir  désigné  la  corde  de 
l'arc  comme  tendue  ou  comme  sonore,  en  vertu  de  la  double 
signification  de  la  racine  tan.  Cf.  Tiivoù  et  crnvûù  =  scr.  stan, 
lat.  ten-do  et  tono,  tonitru,  ang.-sax.  thenian,  scand.  thenia, 
anc.  ail.  danjan,  tendere,  et  ang.-sax.  thunian,  tonare,  thunor, 
anc.  ail.  donar,  tonitru,  etc.  Le  scand.  thundr,  arc,  signifie 
probablement  le  sonore. 


§  250.  LE  CARQUOIS. 

Les  noms  du  carquois  sont  ordinairement  des  composés 
significatifs  propres  aux  diverses  langues,  comme  le  scr.  ishu- 
dhi,  çaradhi,  porte-flèche,  le  pers.  tîr-dân,  id.;  l'ang.-saxon 
earh-fere,  le  scand.  ôrva-maelir,  l'irl.  gath-bholg,  sac  à  flè- 
ches, etc.  Quelques-uns  seulement  donnent  lieu  à  un  petit 
nombre  d'observations  comparatives. 

1)  Le  scr.  tulasârinî,  carquois,  est  obscur  quant  à  sa  for- 
mation, et  le  D.  P.  l'accompagne  d'un  point  d'interrogation. 
Tidâ,  f.,  désigne  une  balance,  un  poids,  et  aussi  une  espèce  de 
vase,1  de  tul,  soulever,  peser,  équilibrer  ;  cf.  lat.  tollo;  etsara 

1  Cf.  irl.  tulân,  chaudron  (kettlej. 


—     283     — 

est  un  des  noms  de  la  flèche,  mais  la  nature  du  composé  reste 
énigmatique.  Il  est  probable,  toutefois,  que  tula  ou  tula  seul  a 
signifié  un  carquois  (cf.  tûna,  tûni,  id.);  car,  en  persan,  nous 
trouvons  dûl,  et  ce  nom  est  conservé  mieux  encore  dans  l'anc. 
slave  tulu,  illyr.  tul,  tuliza,  boh.  taul,  carquois.  Cf.  anc.  slave 
prituliti,  accommodare,  proprement  équilibrer?  -pol.tulic,  cal- 
mer un  enfant  en  le  dorlotant,  etc. 

2)  Les  composés  sanscrits  nishanga,  upâsanga,  carquois,  de 
ni  et  upa  +  a  -j-  sang,  adhasrere,  signifient  proprement  ce 
qui  est  attaché,  suspendu,  ce  qui  peut  s'entendre,  ou  du  car- 
quois même,  ou  des  flèches  liées  en  faisceau.1  Je  ne  sais  si 
l'on  peut  comparer  le  pers.  shagâ,  shaghtâ,  sakâ,  carquois,  dont 
la  sibilante  ne  correspond  pas  régulièrement,  et  je  ne  trouve 
pas  d'analogies  parmi  les  noms  européens  du  carquois.  Par 
contre,  la  racine  sang  pourrait  bien  nous  donner  l'explication 
du  lat.  sagitta,  la  flèche  en  tant  que  liée  dans  le  faisceau.  L'anc. 
irlandais  sagit,  plus  tard  saigheadh,  et  soigh,  cymr.  saeth, 
vient  peut-être  du  latin.  Cependant  le  verbe  saigim,  adeo  (Z.2, 
995),  c'est-à-dire  je  m'attache  à,  exactement  le  scr.  sdng,  à 
cause  du  g  non  aspiré,  peut  faire  croire  à  une  origine  indépen- 
dante. 

3)  Le  grec  yoùpvroç,  carquois,  suggère  un  rapprochement 
curieux,  bien  qu'un  peu  hypothétique.  Benfey  déjà  considère 
ce  mot  comme  composé  de  yoù,  qui  serait  identiquement  le 
sanscrit  gô}  flèche,  et  de  puroç,  dérivé  de  pvojucti,  conserver, 
protéger  (  Gr.  Wb.,  II,  114,  303),  explication,  sans  contre- 
dit, très-ingénieuse.  Toutefois,  et  en  adoptant  sa  conjecture 
quant  à  yco,  on  pourrait  aussi  rattacher  pvroç  à  la  rac.  ôv  = 
scr.  ru,  sonum  edere,  fremere,  murmurare,    conservée    dans 

1  Cf.  erse  dôrlach,  carquois  et  faisceau,  poignée,  paquet. 


—     284     — 

co-pva,  suivant  Pott  (Et.  F.,  I,  213),  =  scr.  â-rû.  Voici  sur 
quoi  je  me  fonde. 

A  la  p.  73,  j'ai  parlé  du  sanscrit  gôruta,  qui  correspond 
lettre  pour  lettre  à  yapvTog,  mais  qui  désigne  une  mesure  de 
distance,  celle  où  l'on  entend  le  beuglement  d'une  vache,  go. 
En  prenant  ce  dernier  mot  dans  l'acception  de  flèche,  on  au- 
rait exactement  le  corrélatif  du  mot  grec,  et  le  carquois  pour- 
rait avoir  reçu  son  nom  du  bruit  qu'y  font  les  flèches  agitées 
par  le  mouvement,  la  marche,  etc.  Ceci  rappelle  ce  que  dit 
Homère  d'Apollon,  quand  il  descend  irrité  de  l'Olympe  (i7., 
I,  45)  : 

iuXocy^uv  tfocf  oivTÙ  fat   ojiuloov  km/aimo. 

Arcum  humeris  gestans,  et  undique  tectam  pharetram, 
Clangoremque  dederunt  sagittae  in  humeris  irati. 

Cette  interprétation  semble  trouver  un  nouvel  appui  dans 
un  nom  germanique  du  carquois,  l'ang.-saxon  cocer,  ancien 
allemand  chochar,  allemand  mod.  kôcher,  dont  Benfey  com- 
pare le  co  avec  le  yoù  grec,  mais  en  rapportant  char  à  la 
rac.  sanscr.  dhvr  (?).  Il  serait  beaucoup  plus  simple  de  le  rat- 
tacher immédiatement  à  l'ang.-sax.  ceorian,  murmurare,  anc. 
ail.  charôn,  queri,  cherran,  strepere,  etc.  Cf.  scr.  gar,  gar,  so- 
num  edere,  etc.  Ainsi  cocer ,  qui  serait  en  sanscr.  gôgara, 
deviendrait  l'équivalent  parfait  de  yodQVTOç ,  expliqué  comme 
ci -dessus. 


—     285     — 


§  251.  L'ÉPÉE,  LE  SABRE,  LE  POIGNARD. 


Les  armes  destinées  à  frapper  d'estoc  et  de  taille  ont  pris 
des  formes  si  diverses  que  leur  nomenclature  n'a  pas  cessé  de 
s'étendre,  et  de  se  modifier  d'âge  en  âge.  C'est  pourquoi  au- 
cun des  noms  anciens  ne  s'est  conservé  d'une  manière  géné- 
rale. Ce  qui  en  est  resté  dans  quelques  langues  suffit  cependant 
à  prouver  que  ces  armes  ont  été  en  usage  dès  l'époque  primi- 
tive; et  comme  elles  supposent  presque  nécessairement  l'em- 
ploi du  métal  pour  la  fabrication  des  lames,  on  peut  tirer  de 
là  un  argument  de  plus  pour  un  certain  degré  de  développe- 
ment de  l'industrie  métallurgique. 

1)  Scr.  asi,  épée  ;  astra,  id.,  arme  en  général,  plus  spécia- 
lement arme  de  jet,  de  as,  jacere. 

Lat.  ensis,  concordance  unique,  mais  sûre. 

L'épée  n'est  pas  une  arme  de  jet,  mais,  en  frappant  du 
glaive,  on  lance  le  coup,  ce  qui  explique  cette  étymologie.  Le 
grec  çiQoç,  épée,  se  rattache  de  même  à  la  racine  scr.  kship, 
jacere,  d'où  kshipani,  arme  de  jet,  et  coup  de  fouet  lancé, 
kshêpana,  fronde,  etc.  Cf.  pers.  shîbâ,  action  de  lancer  des  flè- 
ches, shîw,  arc,  shîwan,  lance,  avec  sh  pour  ksh,  comme  dans 
shah,  shaw,  shaf,  nuit  =  scr.  kshapa.  Le  persan  shifar,  épée, 
grand  couteau,  tranchant  de  glaive,  que  l'on  serait  tenté  de 
rapprocher  de  |/(Poç,  provient  sans  doute  de  l'arabe  shafrat, 
pi.  shifâry  tranchant,  bord.1 

1  Pott  (WWb.,  4,  81)  regarde  f/@oç  comme  sémitique,  en  compa- 
rant l'arabe  saif  et  le  cophte  sifi.  Fick  (406)  et  avec  lui  Curtius 
(Gr.  Et.:Kt  651)  se  fondent  sur  le  aw'poç  de  Hesych.,  et  !»0»,  fer  du  rabot, 


—     286     — 

2)  Scr.  çiri,  épée,  de  çf,  car,  laedere. 

Goth.  hairns,  ags.  heoru,  heor,  scand.  hiôr,  id. 

Aux  diverses   formes  de  la  racine  çf  ou  1er,  car,  kar,  çal, 
leal,  etc.,  qui  ont  été  signalées  plus  haut  en  parlant  de  la  lance 
et  de  la  flèche,  se  rattachent  aussi  plusieurs  autres  noms  de 
l'épée.  —  Ainsi,  à  kar,  le  sansc.  karanda,  glaive;  cf.  kourde 
kerendi,  faux,  armén.  keranti,  id.;  kourde  kêr,  couteau,  pers. 
kâri,  tranchant  acéré,  etc.  A  kal,  l'irl.-erse  calg,  colg,  épée,  et 
aiguillon;  et  le  lithuan.  kalawijas,  épée.1  Il  faut  séparer  de  ce 
croupe  les  noms  du  couteau  qui  appartiennent  à  la  racine  krt 
(p.  178),   zend  kareta,  persan  kârd,   ossète  kard  et  chard, 
épée,  etc.  C'est  à  ces    derniers  noms  que  paraissent  se  lier, 
comme  termes  venus  de  l'Orient,  le  russe  kârda,  sabre,  ill. 
korda,  polon.  kord,  alban.   kord,  hongrois  kard,  lith.   kârdas, 
ainsi  que  le  scand.  kordi,  glaive.  —  Cependant  le  scand.  hrotti, 
épée,  où  les  consonnes  sont  régulièrement  changées,  et  sur- 
tout le  latin   carduus,  le  chardon  piquant,  semblent  indiquer 
aussi   une   racine   kard,  laquelle  rappelle  le  sanscrit  khard, 
pungere,  mordere  (de  serpentibus  ),  isolée,  il  est  vrai,  dans  le 

Dhâtup.2 

3)  Scr.  tanka,  tanka,  épée,  burin,  hache  ;  tanga,  épée,  pelle; 

rac.  tak  =  taksli  (Cf.  p.  171). 

Pers.  tak,  tuk,  pointe  d'épée,  bec.  Cf.  takah,  flèche. 

Irl.  tuca  (de  tunca),  épée,  rapière,  cymr.  twea,  espèce  de 
couteau,  d'où  l'anglais  tuck,  rapière.  —  Cf.  cymr.  tweiaw, 
tociaw,  couper  ;  grec  tvjcqç,  ciseau  à  tailler,  tvkm,  façonner, 
TV)ti&,  tailler  ;   anc.  slave  tuk,  dans  is-tuk-anu,  simulacrum 

pour  comparer  Pane,  allem.   scaba,  rabot,  scand.  scafa,  grattoir,  et 
skjafa,  hache. 

1  Cf.  siahpôsh  kalai,  couteau,  afghan  cale,  care,  id. 

2  Cf.  de  plus  le  lith.  skerstifskerdu),  tuer,  égorger. 


—     287     — 

sculptum,  russe  tukati,  tociti,  piquer,  tuca,  pointe,  pol.  tyka, 
pieu,  etc. 

A  la  forme  taksh  appartiennent  le  pers.  tish,  épée,  l'armén. 
tashnag,  sabre,  ainsi  que  le  russe  tesàku,  glaive,  polon.  tasak, 
coutelas,  de  tesàtï,  tailler,  etc. 

4)  Scr.  bhidaka,  épée,  et  foudre  d'Indra;  racine  bliid  (bhi- 
natti),  findere. 

Irl.  bideôg,  erse  biodag,  épée  courte,  poignard;  bid  pour 
bindj  à  cause  du  cl  non  aspiré.  Cymr.  bidawg,  id. 

Le  nom  de  la  foudre,  qui  est  aussi  bhidu,  bhidira,  bhidura, 
bhidrcbj  se  retrouve  également  dans  l'irlandais-erse  beithir, 
peithir. 

5)  Scr.  rshti,  rishti,  épée,  lance. 
Zend  arsii,  id. 

La  racine  est  rsh,  rish.  arsh,  piquer,  percer,  blesser,  à  la- 
quelle appartient  le  latin  arma,  pour  arsma,  comme  le  prouve 
l'ombrien  arsmo  (Cf.  Z.  S.,  IV,  46).  Aucun  nom  de  l'épée  ne 
correspond,  mais  j'ai  comparé  déjà  (p.  110  )  l'anglo-saxon 
reost,  anc.  ail.  riostar,  riostra,  culter.  Cf.  aussi  le  scand.  rista, 
scindere.1 

6)  Anc.  si.  mecî,  mïcï,  glaive,  russe  mecî,  pol.  miecz,  illyr. 
mac,  etc.  Lith.  méczius. 

Goth.  mêki,  ags.  mece,  mexe,  anc.  sax.  ?ndki,  scand.  maekir. 
Cf.  pers.  mak,  muk,  lance,  javeline,  et  peut-être  latin  mucro. 
Le  maintien  du  k  germanique  fait  présumer  une  transmission 
du  slave  au  gothique.  Le  gr.  fxct^cti^d,  de  [Ac(,X,o[j,cti,  ne  cor- 
respond pas  régulièrement.  Une  rac.  mac  semble  indiquée  par 
le  latin  macellum,  à  côté  de  macto.   Le  Dhâtup.  donne  aussi 

1  Cf.,  p.  271,  l'irl.  f  err,  pique,  pour  ers. 


—     288     — 

une  racine  maksh,  scindere,  qui  rappelle  singulièrement  l'an- 
glo-sax.  mexe,  glaive. 

§  252.  LA  MASSUE. 

Bien  que  la  massue  ait  en  sanscrit  plus  d'une  douzaine  de 
noms,  dont  deux,  gada  et  vagra,  se  retrouvent  dans  le  zend 
gada  et  vazra,  aucun  n'a  été  conservé  par  les  langues  euro- 
péennes, ni  même  par  le  persan,  qui  en  possède  cependant  une 
autre  douzaine.  Ces  derniers  seulement  donnent  lieu  à  quel- 
ques rapprochements,  et  encore  sont-ils  assez  incertains.  La 
massue,  toutefois,  est  une  arme  si  primitive,  qu'elle  doit  avoir 
été  en  usage  dès  les  temps  les  plus  reculés. 

1)  Persan  kala,  massue  de  fer.  Cf.  kâlîdan,  mettre  en 
pièces. 

Ossète  qil. 

Lat.  clava,  massue.  —  Cf.  kXcIûùj  briser,  rompre. 

Irl.  cuaille;  cymr.  civlbren,  id.  (pren,  bois). 

Lith.  kule,  id.,  kulbé,  maillet.  —  Cf.  kulti,  frapper. 

Pol.  kula,  id.  —  Cf.  anc.  si.  klati  (koliâ) ,  mactare. 

Le  scand.  kylfa,  anc.  ail.  cholbo,  angl.  club,  semblent  être 
des  mots  d'emprunt,  vu  le  maintien  du  k.  La  racine  commune 
est  la  même  sans  doute  que  celle  du  §  246,  1,  savoir  kal  = 
kar,  Va  changé  parfois  en  u  par  l'influence  de  la  liquide.  Le 
grec  KoçvvYi,  massue ,  appartient-il  à  la  même  racine,  ou  à 
kqçvçi  tête  ? 

2)  Pers.  karzahj  massue. 
Irl.  cairse,  id. 

Le  z  persan  remplace  quelquefois  une  s  primitive,1  de  sorte 

1  Cf.  Vullers,  Inst.  ling.  pers.,  p.  25. 


—     289     — 

que  ce  rapprochement  est  licite,  mais  il  n'en  est  pas  moins 
incertain,  à  cause  de  son  isolement.  L'origine  de  ces  mots  est 
également  obscure. 

3)  Armén.  sunag,  massue,  gros  gourdin. 

Irl.  son,  sonn,  id.,  id.  —  (Cf.  §  270.) 


§  253.  LE  BOUCLIER. 

Cette  arme  défensive,  la  plus  simple  de  toutes,  a  été  inven- 
tée spontanément  partout  où  l'on  s'est  battu,  c'est-à-dire  à 
peu  près  chez  tous  les  peuples  du  monde.  Les  anciens  Aryas 
la  possédaient  comme  les  autres,  et,  bien  qu'ici  également  les 
noms  aient  beaucoup  varié,  quelques-uns  datent  encore  des 
temps  primitifs. 

1)  Scr.  canna,  carman,  bouclier  et  peau. 

Ane.  ail.  scenn,  scirm,  bouclier  et  défense,  protection.  Cf. 
t.  I,  p.  203,  aux  noms  de  l'écorce,  et  p.  29,  à  ceux  du  cuir. 
Les  boucliers  se  faisaient  avec  l'une  et  l'autre  matière.  On 
peut  rattacher  au  même  groupe  général  le  siahpôsh  karai, 
bouclier,  cf.  corium,  etc.,  et  peut-être  l'irland.  câil,  caile,  bou- 
clier et  protection  ;  cf.  anc.  ail.  skâla,  scand.  skêl,  écorce,  etc. 
Benfey  compare  avec  èarma,  le  gr.  7rd^v\,  7ra,\fA,v\9  latin 
parma,  par  le  changement  ordinaire  de  k  en  p  (  Gr.  WL,  II, 
83).  Mais  nous  verrons  ci-après  d'autres  rapprochements  pos- 
sibles. 

2)  Scr.  phala,  pliara,  phalaka,  bouclier,  et  planche,  feuille, 
lame,  etc. ,  de  la  rac.  pliai,  findi. 

Kuhn  (Z.  S.,  111,437)  considère  spal  comme  la  forme 
primitive,    l'aspiration   du  pli  remplaçant   Y  s   supprimée,  et 

II  19 


—     290     — 

compare  tr&tActç,  banc,  gotli.  spilda,  tablette  à  écrire,  anc. 
ail.  spalt,  fissure,  spaltan,  fendre,  etc.  La  notion  commune 
serait  celle  de  corps  plat  obtenu  en  fendant  le  bois.  D'après 
cela,  on  peut  conjecturer  que  7rctXfJLYi,  7rct^fLtyj^  bouclier,  a  perdu 
également  une  s  primitive,  ce  qui  le  séparerait  de  carma,  et 
7rct\oL^jLYi,  latin  palma,  anc.  ail.  folma,  la  main  plate,  la  -paume 
de  la  main,  se  relieraient  secondairement  à  la  même  origine. 
On  pourrait  aussi  y  ramener  7ti\ty\->  lat.  pelta,  bouclier,  auquel 
semble  répondre  l'irland.  failte,  id.,  avec/  exceptionnellement 
pour  p. 

A  phara,  de  spara  (?),  peut  appartenir  le  pers.  ispar,  sipar, 
zipar,  armén.  asbar,  bouclier.  Toutefois,  on  trouve  en  sans- 
crit védique  une  rac.  spar,  sauver,  protéger  (  D.  P.  ;  cf.  an- 
glo-saxon sparian,  scand.  spara,  ancien  allem.  sparôn,  favere, 
parcere),  qui  donnerait  pour  le  bouclier  un  sens  bien  appro- 
prié, et  à  laquelle  wd^fA,^  pour  <77r#^J7,  se  relierait  mieux  qu'à 
pliai. 

3)  Scr.  âvarana,  bouclier.  —  Cf.  vârana,  armure,  au  §  qui 
suit. 

Irl.  fearn,  id.  —  Cf.  ang.-sax.  ivearne,  obstaculum. 

La  racine  est  var,  tegere,  et  reviendra  tout  à  l'heure. 

4)  Lat.  scutum,  bouclier.  Cf.  cdcvtoç,  kvtoç,  peau,  cuir,  et 
cutis. 

Anc.  irland.  seiath  (Z.2,  18);  cymr.  ysgwyd,  ancien  armor. 
sooit  (Z.2,  97). 

Anc.  si.  shtitïï,  russe  shéitû,  illyr.  sctit. 

Alban.  skiut,  skutûre. 

Aufrecht  (Z.  S.,  I,  360)  rattache  scutum  et  (tkvtûç  à  la 
rac.  scr.  sku,  tegere,  tout  comme  Mikl.  l'anc.  si.  shtitu,  pour 
shkitu.  Un  i  pour  u  se  montre  aussi  en  celtique,  où  seiath  et 


—     291     — 

ysgwyd  indiquent  un  thème  ancien  scêtâ  (  ê  de  i  par  gouna). 
Cf.  Stokes,  Ir.  GL,  p.  148.  Cf.  <nc/#,  ombre.1 

Aufrecht  sépare  de  scutum,  avec  raison,  je  crois,  le  lithuan. 
scydas,  scyda,  bouclier,  dont  le  d  ne  correspond  pas,  et  le  rap- 
porte, ainsi  que  le  goth.  skadus,  ombre  (pour  skatus) ,  à  la  rac. 
scr.  chad,  tegere,  provenue  de  skad.  Cf.  irland.  sgathaim,  cou- 
vrir, sgath,  ombre,  etc.  Il  observe  ensuite  que  cliadis,  de- 
meure, c'est-à-dire  couvert,  se  présente  dans  les  Védas  sous 
la  forme  plus  complète  chardis,  ce  qui  indique  une  racine  pri- 
mitive chrd,  chard  =  skard,  et  cette  racine  lui  paraît  rendre 
compte  du  goth.  skildus,  ags.  scyld,  scand.  skiôlldr,  ancien 
allem.  scilt,  bouclier.  Ces  conjectures  sont  à  coup  sûr  très- 
ingénieuses. 

5)  Lat.  clipeus,  clupeus,  bouclier. 

Scand.  hlîf,  scutum,  tutamen,  hlîfa,  tueri,  hlîfd,  tutela,  etc. 
C'est  Aufrecht  encore  (  1.  c.)  qui  rapproche  ces  deux  noms, 
malgré  la  différence  des  voyelles  qu'il  justifie  d'ailleurs 
suffisamment.  J'ajouterai  à  cette  comparaison  celle  de  l'illyr. 
o-klop,  armure,  cuirasse;  cf.  pri-klopiti,  couvrir,  néo-sl.  sklê- 
pati,  claudere,  r.  klep  (Mikl.,  Lex.,  285).  Pott  (Et.  F.,  II, 
163)  mentionne  Fane,  prussien  au-klipts,  abditus,  et  compare 
Kot,\v7rTûù  =  KÇV7TT00 ,  cacher,  couvrir.  Je  rappelle  aussi  les 
crupellarii  ou  guerriers  cuirassés  chez  les  Gaulois,  dont  parle 
Tacite  {Annal.,  III,  43). 

1  Haug  [Gâthâs  des  Zoroasters,  II,  95)  signale  en  zend  une  rac. 
sfti,  couvrir,  protéger,  à  laquelle  il  rapporte  s-y-ioc  et  l'ang.  shy, 
ciel.  Cf.  irl.  sceo,  id.  (O'R.)  Justi,  par  contre,  identifie  ski  avec  kshi, 
demeurer. 


292 


§  254.  L'ARMURE. 

La  nécessité  de  protéger  le  corps  mieux  que  par  le  simple 
bouclier,  a  dû  suggérer  de  bonne  heure  l'emploi  de  l'armure, 
qui  toutefois  n'a  pu  se  perfectionner  que  très  à  la  longue,  et 
pièce  par  pièce.  Il  serait  intéressant  de  savoir  si  les  anciens 
Aryas  étaient  arrivés  à  fabriquer,  au  moins  partiellement,  des 
armures  métalliques;  mais  les  langues  ne  nous  apprennent  rien 
à  ce  sujet,  parce  que  le  petit  nombre  des  termes  comparables 
n'expriment  autre  chose  que  la  fonction  de  l'armure  comme 
défense.  Il  est  probable  que  le  cuir  en  a  constitué  d'abord  la 
matière  principale,  et  que  le  métal  y  a  été  associé  graduelle- 
ment avant  de  le  remplacer  tout  à  fait. 

1)  Scr.  varman,  vârana,  armure,  cuirasse,  varutha,  id.,  et 
cuir,  de  la  rac.  vr,  var,  tegere,  circumdare.  Cf.  plus  haut  âva- 
rana,  bouclier,  et  les  composés  dêhâvarana,  tanuvâra,  armure, 
c'est-à-dire  qui  couvre  le  corps,  vanavâra,  qui  défend  des  flè- 
ches, etc. 

Zend  vairi,  vârethman  ,  cuirasse  (Haug,  Gâth,  I,  191,  et 
Justi).  Cf.  vareça,  arme  (ib.  189),  vâra,  protection,  dé- 
fense, etc.  ;  rac.  var. 

Armén.  war,  waruadz,  armure. 

Scand.  veria,  id.  ;  anc.  ail.  wari}  weri,  clypeus,  gawer,  arme  ; 
cf.  goth.  varjan,  defendere,  etc. 

Le  sansc.  kâvâri,  de  ka  -f-  â-var  (D.  P.),  désigne  un  para- 
pluie ou  une  ombrelle,  et  signifie  littéralement  :  quel  (bon) 
couvert  !  —  C'est  là  un  de  ces  composés  exclamatifs  qui  sont 
assez  nombreux  en  sanscrit,  mais  dont  quelques  linguistes 
allemands  ne    veulent  pas   reconnaître    l'existence    dans   la 


—     293     — 

langue  arienne  proethnique,  malgré  les  faits  qui  paraissent 
bien  la  constater.  Ces  composés  cependant  ont  par  eux- 
mêmes  un  caractère  de  naïveté  qui  s'accorde  parfaitement 
avec  la  nature  d'un  idiome  primitif,  et  on  ne  saurait  les  en 
exclure  a  priori.  Tout  dépend  ici  du  nombre  et  la  valeur  des 
comparaisons,  et  le  sansc.  kâvârî  nous  conduit,  je  crois,  à  un 
nouvel  exemple  assez  concluant,  à  ajouter  aux  observations 
déjà  faites. 

Il  est  évident  que  ce  mot,  ou  un  synonyme  de  ka-vara,  en 
vertu  de  sa  signification,  s'appliquerait  aussi  bien  à  une  ar- 
mure qu'à  une  ombrelle,  et  l'on  trouve,  en  effet,  le  terme  tout 
semblable  ka-vasa,  quel  vêtement  !  pour  armure.  Or ,  le 
persan  nous  offre  kabrah,  gabar,  gabr,  corselet  de  fer,  cotte  de 
mailles,  où  le  b  est  pour  v,  comme  dans  bar,  bârah,  rempart, 
bar,  barm,  garde,  protection,  etc.;  et  l'irlandais,  qui  ne  pos- 
sède pas  de  v,  et  qui  ne  le  remplace  par  /  qu'au  commence- 
ment des  mots,  nous  présente  pour  le  bouclier  le  terme  iden- 
tique cabhara  oucobhra.1  Peut-on  mettre  cette  triple  analogie 
de  forme  et  de  sens  sur  le  compte  du  hasard?  J'en  doute  fort 
pour  ma  part.2 

2)  Scr.  gagara,gâgara,  gâala,  armure;  forme  redoublée.  Cf. 
gala,  gâlikâ,  cotte  de  mailles,  espèce  de  casque,  proprement 
filet,  de  gai,  tegere  (Dhâtup.). 

En  zend,  où  cette  racine  serait  zar,  nous  trouvons  zrâdha, 
ou  zarâdha,  armure  (Spiegel,  Avesta,  I,  205).  C'est  le  persan 

1  (O'R.,  d'après  un  vieux  glossaire.)  Irl.  moy.  cobhair,  id.  (Maghr., 
p.  304.)  Le  verbe  cobraim,  cobraighim,  je  protège,  j'aide,  f  cobrad, 
juvet  (Z.2,  359),  est  un  dénominatif  de  cobair,  comme  en  anglais 
to  shield  =  to  protect. 

2  Cf.  pour  le  sens  le  sanscrit  çarâvara,  -varana,  bouclier,  armure, 
qui  protège  contre  les  flèches,  et  aussi  carquois,  qui  couvre  les 
flèches. 


—     294     — 

zirak,  le  kourde  zerîk,  l'arménien  zrah  (mais  aussi  garasi) 
et  le  siahpôsh  girah.1  —  Le  pers.  ciighal,  armure,  paraît  ré- 
pondre au  sanscrit  gagala,  comme  l'ossète  zgar,  sgar,  à  ga- 
gara. 

En  Europe,  je  ne  trouve  à  comparer  que  le  latin  galea, 
casque,  irland.  galiath,  id.  (O'R.),  et  peut-être  Yir\and..goill, 
bouclier. 

3)  Scr.  saggâ,  sagganâ,  armure,  équipement,  vêtement,  de 
saggay,  causât,  de  sag,  sang,  attacher,  s'attacher,  adhérer 
(D.  P.).  Cf.  sag,  tegere  (Dhâtup.),  et  Fick  (192),  à  rac.  sag. 

Grec  <TcLyY\,  armure,  harnais,  (rctyuct,  id.,  et  manteau  ; 
ctolttci),  rac.  (Tcty,  équiper.  Cf-  crotyrçi/rç,  sagena,  grand  filet. — 
Cf.  le  gaulois  sagum,  saie,  etc. 

Irl.  sas,  arme,  instrument,  de  sdgs(?). 

4)  Scr.  kukûla,  armure  et  enveloppe,  gousse;  éôlaka,  ar- 
mure; cf.  rac.  kûl,  defendere  (Dhâtup.),  avec  réduplication. 

Erse  culaidh,  id.  Cf.  cul  (irl.),  défense,  garde. 

Scand.  hukull,  hôkul,  thorax,  armure  pour  la  poitrine;  cf. 
hekla,  manteau;  le  k  conservé  irrégulièrement. 

Ici  probablement  le  gaulois  cucullus,  sorte  de  cape,  ainsi 
que  d'autres  noms  du  chapeau  que  nous  retrouverons  plus 
loin.  Comme  la  rac.  kûl  serait  en  zend  kûr  ou  kur,  on  peut 
comparer  kniris,  portion  de  l'armure  que  Spiegel  traduit  par 
halsbedeckung,  hauberge  (Avesta,  I,  p.  205).  La  ressemblance 
de  ce  mot  avec  notre  cuirasse  est  un  pur  jeu  du  hasard.2 

1  Ajouter  huzv.  zrâê,  pars,  zreh  (Justi,  128),  où  zrâdha  est  ratta- 
ché à  zrâd  =  scr.  hrâd,  bruire,  résonner. 

2  Cf.  Justi  (83)  qui  mentionne  notre  rapprochement. 


295 


§  255.  LE  CASQUE. 

Destiné  à  protéger  la  tête,  le  casque  est  le  complément  né- 
cessaire du  bouclier,  et  a  dû  précéder  l'usage  des  autres  pièces 
de  l'armure.  Cependant  ses  noms  diffèrent  presque  partout, 
parce  qu'ils  consistent  généralement  en  composés  significatifs 
ou  en  dérivés  des  termes  qui  désignent  la  tête  dans  les  lan- 
gues particulières.  Ainsi  le  scr.  çirastra,  çirastrâna,  de  ciras, 
tête,  et  trâ,  protéger,  ou  bien  çîrshaka,  de  çîrsha,  tête,  etc.,  le 
zend  çâravâra  (Vendid.,  14,  39),  armén.  saghavard  pour  sala- 
vard,  de  çâra,  çara,  tête  =  grec  kcc^y\,  kclqcc,  et  var,  tegere 
(Justi,  294);  le  gr.  xbçvç,  -vùoç,  que  Bopp  (  Verg.  Gr.,  147) 
explique  par  koçv  +  osa),  capiti  impositum,  et  qui,  en  tout 
cas,  se  lie  au  nom  de  la  tête,  KOPvQq  ;  l'irland.  ceannbeirt,  de 
ceann,  tête,  etbeirt,  défense,  armure;  le  cymv.  penawr,  peniel, 
de  peu,  tête,  etc. 

Parmi  les  noms  simples,  je  ne  trouve  à  comparer,  avec 
quelque  probabilité,  que  le  sanscr.  gala,  espèce  de  casque  en 
mailles,  déjà  mentionné  plus  haut,  et  le  latin  galea,  casque, 
auxquels  répond  peut-être  l'ang.-sax.  colla,  id.,  avec  c  régu- 
lièrement pour  g,  g.  L'irl.  galiath,  casque,  peut  être  provenu 
du  latin. 

Les  Germains  et  les  Lith.-Slaves  ont  en  commun  un  nom 
du  casque  qui  doit  remonter  à  une  haute  antiquité.  C'est  le 
goth.  hilms,  ags.  helm,  scand.  hiâlmr,  anc.  ail.  helm,  etc.,  d'où 
notre  heaume,  l'anc.  slave  shlemil  (shlemïniku,  galeatus),  russe 
shlémïï;  lith.  szalmas.  Grimm  (  Geseh.  d.  deuts.  Sp?\,  p.  121) 
compare  le  thrace  tpLX^oç  =  Sooct,  peau,  suivant  Porphyre, 
qui  explique  le  nom  de  Zalmoxis  par  la  circonstance  que  ce 


—     296     — 

roi,  à  sa  naissance,  avait  été  enveloppé  dans  une  peau  d'ours. 
Cela  conduit  Grimm  à  remonter  au  sanscrit  carma ,  peau  et 
bouclier,  comme  un  corrélatif  des  termes  européens,  qui  au- 
raient désigné  ainsi  un  casque  de  peau  ou  de  cuir.  J'ajouterai 
que  l'irl.  cailmhion,  casque  (Llh.  et  O'R.),  qui  semble  répondre 
au  synonyme  scr.  carman,  fournit  un  nouvel  appui  à  ces  rap- 
prochements.1 

§  256.  LE  DRAPEAU,  L'ENSEIGNE. 

Les  avantages  d'un  insigne  de  guerre  comme  centre  de 
ralliement  dans  le  combat,  et  comme  symbole  de  l'honneur 
militaire  et  de  la  victoire,  sont  si  naturellement  indiqués,  que 
l'usage  s'en  retrouve  chez  les  peuples  les  plus  divers,  sans 
aucune  influence  d'imitation.  Ainsi  les  Mexicains  du  temps 
de  la  conquête  avaient  des  étendards  de  plusieurs  sortes  qui 
étaient  sûrement  de  leur  invention.  Les  peuples  de  la  race 
arienne  possédaient  tous  des  noms  variés  pour  le  drapeau  ou 
l'enseigne,  mais  aucun  de  ces  noms  n'offre  des  coïncidences 
assez  sûres  pour  qu'on  puisse  le  faire  remonter  avec  certitude 
à  l'époque  primitive.  Quelques  termes  seulement  permettent 
ici  et  là  une  conjecture. 

1)  Le  plus  intéressant  de  ces  termes  est  le  zend  drafsha, 
dans  lequel,  comme  le  dit  Burnouf  (Comment,  sur  le  Yaçna, 
p.  48,  notes),  «  on  ne  peut  s'empêcher  de  reconnaître  le  mot 
<(  d'où  s'est  formé  le  drappello  et  drapeau  des  langues  de 
«  l'Europe  occidentale  et  méridionale.»  La  ressemblance  est, 
en  effet,  frappante,  mais  il  faut  retrouver  les  chaînons  inter- 

1  Cf.  cependant  pour  le  germanique  hilms,  etc.,  l'anc.  ail.  helcrn, 
tegere,  lat.  celo,  etc. 


—     297     — 

médiaires,  qui  seuls  peuvent  confirmer  une  affinité  réelle. 
C'est  là  ce  que  je  vais  essayer. 

Au  zend  drafsha  se  rattachent  d'abord  le  pers.  dirafsh,  di- 
rawsh,  et  l'arménien  drôsli,  drôshag,  drapeau  ;  mais  le  persan 
signifie  aussi  un  bandeau  que  l'on  met  autour  de  la  tête  pour 
aller  au  combat  (Cf.  diraivish,  morceau  d'étoffe),  un  tablier  de 
forgeron/  puis  un  éclair  (=  durushf),  une  lance,  une  épée 
(durufshah),  sens  divers  qui  semblent  difficiles  à  réconcilier. 
Le  verbe  dirafshîdan,  trembler  et  briller,  peut  conduire  à  les 
expliquer,  bien  qu'il  ne  soit  qu'un  dénominatif. 

Dans  le  sanscrit  védique,  en  effet,  on  trouve  drapsa,  avec 
l'acception  de  goutte,  mais  qui  s'emploie  aussi  au  pluriel, 
drapsâs,  pour  désigner  les  flammes  mobiles,  ou  les  langues  de 
feu  qui  dévorent  le  combustible.2  Ceci  se  rapproche  déjà  du 
zend  drafsha,  car  le  drapeau  se  compare  facilement  à  une 
flamme,  et  en  porte  quelquefois  le  nom,  comme  en  français 
oriflamme,  et  flamme  pour  banderole.  Ce  drapsa,  d'après  le 
D.  P.,  se  lie  probablement  à  la  racine  drâ,  currere,  causatif 
drâpay,  et  désigne  ainsi  la  goutte  en  tant  que  fluente,  et  la 
flamme  comme  mouvante,  ce  qui  s'applique  également  bien 
au  drapeau  qui  flotte,  et  rend  compte  du  double  sens  du  pers. 
dirafshîdan,  trembler  et  briller,  luire,  en  parlant  de  l'éclair,  de 
l'épée,  etc.,  comme  en  latin  micare. 

A  drapsa,  goutte,  répond  le  grec  tyoroç,  rosée,  à  un  thème 
plus  simple  drapa,  le  kourde  dlop,  goutte.  En  germanique, 
nous  trouvons  l'ang.-saxon  dropa,  scand.  dropi,  anc.  allemand 

1  Sans  doute  par  allusion  au  forgeron  Kâwah,  dont  le  tablier  servit 
de  drapeau  dans  la  révolte  contre  Zôhak. 

2  Ainsi  R.  V.  ;  I,  94,  11  :  drapsâ  yattô  yavasâdô  vyasthiran, 
flammse  quum  tuas,  graminis  consumtrices,  hic  illic  adsunt  (Ed.  Ro- 
sen,  p.  192). 


—    298    — 

trofo,  goutte,  respectivement  du  verbe  fort  driopan,  driupa, 
triufan  {truf,  trof,  trauf),  stillare,  dont  la  racine  druf,  truf, 
est  à  drap  comme  le  'sanscrit  drâ,  currere,  est  à  dru,  id.1 
Une  autre  série  d'analogies  se  lie  au  sanscrit  drapa,  le  maré- 
cage, la  boue  qui  distille.  Ainsi,  l'irlandais  drabhas,  drib, 
boue,  drab,  tache,  l'ang.-saxon  drof  sordidus,  le  lithuanien 
drapstyti  (  dénom.  ),  salir,  asperger.  Tout  cela  nous  prouve 
l'ancienneté  des  termes  en  question,  sans  nous  éclairer  jus- 
qu'ici sur  la  relation  présumée  entre  le  zend  drafsha  et  notre 
drapeau. 

Le  jour  commence  à  se  faire  par  le  sanscrit  védique  drâpi, 
manteau,  vêtement,  c'est-à-dire,  sans  doute,  vêtement  ample 
qui  flotte  en  tombant,  acception  qui  nous  ramène  à  celle  du 
persan  dirafsh,  dirawish,  bandeau  (dont  les  bouts  flottent), 
pièce  d'étoffe,  et  que  le  zend  drafsha  a  probablement  par- 
tagée. De  là  nous  arrivons  tout  naturellement  au  lith.  drapa- 
nos,  pi.,  qui  désigne  les  linges  portés  sous  les  vêtements,  la 
chemise,  etc.,  ainsi  qu'à  drobë,  toile,  termes  qui  se  lient  direc- 
tement à  une  racine  drab,  drib,  drëb,  conservée  dans  dripti 
(drimbu),  pendre  comme  un  corps  qui  vacille  et  va  tomber, 
distiller,  en  parlant  de  substances  gluantes  ou  grasses,  etc.  Cf. 
drabnus,  qui  pend,  drapsummas,  suspension,  drabuzis  ou  dre- 
buzis,  tout  ce  qui  pend  du  corps  comme  vêtement.  Nous  voilà 
bien  près  du  bas-laftn  drappus,  ital.  drappo,  drappello,  et  de 
notre  drap,  drapeau. 

Ce  n'est  pas,  toutefois,  du  lithuanien  qu'a  pu  provenir  le 
terme  du  bas-latin,  mais  bien  probablement  du  celtique,  et  dans 
les  dialectes  de  cette  branche,  je  ne  trouve  rien    qui  se  rap- 

1  Le  d  initial  germanique  est  resté  inaltéré  par  exception,  comme 
dans  dauhtar,  fille  =  scr.  duhitar ,  id.  Le  p  se  conserve  aussi  plus 
d'une  fois  à  la  fin  des  racines  verbales. 


—     299     — 

proche  des  acceptions  de  drap,  d'étoffe  ou  de  drapeau.  Mais 
l'irlandais,  à  côté  des  mots  drabhas,  drab,  drib,  cités  plus  haut 
et  qui  appartiennent  certainement  au  même  groupe,  offre  un 
verbe  dreapaim,  driopaim,  grimper ,  c'est-à-dire  se  pendre, 
s'attacher  à,  qui  répond  parfaitement  au  lith.  dripti,  et  d'au- 
tant mieux  que  le  p  non  aspiré  indique  une  forme  dreamp  = 
lith.  drimbu}  Dans  le  synonyme  dreimim  de  dreimmim,  c'est 
\ep  qui  s'est  assimilé.  On  peut  dès  lors  conjecturer  sans  invrai- 
semblance que  dans  quelque  dialecte  gaulois,  comme  en  lithua- 
nien, il  aura  existé  des  dérivés  de  cette  racine  avec  le  sens 
d'étoffe,  et  peut-être  de  drapeau.  C'est  ainsi  que  ce  dernier 
nom  paraît  bien  se  rattacher  en  réalité,  au  moins  étymo- 
logiquement,  au  zend  drafsha.  Cela  ne  suffit  pas  cependant  à 
prouver  que  les  anciens  Aryas  aient  possédé,  soit  le  mot,  soit  la 

chose.2 

m 

2)  Un  nom  du  drapeau  fort  analogue  par  sa  signification 
propre  est  le  latin  labarum,  sans  doute  de  labo,  vaciller,  bran- 
ler, commencer  à  tomber.  Cf.  sansc.  lamb,  labi,  cadere,  ava- 
lamb,  pendere,  d'où  lamba,  qui  pend,  lambana,  suspension, 
et  collier,  etc.,  et  le  latin  limbus,  bordure  de  vêtement.5  A  la 
même  racine  appartiennent  évidemment  le  cymr.  lumman, 
irlandais  lomân  (lommân),  étendard,  avec  assimilation  du  b, 
exactement  le  sansc.  lambana,  qui  toutefois  n'a  pas  le  sens  de 
drapeau. 

3)  Le  pers.  sâmah,  bannière,  répond  au  grec  omyjjut,a9omr}fMiovi 
signum  militare.  Le  sens  précis  du  mot  grec,  signe,  ne  se 
retrouve  pas  en  persan,  de  sorte  que  l'on  doit  présumer  un  em- 

1  De  là  aussi  la  non-aspiration  du  b  dans  drib,  drab,  boue,  tache. 

2  Cf.  sur  drafsha,  huzv.  drafsh,  Justi  (161),  qui  en  réfère  à  cet  ar- 
ticle. 

3  Cf.  anc.  ail.  limfan,  anglais  to  limp,  boiter, 


—     300     — 

prunt  de  la  part  de  cette  dernière  langue;  ce  qui  se  comprend 
aisément  pour  un  terme  militaire. 


§  257.   LA  TROMPETTE  DE  GUERRE. 

S'il  n'est  pas  sûr  que  les  anciens  Aryas  aient  eu  des  dra- 
peaux, on  peut  croire  que,  soit  pour  les  signaux  de  guerre, 
soit  pour  exalter  l'ardeur  des  combattants,  ils  ont  fait  usage 
de  quelque  instrument  aux  sons  bruyants.  En  laissant  de  côté 
la  conque  marine  qui,  d'après  nos  observations  (t.  I,  p.  644), 
n'a  été  employée  que  plus  tard  dans  l'Inde  et  la  Grèce,  il  est 
probable  que  leurs  premières  trompettes  n'étaient  que  des 
cornes  de  bœuf. 

Le  pers.  karncL^ trompette,  en  effet,  a  sûrement  signifié  une 
corne,  comme  l'indique  l'accord  de  plusieurs  langues  euro- 
péennes pour  cette  double  acception.  Le  lat.  cornu,  le  goth. 
■  haurn,  ags.,  scand.,  ancien  ail.  horn,  l'irl.  et  cymr.  corn,  ont 
tous  les  deux  sens,  et  on  sait  que  les  Gaulois  appelaient 
Kctpvcv  leur  trompette  de  guerre.  Il  en  est  de  même  du  grec 
kîûuç,  dont  l'origine  est  peut-être  différente.  Il  semble  diffi- 
cile, d'après  cela,  de  ne  pas  y  voir  un  mot  arien,  et  cependant 
bien  des  doutes  s'élèvent  en  présence  de  l'hébreu  qeren,  du 
chaldéen  qarnâ,  de  l'arabe  qarn,  qurnat,  qui  désignent  aussi 
soit  la  corne,  soit  la  trompette.  Comme  ce  nom  de  la  corne 
manque  en  sanscrit,  où  karna  ne  signifie  que  oreille,1  et 
comme  le  zend  cru,  çrva,  huzv.  çrûb  ( Justi)  ,  corne,  ongle, 
pers.  surû,  diffère  notablement,  on  reste  fort  incertain  sur  son 

1  Le  rapprochement  souvent  tenté  de  çrng a  avec  cornu,  etc.,  reste 
extrêmement  douteux. 


—    301     — 

origine  véritable.  C'est  là  un  de  ces  mots  énigmatiques  qui 
semblent  appartenir  en  commun  aux  Aryas  et  aux  Sémites. 
Si  toutefois  il  y  a  eu  emprunt  de  la  part  des  premiers,  il  ne 
peut  avoir  eu  lieu  qu'à  une  époque  où  le  latin,  le  germanique 
et  le  celtique  étaient  encore  bien  rapprochés  entre  eux,  ce  qui 
donne  en  tout  cas  à  ce  nom  de  la  trompette  une  antiquité 
très-respectable. 

D'autres  noms  de  l'instrument  se  rattachent  à  ceux  de  la 
corne  dans  les  langues  celtiques.  Ainsi  l'irl.  bublial,  cymrique 
bual,  avec  les  deux  sens  ;  cf.  bubalus;  l'irland.  stuc,  erse  stùc, 
stiichd,  corne,  et  stoc,  trompette  ;  cf.  ang.-sax.  stocc,  id.  ;  l'irl.- 
erse  dûd,  corne,  et  dudôg,  dudach,  trompette.  L'anc.  irland. 
buinne,  tuba  (Z.2,  13;  cf.  ang.-sax.  buna,  fistula),  se  lie  sans 
doute  de  même  à  benn,  cornu  (ib.,  p.  59),  cymr.  ban,  et  il  est 
singulier  que  ce  nom  celtique  ne  trouve  d'analogue,  à  ma  con- 
naissance, que  dans  le  buïnus,  boïnus,  corne,  de  quelques  dia- 
lectes turcs.1  On  pourrait,  d'ailleurs,  penser  à  la  rac.  sanscrite 
bhan,  résonner,  bruire,  crier  à  haute  voix  (D.  P.);  bliâna, 
espèce  de  représentation  dramatique,  bliânaka,  proclamateur  ; 
aussi  blian,  parler,  d'où  bhaniti,  parole,  langage.  Cf.  le  persan 
ban,  cri,  â-bânîdan,  acclamer,  louer,  célébrer,  le  grec  (pùôvv\, 
son,  voix,  chant,  l'irl.  boin,  langage,  le  cymr.  bànan,  bruit 
d'alarme,  l'anglo-saxon  ban,  scand.  bon,  baen,  invocation, 
prière,  etc. 

Rien  n'indique  que  les  tambours  ou  les  cymbales  aient  été 
en  usage  au  temps  de  l'unité,  bien  qu'en  Orient,  et  surtout 
dans  l'Inde,  ils  aient  joué  plus  tard  un  grand  rôle.   Leurs 

1  On  ne  peut  cependant  rien  en  conclure,  pas  plus  que  de  la  coïn- 
cidence, fortuite  à  coup  sûr,  du  bambara  (Afrique)  bien,  corne,  avec 
l'irl.  benn. 


—     302     — 

noms  diffèrent  partout,  et  sont  en  général  imitatifs,  comme  le 
sansc.  dundu,  dundama,  dindima,  pataha,  etc.,  l'anc.  slave 
bâbïnû,  polonais  bëben,  russe  bûbenu  et  barabanû;  le  scand. 
bumba,  etc.  Notre  mot  tambour  est  du  même  genre,  mais  il 
nous  est  venu  de  l'Orient,  où  on  le  trouve  dans  le  persan 
tambûr,  tambûr  âk,  tumbuk,  tabîr,  armén.  thembug;  cf.  kourde 
tdmbur,  guitare,  instrument  à  cordes.  Il  a  passé  aussi  dans 
l'irland.  tdbar  et  le  cymr.  tabwrdd} 


§  258.  OBSERVATIONS. 

L'ensemble  des  termes  qui  viennent  d'être  comparés  auto- 
rise certainement  à  conclure  que  les  Aryas  primitifs  étaient 
une  race  belliqueuse,  et  que  l'art  de  la  guerre  avait  pris  chez 
eux  un  certain  développement.  Leurs  armes ,  il  est  vrai,  étaient 
celles  que,  de  temps  immémorial,  nous  trouvons  en  usage  chez 
tous  les  anciens  peuples,  la  lance,  l'épée,  l'arc  et  les  flèches, 
sans  doute  aussi  la  massue,  et  peut-être  la  hache  de  bataille,  et 
comme  défense  le  bouclier,  l'armure  et  probablement  le  casque.1 
Nous  ignorons  aussi  jusqu'à  quel  point  ces  armes  étaient  perfec- 
tionnées. Mais  ce  qui  nous  éclaire  mieux  sur  la  question  géné- 

1  Weber  (Beitr.,  4,  278)  compare  le  sansc.  dambara,  dans  â-dam- 
bara,  tambour,  et  aussi  signal  de  la  trompette  pour  l'attaque,  et  mu- 
gissement de  l'éléphant,  dérivé  peut-être  de  stam,  <rrétu.Bio,  fortifier, 
c'est-à-dire  encourager.  Le  persan  tambûr  remonterait  à  la  période 
indo-iranienne;,  ou  aurait  été  importé  plus  tard  de  l'Inde. 

2  Pour  la  fronde,  je  n'ai  rien  trouvé  à  comparer,  mais  les  Indiens 
et  les  Iraniens  l'ont  possédée  de  toute  antiquité.  Dans  le  Vendidad 
(xtv,  37),  on  voit  que  le  guerrier  devait  être  muni  d'une  fronde  avec 
trente  pierres.  Les  autres  armes  spécifiées  sont  la  lance,  le  couteau 
(glaive),  l'arc  avec  trente  flèches  à  pointes  de  fer,  la  cuirasse,  le  hau- 
bert, et  les  cnémides  pour  les  jambes. 


■ —     oUo      — ' 

raie,  c'est  la  riche  synonymie  qui  existait  déjà  pour  la  guerre, 
le  combat,  l'armée  ;  c'est  l'usage  probable  des  chars  de  ba- 
taille et  du  cheval  de  guerre  ;  c'est  le  nom  du  héros,  peut-être 
comme  défenseur,  celui  de  l'espion  comme  explorateur  ;  c'est 
le  fait  peu  douteux  d'une  certaine  pratique  des  sièges,  et  de 
l'existence  d'enceintes  fortifiées  ;  c'est  enfin  ce  nom  de  la 
gloire  qui  s'est  conservé  d'une  manière  si  remarquable  chez 
tous  les  peuples  de  sang  arien. 

Quelles  ont  été  les  guerres  des  anciens  Aryas?  Quelles 
luttes  ont-ils  eu  à  soutenir  contre  des  races  étrangères  ?  Par 
quels  exploits  s'étaient-ils  illustrés?  Tout  souvenir  en  est 
effacé  ;  mais  la  vigueur  d'expansion  qui  les  a  dispersés  sur  une 
si  vaste  étendue  de  pays,  la  supériorité  qu'ils  ont  conquise  et 
maintenue  sur  les  autres  races,  l'ardeur  des  entreprises  et 
l'esprit  d'héroïsme  qui  n'ont  pas  cessé  d'animer  leurs  descen- 
dants, témoignent  à  coup  sûr  d'un  développement  précoce  et 
puissant  des  vertus  guerrières. 


CHAPITRE  III. 


§  259.  LES  PRODUITS  DE  L'INDUSTRIE. 

Après  avoir  passé  en  ?evue  les  principaux  arts  et  métiers 
qui  se  rapportent  à  la  civilisation  matérielle,  il  faut  compléter 
le  tableau  que  nous  cherchons  à  en  retracer  par  une  étude  des 
produits  de  cette  antique  industrie.  Nous  en  avons  déjà  con- 
sidéré une  partie  en  traitant  des  instruments  agricoles,  des 
outils  pour  le  travail  des  métaux,  des  bois,  des  étoffes,  en  par- 
lant de  la  navigation  et  des  armes;  il  nous  reste  à  voir  ce 
qu'étaient  les  habitations  des  anciens  Aryas,  leurs  ustensiles 
domestiques,  leurs  vêtements,  leur  nourriture,  enfin  tout  ce 
qui  concerne  la  vie  journalière  au  point  de  vue  matériel. 
C'est  ce  que  nous  tâcherons  de  faire  dans  autant  de  sections 
de  ce  chapitre  consacrées  à  ces  questions  diverses. 

SECTION  I. 
§  260.  LES  HABITATIONS. 

Se  construire  un  abri  contre  les  intempéries  des  saisons,  et 
comme  lieu  de  repos  pendant  la  nuit,  est  une  des  premières 


—     305     — 

nécessités  de  l'homme;  mais  la  nature  de  cet  abri  varie  suivant 
les  climats  et  les  exigences  qui  résultent  du  mode  de  vivre, 
et  du  degré  de  culture  sociale.  Le  chasseur  et  le  pâtre  nomade 
ne  s'accommodent  que  d'un  abri  mobile,  tente  ou  chariot  ; 
la  demeure  fixe,  la  maison  proprement  dite,  est  indispensable 
à  l'agriculteur  ;  enfin,  les  agglomérations  de  maisons  et  de 
familles,  en  villages  et  en  villes,  sont  le  résultat  nécessaire 
d'une  organisation  sociale  plus  avancée. 

Les  Aryas  primitifs,  qui  avaient  sûrement  traversé  plu- 
sieurs phases  de  développement  avant  leur  dispersion,  devaient 
posséder  des  habitations  de  plus  d'un  genre ,  et  c'est  ce  qu'in- 
dique déjà  la  synonymie  très-riche  des  anciens  noms  de  la 
maison.  Ces  noms  ne  datent  point  sans  doute  d'une  même 
époque,  et  se  distinguaient  probablement  par  des  nuances  de 
signification  qui  se  sont  confondues  plus  tard.  Si  leur  sens  éty- 
mologique, d'une  nature  ordinairement  très-générale,  nous 
éclaire  peu  sur  les  détails  qui  piqueraient  le  plus  notre  curio- 
sité, ils  laissent  entrevoir  parfois  les  idées  que  les  Aryas  atta- 
chaient à  la  maison  et  à  la  famille.  On  voit  aussi,  par  la  no- 
menclature des  parties  de  la  maison,  qu'ils  possédaient  déjà 
autre  chose  que  de  simples  cabanes.  C'est  ce  que  prouveront 
les  rapprochements  qui  suivent,  et  dont  les  plus  évidents  sont 
généralement  reconnus  et  acceptés.  Ceux  que  leur  isolement 
rend  moins  sûrs,  ne  sont  ajoutés  qu'à  titre  de  conjectures 
qui  pourront  se  vérifier  plus  tard. 

ARTICLE  i. 
§  261.  LA  MAISON  EN  GÉNÉRAL. 

1)  Scr.  vêd.  dama  et  dam,  maison,  demeure.  De  là  damû- 
II  20 


—     306     — 

naSy  domesticus,  familiaris,  et  dampati,  le  chef  de  la  maison  et 
de  la  famille. 

Zend  dénia,  dèma,  demeure  (Justi),  demâna,  maison,  dans 
le  dialecte  plus  ancien  des  Grâthâs,1  plus  tard  nëmâna,nniâna, 
peut-être  différent. 

Armén.  dohm,  maison,  famille. 

Gr.  $6[A0ç,  $0[A,rj,  SûùfAct,,  oûù,  etc. 

Lat.  domus,  domesticus,  domicilium. 

Irl.  damh,  daimh,  maison,  famille.  —  Cymr.  dofr,  dofraeth 
(/pour  m),  domicile,  domesticité. 

Ang.-sax.  team,  famille,  race. 

Lith.  dimstis,  ferme,  cour  (?). 

Ane.  si.  et  russe  domïï,  pol.,  illyr.,  etc.,  dom. 

La  racine  en  sanscrit  est  dam,  domitum,  mitem  esse  et  do- 
mare,  et  le  D.  P.  voit  dans  dama,  non  pas  la  maison  maté- 
rielle, mais  le  lieu  où  règne  et  domine  le  chef  de  la  famille,  ce 
qui  résulterait  d'ailleurs  de  l'emploi  de  ce  mot  dans  les  Yêdas. 
Il  y  est  ajouté  que,  d'après  cela,  il  faudrait  séparer  le  grec 
Sofxoç  de  StfAûù,  construire,  ce  qui  semble  cependant  fort  dif- 
ficile. Le  grec  pourrait  bien  ici,  comme  le  pense  Lassen  (An- 
thol.  scr.,  gloss.),  avoir  conservé,  mieux  que  le  sanscrit,  le  sens 
primitif  de  la  racine  dam,  qui  doit  avoir  été  celui  de  lier.  Cf. 
Siûù,  qui  serait  à  Sifjuoô  comme  le  scr.  dâ,  ligare,  est  à  dam,  et 
comme  g  a,  ire,  est  à  gam.  On  conçoit,  en  effet,  que,  de  la  notion 
de  lier,  soient  provenues  secondairement,  d'une  part  celle  de 
dompter,  de  même  que  l'allemand  bàndigen  vient  de  band  et 
de  binden,  et  de  l'autre  celle  de  construire.  La  première  est 
restée  attachée  au  sansc.  dam,  en  accord  avec  plusieurs  autres 
langues  ariennes,  gr.  SctfjLctoù  (auquel  on  ne  saurait  rapporter 

1  Cf.  Haug,  Die  Gâthûs  d.  Zor.,  I,  p.  107. 


—     307     — 

SifAOç),  lat.  domo,  cymr.  dofi,  armor.  donva,  goth.  tamjan,  etc.  ; 
la  seconde  ne  s'est  maintenue  que  dans  le  grec  SzfAûù,  car  le 
goth.  timrjan,  gedificare,  que  l'on  a  comparé,  est  probablement 
différent  (Cf.  1. 1,  p.  245).  Si  damaet  So^oç  dérivent  en  réalité 
de  dam  dans  son  acception  la  plus  ancienne,  ces  noms  au- 
raient désigné  la  maison  en  tant  que  construction  dont  les 
parties  sont  liées  entre  elles,  ce  qui  peut  s'entendre  à  la  lettre 
du  mode  tout  primitif  de  construire  avec  des  bois  et  des 
branchages  entrelacés.  Dans  l'état  de  la  question,  une  déci- 
sion finale  n'est  guère  possible. 

2)  Scr.  vasiy  vâsa,  vasati,  vasana,  vasta,  vastya,  vâstu,  et 
avec  divers  préfixes,  âvâsa,  âvâsatha,  adhivâsa,  nivâsa,  san- 
vâsa,  etc.,  maison,  demeure  en  général  ;  de  la  rac.  vas,  habi- 
tare. 

Gr.  î<TTict  pour  tmttÎcl  =  scr.  vastya,  sauf  le  genre  qui  est 
neutre;  maison  et  foyer,  famille  ;  puis  divinité  tutélaire  du 
foyer,  la  Vesta  des  Romains.1  De  plus  dcrv  pour  fcmttv  = 
scr.  vâstu,  mais  avec  l'acception  plus  étendue  de  ville.  Pott 
rattache  encore  ici  oïfi,  village,  pour  yo<tivi  =  scr.  hypoth. 
vasyâ  (  Et.  F.,  I,  279  ).  Sa  conjecture  relative  à  valu, 
demeurer  =  scr.  ni-vas,  est  beaucoup  plus  douteuse. 

Irl.  fois,  foistine,  fosr a,  habitation;  cf.  scr.  vasra,  ià.;fos, 
fosadh,  repos,2  fosaim,  foisim,  demeurer,  rester,  etc.  Le  main- 
tien de  Y  s  semble  indiquer  la  perte  d'un  suffixe  ta  ou  tya,  de 
sorte  que  le  verbe  ne  serait  en  réalité  qu'un  dénominatif. 

Scand.  vist,  mansio,  anc.  ail.  wist,  heimwist,  domicilium. — 
La  racine  verbale  conservée  dans  le  goth.  visan,  ags.  et  anc. 
ail.  ivesan,  etc.,  manere. 

1  Curtius  (Gr.  Et.*,  370)  préfère  rattacher  ces  mots  à  vas,  lucere, 
urere,  à  cause  du  sens  de  foyer. 
a  Dans  Corm.,  GL,  2,  100,  fos,  foss,  repos,  et  boîte,  case. 


—     308     — 

Lith.  weisle,  famille,  race  (?).  Nesselmann  (Lith.  Wb.,  76) 
compare  icaisa,  fertilité ,  waisus,  fertile,  et  fruit,  etc. 

3)  Scr.  vêça,  vêçana,  vêçman,  nivêça,  etc.,  demeure,  mai- 
son; de  la  rac.  viç,  intrare,  adiré,  considère,  contingere. 

Zend  vîç,  maison,  habitation,  hameau,  village. 

Gr.  oÏkoç  pour  yoÏkoç,  maison,  oÎkîûû,  demeurer.  —  La  ra- 
cine est  conservée  dans  Mûô,  fmoû,  ixavu,  Innovai,  venir, 
arriver,  entrer,  etc. 

Lat.  vîcus,  village,  vîcinus,  etc.,  villa  de  vïcula,  d'où,  par 
une  extension  de  sens  peu  logique,  notre  ville. 

W.jich,  village;  cymr.  gwig,  maison;  armor.  gwîk,  village. 

Goth.  veihs,  id.,1  ags.  wic,  anc.  ail.  wîch;  le  c  et  ch  irrégu- 
liers. 

Ane.  slave  et  russe  vesï,  vicus,  polon.  mes,  wioska,  bohém. 
wes,  etc.,  avec  s  pour  ç,  comme  dans  bien  d'autres  cas. 

Cf.  lithuan.  wëszëti,  hospitem  esse,  wëszne,  hospes  femina. 
Pour  wëszpatis,  seigneur,  maître,   cf.  plus  loin  l'article    du 

clan. 

4)  Scr.  sadas  (vêd.),  sadana,  sâdana,  sadman,  sattra,  etc., 
maison,  demeure,  littér.  siège,  de  la  rac.  sad,  sedere,  au  cau- 
sât, sâday,  ponere,  collocare,  qui  est  restée  vivante  dans  toutes 
les  langues  ariennes. 

Zend  hadhis,  demeure  (  Vispered,,  2,  34),  de  had  =  sad." 

Gr.eJoç,  temple,  siège  =  sadas,  icïaXicv,  demeure,  de  iÇco, 
rac.  ia  =  sad. 

Lat.  sêdes,  siège  et  demeure ,  de  sedeo. 

Irl.  sadhbh,  sadhail,  habitation,  bonne  maison,  de  suidhim, 

i  Veihs,  gén.  veihsis,  est  neutre  et  répond  à  un  thème  scr.hypoth. 


vêças. 


2  Cf.  aussi  haçta  pour  hacl-ta,  enclos  pour  le  bétail,  avec  c  pour  cl 
devant  t. 


—     309     — 

saidhim,  sedeo,  d'où  suidhe,  saidhe,  siège.  Cf.  anc.  irland.  in- 
sddaim,  jacio  (Z.2,  434),  suide,  sedes,  locus,  suidigud,  positio 
(803),  où  le  d  devrait  être  aspiré.  L'irl.  sosta,  demeure,  habi- 
tation (O'R.),  pour  sod-ta,  répond  exactement  au  zend  haçta, 
mentionné  plus  haut.  —  Cymr.  syddyn,  habitation  =  scr. 
sadana,  de  syddu,  demeurer,  seddu,  être  situé,  sedda,  s'asseoir; 
mais  aussi  haddef,  demeure,  avec  h  pour  s,  et /pour  rh  =  sad- 
dem,  irl.  sadhbh  et  scr.  sadman. 

Scand.  setr,  domus,  habitaculum,  sedes,  de  sitia,  sedere, 
séria,  ponere,  goth.  sitan  et  satjan,  ags.  sittan  et  settan,  anc. 
ail.  sizzan  et  sezzan,  etc. 

Anc.  si.  sedalo,  sedes,  pol.  siadlo,  boh.  sidlo,  demeure,  de 
sedati,  sedere,  caus.  saditi,  ponere,  plantare,  etc. 

La  variété  des  suffixes  de  dérivation  pour  ce  groupe  de 
noms  est  le  résultat  naturel  de  la  permanence  de  la  racine  dans 
les  langues  particulières,  mais  l'application  si  générale  pour 
désigner  la  demeure  et  la  maison  indique  certainement  une 
source  primitive  commune. 

5)  Scr.  bhavana,  maison,  habitation;  site,  champ,  etc., 
de  la  racine  bhû,  fieri,  existere,  au  causât,  bhâvay,  producere. 
Cf.  bhû,  bhûmi,  lieu,  site,  terre,  bhuvana,  monde,  bhûti, 
existence,  etc. 

Pers.  bûm,  demeure,  terre;  bûd,  maison. 

Irl.  bunait,  habitation,  bun,  fondation;1  buth,  botli,  maison, 
hutte.  —  Cymr.  bod,  maison,  bwtli,  hutte. 

Goth.  baueins,  demeure,  bauan,  gabauan,  demeurer  ;  ags.  by, 
bye,  demeure,  buan,  habiter,  cultiver;  scand.  bû,  res  familiaris, 
bûdli,  hutte,  bûa,  habiter;  anc.  ail.  pu,  maison,  boda,  hutte; ail. 
mod.  bau,  édifice,  bauen,  construire. 

1  Cf.  le  gaulois  bona  dans  les  noms  de  lieux,  mais  aussi  le  sansc. 
buclhna  (t.  I,  235). 


—     310     — 

Lith.  buivis,  buta,  buklê,  maison,  demeure,  budà,  hutte. 

Russe  bûtka,  bûdka,  hutte,  boutique,  pol.  buda,  hutte,  tente, 
budowa,  édifice,  boh.  byt,  demeure,  etc. 

La  rac.  bhû  est  restée  vivante  dans  toutes  les  branches  de 
la  famille,  sous  les  formes  de  bû,  <pv,  fu,  bi,  bo,  by,  etc. 

6)  Scr.  vana,  maison,  demeure;  de  van,  colère,  cupere, 
petere,  addictum  esse;  zend  van,  aimer,  protéger. 

Armén.  vankh,  vaner,  p].,  habitations. 

Ang.-sax.  wunung,  anc.  ail.  wununga,  demeure;  de  wunian, 
iconên,  habiter.  —  Cf.  irl.  fanaim,  habiter ,  fantin  ,  fanachd, 
action  de  demeurer,  etc. 

7)  Scr.  huta,  kuti,  kûtî,  maison;  kôta,  kutîra,  kuttima, 
hutte,  kutaru,  tente,  kutala,  kutanka,  toit,  kutumba,  famille,  etc. 
—  La  racine  paraît  être  kut,  curvare,  curvum  esse,  d'où  kuti, 
courbure,  kutita,  kutila,  courbe,  etc.,  probablement  de  la 
forme  ronde  de  la  hutte  et  du  toit.  Le  t  cérébral  semble  avoir 
remplacé  un  t  dental,  à  en  juger  par  les  rapprochements  sui- 
vants : 

Irl.  cotta,  erse  cot,  hutte;  cymr.  cwt,  eut,  id. 

Anc.  ail.  hutta,  ail.  mod.  hutte,  d'où  notre  hutte,  —  L'ang.- 
sax.  cota,  scand.  kot,  est  peut-être  celtique. 

Anc.  si.  kotïtsï,  mansiuncula;  pol.  kotara,  tente  =  sansc. 
kutaru.1 

8)  Scr.  dhâman,  maison;  de  dhâ,  ponere,  et  habere,  possi- 
dere. 2 

Anc.  irland.  domun,  mundus  (Z.2,  14),  irl.-erse  domhan, 
id.,  proprement  demeure.  Cf.  scr.  bhuvana,  monde,  et  bhavana, 
maison. 

1  Cf.  aussi  le  zend  kata,  maison,  pers.  kadah,  suivant  Justi  (77),  de 
kan,  creuser. 

2  Cf.  gr.  0>?^ûjv,  de  0g'«,  mais  avec  le  sens  de  monceau. 


—     311     — 

Ane.  ail.  tnom,  maison,  conservé  dans  les  composés  mo- 
dernes eigenthu?n,  heiligthum,  etc.,  avec  le  sens  plus  primitif 
de  condition,  état,  possession,  etc.,  comme  l'anglo-sax.  dom 
et  le  scand.  domr.  —  La  racine  germanique  est  tâ}  tô,  dô 
=  sanscrit  dhâ,   et   tuom  n'a   rien  de  commun  avec  domus. 

Ane.  si.  zîduj  domus,  zdaniie,  sediflcatio,  russe  zddnie,  bâti- 
ment, etc.,  de  zdati,  zïdati,  condere;  rac.  da;  cf.  dieti,  facere. 

9)  Scr.  dhartra,  maison;  de  dhr,  dhar,  tenere,  continere. 
Pers.  darî,  dîrah,  dêrah,  maison. 

Gr.  ôciAafJLVj,  demeure,  tanière,  êaAapoç,  chambre  à  cou- 
cher (Cf.  t.  I,  p.  139). 

Irl.  daras,  duras,  dars,  maison,  habitation. 

10)  Scr.  çâlâ,  maison,  hutte,  chambre,  étable,  çâlâra,  cage  ; 
de  la  même  racine  que  çarana,  çaranya,  vêd.  çarman,  maison, 
asile,  protection,  savoir  car  =  çri,  s'appuyer  à,  s'attacher,  se 
réfugier  dans,  etc.  (D.  P.)1  Cf.  lat.  celo,  irl.  ceilim,  cymr.  celu, 
et  anc.  ail.  helan. 

Pers.  sarâ,  sarâéah  et  â-sâl,  maison,  s  =  ç  dans  la  règle. 

Gr.  Kc&hicc,  hutte,  cage,  KctXtoç,  nctAictç,  maisonnette. 

Lat.  cella,  suivant  Kuhn  (Z.  S.,  v.  454),  pour  celia. 

Ang.-sax.  lieall,  scand.  hôll,  anc.  ail.  lialla,  aula,  palatium. 

Anc.  si.  kela,  keliia,  cella;  kletï,  domus,  keltva,  tabernacu- 
lum,  etc. 

Cymr.  eail,  étable. 

A  côté  de  çâlâ,  on  trouve  aussi  sala,  maison,  qui  n'en  est 
peut-être  qu'une  variante,  mais  qui  pourrait  se  rattacher  à  la 
racine  de  mouvement  sar,  sal,  ire.  Quoi  qu'il  en  soit,  c'est  à 
cette  forme  sala  que  répondent  les  termes  germaniques  et 
slaves  suivants  : 

1  A  çri,  d'où  çrâya,  çrayana,  habitation,  se  rattache  le  goth.  hlija, 
hutte,  tente,  ags.  hléo}  couvert,  refuge,  maison. 


—     312     — 

Go  th.  salithva,  hôtellerie;  saljan,  demeurer;  ags.  soi,  salo, 
sele,  scand.  salr,  anc.  ail.  sal,  domus,  palatium,  aula. 

Ane.  si.  selitva,  selishte,  selieniie,  selînitsa,  habitatio.  Cf. 
selo,  selitse,  fundus  ;  russe  selo,  village,  pol.  sielo,  id.,  etc. 

11)  Sanscr.  maudira,  maison,  et  temple,  ville,  ?nandurâ, 
étable. 

Gr.  (Accvoça,,  étable,  enclos. 

Irl.  maindreach,  hutte;  erse  mainnir,  id.,  etc.  (  Cf.  p.  26. )1 

12)  Scr.  varûtha,  maison  (Naigh.,  3, 4)  ;  rac.  vr,  var,  tegere, 
circumdare. 

Zend  vara,  vare,  arx,  palatium;2  pers.  wârah,  maison,  de- 
meure. Kourde  war,  habitation  d'hiver. 

Scand.  vara,  mansio. 

Irl.  foruSj  demeure,  f  foras  (S.  M.,  I,  102).  Cf.  foil,  mai- 
son, folachj  couvert  (Corm.,  GL,  77),  à  rac.  val  =  var. 

Cf.  p.  292,  etc. 

13)  Scr.  sthâna, maison,  demeure,  ville,  lieu,  station;  rac. 
sthâ,  stare. 

Zend  çtâna,  endroit;  persan  âstân,  ûstân,  palais,  shatan, 
ville. 

Anc.  si.  stanu,  hospitium,  staniie,  statio  ;  russe  stânu,  loge- 
ment, hôtellerie,  stanitsa,  village;  pol.  stancya,  demeure;  illyr. 
s  tan,  maison. 

Anc.  ail.  stat,  locus;  ail.  mod.  stadt,  ville. 

Cf.  p.  24. 

14)  Scr.  mâna,  édifice,  demeure,  suivant  D.  P.  de  ma,  me- 
surer, puis  préparer,  former,  disposer,  construire,  bâtir. 

Zend  nemâna,  nmâna,  maison,  habitation.  Cf.  scr.  ni-mâna, 

1  Ajouter  l'irland.  f  mendat,  mennat,  résidence,  place  (Corm.,  GL, 
1 17),  provenant  aussi  de  mand,  s'arrêter,  rester. 

s  Vara,  hortus  (Justi)  =  scr.  vara,  enceinte,  entourage,  espace. 


—    313     — 

proportion  de  mesure,  de  ni-mâ,  déterminer,  former.  Cepen- 
dant, d'après  Justi  (175),  nmâna  ne  dérive  pas  de  ma,  me- 
surer, faire,  mais  du  zend  man,  demeurer  (ni-man,  rester, 
attendre),  et  aussi  (comme  le  scr.  man)  penser  et  former.  Cf. 
huzv.  man,  pers.  man,  maison,  famille,  de  mândan,  mânîdan, 
demeurer,  kourde  man,  etc. 

Les  mêmes  transitions  de  sens  se  présentent  dans  les  corré- 
latifs européens.  Ainsi  : 

Gr.  [Aovq,  habitation,  demeure,  de  jLCèvûo,  désirer,  vouloir, 
puis  demeurer,  rester. 

Lat.  mansio,  demeure,  d'où  notre  maison,  de  maneo,  allié  à 
moneo,  mens,  etc. 

Ane.  irl.  montar,  mointer,  muinter,  familia  (Z.2,  14).  Cf.  do 
muinur,  puto  (ib.  438),  munaim,  instruo,  etc.  —  Erse  manas, 
ferme.  Cf.  cymr.  man,  men,  armor.  mann,  lieu,  endroit. 

Lith.  mena,  dans  prê-mena,  litt.  avant-demeure,  bâtiment 
d'entrée.  Cf.  menu,  puto,  etc. 

Du  reste,  les  significations  diverses  des  rac.  ma  et  man,  et  de 
leurs  dérivés,  se  relient  logiquement  entre  elles,  en  passant  du 
concret  à  l'abstrait,  et  leur  affinité  primitive  est  évidente. 
Nous  aurons  à  y  revenir  au  chap.  Ier  du  livre  V. 

15)  Armén.  dun,  maison,  famille. 

Irl.  dûnadh,  maison;  dûn,  forteresse,  ville,  oppidum,  cas- 
trum;  de  dûnaim,  entourer,  enfermer  (Cf.  Z.2,  24).  Cymr. 
din,  dinas,  forteresse.  —  C'est  le  gaulois  dunitm,  qui  figure 
dans  beaucoup  de  noms  de  lieux. 

Ang.-sax.  et  scand.  tûn,  ville,  village;  angl.  town;  anc.  ail. 
zûn,  locus  sep  tus,  mod.  zaun,  etc. 

16)  A  ces  coïncidences,  déjà  bien  multipliées,  dont  les 
groupes  s'étendent  à  plusieurs  des  branches  de  la  famille 
arienne,  je  joins,  à   titre  d'indications,    celles    que  je   n'ai 


—     314     — 

remarquées  jusqu'à  présent  qu'entre  deux  langues  seulement, 
à  l'Orient  et  à  l'Occident,  et  qui  restent,  par  cela  même,  plus 
douteuses. 

a)  Scr.  tantra,  maison;  de  tan,  tendere. 
Lat.  tentorium,  tente. 

b)  Scr.  kâya,nikâya,  maison,  demeure,  monceau;  de  éi,  pour 
ki,  colligere,  struere,  ordinare.  Cf.  cita,  édifice. 

Kourde  (zaza)  kei,  maison  (Lerch,  GL,  196). 
Irl.  anc.  ca,  maison  (Corm.,  GL,  46),  cae,  dans  cerdd-chae, 
officina(Z.2,  60).  Cf.  p.  199,  note. 

c)  Scr.  grha,  maison,  famille;  probablement  de  grh,  grah, 
prehendere,  capere,  puis  tenere,  possidere,  etc.  —  Cf.  latin 
grego,  grex,  etc. 

Irl.  garga,  atrium  (Stokes,  Ir.  Glos.,  n°  702);  grag,  gragan, 
village. 

d)  Scr.  asta,  astaka,  demeure,  maison;  zend  asta,  id. 
(Justi);  peut-être  de  as,  esse. 

Irl.   iostas,  iosda,  maison,  habitation. 

e)  Scr.  ôka,  ôkas,  maison;  de  ué,  congruere,  aptum  esse, 
se  plaire  ou  être  habitué  à  quelque  chose  (D.  P.). 

Lith.  ukis,  maison  rustique;  ukininkas,  propriétaire  terrien, 
père  de  famille,  cultivateur. i 

f)  Scr.  çrâma,  abri,  âçrama,  ermitage. 
Anc.  si.  chramïï,  chramina,  maison. 

g)  Zend  kata,  maison  (Spiegel,  Beitr.,  I,  221);pers.  kad, 
kadah.  Suivant  Justi  (77),  de  kan,  creuser.  Cf.  le  n°  7. 

Pol.  chata,  hutte. 

h)    Kourde   kôshk,    haush,    hutte    (Lerch,    Glos.,  p.  88); 

i  De  même  Fick  (23),  qui  compare  de  plus  l'anc.  slave  vyk-nâti, 
être  habitué,  et  le  goth.  bi-uh-ts,  habitué,  bi-uh-ti,  coutume. 


-—    315     — 

armén.  chuz,  id.;  persan  kûshk,  portique,  villa.  Cf.  scr.  kôça, 
kôsha,  magasin,  etc. 

Goth.  hus,  maison,  et  germanique  passim. 

i)  Pers.  rast,  maison,  demeure,  station.  Cf.  rastî,  repos. 

Goth.  razn,  maison.  Cf.  rasta,  milliare,  propr.  requies,  ags. 
rest,  quies,  lectus,  scand.  rôst,  anc.  ail.  rasta,  id.1 

Ici,  peut-être,  l'irland.  a-ras,  a-ros,  maison,  habitation,  de 
arast  ?  etc. 

k)  Armén.  ert,  maison,  toit. 

Irl.  art,  maison  (O'R.). 

ï)  Armén.  shên,  shinutiun,  maison,  demeure.  —  A  sanscr. 
&s/w,habitare  ? 

Lith.  sênys,  demeure,  édifice  principal  d'un  domaine. 

m)  Armén.   lôrai,  maison. 

Ang.-sax.  lâr,  maison,  anc.  ail.  gi-lâri}  demeure.  — Erse 
làrach,  id. 

Malgré  le  nombre  de  ces  rapprochements,  le  sujet  n'est 
sans  doute  pas  épuisé.  Nous  avons  vu  déjà  quelques  noms  de  la 
maison  qui  se  lient  à  l'époque  delà  vie  pastorale  (Cf.  p.  19,  etc.)  : 
d'autres  se  rattachent  à  ceux  du  toit,  etc.,  et  reviendront  plus 
loin.  Il  faut  passer  maintenant  aux  termes  qui  désignaient  les 
diverses  parties  des  habitations,  et  qui  peuvent  mieux  nous 
donner  quelque  idée  de  ce  qu'elles  étaient  aux  temps  pri- 
mitifs. 

§  262.  LE  MUR,  LA  PAROI. 

Les  anciens  noms  du  mur  seraient  très-propres  à  jeter 
quelque  jour   sur   le    mode  usité  de  construction,  s'ils  nous 

1  Suivant  Aufrecht  (Z.  S.,  I,  358),  de  la  racine  scr.  raw,  quiescere, 
rastaipour  ram-s-ta}  d'où  aussi  goth.  rimis,  repos. 


—    316     — 

étaient  mieux  connus  ;  mais  les  coïncidences  sont  ici  en  trop  petit 
nombre  pour  donner  des  résultats  un  peu  certains.  J'ai 
parlé  déjà  (p.  253)  des  termes  qui  se  lient  à  la  rac.  var  et  val, 
mais  qui  s'appliquent  plutôt  aux  enceintes  qu'aux  bâtiments. 
Parmi  les  autres,  il  n'y  en  a  que  deux  qui  offrent  matière  à 
des  observations  comparatives. 

1)  Toutes  les  langues  européennes,  à  l'exception  du  grec, 
s'accordent  pour  l'un  de  ces  noms. 

Lat.  murus;  irl.-erse   mûr,  cymr.  mur;  ags.  et  scand.  mûr, 
anc.  ail.  mura,  mûri;  lith.  muras;  pol.  mur,  illyr.  mir,  etc. 

Il  est  possible  que  cet  accord  provienne,  partiellement  au 
moins,  d'une  transmission  du  mot  latin,  mais,  en  tout  cas,  ce 
dernier  paraît  bien  avoir  une  origine  proethnique.  On  trouve, 
en  effet,  dans  le  Samavêda  (II,  1,  1,  14,  2),  un  substantif  mur, 
que  Benfey  traduit  par  mauer  1  et  qu'il  rapporte  à  la  rac.  mur, 
circumdare  (Dhâtup.),  d'où  dérive  aussi  mura,  surrounding, 
encircling  (Wilson,  Dict.).2  Ce  rapprochement,  assurément 
très-plausible,  donnerait  pour  murus,  comme  pour  vallum,  le 
sens  primitif  d'enceinte.  Toutefois  Weber  propose  une  autre 
étymologie,  et,  sans  s'occuper  du  védique  mur,  il  rattache 
murus  à  la  racine  sansc.  mû,  ligare,  vincire,  d'où  muta,  cor- 
beille tressée.  D'après  cela,  murus  n'aurait  désigné  dans  l'ori- 
gine qu'une  paroi  en  clayonnage,  et  mœne,  munimentum,  mu- 
nio  proviendraient  de  la  même  racine  (  Cf.  Z.  S.,  VI,  318). 
A  l'appui  de  cette  conjecture,  on  peut  observer  que  l'anc.  ail. 
ivant,  paries,  dérive  de  wintan,  plectere,  torquere,  et  que  le 

1  Na  y  an  dudhrâ  varantê  na  sthirâ  mur  6.  Den  Burgen  nicht, 
nicht  Festen,  Mauern  wehren  ab.  —  Mais  le  passage  est-il  bien 
rendu?  D'après  le  D.  P.,  dudhra  ne  signifie  pas  Burg,  mais  wild, 
ungestùm,  sauvage,  emporté. 

s  Cf.  rac.  mur,  entourer  ;  mura,  action  d'entourer  (D.  P.). 


—     317     — 

cymr.  plaid,  paroi,  comme  pîeiden,  clayonnage,  se  lie  proba- 
blement à  plethu,  plectere. 

2)  Le  scr.  bhitti,  bhittikâ,  mur  en  terre  ou  en  maçonnerie, 
vient  de  bhid,  bhind,  dividere  (le  lat.y?nrZo),et  désigne  un  mur 
de  séparation  ou  de  refend.  Cf.  bhêda,  bhêdana,  division. 

L'analogue  de  ce  terme  ne  se  retrouve,  à  ma  connaissance, 
que  dans  l'irland.  Md,  bideân,  erse  bidean,  sepimentum,  que 
son  d  non  aspiré  rattache  à  la  forme  bhind  de  la  racine  ci- 
dessus. 

§  263.  LE  TOIT. 

1)  Une  même  racine,  généralement  conservée,  donne  nais- 
sance au  principal  nom  du  toit  dans  tout  l'Occident.  C'est  le 
scr.  sthag,  tegere,  occulere,  qui  perd  quelquefois  son  s  initiale. 
Ainsi  : 

Gr.  cnyoç,  <rrtyt}9  toit,  maison,  chambre,  (TTtyvoç,  cou- 
verture, lieu  couver^  tente,  de  (rriyoù,  couvrir,  cacher.  Cf. 
scr.  sthagana,  couverture,  sthagita,  couvert,  sthagî,  boîte,  etc. 
Et  encore  rsyoç,  Tiyv\,  toit. 

Lat.  tectum,  tugurium,  de  tego. 

Ane.  irl.  teg,  maison  (Z.2,  27),  irl.  mod.  teagh,  tigh,  toigh, 
tiaghais,  tioghus,  id.  —  Cymr.  ty .  maison,  plur.  coll.  tai  et  to, 
toit,  de  toi,  couvrir,  armor.  tô}  de  'foi,  tei,  avec  perte  du  g 
final. 

Ang.-sax.  thac,  thecen,  toit,  scand.  thah,  theki,  anc.  allem. 
dach,  etc.  ;  theccan,  thekia,  dechian,  tegere,  formes  secondaires 
d'un  verbe  fort  thikan,  thah,  etc.,  qui  ne  s'est  pas  retrouvé  en 
gothique. 

Lith.  stôgas,  toit,  pastogis,  avant-toit,  de  stégti,  couvrir  une 
maison,  stegius,  couvreur,  etc. 


—     318     — 

Cf.  anc.  si.  stogû,  acervus  =  scr.   sthagu,  bosse;  o-stegnû, 
o-stejï,  vestis,  et  stegno,  fémur,  ce  que  l'on  couvre  ? 

2)  Le  scr.  valabhi,  charpente  du  toit,  dérive  sans  doute  de 
val  =  var,  tegere,  et  fait  présumer  une  forme  plus  ancienne 
varabhi  ou  varabha.  Or,  c'est  là  exactement  le  grec  oûo(poçy 
oootyri,  charpente  de  toit,  toit,  plafond,  lieu  couvert,  etc.,  pour 
FopoCpoç,  dont  le  verbe  ipîOûû,  couvrir,  voûter,  n'est  en  réalité 
qu'un  dénominatif.  Benfey,  auquel  on  doit  ce  rapprochement 
(  Gr.  WL,  II,  311),  compare  aussi  le  scand.  hvelfa,  camerare, 
hvelfîng,  voûte,  ags.  hwealfa,  id.,  où  l'A  initiale  paraît  inorga- 
nique, d'après  l'anc.  ail.  walbo,  imbrex,  gi-welbi,  ge-welbe,  cela- 
tura,  caméra,  ail.  mod.  gewôlbe.  1 

A  la  même  racine  val  appartient  le  persan  wâlâd,  toit, 
maison. 

3)  Sanscr.  cïiadi,  éhadis,  éhad?nan,  toit,  couvert,  de  chad, 
tegere.  Cf.  chada,  éhadana,  couverture,  éhâdanî,  peau,  etc. 

Goth.  skadus,  couvert,  couverture,  ombre;  ags.  scadu,  id. 
couvert,  abri,  ancien  ail.  scato,  velamentum,  umbra,  etc.  (Cf. 
p.  290). 

Irl.  caidhidhe,  toit.  Cf.  caidh,  peau. 

Le  scr.  chadman  signifie  aussi  tromperie,  fraude,  et  comme 
on  trouve  chala  avec  le  même  sens,  on  peut  présumer  un 
changement  du  d  en  /,  dont  on  a  d'ailleurs  d'autres  exemples. 
Ceci  conduirait  à  rattacher  également  à  la  racine  germanique 
skad  =  chad  le  goth.  skalja,  tegula,  scand.  skâli,  tectum, 
domus,  skyla,  umbra, anc.  ail.  scâla,  tegimen,  testa,  concha,  etc., 

1  Tout  autrement  Fick  (388);  il  rapporte  z-çîQv,  opotpoç,  à  une  rac. 
hypoth.  rap,  couvrir,  avec  scand.  raef,  anc.  ail.  râfo,  toit,  etc.  De 
même  (p.  737),  hvelfa,  etc.,  à  une  racine  européenne  kvalp,  cour- 
ber, voûter,  avec  koâttoç,  jcoâo^wv,  etc. 


—     319     — 

auxquels   correspondent  l'irl.  scâil,  scalân,  ombre,  erse  sgâil, 
id.,  et  sgailean,  casa,  tabernaculum ,  etc. 

4)  Zend  kamere,  voûte,1  kameredha,  voûté,  de  kamere  = 
scr.  kmar,  curvum  esse  (Cf.  p.  276). 

Pers.  kamar,  id.,  kamrâ,  mur;  armén.  gamar,  voûte. 

Grec  KCLiActpcc,  Kct^dçtov,  voûte,  chambre  voûtée,  char 
couvert,  etc. 

Lat.  camara,  caméra,  d'où  notre  chambre,  pent-être  du 
grec.  De  là  aussi,  par  transmission ,  le  scand.  kamar,  anc.  ail. 
chamar,  ail.  kammer,  pol.  komora,  etc. 

Il  n'est  pas  certain  que  le  mot  grec  ne  soit  pas  lui-même 
une  importation  orientale;  mais  on  ne  saurait,  en  aucun  cas, 
conclure  de  ce  rapprochement  que  les  anciens  Aryas  aient  su 
construire  des  voûtes  en  pierre.  Le  nom,  en  effet,  ne  désigne 
qu'un  couvert  arrondi  quelconque. 

5)  Les  termes  européens  suivants  dérivent  d'une  racine 
commune  conservée  dans  l'anc.  si.  kry-ti,  occultare,  pokryti, 
tegere,  russe  krytï,  pol.  kryc,  etc.,  et  qui  doit  avoir  été  primi- 
tivement kru.  De  là: 

Anc.  slave  krovïï,  toit,  russe  krovlia,  illyrien  krov,  bohém. 
krow,  etc. 

Cymr.  craiv,  couvert,  étable  à  cochons.  Cf.  crawen,  croûte  ; 
corn,  crou,  armor.  kraou,  kréu,  étable. 

Irl.  cro-th,  cabane,  maison. 

Groth.  hrô-t,  toit.  —  Cf.  ags.  krô-f,  id. 

Cette  racine  kru,  à  laquelle  paraît  se  rattacher  le  lat.  em- 
mena, bourse  (cachette),  se  retrouvera  plus  loin  sous  la  forme 
de  klu,  avec  un  sens  analogue. 

1  Dans  Justi  (78)  kamara,  voûte  et  ceinture,  avec  concordances  ira- 
niennes. 


—     320     — 

6)  Dans  les  noms  qui  précèdent,  rien  n'indique  quel  était 
le  mode  de  construction  des  toits,  et  parmi  les  termes  qui  en 
désignent  les  diverses  parties,  comme  la  charpente,  le  faîte,  le 
sommier,  la  couverture,  je  n'en  ai  trouvé  aucun  que  l'on  puisse 
rapporter  avec  sûreté  au  temps  de  l'unité  arienne.  Cela  s'ex- 
plique aisément  par  le  fait  que  les  matériaux  de  construction, 
ainsi  que  leur  mise  en  œuvre,  ont  varié  dès  lors  suivant  les 
pays  et  les  climats.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  le  nom  sans- 
crit du  sommier,  vança,  qui  est  aussi  celui  du  bambou,  trahit 
son  origine  indienne.  Deux  de  ces  termes  seulement  suggèrent 
au  moins  une  conjecture. 

Le  goth.  ans,  poutre  de  support,  scand.  as,  id.,  sommier, 
répond  au  sansc.  ansa,  épaule,  ce  qui  pourrait  bien  avoir  été 
l'acception  primitive,  les  poutres  du  toit  étant  considérées 
comme  les  épaules  de  la  maison.  Il  est  vrai  que  le  gothique 
amsa,  épaule,  se  lie  déjà,  et  de  plus  près,  au  sanscrit,  mais  la 
double  forme  a  pu  résulter  de  ce  que  les  Germains  avaient 
perdu  de  vue  le  sens  figuré  appliqué  à  la  maison. 

L'autre  observation  concerne  le  faîte,  dont  le  nom  Scandi- 
nave, bust,  baust,  ainsi  que  l'a  remarqué  Grimm,  correspond, 
sauf  la  terminaison,  au  latin  fastigium.  Si  l'on  compare  le 
scand.  hast,  cortex  tiliae,  liber,  le  zend  baçta,  ligatus,  persan 
bastah,  id.,  etc.,  de  la  rac.  baclh,  bandh,  ligare,  *  on  peut  pré- 
sumer que  ces  noms  du  faîte  se  rapportaient  au  procédé  très- 
primitif  de  lier  ensemble  les  pièces  qui  convergeaient  au 
sommet  du  toit. 

1  Cf.  lat.  fistula,  de  findo,  fissus,  pour  fistus,  de  fidtus,  etc. 


—     321     — 


§  264.  LA  PORTE  ET  SES  PARTIES. 
A)  ha  porte  en  général. 

L'accord  de  toutes  les  langues  ariennes  pour  le  principal 
nom  de  la  porte  est  aussi  complet  que  possible,  et  plusieurs 
synonymes  présentent  des  analogies  suffisamment  sûres,  bien 
que  moins  étendues. 

1)   Scr.  dvâr,  dvâr  a,  védique  aussi  dur.   Cf.  durya,  ce  qui 

est  relatif  à  la  porte,  au  plur.  demeure  (fores),  durona,  du- 
ryona,  maison. 

Zend  dvara,  pers.  dar,  darwâz,  kourde  der,  afghan  derwase, 
ossète  duar,  armén.  turkh  (plur.),  tara-ban,  portier. 

Gr.  êvçay  pour  ^clqol. 

Lat.  foris  (pi.  fores),  f  pour  $  (?). 

Irl.  dér,  doras,  dorus.  Cf.  daras,  duras,  maison. 

Cymr.  dor,  drws;  corn,  darat,  daras;  armor.  dôr.1 

Goth.  daur,  ags.  duru,  scand.  dyr,  anc.  ail.  tura,  turi.  — 
Le  d  primitif  resté  intact  par  exception,  comme  dans  dauthar, 
ou  =  gr.  ô  et  le  lat.  /. 

Lith.  durrys  (pi.),  porte  à  deux  battants;  divâras,  cour. 

Anc.  si.  dvïrï,  janua,  dvoru,  aula,  pri-dvoriie,  7rpQ7rv\cLioV) 
russe  dverï,  porte,  dvorîi,  cour;  pol.  drzivi  (plur.),  fores,  et 
dwbr,  cour  ;  boh.  dwere  et  divor,  etc. 

La  racine  commune  paraît  conservée  dans  le  sanscrit  dvr, 
dvar,   tegere,    coercere   (  Dhâtup.  ),   d'où   l'adjectif  védique 

1  Cf.  le  gaulois  dvorico  (n),  porticus_,  de  l'inscription  de  Guéret, 
dans  mon  Nouvel  essai  sur  les  inscriptions  gauloises,  p.  45. 

II  21 


—     322     — 

dvara,  qui  arrête,  empêche,1  ce  qui  s'applique  parfaitement  à 
la  porte.2 

2)  Scr.  vâra,  porte,  entrée,  de  vr,  var,  arcere,  tegere;  à 
distinguer  sans  doute  de  dvâra,  mais  dans  le  même  rapport 
d'affinité  qui  peut  exister  entre  les  racines  var  et  dvar. 

Pers.  bar,  afghan  war,  porte. 

Ombrien  vero. 

Lith.  ivartai  (plur.),  porte  de  la  cour,  pa-warte,  petite  porte 
près  de  la  grande,  pri-warte,  avant-cour;  de  wérti  (iverù),  fer- 
mer, pri-werti,  uz-werti ,  id.  ;  mais  at-werti,  ouvrir,  c'est- 
à-dire  découvrir,  comme  en  sanscrit  apa-var ,  vi-â-var, 
aperire. 

Ane.  si.  vrata  (plur.),  porte,  vratarï,  janitor,  etc.,  de  vrèti 
(vrià),  concludere  =  scr.  vr;  russe  vorota,  illyr.  vrata,  polon. 
wrota,  etc. 

3)  Le  sansc.pzw,  pura,  maison,  ville,  paraît  aussi  avoir  le 
sens  de  porte,  dans  gô-pura,  porte  de  ville,  et  porte  en  gé- 
néral. Mais  que  signifie  ici  gôf  —  La  racine  pourrait  être^f 
(par) ,  dans  l'acception  de  tutari,  custodire. 

Pott  et  Benfey  (Et.  F.,  I,  264,    Gr.    WL,  II,  86)  com- 

1  Cf.  Rigv.,  I,  52,  3:  dvar  ah  dvarishu,  coercitor  coercitorum, 
d'après  Rosen  ;  dvar a,  dvari  ou  dvarin,  adj.,  qui  arrête,  empêche 
(hemmend),  D.  P.  d'après  Sâyana. 

2  Sur  cette  question,  les  opinions  diffèrent.  Weber  (Beitr.,  4,  279) 
pense  que  larac.  ebar,  tegere,  n'est  qu'une  fiction  des  grammairiens, 
et  que  les  noms  de  la  porte  dérivent  de  dar,  fendre,  dont  dvar  serait 
une  forme  secondaire.  Il  approuve  l'explication  du  3-  grec  par  l'in- 
fluence du  digamma.  Le  D.  P.,  par  contre,  observe  seulement  que 
l'on  devrait  attendre  dh  en  sanscrit  comme  consonne  initiale.  Cur- 
tius  (Gr.  Et.3,  243)  adopte  dhur,  dhvar,  comme  forme  primitive,  la 
racine  restant  obscure.  De  même  Fick  (106). 


—     323     — 

parent  le  gr.  7rvAoç,  cruÀrç,  7rvAcov>  porte,  à  côté  de  7toKiç^  qui 
a  gardé  le  sens  de  ville.  * 

Un  rapprochement  avec  le  latin  porta,  portus,  est  possible, 
mais  moins  sûr.  On  peut  penser  ici,  avecPott,àun  rapport  avec 
le  gr.  7TCÇ0Ç,  chemin,  passage;  cf.  7rzpctct),  traverser,  et  sanscr. 
pf,  trajicere,  etc.  Il  faut  tenir  compte  également  de  l'ancien 
slave  pa-pratû,  ou  pa-prutïï,  7rçoôvpa,  vestibulum,  de  prèti, 
fulcire,  ou  prati,  conculcare,  salire  (Miklos.,  Rad.  si.,  p.  67). 
Cf.  za-preti,  claudere,  obsidere. 

4)  Scr.  arara,  arari,  porte,  battant;  aussi  couvercle,  en- 
veloppe; cdâra,  porte,  de  la  rac.  ar,  probablement  dans  le  sen3 
d'adapter,  insérer. 

Pers.  alrâ,  jambage  de  porte. 

Irl.  orrar,  erse  brair,  porche,  vestibule,  entrée;  airear,  port; 
mais  aussi  ailear,  porche.  —  Cymr.  oriel,  id.  —  En  Europe, 
les  langues  celtiques  seules  ont  conservé  cet  ancien  terme. 

B)  Le  gond. 

Aucun  nom  sanscrit  du  gond  ne  m'est  connu,  et  les  autres 
termes  orientaux  ne  m'ont  rien  offert  à  comparer  avec  ceux 
de  l'Occident,  lesquels  sont  eux-mêmes  très-variés,  mais  sou- 
vent d'une  origine  obscure,  ce  qui  est  un  indice  d'ancienneté. 
Dans  ces  cas-là,  le  sanscrit  fournit  quelquefois  l'étvmologie 
qui  fait  défaut  aux  langues  particulières.  C'est  ainsi,  par  exemple, 
que  S-aiçoç,  gond,  que  rien  n'explique  en  grec,  se  rattache 
sans  doute  à  la  rac.  scr.  dhr,  dhar,  ferre,  tenere,  d'où  dliara, 
qui  porte,  dhîra,  ferme,  solide,  etc.2  Le  lith.  wdszas,  ivanszsa, 

1  Curtius  (Gr.  Et.3,  667)  conjecture  que  nvh.vi  pourrait  être  un  fém. 
de  nôxoç,  gond,  de  la  rac.  srex  (p.  429). 

2  Curtius  (Gr.  Et.3,    243)   rattache    S-otipôç,  pour  S-xpiog  et  B-Fupioç, 


—     324     — 

gond  et  crochet,  est  également  isolé  dans  cette  langue;  mais 
si  Ton  se  rappelle  que  le  sz  représente  un  k  primitif,  on  n'hé- 
sitera pas  à  comparer  le  sanscrit  vanka,  courbure,  vankâ, 
pommeau  de  selle,  vakra,  courbe,  etc.,  de  vank,  curvum  esse. 
Ce  nom  du  gond  et  du  crochet  se  retrouve  aussi  dans  l'irland. 
bac,  bacàn,  cymr.  baclx,  de  bacaim,  courber,  pour  bançaim,  à 
cause  du  c  non  aspiré.  Je  citerai  encore  le  lat.  car  do  -inis,  d'où 
provient  peut-être  le  cymr.  corddyn,  gond,  et  qui  paraît  se 
rattacher,  ainsi  que  carduus,  aux  noms  de  l'épée,  lith.  kârdas, 
slave  korda,  etc.,  de  même  que  l'anglo-sax.  heor,  liior,  et  le 
scand.  hiara,  hiôr,  gond,  se  lient  à  heoru,  hiôr,  goth.  hairus, 
ensis  (Cf.  p.  286).  La  transition  de  sens  s'explique  par  la 
forme  pointue  du  gond.1 

Malgré  ce  que  ces  explications  ont  d'incomplet,  on  ne  sau- 
rait douter  que  l'usage  des  gonds  ne  soit  aussi  ancien  que 
celui  des  portes,  qui,  du  reste,  ne  peuvent  guère  s'en  passer. 

C)  La  fermeture  de  la  porte. 

Les  moyens  employés  pour  fermer  les  portes  ont  varié  con- 
sidérablement depuis  la  simple  cheville  ou  barre  jusqu'à  la 
serrure  au  mécanisme  compliqué.  Il  va  sans  dire  que  cette 
variété  se  reproduit  dans  les  mots  qui  les  désignent,  mais  on 
trouve  cependant  ici  quelques  rapprochements  intéressants  à 
signaler. 

1)  Scr.  argala,  argada,  argalihâ,  verrou,  cheville  pour  fer- 

au  scr.  durya  (aussi  dvârya),  adj.,  ce  qui  appartient  à  la  porte.  De 
même  Fick,  106. 

1  Cf.  anc.  ail.  scerdo,  scerdar,  gond,  que  Fick  (407)  rattache,  avec 
cardo,  à  une  racine  hypothétique  skard,  sauter.  Mais  il  faudrait  régu- 
lièrement scerzo,  et  d'ailleurs  le  gond,  solidement  fixé,  ne  saute  pas. 


—     325     — 

mer  la  porte,  ar g  alita,  verrouillé;  peut-être  de  rg,  arg,  fîxum 
esse,  stare. 

Ancien  allem.  rigil,  allem.  mod.  riegel,  verrou;  le  g  resté 
inaltéré. 

Irland.  rugaire,  erse  rugair,  verrou,  barre,  pour  urgaire;  cf. 
argaire  et  argad,  obstacle,  empêchement. 

2)  Scr.  dvârayantra,  verrou,  serrure,  littér.  machine  de 
porte;  yantra,  de  yam,  coercere,  machine,  instrument  pour 
fixer  et  maintenir.  Cf.  yantar,  coercitor,  yantrana,  arrêt,  coer- 
cition, etc.,  et  le  dénomin.  yantray,  yatray,  obstringere, 
coercere. 

Je  compare  le  lithuan.  jutryna,  serrure  de  porte  ou  de 
coffre,  terme  d'ailleurs  isolé,  mais  qui  se  rattache  sans  doute  à 
l'anc.  si.  iâti  (imâ  =  scr.  ya?n),  prehendere,  d'où  iàtiie,  pre- 
hensio. 

3)  Pers.  parrah,  verrou. 

Irl.,  erse  sparr,  sparra,  sparran,  verrou,  boulon,  clou;  spar- 
raim,  fixer,  clouer.  —  Cymr.  par,  barre,  armor.  sparl,  sparla, 
id.,  pêne  de  serrure. 

Scand.  sperra,  verrou,  ancien  allemand  bi-sparrida,  id.  — 
Cf.  scand.  sperra,  ags.  sperran,  anc.  allem.  sparjan,  sperran, 
claudere. 

Cf.  la  rac.  scr.  spar,  tueri,  custodire,  et  p.  271. 

4)  Pers.  barang,  barandak,  verrou,  barre,  serrure,  clef; 
sans  doute  de  burdan  =  scr.  bhar,  ferre,  comme  en  gr.  è%ivç9 
verrou,  de  o^g«,  et,  en  lat.,  vectis  de  veho. 

Irl.  barra,  barre,  clou,  barradh,  empêchement,  obstacle.  — 
Cymr.  bar,  verrou,  barr,  barre,  armor.  barren,  id. 

5)  Armén.  pagankh,  pagaghan,  serrure;  pers.  bajang,  ba- 
zang,  verrou. 

Lat.  re-pagulum,  verrou. 


—     326     — 

Cymr.  pegwn,  pegwr,  cheville,  pivot. 

La  rac.  est  pag,  conservée  dans  Tryjy-vufii,  lat.  pango,  fixer, 
affermir.  Cf.  7ryjyoç,  ferme,  fort,  7rct<r<rot,Aoç,  pessulus,  paxil- 
lus,  cheville,  clon;  lith.  pozas,  joint,  rainure,  encastrement,  etc. 
Cette  rac.  pag  doit  avoir  existé  en  sanscrit,  où  l'on  trouve 
pagra,  ferme,  solide,  et  pâgas,  force  (Z.  S.,  VI,  319),1.  ainsi 
qu'en  persan,  où  paj,  pajim,  gelée,  répond  au  grec  7rctyoç, 
7rct,%vyj,  id.,  de  7rrjyvvjLti. 

6)  Tout  un  groupe  européen  des  noms  de  la  serrure  et  de 
la  clef  se  rattache  à  une  racine  commune  qui  doit  avoir  été  klu, 
avec  le  sens  de  fermer,  cacher,  couvrir,  etc.,  et  qui  est  iden- 
tique à  kru  (Cf.  p.  319).  Ainsi: 

Grec  nXîiç,  xXqïç,  serrure,  clef;  clor.  kAcl%  ;  xteïôpov, 
KhiicTpoVy  verrou;  de  jcMico,  pour  kM^ûo,  fermer. 

Lat.  cldvis,  clef,  claustrum,  verrou;  de  clau-do,  clu-do. 

Irl.  clb,  clodh,  cheville,  clou;  erse  clbimhean,  cloidhean,  id. ; 
cf.  lat.  clcivus.  —  Cymr.  do,  serrure,  de  doi,  fermer. 

Ane.  si.  et  russe  Miucï,  clef;  illyr.  kgliuc,  polon.  Muez,  boh. 


Le  verbe  Miuéiti  ou  Mucati  sie,  congruere,  za-kliuéiti,  clau- 
dere,  indique  une  forme  augmentée  de  klu. 

Cette  racine  paraît  aussi  se  retrouver  en  germanique,  dans 
le  scand.  hlûa,  abriter,  couver,  etc. 

J'ignore  jusqu'à  quel  point  on  peut  considérer  comme  alliés 
à  ce  groupe  les  mots  pers.  kuland,  serrure,  clef,  kulang,  verrou, 
kalîd,  kilîd,  kalîéah,  kourde  Mil,  clef,  etc.  On  sait  que  le  kl 
initial  est  étranger  au  persan,  qui  insère  toujours  une  voyelle 
intermédiaire. 

1  D'après  D.  P.,  pâgas,  proprement,  éclat,  lueur,  et,  par  extension 
seulement,  gaieté,  activité,  vigueur,  force. 


327     — 


D)  Le  seuil. 

La  diversité  des  noms  est  ici  à  peu  près  complète,  et  il  n'en 
est  aucun  qui  paraisse  remonter  à  l'époque  primitive;  ce  qui 
surprend,  vu  les  idées  que  plusieurs  peuples  anciens  associaient 
au  seuil.  L'unique  rapprochement,  peut-être  plus  apparent 
que  réel,  qui  se  présente  entre  l'Orient  et  l'Occident,  est  celui 
de  l'arménien  tranti  avec  le  cymr.  trothwy,  armor.  treuzou. 
Cf.  le  scand.  drôtt,  isolé  d'ailleurs  en  germanique.  Comme  le 
nom  cymrique  se  lie  directement  à  troth,  armor.  treuz,  tra- 
vers, traversée,  et  par  là  à  la  racine  sanscrite  tf}  tar,  traji- 
cere,  etc.,  la  réalité  d'un  rapport  avec  le  mot  arménien  dépen- 
drait de  l'affinité  de  ce  dernier  avec  la  même  racine.  L'irland. 
tairseach,  seuil,  cf.  tars,  trans,  tarsuing,  transversus,  tos- 
ndn,  transtrum,  est  une  autre  formation  de  même  origine, 
ainsi  que  le  scand.  thremr,  seuil.  Cf.  armor.  trémen,  traversée, 
passage,  etc. 

§  265.  LA  FENÊTRE. 

Aucun  nom  ancien  de  la  fenêtre  ne  s'est  conservé  dans 
plusieurs  langues,  mais  on  remarque  entre  un  certain  nombre 
de  termes  une  analogie  de  sens  qui  semble  indiquer  autre 
chose  qu'un  accord  fortuit.  Ces  termes,  soit  simples,  soit 
composés,  se  rattachent  de  diverses  manières  au  nom  de  l'œil, 
ce  qui  est  assez  naturel,  mais  non  nécessaire.  Ainsi: 

Scr.  grhâksha,  œil  de  maison,  galâksha,  littér.  filet-œil,  pour 
fenêtre  à  treillis,  gavâksha,  fenêtre  ronde,  exactement  notre 
œil-de-bœuf. 


—     328     — 

Goth.  augadaurô,  ags.  edgdura,  anc.  ail.  augatora,  porte 
de  l'œil;  ags.  edgthyrl,  trou  de  l'œil;  scand.  vindauga, 
dan.  vindue,  angl.  windoiv,  œil,  c'est-à-dire  ouverture  pour  le 
vent,  d'où  probablement  l'irland.  fui?ideog,  fuinneog,  erse 
uinneag. 

Anc.  slave,  russe,  pol.,  etc.,  okno,  fenêtre,  de  oho,  œil;  de 
même  origine  que  akshi,  aksha,  oculus,  ov^,  etc. 

Gr.  Ç)uvo7rry]ç,  de    (pctivco,  Qctvcç,  et   o-n-TO^cii,   o^»  etc. 

L'analogie  de  ces  dénominations  peut  faire  présumer  que 
déjà  les  anciens  Aryas  comparaient  la  fenêtre  à  un  œil. 

Parmi  les  noms  isolés,  je  ne  citerai  que  le  lith.  lângas,  lun- 
gas,  à  cause  de  son  double  rapport,  d'une  part  avec  l'irlandais 
long,  lumière,  et  de  l'autre  avec  la  rac.  scr.  lang,  lung,  lucere, 
que  donne  le  Dhâtup, 

ARTICLE   II.    L'INTÉRIEUR  DE   LA   MAISON. 

§  266.  LA  CHAMBRE. 


Les  points  de  comparaison  directe  sont  ici  en  petit  nombre, 
bien  qu'assez  sûrs.  J'ai  parlé  déjà  plus  haut  du  gr.  xctfAccpct, 
lat.  camara,  à  l'origine,  voûte,  cintre,  puis  chambre  cin- 
trée. J'indique  quelques  analogies  d'un  autre  genre. 

1)  Je  reviens  en  premier  lieu  au  scr.  çâlâ,  qui  signifie  non- 
seulement  une  maison,  mais  aussi  une  salle,  double  sens  que 
partagent  les  corrélatifs  germaniques  soi,  salr,  etc.,  indiqués 
p.  311  et  qui  répondent  à  la  forme  sâlâ,  ainsi  que  ceux 
qui  ont  conservé  la  gutturale,  heall,  halla,  etc.  C'est  à  ces  der- 
niers que  Kulm  rattache  également  l'allemand  bas-saxon 
hille,  chambre  à  coucher  des  valets  dans  une  ferme  (Z.  S.,  V, 


—    329     — 

454),  en  comparant,  comme  de  raison,  le  latin  cella  et  le  grec 
KccAict.  L'irl.  ceall  et  le  cymr.  cell,  cellule,  cabinet,  proviennent 
peut-être  du  latin;  mais  l'irl.  cuil,  cymr.  cil,  cachette,  retraite, 
coin  ;  erse  cuile,  cuilidh,  magasin,  cave,  paraissent  bien  se  lier 
directement  à  cette  rac.  kal,  çal,  etc.,  tegere,  que  nous  avon3 
signalée  à  l'article  indiqué.  En  germanique,  où  elle  se  pré- 
sente sous  les  formes  liai,  hil,  hul,  hel,  on  en  voit  dériver  le 
goth.  hulundi,  ags.  hol,  scand.  hola,  anc.  ail.  liolî,  caverne;  cf. 
anc.  slave  koliia,  fovea,  dont  le  sens  propre  se  rapproche  de 
celui  de  chambre,  comme   espace  clos.  Cf.  latin  caula,  étable. 

2)  Le  scr.  kaksha,  d'origine  incertaine,  réunit  des  acceptions 
très-diverses,  qui  se  rattachent  de  près  ou  de  loin  au  sens 
primitif  et  védique  de  lieu  clos,  cachette,  tanière,  etc.  (D.  P.) 
Au  féminin,  kakskâ,  ou  kakshyâ,  désigne  une  ceinture,  puis 
un  mur  d'enceinte  et  l'espace  qu'il  renferme,  puis  l'intérieur 
d'une  maison,  etc.  —  Cf.  pers.  kâshah,  hutte  de  jmille,  kâshân, 
habitation  d'hiver,  kâshânah,  maison,  salle,  antichambre,  por- 
tique, galerie,  et  aussi  nid  d'oiseau,  etc. 

Les  corrélatifs  européens  de  kaksha,  dans  ses  significations 
diverses,  sont  très-nombreux.  Parmi  ceux  qui  s'appliquent  à 
un  espace  clos  de  dimensions  variables,  on  peut  signaler  les 
suivants. 

Gr.  x,c£\l>a,  caisse,  avec  ip  =  ksh,  comme  dans  ci[/,  œil  = 
akshi.  De  là,  le  lat.  capsa,  d'où  notre  mot  caisse.  Cependant 
une  dérivation  de  kcL7ttûû,   capio,  est  également  possible. 

Lat.  casa,  casida,  hutte,  avec  s  pour  ksh  ou  x,  comme  par- 
fois en  grec  et  en  latin  (Cf.  Aufrecht,  Z.  S.,  VIII,  71).  — 
De  là,  avec  un  sens  plus  diminutif  encore,  notre  mot  case,  etc. 

Irl.  ces,  cavité,  cachette,  asile,  caverne,  avec  s  pour  ksh, 
comme  dans  deas  =  daksha,  etc. 


—     330     — - 

Lithuan.  kaszus,  grande  corbeille,  kaszele,  kaszikkas,  dimi- 
nutifs. 

Ane.  si.  koshï,  cophinus,  koshara,  ovile;  russe  kosha,  cor- 
beille, koshélî,  besace,  boîte;  polon.  kosz,  corbeille  et  butte  de 
branchages;  koszar,  parc  à  moutons,  etc.  —  Cf.  de  plus  pol. 
kasaé(kasze),  enceindre,  kasanie,  action  de  ceindre,  avec  le  scr. 
kaksha,  ceinture. 

Une  seconde  série  d'analogies  se  révèle  pour  le  scr.  kaksïia, 
dans  le  sens  d'aisselle,  de  flanc,  de  cavité  du  corps.  Ainsi  le 
pers.  kash,  aisselle,  et  coin,  angle;  le  lat.  coxa,  flanc,  hanebe, 
l'irl.  coss,  cos,  cuisse,  jambe  et  pied,  cymr.  coes;  l'irland.  caise, 
cunnus,  l'anc.  ail.  hahs,  poples,  etc.1 

Ces  rapprochements  multipliés  s'appuient  les  uns  sur  les 
autres,  et  témoignent  de  la  haute  ancienneté  de  ce  terme,  qui 
doit  avoir  désigné  aussi  l'intérieur  de  la  maison. 

3)  De  la  rac.  rudli,  impedire,  includere,  occulere,  dérivent, 
en  sanscrit,  ârôdha,  lieu  secret,  intérieur,  avarôdha,  uparôdha, 
clôture,  appartement  intérieur,  gynécée,  etc. 

La  forme  ârôdha  se  retrouve  exactement  conservée  dans  le 
lith.  arôdas,  aroda,  cloison,  séparation,  et,  plus  spécialement, 
compartiment  ménagé  dans  le  grenier  pour  y  mettre  le  blé. 
L'existence  plus  d'une  fois  contestée  de  la  préposition  préfixe 
a  dans  les  langues  européennes,  est  ici  manifeste. 

4)  La  chambre  était  naturellement  le  lieu  du  repos  et  du 
sommeil,  cubile,  cubiculum,  et  plusieurs  de  ses  noms  se  ratta- 
chent à  ceux  du  lit.  Ce  dernier  est  appelé  en  sanscrit  çaya, 
çayana,  de  la  rac.  çî,  jacere,  quiescere,  decumbere,  d'où  aussi 
âçaya,  demeure,  retraite,  asile. 

Le  gr.  kq'ityi,  lit,  tanière,  d'où  koitôôv,  chambre  à  coucher, 
dérive  de  même  de  Kîtf^cti,  jacio,  quiesco,  rac.  ki  =  çî. 

1  Curtius,  Gr.  Et.3,  p.  146  et  642,  compare  aussi  xo%&W 


—     331     — 

En  germanique,  où  cette  racine  serait  M,  on  y  rattache  le 
goth.  hêthjô,  chambre  à  coucher  (  thjô  suffixe  ),  ainsi  que  des 
noms  du  village  et  de  la  famille  que  nous  retrouverons  plus 
tard. 

Enfin,  de  l'anc.  si.  éi  =  çî  dans  po-éiti,  quiescere,  on  voit 
dériver  pokoi,  quies, pokoiti,  quietare;  cf.  lith.  pa-kajus,  paix; 
et  le  russe  pokoi,  comme  le  polon.  pokoy,  désignent  la  chambre 
à  coucher. 


§  267.  LA  CUISINE. 

Le  groupe  principal  des  noms  de  la  cuisine  se  lie  partout  à 
une  racine  commune  à  la  plupart  des  langues  ariennes,  et  qui 
exprime  Faction  de  cuire.  J'en  offre  ici  le  tableau  comparatif 
avec  les  formes  qui  en  dérivent,  et  dont  les  variations  sont 
souvent  singulières. 

Scr.  pac,  coquere  et  maturare.  De  là  paci,  pakti,  pâka, 
cuisson,  et  plusieurs  noms  du  feu,  tels  que  paktra,  pacata,  pa- 
cana,  pâcala,  etc.  De  là  aussi,  âpâka,  four  à  cuire,  pacaka, 
pâkuka,  pacêluka,  cuisinier,  et  les  composés  pâkaçâlâ,  pâka- 
sthâna,  chambre  à  cuire,  pour  cuisine. 

Zend  pac,  cuire.  —  Pers.  pazîdan,  pajîdan,  id.,  paz-gar, 
cuisinier,  paz-âivâ,  four  à  briques,  pâcak,  bouse  séchée  au 
soleil,  pêcah,  feu,  etc.  ;  et  aussi  pochtan,  cuire,  etc.  —  Kourde 
pesium,  coquo,  part.  pas.  pat  =  scr.  pakta;  mais,  à  côté  de 
cette  forme,  on  trouve  kuéiek,  fourneau,  kauciek,  cuisinier,  avec 
k  pour  p,  comme  on  le  verra  plus  d'une  fois.  —  Afghan  pa- 
chaval,  cuire.  —  Armén.  epel,  id.,  probablement  pour  pepel,  le 
c  ou  k  final  changé  en  p  ;  cf.  plus  loin  i^co  et  7ri7rTôo;  mais 
aussi  l'inverse,  à  ce  qu'il  semble,  pour  le  p  initial,  dans   khoh, 


—     332     — 

cuisine,  khohager,  khokhger,  khakhamokh,  cuisinier.  Cf.  latin 
coqao.  Enfin,  une  troisième  variante  dans  poukh,  four,  peut- 
être  d'origine  persane;  cf.  pochtan, —  Ossète  fiéin,  fitsun, 
cuire,  avec/  régulièrement  pour  p. 

Gr.  7rî7TTCt)  {jnTTOù),  cuire,  mûrir,  7ri7TùùV,  cuit,  7rifA,fA,ct, 
7rc7rctvovv  gâteau,  clpT07rû7roç,  boulanger,  etc.  Puis  7TîO"<rûû, 
suivant  Benfey  et  Curtius  (Z.  S.,  III,  409),'  d'une  forme  plus 
ancienne  7rzxiù),  avec  maintien  de  la  gutturale.  Curtius  signale 
de  plus  la  forme  inverse  dans  dpro-K07roç,  boulanger,  en  rap- 
pelant le  lith.  képti,  qui  reviendra  plus  loin.  Enfin,  Benfey 
Gr.  Wl.}  II,  89)  rattache  encore  ici  le  verbe  eij/a>,  pour  tti^oô, 
cuire,  ainsi  que  o7Ttoç>  cuit,  o7ttcloù,  otttcivîiov,  cuisine,  et  peut- 
être  17TV0Ç3  four,  avec  perte  du  p  initial,  comme  dans  l'armén. 
ep-el. 

Lat.  coquo,  dans  le  même  rapport  avec  le  sanscr.  pac  que 
quinque  avec  panda;  coquus,  cuisinier,  coquina,  cuisine.  Le 
synonyme  popina  se  rattache  probablement  à  l'osque  ou  au 
grec,  ainsi  que  popanum,  gâteau.  1 

Il  faut  observer  ici  que  le  lat.  coquo  et  ses  dérivés  ont  passé 
dans  les  langues  du  nord  de  l'Europe,  où  ils  figurent  plus 
d'une  fois  à  côté  des  termes  vraiment  primitifs.  Ainsi  l'ancien 
irland.  cucann  (Z.2,  69),  plus  tard  cuicen,  cuisine,  coca,  cocaire, 
cuisinier,  cymr.  cegin;  angl.-sax.  cycene,  coquina,  cueccan,  co- 
que re;  scand.  kocka,  kockr,  anc.  ail.  kochjan,  koch,  kuclùna,  etc.; 
le  russe  et  polonais  kuchnia,  illyrien  kuhigna,  cuisine,  kuhati, 

1  Le  lat.  culina,  où  l'on  a  cherché  une  forme  altérée  de  coculina, 
semble  sans  rapport  avec  coquo,  comme  l'indique  l'analogie  de  l'anc. 
irland.  Guile,  cuilœ,  cuisine  (Z.2,  765),  qui  ne  provient  sans  doute  pas 
du  latin.  Cf.  cuil,  coin,  et  erse  cuile,  cuilidh,  magasin,  cave.  Comme 
le  foyer  était  le  lieu  de  réunion  de  la  famille,  on  pourrait  conjectu- 
rer une  connexion  entre  culina  et  cuile  et  le  sanscrit  kuia,  famille, 
d'où  kulin,  kulya,  ce  qui  appartient  à  la  famille. 


—     333     — 

cuire,  kuhar,  polonais  kncharz,  cuisinier,  etc.,  le  lith.  kuhnê, 
cuisine,  kukkorus,  cuisinier,  etc.  Tous  ces  mots  sont  assurément 
d'origine  latine.  Les  termes  originaux  sont  les  suivants. 

Cjmr.  pobi,  cuire,  poban,  four,  pobivr,  boulanger,  etc., 
armor.  pibi  ou  pobein,  cuire,  piber,  pober,  boulanger,  etc. 

Lith.  képti,  cuire,  rôtir,  kepëjas,  boulanger,  képalas,  pain 
cuit,  kepone,  rôtissoire,  etc.;  hep  pour  pek  par  inversion, 
comme  le  gr.  kc7Tûç.  Un  des  noms  du  four,  péczus,  paraît 
venir  du  slave,  et  un  autre,  kakalys  (Cf.  erse  cagailt,  foyer  (?), 
et  scr.  pâéala,  feu),  rappelle  coquo  et  les  formes  analogues  en 
kourde  et  en  arménien. 

Ane.  slave  peslrii  (pekâ),  cuire,  pekît,  chaleur,  pesïitï,  four, 
pekarï,  boulanger,  etc.  Cf.  les  autres  dialectes  passi?n.  On  peut 
se  demander  si  le  russe  ocagïï,  foyer,  n'aurait  pas  perdu  un  p 
initial,  comme  êi)/&),  07TT0ç>  etc. 

Les  langues  germaniques  ne  paraissent  pas  avoir  conservé 
cette  racine,  non  plus  qu'aucun  de  ses  dérivés.1 

En  résumé,  ce  groupe  si  fécond  en  divergences,  non-seule- 
ment d'une  langue  à  une  autre,  mais  parfois  dans  une  même 
langue,  laisse  quelque  incertitude  sur  la  forme  primitive  de  la 
racine  commune.  Il  est  assez  probable  que,  déjà  antérieure- 
ment à  la  dispersion,  et  par  suite  du  changement  dialectique 
du  k  en  p,  et  vice  versa,  cette  racine  s'était  modifiée  de  plu- 
sieurs manières,  en  pak,  kap,  kak  et  pap. 

Les  autres  noms  de  la  cuisine  sont  isolés,  ou  se  confondent 
avec  ceux  qui  vont  suivre. 

1  Weber,  il  est  vrai  (Beitr.,  4,  279),  rattache  à pac  l'ail,  backen,  en 
rejetant  (p.  262)  mon  rapprochement  avec  bhag.  Mais  ce  rapproche- 
ment est  confirmé  par  Curtius  (Gr.  Et.,  I,  151)  et  par  Pott  (Wb., 
3,  177),  en  comparant  06Jyw,  rôtir,  chauffer,  @wjcroç,  rôti  =  sanscrit 
bhakta,  Qûyocvov,  grille  à  rôtir  =  bhagana,  neut.,  vase  à  cuire,  etc. 


—  334  — 


§  268.  LE  FOYER,  LE  FOUR,  LA  CHEMINÉE. 

Aux  temps  anciens  et  dans  la  simplicité  des  mœurs  primi- 
tives, le  foyer  constituait  le  centre  de  la  maison,  le  lieu  de 
réunion  habituel  de  la  famille.  De  là,  les  idées  morales  qui 
s'y  rattachaient,  comme  au  symbole  de  la  vie  domestique  et 
de  l'hospitalité.  Le  nom  du  foyer  se  prend  souvent  et  partout 
au  figuré  pour  celui  de  la  maison  et  de  la  famille,  et,  par  une 
métaphore  inverse,  le  sansc.  gâti,  famille,  désigne  aussi  le 
foyer,  de  même  que  vastya,  maison,  est  devenu  en  gr.  éariet. 
Les  langues  ariennes  offrent  ici  une  grande  variété  de  termes, 
avec  des  analogies  plus  multipliées  qu'étendues,  et  ces  termes 
se  rapportent  en  général  aux  caractères  purement  matériels 
du  foyer,  comme  lieu  du  feu  et  de  la  cuisson,  ce  qui  est 
d'ailleurs  dans  l'ordre  naturel  des  choses.  Les  noms  compa- 
rables, y  compris  ceux  du  four  et  de  la  cheminée,  sont  les 
suivants. 

1)  Scr.  açmanta,  -taka,  foyer,  four,  proprement  lapideus, 
de  açman,  pierre. 

Le  même  rapport  se  reproduit  entre  l'anc.  si.  kamerii,  lapis, 
kamenïnu,  lapideus,  lithuan.  akmù,  thème  ahnen,  pierre  (Cf. 
1. 1,  p.  149),  et  le  russe  kaminû,  pol.  komin,  boh.  kamna  (pi.), 
lithuan.  kdminas,  foyer,  four,  cheminée.  Le  synonyme  russe 
komelï,  foyer,  semble  formé  comme  le  scr.  açmara,  lapideus. 
Il  faut  naturellement  rapporter  ici  le  gr.  xctftivoç,  lat.  caminus, 
four,  foyer,  plutôt  qu'au  verbe  jcctiûù,  brûler. 

C'est  à  un  synonyme  sanscrit  de  açman,  savoir  açna,  açan, 
qu'Aufrecht  ramène  également  le  goth.  auhns ,  four,  d'un 
thème   olina ,   primitivement    okna ,    contrairement  à    Bopp 


—     335     — 

qui  avait  comparé  agni,  feu,  ou  bien  ushna,  chaud  (Z.  S.,  V, 
135).  Il  n'y  aurait  rien  à  objecter  à  cette  conjecture,  si  le  lith. 
aukszinis,  cheminée  du  four,  qui  répond  au  goth.  auhns,  ne 
conduisait  pas  à  une  autre  étymologie,  car  il  est  évidemment 
dérivé  de  auksztas,  élevé.  Il  devient  très-probable,  d'après 
cela,  que  auhns  se  lie  directement  à  l'adjectif  gothique  au- 
huma,  élevé,  auhumists,  suprême,  d'où  auhumistô,  élévation. 
Ce  qui  le  confirme  encore,  c'est  que  auhns  devient  ofen  en 
anglo-sax.,  ofn,  on,  en  scand.,  ovan  en  anc-  allemand,  et  que 
auhumists  se  change  de  même,  dans  l'anglo-sax.,  en  ufemest, 
l'anglais  upmost  (Cf.  Grimm,  Deut.  Gr.,  III,  628). 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  rapprochements  plus  sûrs  du  nom 
sanscrit  avec  le  slave,  le  lithuanien,  le  grec  et  le  latin,  mon- 
trent suffisamment  que  l'ancien  foyer  consistait  en  une  pierre, 
ce  qui  d'ailleurs  n'avait  guère  besoin  de  preuve. 

2)  Le  sanscrit  a  la  rac.  çrâ,  çrî,  cuire,  qui  devient  çir 
dans  âçir,  cuisson,  âçirta,  cuit.  Cette  racine,  primitivement 
kar,  kir,  avec  le  sens  de  chauffer,  brûler  (Cf.  Fick,  33), 
reparaît  dans  plusieurs  termes  européens  qui  désignent  le 
foyer,  le  four,  des  ustensiles  de  cuisine,  ou  des  produits  de 
la  cuisson. 

A  çrî  se  rattachent  probablement  le  gr.  TtçifioLvoçy  KXiQctvoç, 
four,  et  xpfêctvov,  -avv],  espèce  de  pain,  où  (ictvo  semble  être  une 
forme  augmentée  du  suffixe  sanscr.  van.  A  çrâ,  peut-être 
xpctTyp,  lat.  crater,  primitivement  vase  à  cuire.  Cf.  irlandais 
creithir,  crithir,  vase,  coupe.  A  çir  ou  car,  mpct/noç,  terra 
coctilis,  Kipvov,  vase  de  terre;  cf.  irl.  cré,  criadh,  cymr.  pridd 
(p  =  c),  argile.  De  plus,  F  irl.  cearn  et  cir-thanach,  cuisine, 
ainsi  que  très-probablement  l'anglo-sax.  hëordh,  anc.  allemand 
herd,  foyer,  et  hearst,  anc.  allemand  harsta,  rogus,  craticula, 
frixura. 


—     336     — 

D'après  Scliweizer  (Z.  S.,  IV,  299),  il  faudrait  ramener  à 
çrâ  le  lat.  cremare,  cremium,  etc.,  venant  d'un  subst.  cre-mor, 
comme  clamare,  de  clamor.  L'irl.  cramhaim,  concoquo,  vient 
de  même  de  cramJi,  concoctio,  digestio. 

La  forme  causative  de  çrâ,  qui  est  çrapay,  d'où  çrapita, 
cuit,  crapaud,  cuisson,  se  retrouve  clairement  dans  l'anc.  slave 
crépu,  crêpina,  testa,  pelvis;  russe  cerepitsa,  tuile,  et  Jcirpicïï, 
brique;  litliuan.  czerpyczia,  tuile.  Cf.  illyr.  o-peka,  brique,  de 
pesJiti,  cuire.  A  ces  mots  slaves  correspond  aussi  l'anc.  allem. 
scirbi,  all.mod.  scherbe,  testa.  On  a  rapproché  encore  de  çrap  le 
gotb.  hlaifs,  ags.  hlâf,  scand.  Meifr,  anc.  allem.  hlaib,  pain  en 
tant  que  cuit,  anc.  si.  chliebu,  litb.  klëpas,  lett.  klaips,  id.  (Cf. 
Pott,  Et.  F.,  I,  197;  Benfey,  G.  WL,  II,  177.) 

Enfin,  le  Dhâtup.  donne  une  racine  çrish,  çlish,  urere, 
qui  n'est  probablement  qu'un  dérivé  du  désidératif  ciçrîsh, 
çiçrâs,  de  çrî  et  çrâ.  Je  rattache  à  ces  formes  l'irl.  cris,  crios, 
feu,  criosachj  braise,  le  cymr.  crasu,  armor.  kraza  (pour  crist), 
griller,  rôtir,  et  cresu,  enflammer,  creisier,  four,  creision,  cen- 
dre, etc.  ;  Fane.  si.  o-krasiti,  accendere,  krèsiti,  excitare,  russe 
kresitï,  pol.  krzesac,  battre  le  briquet,  kresivo,  briquet,  etc.  ; 
enfin  le  lithuan.  krosnis,  four,  et  karsztis,  chaleur,  karsztas, 
chaud,  etc. 

3)  Ser.  âshtrî  (vêd.),  foyer,  cuisine,  probablement  de  la 
racine  aç ,  edere,  vorare,  au  fut.  partie,  ashtâ  et  açitâ,  d'où 
âçira,  açitar,  âçitar,  vorace,  et  açira,  âçara,  le  feu  qui  dévore, 
comme  admani,  feu,  de  ad,  edere.1  —  Pers.  âsh,  cuit,  et  ali- 
ment cuit,  âshîn,  cuisinier,  boulanger,  âsh  kardan,  cuire.  Cf. 
beloutc.  as,  feu. 

Je  compare,  comme  se  liant  à  la  même  origine,  l'angl.-sax. 

1  On  peut  en  rapprocher  peut-être  «o<ç,  ocSlxç,  foyer,  que  donne 
Hesychius. 


—     337     — 

ast,  four,  essian,  de  estian  (?),  consumer,  anc.  ail.  essa,  de  esta  (?), 
foyer  de  forge,  etc.;  et  l'irl.  asaim  (c'est-à-dire  assaini),  allu- 
mer, asadh,  inflammation.  Le  latin  asso,  rôtir,  assus,  rôti, 
semble  provenir  d'une  assimilation  analogue. 

4)  Scr.  angârî,  angârinî,  foyer  portatif,  de  angâra,  char- 
bon. Cf.  pers.  angêz,  charbon,  kourde  agiter,  aghrï,  feu,  lagh- 
mani  angâr,  kashgari  ingar,  id. 

Irland.  ong  et  aingeal,  erse  oingeal,  oinneal,  [foyer  et  feu; 
cymr.  engyl,  feu.  —  L'acception  de  charbon  se  retrouve  dans 
le  lith.  anglis,  anc.  si.  agit,  russe  ugolï,  pol.  icegiel,  illyrien 
ughgljen,  boh.  ulxel,  etc. 

La  racine  commune  est  sans  doute  la  même  que  celle  du 
scr.  agni,  angati,  agira,  feu,  savoir  ag,  ang,  se  movere,  à  cause 
de  la  mobilité  de  cet  élément. 

5)  Persan  ushtû,  ushtuwa,  foyer,  probablement,  comme 
ustuwân,  ustuwâr  =  scr.  sthâvara,  ferme,  fixe,  de  istân  = 
sthâ,  stare. 

Scand.  stô,  elld-stô,  foyer,  proprement  statio,  ignis  locus;  cf. 
ags.  stow,  locus,  lith.  stowa,  id.,  stoiveti,  stare,  anc.  si.  staviti, 
statuere,  etc. 

Russe  shestoku,  foyer,  forme  redoublée  de  sthâ  (tishthâmi), 
comme  le  lat.  sisto.  —  Le  russe  pôdu,  âtre,  foyer,  correspond 
de  même  au  sanscrit  pada,  lieu,  site. 

6)  Pers.  barîgan,  birîzan,  barsân,  birsân,  four;  kourde 
bêrosha,  chaudron.  Cf.  pers.  burushtan,  frire,  cuire  =  sanscrit 
bhrg,  bhrasg,  frigere,  d'où  bhrggana  et  bhrâshtra,  poêle  à 
frire. 

Gr.  tyçvytrpov,  vase  à  griller  l'orge,  0çvyivçf  rôtissoire,  de 
Qçvya,  rôtir,  griller,  le  latin  frigo,  à'ohfrixorium,  poêle  à 
frire. 

n  22 


—     338     — 

Irland.  breôgach,  boulanger,  breôgaim ,  cuire  et  pétrir, 
venant  de  bhrasg  (?)  à  cause  du  g  non  aspiré. 

Au  sanscr.  bhrg,  assare,  se  lie  sans  doute  la  rac.  bhag  (10), 
coquere,  d'où  bhakta,  cuit.  Les  deux  formes  doivent  s'être 
séparées  de  bonne  heure,  car  on  trouve  en  grec,  à  côté  de 
(pçvycx),  et  comme  corrélatif  de  bhag,  Ç)ûoyco,  Ç>û)Çûô9  d'où 
(pûûyctvov,  poêle  à  frire.  A  cette  forme  secondaire  de  la  racine 
correspond  également  l'ang.-sax.  bacan,  scand.  baka,  anc.  ail. 
pachan,  frigere,  torrere,  d'où  respectivement  baecere,  bakari, 
paccharo,  pistor.  Cf.  irl.  bacht,  bocht,  feu;  mais  bdcala,  bdcud- 
has,  four,  bdcailim,  cuire,  viennent  sans  doute  de  l'anglais 
bake.  Cf.  plus  haut  la  note  p.  333. 

7)  Pers.  âlawahj  foyer,  âlû,  four  à  briques.  —  Cf.  âlâ, 
âlaiv,  âlanka,  flamme. 

Cymr.  aelwyd,  armor.  oaled,  foyer,  irl.  eallach,  id.  —  Cf. 
ang.-sax.  aeled,  alet,  scand.  elldr,  feu. 

8)  Armén.  wararan,  foyer;  wary  feu.  —  Cf.  pers.  war,  cha- 
leur, warazm,  feu,  warâgh,  flamme,  etc. 

Anc.  si.  po-variia,  cuisine,  po-varit ,  cuisinier,  de  variti, 
coquere,  et  vreti,  fervere,  d'où  varie,  calor,  etc.  Cf.  passim  les 
dialectes  modernes. 

Lith.  ivirti,  cuire,  ivirtuwê,  cuisine,  wirrêjas,  cuisinier,  etc. 

Ici  se  rattache  peut-être  directement  le  germanique  ivarm, 
chaud,  etc.,  que  l'on  rapproche  ordinairement  du  scr.  gharma. 
et  de  &i()[A,cç,  lesquels  pourraient  fort  bien  ne  se  ressembler 
que  par  le  suffixe,  à  moins  qu'on  ne  veuille  identifier  les  trois 
formes  var,  ghar  et  <9"g£  =  dhar. 

9)  D'après  Kuhn,  le  latin  atrium  aurait  désigné  dans  l'ori- 
gine le  foyer  ou  la  cuisine,  et,  plus  tard  seulement,  la  pièce  à 
l'entrée  de  la  maison.  En  bas-latin,  atrium  signifie  encore 
parfois  la  cuisine  et  Votre  (Cf.  Ducange,  v.  a).  Kuhn  rattache 


—    339     — 

ce  nom  du  foyer,  aussi  bien  que  ater,  noir,  c'est-à-dire  brûlé, 
au  zend  âtar,  feu,  conservé  dans  le  sanscrit  atharvan,  prêtre 
du  feu,  et  probablement  dans  atharya,  surnom  du  dieu  Agni.1 
Le  zend  âtar,  dont  l'origine  est  encore  incertaine,2  persan 
âdar,  âzar,  armén.  adr,  paraît  conservé  dans  l'irland.  adhair, 
feu. 

Suivant  Rossbach  (Z.  S.,  VI,  61,  239),  une  extension  de 
sens  analogue  aurait  eu  lieu  pour  le  lat.  œdes,  primitivement 
foyer,  et  allié  ainsi  au  grec  ui&ûô,  brûler ,  correspondant  au 
sansc.  idhj  indh,  d'où,  entre  autres  dérivés,  êdïia,  bois  à  brû- 
ler, êdhatUy  feu,  aidh,  aidha,  flamme,  etc.  Cf.  angl.-sax.  ad, 
bûcher,  anc.  ail.  eit,  id.,  et  feu,  eitjan,  cuire,  etc.  Cette  con- 
jecture est  appuyée  par  l'irlandais,  où  l'un  des  noms  de  la  mai- 
son, aidhe  =  œdes,  semble  se  rattacher  à  celui  du  feu ,  aedh , 
en  cymr.   aidd,  chaleur. 

A  côté  de  ces  rapprochements  nombreux  entre  les  noms 
de  la  chambre,  de  la  cuisine  et  du  foyer',  je  n'ai  rien 
trouvé  à  comparer  avec  sûreté  pour  le  reste  de  l'intérieur  de 
la  maison,  le  grenier,  la  cave,  l'escalier,  etc.3  Cela  s'accorde 

1  Z.  S.,  VI,  239.  Roth  explique  atharya  par  athari,  ocn.  Xsy.  du 
Rigvêda,  signifiant,  suivant  lui,  pointe  de  lance  =  oc&n'p,  par  allusion 
à  la  forme  pointue  des  flammes  (D.  P.,  v.  c.). 

2  Suivant  Justi  (49),  peut-être  de  ad-tar,  qui  dévore. 

3  Dans  trois  branches  de  la  famille  arienne,  les  noms  de  l'escalier 
et  de  l'échelle  dérivent  de  la  même  racine,  mais  par  des  formations 
diverses.  Ainsi,  en  sanscrit,  ni-çrayanî,  ni-çrêni}  de  çri,  ni-çri, 
appuyer,  incliner  ;  en  grec  x>aV<*t,  de  jcXt-vw,  in-clino,  en  anc.  allem. 
hleitara,  angs.  hlaeder,  allem.  leiter,  angl.  ladder,  de  la  rac.  hli, 
hlinôn,  -nen,  lehnen,  etc.  Cf.  scr.  çrêtar,  masc,  celui  qui  s'appuie. 
Aucun  de  ces  termes  n'est  primitif,  mais  leur  commune  dérivation 
peut  faire  présumer  un  nom  proethnique  avec  le  même  sens.  On  se 
tromperait  fort  si  l'on  rapprochait  le  kourde  daràg,  scala  (Garzoni, 


—     340     — 

d'ailleurs  avec  l'idée  que  nous  pouvons  nous  faire  des  sim- 
ples habitations  des  temps  primitifs,  lesquelles  ne  devaient 
guère  consister  qu'en  une  cuisine,  et  une  ou  plusieurs  cham- 
bres à  coucher. 

Voyons  maintenant  quels   étaient  les  alentours  de  la  mai- 
son, avant  d'y  rentrer  pour  en  examiner  le  mobilier. 

ARTICLE   III.    LES   ABORDS  DE   LA    MAISON. 

§  269.  LA  COUR. 

1)  Un  seul  des  noms  sanscrits  de  la  cour  a  conservé  son 
corrélatif  européen,  savoir  angana  ou  angana,  de  la  rac.  ang, 
ire,  comme  lieu  de  mouvement  et  de  passage,  de  même  que  le 
synonyme  agira,  de  ag,  agere.  Cf.  agra,  p.  6  et  108. 

Je  compare  le  lithuanien  a?iga,  entrée,  ouverture  de  la 
porte,  nam-angis,  nùm-ange,  cour,  de  namas,  numas,  maison, 
et  anga;  prëanga,  pryangis,  prgange,  le  devant  de  la  porte, 
composé  exactement  comme  le  scr.  prângana,  cour,  pra  -f-  an- 
gana. 

Il  faut  peut-être  rattacher  ici  l'anglo-sax.  inge,  scand.  engi, 
pratum,  anc.  ail.  a?igar,  arvum,  bien  que  le  g  ne  corresponde 
pas  régulièrement. 

2)  Le  grec  %ooroq^  cour,  enceinte,  appartient  à  l'un  des 
groupes  de  mots  les  plus  difficiles  à  démêler,  quant  à  ses  ori- 
gines   étymologiques.    D'après   les  expressions   homériques 

Vocab.),  de  l'armoricain  dérez,  dergé,  escalier,  car,  d'une  part,  le 
kourde  est  emprunté  à  l'arabe  daragat,  durgat,  et  de  l'autre,  dérez, 
dergé,  aussi  marche  d'escalier,  qui  manque  en  cymrique,  n'est  sans 
doute  qu'une  altération  de  degré. 


—    341     — 

uvAyjg  iv  x°9Ta)  O^v  XI?  744),  mfa\ç  xiçrot  (xxiv,  640),  ce 
terme  désignait,  soit  l'enceinte  de  la  cour,  soit  l'espace  en- 
clos ,  l'allemand  hofraum  ;  mais  l'acception  d'enceinte  ou 
limite  paraît  être  la  primitive,  à  en  juger  par  <rvy%oçTQÇ) 
voisin,  limitrophe.  D'après  cela,  %o^toç  ne  peut  guère  se  sépa- 
rer de  %oçoç->  danse  circulaire,  qui,  suivant  Hesychius,=  kvkàoç, 
(TTèQctvoç,  cercle,  guirlande.  Ainsi  la  racine  serait  %op,  ce  qui 
conduit  à  comparer  le  scr.  hvar,  curvum  esse,  dont  le  parti- 
cipe hruta,  courbé,  par  inversion  pour  hurta,  de  hvarta,  repré- 
sente fort  bien  %oproç  pour  x^cçtoç. 

Au  mot  grec  répond  exactement  le  latin  hortus,  jardin,  en 
tant  que  lieu  enclos,  et  co-hors,  enceinte,  cour,  par  contraction 
chors,  cors,  thème  corti,  d'où  le  bas-latin  curtis,  qui  a  passé  à 
l'irl.  cûirt,  au  cymr.  civrt,  à  l'angl.  court,  etc. 

Comme  le  g  germanique  répond  régulièrement  au  %  grec, 
et  à  Y  h  latin,  on  a  souvent  comparé  le  go  th.  gards,  maison, 
garda,  cour,  ags.  geard,  jardin,  enclos,  scand.  gardr,  ancien 
allem.  kart,  karto,  id.,  et  cercle,  etc.  Mais  ici  déjà  commen- 
cent les  difficultés  ;  car,  non-seulement  le  d  gothique  suppo- 
serait un  ô  =  dix,  au  lieu  du  t,  mais  il  appartient  clairement  à 
la  racine.  On  ne  saurait  douter,  en  effet,  que  Grimm  ne 
rapporte  avec  toute  raison  gards  au  verbe  fort  gairdan  (gard, 
gaurdun),  enceindre,  entourer,  lequel  se  retrouve  dans  l'an- 
cien slave  graditi,  sepire,  d'où  gradu,  russe  gorodu,  urbs, 
gradejï,  sepes,  gradina,  o-gradîi,  hortus,  etc.  Le  lithuanien 
a  de  même  zardis,  jardin  (  z  =  %?  h  ),  à  côté  de  gardas, 
enclos,  parc,  qui  est  peut-être  slave.  Enfin,  les  langues  celti- 
ques nous  offrent  encore  l'irl.  gort,  gâradh,  et  le  cymr.  gardd, 
jardin,  qui  ne  semblent  pas  empruntés  au  germanique. 1 

1  Cf.  aussi  cymr.  garth,  rempart,  forteresse,  garthan,  camp.  L'irl. 
garadh  désigne  aussi  une  haie,  un  mur  et  une  tanière. 


—     342     — 

Si  de  l'Europe  nous  passons  à  l'Orient,  nous  voyons  le 
problème  se  compliquer  encore  davantage.  Nous  rencontrons 
d'abord  le  pers.  gird,  cercle,  ville,  gardar,  id.,  kourde  gertia, 
enceinte,  etc.,  termes  en  apparence  tout  semblables  à  gards,  et 
gradïï,  mais  en  réalité  tout  différents,  car  ils  dérivent  de  gar- 
dîdan,  tourner,  entourer,  être  entouré;  et  la  racine  de  ce  verbe, 
par  le  changement  de  v  en  g,  propre  au  persan,  répond  au  scr. 
vrtj  vartj  vertere.  Or  cette  rac.  vart  reparaît  non-seulement  dans 
le  \a,t.  verto,  qui  n'a  plus  aucun  rapport  avec  hortus,  mais  dans 
l'anc.  si.  vratitij  vertere,  vrïtieti,  circumagere,  d'où  dérive  vrïtïï, 
illyr.  vart,  hortus,  entièrement  distinct  de  gradïï.  D'un  autre 
côté,  l'ossète  kharth,  cour,  aussi  semblable  que  possible  à 
%cûtoç,  ne  saurait  cependant  s'y  rattacher  régulièrement, 
puisque  le  hh  ou  ch  initial,  en  ossète  comme  en  persan,  corres- 
pond au  sv  sanscrit. 

Enfin,  la  confusion  atteint  ses  dernières  limites  par  l'addition 
du  scr.  garta,  signifiant  maison,  comme  le  goth.  gards,  mais 
aussi  creux,  fosse,  tanière,  et  qui  diffère  également  de  tous  les 
termes  qui  précèdent.  D'après  le  D.  P.,  en  effet,  ce  ne  serait  là 
qu'une  forme  plus  moderne  de  karta,  fosse,  de  la  rac.  krt,  scin- 
dere,1  et,  comme  maison,  garta  aurait  désigné  probablement 
une  habitation  souterraine.  Il  faut  encore  ajouter  le  karta  des 
inscriptions  de  Persépolis,  que  Lassen  traduit  par  arx,  pala- 
tium,  mais  qu'il  compare  à  l'héb.  qereth,  urbs  (  Z.  S.  f.  d. 
Kunde  des  Morg.,  VI,  78).2 

Je  laisse  à  de  plus  habiles  à  débrouiller  cet  écheveau  si 
compliqué,  ce  qui  ne  peut  se  faire,  je  crois,  qu'en  admettant 

1  Cf.  ossète  karta,  baquet,  et  anc.  si.  crûtogû,  cubieulum,  de  crû- 
tati,  incidere  =  scr.  krt. 

2  Cf.  xipTot  —  ttôXiç  v7ro  'Ap^tvim  (Hesych.). 


—    343     — 

des  transmissions  de  plus   d'un  genre   d'une  langue  à  une 
autre.1 

3)  L'anc.  ail.,  ags.,  scand.  hof,  cour,  puis,  par  extension, 
demeure,  maison,  a  été  rapproché  du  gr.  nyJTroç,  jardin  (Pott, 
Et.  F.,  1, 141);  il  faut  en  rapprocher  aussi  l'alban.  kâpesht,  id. 
La  racine  ne  peut  guère  être  que  les  rac.  kap,  skap,  des  termes 
déjà  comparés  (p.  115),  dans  le  sens  de  creuser,  fouir.  Il  est  à 
remarquer  que  l'anglo-sax.  hof  scand.  hôfr,  anc.  ail.  hiwf, 
sabot  de  cheval,  est  au  si.  kopyto,  id.,  de  Jcopati,  fodere,2dans 
le  même  rapport  que  celui  de  hof  à  KfJTroç.  —  Le  mot  germa- 
nique semble  avoir  désigné  primitivement,  comme  le  grec,  un 
terrain  cultivé  près  de  la  maison,  un  jardin;  mais  il  ne  paraît 
pas  se  retrouver  chez  les  Aryas  de  l'Orient. 

§  270.  LE  PUITS,  LA  CITERNE. 

Les  habitations  se  sont  toujours  établies  naturellement  de 
préférence  dans  le  voisinage  des  eaux,  des  lacs,  des  rivières  ou 
des  sources;  mais,  partout  où  celles-ci  manquent,  l'industrie 
humaine  a  dû  chercher  à  y  suppléer  de  bonne  heure  par  des 
puits  ou  des  citernes,  dont  la  place  la  plus  convenable  était  dans 
la  cour.  Je  laisse  de  côté  les  noms  de  la  source  naturelle,  qui 
n'intéressent  pas  directement  l'économie  de  la  maison,  et  je 
ne  m'attache  qu'à  ceux  qui  indiquent  une  intervention  du  tra- 
vail de  l'homme. 

1  Fick,  p.  359,  se  borne  à  comparer  xôproç,  hortus  et  gardhr,  en  les 
ramenant  à  un  thème  commun  gharta,  de  ghar  =  ser.  kr,  prendre, 
saisir,  etc.  Cf.  aussi  Curtius  (Gr.  Et.3,  189). 

2  Cf.  scr.  capha,  zend  çafa,  sabot  de  cheval,  d'ailleurs  sans  étymo- 
logie  connue. 


—     344     — 

1)  Scr.  kûpa,  fontaine,  puits,  et  creux,  fosse,  kûpî,  petite 
fontaine,  outre  à  huile,  bouteille;  dérivés  peut-être,  suivant  le 
D.  P.  ,de  Jeu  -f-  ap,  qui  a  un  peu  d'eau,  comme  anûpa,  proche  de 
l'eau,  de  anu  +  ap,  etc.  Il  n'est  pas  sûr  cependant  que  le  sens 
de  creux,  cavité,  fosse,  ne  soit  pas  le  primitif,  car  kûpî,  dans 
l'acception  d'ombilic,  ne  peut  signifier  que  petit  creux,  fos- 
sette. Dans  les  langues  congénères,  les  corrélatifs  de'  kûpa 
s'appliquent,  comme  le  sanscrit,  à  des  récipients  pour  les 
liquides,  de  nature  et  de  dimensions  variables.  Ainsi  : 

Armén.  kup,  puits,  citerne  ;  pers.  kôp,  grande  cruche  à 
eau,  ossète  koph,  baquet. 

Grec  KV7TèAAov,  coupe.  Cf.  kv7Ty\,  cavité,  caverne,  peut- 
être  à  distinguer  de  yv7rrj,  qui  se  rattache  mieux  au  scr.  gup, 
tegere. 

Lat.  cûpa,  cuve,  d'où  sans  doute  l'irl.  cûpa,  cupân,  cymr. 
cwpan,  armor.  kôp,  coupe,  et  le  scand.  kûpa,  vas  rotundum. 
Par  contre,  l'ags.  cyfe,  anc.  ail.  chuofa,  dolium,  se  rattachent 
plus  régulièrement  à  gup  et  à  yv TTfj. 

Lith.  kûpka,  coupe,  peut-être  du  polon.  kubek,  id.,  aussi 
mot  d'emprunt  (?). 

Anc.  si.  koupa,  poculum  (  Mikl.,  Leœ.,  322),  néo-sl.  kupa, 
kupica,  serbe  kupa,  grec  mod.  K0V7rct>,  etc.  Le  russe  kopanï, 
citerne,  de  kopati,  creuser,  doit  être  séparé,  à  moins  que  sa 
racine,  kop,  ne  se  rattache  de  quelque  manière  à  celle  du  scr. 
kûpa,  si  elle  existe. 

2)  Scr.  sûcla  =  kûpa  (Naigh.,  3,  23),  peut-être  de  su  -|- 
uda,  bonam  aquam  habens,  mais  le  Dhâtup.  donne  aussi  une 
racine  sud,  effundere,  efïluere  (Westerg.).1 

1  Dans  le  D.  P.  sud  n'a  que  les  acceptions  de  :  bien  diriger,  rectifier, 
ordonner,  achever,  détruire,  tuer. 


—    345     — 

Kuhn  (  Ind.  Stud.,  I,  361)  compare  le  bas-allemand  sot, 
puits. 

Irl.  soidheach,  vase. 

Lith.  sudas,  sudélis,  sudyne,  vase,  cruche. 

Ane.  si.  susâdu,  vase,  pol.  sddek,  petit  tonneau,  russe  sosud, 
sudu,  sudno,  vase,  vaisseau,  sudoku,  jatte,  illyr.  et  boli.  sud, 
vase,  etc. 

3)  Scr.  curî,  cûrî,  petite  fontaine.  Origine  incertaine. 
Irl.  curr,  puits,  fontaine. 

Lith.  szùlnis,  szulinys,  id.,  —  sz  =  k  =  c. 

4)  Des  rapports  de  significations  du  même  genre  que  pour 
les  deux  premiers  groupes  ci-dessus,  mais  plus  incertains,  se 
présentent  entre  les  termes  suivants. 

Scr.  puta,  putaka,  creux,  cavité,  poche,  cornet.  Origine  in- 
certaine. Cf.  put,  contenir  (Dhâtup.). 

Pers.  pûtah,  bûtah,  creuset,  kourde  buta,  armén.  putag. 

Armén.  pos,  puits;  alban.  pus,  id. 

Lat.  puteus. 

Irl.  f  putte  (Corm.,  Gl.,  138),  vase,  cavité,  cunnus;  peut- 
être  du  latin,  malgré  la  différence  de  sens,  à  cause  du  t  non 
aspiré;  cymr.  pydaio,  pydew,  puits  (latin?). 

Ang.-sax.  pytt,  scand.  pittr,  anc.  allem.  puzza,  puzzi,  etc., 
puits,  sûrement  du  latin,  à  cause  du  maintien  du  p. 

ARTICLE   IV.    LES   MEUBLES   ET    USTENSILES  DE  MÉNAGE. 

Eevenons  maintenant  à  l'intérieur  de  l'ancienne  habitation 
pour  rechercher,  si  possible,  comment  elle  était  meublée,  et 
par  quels  moyens  l'industrie  primitive  avait  su  pourvoir  aux 
nécessités  de  la  vie  domestique.  Nous   commencerons  cette 


—     346     — 

étude  par  les  meubles  proprement  dits,  pour  passer  de  là  aux 
ustensiles  divers  du  ménage.  La  multiplicité  des  objets  est 
ici  très-grande,  et  nous  serons  forcé  d'être  sobre  de  dévelop- 
pements pour  ne  pas  donner  trop  de  place  à  ces  menus 
détails  de  la  vie  matérielle. 


§  271.  LE  LIT. 

1)  Scr.  stara,  stariman,  âstara,  âstarana,  prastara,prastira, 
vistara,  sastara,  sanstara,  etc.,  lit,  couche,  de  str,  star,  sternere, 
expandere,  avec  divers  préfixes.1 

Zend  çtairis,  couche. 

Persan  bistar,  pistar,  lit,  coussin  =  scr.  vistara.  Cf.  ka-star, 
coussin  (?). 

Grec  (TTfOù^cti  CTpwfjLVtj,  couche,  de  (TTpôûvvvfAi,  ctoçîoô,  rac, 
orep. 

Alban.  slitruare,  lit,  str  orne,  id.,  du  grec. 

Latin  torus,  pour  storus,  de  sterno  (Cf.  Bopp,  Ver  g.  Gr., 
p.  1341). 

Irland.  osar,  lit,  litière,  pour  ossar  et  ostar  =  scr.  âstara, 
comme  l'indique  le  maintien  de  Y  s  entre  les  voyelles  ;  côsair, 
lit,  pour  co-stair,  =  scr.  sastara,  ou  pers.  kastar,  coussin. 

Ang.-sax.  stre  (  =  scr.  stara),  streow,  strene  (  =  scr.  sta- 
rana),  straete,  strael,  lectus,  stratum;  de  streoioian,  go  th. 
straujan,  etc.,  sternere. 

Ane.  si.  postelia,  russe  postélï,  boh.  postel,  etc.,  lit,  de  po- 

1  C'est  aussi  à  star  que  le  D.  P.  (t.  III,  286)  croit  pouvoir  ratta- 
cher talpa,  lit,  sopha,  siège,  que  Weber  préfère  rapporter  à  tarp, 
satisfaire,  réjouir,  etc.  Cf.  aussi  talima,  talina,  lit,  tala,  surface 
plane,  sol,  également  de  star,  et  l'irl.  talamh,  terre. 


—     347     — 

stlati,  po-stilati,  sternere,  avec  l  pour  r  à  côté  de  strieti,  ex- 
tendere.  —  Cf.  scr.  upastarana,  couverture. 

Lith.  pdtalas,  lit,  probablement  pour  pa-stalas. 

2)  Scr.  tûlikâ,  lit,  matelas. 

Gr.  tvà?],  matelas  (Diod.,  13,  82).  * 

Irl.  tolg,  2  cymr.  tyle,  lit. 

Le  mot  sanscrit  se  rattache  à  tûla,  tûlaha,  coton,  et  désigne 
un  matelas  qui  en  est  garni;  mais  tûla  est  aussi  le  nom  du 
panache  des  roseaux  et  de  plusieurs  graminées,  et  c'est  là  sans 
doute  son  acception  primitive.  Les  anciens  Aryas,  en  effet,  ne 
pouvaient  connaître  le  coton,  qui  est  originaire  de  l'Inde,  et 
l'analogie  des  noms  du  matelas  et  du  lit,  en  sanscrit,  en  grec 
et  en  celtique,  ne  peut  s'expliquer  que  par  le  fait  de  l'emploi 
d'une  matière  analogue,  comme  les  panaches  du  roseau,  etc. 
La  rac.  scr.  tul,  tollere,  sursum  ejicere,  explique  parfaite- 
ment le  sens  primitif  de  tûla.  Cf.  irl.  tula,  tulach,  tuilg,  mon- 
ceau, colline. 

3)  Scr.  ç aga,  çagana,  lit,  de  çî,  jacere,  cubare,  quiescere. 
Gr.  Kolrvi)  koitoç,  lit,  sommeil,  de  KiifAou. 

Irl.  cin,  lit. 

Cf.,  p.  331,  le  sl.po-koi,  chambre  à  coucher,  etc. 

4)  Scr.  nishadgâ,  petit  lit;  de  ni  -)-  sad,  sidère,  commorari. 
Irl.  suidhe,  couche  et  siège  ;   et  aussi  séad,  erse  seid,  avec 

le  d  non  aspiré,  ce  que  je  ne  m'explique  pas  mieux  que  pour 
l'anc.  irland.  suide,  sedes,  suidigur,  pono,  in-sddaim,  jacio  (Z.2, 

1  Comme  rvXy,  rv>.o<;,  signifie  aussi  durillon,  bosse,  Curtius  (Gr. 
Et.3,  212)  le  rattache  à  rv  =  scr.  tu,  valere,  en  comparant  tumor, 
tuber,  etc. 

2  Irl.  moy.  tolcc,  au  datif  tuilg  flr.  Ann.,  p.  8)  ;  peut-être  =  au 
scr.  talpa,  avec  c  pour  p. 


—     348     — 

434,  etc.),  en  présence  du  moderne  suidhim,  sedeo,  etc.1  Cf. 
plus  loin  les  noms  du  siège. 

5)  Scr.  mandurâ,  lit, natte  (demand,  reposer);  aussi. étable 
=  maudira,  comme  lieu  de  repos  (Cf.  p.  26,   note). 

Alban.  minder,  matelas. 

Comme  la  racine  mand  signifie  aussi,  de  même  que  ?nad, 
inebriari,  lsetari,  ce  qui  s'applique  fort  bien  à  l'ivresse  bien- 
faisante du  sommeil,  il  faut  peut-être  rapporter  à  mad  le 
latin  matta,  pour  madta,  natte,  mattarius,  qui  couche  sur 
une  natte. 

L'irland.  matta,  cymr.  matras,  angl.-saxon  meatta,  ancien 
allem.  matta,  etc.,  viennent  peut-être,  en  partie  du  moins,  du 
latin. 

6)  Scr.  langâ,  sommeil  (D.  P.,  d'après  Wilson). 
Irl.  long,  lit. 

Ce  rapprochement  se  justifie  par  le  fait  que  les  noms  du  lit 
et  du  sommeil  sont  plus  d'une  fois  les  mêmes.  L'irl.  long  dé- 
signe aussi  une  demeure,  une  maison,  et  le  Dhâtup.  donne 
une  racine  lag,  lang,  lung ,  manere,  habitare,  sens  très-rap- 
p roche  de  quiescere,  decumbere,  et  qui  rendrait  bien  compte 
des  diverses  acceptions  ci-dessus.  Or  cette  racine,  qui  n'est  pas 
encore  constatée  en  sanscrit,  se  retrouve,  sous  ses  deux  formes 
lang  et  la$,  dans  l'anc.  si.  leshti  (au  prés,  legà,  avec  la  nasale), 
decumbere;  cf.  pol.  lâdz,  legnaé,  couver,  lagnanie,  lâzenie,  ac- 
tion de  couver,  etc.,  et  dans  lejati,  jacere;  cf.  po-lojiti,  po-la- 
gati,  ponere,  d'où  loje,  lectus,  etc.  Ce  fait  nous  conduit  à  ratta- 
cher ici  tout  un  groupe  européen  des  noms  du  lit,  dont  la 

*  Cela  s'explique,  comme  dans  d'autres  cas,  par  le  fait  que  dans  les 
anciens  manuscrits  le  signe  de  l'aspiration  des  consonnes  est  souvent 
omis. 


—     349     — 

racine  est  également  conservée  presque  partout,  mais  où  la 
gutturale  varie.  Ainsi  : 

Ane.  si.  et  russe  loje,  pol.  loze,  boh.  loze,  etc. 

Gr.  XîKTpov,  Aaypoç  (Hesych.),  de  Myopui,  decumbo  ;  à 
côté  de  Ag%oç,  Ao^oç,  rac.  Ae%. 

Lat.  lectus. 

Irl.  leacht,  de  luighim,  jaceo,  recumbo;  par  contre,  leagaim, 
leigim,  pono,  sterno,  indique,  par  le  g  non  aspiré,  la  perte 
de  la  nasale. 

Goth.  ligrs,  ags.  léger,  scand.  leg,  anc.  ail.  legar,  etc.,  de 
ligan  (lag,  legun),  jacere,  où  le  g  répond  au  %  grec  de 
Ao%oç,  etc. 

7)  Pers.  dari,  couche,  lit.  Cf.  bî-dâr,  éveillé,  vigilant,  ex- 
somnis,  bî-dârî,  vigilance. 

Anc.  si.  o-dru,  lit,  illyr.  o-dar,  boh.  odry,  lit. 

La  racine  est  probablement  le  scr.  drâ,  dormire,  d'où  ni-drâ, 
ni-drâna,  sommeil,  ni-drâlu,  endormi,  etc.  Cf.  grec  «fyjjta, 
iïèpôûô,  Sc&çùioù)  dormir,  forme  secondaire,  ainsi  que  dormio, 
ancien  slave  driemati,  dénominatifs  comme  l'indique  l'ana- 
logie du  scandin.  draum,  angl.  dream,  anc.  allemand  traum, 
somnus,  etc. 

J'ajouterai  que  c'est  aussi  à  la  rac.  védique  çast,  dormire, 
que  semble  se  rattacher  l'irland.  cuiste,  lit.  Le  latin  castrum 
n'aurait-il  signifié  à  l'origine  qu'un  lieu  de  repos  et  de 
sommeil  ?  Comme  la  racine  çast  s'écrit  aussi  sast  et  sas,  je 
compare  également  l'irland.  sosa,  sois  (sosti  f),  repos,  et  l'erse 
seist,  couche. 1 

1  Cette  racine  ç ast,  dans  Wilson,  to  sleep,  peculiar  to  the  Vedas, 
est  contestée  par  Weber  (Beitr.,  4,  279)  et  n'est  point  admise,  en 
effet,  par  le  D.  P.  Westergaard  (Rad.,  314)  a  sas,  sanst,  cas,  çaîist, 
dormire ,  le  D.  P.  seulement  sas,  id.  Si  la  forme  avec  c  est  décidé- 


—    350 


§  272.  LE  STÉGE,  LA  CHAISE  ET  LE  BANC. 

1)  Le  principal  nom  de  la  chaise  dérive  partout  de  la  rac. 
arienne  sad,  sedere,  déjà  mentionnée  (p.  308  et  347).  J'in- 
dique brièvement  ses  diverses  formes. 

Scr.  sadas,  sadman.  —  Zend  hadis. 
Gr.  îSoç,  e  Jp#,  ïfyctvov,  etc. 
Lat.  sedes,  sedile,  sella,  pour  sedla. 
Irl.-erse  suidhe,  erse  seidhir;  cymr.  sedd. 
Goth.  sitls,&gs.  setl,  saetel,  scand.  saeti,  sess,  &nc.  allemand 
sezal,  etc. 

Lith.  sëdimaSj  sostas,  pour  sodtas. 

Ane.  si.  siedalo,  siedaniie,  etc.;  dial.  slaves  passim. 

2)  Scr.  vistara,  chaise,  siège  et  couche;  de  vi-\~str,  sternere. 
Cf.  p.  346.  —  Peut-être  de  la  même  racine. 

Goth.  stôls,  chaise,  ags.  et  scand.  stôl,  anc.  ail.  stûl,  etc. 

Ane.  slave  stolu,  chaise  et  table,  stolïtsï,  selle;  russe  stiilïï, 
chaise,  stàlïï,  table,  etc.,  etc.  —  Lith.  stâlas,  table. 

Irl.  stâl,  cymr.  ystawl,  chaise. 

Ce  groupe  européen  si  compacte  pourrait  aussi  se  ramener 
à  la  racine  sthâ,  stare,  ou  sthal,  nrmiter  stare,  causât,  sthâlay. 
Cf.  scr.  sthala,  site,  monceau,  lieu  sec  élevé  artificiellement, 
tente,  etc.,  et  cf.  p.  24. 

3)  Pers.  kûrsî,  kourde  kursi,  chaise.  1 

ment  apocryphe,  il  faut  renoncer  aux  rapprochements  avec  cuiste  et 
castrum  ;  mais  il  ne  m'appartenait  pas  de  mettre  en  doute  le  diction- 
naire de  Wilson. 

1  Cf.  le  scr.  kûrea,  paquet  d'herbe  ou  de  paille,  employé  comme 
siège.  Fick  (45)  compare  le  latin  culcita,  coussin.  On  peut  ajouter 
l'irl.  coilce,  lit  ;  mais  kûrea,  touffe,  poignée  d'herbe,  déplumes,  etc.,  et 


—    351     — 

Lith.  krase,  kraséle,  id.,  kreslas,  fauteuil;  krastis\  s'asseoir. 

Russe  krésla,  pol.  krzesto,  fauteuil. 

Rapprochement  douteux. 

4)  Lat.  scamnum,  siège,  banc;  dim.  scabellum. 

Ang.-sax.  scemol,  scamel,  anc.  ail.  scamal,  banc. 

Ane.  si.  skomïnu,  russe  skamiia,  banc. 

Lith.  skomia,  table. 

D'après  Kuhn  (Z.  S.,  I,  140),  scamnum  est  pour  scabnum, 
comme  l'indique  le  diminutif  scabellum,  et  appartient  à  la 
racine  sansc.  skabh,  skambh  (skabhnôti,  skambhatê),  fulcire, 
comme,  à  ce  dernier  verbe,  fulcrum,  lit,  sopha. 1  Les  formes 
lithuan.-slaves  et  germaniques  auraient  alors  perdu  le  bh 
de  skambh.  Cette  étymologie  est  appuyée  par  l'irl.  scabhal, 
échafaudage,  porche,  hutte,  dont  les  significations,  différentes 
de  scabellum,  s'expliquent  également  bien  par  la  rac.  skabh. 


§  273.  LA  TABLE. 

1)  Un  seul  groupe  des  noms  de  la  table  présente  quelque 
importance  au  point  de  vue  comparatif. 

Lat.  mensa  et  mesa. 2 

Irl.  meis,  mias,  erse  mios,  plat  ;  corn,  mius,  table,  armor. 
meuz,  plat.  Cf.  irland.  maois,  corbeille,  cymr.  mwys  (=  mes), 
panier. 

aussi  barbe  et  tète,  semble  encore  mieux  représenté  par  l'irl.  cuire, 
cuircin,  crête,  tête,  nœud  au  sommet  de  la  tête  (O'R.);  en  erse  cuir- 
cinn,  sorte  de  coiffure  de  femmes. 

1  Cf.  zend  çkemba,  pilier,  de  çkemb  —  scr.  skambh. 

2  In  sermone  Varronis mensa  mesa  dicisolere(Charis.  in  Varr.^W). 


—    352     — 

Goth.  mes,  ags.  meose,  myse,  anc.  ail.  meas,  mias,  table.  Cf. 
scand.  meisa,  corbis  pabulatoria,  et  anc.  ail.  meisa,  cistella. 

Russe  misa,  miska,  terrine  ;  pol.,  boh.  misa,  plat  ;  slov. misa-, 
table. 

Alban.  mes  die,  table,  misû,  plat. 

Si  l'on  compare  le  acr.  mânsa,  chair,  viande  (p.  28),  il  de- 
vient probable  que  mensa  et  ses  corrélatifs  ont  désigné  à 
l'origine  la  chair  distribuée  pour  le  repas. 

2)  Le  pers.  tabrak,tabûk,  table,  plat,  semble  avoir  la  même 
racine  que  le  lat.  tabula,  pour  stabula,  cf.  stabulum;  savoir 
stliâ,  ou  peut-être  stabh,  stambh,  stabilire,  fulcire.  Cf.  ang.- 
sax.  stapel,  stapul,  anc.  ail.  staphal,  staphala,  mensa,  fulcrum. 
Le  kourde  stambulii,  grand  plat,  peut-il  être  comparé  ? 


§  274.  RÉCIPIENTS  DIVERS,  CAISSE,  TONNEAU,  PANIER, 
SAC,  ET  VASES  DE  TOUTE  ESPÈCE. 


Je  comprends  dans  cet  article  la  vaste  nomenclature  des 
ustensiles  de  tout  genre  et  de  toute  matière  qui  servent  à  la 
conservation  des  solides  et  des  liquides,  à  leur  transport,  à  leur 
préparation  culinaire,  à  leur  consommation,  etc.  Il  est  impos- 
sible, en  effet,  de  les  séparer  au  point  de  vue  étymologique, 
parce  que  les  transitions  d'un  sens  à  un  autre  sont  perpé- 
tuelles. Les  significations  primitives  restent  par  cela  même 
souvent  obscures,  et  les  rapprochements  multipliés  qui  sui- 
vent ne  sont  donnés  en  partie  qu'à  titre  de  conjectures  qui 
exigeront  un  nouvel  examen. 

1)  Scr.  kâshta,  mesure  de  capacité,  c'est-à-dire  récipient 


—    353    — 

en  bois,  de  kâshta,  pièce  de  bois,  de  même  que  le  grec  ipKov, 
iïoçv,  etc.,  pour  des  objets  divers  de  cette  matière. 

Pers.  kashtî,  bateau,  vaisseau,  auge,  vase,  etc.,  boukhar. 
kishtî,  vaisseau;  ossète  kushtil,  tonneau. 

Gt.  Tcicrtvii  caisse. 

Lat.  cista,  cistula,  cistella,  cisterna. 

Irland.  ceis,  cisedn, *  erse  ciosan,  panier  (s  pour  st);  cisde, 
caisse  (latin?).  Cymr.  cist,  cistan,  caisse,  cabinet,  cellule,  cist- 
faen,  caisse  de  pierre,  monument  druidique  cellulaire  ;  armor. 
kést,  panier. 

Ang.-saxon  ciste,  scand.  Jcista,  kassi,  ancien  allem.  chista, 
chasto,  etc.,  caisse,  termes  d'emprunt,  à  cause  du  k  inaltéré. 

2)  Scr.  kabandha,  kavandha,  tonne,  gros  vase  ventru,  corps 
sans  tête,  ventre,  nuage;  du  pron.  interr.  ka  et  de  bandha, 
corps,  quel  corps  !  Ainsi  D.  P. 

Pers.  kawandah,  gaioandah,  sac  à  blé,  panier  à  paille,  filet 
en  paille  tressée  pour  porter  le  fumier  sec,  etc. 

Comme  nom  propre,  Kabandha  désigne  le  nuage  person- 
nifié, le  démon  qui  l'habite  et  que  combat  le  dieu  Indra.  Kuhn 
le  retrouve  presque  intact  dans  le  grec  Kciavêoç,  fils  de 
l'Océan,  frère  de  Melia  qu'enlève  Apollon,  contre  lequel 
il  lutte  et  succombe ,  comme  Kabandha  sous  les  coups 
d'Indra.  Cf.  zend  Kunda,  Kavanda,  nom  d'un  Daêva  (Justi, 
83  ).2 

Le  scr.  bandha,  corps,  de  badh,  bandh,  ligare,  a  fort  bien 
pu,  sans  le  pronom,  s'appliquer  à  un  tonneau.5  Ce  double  sens, 

1  Irl.  f  ceis,  ruche  d'abeilles  (S.  M.,  III,  433,  etc.). 

2  Die  Herabkunft  d.  Feuers,  etc.,  p.  134.  Il  est  à  remarquer  que 
nous  avons  ici,  en  grec,  un  exemple  bien  constaté  de  ces  anciens  com- 
posés avec  le  pronom  interrogatif  ka,  dont  l'existence  en  dehors  du 
sanscrit  est  encore  contestée. 

3  Cf.   bandha,  réservoir  (D.  P.);  goth.  bansti,  ctiroSwv  (v.  p.  25). 

II  23 


—    354    — 

en  effet,  se  reproduit  dans  le  germanique,  où  l'anglo-saxon 
bodig,  angl.  body,  anc.  ail.  potah,  désignent  le  corps,  tandis 
que  les  corrélatifs  byden,  putin,  putinna,  allem.  mod.  bottich, 
butte,  signifient  tonneau.  Cf.  erse  bodhaigh,  corps,  et  buideal, 
irl.  bâid,  boide,  tonneau,  bouteille,  dont  la  nasale  est  supprimée 
devant  le  d  non  aspiré. 

3)  Scr.  kumbha,  kumbhî,  pot,  cruche,  jarre,  urne  cinéraire, 
vase  en  terre  pour  la  cuisson,  vase  à  mettre  le  blé,  mesure  de 
capacité,  kumbhakâra,  potier,  etc.  —  Le  Dhâtup.  donne  une 
racine  kumbh,  kumb,  tegere. 

Zend  khumba;  pers.  chumb,  chub,  chum,  cruche,  jarre,  chum- 
bah,  vase  à  tenir  le  blé,  chumbak,  chummak,  id.,  et  pot  à  eau. 
Boukhar.  chum,  cruche. 

Gr.  kv{a£oç,  KVfÂ,£yj,  vase,  coupe,  canot  (cymba),  KVfA,Qa\ov, 
cymbale,  le  (i  pour  Q  après  ^5  kvQoç,  <tkvÇ)oç9  vase   creux. 

Irland.  cumaidhe,  vase  à  boire  ; *  erse  cuman,  seau  à  traire, 
Y  m  non  aspirée  pour  mb.  Cymr.  cwman,  baquet,  auge.  — 
Erse  cùb,  espèce  de  panier,  cubag,  caisse;  le  b  non  aspiré 
pour  mb.  Ici  encore  le  cymr.  cwm  pour  cwmb,  vallée,  combe, 
déjà  en  gaulois  cumba  (Cf.  Gluck,  Kelt.  Nam.,  28). 

Russe  kûbu,  alambic,  kûboku,  bocal,  kubyshka,  cruche,  vase 
ventru  ;  Vu  russe  fait  présumer  en  ancien  slave  une  forme 
nasale  kàbu;  polon.  kubek,  coupe,  kubel,  seillot. 

Lith.  kubilas,  tonneau. 

Les  corrélatifs  germaniques,  tels  que  l'anglo-sax.  cumb,  me- 

et  l'irl.  baiti,  tonneau  (Stokes,  GoicL2,  76),  de  basti.  Mais  cf.  aussi  le 
sansc.  bhânda,  n.,  pot,  vase,  plat,  caisse,  boîte,  etc.,  sans  étymo- 
logie  dans  D.  P. 

1  Cf.  f  comm,  baratte  (S.  M.,  I,  124);  f  cummain,  petit  panier 
(Stokes,  GoicL2,  94).  De  plus,  l'armor.  koumm;  vague,  en  tant  que 
creuse  comme  un  vase. 


—    355     — 

sure  de  liquides,  angl.  comb,  mesure  de  capacité,  scand.  kum- 
bari,  navis  mercatoria,  anc.  ail.  chumph,  cymbus,  ail.  moy. 
chumf,  kump,  vase,  coupe,  etc.,  sont  des  mots  d'emprunt, 
le  k  s'y  étant  conservé  intact.  * 

4)  Scr.  kôça,  kôsha,  récipient  en  général,  enveloppe,  ton- 
neau, seau,  vase,  coupe,  caisse,  fourreau,  coque,  calice,  scro- 
tum, utérus,  etc.;  kôçika,  kauçikâ,  coupe;  kôshtha,  grenier, 
magasin,  aussi  kôsha. 

D'après  le  D.  P.,  la  forme  kôça  est  la  plus  ancienne  et  pa- 
raît dériver  de  la  rac.  kuç,  amplecti  (Dhâtup.),  d'où  vient 
aussi  kukshi,  ventre ,  zend  kushi,  ventre,  cavité. 

Pers.  kôs,  timbale,  kôshah,  caisse  pour  les  vêtements, 
ventre,  kôshish,  vase  à  tenir  le  vin;  boukhar.  kbseh,  vase; 
kourde  gbsk,  id.  ;  ossète  kus,  coupe. 

Lat.  caucus. 

Lithuan.  kauszas,  vase  à  boire,  grand  pochon;  diminutif 
kauszéle,  kiauszas,  coque,  coquille,  kiausza,  crâne,  etc.  (Cf. 
§  148,  1.) 

Irland.  cuach  (=  côch),  coupe,  gobelet;  cymr.  cwch,  canot. 
Irl.  f  cochme,  vase  (Corm.  GL,  47).  2 

Armor.  cos,  gousse. 

Comme  Yo  slave  répond  à  Y  a  sanscrit,  et  non  à  Yô,  il  faut 
rapporter  à  kakslia  l'ancien  slave  koshï,  cophinus,  lithuanien 
kaszus,  etc.,  ainsi  que  nous  l'avons  fait  §  266,  2.  Mais  à  la 
rac.  kuç  appartient  sûrement  le  lithuan.  kuszys,  cunnus;  cf. 

1  Cf.  cependant  l'allem.  moderne  humpen,  s'il  n'est  pas  affaibli  de 
chumph. 

2  Cf.  lat.  cucuma,  vase  à  cuire,  et  l'anc.  si.  kokma,  vas  quoddam, 
ainsi  que  koukoumarï,  poculum,  qui  rappelle  singulièrement  notre 
coquemar,  suivant  Diez,  W6.,  2,  20,  de  l'italien  cogoma  =  cucuma. 
Ici,  peut-être,  le  latin  cucumis,  -meris,  courge,  à  cause  de  la  ressem- 
blance de  forme. 


—    356     — 

scr.  kuksJii,  ventre,  ainsi  que  le  grec  Kvtroç,  kv(T(Toç,  kv(t9-oç, 
anus,  cunnus,  et  Kv<TTy]t  vessie.1  Après  tout,  la  racine  perdue 
de  kaksha,  kaç(?),  peut  être  alliée  primitivement  à  kùç. 

5)  Sanscr.  pâtra,  récipient,  vase  en  général,  jarre,  coupe, 
plat,  etc.  ;  pâtrî,  petit  foyer  portatif;  rac.  pâ,  tueri  ou  bibere, 
selon  les  cas.  2 

Pers.  pâtû,  grand  pot  de  terre,  pâtîlah,  pot,  chaudron. 

Gr.  7roTY\Q,  7roTqçtov9  coupe,  7Tùù\jucl,  id.,  rac.  7Toù,  7ro,  bibere 
{jrivoù,  7rco&i,  7tî7rûùKoi).\  mais  il  faut  rapporter  7roùfJLct,  cou- 
vercle, à  pâ,  tueri.  —  Cf.  7rot,Tctvvi,  7rounKXct,  plat,  de 
7rctrî0fjuai,]e  mange,  forme  augmentée  de  7rctofA,cu  =  scr.  pâ, 
nutrire. 3 

Lat.  paiera,  patère,  vase  de  sacrifice,  coupe,  tasse;  patella, 
dimin.  patina,  patena,  plat  (du  grec?),  poculum,  coupe,  comme 
potus,  etc.,  de  la  rac.  pâ,  bibere. 

Irl.  putraicc,  vase,  puitric,  bouteille.  Le  nom  du  pot,  pota, 
pôite,  4  cymr.  pot,  vient  du  latin  potus,  comme  le  sc&nd.  pottr , 
l'angl.  pot,  etc.  —  Irland.  pâdhal,  seau,  cruche  ;  cymr.  padell, 
poêle  à  frire,  peut-être  aussi  de  patella. 

Goth. fôdr,  theca,  vagina,  ipourfôthr  —pâtra,  ags.  fotlier, 
cophinus,  anc.  ail.  fôtar,  theca,  plaustrum,  etc.,  sûrement  de 
pâ,  tueri  (Cf.  Bopp,  Verg.  Gr.,  III,  201). 

6)  Scr.  pana,  pânila,  coupe,  vase  à  boire;  nipâna,  seau  à 
traire  ;  rac.  pâ,  bibere,  comme  ci-dessus. 

1  Cf.  anc.  si.  koukshinû,  urceus. 

2  Cf.  pitar,  pour  pâtar,  père,  le  protecteur,  etpâtar,  le  buveur. 

3  Curtius   (Gr.  Et.3,  199)  rattache  Wro»,  d'où  le  latin  patina,  à 
TrtTotvvvfAi,  étendre. 

4  Cf.  irl.  f  pait,  espèce  de   vase  (Corm.,    GL,  138);  pata,  vase 
(O'Clary,  ibid.). 


—     357     — 

Cymr. pan,  coupe,  vase  creux.1 

Ane.  si.  pany,  féru.,  pelvis,  panitsa,  patella,  lanx,  cisterna; 
pol.  panew,  panewka,  poêle. 

Lith.  pana,  pane,  poêle. 

Cf.  anc.  ail.  fanari,  espèce  de  vase  (  Graff,  Spr.  schatz, 
III,  526);  mais panna,  ags.  et  scand.  panna,  etc.,  patella,  sar- 
tago,  frixorium,  probablement  du  lat.  patina. 

7)  Scr.  kathina,  vase  à  cuire,  comme  adj.  dur.  Cf.  kâtha, 
pierre,  kathinî,  craie. 

Gr.  KdTctvoçy  lat.  catinus,  catillus,  vase  à  cuire,  plat. 2 
Anc.  si.  kotlu,  chaudron,  russe  kotelïï,  ill.  kotla,  pol.  kociel. 
Lith.  kdtilas,  id. 

Le  goth.  katils,  ags.  cetel,  cytel,  scand.  kêtill,  kati,  ancien 
ail.  chezzil,  chezzi,  sont  empruntés,  soit  au  latin,  soit  au  slave. 

8)  Scr.  vâsana,  récipient  en  général,  vase,  boîte,  corbeille, 
enveloppe,  demeure,  etc.;  rac.  vas,  habitare,  et  induere  sibi. 
Cf.  p.  307.5 

Lat.  vas,  vase.  Cf.  vesica,  scr.  vasti,  vessie  et  bas-ventre. 
Scand.  vasi,  sacculus,  loculus,  veski,  pera,  bulga. 

9)  Scr.  cashaka,  coupe,  vase  à  boire.  —  Cf.  cashati,  nour- 
riture (D.  P.),  das  Essen,  et  rac.  cash,  edere  (Dhâtup.);  en 
pers.  cashîdan,  goûter. 

1  Stokes  rattache  ici  l'irl.  f  an  au  pi.  âna,  petite  coupe  (Corm., 
GL,  7),  pour  pan,  avec  suppression  observée  plus  d'une  fois  du  p 
initial. 

2  Bopp  (G/,  scr.)  rapproche  catinus  de  kathina,  mais  le  th  céré- 
bral donne  lieu  à  une  objection.  Fick  (30)  recourt  à  la  racine  scr. 
cat  =  kat.  signifiant  suivant  lui  :  cacher  ;  mais  d'après  D.  P.,  seulement: 
se  cacher,  d'où  catin,  adj.,  qui  se  tient  caché,  sens  moins  approprié 
pour  un  vase.  Il  y  ramène  aussi  xdrvXoç,  -"hy,  creux,  coupe,  en  compa- 
rant le  scr.  catvâla,  dans  le  D.  P.,  creux  en  terre  pour  le  feu  du  sacri- 
fice; mais  cf.catvara,  place  carrée,  lieu  de  sacrifice,  de  catvar,  quatre. 

3  D'après  l'observation  de  Weber  (Beitr.,  4,  279),  vas,  habitare,  et 
induere  sibi,  constituerait  deux  racines  distinctes. 


—     358     — 

Pers.  cashm,  coupe;  armén.  gashag,  petite  tasse. 

Ane.  si.  casha,  cashitsa,  poculum  ;  russe  casha,  pol.  czaszka, 
illyr.  ejaseja,  boh.  ceshe,  disse,  id. 

Irl.  case,  easg,  vase,  eascar,  coupe. 

Goth.  kas,  vase,  Jcasja,  potier,  scand.  kêr,  anc.  allem.  char, 
avec  r  pour  s,  vas,  cratera,  sinum;  termes  d'emprunt,  du 
slave  (?),  à  cause  du  k  au  lieu  de  h  qu'il  faudrait  régulièrement. 

Le  pers.  kâs,  kâsah,  kourde  kas,  coupe,  gobelet,  n'ont  sans 
doute  aucun  rapport,  et  correspondent  probablement  au  scr. 
kansa,  coupe,  tasse,  vase  de  métal,  laiton,  dont  l'origine  est 
incertaine. 

10)  Scr.  karka,  karkarî,  karkatî,  cruche,  karaka,  id.,  ka- 
rôta,  bassin  ;  peut-être  de  kf,  kar,  effundere,  spargere. 

Irl.  corc,  coredn,  grand  pot,  crocann,  récipient;  creach,  coupe. 
Cymr.  crochann,  vase,  cregen,  cruche,  crwc,  baquet. 

Anc.  slave  krucagu,  vas  fictile,  russe  koredga,  grand  pot  de 
terre. 

Anglo-sax.  croc,  olla,  crocca,  pot,  anc.  ail.  chruoe,  cruche, 
mots  d'emprunt,  à  cause  du  c  inaltéré. 

11)  Scr.  bhâgana,  vase  en  général,  pot,  coupe,  plat;  de 
bhag,  dividere,  distribuere. 

Irl.  buaigh,  biiaighneach,  coupe  (O'R.).1 

Ancien  allem.  bechi,  becliin,  bassin,  bechar,  coupe;  scand. 
bikar,  id. 

Lith.  békis,  coupe  (du  germanique). 

Russe  bocka,  tonneau,  pol.  beszka,  lith.  baszka,  id.,  le  g,  g, 
changé  en  c,  sz  devant  k  (?). 

12)  Sanscr.  vêd.  saras,  patère,  vase  du  sacrifice  (Roth,  Ni- 

1  Dans  Corm.,  Gl.,  21,  f  bôge,  boige,  chaudron,  boge,  petit  vase  à 
boire. 


—    359     — 

rukta,  V,  11),  saraka,  vase  à  boire,  et  liqueur.  Cf.  sara,  saras, 
eau,  lac,  etc.,  de  sr,  sar,  se  movere,  fluere. 

Gr.  troçoç,  vase  funéraire,  puis  cercueil,  pourrait  appartenir 
au  scr.  kshar,  effundere,  et  peut-être  colligere,  comme  le  syno- 
nyme ksJtal  (Dhâtup.).  De  là  kshâraka,  corbeille  pour  le  pois- 
son, les  oiseaux,  exactement  le  grec  (rcdgctï,  (rcàçctxoç,  cor- 
beille pour  les  figues.  Cf.  (Tûùçcç,  monceau.1 

Irl.  soir,  soire,  soireadh,  vase,  bouteille,  outre,  sac.2 

13)  Scr.  pan,  petite  jarre,  vase  à  boire,  seau  à  traire  ;  pâlî, 
pot,  chaudière.  Probablement  de  pf ,  tueri.  Cf.  pâla,  gardien, 
plus  anciennement  para. 

Gr.  7TYipci,  lat.  pera,  sac,  poche,  ce  qui  garde,  contient. 

Cymr.  pair,  chaudière;  irl.  coire,  id.,  avec  c  pour  p,  comme 
souvent:  à  moins  que  coire  ne  se  rattache  au  scr.  caru,  pot, 
chaudron,  et  que  pair  ne  soit,  au  contraire,  pour  cair. 

14)  Sanscr.  palla,  grand  panier  à  blé.  Cf.  palli,  maison, 
place,  station. 

Gr.  57-eÀÀ#j  seau,  7reÀÀ#£,  sreÀÀfç,  7rî\iç,  TrèXinr},  plat. 

Lat.  pelvis,  plat.  3 

Armor. pellestr,  pélestr,  baquet,  cuve,  semble  composé  avec 
léstr,  vase.  Cf.  aussi  bal,  béol,  cuvier. 

Irl.  battân,  baratte  (pour  palldnf),  baillein,  seau  à  traire. 

Ces  rapprochements  sont  peu  sûrs,  l'origine  de  ces  mots 
divers  étant  également  incertaine. 

1  Sur  l'osque  sorovom,  ossuarium,  cinereum,  cf.  Corssen,  Z.  S.,  18, 
p.  199,  sqq. 

2  Cf.  Beitr.,  4,  279,  les  objections  de  Weber  quant  à  saras,  dont  le 
sens  propre  serait  lac,  étang.  Quand  il  est  dit,  dans  le  Rigvêda,  que 
Indra  a  bu  d'un  seul  coup  trente  saras,  il  ne*  faudrait  voir  là  qu'une 
métaphore  poétique,  un  exploit  à  la  Gargantua. 

3  Fick  (124)  compare  le  scr. pâlavî,  espèce  de  vase  (D.  P.). 


—     360     — 

15)  Scr.  malla,  mallaka,  mallika,  vase,  coupe,  vase  à  huile, 
gobelet.  Cf.  molli,  holding,  having  (Wilson,  Dict.),  et  racine 
mal,  mail,  tenere  (Dhâtup.). 

Irl.  mdla,  mdileid,  sac,  milan,  urna  (Stokes,  Gl.,  n°  138), 
mulldn,  seau  à  traire.  —  Cymr.  mail,  bassin,  vase  creux; 
armor.  mal,  coffre,  caisse,  malle. 

Anglo-sax.  mêle,  pot,  panier,  anc,  ail.  malaha,  pera. 

16)  Scr.  kalaça,  vase  pour  recevoir  le  sôma;  caluka,  éuluka, 
espèce  de  vase. 

A  l'un  ou  à  l'autre  de  ces  noms  d'origine  incertaine  se  rat- 
tachent: 1 

Pers.  kalîzah,  coupe. 

Gr.  Kct,M>%,  id.,  enveloppe,  calice,  kvXi%,  coupe,  KvAixvrj^d., 
koMoç,  kovMoç9  gaine. 

Lat.  calix,  culullus,  culigna,  coupe,  culeus,  culleus,  outre. 

Lith.  kullys,  kulle,  outre. 

Eusse  kulï,  sac.2 

17)  Scr.  amatra,  cruche,  coupe  (de  am,  ire  +  tra,  suffixe 
d'instrument),  c'est-à-dire  moyen  de  transport.  Cf.  scr.  yâna, 
véhicule,  de  yâ,    ire,  avec  l'irlandais  ian,  vase. 

De  la  même  racine  am  proviennent:  pers.  âmus,  grand 
verre;  armén.  aman,  vase. 

Gr.  ct^viov,  coupe  ou  vase  pour  recevoir  le  sang  de  la  vic- 
time. Cf.  aussi  d^ct^ct,  canal  (?). 

Armor.  of,  auge,  pour  om  plus  ancien;  ofad,  augée. 

Scand.  âma,  amphora;  anc.  ail.  ôma,  mod.  ohm,  mesure  de 
capacité. 
18)  Scr.  ambhrna,  cuve  (vêd.),de ambhas,  ambhar,  eau  (D.P.). 

1  Cf.  Fick  (39),  à  la  rac.  kar,  répandre. 

*  Au  même  groupe  se  rattache  peut-être  l'irl.  -J-  cilornn,  ureeus 
(Z.2, 14,  774),  dérivé  par  le  suffixe  rn,  am,  ern,  urn. 


—    361     — 

Pers.  ambâr,  réservoir,  magasin,  d'où  ambârîdanj  remplir; 
kourde  ahmbdr,  grenier. 

Russe  ambdrû,  illyr.  hambar,  grenier,  pol.  ivâbor,  wëbbr, 
grand  baquet. 

Irl.  ammar,  omar,  baquet. 

Malgré  la  singulière  ressemblance  des  termes,  il  faut  sans 
doute  séparer  le  gr.  dfJuQoçivÇ)  et  l'anc.  ail.  eimbar,  qui  appar- 
tiennent à  (pîpco  et  beran,  et  qui  reviendront  plus  loin,  n°  24. 

19)  Scr.  sirâ,  seau,  baquet  à  puiser,  vaisseau  tubulaire  du 
corps  (Wilson).1 

Siahpôsh  siri,  pot,  vase. 

Russe  siréna,  chaudière. 

Gr.  (riçoç,  cruçoç,  lat.  sïrus,  silo,  fosse  pour  conserver  le  blé. 

Ce  dernier  nom  est  donné,  par  les  anciens,  comme  barbare. 
L'usage  des  silos  était  commun  à  plusieurs  peuples.  Varron  et 
Pline  l'indiquent  comme  propre  à  la  Cappadoce  et  à  la  Thrace, 
et  Quinte-Curce  l'attribue  aux  habitants  de  la  Bactriane.2 
D'après  Tacite  (Germ.,  16),  les  Germains  employaient  le 
même  procédé.  Les  termes  comparés  ci-dessus,  et  auxquels 
on  peut  ajouter  l'armén.  shirim,  fosse,  tombe,  font  présumer 
que  le  nom  et  la  chose  avaient  une  origine  arienne,  et  que, 
dans  le  principe,  le  silo  ne  consistait  qu'en  un  gros  vase  enfoui 
sous  le  sol. 

20)  Scr.  drtij  outre,  c'est-à-dire  peau,  cuir,  rac.  df,  dar, 
findere. 

Gr.  ooçoç,  id.,  et  peau  =  iïipfAct,  de  Sîqûù. 

21)  Scr.  ukhâ,  casserolle,  vase  à  cuire. 

1  D'après  le  D.  P.,  canal,  veine,  mais  non  vase  à  puiser. 

2  Varro,  De  re  rust.,  I,  57  ;  Plin.,  H.  2V.,  48,  30  ;  Q.  Curt.,  Hist. 

Alex.,  7,  4,  24. 


—     362     — 

Lat.  auxilla,  dimin.  de  aida,  olla,  d'après  Festus  (Pott,  Et. 
F.,  II,  280). 

22)  Scr.  tulâ,  vase,  coupe  de  balance,  etc.;  rac.  tul,  tollere. 
Irl.  tuldn,  chaudron. 

23)  Sanscr.  aTisadhrî,  vase  à  cuire  (?  sic  D.  P.),  de  ansa, 
épaule,  et  de  dhra,  qui  tient,  porte,  c'est-à-dire  vase  à  anses. 

Je  ne  cite  ce  nom  que  pour  le  mot  ansa,  parfaitement  con- 
servé dans  le  lat.  ansa,  litli.  asà,  lett.  osa,  anc.  ail.  ense,  anse, 
primitivement  épaule  du  vase.  Le  goth.  amsa  a  gardé  le  sens 
propre. 

24)  Pers.  barn,  barnî,  bavant,  grand  vase,  coupe  de  terre 
ou  de  métal;  rac.  bar  {burdan)  =  sanscr.  bhf,  ferre.  Cf.  kabâ- 
rah,  coupe,  composé  avec  le  pronom  ha,  comme  hawandah; 
v.  n°  2. 

Gr.  (pipvicVi  <pèp[Aiov,  (poçfxoç,  panier,  corbeille,  mesure  de 
grains;  de  (pe^y.  Cf.  Qtçerçov,  feretrum,  litière,  et  dfiCpoçîvç, 
amphora,  de  dva-Qîçco. 

Irland.  bruin,  grand  pot,  et  ventre.1  Cf.  brû,  ventre,  de  beir, 
porter.2 

Armor.  baraz,  baquet  à  anses,  baratte. 

Anc.  ail.  piril,  biril,  ancien  saxon  biril,  corbeille,  de  beran, 
porter.  Cf.  les  composés  eimbar,  einbar;  ags.  amber,  de  an-ber, 
et  zwïbar,  gerula,  tina;  ail.  mod.  eimer,  zuber,  baquet  à  une  ou 
à  deux  anses  (?),  sans  rapport  avec  amphora;  peut-être  aussi 
anc.  ail.  sumbar,  calathus. 

25)  Pers.  lagân,  pot  à  eau,  lagan,  bassin;  kourde  laghen, 
vase;  armén.  lagan,  bassin. 

1  Bruinioch  —  mias,  lanx  (Stokes,  Goid.*,  76;  Duil  Laithne,  n°74). 

2  L'irl.  tunna,  tonna,  tonneau,  etc.,  semble  de  même  se  lier  au  scr. 
tunda,  tundi,  ventre.  Cf.  lat.  uter  et  utérus. 


—     363     — 

Grr.  Actyrjvog,  Actyvvoç,  bouteille;  lat.  lagena,  dimin.  lagun- 
cula. 

Irl.  long,  vase,  coupe.  Cf.  lag,  log,  lagdn,  cavité,  creux. 

Cymr.  llogell,  réceptacle,  poche,  case,  etc. 

AU.  moy.  legel;  mod.  lâgel,  tonneau. 

Ane.  slave  lagvitsa,  poculum,  laguncula;  russe  lagunu,  boîte 
à  graisse  pour  les  chars;  pol.  lagieiv,  petit  tonneau,  bou- 
teille, etc. 

La  racine  reste  incertaine. 

26)  Pers.  tashtah,  plat,  panier,  tast,  tas,  coupe,  tasse,  tasht, 
bassin.  Cf.  zend  tâçta,  façonné,  fabriqué,  de  tash  =  sanscr. 
taksli,  fabricari. 

Lat.  testa,  vase  de  terre,  brique,  etc.,  de  texo. 

Ane.  ail.  dehil,  testa,  de  dâha,  ags.  thô,  goth.  thahô,  l'argile 
qui  se  façonne;  rac.  ihah,  thahs;  cf.  p.  152,  169  et  suiv. 

Lith.  tisztas,  grand  panier  de  joncs  tressés;  cf.  taszyti,  for- 
mer, tailler,  etc. 

27)  Pers.  satl,  coupe  à  anses,  grand  chaudron;  sital,  réser- 
voir. 

Lat.  situla,  seau,  vase  à  eau. 

Irl.  moy.  sitheal,  coupe,  bol  (Stokes,  GL,  n°  241). 

Cymr.  Mail,  filtre,  passoire  (?). 

28)  Pers.  sâbal,  espèce  de  panier  pour  le  transport. 

Irl.  sabhail,  grenier,  primitivement  peut-être,  grand  panier 
à  grains. 

29)  Pers.  dol,  dôlah,  baquet,  seau  à  traire.  Qî.dûlah, 
ventre. 

Lat.  dolium,  tonneau,  que  Fick  rapporte  à  la  rac.  dhar. 
Ancien  si.  et  russe  delva,  id. 

30)  Kourde  had  (Ji  fort),  tonneau.  Cf.  pers.  kad,  kadah, 
caveau,  cave,  tanière,  magasin,  souterrain. 


—     364     — 

Grr.  kolSoç-,  tonneau,  baquet;  latin  cadus, 

Cymr.  cod,  poche;  erse  cùdainn,  tonneau;  irl.  cuad,  -dh, 
coupe  de  bois  (O'E.  et  D.  Laith.  n°  73). 

Lith.  kodis,  cruche,  cuve. 

Ane.  si.  et  russe  kadî,  cuve,  baquet;  russe  kadka;  pol.  Jcadz, 
kadka,  id.,  etc. 

L'origine  de  ce  groupe  est  d'autant  plus  incertaine  que  l'on 
trouve  en  hébreu  kad  pour  urne,  vase  à  puiser  et  à  porter 
l'eau,  lequel  toutefois  n'a  pas  d'étymologie  sémitique.  Le  scr. 
kadatra,  espèce  de  vase,  paraît  correspondre  à  kalatra;  cf. 
KccÀctS-oç,  corbeille  tressée  (?),  sans  rapport  avec  kciSoç,  etc.1 

1  Ces  trente  rapprochements,  dont  plusieurs  restent  douteux,  peu- 
vent être  encore  augmentés  et  j'en  fais  suivre  quelques-uns  qui  pa- 
raissent assez  sûrs.  Ainsi  : 

Scr.  caru,  pot,  chaudrou;  caluka,  espèce  de  vase.  — Ane.  si.  cara, 
carûka,  poculum,  russe  cara,  pol.  czara  ;  gr.  x.ocXv%,  -vkoç,  etc. 
(v.  n°  16);  irl.  f  coire,  chaudron,  mais  cf.  n°  13  ;  ags.  hver,  scand. 
hverr,  chaudron,  vase. 

Scr.  dhâkâ,  récipient,  de  dhâ,  poser,  tenir,  porter,  etc.  —  Grec 
S-j/xjî,  id.,  gaine,  bourse,  bière,  etc.,  de  la  rac.  S-e,  riB-vifxi  (Fick,  100). 

Scr.  dhâraka,  récipient,  cruche  à  eau,  de  dhar,  porter,  tenir.  — 
Grec  3-«p«|,  -axo?,  thorax,  cuirasse  (Fick,  102);  dans  Aristophane,  aussi 
une'espèce  de  coupe. 

Scr.  gôlâ,  cruche  ronde,  et  aussi  boule.  —  Grec  yotvXoç,  et  yxvXôç, 
vase  rond,  cuvier,  espèce  de  navire.  Cf.  scr.  gula,  gulî,  balle,  boule  ; 
scand.  kula,  id.  (Fick,  65). 

Scr.  kûpa,  creux,  cavité  ;  fontaine,  puits  ;  creux  qui  garde  l'eau 
dans  le  lit  d'une  rivière  à  sec  ;  outre  pour  l'huile  ;  kupî,  bouteille. 
Cf.  p.  344,  et  ajoutez  l'anc.  si.  koupa,  poculum  (Mikl.,  Lex.,  322). 

Grec  Hgpvoç»  -vov,  grand  plat  pour  les  sacrifices.  —  Irl.  \  cern,  plat 
(O'Dav.,  Gl.,  64),  cernine,  plur.  dimin.  (Corm.,  Gl.,  37);  anc.  slave 
krina,  -nu,  modius,  krinitsa,  catinus,  olla,  urna  ;  russe  krinka,  plat, 
tasse,  etc.;  scand.  hverna,  pot,  écuelle.  Curtius  (Gr.  Et.3,  141)  ratta- 
che xlçvoç  à  x-ipocfAoç,  terra  coctilis,  et  à  la  rac.  scr.  car,  çrâ,  cuire.  Cf. 
le  partie,  çrâna,  cuit.  Fick  (38),  avec  moins  de  probabilité,  compare 


365     — 


§  275.  NOTE  SUR  L'EMPLOI  DU  VERRE. 

Les  rapprochements  qui  précèdent,  et  que  j'ai  limités  aux 
analogies  observables  entre  l'Orient  et  l'Occident,  sont  loin 
sans  doute  d'être  complets,  et  les  langues  européennes  com- 
parées entre  elles  en  fourniraient  encore  une  riche  moisson. 
Ils  suffisent  cependant  à  prouver  que  les  anciens  Aryas  pos- 
sédaient une  grande  variété  de  récipients  et  de  vases  de  tout 
genre,  en  terre  cuite,  en  bois,  en  cuir,  et  sûrement  aussi  en 
métal.  Sur  ce  dernier  point,  il  est  vrai,  la  comparaison  des 
noms  ne  nous  donne  pas  de  certitude,  parce  que  ceux  qui 
expriment  la  matière  dont  le  vase  était  fait,  comme  le  sanscrit 
lâuhabhû,  lâuhâtman,  chaudière,  de  lôha,  fer,  le  gr.  %ct,A)Ciov 
de  %#À?co£,  le  russe  miednitsa,  id.,  de  miedï,  cuivre,  etc.,  dif- 
fèrent dans  les  langues  particulières.  Le  zend  ayanha,  vase 
d'airain,  ressemble  bien  au  latin  aenum,  ahenum,  mais  ces  mots 
peuvent  s'être  formés  indépendamment  l'un  de  l'autre,  le  pre- 
mier de  ayanh  =  scr.  ayas,  le  second  de  aes,  et  il  ne  reste  de 
certain  que  l'analogie  de  nom  du  métal  même.  Comme  on  ne 
saurait  douter,  toutefois,  que  les  anciens  Aryas  n'aient  connu 
et  employé  plusieurs  métaux,  il  est  plus  que  probable  qu'ils 
les  ont  appliqués  aussi  à  la  confection  de  vases  divers. 

Une  question  plus  obscure  est  celle  de  savoir  s'ils  ont  connu 
et  mis  en  œuvre  le  verre,  que  les  Egyptiens,  comme  on  le 
sait,  possédaient  déjà  à  une  époque  très-reculée.  Les  noms  du 

le  sansc.  karaka,  cruche  (Cf.  n°  10),  karanka,  crâne,  et  y  rapporte 
aussi  jtpavoç,  goth.  hvairnei,  anc.  ail.  hirni. 


—     366     — 

verre  diffèrent  trop  dans  les  branches  de  la  famille  pour  qu'au- 
cun d'eux  puisse  être  considéré  avec  sûreté  comme  proeth- 
nique. Les  observations  qui  suivent  ne  sont  pas  de  nature  à 
dissiper  les  doutes  à  cet  égard. 

Le  scr.  sikshya,  verre,  cristal,  peut-être  de  sié,  spargere, 
rigare  (cf.  sikatâ,  sable),  paraît  bien  se  retrouver,  peut-être  par 
transmission,  dans  le  persan  shîshah,  verre  et  vase  de  verre, 
flacon,  coupe;  cf.  sîch  et  sayka,  coupe,  et  le  kourde  scùsca, 
verre  (Garzoni).  Le  ksh  serait  devenu  sli  comme  dans  tash, 
pour  talcsh,  etc.  Or,  on  trouve  aussi  le  synonyme  shishlah,  pour 
shikshlaïi,  et  cette  forme  se  rapproche  beaucoup  de  l'anc.  si. 
stiklo,  vitrum,  d'où  stïklenïï,  vitreus,  stiklënitsa,  poculum,  russe 
steklo,  etc.,  lithuan.  stiklas,  verre  et  coupe,  terme  qui  a  passé 
dans  le  goth.  stikls,  anc.  ail.  stechal,  coupe  de  verre.  Le  t  inter- 
calé semble  être  inorganique  (stïklo  serait  pour  sïklo)  et  il  dis- 
paraît, en  effet,  dans  plusieurs  dialectes  slaves,  comme  le  pol. 
zklo,  le  boh.  sklo,  le  slovaque  sklén,  etc.  Cependant,  même  en 
admettant  un  rapport  réel,  il  resterait  à  savoir  si  ce  nom  du 
verre  ne  serait  point  venu  aux  Slaves  du  persan  à  une  époque 
postérieure  à  la  séparation. 

Une  autre  coïncidence  à  noter,  bien  que  trop  isolée  pour 
être  sûre,  est  celle  du  pers.  mînû,  verre  blanc  ou  bleu,  mînâ, 
verre  à  boire,  verroterie,  émail,  vitriol,  bleu,  etc.,  avec  l'irl. 
mionn,  verre  (O'B,.). 

Enfin,  le  lat.  vïtrum,  d'ailleurs  sans  analogue,  car  le  cymr. 
givydr  en  provient  sans  doute,  semble  trouver  son  étymologie 
probable  dans  le  scr.  vîdhra,  clair,  pur,  de  vi  intensitif  et  de 
idh,  accendere.  Cf.  iddha,  enflammé  et  pur,  et  idhra  dans 
agiudhra,  suivant  le  D.  P.,  pour  iddhra,  et  idhtra.  D'après 
cela,  vîdhra,  clair,  pur,  tiendrait  lieu  de  vi-idh-tra,  et  vïtrum 


—     367     — 

serait  contracté  de  vïdtrum.  Je  dois  ajouter,  cependant,  que 
Bopp  (  Ver  g.  Gr.,  III,  197)  rapporte  vïtrum  à  video. 1 

Tout  cela,  je  le  répète,  ne  suffit  pas  à  constituer  une  preuve 
décisive  pour  l'ancienne  possession  du  verre,  et  ne  fournit  que 
des  présomptions  fort  hypothétiques. 

§  276.  USTENSILES  DOMESTIQUES  DIVERS. 

Je  fais  suivre  encore  quelques  noms  des  objets  mobiliers 
qui  paraissent  avoir  fait  partie  d'un  ancien  ménage  arien. 
Il  ne  faut  pas  s'attendre  à  y  retrouver  tous  ceux  qui  nous 
sont  devenus  nécessaires,  mais  qui  ne  l'étaient  pas  aux  temps 
primitifs.  D'ailleurs,  bien  des  anciens  termes  doivent  s'être 
perdus,  et  on  ne  peut  espérer  mieux  que  des  indications  fort 
incomplètes. 

A)  Le  balai. 

1)  Scr.  avaskaraka,  balai,  brosse  (Wilson),2  avaskara,  ba- 
layures, ordures,  aussi  avakara,  et  apaskara,  de  ava  (avas\  et 
apa  -f-  kf,  kar,  dispergere.  Cf.  bahukarî,  balai,  multum  spar- 

1  Weber  (Beitr.,  4,  274)  décompose  vîdhra  en  vi-idh-ra,  propre- 
ment chaud.  Le  D.  P.  ne  donne  que  le  sens  de  clair,  et  compare  le  si. 
vedro,  serenitas,  ainsi  que  ctiS-çyi,  mais  sans,  parler  de  vïtrum,  que 
Weber  non  plus  n'en  rapproche  pas.  Fick(189)  compare  le  scr.  vithura, 
en  lui  donnant  le  sens  de  fragile  ;  mais  le  D.  P.  n'a  que  les  acceptions 
de  vacillant,  oscillant,  instable,  de  vyath,  trembler.  Fick,  comme  avant 
lui  Curtius  (Gr.  Et.*,  528),  rapproche  de  vitrum  le  gr.  aïrvpov  =  vxXoç 
(Hesych.);  pour  a-F'rupov  —  scr.  vithura,  maisSchmidt(Z.  S.,  9, 398)  y 
voit  une  fausse  lecture  pour  Xiyv§ov,  ce  que  Curtius  ne  regarde  pas 
comme  prouvé. 

2  Le  D.  P.  ne  donne  pas  cette  acception. 


—     368     — 

gens.  L's  intercalée  peut  appartenir  à  la  préposition  préfixe 
avas,  en  bas,  sous  (  D.  P.  ),  ou  être  ajoutée  par  euphonie, 
comme  dans  apaskara,  de  apa  -f-  kar,  ou  enfin  être  un  reste 
d'une  forme  skar  de  la  rac.  kar,  dont  on  trouve  des  traces 
ailleurs.  Cf.  la  rac.  german.  skar,  skir,  skur,  scindere,  radere 
(separare),  lith.  skirti,  diviser,  séparer,  irl.  scaraim,  id.  (dans 
Z.2,  239,  etarscartha,  separationis,  416,  noscarinn,  separabam 
me),  le  gr.  itkoùq,  excrementum,  gén.  (Tkc&toç,  thème  <tkci,çt, 
lat.  stercus  pour  scertus,  etc. 

A  la  forme  km^  se  rattache  le  grec  xoçoç,  Koçyi&çov,  balai, 
xoçvjfjLcii  balayures,  koçzcô,  balayer. 

A  skar,  l'irl.  moyen  escart,  gl.  scupa  (scopae  ?),  balai,  ou 
peut-être  stupa,  étoupe,  =  erse  eascart  (Stokes,  GL,  n°  254). 
—  L'anc.  ail.  cherjan,  kerjan,  mod.  kehren,  balayer,  kehricïit, 
balayures,  paraît  également  provenir  de  skerjan,  le  ch,  k, 
s'étant  maintenu  sous  l'influence  de  Y  s  supprimée  plus  tard. 

2)  Pers.  sliârûf,  balai. 

Grr.  (raçoç,  (Tclqôù&çqV)  id.,  (TciçfJLct,  balayures,  de  (TciÎqùù,  ba- 
layer, nettoyer,  (Tccçqûô,  id.  Cf.  lat.  sario,  sarrio,  sarcler,  net- 
toyer le  sol. 

Russe  sôru,  balayures,  ordures,  soritï,  remplir  de  ba- 
layures, etc.  Pol.  szbr,  szur,  détritus,  alluvion,  szorowaè,  frot- 
ter, nettoyer. 

Lith.  szlotà,  balai,  szloti,  balayer. 

La  racine  commune  de  ce  groupe  se  reconnaît  dans  le  scr. 
kshar,  dimittere,  relinquere,  effundere,  =  kshal,  abluere,  puis 
verrere,  abstergere.  Cf.  persan  sharîdan,  couler  et  verser, 
shâr,  flux,  etc.  Comme  le  ksh  sanscrit  est  plus  d'une  fois 
représenté  par  sk,  on  peut  comparer  l'ancien  allem.  scioran, 
scôr,  scurun,  trudere,  impellere,  d'où  scora,  pelle,  ail.  moderne 
scheuern,   nettoyer,   frotter,  anglais    to  scour,  etc.  On  peut 


—     369     — 

même  présumer  une  affinité  primitive  de  kshar,  avec  le  skar, 
de  l'article  qui  précède. 

3)  Lat.  scopœ  (pi.)?  scopula,  balai,  de  scopa,  brin,  petite 
branche. 

Irl.  erse  scuab,  sguab,  balai;  cymr.  ysgub. 

Cf.  gotb.  shuft;  anc.  ail.  scuft,  scufi,  chevelure;  allem.  mod. 
schopf,  bouquet,  crête,  queue,  etc.;  pol.  czub,  touffe,  crête, 
plumet,  czupryna,  touffe  de  cheveux,  czubac,  arracher,  cueillir; 
lith.  czopti,  prendre,  saisir,  czupoti,  toucher,  czupikkas,  touffe 
de  cheveux,  etc. 

Le  corrélatif  sanscrit  me  semble  se  trouver  dans  kshupa, 
kshumpa,  chupa,  buisson,  sens  qui  se  rapproche  beaucoup  des 
acceptions  de  balai,  touffe,  plumet,  bouquet.  La  racine  chup, 
tangere  (Dhâtup.),  (=  lith.  czupoti)  et  peut-être  capere,  car- 
pere,  comme  le  lith.  czâpti  et  le  pol.  czubac,  donnerait  pour  sens 
primitif  ce  qui  est  cueilli,  saisi,  réuni.1 

B)  Le  tamis,  le  filtre. 

Les  noms  de  ces  deux  ustensiles  se  confondent  souvent,  bien 
que  l'un  s'emploie  pour  les  substances  sèches  et  l'autre  poul- 
ies liquides. 

1)  Un  groupe  étendu,  mais  exclusivement  européen,  se 
compose  des  termes  suivants. 

Grr.  <rv\\i&y(TY\<rTt>w->  tamis;  cv\boù, tamiser,  forme  augmentée 
par  S'a),  de  <rctc*),  triico,  secouer,  agiter  ;  v7ro<Tîiùùy  tamiser. 

Irl.  siothldn,  swthlog,  filtre;  siothlaighim,  filtrer;  par  con- 
traction siolànaim,  id. ,  et  siolachân,  filtre,  —  formes  dérivées 

1  Weber  (Beitr.,  4,  280  )   propose  la  racine  kshubh  ,   trembler, 
osciller. 

II  24 


—     370     — 

sans  doute  d'un  thème  plus  simple  siothal,  sithal  =  cymr. 
hidl,  filtre  et  tamis,  d'où  hidlaw,  filtrer,  etc. 

Ags.  sibi,  syfe,  anc.  sax.  sef,  anc.  ail.  sib,  tamis.  —  De  là  le 
cymrique  syfa.  —  La  nature  du  suffixe  de  dérivation  reste 
obscure. 

Lith.  sëtas,  tamis,  sijoti,  tamiser. 

Russe  sito,  pol.  sito,  boh.  sjto,  etc. 

La  racine  commune,  conservée  par  le  grec,  est  sûrement 
identique  à  celle  qui  exprime  l'action  de  semer  (Cf.  p.  133). 
L'anc.  allem.  sîhan,  colare,  sîha,  colum;  scand.  sya,  id.,  et  sîa, 
sigti,  tamis,  semblent  se  rapporter  au  scr.  sic,  sîk,  spargere, 
effundere  (Cf.  p.  157). 

2)  Scr.  câlanî,  tamis,  de  cal,  vacillare,  au  causât.  câlay, 
commovere,  concutere.  Cf.  câlana,  oscillation,  et  pers.  calîdan, 
mouvoir,  caléal,  instabilité,  etc. 

Lat.  colum,  filtre;  colo,  filtrer. 

Alban.  hdoig,  id. 

Le  pers.  pal,  tamis  et  filtre  (Cf.  p.  157),  se  rattache  peut- 
être  à  cette  série  par  le  changement  de  k,  c,  en  p,  dans  le 
zend,  etc. 

3)  Pers.  cac,  tamis.  —  Cf.  scr.  cane,  tremere,  et  hak,  Jcank, 
vacillare  (Dhâtup.);  goth.  hahan,  pendere;  russe  kacatï,  bran- 
ler, secouer,  etc. 

Cymr.  gogr,  tamis,  de  gogi,  agiter,  secouer,  pour  coci  et 
cocr(?). 

Irl.  coignean  et  sgoignean,  tamis,  caigne,  van,  sedgaire, 
scogaire,  filtre,  de  scagain,  sgagaim,  filtrer,  passer  et  vanner. 
Cf.,  cependant,  le  sanscrit  kliag ,  khang  et  ses  analogues 
(V.  p.  44). 


—     371 


C)  La  lampe. 

Aucun  nom  proethnique  de  la  lampe  ou  du  flambeau  ne 
paraît  s'être  conservé,  et,  sauf  ceux  qui  ont  passé  d'une  langue 
à  une  autre,  les  différences  sont  partout  complètes.  Ce  qu'il  y 
a  de  singulier  pour  un  objet  aussi  simple,  et  sans  doute  d'un 
emploi  très-primitif,  c'est  de  voir  ses  noms  grecs  et  latins, 
non-seulement  se  transmettre  au  reste  de  l'Europe,  mais 
retourner  parfois  dans  l'Orient,  ce  qui  indique  que  les  lampes 
ont  dû  être  portées  au  loin  comme  articles  de  commerce. 
C'est  ainsi  que  le  gr.  Ad^7rccç,  AtzU7TTyjp,  de  À#p7r#,  briller, 
peut-être  allié  au  scr.  limp,  urere  et  ungere,  cf.  limpidus,  etc., 
a  passé  au  lat.  lampas,  au  scand.  lampi,  à  l'anc.  ail.  lampili, 
au  lith.  lampà,  lempe,  au  pol.  lampa,  etc.,  et  aussi  à  l'arménien 
ghamp  =  lamp.  C'est  ainsi  encore  que  le  latin  candela,  de 
candeo  (Cf.  scr.  cand,  lucere,  etc.),  d'où  l'irl.  caindeal,  le  cjmr. 
canivyl,  l'armor.  kantol,  l'anglo-sax.  candel,  etc.,  se  retrouve 
également  dans  l'armén.  kanthegh,  et  même  dans  le  kourde 
kandil,  lampe. 

Il  est  certain,  cependant,  que  les  anciens  Aryas  ont  dû 
savoir  s'éclairer  dans  l'intérieur  de  leurs  maisons,  et  il  faut 
admettre  que  les  premiers  noms  de  la  lampe  ont  été  rem- 
placés plus  tard.  A  défaut  d'analogies  directes,  on  pourrait 
peut-être  rapprocher  le  scr.  daçâ,  mèche  de  lampe,  proprement 
frange,  fil  qui  dépasse  le  bord  d'une  étoffe,  de  l'anc.  ail.  tâht, 
dâht,  ail.  mod.  docht,  mèche;  toutefois  l'irrégularité  du  t  ou 
d  pour  d  qui  exigerait  z,  et  la  comparaison  du  scand.  thâttr, 
filum  funis,  rendent  plus  probable  un  rapport  avec  le  persan 


—     372     — 

tâchtan,  filer,  tordre,   tâchtah,  tordu,  etc.  Cf.  sanscrit  taksh, 
teœo,  etc.  (V.  p.  223.)  i 

D)  La  cuiller. 

Pers.  eam}  cuméaJi,  cuiller. 

Russe  éumicïï,  éumicka,  id.,  pochon. 

Je  ne  sais  si  ce  mot  russe  se  retrouve  dans  d'autres  dia- 
lectes slaves,  et  s'il  ne  vient  pas  du  persan.  Ce  dernier  dérive 
de  éa?nidan,  boire,  d'où  camân,  éamanah,  coupe,  gobelet.  Cf. 
sanscrit  cam,  camasa,  coupe,  camû,  bassin  pour  recevoir  le 
sôma,  etc. 

Aucun  autre  nom  de  la  cuiller  ne  donne  lieu  à  des  com- 
paraisons. 

Ceux  de  la  fourchette  se  rattachent,  partout  où  ils  existent, 
à  ceux  de  la  fourche.  Cf.  p.  140  et  seqq. 

Pour  le  couteau,  cf.  p.  177  et  seqq. 

Pour  le  soufflet,  cf.  p.  189  et  seqq. 

ARTICLE  V. 

§  277.  LE  VILLAGE  ET  LA  VILLE. 

D'après  ce  que  nous  pouvons  présumer  déjà  par  tout  ce  qui 
précède,  et  ce  qui  deviendra  plus  évident  quand  nous  aborde- 
rons l'organisation  sociale,  les  anciens  Aryas  doivent  avoir  eu 
des  centres  de  population  plus  ou  moins  considérables.  Ce  qu'il 

1  Grassmann  (Z.  S.,  12,  125)  rapporte  tâht,  dâht,  à  dah,  brûler; 
mais  la  concordance  des  consonnes  fait  également  défaut. 


—     373     — 

est  plus  difficile  de  savoir,  c'est  quel  degré  de  développement 
ils  avaient  atteint,  et  si,  à  côté  des  villages  ou  des  bourgades, 
il  existait  des  villes  proprement  dites.  Les  termes  proethni- 
ques qui  se  sont  conservés,  et  qui  ont  suivi  sans  doute  les 
phases  graduelles  d'accroissement  des  populations,  nous  lais- 
sent par  cela  même  dans  l'incertitude,  car  on  les  voit  passer 
facilement  d'un  sens  plus  restreint  à  des  acceptions  plus  éten- 
dues. Le  nom  de  la  maison,  ou  de  la  demeure,  devient  celui 
du  village  et  de  la  ville,  et  nulle  part  il  ne  semble  y  avoir  de 
limite  bien  précise.  L'examen  de  ces  noms  montrera  ce  que 
l'on  peut  conjecturer  à  cet  égard. 

1)  A  la  p.  308,  j'ai  comparé  les  corrélatifs  du  scr.  vêça,  mai- 
son, venant  de  viç,  intrare,  considère.  Le  subst.  viç,  f.,  iden- 
tique à  la  racine,  a  eu  sans  doute  primitivement  le  même  sens, 
mais,  dans  les  Vêdas,  il  désigne  la  famille,  et,  au  pluriel,  les 
hommes,  comme  réunion  des  familles.1  En  zend  viç,  vîç,  réunit  les 
acceptions  de  maison,  de  hameau  et  de  clan.  Je  reviendrai  plus 
tard  sur  ces  mots  importants  pour  l'histoire  de  l'ancienne  orga- 
nisation sociale.  Je  me  borne  à  remarquer  ici  que,  dans  toutes 
les  langues  européennes,  à  l'exception  du  grec  oïkoç  =  vêça , 
c'est  le  sens  plus  étendu  de  village  qui  prévaut  exclusivement, 
ce  qui  ne  laisse  aucun  doute  sur  son  emploi  au  temps  de 
l'unité. 

2)  Des  transitions  analogues  se  montrent  dans  les  noms 
dérivés  de  la  rac.  vas,  habitare  (Cf.  p.  307).  A  côté  de  ceux  qui 
désignent  la  maison ,  on  trouve  en  sanscrit,  pour  le  village, 
âvasatha,  et,  avec  d'autres  préfixes,  npa,  -ni,  -prati,  -sanvasatka, 
qui  ne  signifient  en  réalité  que  demeure,  établissement,  habita- 
tion commune,  etc.  J'ai  mentionné  déjà,  d'après  Pott,  comme 

1  D.  P.  viç,  commune,  petite  division  du  peuple,  puis  race,  nation. 


—     374     — 

se  rattachant  à  la  même  racine,  le  gr.  o\y]9  village,  pour  Yo<nv\, 
et  avec  plus  de  certitude  encore,  le  gr.  oLctv,  ville,  pour  fcmttv. 
Il  faut  remarquer  toutefois  que  le  scr.  vâstu,  qui  y  répond  de 
tout  point,  ne  signifie  que  maison,  demeure,  établissement 
d'une  famille  (D.  P.). 

.  3)  Le  scr.  g rama,  village,  et,  en  général,  lieu  habité,  habi- 
tants d'une  commune,  puis  troupe,  multitude,  n'a  pas  d'éty- 
mologie  connue.  De  là  proviennent  grâmaka,  village,  grâmatâ, 
réunion  de  villages,  grâmin,  villageois,  grâmika,  chef  de  vil- 
lage, etc.,  ainsi  qu'une  foule  de  composés  divers.  —  Siahpôsh 
gram,  id.  —  Le  pers.  gâm,  village,  s'y  rattache  probablement. 
Ce  terme  n'est  pas  étranger  aux  langues  européennes,  où 
ses  analogues  expriment  surtout  la  notion  d'amas,  de  multitude, 
qui  est  peut-être  la  primitive.  Ainsi  l'anc.  si.  gramada,  gra- 
mota,  acervus,  cumulus;  russe  gromdda,  grande  quantité, 
masse  en  général;  mais  en  polonais  gromada,  la  multitude,  le 
grand  nombre,  en  parlant  des  hommes,  et  aussi  l'ensemble  des 
habitants  d'un  village,  la  commune,  ce  qui  se  rapproche  tout 
à  fait  de  grâma.  De  là  gromadzic,  rassembler,  réunir,  surtout 
des  personnes,  rarement  des  choses  inanimées,  comme,  en 
sanscrit,  grâmay  (dénomin.),  vocare,  convocare.1  Cf.  lithuan. 
grwïiàdas,  assemblée,  société.  —  Je  compare  également  l'irl. 
erse  gramhaisg,  profanum  vulgus,  rudissimorum  consociatio, 
l'angl.  mob,  la  foule,  la  tourbe,  etc.  On  peut  conclure  de  ces 
analogies  que  grâma  est  bien  un  nom  proethnique  du  village 
et  de  la  commune. 

4)  Le  scr.  pur,  f.,  pwm,  n.,  purî,  f.,  désigne  plus  spécia- 

1  D'après  le  sens  de  vocare,  on  pourrait  supposer  une  racine  gram, 
strepere,  d'où  grâma,  multitude,  etc.,  du  bruit  confus.  Cf.  anc.  slave 
gromù,  tonitru,  grûmieti,  tonare,  etc.,  cymr.  grwm,  murmure,  gron- 
dement, irl.  gromhach,  babillard,  etc. 


—     375     — 

lement  une  grande  ville,  une  ville  forte,  mais,  au  neutre, 
purarn,  il  a  aussi  le  sens  de  maison.  La  racine  est  la  même  que 
celle  de  puru,  multus,  savoir  pf ,  implere,  ce  qui  implique  la 
notion  primitive  de  lieu  rempli  d'habitants,  mais  sans  limite 
de  quantité.  Il  n'est  donc  pas  certain  que  ces  termes  aient  été 
appliqués  dès  le  principe  à  une  grande  ville,  bien  que  cette 
acception  soit  celle  du  gr.  7roAtç,  qui  est  dans  le  même  rapport 
ELvecpurî  que  7ToXvç  &vecpuru,pulu.  helith.. pillis,  château  (Cf. 
pilti,  pillu,  remplir,  et  le  nom  de  la  ville  Pillawa),  ainsi  que 
le  cjmr.  pill,  forteresse,  ont  des  significations  plus  restreintes. 
Il  en  est  de  même  du  cymr.  phvy,  plwyf,plwydd,  aYmor.ploué, 
village,  commune,  qui  se  rattachent  sans  doute  également  à  ce 
groupe. 

5)  Au  pers.  gird,  ville,  et  cercle,  circuit,  répond  l'anc.  si. 
gradu,  russe  gorodu,  etc.,  urbs,  et  le  goth.  gards,  maison,  etc. 
J'ai  exposé  déjà,  p.  341  et  seqq.,  les  difficultés  étymologiques 
que  présentent  ces  termes  et  leurs  nombreux  attenants,  et  je 
renvoie  le  lecteur  à  ce  paragraphe.  Il  est  fort  probable  que  ce 
sens  primitif  a  été  celui  d'enceinte,  comme  pour  l'irland.  dûn, 
anglo-saxon  tûn,  etc.  (Cf.  p.  313.) 

6)  On  a  rapproché  depuis  longtemps  du  gr.  KMjLtrj,  village, 
le  goth.  haims,  ags.  hâm,  scand.  et  ancien  allem.  heim,  d'où 
notre  mot  hameau,  ainsi  que  le  lith.  kaimas,  këmas,  village.  La 
racine  grecque  est  kl,  dans  KîifAcit  =  sanscr.  çî,  quiescere. 
Cf.  KCûpa,  sommeil,  Koiyiccûù,  koItv],  et  les  noms  du  lit  (p.  346) 
et  de  la  chambre  (p.  328).  —  Le  village  désignait  ainsi  le  lieu 
du  repos. 

7)  Un  autre  groupe  européen  comprend  les  noms  sui- 
vants : 

Goth.  thaurp,  vicus,  ags.  dhorpe,  scand.  thorp,  anc.  allem. 
dorf,  etc. 


—     376     — 

Irl.  treabh,  famille,  clan;  treabhur,  race,  lignage,  treabhiha, 
village.  Cf.  anc.  irl.  atrab,  possessio,  domicilium  (Z.2,  224), 
atreba,  habitat,  possidet  (410,  866). 

Cymr.  treb,  vicus,  tref,  tre,  id.,  demeure,  ville. 

Lith.  troba,  maison. 

Ebel  compare  également  le  latin  tribus,  ombr.  trifu,  trefu 
pour 'treifu  (?)  (Z.  S.,  VI,  422).  Le  scr.  trapâ,  famille,  pro- 
bablement de  trp,  tarp,  gaudere,  exhilarare,  (cf.  tiù7toù^  tccù7toj) 
me  paraît  être  le  corrélatif  de  ces  mots  européens,  dont  il 
concilie  les  acceptions  diverses,  possession,  c'est-à-dire  jouis- 
sance, famille,  maison,  village,  tribu. 

On  voit,  en  résumé,  par  quelles  transitions  ont  passé  les 
noms  du  village  et  de  la  ville.  La  question  est  de  savoir  si  ces 
transitions  s'étaient  accomplies  déjà  avant  la  dispersion  des 
Aryas.  D'après  les  seules  données  linguistiques,  on  peut  l'affir- 
mer avec  certitude  pour  deux  au  moins  des  noms  du  village, 
et  avec  probabilité  pour  celui  de  la  ville. 

§  278.  RUES,  ROUTES,  PONTS. 

Du  moment  qu'il  existait  chez  les  anciens  Aryas  des  centres 
de  population,  villages  ou  villes,  il  devait  aussi  y  avoir  des 
rues  et  des  routes  pour  la  circulation  intérieure  et  extérieure, 
et  des  ponts  sur  les  cours  d'eau.  A  ce  dernier  égard,  la  compa- 
raison des  langues  nous  laisse  en  défaut,  car  les  noms  du  pont 
diffèrent  partout  complètement  entre  l'Orient  et  l'Occident. 
Ceux  des  routes,  des  rues  et  des  chemins  présentent  par 
contre  des  analogies  assez  nombreuses,  mais  nous  laissent  le 
plus  souvent  douter  s'il  s'agit  de  constructions  faites  avec  art 


—     377     — 

ou  de  simples  chemins  de  piétons,  attendu  qu'ils  se  rattachent 
à  des  racines  exprimant  le  mouvement  en  général.  C'est  le 
cas,  par  exemple,  pour  les  termes  suivants. 

1)  Scr.  patli,  patha,  pathin,  paihyâ,  panthan,  etc.,  de  path, 
panth,  ire,  proficisci  (Dhâtup.).  Zend  pathan. 

0 ssète  fandag,  route. 

Gr.  7râT0Ç)  chemin,  sentier;  7Toltîoù,  fouler,  marcher;  puis 
aussi  7T0VT0Ç,  la  mer,  comme  voie,  en  scr.  pâthis,  anc.  saxon 
fâthi,  etc.  (Cf.  1. 1,  p.  136.) 

Lat.  pons,  pontis,  proprement  voie. 1 

Anc.  si.  pâti,  russe  putï,  illyr.  put,  via. 

Anglo-sax.  padh,  ancien  allem.  phad,  semita;  le  p  conservé 
irrégulièrement. 

2)  Scr.  gati,  route,  chemin  ;  de  gam,  ire. 
Zend  g âtu,  via,  locus. 

Groth.  gatvô,  rue,  seand.  gâta,  ancien  ail.  gazza,  id.,  anglo- 
sax.  geat,  porte.  Les  deux  consonnes  sont  irrégulières.  La  rac. 
est  gaggan,  ire,  réduplication  de  gam,  comme  gang  ami. 

Anc.  si.  gatï,  via  in  paludibus  (Dobr.,  Instit.,  p.  102); 
agger  (Mikl.,  Lex.),  néo-sl.  gat,  canalis,  gâta,  pons  vimineus. 

3)  Scr.  kalaha,  chemin  (Wilson)  ;  rac.  kal  (kâlayati),  agere, 
ferre,  ire. 

Gr.  KèMvôoç,  chemin. 

Lat.  callis,  rue. 

Irl.  caill,  sentier. 

Lith.  kélias,  kelys,  chemin. 

4)  Scr.  sarani,  route;  de  sr,  sar,  ire. 

Cymr.  sarn,  route  pavée,  s'il  n'est  pas  pour  starn  =  scr. 
starana,  stratum. 

1  Kuhn  (Z.  S.,  4.  75)  rapproche  pontifex  du  sanscrit  védique  pa- 
thikrt,  celui  qui  prépare  les  voies,  surnom  du  dieu  Agni. 


—     378     — 

Ces  noms,  et  d'autres  que  je  laisse  de  côté,  ne  nous  appren- 
nent rien  sur  la  nature  des  routes  au  temps  de  l'unité.  Nous 
savons  cependant  qu'il  y  avait  alors  des  chars,  et  cela  suppose 
presque  nécessairement  des  voies  de  communication  établies 
avec  une  certaine  solidité.  Or,  c'est  là  ce  dont  témoignent 
encore  deux  anciens  noms  de  la  route  qui  s'accordent  entre 
le  sanscrit  et  quelques  langues  européennes,  en  se  rattachant 
de  part  et  d'autre  à  ceux  du  char.  Ainsi: 

5)  Scr.  vaha,  route,  de  vah,  vehere,  ferre,  ce  qui  ne  peut 
guère  s'entendre  de  simples  piétons,  mais  de  véhicules.  Cf. 
vaha,  vahya,  vahana,  char,  et  p.  143. 

Lat.  veha,  vea,  pour  via,  dans  la  langue  rustique  (  Varr.,  I, 
2,  14).  Cf.  vehëla,  veïdculum.1 

Groth.  vigs,  via,  scand.  vegr,  ags.,  anc.  allem.  iveg,  etc.,  de 
vigaît,  vag,  vegun  =  scr.  vah.  —  Cf.  ags.  ivaegen,  anc.  allem. 
wagan,  etc.,  char  (1.  cit.). 

Erse  uigli  (?),  iter,  via. 

6)  Scr.  rathya,  grande  route,  route  carrossable,  de  ratha, 
char. 

Irl.  raite  (O'R.)  (raithef),  plur.,  routes,  chemins;  erse 
rathad,  via,  iter.  —  Irl.  rodh,  id. 

Cymr.  rhaivd  —  rhâd,  id. 

Cf.,  §  200,  pour  les  noms  du  char  et  de  la  roue.  Il  ne  fau- 
drait pas  comparer  le  français  roule,  qui  vient  de  rupta  (via) . 
L'anglais  road,  qui  manque  en  anglo-saxon,  semble  emprunté 
au  cymrique  plutôt  qu'au  français. 

1  Mais  cf.  aussi  le  zend  vya,  f.,  chemin   suivant  Justi  (288),  de  la 
rac.  vi,  aller,  voler  =  scr.  vi. 


—     379 


§  279.  CONDUITES  D'EAU,  CANAUX,  AQUEDUCS,  ETC. 

Il  est  probable  aussi  que,  soit  pour  les  besoins  de  l'agricul- 
ture, soit  pour  ceux  des  villages  ou  des  villes,  les  anciens 
Arjas  ont  su  amener  les  eaux  par  des  moyens  qui  devaient  être 
fort  simples,  et  sans  qu'il  faille  penser  aux  constructions  plus 
ou  moins  compliquées  des  civilisations  avancées.  Les  langues, 
naturellement,  ne  peuvent  nous  fournir  à  cet  égard  que  des 
indications  très-incomplètes,  à  cause  de  la  variété  des  termes  et 
du  vague  de  leur  sens  primitif.  Je  me  borne  aux  observations 
suivantes. 

1)  Le  scr.  âdhâra,  proprement  récipient,  support,  de  â  + 
dhr,  ferre,  tenere,  désigne  plus  spécialement  un  canal,  un 
fossé  (a  dike,  a  canal.  Wilson).  Cf.  dhara,  veine. 

C'est  là  exactement  l'anglo-sax.  œdra,  veine,  et  tuyau  poul- 
ies liquides,  anc.  ail.  âdara,  id.,  brun-adara,  manationes  aqua- 
rum,  pour  âtara.  Cf.  le  dat.  plur.  athrom  (GrafF,  Spr.  Sch.,1, 
157).  L'angl.  drain  semble  se  rattacher  à  la  forme  sans  pré- 
fixe, scr.  dhara,  dharana. 

2)  Le  gr.  (rwAyjV,  canal,  tuyau,  sans  étymologie  indigène, 
se  retrouve  dans  le  kourde  solina,  canale  fatto  con  vasi  di 
terra  (Garzoni).  Est-ce  là  un  mot  grec  importé  en  Orient  ? 
Ce  qui  peut  en  faire  douter,  c'est  que  le  siahpôsb  shueldw, 
canal,  semble  appartenir  à  la  même  racine.  Quoi  qu'il  en  soit, 
le  gr.  (toùKy\v  répond  aussi  exactement  que  possible  au  sanscrit 
kshâlana,  lavage,  arrosage,  de  kshâlay,  causât,  de  hshal  = 
kshar,  fluere.  Le  <r  initial  est  pour  |,  comme  dans  a"vvy  de 
%vv9  etc.  Il  serait  intéressant  de  savoir  si  ce  nom  du  canal 


—     380     — 

existe  dans  d'autres  langues  iraniennes  que  le  kourde.  Je  n'ai 
pas  pu  le  découvrir  en  persan. 

3)  Le  lat.  canalis,  qui  n'a  pas  non  plus  d'étymologie,  et 
dont  la  racine  reparaît  dans  l'armor.  kân,  canal,  tuyau,  con- 
duit, vallon,  qui  ne  semble  point  en  provenir,  est  sûrement  un 
terme  très-ancien.  Sa  racine  verbale,  en  effet,  perdue  d'ailleurs 
dans  les  langues  européennes,  ne  peut  être  que  le  scr.  khan, 
fodere,  d'où  khani,  kïiâni,  mine,  creux.  Cf.  pers.  kân,  excava- 
tion, mine,  de  ka?idan,  creuser,  et  peut-être  le  russe  kanura, 
caverne.  Toutefois,  aucun  nom  oriental  du  canal  n'en  dérive,  à 
ma  connaissance. 

SECTION  II. 

§  280.  VÊTEMENTS  ET  ORNEMENTS. 

Que  les  anciens  Aryas  eussent  des  vêtements,  c'est  ce  qu'on 
peut  inférer  déjà  de  la  nature  même  du  climat  sous  lequel 
ils  vivaient.  Nous  savons  que  l'art  du  tissage  était  connu  chez 
eux,  qu'il  y  avait  des  étoffes  de  plusieurs  espèces,  et  qu'on  les 
mettait  en  œuvre  au  moyen  de  la  couture.  Il  est  donc  certain 
que  l'on  en  confectionnait  des  vêtements,  et  la  démonstration 
linguistique  ne  fera  que  constater  cette  certitude.  Cependant 
cela  ne  suffit  pas  à  notre  curiosité,  et  nous  voudrions  nous  faire 
quelque  idée  de  ce  qu'était  le  costume  des  Aryas  primitifs.  Il 
est  évident  que,  à  cet  égard,  les  détails  feront  défaut,  car  ils 
sont  essentiellement  variables  suivant  les  habitudes,  les  temps 
et  les  diversités  de  climat.  Tout  ce  qu'on  peut  espérer,  c'est  de 
retrouver  encore  quelques  indications  sur  les  pièces  princi- 
pales dont  se  composait  l'habillement  de  nos  premiers  ancêtres. 


—  381  — 


§  281.  LES  VÊTEMENTS  DU  CORPS. 

Je  comprends  sous  ce  titre  tout  ce  qui  recouvrait  le  tronc 
et  les  membres,  à  l'exclusion  de  la  tête  et  des  pieds,  et  en  fai- 
sant observer  par  avance  que  les  transitions  fréquentes  des 
termes  généraux  aux  noms  spéciaux  s'opposent  à  toute  classi- 
fication précise. 

1)  Scr.  vasna,  vasana,  vasman,  vastra,  vâsa,  vâsas,  etc., 
vêtement  en  général,  de  la  rac.  vas,  induere,  tegere. 

Zend  vastra  et  vanhana  =  vasana;  rac.  vas,  vanh. 

Gr.  icS'Yiç,  î<r3~oç,  id.,  ityiorçlç,  vêtement  de  dessus,  l<rS-èu, 
vêtir,  etc.,  avec  perte  du  digamma.  Puis  aussi  tvvvfju  pour 
Fiç-vv-fti  (fut.  t<r<Tûù,  aor.  tara,  part,  ècrrcùptvoç),  vêtir  ; 
Zctvoç,  îletvoç,  pour  yktclvoç  =  vasana;  tlfici,  kp^ct,  pour 
Fè<rfjLct  =  vasman.  1 

Lat.  vestis,  vestitus,  vestimentum,  vestio,  etc. 

Irl.  fassradh,  erse  fasair,  fasrach,  avec  le  sens  spécial  de 
harnais  \fasair  pour  fassair,  fastair  =  scr.  vastra.  Puis  aussi 
irlandais  earradh,  vêtement,  pour  easradh,  etfeasradh,  tout 
comme  errach,  earrach,  printemps,  est  pour  fesrach,  etc.  (Cf. 
t.  I,  p.  118.) 

Cymr.  givisg,  armor.  gwisk,  corn,  guesk  (et  aussi  guest), 
vêtement. 

Goth.  vasti,  vestis,  %vtoùv>  <ttqXyi,  etc.,  ga-vaseins,  vêtement, 
vasjan,  ga-vasjan,  vêtir;  ang.-sax.  icaestling,  lodix,  stragula; 
scand.  vesti,  vêtement  de  dessous,  vesl,  tunique  ;  ancien  allem. 

1  Cf.  Pott,  Et.  F.,  1,280.  Benfey,  Gr.  Wl.,  I,  296.  Kuhn,  Z.  S.,  II, 
132.  Curtius,  Gr.  Et.*,  351. 


—    382     — 

ivasti,  ivesti,  loester  (=  scr.  vastra),  en  composition  seulement; 
ail.  mod.  weste,  gilet,  comme  notre  mot  veste,  de  vestis. 

La  branche  lithuan. -slave  fait  défaut  ici,  mais  il  faut  ajouter 
encore  l'alban.  vèsh,  vêtir,  et  vèshura,  vêtement. 

2)  Un  second  groupe  étendu,  mais  qui  n'a  pas,  que  je  sache, 
de  représentant  en  sanscrit  parmi  les  noms  de  vêtements,  se 
rattache  à  la  rac.  bhr,  bhar,  ferre,  comme  l'ail,  tracht,  costume, 
de  tragen.  Ainsi  : 

Pers.  barak,  veste  courte,  vêtement  de  poil  de  chameau; 
bârânî,  manteau;  kourde  baràni,  id.;  armén.  barekôd,  vête- 
ment; rac.  bar,  burdan. 

Gr.  Qcipoç,  vêtement,  voile,  toile;  d-Qctçyjç,  nu;  (QoçyifJLcc, 
vêtement;  <$>oçi<rict,  manteau;  rac.  @eç. 

Irl.  erse  beart,  vêtement;  anc.  irl.  brat,  vestis  (Zeuss,  Gr. 
C,  854  )  et  manteau  ;  cymr.  brat,  brethyn,  étoffe  de  laine; 
cf.  alban.  bruts,  id.,  au  pi.  Ijrith,  brethinnou  (  Juv.,  8;  Z.2, 
1057). 

Ici  probablement  se  rattache  le  gaulois  (àçaKat  (Diod.  Sic, 
v.  30),  braccœ, braies, armor.  bragez,  culotte,  cymr.  brycan,vête- 
ment.  L'irl.  erse  brigis,  culotte,  semble  emprunté  à  l'anglais 
breeches;  on  sait  que  les  Highlanders  ne  connaissaient  point  ce 
vêtement  nécessaire.  L'anglo-sax.  broc,  plur.  braec,  braeccae, 
scand.  brôk,  ancien  allem.  brôch,  etc.,  est  peut-être  d'origine 
celtique,  vu  le  maintien  de  la  gutturale  ;  mais  cela  est  plus 
douteux  pour  le  russe  briuki  (pi.),  le  lett.  bruhkes  et  l'alban. 
mpreke;  cf.  le  pers.  barak,  veste. 

Pol.  u-bibr,  costume,  u-biory,  pi.,  culottes  larges,  de  u-braè, 
habiller.  Cf.  anc.  si.  brati  (berâ),  ferre,  capere. 

Les  rapprochements  multipliés  qui  suivent  sont  en  partie 
plus  hypothétiques,  soit  à  cause  de  leur  moindre  extension, 


—     383    — 

soit  par  l'effet  des  transitions  de  sens,   et  de  l'obscurité  des 
origines. 

3)  Scr.  tantra,  vêtement.  Cf.  tanu,  tanû,  peau,  etc.,  racine 
tan,  tendere. 

Pers.  tanakj  étoffe;  ossète,  dig.  tuna,  id. 
Lat.  tunica. 

Irl.  tona,  tonach,  vêtement,  tun,  chemise.  Cf.  tonn,  tuinn, 
peau.  Cymr.  ton,  peau,  écorce. 

4)  Scr.  patta,  vêtement  de  dessus,  étoffe,  pata,  étoffe  fine, 
tissu,  pati,  gros  drap,  patamaya,  jupon,  tente;  patakâra,  tisse- 
rand; cf.  patala,  etc.  Le  Dhâtup.  donne  une  rac.  pat  (patay), 
induere,  circumdare. 1 

Pers.  patû,  étoffe  de  laine  ;  pat,  bat,  tissu  sur  le  métier. 

Gr.  7ra,T0ç,  le  vêtement  de  Junon  (Hesych.).  Cf.  Pott,  Et. 
F.,  I,  280. 

Irl.  peiteog,  erse  peiteag,  peitean,  jaquette  courte  (mots 
d'emprunt?);  cymr.  pais,  vêtement;  com.peis,  peus. 

Goth. paida,  tunique,  ga-paidôn,  vêtir;  anc.  sax.  pêda,&gs. 
pâde,  anc.  ail.  pheit,  indusium,  ail.  mod.  pfait,  robe,  veste. 
(Cf.  Diefenbach,  Goth.  Wb.,  v.  c.) 

L'affinité  des  termes  européens,  soit  entre  eux,  soit  avec  le 
sanscrit,  reste  très-douteuse,  à  cause  du  t  cérébral  de  ce  der- 
nier et  des  irrégularités  dans  la  concordance  des  consonnes. 
L'accord  du  finlandais  paita,  chemise  de  lin,  avec  le  goth. 
paida,  qui  est  sûrement  étranger,  est  d'autant  plus  à  remar- 
quer que  ce  mot  dérive  de  peittâa,  tegere,  peite,  tegmen, 
esthon.  peitma,  id.,  hongr.  féd,  couvrir,  etc.  Le  gr.  (ictirct, 
vêtement  de  peau  de  bergers,  et  Yirl.faith,  vêtement,  faithim, 

1  Weber  (Beitr.,  4,  280)  indique,  comme  racine,  patt,  findere,  en 
comparant  l'allemand  fetzen. 


—     384     — 

vêtir,  rappellent  la  rac.  sanscr.  vat,  bat,  vestire,  circumdare 
(Dhâtup.).  Il  y  a  eu  sans  doute  ici  des  transmissions  de  plus 
d'un  genre. 

5)  Scr.  cela,  câila,  vêtement;  rac.  cil,  vestire  (Dhâtup.). 
Pers.  killa,  voile,  kourde  kelii,  id.;  gil,  vêtement  (Lerch, 

GL,  119). 

Lith.  kailis,  peau  de  mouton  ou  de  chèvre. 

Irl.  ceal,  grosse  étoffe  de  laine,  couverture  épaisse;  cealt, 
cealtair,  vêtement,  d'où  le  kilt  ou  jupon  des  Highlandais.  Cf. 
ceilim,  couvrir,  cacher,  lat.  celo,  etc. 

6)  Scr.  varutra,  vêtement  de  dessus  ;  apa-varana ,  prâ- 
varana,  manteau;  rac.  vr,  var,  tegere  (Cf.  p.  292). 

Armor.  verargu,  manteau,  tunique. 

Scand.  veria,  tunica;  ags.  werian,  induere  vestes,  anglais 
wearings,  vêtements,  etc. 

7)  Scr.  cola  {coda),  ni-éôlaka,  veste,  jaquette.  Cf.  côlaka, 
cuirasse,  écorce,  et  kukûla,  armure  (Cf.  p.  294). 

Pers.  gûlak,  gôlach,  vêtement  de  laine  des  derviches  men- 
diants. Cf.  cûlâh  et  gûlâh,  tisserand. 

Irl.  cuilche,  vêtement,  cuilceach,  voile,  étoffe;  irland.  erse 
culaidh,  vêtement. 

8)  Scr.  çuka,  vêtement,  bordure  d'étoffe,  turban,  etc.  Ori- 
gine incertaine.  Cf.  coca,  côcaka,  peau,  écorce. 

Pers.  cûchâ,  vêtement  de  laine,  gûchâ,  étoffe;  kourde  cûcha, 
cocha,  drap  (Lerch,  GL,  p.  117);  ciuk  (Garzoni,  Foc),  id., 
cuka,  espèce  de  veste,  ossète  cuka,  armén.  cuchai,  id. 

Ane.  si.,  russe,  pol.,  illyr.  sukno,  drap;  pol.  suknia,  robe, 
vêtement;  illyr.  sukgna,  boh.  siikné,  id.;  s  pour  ç,  comme  dans 
d'autres  cas. 

Alban.  dshoke,  manteau. 

9)  Scr.  lâta,  vêtement.  Origine  incertaine. 


—     385     — 

Armén.  lôtig,  manteau. 
Lat.  lodix,  couverture. 
Irl.  lothar,  vêtement. 

10)  Scr.  valkala,  valkala,  vêtement  d'écorce,  de  valka, 
écorce,  valkuta,  id. 

Lith.  ap-walkalas,  vêtement,  uz-walkas,  enveloppe,  couver- 
ture, ivilkêjirnas,  vêtement  (Cf.  t.  I,  p.  239). 

La  coïncidence  paraît  complète,  mais  on  se  tromperait  sans 
doute  si  l'on  voulait  en  tirer  quelque  induction  sur  l'emploi 
primitif  de  Fécorce  pour  la  fabrication  des  étoffes.  Les  noms 
lithuaniens ,  en  effet ,  dérivent  immédiatement  de  wilkti 
(welku),  tirer,  traîner,  puis  vêtir,  ap-wilkti,  id.;  comme  on  dit, 
en  allemand,  anziehen,  anzug.  J'en  ai  rapproché  ailleurs  (p.  122, 
note)  la  rac.  scr.  vrk,  vark,  capere  (Dhâtup.),  anc.  si.  vlekâ, 
grec  i\ku),  etc.,  d'où  probablement  valka,  Fécorce  que  l'on 
enlève,  et  secondairement  valkala,  corticeus.  Le  rapport  ci- 
dessus  ne  serait  ainsi  qu'indirect. 

11)  Scr.  taranga ,  vêtement,  étoffe ,  signifiant  aussi  flot 
et  galop,  de  tarant  -f-  ga,  qui  va  flottant.  Cf.  plavanga,  id.,  de 
plu;  et  tari,  tari,  bordure  flottante  d'un  vêtement,  de  tr,  tar, 
dans  le  sens  de  phi. 

Cymr.  toron,  toryn,  manteau,  dont  le  suffixe  =  celui  du  scr. 
tarana,  bateau.  Je  remarque  incidemment  que  le  lat.  mantelum, 
irl.  matai  (non  emprunté  qui  est  pour  marital),  cymr.,  armor. 
mantel;  ags.mentel,  scand.  môttul, anc.  ail.  mantel,  etc.,  venant 
peut-être  du  latin  ;ital.,  espag.  manto,eto.,  semblent  se  rattacher 
primitivement,  par  une  liaison  d'idées  analogue,  à  la  rac.  scr. 
manth,  agitare. 

12)  Scr.  kakshâ,  ceinture,  et  la  partie  du  vêtement  que 
l'on  relève  à  la  ceinture.  —  Pour  le  sens  primitif,  cf.  p.  329. 

Pers.  kashah,  ceinture;  kashgar.  kisht,  id. 

II  25 


—     386     -~ 

Gr.  Kturtrov,  vêtement  épais  (Hesych.). 

Bas-lat.  casida,  espag.  casaca,  ital.  casacca,  casaque,  etc.,  de 
casa,  hutte,  c'est-à-dire  abri,  couvert  (vid.  loc.  cit.). 

Irl.  cosar,  manteau,  à  côté  de  casai,  cassai,  casôg;  anglais 
cassock;  cymr.  casul,  de  casula  et  casaca.  1 

Russe  kushâku,  ceinture;  pol.  kasaé,  ceindre,  se  trousser, 
relever  son  vêtement  pour  ne  pas  le  salir,  kasanie,  kaszenie, 
Faction  de  ce  verbe,  acception  qui  offre  une  analogie  frappante 
avec  le  sens  spécial  du  scr.  kakshâ. 

13)  Pers.  karkuh,  manteau,  surtout  flottant;  kourde  kurq, 
fourrure,  ossète  cliarc,  id. 

Irl.  cairc,  fourrure,  poil,  cairceach,  poilu. 

14)  Pers.  kartah,  kurtah,  kurtî,  jaquette  de  femme,  tunique 
courte. 

Scand.  skyrta,  skirta,  angl.  shirt,  chemise. 

15)  Kourde  krasi  (Grarzoni),  chemise,  kir  as,  id.  (Lerch, 
p.  103). 

Cymr.  crys,  armor.  krés,  kréz,  chemise,  tunique. 
Cf.  anglo-sax.  crusene,  fourrure,  anc.  ail.  chrusina,  chursina, 
mastruga,  mais  le  c  ne  correspond  pas  régulièrement. 

16)  Siahpôsh  kamis,  drap,  étoffe,  vêtement  (Burnes,  Voc, 
Journ.  of  the  asiat.  soc.  of  Bengal,  1838,  p.  332). 

Ce  terme  intéressant  offre  une  preuve  nouvelle  de  l'origine 
orientale  de  Fane.  irl.  caimmse,  vestis,  cymr.  camse,  chemise, 
corn,  kams,  surplis,  armor.  kamps,  aube,  d'où  Zeuss  fait 
venir  le  bas-latin  camisia,  etc.  (  Gr.  Celt?,  787.)  Cf.  ags. 
cernes,  du  celtique  ou  du  latin,  et,  pour  les  langues  néo- 
latines, Diez,  Roman.  Sp.,  v.  cit.  L'arabe  qamiç,  vêtement  de 

1  Ici  peut-être  se  rattache  l'anglo-saxon  et  anc.  ail.  hosa,  culotte, 
bas  (de  hohsa  ?  ).  De  là  le  cymr.  hos,  hosan,  bas,  et  l'irl.  osan,  botte. 


—     387     — 

dessous,  qui  n'a  pas  d'étymologie  sémitique,  paraît  à  Diez  im- 
porté d'Europe,  mais  il  pourrait  l'être  aussi  de  la  Perse,  si  le 
mot  siahpôsh  venait  à  se  retrouver  dans  les  langues  iraniennes. 
On  a  comparé,  non  sans  raison  peut-être,  quant  à  la  racine, 
le  goth.  hamôn,  vêtir,  ags.  hama,  homa,  peau,  chemise;  scand. 
hamr,  ïiams,  peau;  anc.all.  hemithi,  hemidi,  chemise,  etc.,  mais 
les  corrélatifs  orientaux  manquent  jusqu'à  présent.1 

§  282.  LA  CHAUSSURE. 

A  quelques  exceptions  près,  les  noms  qui  précèdent  ne  nous 
ont  offert  que  des  analogies  plus  ou  moins  isolées,  et,  partout 
où  l'on  peut  reconnaître  encore  leur  signification  primitive, 
ils  n'expriment  guère  que  les  notions  de  vêtement  ou  d'étoffe 
en  général.  Les  applications  spéciales  aux  diverses  parties  des 
costumes,  à  mesure  qu'ils  se  sont  modifiés,  appartiennent  aux 
époques  plus  récentes,  et  ont  varié  de  bien  des  manières 
depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à  nos  jours.  C'est  ainsi, 
par  exemple,  que  le  lat.  vestis,  d'un  thème  proethnique  vasti, 
vêtement,  désigne  la  tunique   (%itûûv,  <ttq\v\)  j    le    gothique 

1  J'ajoute  encore  ici  les  rapprochements  suivants: 

Scr.  târpya,  vêtement  dont  le  tissu  est  tiré  d'une  plante  appelée 
trpâ  (D.  P.). 

Lat.  trabea,  costume  des  rois  et  des  hauts  dignitaires.  Cf.  lett. 
terpt  (terpja),  vêtir  (Fick,  80). 

Scr.  sthagana,  n.,  couverture,  rac.  sthag,  <mV&>,  etc. 

Lat.  toga,  toge,  de  tego. 

frl.  f  tugen,  tuigen,  sorte  de  manteau  des  poètes,  fait  de  peaux 
d'oiseaux  (Corm.,  Gl.,  160).  Cf.  tuige,  couverture,  ind-tuigther, 
induitur  (Z.2,  472).  Stokes  (Corm.,  1.  c.)  compare  le  nom  gaulois  Tu- 
gnatius  (Orel.,  4982).  Cf.  aussi  Tugiacus  (Momms.,  Insc.  fte£y.,269), 
Togiacus  (Grut.,  845,  5),  Togonius,  Togi,  f.  (id.,53,  6),  etc. 

Ane.  si.  o-stegû,  vestis,  rac.  steg,  tegere  (Mikl.,  ie^0883);  lithuan. 
stêgti  et  stogas,  toit. 


—     388     — 

vasti,  et  le  scand.  vesti,  le  gilet;  l'allemand  weste,  la  veste  en 
français,  etc.  Pour  la  chaussure,  la  dissémination  des  termes 
a  été  plus  grande  encore,  parce  qu'il  n'a  assurément  pas  existé 
dans  le  principe  une  racine  particulière  pour  exprimer  l'action 
de  chausser,  comme  pour  celle  de  vêtir.  Aussi  aucun  nom 
ancien  ne  s'est-il  conservé  très-généralement.  Ce  qui  reste, 
cependant,  suffit  à  prouver  que  les  Aryas  primitifs  n'étaient 
pas  des  va-nu-pieds. 

1)  Scr.  pâdûj  pâduka,  soulier;  cf.  pad,  pada,  pâda,  pied; 
rac.  pad,  ire. 

Gr.  TTiSkKov,  semelle;  cf.  7rt$r},  lien  pour  les  pieds,  entrave, 
wov ç,  7ro$oç,  pied,  etc. 

Lat.  pedule,  semelle,  pedica,  entrave,  etc.;  cf.  scand.  fat, 
fetil,  fiôtur,  anc.  ail.  fezil,  fezera,  id.,  etfotr,fôz,  goth.  fôtus, 
pied. 

Lith.  pddas,  semelle  et  pied,  pedélis,  socque. 
2)   Scr.  kôçî,  Jcôshî,  soulier,  sandale. 

Pers.  hawsh,  armén.  goshig,  kashgar.  kosh,  soulier,  botte, 
ossète  kochugi,  soulier  d'écorce,  siahpôsh  kôsha,  koshara, 
botte. 

Gr.  xclvxiç,  pi.  -$èç,  espèce  de  souliers  de  femme  ;  et 
aussi  ficcvKiç, 

Goth.  skôhs,  soulier,  ags.  scoh,  scand.  skôr,  ancien  allemand 
scuoh,  etc.,  avec  une  s  prosthétique. 

Ce  nom  est  important,  parce  que  le  scr.  kôçî  désigne  pro- 
prement, comme  kôça,  une  gaine,  une  enveloppe,  un  four- 
reau, etc.  Cela  prouve  que  l'ancienne  chaussure  ne  consistait 
pas  seulement  en  une  semelle  attachée  sous  le  pied,  et  qu'elle 
devait  ressembler,  pour  la  forme,  à  un  soulier  ou  à  une  botte. 
3)  Scr.  upânah,  soulier,  sandale,  de  upa  -\-  â  et  nah,  nec- 
tere,    induere,    ou   de   upa  +  nah,  avec  allongement  de  l'a 


—     389     — 

(D.  P.);  panaddhâ,  panaddhrî,  id.,  avec  suppression  de  Vu 
initial;  au  sens  propre,  ce  qui  s'attache  sous  le  pied,  comme 

V7rQcÏY}fJLCL. 

Tirhaï  (du  Caboul)  phanai,  soulier. 

111  jr.  opanak,  espèce  de  chaussure;  scarpa  rusticana  di  cuojo 
crudo  (Ardello,  Dict.  UL,  II,  298). 

Cette  singulière  coïncidence  est  quelque  peu  problématique, 
le  mot  illyrien  ne  se  retrouvant  pas,  que  je  sache,  dans  les 
autres  langues  slaves.  Ne  serait-elle  qu'apparente,  et  faudrait- 
il  comparer  l'anc.  slave  et  polon.  opona,  couverture,  housse, 
voile,  de  o-pëti  (o-pïnâ),  tendere?  mais  le  sens  ne  corres- 
pond guère.  Il  faut  remarquer  que  plusieurs  noms  slaves  de 
chaussures  diverses  ont  été  importés  de  l'Orient;  par  exemple, 
l'illyr.  cisme,  bottes,  lithuanien  cziéma,  soulier,  vient  du  pers. 
cashmak;  le  russe  shmony,  souliers,  illyr.  zamaa,  bottes,  du 
persan  sham,  shamam,  shamal,  id.,  etc.  Le  pers.  sandal,  san- 
dalak,  soulier,  pantoufle,  a  passé  dans  toutes  les  langues  de 
l'Europe. 

4)  Scr.  badhrya,  soulier,  sandale.  Cf.  badhrî,  courroie,  de 
bandh,  ligare.  Dans  le  D.  P.  sous  la  forme  vadhrya,  vadhra, 
vadhrî. 

Armor.  bôdréou  (pl.)>  chaussure,  bas,  guêtres.  —  Cf.cymr. 
bodrwy,  anneau,  cercle. 

Ce  rapprochement  n'est  pas  moins  curieux  que  le  précédent, 
vu  l'absence  d'intermédiaires  connus  entre  les  deux  termes 
comparés. 

5)  Zend  aothra,  soulier  (Spiegel,  Avesta,  I,  197);  proba- 
blement de  la  rac.  av  =  scr.  av,  tueri  ;  pers.  awzâr,  soulier, 
armén.  ôt,  id.  (Cf.  Justi,  p.  10.) 

Lithuan.  awola,  chaussure,  autas,  autaivas,  soulier,  auklys. 


—     390     — 

bandes  de  laine  dont  les  femmes  entourent  leurs  jambes.  Cf. 
aati,  chausser,  awëti,  être  chaussé,  rac.  aiv. 

Ane.  si.  ob-uvû,  ob-utiie,  ob-utielï,  ob-uvishte,  ob-ushta,  cal- 
ceus,  russe  obuvï,  polon.  obuw,  obuivie,  illyr.  obuchja,  chaus- 
sure, etc.  Cf.  anc.  slave  uti,  ob-uvati,  induere,  pol.  ob-uwac, 
chausser,  rac.  u,  uv  ==  av.  Lottner  (Z.  S.,  VII,  189)  compare 
aussi  le  lat.  uo,  dans  ex-uo  (ex-uvice)  et  ind-uo,  lith.  ap-si-auti, 
induere. 

6)  Pers.  kâlak,  kâliyâr,  soulier,  sandale.  Cf.  kâlîdan,  fouler 
aux  pieds.  Kourde  kalek,  ossète  tzuîuk,  soulier  (?). 

Grec  kocAIkioç,  botte,  kclAikioi,  souliers;  kolAtioç,  botte  (en 
Sicile). 

Lat.  calceus.  Cf.  calx,  talon,  calco,  etc.  ;  caliga,  botte. 
Lith.  czulka,  bas;  russe  éulôku,  id. 

7)  Pers.  sulwah,  soulier,  pantoufle,1  salû,  espèce  de  gros 
souliers.  Kourde  sul,  sàl,  soulier;  ossète  tzuluk,  id.  (?) 

Gr.  vhicti  (pi.,  Hesych.). 

Lat.  solea,  semelle,  sandale.  Cf.  solum. 

Goth.  sulja,  <rayocL\iov,  ags.  solen,  solese,  scand.  sôli,  ancien 
ail.  sola,  etc. 

Armor.  sol,  semelle.  Cf.  anc.  irl.  sàl,  talon  (Z.2, 16);  armor. 
seul,  id.;  cymr.  swl,  corn,  sol,  solum;  cymr.  sail,  corn,  sel, 
base,  fondement,  etc. 

Alban.  shôlle,  semelle.2 

8)  Pers.  charkash,  soulier,  garkâw,  espèce  de  chaussure; 
ossète  tsirkite,  botte. 

Lith.  karke,  kurke,  klurke,  soulier. 

9)  Armén.  kurbai,  kulbai,  bas. 

1  Cf.  sansc.  çulva,  çulba,  corde,  lien  ;  ç  =  s  en  persan. 

2  Cf.  la  note  p.   124. 


—     391     — 

Lith.  kurpê,  soulier;  pol.  Jcurp,  sabot.  Cf.  szkarpeta,  socque, 
et  ital.  scarpa,  soulier. 

Ici,  peut-être,  se  rattachent  xpqTrlç,  crepida,  etc. 
10)  Pers.  âghârah,  soulier;  kourde  ghora. 
Irl.  ochar,  id.  (?) 

§  283.  LA  COIFFURE. 

La  variété  des  noms  est  ici  aussi  grande  que  celle  des  formes 
qu'ont  prises  les  couvre-chefs  de  tout  genre,  suivant  les  cli- 
mats et  les  habitudes.  Aussi  le  nombre  des  rapprochements  à 
signaler  est-il  assez  restreint,  bien  qu'ils  ne  soient  pas  sans 
importance. 

1)  Pers.  kulah,  chapeau,  bonnet;  boukhar.  kulah  ;  kourde 
kûlik;  afghan,  choli. 

Cymr.  cwlen,  chapeau,  cwcwll,  capuchon;  armor.  kougoul, 
cape;  irl.  cochai,  cochall,  erse  cochull,  id.,  et  manteau,  enve- 
loppe. Le  latin  cucullus,  cape,  espèce  de  manteau,  est,  comme 
on  le  sait,  d'origine  gauloise,1  et  a  passé,  avec  le  capuchon  des 
moines,  dans  plusieurs  langues  européennes,  outre  les  néo- 
latines. Ainsi,  anglo-saxon  kugle,  ancien  ail.  cugula,  cucula, 
cucala;  russe  kukûlï,  illjr.  kuklica,  etc.  Mais,  à  côté  de  ces 
termes  d'emprunt,  il  en  est  d'autres  dont  les  affinités  semblent 
être  d'un  ordre  primitif.  Ainsi  : 

Goth.  hakuls,  manteau,  ags.  hacela,  haecla,  sagum,  pallium  ; 
scand.  hekla,  cucullus,  hôkull,  liukull,  casula,  thorax;  anc.  ail. 
hachul,  cucullus,  etc.;  l'A  initiale  régulièrement  pour  k,  et  le 
second  k  resté  intact  par  exception. 

Lith.  kaukolas,  kaukole,  crâne. 

Russe,  pol.,  boh.  chochol,  capuchon,  huppe,  crête,  etc. 

i  Cf.  Martial,  Epig.,  I,  54;  XIV,  128.  Juven.,  Sat.  VIII,  144,  etc. 


—     392     — 

Le  corrélatif  sanscrit  de  toutes  ces  formes  redoublées  se 
trouve  évidemment  dans  kukûla,  armure,  enveloppe,  gousse 
(Cf.  p.  294),  et  la  rac.  Ml,  tegere  (Dhâtup.),  rend  fort  bien 
compte  de  leurs  significations  diverses.  Nous  y  avons  rapporté 
cola,  veste,  côlaka,  cuirasse,  etc.;  il  faut  ajouter  sans  doute 
cûlâ,  cûlikâ,  crête,  huppe,  qui  nous  ramène  au  sens  de  coif- 
fure et  de  chapeau. 

Toutefois  cûlâ  s'écrit  aussi  cûdâ,  et,  comme  le  d  et  VI  se 
remplacent  assez  souvent,  on  reste  en  doute  sur  la  forme 
primitive.  Il  est  certain  qu'un  second  groupe  des  noms  du 
chapeau,  etc.,  se  rattache  à  une  rac.  kud  ou  khud;  cf.  dans  le 
Dhâtup.  cud,  chud,  khud,  skhud,  tegere,  operire.  Ici  se  placent 
sans  doute  : 

Pers.  chûd,  casque;  ossète  chud,chôde,  chapeau,  bonnet. 

Lat.  cudo,  -onis,  casque  de  peau. 

Lith.  kodas,  kûdas,  huppe,  crête. 

Cf.  irl.  cudh,  cuth,  tête. i  L'ancien  allem.  hôt,  huot,  ags.  hod, 
angl.  Jiood,  mais  aussi  haet,  liât,  scand.  hattr$  chapeau,  etc., 
offrent  pour  la  dentale  et  la  voyelle  des  divergences  difficiles 
à  concilier.  Il  se  pourrait,  après  tout,  que  les  deux  groupes 
de  mots  en  question  fussent  indépendants  l'un  de  l'autre. 

2)   Scr.  çuka,  turban,  casque;  aussi  vêtement.  Origine  inc. 

Lith.  kyka,  russe  kuka,  bonnet  de  femme. 

Ags.  hicae,  perruque  ;  dial.  allemands  hûke,  heuke,  hoike, 
bonnet;  néerland.  huycke.  —  Cf.  bas-latin  huca,  etc.  —  Le 
second  k  est  resté  inaltéré,  comme  dans  le  goth.  hakuls,  etc., 
ci-dessus,  mais  il  est  d'une  origine  toute  différente.  L'acception 

1  Cf.  scr.  kakud,  kakuda,  sommet,  peut-être  composé  de  l'interro- 
gatif  ka,  et  de  kud,  tegere,  comme  le  synonyme  kakubh,  kakubha, 
de  ka  -f-  kubh,  kumbh,  tegere.  Cf.  latin  cacumen,  et  culmen,  pour 
cacudmen  et  cudmen. 


—     393     — 

de  vêtement  se  retrouve  aussi  dans  l'angl.  huke,  hyke,  sorte  de 
manteau,  et  le  français  hoquet,  hoqueton,  espèce  de  casaque.  Le 
cymr.  hug,  manteau,  est  d'origine  germanique. 

3)  Les  langues  du  nord  de  l'Europe  ont  en  commun  un 
nom  du  chapeau  ou  du  bonnet  '  dont  la  forme  première  est 
incertaine,  et  qui  a  passé  plus  d'une  fois  de  l'une  à  l'autre. 
Ses  formes  diverses  sont  : 

Bas-lat.  capa,  capellus,  cape,  chapeau,  capote,  chaperon,  etc. 
Cf.  passim  l'italien,  l'espagnol,  etc. 

Cymr.  cap,  capan,  bonnet,  copyn,  crête;  armor.  kâp,  cape, 
kabel,  coiffure,  chapeau,  huppe.  Irl.  erse  cap,  capa,  bonnet, 
mot  d'emprunt  à  cause  du p  non  aspiré. 

Anglo-sax.  cop,  cappa,  scand.  kâpa,  anc.  ail.  chappa,  etc.; 
tous  étrangers  comme  contraires  à  la  loi  de  mutation  des 
consonnes. 

Lith.  kepurrë,  chapeau,  terme  sûrement  indigène;  ce  qui 
est  moins  certain  pour  kâpe,  bonnet,  comme  pour  le  russe, 
polonais,  illyr.  kâpa,  id. 

Il  est  fort  probable  que  ces  noms  de  la  coiffure  se  rattachent 
à  ceux  de  la  tête  et  du  crâne,  scf.  kapâla,  grec  KiÇ>ccXr^  lat. 
caput,  goth.  haubith,  etc.,  dont  les  rapports  mutuels  et  les 
étymologies  sont  encore  en  discussion. 

§  284.  ORNEMENTS  DIVERS,  COLLIERS,  BRACELETS, 

ANNEAUX. 

Le  goût  de  la  parure  est  si  naturel  à  l'homme  qu'il  se  déve- 
loppe dès  les  premiers  progrès  de  la  culture  matérielle,  et, 
même  chez  les  races  sauvages,  nous  voyons  mettre  en  œuvre 
des  procédés  variés,  bien  que  souvent  bizarres,  dans  l'inten- 


—     394     — 

tion  d'embellir  la  figure  humaine.  Les  anciens  Ary  a  s  aussi  ne 
se  contentaient  sûrement  pas  de  se  vêtir,  et  cherchaient  à 
faire  valoir  leur  costume  par  des  ornements  de  plusieurs  sortes. 
Ce  qu'étaient  ces  ornements,  nous  ne  pouvons  plus  le  savoir 
que  d'une  manière  générale  et  incomplète.  Des  colliers  et  des 
anneaux  de  dimensions  diverses,  bagues,  boucles  d'oreille, 
bracelets,  etc.,  voilà  quel  en  était  le  fond,  d'après  les  traces 
encore  subsistantes  de  l'ancienne  nomenclature. 

1)  Scr.  mani,  joyau  en  général,  gemme,  pierre  précieuse, 
plus  spécialement  un  joyau  percé  pour  le  suspendre,  et  une 
amulette,  manika,  id.,  mânikya,  rubis.  La  rac.  est  sans  doute 
man,  putare,  sestimare,  avec  substitution  de  Vn  cérébrale, 
comme  dans  pan,  an,  can,  vên  =  pan,  an,  etc. 

Pers.  man,  dans  man-gôsh,  joyau  d'oreille. 

Ane.  irl.  màini,  preciosa  (Z.2,  30). 

Lat.  mon,  dans  mon-edula,  la  pie  qui  dérobe  et  avale  les 
objets  brillants,  d'après  Pline  (X,  41  ),  suivant  la  conjecture 
de  Pott  {Et.  F.,  I,  89).  Peut-être  aussi  moneta,  qui  a  passé  à 
l'anglo-sax.  mynet,  au  scand.  mynt,  à  l'anc.  ail.  muniza,  au 
lith.  manëta,  au  russe  moneta,  etc.,  s'il  ne  dérive  pas  directe- 
ment de  moneo,  allié  d'ailleurs  à  man.  Le  sens  primitif  pour- 
rait avoir  été  celui  de  chose  de  prix. 

Nous  retrouverons  plus  tard  la  racine  man  aux  noms  dési- 
gnant la  richesse. 

2)  Scr.  mânava,  mânavaka,  collier  de  seize  ou  vingt  rangs, 
de  la  même  origine  que  mani;  manisara,  manimâlâ,  collier, 
c'est-à-dire  fil  ou  rang  de  gemmes. 

Zend  minu,  collier  (Justi,  233),  armén.  maneak;  phrygien 

fJLOLVlKCt. 

Gr.  (Aavov,  pctvvov,  fJiovvov,  id.;  lat.  monile. 


—     395     — 

Gaulois  fjLctviciKyjç  (Poljb.,  II,  31).  Cf.  sanscr.  manyâ,  ma- 
nyâkâ,  nuque. 

Ane.  irland.  muinae,  collarium  (Z.2,  791),  pour  muinte  (?) 
(Stokes,  Goid.1,  98);  am-muinde,  id.,  muin-torc,  torques  (Z.2, 
ib.);irl.  moy.  muinche,  collier  (M.  Len.,  112),  dans  O'R. 
muince,  muinte. 

Ags.  hals-mene,  id.,  menas,  monilia;  scand.  men;  anc.  allem. 
menni,  manili. 

Anc.  si.  monisto,  collier. 

On  ne  saurait  guère  douter  de  l'affinité  primitive  de  tous 
ces  termes.  Cependant  l'irl.  muince  semble  provenir  de  muin, 
cou,  en  cymr.  mwn,  d'où  mtvn-dhvs,  joyau  de  cou,  pour  col- 
lier, etc.;  mais  il  se  pourrait  bien  qu'au  contraire  le  nom  du 
cou  fût  venu  dans  l'origine  du  collier,  de  même  que  le  mot 
ceinture  désigne  par  métathèse  le  milieu  du  corps.  C'est  ainsi 
que  la  crinière,  en  irl.  mong,  cymr.  mwng,  anc.  allem.  maria, 
mani,  scand.  mon,  etc.,  semble  avoir  été  ainsi  nommée  comme 
l'ornement  du  cou,  le  collier  du  cheval.  Il  est  certain,  cepen- 
dant, que  la  dérivation  inverse,  comme  collave,  de  collum,  etc., 
est  plus  naturelle,  et  le  doute  subsiste  quant  à  l'origine  réelle 
des  termes  irlandais. 

3)   Scr.  grâiva,  grâivaka,  collier. 

Anc.  si.  grivïna,  collier;  russe  grivna,  ornement  d'or  que 
l'on  portait  au  cou,  et  pendant  d'oreille,  griva,  fil  d'argent 
pour  orner  la  crinière  d'un  cheval. 

La  dérivation  est  la  même  de  part  et  d'autre;  en  sanscrit 
de  grîva,  cou,  nuque,  en  slave  de  griva,  pol.  grzywa,  crinière, 
primitivement  cou.  —  Le  russe  grivna,  pol.  grzywna,  lithuan. 
griwina,  griivna,  a  désigné  plus  tard  une  monnaie  d'argent, 
un  marc,  représentant  probablement  la  valeur  de  l'ornement 
que  l'on  portait  au  cou. 


—     396     — 

4)  Le  scr.  sara,  dans  manisara,  collier;  cf.  sarat,  sarit,  fil, 
pratisara,  guirlande,  de  sr,  sar,  ire,  a  fort  bien  pu  signifier 
seul  tfh  collier.  A  la  même  racine  appartiennent: 

Le  gr.  opfJLoç,  collier,  pour  poçjaoç  ;  Kd&cçfjuov,  hoçfjt,loy9  id., 
èçfict,  pendant  d'oreille,  de  ttçôû,  =\at.sero,(To\isertum,  guir- 
lande, séries,  etc. 

L'anc.  si.  u-serëgu,  u-serêzï,  russe  seriga,  serejka,  pendant 
d'oreille.  Cf.  russe  sherenga,  pol.  szereg,  rang,  série. 

5)  Kourde  tok,  collier;  brahui  touk,  id. 

Ane.  si.  pri-tokû,  anneau.  Cf.  tocilo,  torcular,  russe  toéitï, 
pol.  toszyé,  tourner. 

Si  l'on  compare  le  pers.  tûk,  boucle  de  cheveux,  peloton,  il 
devient  probable  que  la  racine  est  la  même  de  part  et  d'autre. 

6)  Sanscr.  angulîya,  angurîya,  anneau,  bague,  de  anguli, 
anguri,  doigt;  kourde  engishtere  (Lerch.),  bague,  angushtir 
(Garzoni);  cf.  engist,  zend  angust,  pers.  angusht,  ossète  an- 
gulse,  etc.,  doigt,  et  scr.  angushtha,  pouce. 

Lat.  annulus  pour  angulus  (?). 

Irl.  aigiolain,  erse  aigilean,  boucle  d'oreille,  pour  aingio- 
lain,  à  cause  du  g  non  aspiré. 

7)  Scr.  kundala,  bracelet,  anneau,  boucle  d'oreille,  cercle 
en  général. 

Lat.  condalus,  condalium,  anneau  que  portaient  les  esclaves. 
Cf.  gr.  KoviïvAoç,  condyle,  éminence  d'une  articulation  (?). 

8)  Scr.  valaya,  bracelet  et  cercle,  vâlaka,  bâlaka,  id.,  bague, 
bâlî,  vâlikâ,  espèce  de  boucle  d'oreille;  rac.  val  =  var,  cir- 
cumdare. 

Irl.  erse  f ail,  anneau,  fdl,  cercle;  irland.  faileachan,  boucle 
d'oreille. 

Cymr.  gwalen,  bague. 

9)  Scr.  bhugishya,  bracelet,  lien  autour  du  poignet,  de  bhug, 


—     397     — 

curvare,  ou  de  bliuga,  bras,  main,  courbure,  bhugi,  action  d'en- 
tourer, d'embrasser  (D.  P.). 

Anglo-sax.  beâg,  scand.  baugr,  anc.  allem.  pouc,  baug,  bra- 
celet, de  beogan,  piucan,  goth.  biugan,  flectere,  curvare. 

10)  Scr.  tushtu,  joyau  porté  à  l'oreille,  inauris,  de  tush, 
contentum  esse  aliqua  re,  lsetari.  Cf.  tushti,  plaisir,  satisfac- 
tion, etc. 

Irland.  tuis,  joyau,  pour  tûist,  tûsti,  à  cause  du  maintien 
de  l'a. 

11)  Sanscr.  ratna,  joyau,  perle,  gemme,  don,  possession, 
bien,  suivant  le  D.  P.  probablement  de  râ,  donner,  comme 
rayi,  richesse. 

Irl.  rathdn,  collier  de  grains  (O'Don.,  GL).  Cf.  scr.  ratna- 
mâlâ,  -vagi,  -vâlî,  collier  de  perles.  O'R.  donne  aussi  réd  (?), 
gemme. 

12)  Lith.  grandis,  grandele,  anneau,  bracelet. 
Cymr.  grain,  "anneau,  greinyn,  boucle  d'oreille. 

Cf.  irl.  grainne,  rond.  La  racine  commune  semble  se  trou- 
ver dans  le  scr.  granth,  grath,  nectere,  serere,  d'après  le 
Dhâtup.  signifiant  aussi  curvare,  d'où  granthi,  nœud,  cour- 
bure, grathna,  bouquet,  etc.  A  grath  se  rattache  peut-être  l'irl. 
greith,  ornement,  joyau. 

SECTION  III. 
§  285.  ALIMENTS  ET  BOISSONS. 

Nous  venons  de  voir  à  peu  près  comment  les  anciens  Aryas 
s'habillaient;  il  nous  reste  à  rechercher  de  quelle  manière  ils 
se  nourrissaient,    pour  compléter  autant  que  possible   notre 


—     398     — 

esquisse  de  leur  vie  matérielle.  L'alimentation  de  l'homme 
reste  toujours  et  partout  essentiellement  la  même,  empruntée 
qu'elle  est  nécessairement  aux  végétaux  et  aux  animaux;  mais 
elle  varie  à  l'infini  quant  aux  détails,  et  l'art  culinaire  subit  les 
métamorphoses  les  plus  multipliées  suivant  les  lieux  et  les 
temps.  On  peut  se  dispenser  de  prouver  que  les  anciens  Aryas 
se  nourrissaient  des  produits  de  la  chasse,  du  lait  et  de  la  chair 
de  leurs  troupeaux,  ainsi  que  des  fruits  de  la  terre;  cela  s'en- 
tend de  soi-même.  Ce  qui  nous  intéresse  serait  de  savoir  de 
quelle  manière  ils  les  mettaient  en  œuvre,  et  s'ils  connaissaient 
déjà  quelques-uns  des  mets  restés  généralement  en  usage, 
comme  le  pain,  la  soupe,  etc.  Nous  avons  vu  qu'ils  possédaient 
plusieurs  céréales  et  quelques  légumineuses,  qu'ils  avaient  des 
cuisines  et  des  ustensiles  pour  la  cuisson  ;  nous  savons  aussi 
qu'ils  ne  s'en  tenaient  pas  pour  boissons  à  l'eau  pure  et  au  lait. 
On  peut  donc  croire  que  l'art  culinaire  avait  fait  chez  eux 
quelques  progrès  ;  mais  on  ne  saurait  s'attendre  à  trouver 
dans  les  langues  autre  chose  que  des  indications  fort  incom- 
plètes à  cet  égard. 

§  286.    LE  PAIN  ET  AUTRES   PRÉPARATIONS   DE  CÉRÉALES. 

Les  noms  du  pain  proprement  dit  diffèrent  entre  eux  plus 
qu'on  n'aurait  dû  s'y  attendre  pour  un  aliment  aussi  primitif. 
C'est  que  le  mode  de  le  confectionner  a  subi  des  changements 
successifs,  et  que  les  termes  appliqués  d'abord  à  diverses  prépa- 
rations fort  simples,  comme  le  grain  broyé  et  grillé  sans  autre 
apprêt,  sous  forme  de  galettes,  ont  passé  plus  tard  au  pain 
pétri,  levé  et  cuit  au  four,  tel  que  nous  le  connaissons.  Ce  qui 
l'indique  d'ailleurs,    c'est   d'une  part  que  les  noms  du  pain, 


—     399     — 

ramenés  à  leurs  étymologies  probables,  ne  désignent  autre 
chose  que  la  nourriture  en  général,  ou  l'aliment  préparé  et 
cuit,  ou  la  forme  particulière,  plate  ou  ronde,  qu'on  lui  donnait 
habituellement,  et,  d'autre  part,  que  les  noms  de  la  pâte  et  du 
levain  sont  encore  plus  divergents  que  ceux  du  pain.  Le  levain 
ne  m'a  pas  offert  une  seule  analogie  à  signaler,  et  la  pâte  ne 
présente  qu'un  seul  groupe  d'affinités  purement  européennes.1 
Les  rapprochements  assez  nombreux  qui  suivent,  et  qui  com- 
prennent également  les  noms  du  pain,  et  ceux  de  diverses 
espèces  de  gâteaux  de  céréales,  ne  prouvent  donc  en  réalité 
que  la  haute  ancienneté  de  leur  emploi  pour  l'alimentation. 
On  pouvait  l'inférer  déjà  du  fait  de  leur  possession  et  de 
leur  culture,  lequel,  à  son  tour,  reçoit  ainsi  une  confirmation 
de  plus. 

1)  Scr.  pita,  pain,  pitu,  nourriture;  rac.  pâ,  nutrire,  avec 
affaiblissement  de  â  en  i,  comme  dans  pitar,  père. 

Zend  pitu,  nourriture;  pers.  pâh,  id.;  brahui,  pâli,  pain; 
armén.  pan,  pâte,  pain. 

Messapien  7tccvqç,  lat.  pânis,  cf.  pâbulum  ;  ainsi  que  penus, 
penum,  provisions,  vivres  (omne  quo  vescimur,  Cicér.). 

Irland.  pain  (Corm.,  GL,  37,  134),  du  latin  (?)  ;  et  cymr. 
pain,  farine. 

Qoth.fôdeins,  nourriture,  fôdjan,  nourrir  ;  ags.  foda,  fother, 
scand.  fôdr,faeda,  anc.  ail.  fôtar,  etc.  La  dentale  n'appartient 
pas  à  la  racine  (Grimm,  D.  Gr.,  II,  224). 

1  Irl.  f  tais,  taes,  taos,  cymr.  toes,  armor.  tôaz.  Ags.  thaesma,  anc. 
ail.  deismo,  anc.  si.  et  russe  tZsto,  pol.  ciasto,  etc.,  hongrois  teszta. 

Lith.  taszlà,  teszlà.  Stokes  (Hem.2,  83)  compare  avec  beaucoup  de 
probabilité  le  gr.  <rraîç,  -ourôç,  pâte,  de  la  rac.  erra;  mais  il  semble 
alors  difficile  d'y  ramener  aussi  les  termes  germaniques  et  lithuaniens: 
le  slave  s'y  rattache  mieux. 


—     400     — 

Lith.  pénas,  provende,  fourrage,  etc. 

Cf.  p.  10  etseqq.,  et  les  formes  secondaires  7ra,Tîo(Acti,  man- 
ger, et  anc.  û.pitati,  nourrir. 1  La  différence  des  suffixes  semble 
indiquer  l'existence  de  deux  synonymes  primitifs  principaux, 
peut-être  pâta  et  pana,  pour  le  pain  et  la  nourriture.  Un 
thème  sansc.  pana  est  peut-être  conservé  dans  panasa,  l'arbre 
à  pain,  àepana  +  sa?i,  littéralement  qui  donne  de  la  nourriture. 

2)   Scr.  artika,  espèce  de  gâteau  (Wilson);  n'est  pas  admis 

dans  le  D.  P. 

Pers.  ârd,  farine,  ardah,  pain  de  fleur  de  farine,  avec  d 
pour  t,  comme  dans  kard,  couteau  =  zend  kareta.  —  Afghan. 
rotai ,  pain. 

Gt.  clqtoç>  pain. 

Le  terme  sanscrit  suppose  un  thème  plus  simple  arta,  sans 
doute  de  la  rac.  r,  ar,  dans  le  sens  de  obtinere,  ou  analogue  à 
rta,  ce  qui  est  bien  en  ordre,  bien  disposé,  préparé.  Cf.l'adv. 
aram  et  aram  kar,  préparer.  Le  grec  ccqtoç  se  rattache  de 
même  à  cLçoù,  comme  ccçtiqç,  préparé,  achevé,  l'adv.  ccqti, 
et  les  dénominatifs  uçria,  cLqti&,  etc.  Le  kourde  âr,  ar, 
farine,  peut  appartenir  à  la' même  racine,  ainsi  que  l'irl.  ardn, 
pain,  si  ce  n'est  pas  là  une  simple  variante  de  bardn,  qui 
reviendra  plus  loin. 

3)  Scr.  pûra,  pûrikâ,  gâteau  sans  levain  frit  au  beurre  ou 
à  l'huile,  pôlî,  pôlikâ,  pûlikâ,  pâulî,  pâulikâ ,  gâteau  plat, 
d'orge  ou  de  froment,  pulaka,  boule  de  pain  pour  les  élé- 
phants, etc.  —  La  rac.  est  pf,  pur,  par,  complere,  satiare, 
nutrire,  piparti,  papâra,  à'oiipuru,pulu,  ttoXvç,  etc. 

Pers.  pûrah,  pain  et  viande  bouillis  ensemble,  pûlâd,  pôlâd, 

1  Sur  la  conjecture  de  Stokes,  qui  rattache  à  pituYirl.  ith,  blé,  etc., 
pour  pith,  cf.  t.  I,  p.  325. 


—     401     — 

riz  bouilli,  pûlânî,  potage  de  gruau  \  fur  ni,  riz  bouilli  dans  du 
lait.  Cf.  géorgien  puri,  pain. 

Gr.  7rvçoç,  froment  (Cf.  t.  I,  332,  pour  le  lithuanien  et  le 
slave),  ttvqvoçj  7rvçvov,  pain  de  froment;  7toXtqç,  bouillie:  cf. 
7roXvç  et  pulu,  7roAiç  et  pura;  peut-être  aussi  7TèAuvoç, 
espèce  de  gâteau,  bouillie  de  farine,  et  même  7r&\v\,  7rcLi7raAri, 
fleur  de  farine,  d'après  les  variations  de  la  voyelle  dans  pur, 
par  et  par. 

Lat.  puis,  pultis,  bouillie  de  farine,  pulmentum,  aliment, 
polenta,  gruau  d'orge. 

Lith.  appora,  gâteau  de  farine  d'avoine  (?),  pyragas,  pain 
de  froment.  Cf.  pûrai,  froment. 

Illyr.  upurak,  gâteau  (?)  ;  russe  pirôgu,  pâté,  polon.  pirbg, 
boulette  de  farine  et  de  fromage.  Cf.  anc.  si.  pyro,  froment, 
pirënie,  convivium,  russe pirïï,  festin,  pir a,  seigle,  etc.  L'i  est 
ici  pour  u,  comme  dans  le  lith.  pilnas  =  scr.  purna,  plenus, 
ou  le  goth.  filu  =  scr.  pulu. 

4)  Scr.  ôkula,  gâteau  de  froment,  peut-être  de  ava-kula, 
comme  ô  pour  ava  dans  ôgana,  ôpaça  (D.  P.),  mais  le  sens 
étymologique  reste  obscur.  Cf.  êûlikâ,  gâteau  de  froment  frit 
dans  du  beurre. 

Pers.  kulî,  kulîé,  grand  gâteau  de  farine,  kulîcah,  pain  rond 
de  fine  farine,  et,  en  général,  objet  rond,  disque,  lingot,  etc. 
Ossète  gui,  pain  blanc  (?). 

Lith.  kukulys,  pain  rond,  gâteau. 

Russe  kullcû,  brioche;  boh.  kolac,  gâteau. 

Alban.  kuljac,  gâteau. 

Peut-on  comparer  aussi  le  grec  ^oÀÀ<|,  KoWvça,  pain  ou 
gâteau  rond  et  allongé,  xoÀAaQoç,  espèce  de  pain  de  froment  ? 
D'après  le  persan  et  le  lithuanien  kulys,  paquet,  kulkà,  boule, 

II  26 


—     402     — 

pol.  kula,  boh.  kule,  id.,  etc.,  l'idée  de  rotondité  semble  être 
ici  la  primitive. 

5)  Scr.  pishtaka,  gâteau  de  farine;  pishtika,  gâteau  de  riz. 
Cî.pishta,  broyé,  pétri,  et  farine,  rac.  pish  (Cf.  p.  159  et  sqq.). 

Ane.  si.  pishta,  cibus,  russe  pishéa,  illyr.  pichja,  etc.,  peut- 
être  proprement  farine  ou  pain. 

6)  Scr.  upakârikâ,  espèce  de  gâteau;  de  upa-kâra,  prépa- 
ration, service,  rac.  kr,  facere.  —  A  la  même  racine  se  rap- 
portent : 

Lith.  karaiszis,  gâteau. 

Russe  Jearavdïj  korovâï,  gros  pain  rond. 

7)  Scr.  dhâna,  grain  grillé  et  moulu  ;  au  pluriel  dhânâs, 
orge  ou  riz  grillé  ;  rac.  dhâ,  sustentare,  alere. 

Lith.  dûna,  pain  (?). 

8)  Armén.  barên,  pain;  boukhar.  barï,  id.;  siahpôsh,  bre, 
farine. 

Irl.  erse  bar,  bâran,  cymr.,  armor.  bara,  pain. 

Cf.  sanscr.  bhara,  qui  nourrit,  soutient,  bharana,  nutrition, 
bharîman,  nourriture,  rac.  bhr,  sustentare,  ferre;  pers.  bar, 
nourriture,  bar,  orge,  etc.  (v.t.  I,  p.  335);  lat.  far,  farina,  etc. 
Il  faut  séparer  de  ce  groupe  l'anglo-sax.  bread,  scand.  braud, 
anc.  ail.  brôt,  pain,  qui  dérive  du  verbe  fort  brâtan,  frigere. 
L'anc.  irl.  bairgen,  pain  (Z.2,  4),  se  lie  de  même  à  la  rac.  scr. 
blirg,  bharg,  frigere,  comme  le  synonyme  bras,  braise,  à  la  rac. 
bhrasg,  id.  (Cf.  p.  337.) 

9)  Pers.  kirpah,  gâteau  mince  et  rond. 

Lith.  klépas,  lett.  hlaips,  pain.  —  Anc.  si.  chliebu,  etc. 
Goth.  hlaifs,  ags.  lilâf,  scand.  hleifr,  anc.  ail.  hlaib,  etc. 
Cf.  p.  336,  et  en  particulier  Fane,  slave  crépu ,  testa,  et  le 
russe  kripicu,  brique,  en  tant  que  cuite. 

10)  Belout.  mânî,  pain.  Cf.  ossète  manaw,  mannau,  froment. 


—     403     — 

Irland.  mann,  pain,  froment,  nourriture  ;  f  men,  farine 
(Z.2,  10).1 

Cf.  t.  I,  330,  le  scr.  su-mana,  froment,  etc. 

11)  Pers.  nân,  pain  et  gâteaux  divers;  kourde  et  boukhar. 
nân,  armén.  ngan,  id. 

Gr.  yctvoç,  gâteau  au  fromage. 

Ce  nom  du  pain  se  retrouve  au  loin,  dans  les  dialectes  fin- 
nois, éniséens  et  samoièdes,  sous  les  formes  de  nann,  nân,  nen, 
niân,  etc. 

§  287.  LA  SOUPE  ET  LE  BOUILLON. 

L'accord  de  plusieurs  termes  est  ici  remarquable,  et,  s'il 
n'est  pas  sûr  que  les  anciens  Aryas  aient  connu  l'usage  du 
pain  proprement  dit,  il  est  certain,  par  contre,  qu'ils  ont  été 
des  mangeurs  de  soupe. 

1)  Notre  français  soupe,  quelle  que  soit  sa  source  prochaine, 
est  un  mot  vénérable  par  son  antiquité,  car  il  correspond 
exactement  au  sansc.  sûpa,  potage,  bouillon,  sauce,  et  aussi 
cuisinier,  comme  sûpakâra,  littéralement  faiseur  de  soupes, 
sûpika,  bouillon,  sûpya,  potage,  sâupika ,  adj.,  arrosé  de 
bouillon.  La  racine  est  probablement  su,  succum  exprimera, 
d'où  dérivent  également  sava,  suc,  eau,  abhishava,  abhishuta, 
bouillie  aigre  de  gruau,  et  le  nom  du  sôma,  la  liqueur  sacrée.2 
Les  corrélatifs  européens  sont  les  suivants  : 

Anglo-sax.  sop,  scand.   sûp,  sûpa,  saup,  soppa,  jus,  sorbil- 

1  O'R.,  peut-être  de  wanna,  comme  dans  Z.2,  634,  et  O'Dav.,  Gl., 
105.  Ce  dernier  a  aussi  matin  =  eruithnecht,  froment. 

2  Le  D.  P.  ne  donne  pas  d'étymologïe.  On  pourrait  peut-être  l'ex- 
pliquer par  su  -f-  ap,  bonne  eau,  d'après  l'analogie  de  kûpa,  suivant 
le  D.  P.,  de  ku-ap  (v.  p.  344).  Cf.  aussi  sûda  —  kûpa  (p.  344). 


—     404     — 

lum,  avec  le  p  primitif  inaltéré,  mais  changé  régulièrement  en 
/  dans  l'anc.  ail.  suf,  sauf,  sufil,  * 

Armor.  souben,  soupe,  soub,  infusion,  soubil,  sauce,  souba, 
tremper.  Cf.  cymr.  sew}  jus  de  viande,  bouillon  =  scr.  sava. 

Russe  supû,  pol.  supa. 

Lith.  suppa. 

Les  langues  classiques  n'en  offrent  pas  de  trace. 

2)  Un  second  terme  non  moins  bien  conservé  est  le  scr. 
yû,  yûs,  yûsha,  yûshan,  bouillon,  bouillon  de  viande,  potage, 
soupe  aux  pois,  eau  dans  laquelle  on  a  fait  bouillir  des  légumes, 
probablement  de  la  rac.  yu,  miscere  (Cf.  Pott,  Et.  F.,  II,  327, 
et  Fick,  162). 

Lat.  jus,  jusculum,  bouillon. 

Ane.  slave  iucha,  id.;  russe  ucha,  ushka,  ushitsa,  soupe  au 
poisson;  polon.  iucha,  iuszka,  espèce  de  sauce;  illyrien  juha, 
bouillon,  etc. 

Ane.  prus.  juse,  bouillon,  \ith.  jtisze,  soupe  de  pâte  aigre  et 
d'eau,  juk/cà,  soupe  au  sang  d'oie,  etc.  Le  lettique  jau-t, 
mêler  de  la  farine  avec  de  l'eau,  offre  encore  la  rac.  yu  à  l'état 
simple. 

Armor.  ioud,  iôd,  iôt,  cymr.  uwd,  bouillie  de  farine  au  lait. 
Le  suffixe  est  ici  différent. 

Le  scanà.  juck,  bouillon,  soupe  (cf.  ail.  mod.jauche),est  peut- 
être  emprunté  au  slave,  où  le  ch  remplace  la  sifflante;  mais 
l'anc.  ail.  jussol,  bouillon,  pourrait  bien  être  purement  germa- 
nique, à  moins  qu'il  ne  provienne  du  latin  jusculum. 

3)  Scr.  rasâlâ,  rasikâ,  lait  caillé  au  sucre  et  aux  épices; 

'  Mais  cf.  le  verbe  fort,  scand.  sûpa  (saup,  supum);  ags.  sûpan  ; 
anc.  ail.  sûfan,  ail.  saufen,  etc.,  sorbere,  potare,  qui  indiquerait  une 
rac.  sûp,  peut-être  une  forme  augmentée  de  su,  avec  sens  causatif. 


—     405     — 

rasaka,  bouillon.  Cf.  rasa,  jus,  saveur,  nourriture  (Naigh., 
II,  7). 

Lith.  rasalà,  rasdlas,  saumure.  Cf.  rasa,  rosée. 

Russe  rosôlu,  polon.  rosbl,  saumure,  bouillon.  —  Cf.  rosa, 
rosée. 

4)  Sanscr.  kashâya,  décoction  en  général,  comme  adjectif, 
astringent  au  goût;  rac.  kash,  scabere. 

Pers.  kashk,  soupe  épaisse  de  farine,  viande  et  lait  de  bre- 
bis, préparation  de  lait  de  beurre,  lait  aigre  sécbé;  kashkû, 
potage  de  gruau  d'orge,  kashkîn,  froment  macéré  dans  l'oxy- 
gal,  etc.;  armén.  kashu,  bouillon. 

Ane.  si.  kashitsa,  puis  (Mikl.,  Lex.,  284);  russe  kdsha,  gruau 
cuit,  kashitsa,  soupe,  kashevârû,  cuisinier.  Pol.  kasza,  id.,  kas- 
zanat,  marinade;  boh.  kasse,  bouillie. 

Lith.  kosze,  gruau,  koszenybe,  pot-pourri  de  viandes,  etc. 

Cf.  russe  kisélï,  bouillie  aigre,  lith.  kiselus,  bouillie  d'avoine, 
et  p.  47. 

5)  Pers.  shôrbâ,  shôrwâ,  soupe,  bouillon  ;  kourde  siorba,  id. 
Lat.  sorbitio,  -tium,  jus,  jusculum,  de  sorbeo. 

Irl.  moy.  sruban,  merenda  (Stokes,  Ir.  Gl.,  n°  143),  srûbôg, 
gorgée  de  liquide  (O'R.),  de  srûbaim,  sorbeo. 

Lith.  srubà,  soupe,  de  srubti,  srëbti,  ainsi  que  surbti,  surpti, 
sulpti,  humer,  sucer. 

Ane.  si.  srubaniie,  sorbitio.  Cf.   illyr.  barb.  ciorba,   soupe. 

Si  l'on  compare  de  plus  le  grec  po(Pîûo,  pvQec*),  po<Pct,vct), 
sorbeo,  d'où  poQrifAot,,  bouillon,  suivant  Pott  (Et.  F.,  II,  196) 
pour  <rpo<pè6û,  ou  suivant  Kuhn  (Z.  S.,  IV,  18)  pour  (ropQèct), 
si  l'on  ajoute  encore  l'allemand  schlùrfen,  on  ne  doutera  guère 
d'une  origine  commune  de  ces  divers  termes.  Il  semble  inutile 
toutefois  de  chercher,  avec  Kuhn,  à  les  ramener  à  une  racine 
primitive  hypothétique  svarb,  parce  qu'ils  ont  évidemment  le 


—     406     — 

caractère  d'onomatopées  qui  comportent  une  certaine  latitude 
de  variations  phoniques.  Vairon  déjà  fait  venir  sorbeo  du 
bruit  que  l'on  fait  en  aspirant  un  liquide,  et  qui  ne  saurait 
mieux  s'exprimer  que  par  la  triple  combinaison  d'une  sifflante, 
d'une  liquide  et  d'une  labiale.  La  même  onomatopée  se  repro- 
duit exactement  dans  l'hébreu  sâraph,  chald.  sraph,  sorbsit, 
glutivit,  arabe  sharïba,  bibit,  sharb,  sJrirb,  shurb,  action  de 
humer,  de  boire,  sharbat,  breuvage,  d'où  notre  mot  sorbet  peut 
provenir  aussi  bien  que  de  sorbitium.  Le  pers.  shôrbâ,  soupe, 
ainsi  que  sharâb,  vin,  kourde  siorba  et  sherab,  sont  sûrement 
empruntés  à  l'arabe,  comme  l'indique  le  sh  initial,  qui  ne 
représente  pas  régulièrement  Y  s  arienne.  Une  seconde  coïnci- 
dence du  même  genre  se  montre  dans  le  basque  zurrupatu, 
cJiurrupatu,  sorbere,  et  cette  onomatopée  est  ainsi  commune  à 
trois  familles  de  langues  distinctes. 

§  288.  LES  BOISSONS  FERMENTÉES. 

L'usage  de  liqueurs  spiritueuses  extraites  de  substances 
végétales  très-diverses,  fruits,  grains,  racines,  etc.,  se  retrouve 
chez  beaucoup  de  peuples,  même  sauvages,  de  l'ancien  comme 
du  nouveau  monde.  C'est  le  plus  ou  moins  de  variété  de  ces 
boissons,  et  l'art  apporté  à  leur  préparation,  qui  peuvent  ser- 
vir de  mesure  pour  l'industrie  d'une  race  d'hommes.  Sous  ce 
rapport,  les  anciens  Aryas  se  sont  distingués  assurément,  car 
ils  possédaient  plus  d'une  espèce  de  liqueurs  fermentées,  et 
c'est  chez  leurs  descendants,  orientaux  et  occidentaux,  qu'elles 
ont  été  portées  au  plus  haut  degré  de  variété  et  d'excellence. 
Les  Indiens,  en  particulier,  ont  su  tirer  des  richesses  de  leur 
règne  végétal  une  abondance  de  boissons  spiritueuses  dont  plus 


—     407     — 

de  soixante  noms  sanscrits  attestent  la  diversité,  et  les  Euro- 
péens de  leur  côté,  avec  des  ressources  plus  limitées,  ont 
obtenu  des  produits  d'une  perfection  sans  doute  supérieure. 
Au  temps  de  l'unité  toutefois,  cet  art  était  sûrement  dans  l'en- 
fance; mais  il  annonçait  déjà  ses  progrès  futurs,  car  plusieurs 
noms  de  liqueurs  fermentées  ont  été  conservés.  Un  des  an- 
ciens termes  qui  exprimaient  l'ivresse  prouve  encore  que  nos 
premiers  pères  en  connaissaient  fort  bien  les  effets,  et  indique 
en  même  temps  qu'ils  devaient  avoir  le  vin  gai.1  J'ai  traité 
ailleurs  déjà  de  quelques-uns  de  ces  noms  de  boissons.  J'y 
reviens  ici  pour  y  ajouter  quelques  observations. 

A)  Le  vin. 

1)  Au  t.  I,  p.  311  et  sqq.,  j'ai  parlé  déjà  de  plusieurs  noms 
du  vin  qui  paraissent  avoir  une  origine  arienne.  J'ai  traité 
plus  spécialement  du  groupe  principal  de  ces  noms,  issu  proba- 
blement d'un  thème  primitif  *  vîna,  et  arien  plutôt  que  sémi- 
tique. La  même  conjecture  peut  s'appliquer  à  un  autre  terme 
sémitique,  l'hébreu  sobè,  vin,  arabe  salriyat,  suivant  Gesenius 
de  sâbâ,  boire  avec  excès,  se  gorger  de  boisson,  d'où  sâbâ, 
adj.,  ivre,  avec  le  b  doux,  sans  point  diacritique,  =  v.  Si  l'on 
compare  ce  qui  a  été  dit  (  t.  I,  305  )  sur  le  HaÇioç  phrygien 
et  sa  connexion  probable  avec  le  sansc.  sava,  on  ne  pourra 
guère  se  défendre  d'y  rattacher  aussi  les  mots  sémitiques. 
Boire  avec  excès,  c'est  s'administrer  des  libations,  en  sanscrit 
sâva,  de  su,  au  causât,  sâvay.  Wilson  (Dict.,  p.  910)  donne  à 
savana  le  double  sens  d'extraire  et  de  boire  le  sôma,  tout 
comme  à  sûta  (p.  940)  celui  de  drank,  bu.  Il  y  aurait  là  un 

1  Cf.  t.  I,  p.  317,  note. 


—     408     — 

nouvel  indice  des  antiques  relations  entre  les  Aryas  et  les 
Sémites  dans  les  régions  où  la  vigne  était  indigène. 

2)  Quant  au  scr.  surâ,  zend  hura,  venant  également  de  su 
et  rendu  tour  à  tour  par  vin  et  boisson,  mais,  dans  le  D.  P., 
seulement  par  liqueur  alcoolique,  eau-de-vie,  j'ai  présumé  (t.  I, 
305)  qu'il  avait  eu  dans  l'origine  les  deux  premières  acceptions. 
Celle  de  boisson  en  général  se  confirmerait  par  le  fait  que  surâ 
a  passé  à  la  bière  dans  le  mot  suani  (géorgien)  sura,  le  turc 
sra  et  l'éniséen  syrd.1  Le  persan  moderne  sur,  liqueur  extraite 
du  riz,  et  sûr,  vin  rouge,  doivent  être  des  mots  d'emprunt,  vu 
le  maintien  de  Y  s. 

En  Europe,  on  peut  comparer  peut-être  le  russe  syrétsu, 
avec  une  autre  application  à  l'hydromel  non  cuit,  et  allié  à 
syrôi,  humide,  venant  de  l'anc.  si.  syru,  sourovïï,  id. 

3)  Pour  quelques  autres  noms  du  vin,  sûrement  fort  an- 
ciens, cf.  les  rapprochements  européens  avec  le  persan  mus- 
târ,  moût  (t.  I,  317),  le  scr.  halâ,  hâlâhalî  (ibid.),2  et  l'ossète 
san,  sanna  (t.  I,  318). 

1  Pour  le  sens  de  boisson,  cf.  aussi  le  scr.  surâ,  coupe  à  boire  pour 
les  spiritueux  (D.  P.). 

2  A  l'appui  d'une  provenance  de  la  rac.  har,  transporter,  enlever, 
ravir  (entzùcken),  soit  de  colère  (haras),  soit  de  joie  (xxpx),  cf.  hary, 
désirer  quelque  chose,  haryata,  désirable,  aimé,  hâra,  hârin,  qui 
transporte  les  sens,  ravissant,  magnifique.  En  fait  de  formations  ana- 
logues à  hâlâhalî,  liqueur  spiritueuse,  on  peut  citer  halahalâ,  inter- 
jection d'applaudissement,  hârahûra,  liqueur  enivrante,  hârahâra, 
-râ,  hârahûra,  espèce  de  raisin. 

Le  double  sens  de  har  (favorable  ou  défavorable,  joie  et  colère, 
délire)  explique  pourquoi  halâhala  peut  désigner  une  espèce  de  poi- 
son violent  (D.  P.). 

La  rac.  hal  (de  har),  dans  l'acception  de  labourer  à  la  charrue, 
signifie  proprement,  comme  karsh,  tirer,  traîner,  enlever  la  terre,  etc. 


—     409     — 

B)  L*  hydromel. 

S'il  peut  rester  des  doutes  sur  la  possession  du  vin  par  les 
Aryas  du  temps  de  l'unité,  il  ne  saurait  en  être  de  même  pour 
l'hydromel,  dont  le  nom  s'est  maintenu,  en  Asie  et  en  Europe, 
dans  les  principales  langues  de  la  grande  famille.  On  sait  que 
le  miel  mêlé  d'eau  donne  par  la  fermentation  une  liqueur  spi- 
ritueuse  très-agréable,  et  longtemps  rivale  du  vin  qui,  parfois, 
en  a  pris  le  nom  chez  plusieurs  peuples.  Pour  ce  nom,  le  scr. 
madhu,  n.,  qui  est  aussi  celui  du  miel,  et  pour  ses  corrélatifs 
divers,  je  puis  renvoyer  au  t.  I,  p.  510.  La  transition  au  sens 
de  vin,  qui  se  remarque  également  dans  le  scr.  madhu  (D.  P., 
V,  484),  lé  grec  fJLî&v,  déjà  homérique,  et  l'anc.  si.  inedïï, 
oïvoç  (Miklos.,  Leos.j  365),  doit  être  à  coup  sûr  fort  ancienne, 
bien  qu'elle  ne  se  remarque  pas  dans  les  Vêdas. 

C)  La  bière,  etc. 

Le  vin  et  l'hydromel,  ce  dernier  surtout,  sont  les  seules 
boissons  fermentées  dont  la  linguistique  comparée  permette 
de  faire  remonter  l'usage  jusqu'aux  Aryas  primitifs.  Il  n'en 
est  pas  ainsi  de  la  bière,  bien  qu'ils  possédassent  l'orge  d'où 
on  la  tire.  Ses  noms  sont  beaucoup  plus  divergents,  et  sans 
doute  d'une  origine  plus  récente.  Le  sanscrit  ne  m'en  a 
offert  aucun  exemple  sûr.1  Quelques-uns,  comme  le  mot  suani 
sura  et  l'illyr.  subaja,  semblent  avoir  été  empruntés  à  ceux 

'*  Wilson  donne  bien  yavasura,  n.,  ou  -surâ,  f.,  liquor  distilled 
from  barley,  et  béer;  mais  le  D.  P.  n'admet  que  la  première  accep- 
tion, et  d'après  le  sens  ordinaire  de  surâ,  eau-de-vie,  il  ne  s'agit  pas 
ici  de  la  bière. 


—     410     — 

du  vin  (Cf.  p.  408  et  t.  I,  p.  305).  Le  pers.  bârah  se  rattache 
clairement  à  bar,  orge;  mais  n'a  aucun  rapport  réel  avec  l'anc. 
ail.  bior,  ags.  beor,  scand.  bior,  etc.,  d'où  notre  bière,  bien  que 
le  goth.  baris,  ags.  bere,  scand.'  barr,  orge,  réponde  au  persan 
bar} 

1)  Une  seule  affinité  à  signaler  comme  assez  sûre,  bien 
qu'indirecte,  est  celle  de  l'armén.  karôghi,  boisson  fermentée 
(ôglù)  d'orge  (kari),  avec  le  celtib.  ceria,  gaul.  cerevisia,  cer- 
voise  (Cf.  t.  I,  341),  ainsi  qu'avec  le  gr.  oivoç  Kp&ivoç,  bière, 
si,  comme  je  le  crois,  x,fu9~y}  est  étymologiquement  allié  à 
l'arménien  kari. 

2)  Parmi  les  noms  européens  de  la  bière,  un  groupe  assez 
étendu  paraît  se  rattacher  au  nom  sanscrit  et  arménien  d'une 
boisson  fermentée,  mais  qui  n'est  pas  la  même.  C'est  le  lith. 
alus,  alukas,  espèce  de  bière  indigène,  auquel  répondent  l'anc. 
slave  olu,  olovina,  sicera,  le  scand.  ôl,  ags.  eala,  alodh,  angl. 
aie?  En  sanscrit,  nous  trouvons  ali,  liqueur  spiritueuse,  et  en 
armén.  ôglù  =  ôli,  boisson  fermentée.  La  racine,  partout  la 
même,  est  peut-être  ar  (al),  dans  le  sens  d'élever,  d'exciter, 
de  stimuler.5 

1  Suivant  Schleieher  (Z.  S.,  VII,  224),  bior  viendrait  du  slave  pivo, 
gén.  pivese,  thème  pivas,  bière,  proprement  boisson,  de  piti,  pivati, 
boire,  comme  ttTvov,  bière,  de  tt/vw.  Ce  pivas,  affaibli  et  contracté  en 
*  bius  par  le  gothique,  serait  devenu  bior,  avec  le  changement  ordi- 
naire de  s  en  r.  Par  contre  ,  Wackernagel  et  d'autres  font  venir 
bior  d'un  subst.  latin  biber,  boisson,  l'italien  bévere,  béere.  Cf.  Diez, 
Wb.,  I,  69.  L'irl.  beoir,  cymr.  bwr,  armor.  biorch,  sont  germaniques 
ainsi  que  l'ital.  birra. 

2  Cf.  irl.  ôl,  boisson,  ôlaim,  je  bois,  ôlach,  ivrogne,  etc. 

3  Je  laisse  de  côté  d'autres  rapprochements  purement  européens 
pour  les  boissons  spiritueuses,  et  je  me  borne  à  signaler  encore  la  cor- 
rélation du  cymr.  moy.  gwyraut,  liqueur  (Leg.,  I,  24),  corn,  gwiras, 
avec  le  scr.  vira,  f.,  boisson  enivrante.  De  part  et  d'autre,  l'idée  pre- 
mière est  celle  de  force,  si  l'on  compare  le  cymr.  gwyr,  vigoureux,  et 


—     411     — 

D)  Le  breuvage  d'immortalité'. 

Outre  les  boissons  fermentées  à  l'usage  de  l'homme,  les  an- 
ciens Àryas  en  avaient  une  à  laquelle  ils  attribuaient  une  ori- 
gine céleste,  qui  était  pour  les  dieux  mêmes  une  source 
d'immortalité,  et  une  des  offrandes  les  plus  propres  à  concilier 
leur  faveur.  Je  dois  laisser  de  côté  les  mythes  divers  qui  se 
rattachaient  à  ce  divin  breuvage,  et  dont  les  traits  caractéris- 
tiques se  retrouvent  également  chez  les  Indiens,  les  Iraniens, 
les  Grecs  et  les  Germains.  Je  puis  renvoyer  pour  cela  au  beau 
travail  que  Kuhn  a  publié  sur  ce  sujet,  et  qui  fait  autant  d'hon- 
neur à  son  érudition  qu'à  sa  compréhension  juste  et  profonde 
de  la  poésie  des  mythes.1  Je  ne  veux  ici  que  rappeler  les  quel- 
ques analogies  de  noms  qui  ont  été  signalées  depuis  long- 
temps. 

Quelle  a  été  dans  l'origine  la  nature  de  cette  boisson  mer- 
veilleuse ?  C'est  ce  qu'il  est  difficile  de  savoir,  parce  que  sa  pré- 
paration a  dû  varier  à  partir  de  l'époque  de  la  dispersion  des 
Aryas.  Les  Indiens  tiraient  leur  sôma  de  YAsclepias  acida, 
dont  ils  mêlaient  le  suc  avec  du  lait.2  Les  Iraniens  extrayaient 
leur  liaoma  d'une  autre  plante  grimpante  comme  la  vigne,  et 
dont  les  feuilles  ressemblaient  à  celles  du  jasmin.5  Dans  la  tra- 
ie scr.  vira,  homme  fort,  suivant  le  D.  P.,  de  la  même  racine  que 
vayas,  force,  savoir,  vi  (vayati),  mettre  en  mouvement,  pousser,  exci- 
ter. Cf.  virât  â,  virilité,  ainsi  que  le  latin  vis,  pi.,  vires,  etc. 

1  Die  Herabkunft  des  Feuers  und  des  Gôttertranks.  Berlin,  1859. 

2  Ou,  plus  tard,  suivant  le  D.  P.,  du  Sarcostemma  acidum,  plante  à 
suc  doux  et  acidulé,  mais  qui  ne  croit  qu'au  sud  du  Pendjab,  la  de- 
meure des  Indiens  védiques.  La  plante  aura  été  changée  par  suite  des 
migrations  ultérieures. 

3  Kuhn,  1.  cit.,  p.  418.  Sôma  et  haoma,  de  su,  hu,  succum  expri- 
mere,  ne  signifie  proprement  que  suc  exprimé. 

Sur  le  haoma,  jaune  et  blanc,  cf.  Justi  (313)  et  Haug  (Essays^Sd). 


—     412     — 

dition  conservée  par  le  Mahâbhârata,  le  breuvage  d'immor- 
talité, V  amrta,  est  obtenu  par  le  barattement  de  l'océan  de 
lait,  auquel  se  mêlent  les  sucs  de  toute  sorte  de  plantes,  sucs 
que  distille  la  montagne  Mandara  mise  en  feu  par  la  rotation. 
Il  est  donc  probable  que  la  liqueur  désignée  tour  à  tour  par 
les  noms  de  sôma  et  à'amrta  se  composait,  dans  le  principe,  de 
quelque  suc  végétal  combiné  avec  du  lait. 

Au  sanscr.  amrta,  immortel,  correspond  le  gr.  ctfjL^ooToç  ou 
ctQpoTog,  comme  @f)0T0ç,  mortel,  à  mrta.  De  là  le  nom  de  l'am- 
broisie, a{ibpo(nct,  qui  serait  en  sanscrit  amrtyâ  ou  amartyâ, 
synonyme  de  amrta.  Un  autre  équivalent  paraît  se  retrouver 
dans  le  persan  amarâ,  vin;  cf.  zend  et  sanscrit  amara,  immor- 
tel, mot  peut-être  synonyme  de  haoma  chez  les  anciens 
Iraniens.  L'ambroisie,  dans  Homère  et  ailleurs,  désigne 
la  substance  dont  se  nourrissaient  les  dieux,  et  leur  bois- 
son était  le  nectar;  mais,  d'après  Athénée,  d'autres  y  voyaient 
un  breuvage,  et  dans  la  langue  sacerdotale,  elle  désignait 
l'eau  pure.  Il  est  à  remarquer  qu'en  sanscrit  même,  suivant 
les  lexicographes,  le  nom  à* amrta  s'applique  également  à 
l'eau,  au  lait,  au  beurre  clarifié  et  au  riz  bouilli,  ainsi  qu'à  la 
nourriture  en  général.  Chez  les  Grecs  toutefois,  aucune  idée 
spéciale  ne  s'attachait  à  la  composition  de  l'ambroisie  et  du 
nectar,  devenus  des  choses  purement  mythiques. 

Ce  nom  de  la  boisson  divine  ne  s'est  pas  conservé  chez  les 

L'espèce  à  fleurs  jaunes  se  trouve  dans  le  Gilad,  le  Mazenderan, 
le  Shirvân  et  le  Yezd.  Ses  rameaux  noueux  et  séehés  sont  piles  dans  un 
mortier,  et  arrosés  d'eau,  ce  qui  produit,  d'après  le  procédé  des  Parsis 
actuels,  une  liqueur  de  très-mauvais  goût,  au  dire  de  Haug,  qui  en  a 
goûté.  Le  Sôma  indien  devait  être  fort  différent,  vu  les  épithètes  lau- 
datives  que  lui  donne  le  Rigvèda,  telles  que  madhu,  madhumant, 
doux,  agréable,  mielleux,  madya,  exhilarant,  enivrant,  tîvra,  fort, 
piquant,  çukra,  çuci,  pur,  clair,  etc. 


—     413     — 

Scandinaves.  Dans  les  mythes  divers  qui  la  concernent,  ils  y 
ont  substitué  leur  miôdur,  hydromel,  le  sanscr.  madhu,  qui 
est  aussi  une  épithète  du  sôma.  Il  est  appelé  quelquefois 
ôdhreirir,  le  breuvage  d'inspiration  poétique,  et  ôminnisôl,  la 
liqueur  d'oubli.  Tel  serait  également,  suivant  Kuhn  (1.  cit., 
p.  175),  la  signification  propre  de  vîktcc^  la  boisson  qui  tue  le 
souvenir  des  choses  terrestres,  en  le  rapportant  à  vizco, 
=  scr.  naç,  vtxvc,  vzkooç,  nex,  etc. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


DU 


TOME  DEUXIÈME. 


LIVRE   TROISIEME. 

LA    CIVILISATION    MATERIELLE    DES    ANCIENS    ARYAS. 

Pages. 
§     160.  Observations  préliminaires 1 

CHAPITRE  I. 

Le  genre  de  vie 4 

Section  I. 

§  161.  La  chasse  et  la  pêche ïb. 

Section  II. 

§  162.  La  vie  pastorale 9 

Article  I. 

§  163.  Le  pâtre 10 

Article  11. 
§  164.  Le  bétail  et  le  troupeau 17 


—     416     — 

Pages. 
Article  III. 

§  165.  Le  pâturage 19 

Article  IV. 

§  166.  Les  lieux  de  réunion   des    troupeaux,   l'enclos, 

Tétable 23 

Article   V.  —    Les  produits  du  troupeau. 

§  167.  La  chair,  la  viande 27 

§  168.  La  peau,  le  cuir 29 

§  169.  La  laine 30 

§  170.  Le  laitage '  32 

A)  Le  lait  et  la  crème.     .........  33 

B)  Le  beurre  et  sa  préparation 40 

Q)  La  caillebotte  et  le  fromage 45 

Article   VI. 

§  171.  Termes   divers  empruntés  à  la  vie  pastorale.     .  48 

§  172.  Le  troupeau  et  la  richesse 49 

§  173.  La  vache  et  la  famille.     . 55 

§  174.  Les  vaches  et  les  fleuves 57 

§  175.  Le  pasteur  et  le   roi 61 

§  176.  Le  pasteur  et  l'hospitalité 63 

§  177.  La  vache  et  la  guerre 68 

§  178.  Mesures  diverses   empruntées  à  la  vie  pastorale.  71 

§  179.  Les  divisions   du  jour 75 

§  180.  La  vache  et  quelques   noms  de   plantes  et  d'oi- 
seaux   81 

§  181.  Verbes  dérivés  du  nom  de  la  vache.     ....  84 

Article   VIL 

§  182.  Le  symbolisme  mythique  de  la  vache.     .     .     .     .  87 

§  183.  La  vache   et  la  terre 89 

§  184.  Les  vaches  et  les  nuages. 93 


—     417     — 

Pages. 

§  185.  Les  vaches  et  les  rayons  solaires 94 

§  186.  Les  vaches  et  les  astres,  le  taureau  et  le  soleil.     .  96 

Article  VIII. 

§  187.  Observations 100 

Section  III. 

§  188.  L'agriculture 101 

Article  I.  —  Le  labourage  et  ses  instruments. 

§  189.  Le  labourage  en  général 103 

§  190.  La  terre  et  le  champ 106 

§  191.  Le  sillon 110 

§  192.  La  bêche  et  la  pioche 112 

§  193.  La  charrue  et  le  soc 117 

§  194.  Lejoug "...  126 

§  195.  Laherse 129 

Article  IL 

§  196.  Les  semailles 131 

Article  III. 

§  197.  La  moisson  et  ses  instruments 135 

§  198.  La  faux,  la  faucille 138 

§  199.  La  fourche 140 

§  200.  Le  char  et  ses  parties 142 

A)  Le  char  en  général 143 

B)  La  roue 145 

Q)   Le  moyeu 148 

D)  L'essieu.     . 149 

E)  Le  timon 150 

Article  IV.  —  La  préparation  des  céréales. 

§  201.  Le  battage  et  Taire 153 

il  27 


—     418     — 

Pages. 

§  202.  Le  van  et  le  crible 155 

§  203.  La  mouture,  le  moulin,  la  meule,  la  farine,  le  son.  158 

Article  V. 

§  204.  Résumé  et  observations 161 

CHAPITRE  IL 

§  205.  Les  arts  et  métiers 165 

Section  I. 

§  206.  Le  métier  et  l'artisan  en  général 166 

Section  IL 

§  207.  Le  travail  des  bois 169 

§  208.  Le  charpentier 170 

§  209.  La  hache 171 

§  210.  Le  couteau 177 

§  211.  La  tarière 180 

§  212.  Observations  sur  d'autres   outils 181 

Section  III. 

§  213.  Le  travail  des  métaux 183 

§  214.  La  fusion ïb. 

§  215.  La  forge  et  le  forgeron 185 

§  216.  Le  soufflet 189 

§  217.  L'enclume 192 

§  218.  Le  marteau 193 

§  219.  Les  tenailles 195 

§  220.  La  lime 196. 

§  221.  Observations 197 

Section  IV. 

§  222.  Les  constructions 199 

Section  V. 

§  223.  Le  travail  des  étoffes 203 


—     419     — 

Pages. 

Article  I. 

§  224.  Le  filage 204 

§  225.   La  quenouille   et  le  fuseau 212 

§  226.  Les  produits  du  filage,  le  fil,  la  corde 215 

Article  IL 

§  227.  Le  tissage 219 

§  228.  Le  métier  à  tisser 226 

§  229.  La  chaîne  et  la  trame 229 

§  230.  Les  produits  du  tissage •    .     .  231 

Article  III. 

§  231.  La  couture 232 

Section  VI. 

§  232.  La  navigation 234 

§  233.  Le  bateau 235 

§  234.  La  rame  et  le  gouvernail 240 

§  235.  L'ancre 244 

§  236.  Observations 245 

Section  VIL 

§  237.  La  guerre   et  les    armes 246 

Article  I. 

§  238.  La  guerre  en  général,  le  combat,  l'armée.     .     .  ib. 

§  239.  La  guerre  des   sièges,  le   rempart,  la  forteresse.  252 

§  240.  Le  guerrier,  le  héros 254 

§  241.  L'espion. 258 

§  242.  L'ennemi 259 

§  243.  Le  butin 263 

§  244.  La  gloire. 265 

Article  IL 

§  245.  Les  armes  et  les  insignes  de  guerre 266 


—     420     — 

Pages. 

§  246.  La  lance,  la  pique,  le  javelot. 268 

§  247.  La  flèche 272 

§  248.  L'arc 276 

§  249.  La  corde  de  l'arc 280 

§  250.  Le  carquois 282 

§  251.  L'épée,  le  sabre,  le  poignard 285 

§  252.  La  massue -288 

§  253.  Le  bouclier 289 

§  254.  L'armure 292 

§  255.  Le  casque 295 

§  256.  Le  drapeau,    l'enseigne 296 

§  257.  La  trompette   de   guerre 300 

§  258.  Observations 302 

CHAPITRE  III. 

§  259.  Les  produits  de  l'industrie 304 

Section  I. 

§  260.  Les  habitations ib. 

Article  I. 

§  261.  La  maison  en  général 305 

§  262.  Le  mur,  la  paroi 315 

§  263.  Le  toit 317 

§  264.  La  porte  et  ses  parties 321 

A)  La  porte  en   général ib. 

B)  Le  gond 323 

Cj  La  fermeture  de  la  porte 324 

DJ  Le  seuil 327 

§  265.  La  fenêtre ib. 

Article  IL  —  L'intérieur  de  la  maison. 

§  266.  La  chambre 328 


—     421     — 

Pages. 

§  267.  La  cuisine 331 

§  268.  Le  foyer,  le  four,   la  cheminée 334 

Article  III.  —  Les  abords  de  la  maison. 

§  269.  La  cour 340 

§  270.  Le  puits,  la  citerne.     .   m 343 

Article  IV.  —  Les  meubles  et  ustensiles  déménage. 

§  271.  Le  lit 346 

§  272.  Le  siège  ,  la  chaise  et  le  banc 350 

§  273.  La  table 351 

§  274.  Récipients  divers,  caisse,  tonneau,  panier,  sac,  et 

vases  de  toute  espèce 352 

§  275.  Note  sur  Pemploi  du  verre 365 

§  276.  Ustensiles  domestiques    divers 367 

A)  Le  balai ib. 

BJ  Le  tamis,  le  filtre 369 

Ç)  La  lampe 371 

DJ  La  cuiller 372 

Article  V. 

§  277.  Le  village  et  la  ville 372 

§  278.  Rues,  routes,  ponts 376 

§  279.  Conduites    d'eau,    canaux,   aqueducs,   etc.     .     .  379 

Section  IL 

§  280.  Vêtements   et  ornements 380 

§  281.  Les  vêtements   du  corps 381 

§  282.  La  chaussure 387 

§  283.  La  coiffure 391 

§  284.  Ornements   divers,  colliers,  bracelets,  anneaux.  393 

Section  III. 

§  285.  Aliments    et  boissons 397 

§  286.  Le  pain  et  autres  préparations  de  céréales.     .     .  398 


—     422     — 

Pages. 

§  287.  La  soupe   et  le  bouillon 403 

§  288.  Les  boissons  fermentées 406 

A)  Le  vin .  407 

B)  L'hydromel 409 

CJ  La  bière,  etc ib. 

DJ  Le  breuvage  d'immortalité.     .     .     .     .     .  411 


FIN  DE  LA  TABLE  DES  MATIERES 
DU  TOME  DEUXIÈME. 


La  Blbtiotkiqud 
Université  d'Ottawa 
Echéance 


Thd  Llbticviy 
Uni  vers ity  of  Ottawa 
Date  Due 


03  JAN..Î0S& 


)(  Ui-U 


■ 


P  St.1  .Pb  1Ô77  V.  S 


M   II  I 


a39003  00 


0^8023b 


U  D'  /  OF  OTTAWA 


COLL  ROW  MODULE  SHELF    BOX   POS    C 
333    07       06        01       01     16    9