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Ud'/of Ottaua
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LES ORIGINES
INDO-EUROPÉENNES
ou
LES ARYAS PRIMITIFS
ESSAI DE PALÉONTOLOGIE LINGUISTIQUE
PAR
ADOLPHE PICTET
Ouvrage couronné par l'Académie française [Prix Volney)
DEUXIÈME ÉDITION, REVUE ET AUGMENTÉE
TOME DEUXIÈME
H-Cp.il
PARIS
LIBRAIRIE FI S CH BACHER
SOCIÉTÉ ANONYME
33, RUE DE SEINE, 33
Tous droits réservés.
BIBLIOTHEHA
°o/0^j%o 23
SU
LIVRE TROISIEME
LA CIVILISATION MATÉRIELLE DES ANCIENS ARYAS
§ 160. OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES.
Jusqu'à présent nous ne nous sommes occupés que des faits
relatifs à l'histoire extérieure de l'antique race arienne, à ses
origines locales, à son extension graduelle, et à ses migrations
lointaines. Ici et là seulement, nous avons pu signaler quel-
ques indices d'un développement matériel plus ou moins
avancé, tels que la possession des métaux usuels, des plantes
cultivées et des animaux domestiques. En abordant directe-
ment l'étude de cet ordre de faits, nous entrons dans un champ
de recherches d'un intérêt plus vif, mais aussi plus difficile à
tous égards, et les difficultés croissent encore quand on arrive
aux questions qui concernent l'état social, les mœurs, les
connaissances, les croyances de ce peuple primitif que nous
n'entrevoyons qu'à travers les débris de son langage, disper-
sés chez ses descendants. Cela résulte déjà de la nature des
problèmes à étudier. Les objets du monde extérieur restent
toujours les mêmes, et leurs noms se conservent avec une
persistance remarquable ; mais, dans la vie des peuples, tout
tend incessamment à changer, et d'autant plus que cette vie
elle-même a plus de puissance et de mouvement. Avec le pro-
II i
— 2 —
grès graduel, les usages, les mœurs, les institutions se trans-
forment, les connaissances s'étendent, les idées morales et reli-
gieuses se modifient, et cette marche n'est pas toujours régu-
lièrement progressive. Les migrations lointaines, les agitations
intestines, les guerres, amènent des temps d'arrêt, des reculs,
des perturbations, qui deviennent autant de points de départ
nouveaux pour de nouvelles évolutions des existences natio-
nales. Toutes ces phases diverses se reflètent fidèlement dans
les langues, et s'y reconnaîtraient à coup sûr si l'histoire de
ces dernières nous était mieux connue. Dans l'état actuel des
choses, les matériaux accessibles ne nous offrent plus que les
résidus épars, et confusément mêlés, des révolutions passées.
Les termes anciens, souvent difficiles à distinguer de leurs
synonymes plus récents, ont quelquefois changé de sens sous
l'influence des idées nouvelles, ce qui devient une cause fré-
quente d'incertitudes et d'erreurs possibles. Tout cela impose
une grande réserve, quant aux inductions à tirer pour l'époque
préhistorique. Nulle part ces observations ne s'appliquent
mieux qu'aux races ariennes qui, à partir du moment de leur
dispersion, se sont développées dans des directions si diverses.
Toutefois, cette diversité même est ce qui nous permet encore
de retrouver les traces des faits primitifs. Ce que telle langue
a perdu, telle autre l'a conservé, et, si l'on doit s'étonner de
quelque chose, c'est de l'abondance, plutôt que de la pénurie,
des éléments de comparaison qui ont résisté à l'action de tant
de siècles.
Pour nous faire une idée aussi complète que possible de la
civilisation matérielle des anciens Aryas, nous chercherons
d'abord quel a dû être leur genre de vie, pour les suivre après
cela dans les diverses branches de leur industrie, et de ses
produits variés. Il faut, d'ailleurs, rappeler ici une observation
— 3 —
déjà faite (t. I, p. 219): c'est que les éléments de la philologie
comparée ne peuvent nous éclairer que sur la dernière période
de l'existence sociale des Aryas avant leur dispersion, et que
cette période elle-même a dû être précédée par plusieurs
phases de progrès graduel. Ce n'est donc plus que par con-
jecture que nous pouvons distinguer dans le vocabulaire
l'âge relatif des termes, pour en tirer quelques inductions sur
l'histoire de l'ancienne civilisation. On peut bien présumer,
par exemple, que les noms relatifs à la famille remontent à
l'époque la plus reculée, par cela seul que la famille est le
principe même de toute société humaine ; mais rien ne prouve
que son organisation ait été dès le début aussi complète qu'elle
nous apparaît au temps qui a précédé immédiatement la dis-
persion de la race arienne. Il en est de même, et à un plus
haut degré, des différentes phases sociales qui ont dû d'abord
se succéder, mais dont les éléments ont sans doute coexisté
plus tard, dans la réalité comme dans la langue. Il est possible
que la vie de chasseur ait précédé la vie pastorale, comme
celle-ci l'agriculture ; mais les anciens Aryas ont pu rester
chasseurs et pâtres tout en devenant laboureurs, et le progrès
n'aura pas suivi la même marche chez des tribus placées dans
des conditions locales plus ou moins différentes. Si donc, dans
les recherches qui suivent, et pour plus de clarté, nous trai-
tons séparément de ces phases diverses dans l'ordre qui semble
le plus naturel, nous n'entendons rien préjuger sur la réalité
historique de cet ordre, quitte à signaler, chemin faisant, les
indications qui semblent l'appuyer. La même observation
s'appliquera aux autres sphères de la civilisation arienne que
nous étudierons tour à tour. Point d'hypothèses préconçues
et stricte observation des faits, telle est la règle que nous de-
vons nous imposer.
CHAPITRE Ier.
LE GENRE DE VIE.
SECTION I.
§ 161. LA CHASSE ET LA PÊCHE.
On ne saurait douter que les anciens Aryas, comme tous les
peuples du monde, n'aient cherché dans la chasse et la pêche
des moyens de subsistance, d'autant plus que leur pays devait
abonder en gibier de toute espèce ; mais rien n'indique qu'ils
aient débuté par être exclusivement chasseurs, à l'exemple de
certaines tribus sauvages. Lors même qu'il en aurait été ainsi,
il serait impossible de le prouver, puisque la vie pastorale
d'abord, et ensuite l'agriculture, ont certainement prédominé
avant l'époque de la dispersion. Tout ce que l'on peut cons-
tater, c'est que les affinités d'un certain nombre de termes
témoignent encore de l'exercice de la chasse et de la pêche à
côté des autres occupations.
1) Le sanscrit vyâdha, chasseur, dérive de vyadh, percer,
blesser, transpercer avec une flèche, mais aussi aiguillonner,
exciter, mettre en mouvement ; â-vyadh, de même percer,
blesser, et attaquer, lancer, mettre en fuite, â-vyâdha, -dhin,
— 5 —
adj., qui blesse, qui attaque, etc. Le vyâdha est donc celui qui
blesse, ou qui attaque et poursuit le gibier. Dans plusieurs
formes de sa conjugaison, et à la fin des composés, vyadh
devient vidh, comme mrgâvidh, chasseur, c'est-à-dire qui
blesse, l'animal des bois, la bête fauve, cerf, gazelle (mrga)
(D. P.).
A cette forme vidh se rattachent d'autres dérivés, vêdha,
vêdhana, perforation, vêdhaka, qui blesse, etc.
Bopp ( Gl. scr.j v. cit. ) compare le latin vënari, contracté
peut-être de vednari, mais la rac. scr. vên, appetere, amare,
c'est-à-dire poursuivre, semble offrir une solution plus directe.
Une concordance plus sûre se présente dans Firlandais-erse
fiadh, gén. féidh, venaison, cerf, fiadhaige, erse Jiadhaiche,
chasseur, Jiadhach,1 erse fiadhan, chasse, etc. L'identité com-
plète des formes vyadh et/ladh n'est cependant qu'apparente,
attendu que l'irlandais ia est pour un ê plus ancien,2 de sorte
que Jiadhach, fiadhan, répondent à vêdhaka et vêdhana. Au
sens général de la rac. vyadh se lient de plus l'irland. Jladha,
fiadhain, fiadhanta, féroce, sauvage, ainsi que le cymr. gwydd,
armor. gwéz, gouéz, avec le même sens. Le sansc. vyâdha dé-
signe aussi un homme grossier, barbare.
Il faut peut-être rattacher aussi à ce groupe l'ancien alle-
mand weida, chasse, weidinari, chasseur, weidôn, -danôn,
chasser, scand. veidr, veidi, venatio, veida, veidha, ags. vaed-
han, venari. La dentale, il est vrai, est irrégulière, et le dh du
sanscrit = d gothique et ang.-saxon, aurait dû devenir t dans
l'ancien allemand.5
1 Fiadach, chasse (Stokes, Goid.2, 28).
2 Cf. Z.2, p. 17.
3 Aussi Fick (862), qui adopte vaitha comme thème germanique
primitif, le rattache-t-il au scr. vî (vayati), faire aller, chasser = ag ;
— 6 —
2) La racine sanscrite rag, rang, ire, prend au causatif,
ragayatiy le sens de chasser, venari,1 mais dans cette acception
je n'en trouve aucun dérivé. On peut comparer le lithuanien
râgi?iti, rangyti, exciter, presser, contraindre ; et, plus spécia-
lement encore, l'irlandais et erse ruag, ruagaim, chasser,
poursuivre, d'où ruaig, chasse, rtiagaire, chasseur, etc. Comme
ua est = ô plus ancien (Z.2, 22 ), ruag est pour rôg, et rôg
probablement pour rong, à cause du g non aspiré.
3) Le zend azra, chasse,2 dérive de az, aj = sansc. ag,
agere. Le corrélatif sanscrit agra signifie qui pousse, qui in-
cite, dans le composé védique ghâsêagra, qui incite à manger
(D. P., v. c), et, comme subst. masc, agra désigne la plaine,
la campagne, en tant que lieu de mouvement libre. Cf. oiypoç,
ager, etc.
L'acception du zend se retrouve exactement dans le grec
oLypct, chasse (de dyc*)), d'où câypivç, dypcuoç, chasseur,
cLypîv[Act, ctypvivoVy filet de chasse, etc. Le rapport entre ccypa
et clypog est identiquement le même que celui de azra au
sanscrit agra.
4) Les armes du chasseur ont dû être les mêmes que celles
du guerrier, lesquelles seront plus tard l'objet d'un examen
particulier. Mais, à côté de la force, on employait aussi la
en zend vî, aller, voler, au causatif faire aller, mettre en fuite
(Justi, 277); en comparant le lith. wyti (wêju), chasser, poursuivre,
et même le latin vënari.
1 D'après Westerg., Rad. skr., 119. Mais cf. D. P., VI, 231, où
ragayati mrgân équivaut, suivant Pânini, à ramayati mrgân, ce qui,
à p. 275, signifie : réjouir les gazelles par l'accouplement. Cf. râga,
passion, désir violent, plaisir à, de rag fragyati], être excité, en-
traîné, se plaire à, etc. L'acception de chasser n'y est pas indiquée.
2 Spiegel, Avcsta, I, p. 239, d'après la version huzvaresh. Ce mot
ne paraît qu'une fois dans les textes zends. De même Justi, p. 16.
ruse, et c'est ce qu'indiquent encore quelques anciens noms
du filet de chasse et de pêche.
a) Le sansc. gala, gâlaka, filet, d'où gâlika, gâlin, chas-
seur et pêcheur, et qui se retrouve dans le persan gai, filet,
aurait disparu des langues européennes, s'il ne s'était pas
conservé dans les noms du cygne aux pieds réticulés, qui cor-
respondent au sansc. gâlapâd, et qui ont été réunis à la
page 484 du premier volume. On l'y aurait difficilement
reconnu sans l'aide du composé sanscrit. }
b) L'affinité du grec 7toçkoç-> filet de pêche, avec le cymr.
perced, bow-net, et le lithuanien spurktus, espèce de filet
(watenetz), indique une commune origine arienne. Benfey
rapporte le grec à la rac. sansc. pré (parc), spargere, tangere,
conjungere, au causatif colligare. Cf. â-parc, amplecti, parka,
dans madhuparka, mélange de miel et de lait, samparka, mé-
lange, connexion, etc. (D.P.), et 7rAîK0ùy plecto, d'où 7rAîK-
tôlvv\> filet. Le mot cymrique se lie de même à parc, enceinte
(d'où notre parc), par ciaw, enfermer, parquer, etc.; et le lith.
spurktus appartient à la forme sansc. sprç (sparç), amplecti,
capere, évidemment alliée à pré. 2
c) Dans trois langues européennes, le filet présente aussi
des noms concordants. Ainsi au latin rëte répond exactement
le cymr. moyen ruid (Leg., I, 76), pour mit = rêt, t corn.
1 Le sanscrit gala signifie aussi figurément ruse et sorcellerie, d'où
gâlika, un trompeur, gâlma, un coquin, etc. Je compare donc l'ancien
irland. gola, trappe, piège (O'Dav., G7.,95), proprement ruse. Deux
autres dérivés sanscrits trouvent aussi leurs analogues, savoir gâlaka,
nid, en tant que tissé, tressé, dans le grec ycoXiôç, tanière , lithuan.
gvalys, lett. gola (Fick, 307), et gala, gâlikâ, cotte de mailles, et
casque en fil métallique, dans le latin galea, en irlandais galiath
(O'R.).
2 Ici, suivant Walter (Z. S., 12, 378), le nom des Parcœ, en tant
que fileuses,
— 8 —
ruid (Zeuss2, 97),«armor. roed (ib. 98),roued, irland. riath
= rêtli, erse riadh(Cf. irland. réidh, corde). Le lithuan. rétas,
rétis, signifie filoche et tamis. — L'étymologie est partout in-
certaine. Curtius (Z. S., 16, 131) conjecture rëte pour srête,
de sero = scr. sar, d'où sarit, fil. Fick (389), avec moins de
probabilité, suppose un thème européen primitif râtya, dont Va
serait partout en désaccord. Le scr. rîti, ligne, de ri, rî, laisser
aller, conviendrait mieux malgré son sens un peu différent.
d) Le grec clqkvç, cljcvov, filet, a été ramené par Curtius
(Z. S., 13, 398, et Gr. Et?, 319) à la même racine ark, rak,
que dpa,%vyi (t. I, p. 659), en comparant dpKcivyj = to
pctfifAct,, tissu, fil. Cf. le pers. râk, fil, et peut-être l'irlandais
arach, fishing tackle (0'R.),t airches, trappe (Corm., GL, 2).
e) Le latin cassis rappelle l'ossète chiss, chiz, filet, et tous
deux semblent se relier au scr. kaksha, cachette, enceinte,
ceinture, sangle, etc., en pers. kashah, kasliî, id. Cf. kashîdan,
lier.
f) Le latin tenus, -oris, piège, lacs, appartient à la rac. ten
de tendo, tenuis, etc. = scr. tan, d'où tantu, fil, etc. Cette ra-
cine, conservée par la plupart des langues ariennes, semble
avoir disparu du slave et du lithuanien, où cependant on
trouve, comme noms du filet de chasse, l'anc. slave teneto,
tonoto, tonotu, et le lithuan. tinklas, filet de pêche (Cf. le sansc.
vîtansa, filet, lacs, cage, etc., de vi-tan, D. P., et d'où vâitansika,
oiseleur), dérivé par le suffixe Mas des termes qui désignent
des instruments. Cf. ivbrtinklis, toile d'araignée (wbras).
g) Enfin, le goth. nati, angl.-sax. nete, mais ancien saxon
netti et ancien allem. nezzi, correspond au sanscrit naddhi,
corde, de nah, ligare, d'où aussi nâha, piège, lacs. Pour le
changement de ddhen t, tt, zz, cf. t. I, p. 399. *
1 Ici, probablement, le latin nassa, pour nadta. Fick (781) rattache
— 9 —
Les mots de cette catégorie ont dû prendre leur sens spé-
cial à une époque où les tribus ariennes, encore rapprochées
de leur berceau primitif, commençaient cependant à se sépa-
rer les unes des autres.
C'est dans cette classe de mots qu'il faut placer aussi un des
noms européens de l'hameçon, le gr. ccyicta'Tfov, lat. uncus, unci-
nus, et, avec un autre suffixe, l'ang.-sax. angel, scand. aungull,
anc. ail. angull, etc., où ang est pour anh par l'influence de la
nasale. Le sens propre est celui de crochet, lequel appartient seul
au sanscrit anka, ankuça, de ané, curvare, comme au grec
oyjcoç, oyjuvoç, etc.1
SECTION II.
§ 162. LA VIE PASTORALE.
Si les termes relatifs à la chasse ne suffisent pas à prouver
que les anciens Aryas aient débuté par être un peuple chas-
seur, il en est autrement de ceux qui se rapportent à la vie
pastorale. Ici tout concourt à démontrer que ce genre de vie
a dû précéder une existence sociale plus stable, et tout au
moins prédominer, pendant longtemps peut-être, sur les tra-
vaux de l'agriculture. Non-seulement les noms des principaux
animaux pâturants, et en particulier celui de la vache, se
retrouvent, comme on l'a vu, dans la plupart des langues
nati ou natja au goth. natjan, mouiller, natas, mouillé, allemand
nass, etc., sens trop vague, ce semble, pour caractériser le filet.
1 En zend, anku, crochet (Justi). Ici aussi, d'après Stokes (Rem., 5),
l'anc. irland. écath, hamus (Z., Gr. C.2, 1009), pour encath.
— 10 —
ariennes, mais des coïncidences multipliées se révèlent entre
ceux du pâtre, du pâturage, du troupeau et de ses produits,
de l'étable, de la baratte, etc. Un grand nombre de termes
divers se rattachent en outre clairement aux habitudes et aux
souvenirs de la vie pastorale, bien que plus tard, et sous l'in-
fluence d'un nouvel état de choses, leur sens primitif se soit
souvent modifié jusqu'à demeurer incompris. Rien de plus
instructif que ces transformations qui nous font voir comme à
l'œil l'ordre successif des anciennes phases sociales dont elles
sont restées les seuls témoignages. A ce titre, elles méritent
une attention particulière, et nous leur consacrerons un exa-
men à part à la suite de la revue que nous allons faire des
termes plus spéciaux.
ARTICLE I.
§ 163. LE PATRE.
1) Tout un groupe des noms du pâtre se lie à la racine
sanscrite et zend pâ, tue ri, servare, nutrire, d'où pâyu, protec-
teur, nourricier, et le pa, qui garde, maître, prince, lequel
figure souvent à la fin des composés, et entre autres dans
gôpa, littéral, garde- vache, puis gardien en général, chef de
village et roi. A pâ répond le grec 7tolq^cl^ je me sustente, je
me nourris, puis je possède, d'une forme active 7raûù> Cf. le
dorique 7rcl^cc, possession, bétail = wvv\^ct. De là, sans doute,
7rotfA,yivy pâtre, Trc/^j/rç, troupeau, etc., dont le suffixe = scr.
man, se retrouve dans le lithuanien pêmu, génit. pêmenês,
— 11 —
jeune pâtre. Cependant Yë, oi, semblent indiquer une forme
affaiblie pi.1
Le synonyme sansc. pâla, gardien, protecteur, se montre
plus fréquemment que pa dans les noms du pâtre, en compo-
sition avec ceux des animaux qu'il garde. Ainsi gôpâla, va-
cher,2 avipâla, berger ou chevrier, açvapâla, gardien de che-
vaux, etc. J'ai comparé ailleurs (t. I, p. 578) le 7roAog des
composés grecs (Zov7roÀoç, cti7roAoç, olowoXoç ; mais ce rappro-
chement, quelque spécieux qu'il paraisse, doit être abandonné
si 7ToXqç dérive directement de 7nXo^cci, et si la racine 77-gÀ,
suivant Bopp et d'autres, répond au sansc. cal, car, qui revien-
dra plus loin. Pâla, d'autre part, dérive de pâlay, que l'on
considère comme un causatif irrégulier àepâ, mais qui n'est
probablement qu'une autre forme de pâray, causât. de^>f, dans
le sens de tutari, custodire. Pott rapproche de pal (aussi pal,
suivant le Dhâtup.) le nom de la déesse Pales, qui présidait
aux troupeaux,5 ainsi que palatium, primitivement pâturage,
d'où la diva Palatua, et pdlari, errer çà et là comme les ber-
gers (Et. F., I, 192). L'irland. fol (/ pour p ?) désigne le soin
des troupeaux, d'après O'Reilly (Dict.).
Un autre groupe appartient à un thème formé de pâ par le
suffixe na, comme en sanscrit pana, protection, mais en zend
protecteur, gardien, dans le composé shôithrapân, protecteur
1 Cf. zend paya, pâturage, qui pourrait dériver de pi, engraisser,
aussi bien que de pâ.
2 Cf. pers. gôpârah et guwâl, pâtre, avecw pour p, comme dans
shaw, nuit = shab et scr. kshap>a, etc.
3 De même Corssen (Z. S., V, 432). Pales de pal. Cette rac. pal
(caus. pâlayati) semble être à pâ dans le même rapport que sthal
(caus. sthâlayati) à sthâ. Grassmann, par contre (Z. S., 16, 179),
rattache Pales, à pala, palea, comme présidant aux pâturages, à la
nourriture des troupeaux.
— 12 —
du pays, — synonyme de shôithrapaiti , EctTçolTrriç.1 C'est le
persan pan, ban, gardien, d'où gôpân, gawbân, kourde govâft,
gavân, pâtre, vacher. C'est aussi, sans aucun doute, le lithuan.
portas, maître, seigneur, porta, maîtresse, demoiselle noble,
comme en ancien si. et russe partît et partna, et en pol. pan et
pani. L'illyr. ban est le nom du chef ou du prince.2
A côté de gôpân, on trouve en persan gûbân, éôpân, côbân,
qui n'en sont sans doute que des variantes, le g et le g alter-
nant souvent entre eux, ainsi qu'avec k et è? Ce composé s'est
conservé dans les langues slaves et le lithuanien, mais avec le
sens général de maître, seigneur, tout comme le sansc. gôpa
est devenu plus tard le chef de district et le roi. D'après
Constantin Porphyrogénète, les tribus slaves de son temps
étaient gouvernées par des Zov7ravoi yipovTiç. C'est là Fane. si.
jupanîi, le dakor, jupane, seigneur, l'ancien polonais zupan,
chef de district, le boh. zupan, préposé de la commune, l'illyr.
zupan, intendant de maison, etc. En lithuanien on ne trouve
que le fém. zupône, femme noble, dame, anc. prus. supûni, id.
Que la signification primitive ait été celle de pâtre, c'est ce
que prouvent l'alban. tzobân et le grec moderne t^ov7tccviç,
qui l'ont conservée. Le polonais zupan, tunique, vêtement
de dessous, lithuan. zuponas, id., russe jupanîi , surtout court et
chaud, a probablement désigné dans l'origine une chemise de
pâtre, comme en pers. kûrdî, vêtement de laine, de kurd, berger.
Il faut séparer des termes ci-dessus le persan shubân,
1 Haug, Gâthâs, I, 169.
2 Pott compare aussi le nom du Dieu Ilav, avec le sens propre de
pâtre et de protecteur (Et. F., I, 191).
3 Pott (WWb., 4, 68) rattache côbân au persan côb, cûb, bâton,
houlette, en comparant le scr. kshupa, buisson, aussi chupa. 11 fau-
drait alors le séparer de gôbân. Cf. kourde cû, cà% bâton (Lerch,
Gl.y 117, 200).
— 13 —
kourde shevân, shuané (Lerch, GL, 137 , 225 ), synonyme
de gôbân, mais composé avec un autre nom de la vache ou
du bétail, le zend fshu, et répondant à un thème ancien
fshupân (Cf. 1. 1, 422).
Nous reviendrons plus tard sur d'autres termes dérivés de
gôpa, et qui témoignent de la haute ancienneté de ce nom du
pâtre. Je me contente de renvoyer ici aux pages 577, 579 de
notre premier volume, où nous avons vu les deux formes
gôpa etfshupa désigner fîgurément le vautour en grec et en
slave.
2) C'est aussi à la rac. pâ que l'on s'accorde généralement
à rattacher le latin pasco, pascor, comme un inchoatif en sco,
avec sens causatif. Suivant Corssen (Z. S., XI, 365) et Fick
(122), pastor serait pour pasc-tor, et pastum pour pasc-tum,
tandis que pâvi et pâbulum auraient conservé la racine simple.
Mais comment concilier cela, d'une part avec le gr. ct-7rao-T0ç,
sans nourriture, d-7rc&<rTict,, jeûne, et de l'autre, avec l'ancien
slave pas-ti , paître , pas-tva et pasha, pashishte, pâturage ,
pastouchu, pasteur,1 où la racine est pas, au présent pasà ? Je
laisse de côté le cymr. pasg, nutrition, engraissement, pesgi,
nourrir, engraisser, pasgell, pâturage, etc., armor. paska, ali-
menter, etc., qui peuvent être provenus du latin ; mais que
ferons-nous du siahpôsh paslika, pasteur, berger, qui n'en dé-
rive sûrement pas ? Faut-il séparer ces termes divers, ou peut-
on les ramener de quelque manière à une origine primitive
commune de la racine pâ ? La question est très-complexe, et
je me bornerai à indiquer sommairement les solutions tentées
de plusieurs côtés.
1 Le synonyme pastyrï, néo-slave pastir, etc., est sans doute
provenu du latin, attendu que le suffixe -£or, scr. -tar, est représenté,
en slave, par telï. Cf. pastvitelï, pastor.
— 14 —
Curtius ( Gr. Et.1, 254), tout en maintenant la racine pâ,
dans pa-scor, etc., signale l'existence d'une forme augmentée
pat, dans 7TUTèo[J,cu (i-7rct(rcrcno ), je mange, 7rda-a-ircti =
icS-ia (Hesych.), d'où cL7TcL(7toç (supr.), en comparant le goth.
fôdjan, nourrir, et Fane, slave pitati, id.; mais sans parler de
pasti. Par contre, Grassmann (Z. S., XI, 33), s'appuyant des
formes 7rcc<rofJLcti, i7rct(rctfXY\v, 7rt7rctr[jLcti, revendique la pos-
sibilité d'une racine pas, comme dans pastor,pastus, etc.
Kuhn (Z. S., 14, 221) rapproche 7rcinofjLou du gothique
fôdjan (pour/o^/y'an ), ainsi que pasco, pastum, de l'ags. fôs-
tor, victus, fôstre, nutrix ; scand. fôstr, nutrition, fôstri, nour-
ricier, etc., lesquels, à côté du goth. fôdr, anc. allem. fuotar,
directement de pâ, comme pâbulum, conduisent à pat ou à
pas, forme désidérative depâ.
Pott, qui traite longuement de la rac. pâ, dans son W Wb.,
I, 198, sqq., y rattache aussi directement pa-soo, comme in-
choatif, ainsi que pa-s-tus, pa-s-tor, avec s pour se. Quant au
slave pas-tî, pascere, et ses dérivés, il ne veut pas les séparer
du latin, comme le fait Miklosich en les ramenant au sanscrit
paç, spaç, voir, observer, considérer, spectare, spicere, etc.1 Il
préfère voir dans p>as une forme augmentée de pâ, nourrir,
semblable à celle du désidératif sanscrit pipâsati, de pâ, dans
le sens de boire. Cf. pipâsa, soif, pipâsu , altéré, etc., et, plus
haut, l'opinion de Kuhn.
1 A paç appartient sans doute le slave pasti, dans o-pasti, cavere,
o-pasû, diligentia, sû-pasti, servare, sû-pasû, salus, etc., néo-slave
pasti, providere, russe pasti sia, cavere, etc. Mais pasti et pascere se
rapportent à la fonction de nourrir, plutôt qu'à celle d'observer et de
garder. — Un troisi;>me verbe slave pasti, cadere, au prés, padâ,
avec pad pour racine, est encore tout différent. Cf. ou-pasti, ou-
padati, deciderc, léser, ava-pad, tomber, et le zend ava-paçti, chute
(Justi, 34), que Haug (Gâthâs, II, 88) traduit à tort par prairie.
— 15 —
En résumé, il faut admettre, ce semble, à côté de pâ, deux
formes secondaires, pat et pas, pour ramener tout ce groupe
de noms à une même source primitive.1
3) La rac. sansc. car, dont nous venons de parler, donne
lieu à des rapprochements plus étendus. Son acception spé-
ciale de pasci, pabulari, dérive de son sens plus général d'er-
rer çà et là, ambulari, peragrare ; mais elle remonte sans con-
tredit au temps de l'unité arienne, comme le prouvent les
concordances multipliées des noms du pâtre, du bétail et du
pâturage qui en proviennent.
En sanscrit, nous trouvons câraka, gardien, gôcâraka, va-
cher, du causât, câray, pracâra, pâturage, gôcara, id., puis,
par extension, district, contrée.2 J'ai comparé déjà le zend
éaraiti, animal qui pâture,^ ainsi que le persan carîdan, paître,
carâ, caras, carish, etc., pâturage, auxquels il faut ajouter
carand, pasteur, et le kourde éiair, arménien garag, pâtu-
rage, etc.
L'ancien slave nous offre, comme nom du berger, ovïcarï,
russe ovcarû, polon. owczarz, illyr. ovciar, et lithuan. awczo-
1 En écartant pâvi et pûbulum, comme directement depâ, on peut
présumer que pasco, pour pat-sco, se rattache à pat, la dentale se
supprimant comme dans e-sco, de ed-sco. Dès lors pastor ne serait
pas pour pasctor, mais pour pat-tor, avec s pour t devant t, comme
dans l'ags. fôstre, nourrice, scand. fôstri, nourricier, de la rac. fôd,
fôth, en gothique. A la forme pas appartient peut-être le siahpôsh
pashka, berger. Mais où faut-il placer le védique pastya, m., étable,
gôpastya, id., et pastyâ, f., demeure, maison et cour, établissement
de famille, etc., que le D. P. laisse inexpliqué ?
2 Au vol. I, p. 449, j'ai cité d'après Rosen, le védique caratha, avec
le sens depecus, mais j'ai observé que le D. P. ne lui donne, comme
adjectif, que celui de mobile, vivant, et, comme substantif, de mi-
gration, voyage. Cf. Roth, Nirukta, Comment., p. 140.
3 Mais cf. ib., l'observation ajoutée.
4 Cf. ovishtepasû, ovium pastor, depasti, pascere (supr.).
— 16 —
rus, en composition avec le nom du mouton. Le lithuanien a
conservé la racine éar sous la forme de szar ( sz = k =. é )
dans szérti, pabulari, d'où pa-szaras, pabulum, et szerétas, la
cour où le bétail mange.
C'est au même groupe que Benfey rapporte le noAoç du gr.
fiûv)COÀoç = gôcara, ainsi que le latin colo, colonus, incola,
avec le sens de versari, agere, facere, qui appartient aussi à
car. Cf. pari-car, colère, ministrare, etc.1 En sanscrit déjà,
car devient cal, procedere, et si le grec 7rtAo[/,cti y correspond
également avec 7r pour c, il faut considérer le 7toXog de
pov7To\oç, ct,Ï7roAoç, etc., comme une variante phonique de
KOÀCÇ-
J'ai comparé déjà l'anc. irland. câira, câirach, mod. caor,
caora, la brebis comme animal pâturant, ainsi que caoraidh,
bétail, etc. (t. I, p. 449). Je crois retrouver aussi la rac. car,
avec le changement ordinaire de é ou k en p, dans le cymr.
pori, pasci, poriaw, pascere, d'où pawr (= par), axm.OY.peûr
1 Kuhn, Z. S., VIII, 92. Cf. aussi la racine sansc. kal, agere, meâu,
x.(x\ù), etc., à laquelle Curtius ( Gr. Et.z, 140) rattache Bovxfooç.
Ascoli (Z. S., 12, 433) en sépare colère (svaoXoç, WieeXoç), qu'il rap-
porte à kar, faire, en observant que j'avais entrevu cette connexion
dans mon article Z. S., 6, 180.
Il faut ajouter que le corrélatif exact de 8ovx.eh.oc se retrouve dans
l'irland. f bôchaill (Z.2, 23 ; S. M., I, 84), bûachaill (Corm., GL, 20),
irland. moy., moderne et erse, id., avec le sens général de pasteur.
De là les pléonasmes bûachaillbô, bubulcus, bûachaill mucc, porca-
rius (Stokes, Ir.GL, n° 583), comme en grec î^ttoBovxôXoç, en sansc.
açvagôpa. Cf. cymr. bug ail, bygel, corn, et armor. bugel, pâtre, etc.
Stokes (Corm., 1. c.) rattache aussi le second élément caill à kal,
agere ; mais le Gl. de Cormac l'explique par cail, garde, protection.
Cf. dans O'R. cail-bhearb (lis. cail-fearb ?), garde-vache, vacher ; et,
pour le sens général de couvrir, caille, voile, sansc. cali, couverture,
cala, toit (D. P., d'après Wilson), latin celo, germ. hilan (hal,
hul), etc. Ainsi la question étymologique reste encore incertaine.
2 Cf. l'albanais kol, troupeau, kulotas, berger, kulôture, pâturage.
— 17 —
pâturage, portant, porfa, etc., id., de même que dans pari,
troupeau, rapprochement préférable à celui que j'ai proposé
antérieurement (t. I, p. 332).
ARTICLE II.
§ 164. LE BÉTAIL ET LE TROUPEAU.
Les noms des animaux domestiques ont été comparés d'une
manière suffisamment complète dans la première partie de
notre ouvrage, et nous n'avons à nous occuper ici que des
termes généraux qui s'appliquaient au bétail et au troupeau.
1) Le plus ancien et le seul qui se soit conservé dans les prin-
cipales langues ariennes, est le sanscrit et zenà paçu, l'animal
domestique, par opposition à la bête sauvage, l'animal captif
que l'on attache, de la rac. paç, ligare.1 Cf. pâça, lien, chaîne,
attache pour le bétail.2 De là pâçava, troupeau, et les compo-
sés paçupâla, -rakshin, pasteur. A l'exception du zend paçu
et de l'ossète/os, troupeau, les langues iraniennes semblent
avoir appliqué ce nom plus spécialement à la chèvre, en sans-
crit aussi paçu, ou au mouton. Ainsi l'afghan psah, chèvre,
pse, mouton, kourde paz, pas,* ossète, fiss, fuss, id., etc. ; de
même qu'en italien pecora, brebis, est provenu de pecus.
En Europe, on a signalé depuis longtemps les concordances
de paçu avec le grec ttoùv-, contracté de 7T0Kv ou 7Tq<tv^ le
1 De même Justi (187). Le D. P. ne donne point d'étymologie.
Pott (WWb., I, 207) la déclare encore introuvée.
2 Cf. pers. pâsîdan, garder.
3 Pèz, menu bétail (Lerch, Gt., 151).
4 Ou, suivant Benfey (Gr. Wl., 2, 73), d'un thème pâvu, de pâ. —
II 2
— 18 —
latin pecus, -ndis, ou -oris, dérivés par d'autres suffixes, le
lith. pekus, d'où pekwcms, berger, et le goth. failli^ qu'Ul-
philas n'emploie que dans l'acception de bien, propriété, ar-
gent (Cf. peculium, pecunia) , mais qui reprend aussi son sens
propre dans l'ancien sax. fehu, l'ang .-saxon feoh, le scand. fé,
l'anc. fx\\. Jihu, etc. Il est à remarquer, avec Benfey (Gh\ WL,
II, 90), que ces noms germaniques se lient indirectement à
la rac./a/i, goth. fahan, capere, qui correspond au sansc. paç.
L'erse pasgân, petit troupeau, se rattache peut-être de même
à la rac. pas g,fasg, lier, envelopper.
2) Une coïncidence remarquable, mais isolée, est celle du
sansc. gavya, m., bétail, troupeau de vaches, aussi gavyâ, f.,
dérivé de gô, avec le lith. gaibje, f., troupeau, et gâuja, gâuje,
f., id., et troupe, en parlant des loups et des chiens, le sens
primitif étant tout à fait oublié.
3) Les acceptions de troupe et de troupeau s'échangent
naturellement d'une langue à l'autre, et se confondent quel-
quefois. C'est ainsi que le sanscrit vraga, troupeau, multi-
tude, se reconnaît avec sûreté dans le latin volgus, vulgus,
la multitude, le troupeau des hommes. Cf. bhrâg , et ful-
geo, mana et vulmis, etc. Un rapport inverse se révèle
entre le sansc. védique çardha ou çardhas, troupe (Cf. zend
çaredha, race, espèce, suivant Haug, Gâthâs., I, 205, et Justi,
292), parsi çarda, armén. çerh, etc., et un groupe européen de
noms du troupeau. A çardha correspond, en effet, le goth.
hairda, d'où hairdeis, pasteur, ags. heord et hirde, anc. allem.
herta et hirti, etc., et probablement aussi l'ancien slave éreda,
grex, illyr. credo, pol. czereda, troupeau de la commune, d'où
le hongrois csorda, troupeau, à moins que ces termes n'appar- .
Curtius aussi ne veut pas séparer srwiï de Ttcit*^, etc. (Gr. Et.*,
2G3), et compare le sanscrit védique et zend pâyu, gardien.
— 19 —
tiennent à la rac. car (Voy. plus haut, p. 15). On trouve, en
effet, clans quelques dialectes, une autre forme avec k, le slov.
kardélo, slovaq. krdel, troupeau (Cf. lithuan. kerdzus, pâtre).
L'irland. crodh, bétail, et le cymr. cordd, tribu, famille,1 sem-
blent se rattacher à la même racine.
Cette racine paraît être le sansc. vêd. çrdh (çardh), adniti,
excelsum fleri (West., Rad. scr.), d'où çardha, dans le sens de
force.2 De là, par une transition naturelle, l'acception de do-
miner, garder, posséder, que Haug (Gâthâs., II, 179) reven-
dique pour une racine zend hypothétique, çard. Cette notion
primitive de force reparaît également dans le goth. hardus,
dur, ferme, fort, suivant Grimm, d'un verbe perdu hairdan,
iîrmari (hird, hard, hurd), auquel appartiendrait aussi haurds,
porta, anc. allemand hurt, crates, etc., ce qui nous ramène à
l'idée de garder. Enfin, le goth. haldan, pascere, = anc. ail.
haltarij tenere, habere, sustentare, custodire, d'où hait, pas-
cuum, hallara, custos, etc., ne semble différer que par le chan-
gement de r en l.
ARTICLE III.
§ 165. LE PATURAGE.
Nous avons vu déjà plusieurs noms du pâturage dérivés des
rac. car et pâ ; il en est d'autres encore qui proviennent évi-
1 Cf. scand. hyrd, satellitium, cœtus hominum, familia, à eôté de
hiôrd, grex.
2 D'après Benfey (Samav. GL, 182) et Fick (38); mais le D. P. ne
donne que çardha, adj., hardi, insolent, de çardh, keck, trotzigsein.
Cela n'explique guère le nom du troupeau dont l'origine reste
obscure.
— 20 —
demment du fonds commun le plus ancien des langues
ariennes.
1) Le plus intéressant, par les extensions de sens qu'il a
reçues successivement, est le sanscrit gavya, cité plus haut
dans l'acception de bétail. Ce dérivé védique du nom de la
vache, gô, signifie comme adjectif ce qui est relatif à l'animal
domestique, et comme substantif un pâturage de vaches. Pott
déjà {Et. F., I, 87, 184 ) avait conjecturé un rapport entre
le grec yata et le sansc. gô, dans le sens de terre, et Benfey
(G. WL, II, 114 ) avait adopté ce rapprochement en consi-
dérant yciïa pour yaFict,, comme répondant à un nom sans-
crit hypothétique de la terre, gavyâ, provenu de gô, id. Ce qui
pouvait en faire douter, c'est que la double acception de gô
comme vache et terre n'a probablement qu'une origine my-
thique indo-iranienne relativement récente. Dès lors le védi-
que gavya, pâturage, est venu confirmer l'affinité de ces
termes, bien que d'une manière un peu différente. Ce qui
n'était d'abord que le lieu fréquenté par les troupeaux de vaches
est devenu plus tard le nom du district, comme pour gôcara,
puis de la province, du pays, et de la terre entière dans le grec
yciïa, identique, sauf le genre, et contracté ensuite en y ta,
y cl et yvj.1
C'est à bon droit que Benfey rattache également ici le grec
yvia, yvct, yvqç, autre contraction de gavyâ. L'acception
plus spéciale de champ, ou terre labourée, doit remonter à
l'époque où l'agriculture a remplacé la vie pastorale. La tran-
sition du sens était d'autant plus naturelle que le sanscr. gô se
1 Le védique gaya, maison, famille, et le zend gctya, vie, gaêtha,
monde, n'ont sûrement aucun rapport avec le grec yccïu. Burnouf et
Spiegel (Beitr., \, 316) conjecturent pour le zend une rac. gî = scr.
gîv, vivere. Justi (100) donne positivement gi, vivre.
— 21 —
trouvait représenté par le grec (iovç, et que l'étymologie de
y via, aussi bien que celle de ycdct, n'était plus sentie.1
Par la même raison, on ne doit pas hésiter à rapprocher
de gavya le goth. gavi (thème gauja\ Bopp, V, Gr., I, 255),
anc. ail. gawi, gewi, anc. sax. gâ, gô, ail. mod. gau, pagus,
regio. On devrait attendre kavi, en accord avec le nom de la
vache devenu kû en germanique (Cf. I, p. 410), mais on avait
perdu de vue la corrélation des deux termes.
Cet ancien nom du pâturage se reconnaît encore dans le
lith. gojas, gojus, ancien slave et russe gai, nemus, pol. gay
(gén. gaiu), id., avec la même signification modifiée que pour
le latin.2
Enfin, l'irl. gé ou ce, terre, suivant O'R., si toutefois il est
bien authentique, nous offre une contraction toute semblable
au grec yyj et en analogie d'ailleurs avec les changements pho-
niques usités en irlandais (Cf. dé, génit. de dia, dieu, = scr.
dêvasya).
2) Le latin nemus, bocage, bois, mais primitivement pâtu-
rage, comme npoç, vofxoç-, vofAq, est sûrement d'une origine
ancienne, bien qu'un peu incertaine. Les termes grecs déri-
vent directement de vtfAûô> pasco, mais aussi tribuo, distribuo,
et, au moyen, vi^ofxcti, pascor et possideo. De là, les autres
acceptions de voftoç, comme distribution, ordre, loi, coutume,
et de vopoç comme demeure, habitation. Tout jusqu'ici est
1 Une trace de la forme primitive gô se montre cependant, non-
seulement dans yd-\u% (V. t. I, 412), mais dans yoiïoç, o sçyotrviç Govç,
suivant Hesychius. Cf. sansc. gavaya et gaya, Bos gavseus.
2 Les formes ycctx, yvix, gauj.a, gojas, rappellent singulièrement le
persan kôy, kûy, district, région, village, où le k remplace gr, comme
dans l'ossète kaw, kau et gau, village. Le persan kûyah, étable,
pour gûyah, paraît être le sanscrit gavya, ce qui convient à la vache,
et pâturage.
— 22 —
assez logique, mais les difficultés commencent quand on veut
remonter à l'idée première. A vtfAW, en effet, correspond le
goth. et ags. niman, capere, sumere, anc. allem. neman, scand.
nema, id., et occupare, ainsi que l'anc. slave nimati dans su-
nimati, congregare, russe s-nimâtï, ôter, enlever, pere-nimâtï,
prendre, pri-nimâtï, recevoir, pod-nimâti, ramasser, vy-ni-
mâtïj enlever, saisir, etc. Si nous recourons au sanscrit, nous
trouvons la rac. nam avec le sens encore différent de incli-
nare, incurvare, inclinare se venerandi causa, d'où namas,
salut, inclination, vénération. Cf. zend nemanh, culte, persan
namâz, id., et namîdan, incliner vers, désirer, etc. Cela ne
concilie guère, au premier coup d'œil, les acceptions précé-
dentes ; toutefois les dérivés de nam suggèrent quelques rap-
prochements assez frappants. Ainsi le védique namas, nêma,
nourriture (Naigh., II, 7 ), cf. zend nimata, herba ( Spiegel,
Avesta, I, 86), aussi nema ( Justi, 174), c'est-à-dire ce que
l'on offre, ou ce que l'on prend, semble relier vijiaûo, pasco, au
goth. niman et au si. nimati. D'un autre côté, au grec vo[à,6ç,
habitation, répond le lith. namas, maison, demeure, d'où na-
moti, habiter, et beaucoup d'autres dérivés, et ceci nous rap-
proche du sens de viftoftcu, posséder. Ces divers rapports
indiquent certainement une origine commune. Kuhn observe
que l'on s'incline pour prendre, et que le bétail baisse la tête
pour paître (Ind. Stud. de Weber, I, 338). On s'incline éga-
lement pour offrir avec respect, et c'est là sans doute la notion
primitive qui semble le mieux concilier les divergences indi-
quées.
3) D'après Kuhn (1. c, p. 339), le sansc. pada, lieu, site,
station, de pad, stare et ire, désigne plus spécialement un pâ-
turage dans le Rigvêda ; par exemple : I, 67, 3 : priyâ pa-
dâni paçvô nipâlii, protège les pâturages aimés du bétail. Cf.
— 23 —
pers. pâdah, prairie, pâturage, pâdah-bân, pâtre. Il compare,
avec raison, le grec 7riSov, sol, terre, ainsi que l'ombrien pe-
rum (de pedum) ; 1 mais le rapprochement qu'il propose avec
le slave pôle, campus, semble moins sûr. L'analogie de l'adv.
russe polo, ouvertement, à découvert, c'est-à-dire en plein
champ, avec le lat. palam, nous ramène plutôt à cette racine
pal, pal, — pf, que nous avons présumée, avec Pott, dans pa-
latium, Pales, etc. (Cf. p. 11. ) Ainsi le slave pôle aurait
signifié, dans l'origine, le pâturage en tant que gardé, comme
en sanscrit pâlana dans pâçavapâlana, pâturage. Cf. paçu-
pâla, pâtre. En persan pal désigne un champ entouré d'une
levée de terre, c'est-à-dire gardé, protégé, et pâlîz un jar-
din. Cf. scr. pâli, levée de terre, digue, limite, c'est-à-dire pro-
tection, garde.
ARTICLE IV.
§ 466. LES LIEUX DE RÉUNION DES TROUPEAUX, L'ENCLOS,
L'ÉTABLE.
Au temps où les troupeaux constituaient encore la princi-
pale richesse de la famille et de la tribu, ils étaient sans doute
trop nombreux pour être renfermés dans des étables ; et les
lieux de repos, ou de refuge, consistaient en enclos, en sta-
tions, où les pâtres et le bétail se réunissaient pour passer la
nuit. Ce n'est que plus tard, et quand le travail agricole eut
amené le partage du sol, que les troupeaux plus divisés purent
1 Curtius (Gr. Et.3, 230) compare aussi oppidum, ro ht\ rÇ wê&*£,
la ville qui protège la campagne.
— 24 —
être abrités d'une manière moins imparfaite. Les langues con-
servent encore des traces de cet état primitif, ainsi que des
changements qui ont suivi.
1) Le sansc. gôshtha ou gôsthâna, en zend gaôstâna, n'a
signifié d'abord qu'une station de vaches, de gô et sthâ, stare,
d'où sthâna, lieu, site, puis demeure, maison, ville, etc. Plus
tard, gôshtha a pris le sens d'étable, comme açvasthâna celle
d'écurie (de chevaux), et sa signification s'est ensuite géné-
ralisée dans le féminin gôshthî, jusqu'à ne plus désigner qu'une
réunion, une assemblée, une société d'amis. La nature de ce
composé est si bien tombée en oubli, que l'on a dit aussi pour
étable gôgôshtha, en répétant deux fois le nom de la vache. Il
n'est pas étonnant d'après cela que le lith. gûsztas, gûzta,
unique exemple à moi connu d'une coïncidence européenne
complète, ne signifie plus qu'un poulailler et une hutte.
Le substantif simple, sthâna, se retrouve aussi comme nom
de l'étable dans le zend çtâna, huzv. çtân ( Justi, 300 ),
beloutche thân, lithuanien staine, polon. staynia et l'alban.
stan, tandis que le pers. stân, des noms de pays, et l'anc. slave
stanUj hospitium, castra, en russe station, demeure, polonais
stan, état, etc., ont conservé des significations plus ou moins
générales.
Le sansc. sthala, lieu, site, de sthal, firmiter stare (Dhâtup.),
racine alliée à sthâ, désigne aussi une étable dans le composé
avisthala, bergerie.1 Il en est de même dans les langues ger-
1 Je crois retrouver ce composé , probablement proethnique, dans le
gothique avi-str, bergerie, ags. ewe-stre, eowe-stre, qui aurait été en
zend, * avi-çtara. En sanscrit, sthara a sans doute précédé sthala.
Cf. sthûra et sthûla, gros, épais, massif, etc. L'anc. allem. awista,
ewist, bergerie, se rattache au stha du sanscrit gô-shtha, étable à va-
ches, et serait = * avishtha.
Un second composé du même genre se présente sûrement dans le
— 25 —
maniques, où l'ags. stal, steal, scand. stallr, ancien allem. stal,
stall, etc., étable, et aussi lieu, place, dérivent de stellan, stal-
jan, en anc. ail. statuere, ponere, = scr. caus. sthâlay. Cf. gr.
(TTiKAoùy etc.
A la racine sthâ, restée vivante presque partout, se lient
également (Zqvittclo'iç, -(ttu<tiu, -orcçofAOV, stabulum, d'où l'irl.
stâbul, etc.
2) Le sansc. bhâsa, enclos pour les vaches = gôshtha, se
retrouve identiquement dans le scand. bas, prsssepe bovis, sta-
bulum, d'où basa, boves in statione disponere (Biorn, Lex.),
ags. bôs, prassepe, bôsig, bôsih, étable à vaches, angl. boose, id.,
dans les dialectes du nord.
Fick (139) rattache ce nom à bhâs, luire, briller, en tant
que construction ouverte (offnes gebaùde). J'y verrais plutôt
un enclos à ciel ouvert. Le goth. bansts, qu'il compare aussi,
semble différer par son sens propre de magasin , dépôt
(cL7ro3~riKV} dans Ulphilas), aussi bien que par son étymologie.
Si l'on en rapproche l'allem. banse, horreum, le bas-lat. bansta,
basta, banasta, bansella, corbeille ronde de sparterie ( Du
Cange), d'où le français et wallon banse, grande manne, l'esp.
banasta, grand panier, etc., etc., il faut évidemment, avec
Grrimm ( D. Wb. ), rapporter bansts à bindan ( band ), lier
= sansc. bandh, etc., avec le changement de la dentale en
sifflante, comme dans bast, aubier, etc. Le même changement
se présente déjà dans le zend baçta, lié, attaché, de la rac.
band (Justi, 213) = scr. baddha.
3) Sansc. vraga, enclos pour le bétail, étable, station de
bostar, -avis du Gl. d'Isidore, aussi bostarium, bovile (Du Cange,
v. cit.), conservé encore par l'espagnol bostar et le portugais bostal
(Diez, Wb., 2, 105), et qui serait, en sanscrit, * gôshthala, ou -ara.
Ce composé n'est sûrement pas latin, et le fait qu'il ne s'est maintenu
bu'en Espagne fait présumer une origine celtibère et gauloise.
— 26 —
pâtres (= gôshtha), aussi troupeau, de varg, tourner, détour-
ner, puis exclure, défendre, entourer. De là varga, troupe,
classe, division, réunion d'objets semblables, vrgina, courbe,
vrgàna, enceinte, cour, village, etc. Cf. latin vergo, et aussi
volgus, vulgusj la multitude, le troupeau des hommes ; goth,
varkjan, prohibere, vraiqs, courbe, etc.
De la même racine devenue ^içy {ùpyvvfM, ùpyoù), enfer-
mer, séparer, exclure, défendre, dérive e/gWT*;, enclos, prison
= scr. vrkta, part, passé de varg. Je compare aussi, avec un
sens plus restreint, l'irlandais f fraig, toit (Corm., GL, 76),
mod. et erse fraigh, paroi, mur, limite, ainsi que l'irlandais
moyen fraigh, bouclier (Magh Lena, p. 146), c'est-à-dire dé-
fense, protection.
4) Scr. maudira ou mandurâ, littér. un lieu de sommeil,
dormitorium, de mand, dormire (lsetari, gaudere, etc.), puis
une étable, un lit, une maison, et, au neutre, un temple, une
ville, etc.1
L'acception d'étable se retrouve dans le grec fjt,ctvtyoc, lat.
mandra, ainsi que dans l'irland. maindreach, mainneir ( =
mandirali), manrach, erse mainnir, manrach, bergerie, parc.
5) J'ajoute quelques rapprochements assez frappants, mais
isolés, entre des noms iraniens et celtiques.
Pers. angarû, angarwâ, bergerie, peut-être allié au sanscrit
angana, cour. — Irland. angar, étable (O'R.).
Pers. lân, enclos pour le bétail, aire, enceinte d'une maison.
Cymr. llân, enclos, aire, cour, place, église, village. Irlandais
erse, lann, enclos, champ. Cf. le lanum des noms de lieux gaulois,
A Dans leD. P., mandurâ, écurie de chevaux, et matelas. — L'ac-
ception de dormir, dans Westerg., Rad., 171, et Wilson, ne se trouve
pas dans D. P., qui ne donne que : s'arrêter, tarder, attendre. Ainsi
mandira, etc., désignerait plutôt un lieu d'arrêt et de repos.
— 27 —
lequel désignait sans doute un lieu d'habitation entouré d'une
enceinte.
Belout. bhân, étable à vaches. — Irl. ba?irach, erse banair,
enclos pour le bétail.
ARTICLE V. LES PRODUITS DU TROUPEAU.
Les pasteurs, comme de raison, se nourrissaient principale-
ment de la chair et du lait de leurs troupeaux, tandis que les
peaux et la laine leur fournissaient de quoi se vêtir. Aussi les
termes qui s'appliquent à ces divers produits offrent-ils dans
les langues ariennes des preuves multipliées d'une origine an-
cienne et commune.
§ 167. LA CHAIR, LA VIANDE.
1) Le scr. kravya, vêd. aussi kravi, kravis, désigne la chair
crue. La racine est incertaine, mais il est à croire, avec Las-
sen (Anthol. Gloss.), qu'elle est la même que celle de krûra,
cru, dur, rude, cruel. Ses dérivés, dans l'une et l'autre accep-
tion, offrent de nombreuses analogies.
Ainsi, en grec, ttpecjç, -ctrog ( thème KpiFctr), avec un suf-
fixe ctr qui disparaît dans les composés KçictvofAoçj jcçtovpyoç,
KpiioooKog. Le corrélatif latin n'est pas caro, mais bien cruor,
sang, cruentus, sanglant. C'est également au sang que s'appli-
quent l'ancien prussien Jcraicja, le lithuan. kraujas, d'où kru-
ivinas, sanglant, l'anc. slave et russe krovï, pol. et boh. kreiv,
illyr. karv, etc., l'anc. irl. cniu (Corm., GL, p. 35), mod. cru,
et le cymr. crau, corn. crou. Par contre, l'anglo-saxon lireaw,
— 28 —
scand. hrae, anc. ail. Jirêo, corpus, cadaver, revient à la pre-
mière acception.
Les formes qui sont alliées au sansc. krûra offrent presque
partout un parallélisme évident avec les précédentes. Ainsi le
zend Jchruij cruel, le grec Kpctvpoç, rude, dur, le lat. crudus, cru-
delis, l'irland. cru, cruadh, rude, sévère, cruas, cruauté, cymr.
creuder, id., creulawn, cruel, sanguinaire, l'ags. hreow, scand.
lirâr, anc. ail. rawer ( de hrawer ), crudus, crudelis, etc.1
2) Les mêmes transitions de sens se montrent pour le scr.
amis, âniisha, ou amisha, chair, de même origine, sans doute,
que ama ou âma, cru, âmatâ, crudité, en grec MfjLog, ôôfAOTVjç,
en irland. amh, omh, cymr. of = om, ainsi que le scr. ama,
âma, crainte, terreur, maladie, âmana, etc., id. ; anc. irl. omun,
cymr. ofyn, ofn, crainte, etc.2 La rac. est am, au caus. âmay,
œgrotum esse. Aucun nom de la chair n'en dérive ailleurs
qu'en sanscrit, mais l'irl. omh, sang, se rapporte à amis, comme
cruu à kravis.
3) Le scr. mas, mâns, mânsa, semble avoir désigné primi-
tivement la chair préparée, divisée , distribuée, s'il dérive,
comme cela est probable, de mas, metiri (Dhâtup.).5 Cf. mânsa
dans l'acception de temps. En hindoustani, et en tirhaï du Ca-
boul, nous trouvons mas, en armén. mis.
Le lat. mensa, repas, table, n'aura signifié dans l'origine
qu'une portion de chair (Cf. mensio, mensura), comme aussi
l'irl. méis, plat, dont Y s maintenue indique une nasale suppri-
mée, et peut-être maise, nourriture en général. Les langues
1 Sur la rac. kru et ses dérivés, cf. Weber (Z. S., 5, 232).
2 Cf. les noms gaulois Exsornnus, Exobnus (Exomnus) , que
Zeuss 2 (40,47, 125) explique parl'anc. irland. es-omun, cymr. moy.
eh-ouyn, intrepidus.
3 Cf. masa, m., mesure, poids (Wilson), masana, n., masii, f., ac-
tion de mesurer.
— 29 —
germaniques n'offrent que le goth. mimz (pour minz), chair.
L'anc. pruss. mensas, devenu en lithuan. mesa, viande, est
presque identique au sanscrit, ainsi que l'anc. si. miâso, pol.
mieso, russe miaso, illyr. meso, etc.1
§ 168. LA PEAU, LE CUIR.
Les peaux des animaux domestiques, brutes ou préparées,
fournissaient des vêtements, et trouvaient beaucoup d'autres
applications. Nous ne parlerons ici que des termes qui dési-
gnaient la peau séparée de l'animal.
1) Le principal est le scr. carma, carman, peau, cuir, dont
j'ai traité déjà au premier vol., p. 237, en le rapportant à la
rac. kfj kar, lsedere, secare, de même que le synonyme krtti
dérive de krt, findere, dividere, et le grec SijifAct de Sipœ, di-
viser, écorcher, etc.
Aux mots comparés comme provenant de la même racine,
il faut joindre le lat. corium. Le grec XPÇiw diffère par la gut-
turale initiale, et appartient peut-être mieux à la rac. hr (har),
rapere, abripere.2
2) Le scr. drti, peau, cuir, puis outre et soufflet, vient de
df, dar, dividere, findere. Cf. pers. darîdan, id., grec iïtçoô,
goth. tairan, lith. dirti, anc. si. drati, etc.
1 Weber (1. c, 233) admet pour la rac. mas, d'après plusieurs dé-
rivés, le sens primitif de gonfler, nourrir, engraisser, et y rattache
aussi mânsa. Le D. P. ne donne pas d'étymologie ; non plus que Fick
(152), qui rattache (ib.) mensa, avec mensus, etc., au scr. ma, mesu-
rer, former. Pour un rapport direct de mensahmâs, mânsa, cf. celui
de mensis, mois, à mâs, mâsa, lune et mois, suivant D. P. de ma.
2 Cf. Kuhn, Z. S., IV, 14, qui admet pour racine commune une
forme skar, d'où corium, pour scorium, et %é§tov pour <r^op<ov.
— 30 —
DeSipcô se forment de même, en grec, Sipoç, rîipctç, -cltoç,
iïopa, Sipfxct, peau, cuir, et âopéç, sac de cuir, outre.
3) Les coïncidences suivantes sont propres aux langues
celtiques.
Scr. krtti, peau, cuir, de krt, kart, flndere ; pers. éarlah. —
Irl. créât , peau, à côté de cairt, cymr. carth, écorce, latin
cortex.
Sanscrit tanu, peau, de tan, extendere. — Irlandais tonn,
cymr. ton.
Sansc. ghana, peau, écorce, prop. tenace, dense, compacte,
de han, caedere. — Cymr. ^m,peau.
Pers. pûst9pôst, peau, cuir, belout. post, afgh. postoke. Cf.
pôshîdan, couvrir, vêtir, et scr. pus h (pôshayati), mettre sur
soi, porter (Wilson).1
Par le changement fréquent en irlandais de p en c, on peut
comparer cust, peau, d'où custaire, tanneur, comme en persan
postirah de pôst.
§ 169. LA LAINE.
Les langues de la famille offrent un accord très-complet
pour cet utile produit du mouton.
1) Le sansc. ûrna, n., ûrnâ, f., laine, et ura, dans tira-bhra,
bélier, c'est-à-dire porte-laine, dérive de la racine vr, var
(yrnôti), tegere, d'où la forme secondaire ûrnu, operire. Ainsi
ivrna est pour varna, et ura pour var a. Ces deux thèmes se
retrouvent également dans les langues congénères.
A vara, augmenté d'un suffixe k, appartient le siahpôsh
1 Dans D. P., obtenir, posséder, avoir. Cf. aussi push, diviser
(Dbatup.).
— 31 —
warak, laine. Le kourde erri, pour verri, verni (?), a peut-être
assimilé Vn ; mais le grec tpcç, iipoç, pour Fîpoç, cf. gps#, iptcv
répond à vara. Cf. Curtius ( Gr. Et.5] 322).
Le. thème primitif varna a été fidèlement conservé par le
lith. wilnas, l'anc. si. vluna, russe volna, pol. welna, bohémien
Wwa, etc., avec Z pour r. L'illyr. vuna supprime l comme à
l'ordinaire. L'irland. olann, pour folann, cymr. givlan, armor.
gloan, semblent indiquer un thème varana. Enfin Vn du suf-
fixe s'est assimilée à la liquide dans le lat. vellus, toison, et
villus, tout comme dans le goth. vulla, l'ags. ivull, le scand.
ail et l'anc. ail. wolla.
Il est à remarquer que, en sanscrit même, la rac. var de-
vient val, tegi, indui, et iïl dans quelques dérivés, comme
ulva, enveloppe de l'embryon, et de l'œuf, cavité = latin
vulva, etc.
Un autre terme sanscrit, lava, désigne la laine tondue, de
lu, secare, primitivement rw;cf. ru, action de couper (Wilson),
et ru (ravatê), briser, broyer (D. P.). De là lôman et roman,
laine et poil en général, lômaça, et rômaça, laineux, poilu,
bélier, etc.
Les deux formes se rencontrent également mêlées, et aussi
avec d'autres suffixes, dans les noms de la laine, de la toison,
de la chevelure, etc.
A lava correspond l'ang.-sax. lae, caesaries, scand. là, coma,
crines, lô, tomentum, titivillitium ; tandis que le scand. rû,
vellus, rya, vellere, rûdr, spoliatus, se lient à la rac. ru.
Les formes analogues à lôman et roman se montrent dans
le siahpôsh lûm, chevelure, le pers. rûm, pubes, l'irland. lom,
dépouillé, tondu,1 cymr. llivm, id., d'où en irland. lomar, lu-
1 Peut-être pour lomn, à cause du maintien de Vm.
— 32 —
mar, toison. Le suffixe nian reparaît intact dans lumain, erse
luman, manteau (primit. toison), et l'anc. irl. ruamnœ, lodix
(Z.2, 22), se rattache sans doute au sansc. roman} Cf. sahas-
rarôman, sorte d'étoffe velue, littér. qui a mille poils. Le cymr.
llofyn = llomyn désigne une mèche de cheveux.
Un autre groupe, formé par le suffixe na (Cf. sansc. lûnà,
coupé), se présente dans l'irl. rôn, raine, ruine, chevelure, cymr.
rhaivn, armor. reûny poil, crin. L'anc. si. runo, gén. runese,
russe et pol. runo, toison, offre une augmentation du même
suffixe.
On serait tenté de rapporter ici le grec Xvjvoç, XcLvoç, et le
latin lâna, en les considérant comme contractés d'une forme
lavana, de lu ; mais Xa%vo<;, Xct%VYi, qu'il est difficile d'en
séparer, conduit à une origine tout autre. Je crois y voir un
dérivé de Xcvyxj&vùù (à#%6)), sortiri, obtinere, possidere, qui
désignerait la laine comme le gain, le produit obtenu du m.ç>vr
ton. L'irland. finn, final, poil, cheveux (Corm., GL, 32), rap-
pelle de même la rac. scr. vind, adipisci, obtinere. Cf. germ.
winnan, etc.
170. LE LAITAGE.
Nous arrivons au principal produit du troupeau, à celui qui
fournissait sans doute à l'alimentation habituelle de l'ancien
peuple pasteur, au lait et à ses transformations diverses. Les
termes qui s'y rapportent sont nombreux et variés dans les
langues ariennes ; mais, comme après la dispersion les tribus
•
1 Stokes, Ir. gl., p. 74, donne ruaim, crins longs, d'où r u aimnech,
fait de crins.
— 33 —
séparées ont conservé plus ou moins: et pendant longtemps,
des habitudes pastorales, et y sont revenues parfois presque
exclusivement, beaucoup de ces termes datent d'une époque
comparativement récente. Ceux-là même que l'on peut con-
sidérer comme primitifs ne se sont pas maintenus d'une ma-
nière aussi générale que bien d'autres, mais ils présentent ici
et là des transitions de sens qui témoignent de leur haute an-
tiquité.
A) Le lait et la crème.
1) De la rac. duh (dôgdhi), mulgere, viennent en sanscrit
dôha et dugdha, lait, aussi avadôha et dôhaga, produit par l'ac-
tion de traire. De là également dôghdar, mulctor, bubulcus,
vitulus, dôhana, mulctra, etc. — Conjugué à la lre classe, duh
(duhati) prend le sens de vexare, proprement sans doute tra-
here, lacessere, et qui paraît être la signification première.
Cette racine se retrouve dans le persan duchtan, dôchtan,
traire, et dôgh ( = sanscrit dôha, dôglid) y désigne le lait de
beurre. La forme dôshîdan, en kourde dushim, mulgeo, se lie
probablement au désidératif sansc. duduksh. Cf. sansc. dôsha,
veau, peut-être pour dôksha, et dûsa, lait, dans avidûsa, lait de
brebis.1
Dans les langues européennes, les corrélatifs de la rac. duh
ne se présentent qu'avec le sens général de trahere, mulcere.
On y rapporte le lat. duco, malgré l'irrégularité du c pour h,
irrégularité qui reparaît dans le goth. tiuhan (tauh\ ags. téo-
* Quant à un rapport possible du persan lûghîdan, mulgere, lûgh,
pulûgh, mulgendi actus, soit avec duh, soit avec l'irland. laogh, veau.
Cf. t. I, p. 424.
Il 3
— 34 —
han, ancien allem. ziohan, etc., où, cependant, Yh est pour g,
comme l'indiquent les formes synonymes ags. téogan, scandin.
toga, et les prétérit et participe zôg, zogun de Fane, allemand.
En grec, Max Millier croit retrouver duh dans le verbe èoù^TCù,
flatter, c'est-à-dire caresser de la main en frottant, tout comme,
suivant lui, Ôo,7ttûû appartient au sansc. dah, urere, plutôt qu'à
top ou à dabh que l'on a comparés. l Je crois le reconnaître
aussi dans le cymr. dygu, ferre, vehere (trahere), dwg, action
de porter, armor. dougen et doug, id. Le cymr. dygnu, mo-
lester, tourmenter, de dygn, pénible, tourmentant, etc., se lie
même au sansc. duh, vexare.
Si, toutefois , l'acception de traire est devenue étrangère
aux corrélatifs européens de duh, d'autres rapprochements
prouvent sans réplique qu'elle s'est maintenue dans plusieurs
dérivés qui remontent à l'époque la plus ancienne.
En première ligne, il faut placer le nom de la fille, en scr.
duhitar, celle qui trait les vaches, cet office étant naturellement
dévolu au sexe le plus faible. Ce nom significatif, qui est resté
dans presque toutes les langues ariennes, sera plus tard l'objet
d'un examen spécial.
Un autre groupe d'analogies se présente pour les termes qui
désignent la pluie et la rosée, où les anciens pâtres voyaient
comme le lait des nuages. Cette association d'idées se montre
encore, avec toute son actualité, dans le Rigvêda, où plus
d'une fois les nuages sont comparés à des vaches que les divi-
nités de l'orage traient pour en faire jaillir la pluie.2 Aussi le
1 Voy. Z. S., IV, 368, son savant article sur les verbes en^rw. Tou-
tefois, pour 0«wt«, ]'« remplaçante est une forte objection.
2 Par exemple, I, 64, 5, en parlant des Maruts : Duhanti ûdhah di-
vyânî, mulgent ubera cœlestia, etï6.,6, utsavi duhanti stanayan-
tam, nubem mulgent tonantem.
— 35 —
nuage est-il appelé nabhoduha, de nabhas, ciel + duh. Kuhn
compare, avec raison, le scand. dôgg, pluvia, ros, ags. dectw,
anc. allem. tau, tou, allem. pomér. dauk, etc., où le d primitif
s'est maintenu, comme dans les noms germaniques de la fille,
dauhtar, etc. (Ind. Stud. de Weber, I, 327). Il faut y ajouter
Fane. si. dïïjdï , pluie (Cf. scr. dugdha, lait), russe dojdï, pol.
dészcz, illyr. dasc, etc.
Enfin l'anglais dug, pis, trayon, qui provient sans doute do
l'anglo-saxon où il ne se trouve plus, nous ramène plus direc-
tement encore à la signification de traire.
2) Les langues européennes possèdent en commun une ra-
cine qui, à l'inverse de duh, n'a été conservée par le sanscrit
que dans le sens général de frotter. Le grec dfJLiXyoù, latin
mulgeo, ancien irland. malg (dans do omalg, mulxi;Z.2, 61),
ags. meolcan, scand. miblka , ancien allem. melchan, etc.,
anc. slave mlïïsti ( mluzà ), etc., lithuan. milszti ( mïlzu ), qui
tous signifient traire, correspondent au sanscrit mrg, marg
(mârshti et margati), abstergere, mulcere, purificare; cf. grec
d^ûyoù. Cette racine ne s'applique jamais à l'action de traire,
et il n'en dérive aucun nom du lait, tandis que le goth. mi-
luks, ags. meoluc, meolc, scand. miolk, anc. allem. miluh, etc.,
l'irland. melg, meilg,A l'anc. slave mltko, russe moloko, polon.
mléko, illyr. mljeko, etc., se rattachent clairement à la racine
européenne. Il faut y joindre beaucoup d'autres dérivés, tels
que le gr. dfJLoXyivg, djmoXyiov, seau à traire,2 en lat. mulctra,
en lithuanien milsztuwe, l'allemand mod. molke, petit-lait, en
1 Irland. f mlaeht (Corm., Gl., 20), melg (107). Cf. ôi-melc, com-
mencement du printemps, c'est-à-dire lait des brebis (ib. 427).
2 Hesychius a v-oXyù = vg^oç, nuage, sans doute par suite de la
même liaison d'idées que nous avons signalée à l'article qui précède.
Nous parlerons ailleurs de Yol/u.oX'ydç d'Homère, dont le vrai sens est
encore débattu.
— 36 —
irl. miolcj le russe molozivo, boh. mleziwo, colostrum, l'irland.
mulcan (Stokes, Ir. GL, n° 243), sorte dépotage au lait, mul-
chan (O'R.), lait de beurre, erse mulachan, fromage, etc. —
L'acception primitive de frotter avec la main, essuyer, s'est
conservée dans le lithuan. milszti, aussi bien que dans le grec
CLfJLiftycày ofxoçyvvfju.
On a remarqué avec raison que la séparation des racines
dnh et mrg en deux groupes distincts est un fait important
pour l'histoire des anciens Aryas. On peut inférer des rappro-
chements ci-dessus que duh, en usage à l'époque de l'unité
complète avec le double sens de trahere et de mulgere, n'a été
conservé, dans cette dernière acception, que par les Aryas
orientaux, tandis que les tribus occidentales, déjà séparées, mais
ne formant encore qu'un seul peuple, ont substitué mrg, terme
tout aussi primitif, pour exprimer plus spécialement l'action de
traire.1 Cette hypothèse, soit dit en passant, expliquerait, comme
pour d'autres cas, les rapports qui relient plus spécialement en-
tre elles les langues européennes, sans recourir à celle de Fick ,
de l'existence d'un peuple unique au centre de l'Europe, divisé
plus tard en deux groupes, au nord et au sud.
Un fait curieux, que je me borne à constater sans vouloir
en tirer aucune induction, c'est que la racine marg, dans sa
double application et ses formes diverses, correspond singuliè-
1 Une trace de mrg, chez les Iraniens, dans le sens de traire, se
trouve peut-être dans le pers. mîsîdan, traire, et frotter, presser,
lequel paraît se rattacher au désidér. mrksh (mimrksh\ cf. védique
ni-mrksh, levari, poliri, et mrksh, mrasksh, ungere, où maksh, id.,
West. Rad.). Une forme intermédiaire miksh, comme mish, elfun-
dere = mrsh, rendrait bien compte du verbe persan, d'où Ys doit
provenir de ks. Il est remarquable de trouver en irlandais le mot méis,
opus mulgendi (O'R.), dont Y s ne peut s'être maintenue que par un
effet semblable. En ossète misin est le nom du lait, en scand. misa
celui du petit-lait.
— 37 —
rement bien à tout un groupe de radicaux sémitiques. Ainsi,
en hébreu, on trouve mârâh, strinxit, mârach, fricuit, contri-
vit, mâraq, tersit, polivit, mundavit, en arabe maraza, il a
pressé du bout des doigts, marasha, il a pétri, marasa, il a
pressé le sein d'une femme, maraya, il a pressé le pis, il a
trait; puis avec l pour r, malaka, il a pétri, malaqa, il a tété
(du jeune chameau), malaga, il a pris le sein avec la bouche,
malalia, il a allaité, d'où milh, bouchée de lait, etc., etc.
Faut-il rattacher au groupe qui précède le gr. yctKct (gén.
ycthc&KToç), yXctyoç, le latin lac, lactis, l'irland. lacht, lachd,
le cymr. llaeth, corn, leath, armor. leach, leazf C'est là une
question qui est encore controversée. Pott ( Et. F., I, 236 ;
II, 204) penche pour l'affirmative, en faisant provenir, pour
le grec, y h de /3à et de /U.À. Benfey (G. WL, I, 485) recourt
à des hypothèses plus ingénieuses que solides sur l'existence
de quelques racines fictives, glaksh, vlaksh, inlaksh, etc., pour
expliquer les variations de ces noms du lait.1 La conjecture
la plus plausible est certainement celle de Bopp, qui voit dans
ya-Xc&KTO un composé avec l'ancien nom de la vache, y 6 =
gava,2 explication que Grimm appuie par l'analogie remarquable
de l'irl. bleacht, bliocht, lait, contracté de bo-leacht, comme le
cymr. blith de bu-laeth.
Ceci, toutefois, n'éclaircit pas le second et principal élé-
ment du mot, pour lequel les incertitudes recommencent. Le
rapprochement que propose Bopp ( 1. cit.) de Aclkto avec le
sansc. dugdha pour dukta ( À pour d ) paraît difficilement
acceptable à cause de la différence de la voyelle radicale.
* Voir les objections de Curtius (Gr. Et.'A, 164). Toutefois Pott
(WWb., I, 759) tient encore mordicus (sic) à son ancienne opinion.
2 V. Gr. I, 254. Cf. pour yoc, le kourde ghà ou gà, et le pashaï gà
= sansc. gô, au t. 1, p. 410.
— 38 —
Weber (Ind. Stud., I, 240 ) s'appuie de l'analogie du sansc.
gôrasa, lait, littéral, suc de vache, pour conjecturer un syno-
nyme gôrahta, c'est-à-dire sang de vache ; mais, comme
rakta signifie proprement rouge, il est peu probable qu'il ait
jamais pu désigner le lait blanc, sans faire entrer en ligne de
compte ce qu'une pareille image a de peu attrayant.
Je soupçonne, quant à moi, que ce nom du lait est propre
aux trois branches qui le possèdent, bien que sans doute fort
ancien, car ni le latin ni le celtique ne l'ont reçu du grec. Sa
racine la plus prochaine me paraît être le grec ÀctÇa, prendre,
recevoir, obtenir, laquelle répond au sansc. rg, arg, obtinere,
acquirere, capere, d'où argana, acquisition, gain. De Àflfc^îw,
rac. Kay, se sera formé àc&ktoç, comme Mktoç de teyco,
reclus de rego (Cf. scr. rg et rgu), comme, en sanscrit, rakta,
rouge, de rag, rang, colorer. La forme Acty, serait conservée
dans le synonyme yhctyoç^ contraction de yct-Xccyoç. Le com-
posé désignerait le lait comme le profit, le gain obtenu de la
vache, signification très-naturelle, et que nous avons présumée
déjà pour le nom grec de la laine relativement au mouton
(vid. sup.).1
3) De la racine pî, bibere, dérivent, en sanscrit, payas,
payasa, pêya, pîyûsha, le lait en tant que boisson. En zend,
on trouve, outre payanh, nom. paya, un thème paêman, le
pehlwi pîm ( Anquetil, Gl. ), en afghan poi, py. Le persan
paynû, pînu, bînû, lait de beurre, ne diffère sans doute que
1 Max Mùller (Z. S., 12, 27) a proposé une nouvelle solution pour le
Xa, Xccy.ro final, qu'il rattache à la rac. rag, primitivement briller, d'où
ragas , atmosphère (éclat), puis eau, en tant que lucide, et enfin
nuage. Cf. cependant D. P. où ragas = goth. rikis, ne signifie, au
contraire, que obscurité, brouillard, nuage, poussière, d'où ragasa,
sombre, obscur, etc. Ainsi, d'après Muller, lac, lacti, équivaudraient
à rakti, tandis que yocÂa, -otxroç, serait provenu de yXxyoç = gô-ra-
— 39 —
par le suffixe, analogue à celui de vrïvov, boisson, de 7tiû),
7rivcù, 7TifM, bibo ; et ceci nous conduit au lithuan. pënas, lait,
que l'on a rapporté, avec moins de raison, ce semble, au scr.
phêna, écume. Je ne sais si Pags. bëost, anc. ail. piost, colos-
trum, pourrait se rattacher à pî, avec l'affaiblissement de p en
b, qui se montre dans le sansc. pibati, piba = lat. Mbit, bibe.1
Le fînland. pïimo, esthon. pïim, lait, a tout l'air d'une impor-
tation iranienne.
4) Le scr. sara ou sara, m., désigne la crème, le coagulum
du lait, le beurre frais, proprement l'essence, la substance, ce
qui provient ou découle d'une chose, de sr, sar, ire, fluere.
C'est peut-être l'armén. ser, crème, siahpôsh zor, lait, à moins
que ces termes n'appartiennent au sansc. kshar, fluere, d'où
kshara, eau, et kshîra, lait, le pers. shîr, etc.
A sara-m, au neutre, dans le sens d'eau, répond exactement
le lat. sermn, petit-lait, sérum lactis, prop. eau du lait. Le gr.
opoç, que l'on a comparé, en diffère probablement, à cause de
la forme ofpoç (pour op<roç? = scr. rasa, suc?).2
gas, avec addition d'un £, comme dans ôfvocfj, -«xroç, vù'| , -ktoç. Il
rejette comme trop hypothétiques les explications de Grimm, dePott,
de Benfey et de Curtius. A l'objection de ce dernier, que gô est de-
venu /3owç en grec, il répond que yolxx est un ancien composé de la
période prohellénique. — Sur ce nom du lait, voir encore une mono-
graphie de Braunhofer, critiquée en détail par Windisch (Z. S., 21,
243), de part et d'autre avec des vues différentes encore des précé-
dentes. Cf. aussi les observations de Curtius (Gr. Et.3, 163) sur toute
la question.
1 Pott (WWb., 2, I, 348) compare, en effet, pîyûsha, ainsi que le
grec nvoç, qu'il rapproche de pivâ, eau. — Weber, par contre (Z. S.,
5, 235), rattache tous ces mots hpus,push, nourrir.
2 D'après Curtius [Gr. Et.3, 325), opo'ç, la forme la plus ancienne,
correspond bien à sara-s, et ne doit pas être séparé de oppo'ç, augmenté
peut-être par un suffixe additionnel.
— 40 —
Comme sara, m., s'applique également au coagulum du lait,
il faut sans doute y rapporter l'ancien slave syru, caseus (Cf.
syrieniie, coagulatio), russe syru, pol. sér, illyr. sir, lithuanien
suris, etc.
5) Le scr. dadhi, lait aigre, thème dadhan, dans les cas
obliques, pour lequel le D. P. ne donne pas d'étymologie, se
retrouve identiquement dans l'anc. pruss. dadan, lait (Nes-
selm., Thés., 25). Cf. peut-être le goth. daddjan, allaiter, anc.
ail. deddi, tetin, suéd. dadda, nourrice, ainsi que le cymr. didi,
diden, tetin.
6) Je note, enfin, comme coïncidences isolées, le sanscrit
sûma, lait, de su, succum exprimera, et l'anc. silésien saum,
crème ; ainsi que l'arménien gathn, lait, de gthel, traire, gith,
action de traire, et l'irl. geat, lait, d'après O'Reilly.
B) Le beurre et sa préparation.
L'art de battre le beurre a été connu des anciens Aryas dès
l'époque la plus reculée, ainsi que le prouve le nom de la ba-
ratte qui s'est maintenu dans plusieurs langues. Il semble
n'avoir servi d'abord que d'aliment, et son emploi pour les
sacrifices, qui plus tard a pris une si grande extension chez
les Aryas de l'Inde, paraît être propre à ces derniers, car la
riche synonymie du sanscrit pour le beurre clarifié que l'on
versait sur l'autel ne s'étend pas au dehors de l'Inde. Il est
singulier, par contre, que les Grecs et les Romains aient
ignoré longtemps l'usage du beurre, tandis qu'ils connaissaient
fort bien le fromage. Le grec (iovrvpov ne figure guère que
dans les écrits des médecins, les Romains ne l'employaient
— 41 —
qu'en guise de remède, et Pline, encore, en parle comme
d'une substance peu connue, et d'un aliment propre aux peu-
ples barbares.1 Aussi ces deux peuples ne possèdent-ils aucun
nom de la baratte et du barattement, tandis que les autres
races européennes ont conservé les anciens termes, avec
l'usage même du beurre.
1) Pour exprimer l'action de baratter, le sanscrit emploie
surtout la racine math, manth, agitare, peragitare, agitando
producere. De là mâtlia, mathana, manthana, barattement,
manthinîj baratte, mathin , mantha, manthara, mantïiâna,
batte à beurre, manthara et manthaga (né du barattement),
beurre, mathita, pramathita, lait de beurre, etc. Cette racine
a des affinités étendues dans les autres langues de la famille,
mais nous n'en suivrons ici les dérivés qu'autant qu'ils se rat-
tachent à quelqu'une des acceptions ci-dessus.
En persan, et par le changement ordinaire des dentales en
sifflantes devant une seconde dentale, il faut probablement y
rapporter mâst, mâstû, mâstûnah, mâstînah, lait de beurre, et
lait aigre, en kourde mâst, masti, en afghan maste. Cf. persan
mâstdân, sorte de vase à baratter.2
Dans les langues européennes, voyons d'abord ce que sont
devenus les noms de la baratte et de la batte à beurre.
L'ancien slave a conservé la rac. rnath, manth, dans mâtiti,
russe mutûï, polon. matac, agitare, perturbare. Cf. russe mo-
tâtï, motnutï, secouer, branler. A mâtiti se lie le polon. màteiv
(gén. mâtwi), batte à beurre, à mutitï, motâti, le russe mu-
1 Hist. Nat., 11, 41, 96 et 28, 9, 35. — Les Hébreux aussi ne pa-
raissent pas avoir connu le beurre.
2 La forme math se retrouve dans le pers. mai, étonné, confondu
= scr. mathita, id. De là l'expression de mât kardan, faire mat aux
échecs, jeu qui nous est venu de l'Orient.
— 42 —
tôvka, motilo, motushka, motôria, moulinet, moussoir = bâton
à baratter.
Du lithuanien mensti (mentu), agiter, proviennent de
même mente ( = sansc. mantha ), mentèle, mentïkke, spatule
pour remuer, et, surtout, mentùre, -ris, batte à beurre = scr.
mantliara}
L'alban. mutin, baratte, correspond au scr. manthinî.
A l'extrême Occident, le sansc. mantliara se retrouve par-
faitement conservé dans l'irland.-erse meadar, baratte, pour
matar et mantar, le d non aspiré indiquant la perte de l'an-
cienne nasale. Le synonyme irlandais muidhe, gén. muidhean,
par contre, se rattache à mathana. Un troisième synonyme,
maistre, maistred, barattement (Stokes, Rem}, 5), d'où mais-
tirim, baratter, rappelle les formes iraniennes et slaves avec s
pour th, et semble indiquer un thème primitif mastra pour
mathtra. En cymrique, nous trouvons mod-bren, bâton à
remuer, et surtout mwndill, spatule, cuiller à remuer. Ce der-
nier nom nous conduit au scand. môndull, môndultré, lignum
teres, seu manubrium ligneum quo mola circumagitur, que
Kuhn rattache à un thème sanscrit mantliala, ou manthula
= mantliara.2 Cf. russe motilo, moussoir.
Enfin, et par une transition facile à comprendre, cet an-
cien nom de la batte à beurre se reconnaît sans doute dans
le latin mentula, dont le sens primitif s'était complètement
perdu avec la pratique même du barattement. Ce rapproche-
ment est d'autant plus sûr que le sanscrit ûrdhv amant Jiin (ûr-
dhva, sursum ) signifie à la fois batte à beurre et pénis. Le
latin muto, -onis, de munton et manton ? semble de même ré-
i D'après Mikuzky, Beitr., I, 234.
2 Die Herabholung des Feucrs, p. 13, 14.
— 43 —
pondre à manthana. Il serait possible que le lithuan. motérus,
adulte r, eût été dans l'origine synonyme de mentula ( pars
pro toto), surtout dans le composé sivëtmoteris, id., de sivêtis,
étranger, hôte.1
Les noms des produits du barattement, le beurre et la bat-
tue, qui appartiennent à la racine math, manth, offrent aussi
quelques analogies à signaler.
J'ai parlé déjà du pers. mâst, etc., lait de beurre, où le th
de la racine est devenu s. Le même changement se présente
fréquemment en slave, et parfois ailleurs, dans des circons-
tances semblables. Cf. mesti, jacere, pour met-ti, etc. Je com-
pare donc l'anc. slave mastï, unguentum, pinguedo, primiti-
vement, sans doute, beurre ; d'où mastiti, ungere, etc., et de
plus maslo, oleum, et, dans tous les autres dialectes, butyrum,
mat-lo, comme cislo, numerus, pour citlo, racine cït, nume-
rare, etc. L'anc. ail. mast, sagina, et ses analogues, ne sau-
raient être séparés du slave.2
Dans les langues celtiques, le nom du lait de beurre, sansc.
mathita, paraît avoir passé au petit-lait, en cymr. maidd, mais
en irland. medg (Corm., GL, 115), mod. meadhg, meidh,miug,
en erse mèag, meang, avec un g final énigmatique. Cf. vieux
franc, mègue. Ne serait-ce point là un débris du ga dans le
sanscrit manthaga, beurre, c'est-à-dire né du barattement, ce
qui peut s'entendre également du lait de beurre? — L'espa-
gnol manteca, beurre, catal. mantega, portug. manteiga, est
1 Sur mentula, de manth, cf. Aufrecht, Z. S., 9, 231. Il faut ajou-
ter l'anc. irl. moth, membrum virile (Cormac, Gl., 108), delà forme
math, à cause du t aspiré. Cf. de plus Zeyss (Z. S., 17, 431, et 19, 188)
pour des conjectures différentes.
2 Mais voyez ci-dessus (p. 21 ) l'opinion de Weber quant à une
racine mas.
— 44 —
isolé dans les langues néo-latines, et pourrait bien avoir une
origine celtibère et, partant, gauloise.1
2) A côté de math, le sanscrit offre la racine khag, agitare,
remuer, d'où dérivent khagâ, barattement, khagaka, batte à
beurre, khaga, khagikâ, cuiller à remuer, etc.
Kuhn déjà en a rapproché le grec cxcl^ù) = sansc. khang,
claudicare, ainsi que l'ags. scacan, scand. skaka, quatere, con-
cutere (Z. S., III, 429 ; IV, 124), comparaison d'autant plus
sûre que le scand. skaka désigne aussi la masse de beurre frais
qui sort de la baratte.
Je compare également l'irland. caigne, van, d'où caignighim,
vanner, et qui pourrait aussi bien signifier une baratte. Un
des noms de cette dernière, cuinneog, en cymr. cunnawg, pro-
vient peut-être par assimilation de euigneog, ou de cuingeog.
3) Le sansc. gargara, baratte, suivant le D. P. une onoma-
topée, pourrait bien dériver, par réduplication, de la rac. gf,
gary dans le sens causatif de conterere (Cf. gargara, brisé, di-
visé), et à laquelle appartiennent sans doute l'ags. cyrin, cerene,
baratte, cernan, scand. kirna, angl. chum, baratter, anc. allem.
chirnan, triturer, etc.2 (Cf. t. I, p. 326, les noms slaves et
germaniques de la meule.)
4) Je réunis ici quelques analogies entre des termes qui
désignent le beurre, le lait de beurre, etc.
Scr. ghrta, beurre clarifié, comme âghâra, abhighâra, id.,
de ghr, ghar, conspergere. — Cf. kourde ghert, lait caillé. —
En irl., on trouve f gert, lait (O'Dav., Gl, 94), mod. geart,
lait, en lithuan. gréti?ie, crème, de grëti (grëju), écrémer, qui
semble répondre à la forme causât, ghâray, effundere.
1 Cf. Diez, Wb., I, 148, qui conjecture une provenance du latin
mantica, sorte de sac, bourse, parce qu'en Espagne on a pu, à
l'exemple des Arabes, faire le beurre dans des outres.
2 Le lett. kêrne, baratte, est sûrement germanique.
— 45 —
Scr. âgya (vêd.), beurre clarifié, dans Wilson âga, de ang,
ungere, d'où angana, unguentum. — Kuhn (Z. S., I, 384) y
ramène fort bien l'anc. allem. ancho, beurre, thème anchin,
ail. moy. anke, et, en Suisse encore, anken.1
Scr. patrala, lait écrémé, lait clajr, ou pattrala, suivant
D. P. de pattra, feuille, c'est-à-dire mince, clair. — Lith. pu-
trullis, lait de beurre.
C) La caillebotte et le fromage.
Le procédé employé pour faire cailler le lait au moyen de
divers astringents, paraît avoir été connu de toute antiquité,
et appliqué en vue d'assurer la conservation de ce précieux
aliment, en lui donnant une forme solide. C'est là du moins ce
que l'on peut conjecturer en comparant quelques-uns des
noms de la présure, du caillé et du fromage.
1) Le scr. kvala, présure, caille-lait, est probablement con-
tracté de kuvala, ainsi que l'indique le D. P. Mais kuvala, qui
désigne le fruit du Zizyphus Jujuba, employé sans doute comme
caille-lait, n'est, à son tour, qu'une forme secondaire de hu-
vara, qui signifie astringent, en parlant du goût.
A ce kuvara semble correspondre le cymr. cywer, ou
cywair, présure, aussi civyrdeb ( deb, suffixe ) d'après le dict.
de Walters, d'où peut-être l'anglais curd, caillebotte, qui
manque aux autres langues germaniques.
Rien ne ressemble mieux à kvala que le cymr. caul, pré-
1 C'est aussi à la rac. ang que Siegfried a rattaché l'irland. f imb,
beurre (Corm., GL, 96), en comparant angi, onguent, avec change-
ment de g en 6, comme dans bô, vache — gô, et de n en m devant la
labiale. Le cymrique f emmeni, pour embeni, mod. aman, corn, f
emenin, armor. amann, beurre, répondrait de même au scr. angana.
— 46 —
sure, armor. keûlê, kaouled. Ce ne serait là toutefois qu'un
simple jeu du hasard si, comme cela est probable, ces termes
proviennent du latin coagulum, de même que notre caillé, ital.
quagliato, etc.
2) Le persan labwah, présure, paraît se rattacher à la rac.
sanscrite labh, capere, concipere, conservée d'ailleurs dans
lâbîdan, demander. Cf. sansc. labhasa, solliciteur, demandeur.
On dit se prendre pour se coaguler, et présure vient de pre-
hendere.
Les langues germaniques ont conservé ce nom dans l'ang.-
saxon lib, cese-lib, présure, scand. lif, caillebotte, d'où lifraz,
coagulari, ail. moyen et mod. lab, coagulum, labben, leberen,
coagulare, etc. — L'irl. slamban, erse lamban, présure, se lient
à la forme sansc. lambïi = labh.
3) Je ne connais pas de nom sanscrit du fromage, et les
termes iraniens qui le désignent n'ont pas d'analogues en Eu-
rope. D'après le témoignage de Pline, les peuples barbares,
qui faisaient usage du lait aigre et du beurre, ignoraient celui
du fromage.1 Cela doit s'entendre sans doute des Germains et
des Celtes qui auront appris des Romains à faire le fromage,
puisque son nom latin, caseus, sl passé dans l'ags. cyse, Pane,
allem. chasi, etc., aussi bien que dans l'irland. câis, le cymr.
cawsj armor. kaouz, etc. Cependant le nom et la chose doivent
remonter certainement à une haute antiquité ; car le latin ca-
seus, qui n'a pas d'étymologie indigène, semble répondre de
tout point au sanscrit kashâya, astringent, et parfumé, comme
substantif saveur astringente, décoction, suc réduit par la
coction, etc. La rac. est kash, scabere, prurire, d'où kashana,
1 H. N., XI, 41, 96. Mirum barbaras gentes, quae lacté vivant, igno-
rare, aut spernere tôt sncculis casei dotem.
— 47- —
mal mûr, c'est-à-dire acide, etc., à laquelle appartiennent sans
doute le persan kashk, lait aigre, séché,1 et l'ancien slave
kyslu, acerbus, kyslota, acies, le russe kiselï, bouillie aigre,
lith. kisëlus, id., etc. Il est fort possible, d'après cela, que le
fromage ait été connu des anciens Aryas, aussi bien que le
beurre, et que, dans la suite des temps, leurs tribus séparées
aient adopté de préférence l'une ou l'autre de ces préparations
du lait.
4) Le grec Tvpoç, fromage, d'où rvpiûo, -ptoù, faire cailler
le lait, puis, flgurément, mélanger, et qui reparaît dans fiov-
Tvpov, beurre, n'a pas d'étymologie indigène, mais il se lie à
la même racine que l'anc. si. tvarogu, lait caillé, russe tvarôg,
tvorég, pol. twarog, etc. En anc. prus. tivarg, dicarg, lette twa-
raka, désigne un petit fromage de caillebotte (Nessel., Thés.,
34). Cf. ail. moy. twarc — quark. Ces noms dérivent du slave
tvariati, tvoriti, formare, facere, en lithuan. twerti, id., et sai-
sir, entourer, d'où tivaras, tworà, enclos, enceinte, tivirtas,
ferme, solide, etc. Cf. ancien slave tvrudu, firmus, et irlandais
tuaramhuil, ferme, solide (O'R.), et, pour l'analogie du sens,
l'ital. formaggio, fromage, de formare. ,
Je ne trouve en Orient aucun nom corrélatif pour le caillé
et le fromage ; mais, comme au verbe lithuanien-slave répond
sûrement le zend thwareç, former, faire, couper, d'où
thwarsta, formé, limité, déterminé (Justi, 141), il est assez
probable que quelque terme analogue, encore ignoré ou perdu,
en sera dérivé.2
1 Cf. aussi kasht, sel, salin.
2 En fait de produits du troupeau, il faut encore mentionner le fu-
mier de vaches, employé sans doute, à l'état sec, comme combustible,
avant de l'être comme engrais lors du développement de l'agriculture,
et tel qu'il l'est encore en Orient et ailleurs. Il est difficile, en effet,
de séparer le sanscrit busa, déjection, ordure et fumier de vache se-
— 48 —
ARTICLE VI.
§ 171. TERMES DIVERS EMPRUNTÉS A LA VIE PASTORALE.
A côté des noms que nous venons de passer en revue, il est
toute une classe de mots qui se rattachent moins directement
à l'existence des anciens pasteurs, mais qui sont très-propres à
nous en révéler plus d'un trait caractéristique. On conçoit
aisément que les habitudes, les intérêts, les préoccupations
d'un genre de vie bien déterminé ont dû se refléter dans beau-
coup d'expressions et de termes figurés, d'abord clairement
significatifs, et qui, plus tard, se sont généralisés en perdant
plus ou moins leur sens primitif. Ainsi les notions de pouvoir
et de richesse ont été liées, dans l'origine, aux fonctions du
pâtre et à la possession des troupeaux , les divisions du jour
ché (D. P., d'après Wilson), de notre bouse, toutefois le rapport ne
saurait être direct. Si l'on compare le provençal boza, buza, le comas-
que boascia, le roumantch bovatscha (Diez, Wb., II, 228), ainsi que
l'armor. béuzel, bouzil, bouse séchée au soleil et combustible, le corn.
busl, bouse, le cymr. biswal, id., on reconnaîtra que ces mots ont été
rattachés aux noms du bœuf et de la vache, bas, bô, bu, cymr. aussi
biw, etc. (Cf. t. I, 411), tandis que busa paraît provenir d'une racine
bus, laisser aller, déjeter (Dhâtup.), et n'a aucun rapport avec gô, le
corrélatif de bos, etc. Les noms européens, dérivés ou composés, mais
de sens obscurs, semblent bien être des transformations étymologiques
du terme primitif.
J'ai parlé ailleurs déjà (t. I, p. 411, note ) du sansc. gavya, adj.,
ce qui provient de la vache, aussi son fumier, pancagavya, n., ses
cinq produits, lait, caillebotte, beurre, urine et fumier; en comparant,
dans cette dernière acception, le pers. gôtj et l'irl. f gai, gae.
Un autre mot, l'irland. f baccat, fumier de vache (Corm., Gl., 27),
rappelle le pers. jp&c'as/c, bouse séchée, depac, cuire, sécher. Cf. scr.
paliti, cuisson, pacata, cuit, etc.
— 49 —
ont tiré leurs noms des soins quotidiens donnés au bétail, etc.
On trouve des exemples de ce genre dans toutes les langues
ariennes ; mais c'est le sanscrit surtout qui en présente le plus
grand nombre, parce qu'il nous reporte très-haut vers les
temps de la vie pastorale. Beaucoup de ces termes anciens se
sont perdus, ou ont été remplacés par des équivalents, mais la
philologie comparée peut encore en signaler quelques-uns qui
sont restés comme des témoignages des mœurs simples et pa-
triarcales de nos ancêtres. Ce sont ceux-là principalement qu'il
nous importe d'étudier en les classant suivant l'ordre d'idées
auquel ils appartiennent.
§ 172. LE TROUPEAU ET LA RICHESSE.
Le bétail et ses produits constituent la principale richesse des
peuples pasteurs, et, par suite, leur moyen habituel d'échanges,
l'objet de leur ambition comme butin de guerre, la source des
libéralités et des salaires, etc. Aussi a-t-on remarqué depuis
longtemps les affinités fréquentes qui rattachent les noms de
la propriété, de l'argent, du butin, à ceux du bétail et du
troupeau. Festus, déjà, fait cette observation relativement au
latin pecunia et peculium,1 et on en trouve ailleurs des exem-
ples multipliés. Ainsi, le goth. faihu = pecus, etc., désigne
l'argent dans la version d'Ulphilas, et il traduit fxctfjLfjLCàvciç,
richesse, -p&rfaihuthraihns,\ittêr. abondance de bétail. Dans les
lois lombardes et anglo-saxonnes, la dot paternelle est appelée
fader-fio, faedering-feoh, et l'anglais maidenfee, dot de fille,
1 Quorum verborum frequens usus non mirum, si ex pocoribus pen-
dent ; cum apud antiquos opes et patrimonia ex his prsecipue consti-
terint, ut adhuc etiam pecunias etpeculia dicimus (Festus, voc. ab-
gregare).
II 4
— 50 —
ainsi qaefee, salaire, récompense, ne rappelle plus en aucune
manière le sens primitif de bétail. Le goth. skatts, moneta,
ags. sceat, scand. skattr, anc. allem. scaz, pecunia, thésaurus,
se lie à l'anc. slave skotiï, $koti?ia, jumentum, pecus, et à l'irl.
scath, troupeau, dimin. scottân, sgotân. Au goth. arbi, patri-
monium, répond l'anglo-saxon yrfe, pecus. Il en est de même
clans les langues celtiques où, en irlandais, bosluaiged, richesse,
dérive de bo-sluag, troupe de vaches,1 où crodh, crudh} signifie
à la fois bétail, propriété, dot et argent, et spreidh, le cymr.
praidd, bétail et butin. Cf. lat. prœda. L'irl. ealblia, troupeau,
prend l'acception de bien, gain, profit, dans le cymr. elw, d'où
elwa, ehoi, s'enrichir, etc.2
En Orient, le sanscrit nous offre un exemple du même
genre de transition de sens dans le mot rûpya, or, argent,
puis monnaie, roupie, qui est provenu de rûpa, bétail.5
Avant l'usage de la monnaie, tout s'évaluait en têtes de bé-
tail pour les échanges et les salaires. Dans Homère (IL, VI,
236), les armures de Glaucus et de Diomède sont esti-
mées valoir respectivement cent bœufs et sept bœufs. Chez
les anciens Romains, un bœuf équivalait à dix moutons, et,
chez les Scandinaves, une vache à douze béliers.^1 Les Cymris,
au moyen âge encore, estimaient tout en vaches, et donnaient
vingt-huit vaches pour sept chevaux, quatorze vaches pour
quatre chiens, douze vaches pour une épée, six vaches pour un
1 Stokes, Ir. Glos., p. 66.
2 Cf. le nom des Elvii et des Elvetii gaulois, qui signifie probable-
ment pasteurs.
3 Ce rapprochement n'est qu'apparent. Suivant le D. P., rûpya
dérive de râpa, forme, image, et désigne l'argent monnayé, et mar-
qué d'une effigie. Le sens de rûpa, bétail, ne se trouve jusqu'à présent
que dans les lexicographes indiens.
* Mommsen, Rom. Gesch., I, 481.
— 51 —
faucon, etc.1 En Irlande, d'après les lois Brehon/les sept or-
dres de bardes étaient rétribués en vaches, depuis une jusqu'à
vingt, quand ils étaient appelés à fonctionner.2 Chez les anciens
Iraniens, le salaire des médecins consistait également en bé-
tail, comme on le voit aux chap. vu et ix du Vendidad ; et
c'est aussi des vaches que recevaient dans l'Inde les Brah-
manes officiants. Aux temps épiques, on voit les rois les dis-
tribuer par milliers, mais à l'époque védique on en était moins
prodigue. Les épithètes de çatagu, sahasragu, qui possède cent
ou mille vaches, indiquaient l'opulence ; mais on trouve aussi
daçagu, possesseur de dix vaches (D. P., II, 750, v. guy n° 5), et
un fils d'Angiras, nommé Saptagu, n'en avait que sept.5 C'est
ainsi, sans doute, qu'il faut expliquer les noms de navagva et
de daçagva, qui désignent, dans le Rigvêda, deux classes de
prêtres officiants, et que l'on a interprétés de plusieurs ma-
nières différentes.4 Le gva final est peut-être -pour gava — gô
et gu, et ces noms indiquaient probablement le nombre de va-
ches, neuf et dix, auquel ces prêtres avaient droit comme sa-
laire. Cette conjecture trouve certainement un appui dans le
zend hvôgva, contracté plus tard en hvôva, et que Haug ( Gâ-
thâs.j II, 150 ) traduit par : qui a des vaches à soi, c'est-à-
dire qui est riche, en y rattachant le persan chôb, bon, beau,
1 Lib. Landav., p. 456, et Mabinagion, part. IV, p. 324. Dans le
conte de Kilhwch et Olven (ib., 253), il est parlé du riche costume du
héros, qui avait sur ses souliers et ses étriers pour 300 vaches d'or
et, à sa chabraque, quatre pommes d'or, chacune de la valeur de 100
vaches.
2 Walker, Hist. of the irishBards. Dublin, 1786, p. 30.
3 Rigvêda, 10, 47. Cf. pancagu, acheté pour cinq vaches, panca-
gavadhana, possession de cinq vaches. D'après Bopp [Vergl. Gr., 3,
474), dvigu signifie proprement : qui a deux vaches ou qui les vaut.
4 Cf. Langlois, Rigvêda, t. I, p. 274. Roth, Comment, sur le Ni-
rukta, p. 149.
— 52 —
vaillant, avec perte complote du sens primitif. Le corrélatif
sanscrit serait svagva.1 D'autres épithètes analogues, formées
en sanscrit avec gn, se rapportent, non plus au nombre, mais
à la qualité des vaches possédées. Ainsi l'ancien prince Ahî-
nagu ( Vishnu Pur. de Wilson, p. 386) en avait d'intactes, de
prospères, et arishtagu, sarvagu, expriment la même chose.
Sugii est celui qui a de bonnes vaches, çâcigu, de forts tau-
reaux,2 ijushtigii, des vaches grasses ou prospères, mais
krçagu, des vaches maigres. Etre privé de vaches, agu, équi-
valait à être pauvre, et en avoir beaucoup, bhûrigu, indiquait
la richesse. Les hymnes du Rigvêda offrent de fréquentes in-
vocations aux dieux pour demander ce qui constituait alors le
bien principal. Ainsi (Langlois, I, 371) : « Accordez-nous la
« richesse et des centaines de vaches ! » Et t. IV, 213 :
a 0 Dieu que le monde implore ! puissions-nous, par le nom-
« bre de nos vaches, surmonter la pauvreté malheureuse, etc.»
Les rapprochements ci-dessus, que l'on pourrait multiplier
encore, ne prouvent toutefois qu'une similitude inhérente aux
conditions de la vie pastorale, mais, par cela même, on peut
déjà en inférer qu'ils ont une certaine valeur pour les temps
de l'unité primitive. Il faut maintenant les appuyer par la com-
paraison plus directe de quelques termes qui paraissent dater
de cette époque reculée.
1 Le D. P., cependant, donne à -gva, dans les composés cités, le
sens de l'allemand -fach, -fâltig, navagva, adj., neunfach, etc., ce qui
éloignerait tout rapport avec la vache. Justi, d'autre part (334), re-
garde hvô comme une forme augmentée de hu = scr. su, bien, bon,
beau, ce qui conduirait encore à une autre signification. Pour hvôva,
qui était le nom d'une famille, il se borne à comparer le sanscrit na-
vagva et daçagva, sans s'expliquer sur le gva final. Cf. plus loin le
sanscrit sugava, adject., zend Hugâo, possesseur de bonnes vaches.
2 Epithète d'Indra. Le D. P. n'admet pas cette interprétation des
commentateurs et n'en donne pas d'autre.
— 53 —
1) Je viens de citer deux composés sanscrits avec gu, agu
et bhûrigu, qui signifient autant que pauvre et riche. Du pre-
mier se forme même le subst. agôtâ, pauvreté, littér. privation
de vaches. En grec, nous trouvons les analogues parfaits de
ces termes dans dSovTyjç et 7roXvZo\)Tfig (ttoài» = scr. pulu,
puru, synonyme de bhûri). Hésiode emploie le premier comme
équivalent de àitTYifjLûùVi d7ropog, pauvre :
KfaàtV eTgàooc' ocviïpoç oiGovrew. (Op. etD., v. 451.)
Cor autem rodit viri bobus-carentis (i. e. egeni).
Le second se trouve dans Homère (II., ix, 154):
'Ev à' ocveïfsç voc(ov<ri flroXvp'pjivsç, Tto'kvÇoZToit.
Et viri habitant pecudibus, — bobus-abundantes (i. e. divites).1
2) Une autre coïncidence remarquable se présente entre
le sanscrit sugu, sugava, adj., possesseur de nombreux ou de
beaux troupeaux de vaches, le nom propre zend Hugâo
(Justi, 326), et les noms grecs Evfioioç, '(iotcc, EvGûottiç, -rri,
ainsi que celui de Evfioia,, l'Eubée, comme riche en trou-
peaux.
3) Le sanscrit gôtra, de gô et de trâ, servare, primitive-
ment au neutre, enclos pour les vaches, étable, et au féminin
1 ïloXvBovTyç, ainsi que les noms propres ïloXvfiovç, -/3oç, -Booms, -@oix,
répondent au zend pourugâo,-gâvô, riche en vaches (Justi, 193), qui
serait en sanscrit purugu, -gava. Ces noms, qui impliquaient la ri-
chesse, étaient comme des titres d'honneur, tels que, dans l'Inde, ceux
de gôsvamin , possesseur de vaches, gômin, gômant, id. et riche,
gôpati, maître des vaches, puis, en général, chef, seigneur. En Irlande,
où aire, airech, désignait un homme noble, un chef (Cf. scr. arya,
ârya, maître, seigneur, âryaka, homme respectable), le bô aire appar-
tenait à l'un des ordres de la noblesse. Il devait posséder un sclb, ou
domaine héréditaire, pouvant nourrir au moins dix vaches (O'Curry,
Manners and customs ofthe anc. Ir., édité par Sullivan, t 3, p. 519;
et O'Dom, GL, suppl/ à O'Reilly),
— 54 —
gôtrâ, troupeau de vaches, a pris dans la suite des temps des
acceptions très-diverses ; savoir, au neutre, celles de famille,
race, tribu, classe, multitude, puis foret, champ, propriété, ri-
chesse, et d'autres encore; au masculin, montagne, comme pâ-
turage, et, au féminin, terre, dans le même sens. Ces transi-
tions se comprennent assez bien par elles-mêmes, et celle de
richesse doit être des plus anciennes. En lithuanien, en effet,
nous retrouvons gôtra sous la forme de gutras, bien-être, ai-
sance.
4) Dans le Nâigh. (il, 10), bandhu est indiqué comme sy-
nonyme de dhana, richesse, bien mobilier, argent, etc. Si l'on
considère que ce mot dérive de bandh, ligare, capere, d'où
bandhana, corde pour attacher le bétail, tout comme paça, id.,
de paç, d'où vient paçu, bétail, on peut présumer que bandhu
a eu, dans l'origine, ce dernier sens.1 — Il est très-remar-
quable, du moins, de trouver dans le lithuan. banda la double
acception du gros bétail, et de fortune, profit, revenu.2
5) Un rapport analogue existe peut-être entre le scr. vrta,
richesse, trésor (Nâigh. , il, 10) ; et le goth. vrithus, ags. wraedh,
troupeau.
6) Enfin, au sansc. nîta, richesse, aisance, de ni, ducere,
secum ducere, portare, répond évidemment l'irl. ni, pluriel
neithe, bétail, et bien, chose en général.5 L'ags. neat, pecus,
n'offre qu'une ressemblance apparente, car il se rattache au
scand. naut, anc. ail. noz, id., du goth. niutan, anc. ail. niuzan,
1 Bhandu n'a d'ailleurs que les acceptions de connexion, parenté ;
parent, ami, etc. (D. P.)
2 Pour ce dernier sens, qui manque dans Nesselmann, cf. Beitr. de
Kuhn, II, 49.
3 Zeuss2, 861, donne l'anc. irl. ni, res.
— 55 —
uti, frui. — On peut croire, d'après l'étymologie de nîta, que
l'acception de troupeau a précédé celle de richesse.1
§ 173. LA VACHE ET LA FAMILLE.
Comme source principale du bien-être et de la richesse, la
vache tenait une grande place dans la vie et les affections de
la famille. Les langues ont conservé quelques traces de ces
souvenirs de la vie pastorale.
1) J'ai déjà parlé plus haut du sanscrit gôtra, dans ses
acceptions diverses d'étable, de troupeau de vaches, de pos-
session , abondance , accroissement , etc. , puis de famille,
race, tribu, etc.2 Gôtra signifie aussi le nom de famille, gô-
traka, la descendance, la généalogie. De là sagôtra, adj., qui a
de la race, et le contraire, agôtra, sans généalogie.
Ni le zend, ni les autres idiomes iraniens n'ont conservé
gôtra comme famille, et, en Europe, je n'ai pu signaler que le
lithuan. gûtras, bien-être, aisance, comme corrélatif de gôtra,
possession, abondance, prospérité. Mais, à son défaut, le pers.
moderne gôhar, gawhar, famille, en offre un synonyme par-
fait. Il s'explique, en effet, par gô, gaiv, vache, et le zend har,
protéger, nourrir, d'où hâra, haretar, protecteur, hareta,
i Sur nita et vrta, cf. les doutes de Weber (Beitr., 4, 276). Il est
certain que ces rapprochements n'impliquent que la possibilité que,
dans la langue primitive, les termes en question aient désigné à la fois
le troupeau et la richesse. Pourlegoth. vrithus, cf. encore le sanscrit
vrâta, troupe, multitude, delà rac. var, entourer, comme aussi, peut-
être, vrta, richesse (D. P.).
2 Les significations ultérieures de terre, champ, montagne, etc., se
lient sans doute au sens primitif de lieux de séjour et d'entretien pour
les vaches.
— 56 —
nourri, harethra, nourriture, haurva, adj., qui protège (Justi).
Comme gôtra, gôhar signifie aussi race, lignée, descendance,
origine ; puis un homme de race noble, d'où gawharî, adj.?
noble, de haut lignage, généreux, etc.
2) Parla vie en commun, avec ses hasards partagés, par les
soins de chaque jour donnés et reçus, par les liens réciproques
d'intérêt, les vaches en venaient à être regardées comme fai-
sant partie de la famille, et à prendre part à ses affections.
Aussi, en sanscrit, comme dans plusieurs langues ariennes, on
voit les noms de quelques-uns des membres de la famille pas-
ser à l'animal domestique, et réciproquement.
En sanscrit, la vache est appelée mâtar, mère, et vaçâ,
c'est-à-dire l'aimante, la soumise, comme se nomment aussi la
femme et la fille (Cf. t. I, 421, note). Le grec 7toûiç, 7ropTiç,
7rof>Tot,£, m. et f., désigne à la fois le veau, la génisse, et le
jeune homme, la jeune fille, comme en latin junix, juvencus,
-eu. Au cymr. anner, pour ander, génisse (Cf. f enderic, ju-
vencus, mod. enderig ; Beitr., VII, 411), répond l'irl. f ain-
der, femme, jeune femme nubile, maintenant ainnear (Corm.,
GL, 12).*
Aucune de ces assimilations ne paraît remonter à l'époque
de l'unité primitive , mais il en est une très-remarquable qui
est évidemment dans ce cas.
3) Je veux parler du scr. vatsa, m., vatsâ, f., veau, dont le
sens propre, comme on l'a vu (t. I, p. 423), est celui d^anni-
culuSj et qui prend l'acception d'enfant, de jeune homme. Au
1 Cf. le basque andrea, femme, peut-être celtibère. Les noms cel-
tiques peuvent être en rapport avec le sansc. antara, -râ, adj., qui
tient de près, proche, très-affectionné. Le d pour t, comme dans le
préfixe gaulois ande, irland. f ind, inn = scr. anti, grec «m, germ
md, etc. (Z.2,877).
— 57 —
vocatif, il s'emploie fréquemment comme un terme d'affection,
équivalant hÇ>ite, care! mon cher! etc. J'ai comparé déjà
Falban. vits, veau, et vats, jeune garçon, et, pour ce dernier
sens, les langues celtiques, où nous trouvons Fane, cymrique
et corn, guas, serviteur, varlet, c'est-à-dire jeune homme, pour
guass et guast ( Z.2, 1058 ; Lib. Land., 113, etc.), en armor.
gwaz, serviteur, sujet, vassal. Le bas-latin vassus, vassalus, est
venu du gaulois vassos, qui figure plus d'une fois dans les
noms d'hommes. Ainsi Vassa, f. (Grrut., Insc, 745, 11; Stei-
ner, 3762); Vassius (Murât., 1605, 7), avec les dérivés Vas-
sillus (Rev. numism., 1859, p. 184), Vassalus, figul. (Roach
Smith, Catal., p. 46). Cf. sansc. vatsala, adj., tendre, aimant,
tout dévoué à. Puis dans quelques composés, comme Vasso-
rix ( Orel., 4967 ), chef des serviteurs, Dagovassus ( Stein.,
948), bon serviteur. Cf. irl. t dag, bonus, dagduine, bonus vir
(Z.2, 857 ). L'affinité de tous ces termes ne saurait être mise
en doute, et on voit ainsi que le veau avait part aux affections
de la famille. Cela s'écarte beaucoup de notre manière de voir ,
car l'idée ne nous viendrait pas d'appeler : mon veau! un en-
fant, un jeune homme ou un ami.
§ 174. LES VACHES ET LES FLEUVES.
Le voisinage des rivières est, non-seulement favorable,
mais nécessaire pour l'entretien et la prospérité des trou-
peaux de gros bétail. C'est naturellement au bord des fleuves
qu'ont dû s'établir les pâtres dès les temps primitifs, et c'est
d'eux que les cours d'eau les plus favorables à leurs intérêts
auront reçu parfois des noms caractéristiques. Plusieurs de
— 58 —
ces noms s'accordent si bien, soit par le sens, soit par la forme,
dans quelques régions occupées par des races ariennes, que
l'on ne peut se défendre de l'idée qu'ils ont été apportés d'un
centre commun à la suite de la dispersion des Aryas primitifs.
1) Deux rivières de l'Inde ancienne se lient au nom de la
vache, savoir la Gômatî, affluent du Gange au-dessus de Bé-
narès, c'est-à-dire : la riche en vaches, féminin de gômant, id.,
et la Goda, Gôlâ, ou Gôdâvarî, dans le Dekhan, dont les noms
signifient : celle qui donne des vaches.1 Le premier nom n'a
pas ailleurs de corrélatifs à moi connus, mais le second en offre
quelques-uns d'alliés au moins de très-près.
Ainsi, en Grèce, le BovSoùpoç, -iïopoç, -iïopov, rivière de l'Eu-
bée (Evfiotct,, riche en troupeaux), non pas : outre de peau de
bœuf (rindsschlauch) , comme l'interprète Benzler ( Gr. Nam.
bucli), ce qui ne donne aucun sens approprié, mais composé
avec SœûoÇi de Sco, comme iïûpov, don. Cf. scr. dâru, libéral,
et donneur = dâtar, dator ; ainsi que l'anc. slave daru, don,
de da.
A la même formation appartient peut-être la Bootpiu britan-
nique (Ptol., 2, 3, 5), le Firth of Forth en Ecosse, composé
de bo, vache, et d'un analogue de ocopog, oopoç, darû, etc., que
je ne trouve plus en néo-celtique où, cependant, l'irl. f dan
(Z.2, 16), cymr. daion, donum = scr. dâna, ont conservé la
rac. dâ.
Le nom de la Boda, maintenant Bode, affluent de la Saale,
s'il était celtique, comme probablement Sala (Forstem., Na-
menb., 165, 1209), répondrait exactement à la Goda in-
dienne.
2) L'Irlande nous offre deux noms remarquables de rivières,
1 Ce sont des féminins de goda, gôdàvan, adj., de gôetàe dâ, la,
donner. Cf. le zend gaodaya, -dâyu, adj., qui élève des vaches (Justi).
— 59 —
lesquels, sans répondre directement à ceux de l'Inde, se lient
de très-près, par leurs significations et leurs éléments de com-
position, à des synonymes sanscrits tout semblables.
a) Le premier est celui de Bovoviviïctç (Ptol., 2, 2, 8) =
Bovinda, plus tard, dans les chroniques, Boind, Boinn, actuel-
lement la Boyne. Comment ne pas le rapprocher du sanscrit
Gôvinda, qui ne désigne, il est vrai, aucune rivière connue,
mais seulement une certaine montagne, et qui est une épi-
thète de Krichna, comme pasteur divin ? Ce composé signifie,
en effet, qui trouve, qui gagne, qui procure des vaches, comme
Goda, Godavarî. Or, tel est, sans doute, en irlandais môme,
le sens propre de Bovinda, si l'on compare finnim, pour fin-
dim, je trouve, je découvre (O'Don., GL), avec le sansc. vind
(vindati), trouver, obtenir, acquérir, procurer à quelqu'un,
d'où vinda, vindu, à la fin des composés.1 De là, en irlandais,
par la suppression occasionnelle de Vf initial, inné iinde),
accroissement, innud, indud, innile, indile, augmentation du
bétail ( O'Don., GL ), de sorte que Bovinda et Gôvinda ont
bien, de part et d'autre, la même signification propre.2
b) L'autre nom de rivière irlandaise en question vient ap-
puyer cette interprétation, car il conduit au même résultat.
C'est celui du Buas (4 M., 66, etc.), aujourd'hui le Bush, dans
le comté d'Antrim, et d'un autre Bush, quelque part ailleurs,
d'après Keating (Hist. of Ir., p. 72, 73, de la trad. anglaise).
D'après O'Reilly, buas signifie : abondant en bétail, et l'on
trouve dans Cormac ( GL, 106, voc. marc) buasach, expliqué
1 Cf. Vatsavinda, n. pr., qui gagne ou procure des veaux, etc.
2 Ce qui pourrait invalider ce rapprochement, c'est que bô find
signifie aussi : vache blanche, et qu'il y avait un Loch bôfinne et des
Innis bôfinde, dont les noms se rattachaient à des légendes de vaches
blanches enchantées (Cf. Joyce, Ir. names,* p. 1G0, 101). Toutefois,
Bovinda tout seul ne pourrait guère avoir désigné une rivière.
— GO —
par : un homme qui possède de nombreuses vaches. Buas, pour
bufhas, me paraît un composé de bu = bo, vache, et de fâs,
croissance, augmentation, de fâsaim, je crois, Vf h aspirée en-
tre les voyelles devenant quiescente. Cf. scr. vaksh, crescere,
vakshatha, croissance, au causât, vakshay, faire, croître, faire
prospérer, zend vakhsh, d'où vakhsha, -shya, croissance ; grec
cùv^ûû, ion. di^ùùy pour £?&&), avec ci prosthétique ( Curtius,
Gr. Et}, p. 357 ); goth. vahsjan, ags. veaxan, anc. allemand
ivahsan, etc.
Le sanscrit n'offre pas de composé de vaksh avec gô, mais
on y trouve le synonyme Gôvardhana, c'est-à-dire qui fait
croître, prospérer les vaches, comme nom d'une montagne
= Gôvinda. Le sens indiqué pour Buas semble donc bien
établi.
3 ) Un nom du même^ genre est peut-être celui de l'an-
cien prussien Guber, Ghobar, affluent de l'Aile ( Nesselm.,
Thés., p. 54). Gu, go, serait celui de la vache, conservé dans
le lett. gôws et le slave govedo (Cf. t. I, p. 410 ), et ber, bar,
se lierait au slave brati (berà), colligere, capere. Cf. scr. bhar,
zend bar, grec Ç>ip&), latin fero, goth. bairan, irl. beirim, etc.,
dans leurs acceptions diverses de porter, contenir, posséder,
apporter, accorder, supporter, conserver, soigner, etc. De là,
en sanscrit bhara, adj., à la fin des composés : qui porte, ap-
porte, accorde, gagne, conserve. Un composé * gobhara, en
zend gaobara, peut d'autant mieux se présumer que le pers.
gobârah désigne une étable et un troupeau de vaches.
4) A côté de ces noms sûrement anciens, il en est d'autres
d'origine récente qui expriment également ce rapport naturel
entre les vaches et les rivières. Ainsi, en Ecosse, dans l'île de
Mull, Ba, pluriel de bo, simplement : Les vaches ; et, dans le
Perthshire, Allt na ba, rivière des vaches ( Robertson, GaëL
— 61 —
Topog.). En Allemagne, an onzième siècle, Chuopach = Kû-
hébach (Forstem., Orlsn., 375 ). En France, dans le Cantal,
un Ruisseau des vaches. Dans le Guatimala, un Rio de las
vaccas, etc., etc.
§ 175. LE PASTEUR ET LE ROI.
Rien ne donne mieux l'idée du pouvoir souverain tempéré
par les sentiments naturels de l'intérêt et de l'affection, que
l'existence indépendante du pasteur aux temps primitifs. Libre
dans son isolement relatif, il régnait en maître absolu, sur sa
famille comme père et chef, sur ses troupeaux comme proprié-
taire, mais il régnait en protecteur, avec sagesse, douceur et
justice. C'est pour cela que, de très-bonne heure, les rois ont
été appelés les pasteurs des peuples, comme on le voit par le
7roifJLYiv Xctôov, d'Homère, et lero'eh de la Bible, appliqué
figurément aux princes ( Jérém., 2, 8 ; 3, 15, etc.), et même
à Jéhova, le pasteur suprême ( Ps., 23, 1 ).1 En parlant des
noms du pâtre, j'ai déjà signalé plusieurs exemples semblables
dans les langues ariennes. J'ajoute ici quelques développements
à ce sujet.
C'est un fait remarquable déjà de voir, en sanscrit, une
même racine pâ, tueri, donner naissance également aux noms
du pasteur, du père (pitàr), du maître et du roi, et ces noms
se retrouver dans la plupart des langues européennes. Pour ne
parler ici que des deux significations qui nous occupent, je
rappelle les analogies observées entre le pers.^wi, bân, gobân,
1 La rac. r«' âh, pavit gregem , puis gubernavit , de principe,
n'offre qu'une ressemblance sans doute fortuite avec le sansc. raksh,
servare, custodire, pasecre, d'où raksha, gardien, etc.
— 62 —
côbân, etc., pour désigner le pâtre, et le slave panil et ju-
panUj etc., pour maître, chef, prince ( Cf. p. 12 ). Au scr. pa
et pâla, dans l'un et l'autre sens, répond très-probablement
l'irlandais fo et fâl, avec l'acception de prince, et il' faut y
ajouter sans doute le grec 7rctÀfj,uç, roi. J'ai déjà men-
tionné quelques-unes des transitions de sens du sanscrit gôpa
(t. I, p. 577), un des noms les plus anciens, sans contredit, du
pâtre et du roi. Je reviens encore avec plus de détail sur ce
mot intéressant.
Ses acceptions intermédiaires, à partir de garde-vache, ont
été celles de pasteur en chef, de gardien en général, de pré-
posé à plusieurs villages, puis, enfin, de roi. Les synonymes
gôpati et gôpâla désignent aussi le roi, mais le premier s'ap-
plique encore au taureau comme maître des vaches, d'où il a
passé au soleil, comme maître du troupeau céleste des astres.
On voit ici l'origine de ce mythe du taureau solaire qui a pris
plus tard tant d'extension dans le culte de Mithra, ainsi que la
source des traditions grecques relatives à Apollon comme
pasteur et possesseur de troupeaux sacrés, déjà dans Homère.
Le titre de gôpati a été donné aussi à Indra, le dieu du ciel,
à Vishnu ou Krishna, le pasteur par excellence, et à Varuna,
en tant que dieu des eaux, comparées souvent aux vaches dans
les hymnes védiques.
De gôpa s'est formé ultérieurement le dénominatif gôpay
ou gôpây, déjà védique, avec le sens tout général de garder, et
de couvrir, cacher, où il n'est plus question de la vache ; car
on trouve des expressions telles que dliarman gôpaya, garde la
loi ( Mahâbh.j i, 6043 ), gôpayanti striyâs, ils gardent les
femmes ( id., ni, 2751 ), tout comme, dans le Rigvêda ( i,
101,4), on lit açvanâh gôpati, littér. garde- vache de chevaux,
— 63 —
pour gardien de chevaux.1 Mais il y a plus, et de gôpay est
provenue une racine en apparence primitive gup, tueri, defen-
dere, déjà védique également, au désidératif, gugups, se gar-
der de, s'abstenir, éviter, détester, avoir horreur, d'où, par
exemple, gugupsita, une action qui révolte. Et, de cette ra-
cine gup, on voit de nouveau sortir une abondance de dérivés
qui n'ont plus aucun rapport ostensible avec gô, tels que gu-
pila, prince, gôptar, protecteur, gupti, cachette, caverne, pri-
son, rempart, etc., et même l'adverbe guptam, en cachette,
secrètement.2
La haute ancienneté de ces transformations résulte de ce
qu'on en trouve des traces jusque dans les langues européennes.
Ainsi le lith. gobti, couvrir, cacher, se rattache sans doute à
gup. Le grec yv7ryj, caverne, cavité, répond, sauf le suffixe, à
gupti, et l'anc. ail. chuof, ags. cyfe, crater, dolium, s'accorde
exactement au point de vue phonique.
§ 176. LE PASTEUR ET L'HOSPITALITÉ.
De tout temps, et en tout pays, les peuples pasteurs se sont
distingués pour les vertus hospitalières, et cela s'explique par
la nature des intérêts et du mode de vivre. Plus ou moins
isolé du reste du monde, surtout aux époques primitives, le
1 D'autres composés analogues, où gô n'est plus qu'un pléonasme,
sont gôyuga, paire, couple en général, â'oùgôgôyuga, paire de bœufs,
açvagôyuga, paire de chevaux : gôshtha, étable, d'où gôgôshtha,
étable à vaches, etc. Cf. aussi svagôpa, adj., qui se garde lui-même,
littér. garde-vache de soi; ainsi que svagôcara , id., c'est-à-dire
maître de soi.
2 Cf. zcnd gup, cacher, protéger, d'où gufra, adj., caché, profond,
et protecteur.
— ^ 84 —
pasteur, entouré de sa famille, voyait arriver avec joie un hôte
connu, et avec une curiosité bienveillante l'étranger qui se
présentait en demandant un bon accueil. Les voyages étaient
alors longs et difficiles ; l'hôte arrivait fatigué et affamé, et le
premier devoir consistait à le restaurer par la nourriture et le
repos ; après quoi seulement, on l'interrogeait sur son origine,
ses intentions, ses aventures, etc. Ce sont là des traits que l'on
retrouve chez tous les anciens peuples, dans la Bible comme
dans les épopées de l'Inde et de la Grèce. Il devait en être de
même chez les Aryas des temps de l'unité, et les langues ont,
en effet, conservé quelques termes qui se rapportent encore
aux simples coutumes de ces âges reculés.
1) Les lieux où l'on pouvait compter sur un accueil hospi-
talier étaient naturellement les stations de bergers déterminées
par l'excellence des pâturages. Parmi les noms qui les dési-
gnaient en sanscrit, nous trouvons celui de gôshpada, de gôs,
gén. de go, et depada, station, site, et pâturage ( Cf. p. 22 ).
Or, ce terme se retrouve presque intact dans le pol. gospoda,
avec le sens d'hôtellerie, d'auberge, d'où gospodarz, hôte, puis
maître de maison, chef de famille, et gospodgn, maître en gé-
néral, seigneur, gospodynia, hôtesse, ménagère ; en lithua-
nien, respectivement, gaspadà, gaspadôrus et gaspadinne. Je
cite le polonais en première ligne, parce qu'il a sûrement con-
servé l'acception la plus ancienne, tandis que l'ancien slave
gospodï, gospodarï, gospodinu, n'offre que le sens secondaire
de dominus. Il en est de même en russe, où Gospodï s'emploie
même pour le Seigneur, l'Eternel, Dieu, gospodmu, pour
gentilhomme, maître, monsieur, gospojâ, pour dame noble,
maîtresse, tandis que gospodarï, chez les Slaves du sud, hos-
podar, désigne le prince. Ce rapprochement, auquel, ce sem-
ble, il n'y a rien à objecter, paraît préférable à celui que
— 65 —
Benfey a proposé avec le védique gâspati, maître de famille,
et que Max Millier rejette avec raison par l'impossibilité
d'identifier pati et podïJ
2) Il faut, par contre, et sans aucun doute, chercher un
composé avec pati dans le latin hospes, -pitis, l'hôte qui reçoit
et l'hôte reçu ; mais ici Vh initiale empêche également toute
comparaison avec gâspati, et ne peut répondre qu'à une h ou
un gli sanscrits. Or, nous trouvons, en effet, ghôsha avec le
double sens de pâtre et de station de pâtres, et un composé
ghôshapati peut facilement s'être contracté en hospiti.
L'étymologie de ghôsha est intéressante au point de vue de
l'ancienne vie pastorale. La rac. ghush, sonare, strepere, pro-
clamare, exprime plus spécialement un grand bruit confus,
une vaste clameur, et ghôsha s'entend également du roulement
du tonnerre, du mugissement de l'orage, du tumulte des com-
bats, du bruit de la multitude et du beuglement des troupeaux.
Le ghôsha, comme station de pâtres, désignait un lieu où
retentissaient les mugissements des vaches et les appels des
bergers, et le pâtre lui-même était un ghôsha, c'est-à-dire un
criard. Ceci rappelle le jodeln des vachers des Alpes, qui se
fait entendre à d'énormes distances, et il est certain qu'une
voix stentorienne est fort utile au pâtre des montagnes.
On conçoit bien que le ghôshapati, le maître de la station
pastorale, ou le berger en chef, ait été considéré comme l'hôte
qui reçoit, et qu'il soit devenu dans ce sens-là Yhospes du la-
tin; mais comment son nom a-t-il pu passer à l'hôte qui est
reçu ? Cela s'explique, je crois, par l'antique usage d'offrir à
l'arrivant tout ce que l'on possédait, de lui dire de se regar-
der comme le maître, et d'en exercer les prérogatives. Et c'est
1 Essai demyth. comparée, trad. franc., p. 29.
II 5
— M —
ainsi que le titre du chef recevant passait à celui qu'il voulait
accueillir avec honneur.
Il faut observer encore que le scr. ghôsha, station de pâ-
tres, se retrouve dans le pers. ghôshâ, ghôshâd, enclos pour le
bétail, puis auberge, hôtellerie, exactement comme le pplon.
gospoda, id., répond à gôshpada, station de vaches.
3) Un troisième groupe de mots d'une origine tout autre,
malgré quelque ressemblance apparente avec les précédents,
se compose de l'anc. slave et russe gostï, pol. gosc, illyr. goost,
boh. host, etc., hôte reçu, du goth. gasts, id., et étranger, ags.
et anc. ail. gast, etc., et du latin hostis, d'abord un étranger,
puis un ennemi. Bopp pour le germanique (Gl. scr., 114 ) et
Miklosich pour le slave (Rad. slov., v. c, et Dict.) pensent ici
à la rac. scr. ghas, manger, parce qu'on offre des aliments à
l'hôte, et cela serait assez plausible si l'on pouvait réconcilier
le sens très-différent de hostis dans son rapport évident avec
hostia et hostire. Une autre conjecture fort ingénieuse, et pro-
posée par Kuhn ( Ind. Stud. de Weber, I, 361 ), lève cette
difficulté, et nous révèle en même temps une coutume de
l'hospitalité chez les anciens Aryas.
En sanscrit, l'hôte reçu est appelé gôghna, littér. celui qui
tue le bœuf ou la vache, ou, d'après Pânini, celui pour lequel
on tue un bœuf,1 ce qui répond à la locution biblique : tuer le
veau gras. C'est sans doute à cet usage que fait allusion un
passage du Rigvêda (i, 31, 15) : Svâdukshadmâ yo vasatâu
syônakrggîvayâgam y agate sôpa7nâ divah, c'est-à-dire d'après
Rosen : Dulci cibo instructus, qui domi (hospitïbus) oblecta-
menta par ans, vivam hostiam mactat, is est similis cœlo. Il est
évident que cette coutume n'a pu prévaloir dans l'Inde
1 Yahmâi gâmghnanti (D. P.).
— 67 —
qu'aux temps les plus reculés, et alors que la vache n'était pas
encore entourée d'un respect presque religieux, comme dans
les lois de Manouetles épopées. D'après Manou (xi, 59, 108),
tuer une vache, ou seulement la frapper du pied, constituait un
grand crime, et nous avons vu qu'elle était appelée aghnyâ,
non occidenda, comme le taureau, au masculin aghnya. Aussi,
dans la suite des temps, on se contentait d'offrir une vache à
l'hôte par un acte symbolique. 1
Kuhn rappelle que dans Y Iliade (vi, 174), le roi de Lycie
fait tuer neuf bœufs pour fêter pendant neuf jours l'arrivée
de Bellérophon, et que le verbe kpîvtiv est employé dans
Y Odyssée (xiv, 414 ; xxiv, 216) pour exprimer l'acte de tuer
un animal en l'honneur de l'hôte. Il conjecture, d'après cela,
que le grec çévoç, %uvcç, hôte, se liait étymologique ment à
KTtiVôô, tuer, et signifiait, comme gôghna, le tueur.2 Si, main-
tenant, l'on considère que, d'après Festus, hostire, dénomin.
de hostis, signifiait frapper, et que hostia désignait la victime,
on est conduit à une rac. hos = gos, gas , en slave et en go-
thique, et has ou ghas en sanscrit, avec le sens de frapper,
tuer, et à laquelle Kuhn rattache également le sanscrit hasta,
la main qui frappe, et le lat. hasta, la lance qui tue. Il observe,
avec raison, que le scr. ghas, manger, n'en diffère pas essen-
tiellement, puisque l'on voit un nom de la mâchoire, hanu, dé-
1 Colebrooke, Mise. Essays, I, 203. Dans le Ramâyana ( I, xxi, 13,
éd. Gorresio), le roi Daçaratha présente à son hôte Viçvamitra pâ-
dyam, arghyam et gâm, c'est-à-dire l'eau pour les pieds, le don
d'honneur et la vache, et c'est sans doute à tort que Gorresio traduit
gâm par terre, d'après le double sens de gô.
2 Cf. avec leîvoç, la rac. scr. kshi, kshin, kshan, interficere. Auf-
recht (Z. S., I, 120) ramène leîvcç, éol. levvoç, à ^'vfoç, ce qui fait tom-
ber l'étymologie proposée par Pott (Et. F., 2, 53), et adoptée par Ben-
fey (Gr. Wl., 1, 280), de e| = anya, c'est-à-dire venu d'autre part.
— 68 —
river de Aem, casdere. J'ajouterai que le Dhâtup. donne une
rac. ghash, laadere, interficere, et qu'en tirhaï du Caboul
ghashâ signifie flèche. Le suffixe ti forme quelquefois des noms
d'agents, comme en sanscrit mati, consiliarius, de man, yati,
domitor, de yamy etc., et, en latin, vectis, de veho, etc. Il n'y a
donc aucune objection à interpréter hostis, ainsi que le slave
gostï et le goth. gasts (thème gastï), comme le tueur, le ïfilvoç,
le gôghna, l'hôte, et la démonstration de Kuhn semble aussi
complète qu'ingénieuse.
177. LA VACHE ET LA GUERRE.
En tant que richesse principale des pasteurs, la vache de-
vait être l'objet des désirs et de l'ambition de tous, le plus
précieux butin offert comme récompense à la vaillance du
guerrier, et par cela même, une occasion fréquente d'entre-
prises et de combats. Les enlèvements de troupeaux à main
armée constituaient un des exploits les plus ordinaires chez
les peuples de race arienne restés, à divers degrés, fidèles à la
vie pastorale. Chez les anciens Indiens, les Vêdas renferment
de nombreuses allusions à ce sujet, et l'un des chants du Ma-
hâbhârata raconte un gôharana, ou enlèvement des vaches.
Les traditions grecques en offrent des exemples suffisamment
connus, et les chroniques irlandaises abondent en récits de ce
genre.1 Le grec teict, butin, désigne les troupeaux au pluriel
1 Sur les récits traditionnels appelés Bôtâin ou Tain bô, butin de
vaches, voy. O'Curry, Lect. on anc. ir. hist., dans l'index final (p. 716),
où ils sont énumérés.
— 69 —
Aiïcti, et l'irland. tan , tain, comme le cymr. praidd, réunit les
significations de bétail et de butin.1
Que les mêmes causes aient produit les mêmes effets chez
les anciens Aryas, c'est ce que l'on peut présumer à bon droit;
mais le sanscrit nous a conservé quelques termes qui en four-
nissent encore la preuve directe, et qui viennent élucider le
vrai sens originel de plusieurs mots européens.
Le sansc. védique gavish, gavisha, gavêshana, composé de
go, vache, et ish, désirer, signifie littéralement : qui désire des
vaches, mais se prend, déjà dans les plus anciens textes, dans
l'acception générale de désireux, avide, ardent à la poursuite
de quelque chose, h^adj. gavishti, avec le même sens, conserve
aussi celui de désireux d'avoir des vaches ; mais le substantif
gavishti, désir ardent, prend en outre l'acception d'ardeur
guerrière et de combat, tout comme gavêshana, celle d'ardent
au combat. On voit clairement par là qu'aux temps védiques
les instincts belliqueux étaient réveillés par le désir de con-
quérir des vaches. L'épithète de gôshuyudh, combattant pour
des vaches, est même donnée au guerrier dans le Rigvêda.2
Si gavish se généralise déjà dans le langage védique, il finit
plus tard par s'éloigner encore davantage de sa signification
propre. On en voit se former un verbe gavêsh, ou par con-
traction gêsh, chercher avec ardeur, tendre vers, s'informer,
s'efforcer, même purement au moral, si' bien que le dérivé
gavêshana en vient à désigner la recherche de l'esprit, l'in-
vestigation philosophique. Le grec nous offre des transitions
1 L'arménien goghobud, butin, semble composé avec le nom de la
vache, gov= scr. gô.
2 R. V., I, 112, 22 ; VI, 6, 5; X, 30,10 (D. P). Cf. le nom propre
zend Parshatgâo, c'est-à-dire qui combat pour des vaches (Justi,
187).
— 70 —
de sens parfaitement analogues dans (2ovx,oteco, d'abord soi-
gner les bœufs, faire paître, puis, au moral, consoler, flatter
d'espoir, d'où (iovKoAyjf^ct, -Ay}<riç, consolation, etc.1
Un autre verbe védique dérivé du nom de la vache est
gavy, vaccas quserere, comme açvay, equos quaerere, de açva,
mais aussi se réjouir de posséder des vaches. Le part. prés.
gavyant, désirant des vaches, signifie en même temps ardent
au combat, ainsi que l'adj. gavyu, lequel se prend aussi dans
l'acception de joyeux d'avoir des vaches. De là encore le subst.
gavyâ, désir de vaches et de combats. Ce groupe de mots est
surtout intéressant parce qu'il trouve dans les langues euro-
péennes quelques affinités qui nous font remonter jusqu'au
temps de l'unité arienne.
A gavy se rattache en premier lieu le lithuan. guiti, au prés.
guiju, guju, chasser et chercher en général, comme le sanscrit
gavêsh. Une seconde forme de même origine est sans doute
gâuti, au prés, gaivju, obtenir, acquérir, d'où gawimmas et
gauklas, acquisition, gatisus, abondant, gausybe, richesse, uz-
gaulis, butin, etc., et le causatif gaudyti, chercher à obtenir
une chose, chasser, gaudimas, chasse, etc. Je compare aussi
l'alban. ghjuaig, chasser, ghja, chasse, ghjatûar, ghjaikes, chas-
seur, etc. Ici, tout souvenir de la vache a disparu, comme
partiellement en sanscrit.2
1 On trouve en sanscrit l'expression singulière de putram gavêsha-
mâna, littéralement : cherchant son fils comme avec un désir de va-
ches (D. P., 11,746).
2 Je citerai encore ici le scr. gôsha, gôshan, gôsan, gôshani, adj.,
qui gagne ou butine des vaches, gôshâti, -sâti, butin de vaches, com-
bat pour des vaches, de gô, et san, sa, gagner, acquérir, d'où sani,
acquisition, sanara, butin, sâti, profit, butin, etc. Il semble difficile
d'en séparer l'anc. slave gousa, prœdones, gousarï, pra;do, enillyrien
ou serbe gusa, gusar, praedator, gusariti, piratam esse (Mikl., Lex.,
— 71 —
Un autre rapprochement remarquable avec gavy se pré-
sente, je crois, dans le grec yctia, yavct), pour ycLFic*), se ré-
jouir, se vanter, être fier, primitivement, sans doute, comme
gavy, être joyeux et fier d'avoir des vaches. Le composé
(iovyciïoç, vantard, jactator, qui se trouve dans Homère (7Z.,
xviii, 824 ; Od., xiii, 79), signifie littéralement : fier de ses
vaches, et serait en sanscrit gôgavyu. Le synonyme de yuiao,
yrjêîco, semble composé avec Ôîûû, le sansc. dhâ, tenere, possi-
dere, précédé de yv\ = gava, gô, comme yct dans yccXct^,
et signifier proprement posséder des vaches. Et ceci nous
conduit à l'explication la plus plausible du latin gaudeo, gavi-
sus, gaudium, etc., composé de même de l'ancien nom de la
vache avec dhâ ou dhi (dhiyati), possidere. Ce sont là, si je
ne m'abuse, comme des souvenirs lointains et incompris de la
vie pastorale primitive, où la possession des vaches rendait
joyeux et fier.1
§ 178. MESURES DIVERSES EMPRUNTÉES A LA VIE
PASTORALE.
Les mots qui servent à désigner les mesures de tout genre
sont tirés généralement des objets les plus familiers, de ceux
que l'on a toujours à sa portée comme terme de comparaison.
149, et Ardello, Dizion. illyr., 221). Ici, également, le sens primitif
s'est perdu.
1 Cf. pour d'autres vues sur yocvu, gaudeo, etc., Curtius (Gr. Et.*,
163). Le gr. yotvpoç, fier, qu'il y rattache comme dérivé, appartient
mieux au scr. garva, fierté, orgueil, garvara, orgueilleux. Cf. garv,
être fier (Dhâtup.), et peut-être l'irland. f garb (Corm., 89), rude,
mod. garbh, cymr. garw, id. Si ce rapprochement est fondé, le nom
propre irlandais Bôgarbhan (Ann. Innisf., II, 65) répondrait à un
Govyocvçoç hypothétique.
— 72 —
Les membres du corps humain sont la source la plus ordi-
naire des mesures de longueur, telles que la coudée, la palme,
le pouce, le doigt, le pied, le pas, etc. ; celles de capacité sont
empruntées à des vases usuels de dimensions variées, celles
de pesanteur à la pierre, etc. On comprend que l'étude des
termes de cette classe puisse devenir instructive pour la con-
naissance des usages aux temps où l'on s'en servait, et, bien
qu'ici les points de comparaison soient rares, quelques-uns de
ces mots, qui sont tirés de la vie pastorale, méritent de fixer
l'attention.
1) En sanscrit, plusieurs noms de mesures se rattachent à
la vache , tels que gôkarna, une oreille de vache, pour un em-
pan, gôshpada, un pas de vache, comme longueur, ou l'impres-
sion en creux du pied de l'animal comme capacité, gavâhnika,
le grain d'un jour pour une vache, puis, plus tard, et sous la
forme contractée gônî, un sac, une mesure de grains de sept
à huit livres.1 — Le pers. gawnîz, mesure de blé, aussi gawîz,
gawtîz, renferme sûrement aussi le nom de la vache ; mais je
ne trouve rien à comparer dans les langues européennes.
2) Le sanscrit gavyâ, troupeau de vaches, a désigné secon-
dairement une distance de deux hrôças, soit quatre mille dan-
das, ou perches de quatre coudées, c'est-à-dire, sans doute,
l'espace de terrain suffisant pour un grand troupeau. Le syno-
nyme gavyûti ou gavyûta, de gô -f- yûti, réunion, assemblage,
conserve encore, dans le Rigvêda, le sens général de pâturage
et de district. Il se retrouve dans le zend gaoyaoiti, lieu de
réunion pour les vaches, et l'épithète de vourugaoyaoiti, qui
possède de vastes pâturages, donnée au dieu Mithra, répond
1 Weber (Beitr., 4, 276) ne l'admet pas, et ramène ce terme à
gfwim, corde.
— 73 —
au composé védique urugavyûti, avec la même acception. —
Le persan gâw désigne une distance de six milles.
Nous avons vu déjà gavyâ, dans le sens de pâturage, devenir
le grec yoiïct, terre, puis yvïa, champ cultivé (Cf. p. 20). Or, de
même que gavyâ a pris l'acception d'une mesure de distance,
yvict a reçu celle d'une mesure agraire déterminée, sans doute
également par suite de l'introduction de l'agriculture. Cela
prouve, en tout cas, la haute ancienneté de cet emploi du
terme en question.
3) Une autre manière, sûrement très-primitive, d'évaluer
les distances, se tire de l'étendue du son, soit de la voix hu-
maine, soit des cris d'animaux. Ainsi, le sansc. gôruta, littér.
un mugissement de vache, représentait, comme gavyâ) deux
krôçaSy et le krôça, proprement un cri, de kruç, clamare, équi-
valait à la distance où s'entend une voix d'homme, moins
forte de moitié que celle de la vache. A krôça se lie le persan
Icôs, lieue, mais ce terme, ainsi que gôruta, ne se retrouve pas
dans les langues européennes. Par contre, les analogies de fait
abondent. On se rappelle tout d'abord la comparaison homé-
rique (Od., vi, 294):
To<r<rov cctto irrôxioç, otrtrov ts yiyojvs Bowotç.
Tantum ab urbe, quantum (aliquis) auditur damans.
Grimm, dans ses Deutsche Rechtsalterthûmer (p. 76), cite
des exemples variés de ces mesures de distance par la voix de
l'homme, le chant du coq, l'aboiement du chien, etc.
4) En fait de mesures agraires, le sanscrit nous offre un
terme dont le sens donne lieu à de curieux rapprochements
quant au procédé mis en œuvre, et d'un caractère trop spé-
cial pour s'expliquer autrement que par l'existence d'une an-
tique coutume.
— 74 —
Le nom de gôtiarman, littér. une peau de vache, est appliqué
à un espace de terrain suffisant pour recevoir cent vaches et
un taureau, avec leurs veaux.1 On entendait sans doute par là
l'espace que l'on pouvait entourer et mesurer au moyen d'une
peau de vache coupée en lanières. C'est là du moins ce qu'in-
diquent de nombreuses analogies. 2
D'après Lassen (Ind. Alt., m, 976), chez les Râgapu-
tras de l'Inde, chaque cavalier possédait de droit un éursa
(c'est-à-dire une peau) de terre, ce qui équivalait à ce qu'on
pouvait labourer en un jour. On sait que les Anglo-Saxons dé-
signaient de même par le nom de hyde, peau, une étendue de
terrain suffisante pour le labour d'une charrue ou l'entretien
d'une famille.5 Ce ne sont encore là que des équivalents
du sanscrit gôcarman, mais le procédé indiqué pour le mesu-
rage se justifie par plusieurs traditions remarquablement con-
cordantes.
On connaît celle de Didon (Enéid., I, 371; Justin, 18, 4),
qui demande en Afrique la concession de l'espace de terrain
qu'elle pourrait faire entourer d'une peau de bœuf, taurino
quantum possent circumdare tergo, et qui fait couper cette peau
en lanières de manière à enclore une vaste étendue. D'autres
traditions semblables sont moins connues. Je les rapporte
d'après Grrimm.4
1 D. P. Suppl., t. V, 1338, gôcarman, mesure d'une pièce de terre
du produit de laquelle un homme peut vivre pendant une année.
D'après Wilson, une pièce de 300 pieds de long sur 10 de large.
2 Je trouve dans les Sanskrit texts de Muir (IV, 107), un passage
du Çatap. Brâhm., qui met la chose hors de doute. Il y est dit que les
Asuras ou démons se partagèrent la terre en la divisant au moyen de
peaux de bœuf, âukshnâiç carmabhis.
3 D'après Boxhorn (Dict.), aussi une pièce de 120 acres.
4 D, Rechtsalt., 90 etsuiv.
— 75 —
Les chefs saxons Hengist et Horsa, à leur arrivée en An-
gleterre, font la même demande que Didon et usent du même
stratagème.
ïvar, fils de Ragnar Lodbrok, se fait céder en Angleterre,
par le roi Ello, autant de terrain que peut recouvrir une peau
de bœuf. Il fait tanner et bien distendre la peau d'un grand
bœuf, qu'il coupe ensuite en minces lanières, puis il en
entoure un vaste espace suffisant pour y fonder la forte-
resse de Lundunaborg , Londres. D'autres récits parlent d'une
peau de cheval, et placent l'événement dans le Northumberland
et à York.
Une tradition toute semblable se reproduit encore dans
l'histoire de Raymond et de Mélusine, où. Raymond obtient
de Bertrand, comte de Poitiers , tout le terrain qu'il pourra
entourer d'une peau de cerf. Le procédé mis en œuvre ailleurs
se répète également ici.
Il serait difficile d'expliquer ces concordances multipliées
sans les faire dériver d'une source commune, dont le point de
départ ne peut se trouver que chez les anciens Aryas.
§ 179. LES DIVISIONS DU JOUR.
Au temps de la vie pastorale, il était tout naturel de dési-
gner les parties du jour d'après la sortie et la rentrée des
troupeaux, ou le moment de traire les vaches. Le sanscrit, sur-
tout, est encore riche en termes de ce genre qui reflètent fidè-
lement les anciennes habitudes, et leur étude peut servir à
éclairer l'origine de quelques expressions analogues conservées
par les autres langues ariennes.
L'aube du jour est appelée en sanscrit <jôsanc/a: ou sangava,
— 76 —
c'est-à-dire le rassemblement des vaches, soit pour les traire,
soit pour les conduire au pâturage. On disait aussi gôsarga, la
sortie des vaches, ou simplement pratisara, la sortie. Un
autre synonyme très-caractéristique est strîghôsha, littér. le
grand bruit des femmes. Ceci nous transporte immédiatement
au milieu de la scène que devait offrir le point du jour, alors-
que les femmes se mettaient à l'œuvre pour traire les vaches
avant leur sortie, opération qui, à coup sûr, ne s'effectuait pas
en silence.
Un terme semblable à sangava, mais appliqué au soir au
lieu du matin, doit avoir été âgava, à en juger par l'adj. âga-
vîna, qui signifie : occupé jusqu'au retour des vaches (D. P.,
v. c). Le soir est encore appelé tishthadgu ( de sthâ + gô ),
c'est-à-dire le moment où la vache se tient immobile pour se
laisser traire après le coucher du soleil (ibid., v. c).
Aucun de ces noms significatifs ne paraît se retrouver en
dehors du sanscrit, mais les langues congénères en possèdent
quelques-uns du même genre.
1) Pour désigner une partie de la nuit, Homère emploie
l'expression de vvktoç d^oXyœ (77., xv, 324 ; Hymn. in
Merc.} 7), dont le vrai sens est encore débattu. Il semble dif-
ficile de ne pas admettre un rapport entre dfAoXyog et ctpiX-
yav, traire, comme l'ont fait les anciens grammairiens, et d'y
voir le moment de traire les vaches, soit à la tombée de la
nuit, soit au crépuscule du matin. Telle est aussi l'opinion de
Voss qui traduit vvktoç dfAoXyû par : in dâmmernder stunde
der melkzeit, à l'heure crépusculaire où l'on trait. On trouve
dans Hesychius dfJuoXydfyi comme synonyme de ^ecn?/^/-
&, il est midi. Ainsi que l'observe Pott (Et. F., II, 128),
cela ne peut guère s'expliquer que par la coutume de traire
au milieu du jour, aussi bien que le matin et le soir, comme on
— 77 —
le faisait chez les Anglg-Saxons au mois de mai, appelé d'après
cela thrimilci, l et dpoKyâ&i a dû signifier : il est temps de
traire. En tout cas, cette acception s'oppose tout à fait au sens
d'obscurité que l'on a cherché dans dfxo\yoç.2
Une conjecture dont j'ai peine à me défendre, malgré les
objections qu'elle peut soulever, c'est que le nom germanique
du matin, goth. maurgins, ags. morgen, scand. morgun, anc.
ail. morgan, se rattache également à la rac. mrg et au grec
dfJLipyoù, dfjLîAyûo, etc. Il est vrai que le gothique devrait être
régulièrement maurkins ; il est vrai encore que la rac. mrg est
déjà représentée en germanique par la forme milk. On peut
répondre que lorsqu'il s'agit de mots très-anciens et dont
l'étymologie était oubliée, les transitions phoniques sont par-
fois irrégulières, et qu'ici la forme primitive peut s'être main-
tenue à côté de celle qui s'est modifiée. Quant au rapport que
l'on a cherché entre maurgins et les noms slaves du crépus-
cule, russe sumerki (plur.), pol. zmrok, mrok, etc., il faut obser-
ver d'abord que la concordance phonique ne serait pas
meilleure, puisque le k aurait dû devenir h en germanique, et
ensuite, que l'anc. si. mraku, sûmrakïï, signifie obscurité, ténè-
bres, mrukati, tenebris obduci, ce qui ne saurait, à coup sûr,
s'appliquer au matin où surgit la lumière. Si le pol. mrok dé-
signe le crépuscule du matin, aussi bien que celui du soir, ce
1 D'après Beda : Thrimilci dicebatur, quod tribus vicibus in eoper
diem mulgebantur (Grimm, Gesch. cl. cl. Spr., 80, 92, 110). D'après
Cormac ( GL, 127 ), le commencement du printemps était appelé, en
irlandais, ôimelc, lait de brebis, parce que c'était le moment de la
venue de leur lait.
2 Par exemple : Léo Meyer (Z. S., VIII, 362), qui compare le scand.
myrkr, etc. Cf. Pott (Et. F.*, t. II, 1, 391, sqq.) et Curtius (Gr. Et.*,
174) qui, sans chercher d'autre explication, n'admet pas le rapport
avec dfxi'Kyct).
— 78 —
n'est, comme l'observe Bantke (Poln. Wb., v. c), que par un
abus de langage.
2) Le latin mâtutinum dérive d'un ancien nom de l'au-
rore , matuta, à laquelle on rendait un culte en Italie, comme
mater Matuta} L'adv. mdne, au matin, sans doute, pour
matne, indique une rac. mat, probablement la même que le
scr. math, manth, agitare. A la forme manth se rattache l'anc.
irl. mâtan, mâtin, plus tard madain, maidin, erse maduinn,
pour maritaux, mantin, à cause du t non aspiré, et comme le
montre l'armor. mintin. Ces noms de l'aurore et du matin ex-
primaient peut-être le réveil du mouvement et de l'activité;
mais d'après l'application plus spéciale de la rac. math, manth,
au barattement (Cf. p. 41), on peut croire aussi que la déesse
Matuta présidait, dans l'origine , à l'opération de battre le
beurre, laquelle s'accomplissait à la fraîcheur de l'aube. L'adv.
mâne = matne équivaudrait alors au scr. manthanê, au barat-
tement, pour dire au matin, et l'irl. mâtan = mantan, armor.
mintin , serait exactement manthana. Nous aurions donc,
ici encore, un souvenir de la vie pastorale.
3) Les langues celtiques ont, pour l'aube du jour, un autre
mot qui leur est propre, mais qui rappelle, quant au sens, le
scr. gôsarga, la sortie des vaches. C'est l'anc. irland. buarach,
que le Glossaire de Cormac explique par matan moch, grand
matin, en cymrique bore, boreu, en armor. beûré. Cormac
(p. 20), déjà, décompose le nom irlandais en bô arach = bo
erge, c'est-à-dire le lever des vaches (Cf. O'R., v. c; et l'irl.
eirghim, surgo).
4) De même que le matin tirait quelques-uns de ses noms
1 Roseam Matuta per oras setheris auroram differt et lumina pandit
(Lucr., V, 654).
— 79 —
de la sortie des troupeaux, le soir en avait qui se rattachaient
à leur rentrée. Ainsi le scr. abhipitva, soir, et rentrée, retour,
suivant le D. P., de abhi et pitva pour apitva, participation
(proximité ?), subst. formé de la préposition api = £7rt, qui ex-
prime, en général, un mouvement vers quelque chose. Cf.
prapitva, proximité, et le contraire, apapitva, séparation, éloi-
gnement.1 Je crois que tel est aussi le sens primitif d'un
groupe de noms du soir qui appartient à plusieurs langues
européennes.
Ce groupe se compose d'abord Au grec \<r7TipQç, lat. vesper,
d'où peut-être le corn, gwesper et l'armor. gonsper, puis, avec
une gutturale ou une palatale remplaçant la labiale, de l'irl.
feascar, erse feasgar, du lith. wâkaras, lett. wakkars, de l'anc.
slave et russe vecerû, pol. ivieczor, etc. La difficulté est de sa-
voir à laquelle de ces deux consonnes appartient la priorité,
ce qui conduit à des interprétations différentes. Bopp, qui ad-
met le p comme primitif, cherche dans vesper, vespera, une
forme mutilée du sansc. divaspara, c'est-à-dire l'autre partie,
la seconde partie du jour. Pott, dans la même supposition,
remplace divas, gén. de div, par l'adv. avas, deorsum, et ex-
1 En zend, rapithwa = frapithwa? désigne le milieu du jour,
peut-être comme le moment de la rentrée pour le repos. Le lithuan.
pëtus, midi, s'il est pour apëtus, comme en sansc. pi pour api, se
lierait aux mêmes formations. Cf. apipétys, le moment de midi, pa-
pëtys, l'après-midi, prëszpëtys, près de midi. J'ajouterai que Justi
(31) considère rapithva , midi et sud, comme une abréviation de
arcmpitu, midi, sans expliquer ce mot qui semble composé de arem,
pour (cf. scr. aram, adv., prêt, présent), et àepitu, nourriture, ce qui
se rapporterait au repas du milieu du jour. Le zend frapitu, abon-
dance, superflu, n'aurait, d'après Justi (198), qu'un rapport apparent
avec le sanscrit prapitva. Les autres composés analogues, tarôpithva,
mauvaise nourriture, dâityôpithva, nourriture normale, nidhâtôpitu,
adj., pourvu de nourriture, conduisent tous à un sens différent des
termes sanscrits.
— 80 —
plique vesper par le côté d'en bas, relativement au cours du
soleil (Et. F.2, I, 595, 2e édit.). Ces rapprochements sont sans
doute quelque chose de très-spécieux, mais les droits de la
gutturale à la priorité peuvent aussi être défendus par de
bonnes raisons. On sait que le grec change fréquemment le k
en p, et le latin vesper a pu se modeler sur la forme hellé-
nique ; mais il n'y a pas d'exemple d'un p primitif changé en
k ou en c, dans le lithuanien et le slave. L'irland. feascar ne
prouverait rien par lui-même, car ici le c peut avoir remplacé
un p, comme dans d'autres cas ; mais le cymrique, qui suit
ordinairement la règle du grec pour la substitution du p, nous
offre, pour le soir, la forme inattendue iicher, dont le ch sem-
ble provenu de se, comme dans syeh = irl. seasg, siccus, scr.
çushka. Ainsi ucher pour uscer, et wescer, gwescer, répondraient
à feascar, dont le c serait bien primitif.
En adoptant la conjecture de Pott pour le premier élément
du composé, savoir ves,feas = scr. avas, mais dans le sens de
citra ou de la préposition ava, ab, de, on peut rattacher avec
probabilité le second composant à la rac. sansc. car, ire, am-
bulare, pasci, etc. ( Cf. p. 15 ). Nous obtiendrions ainsi un
thème avaséara avec la signification de retour ou de départ du
pâturage, pour désigner le soir, et qui rendrait bien compte
des formes gréco-latines et celtiques, tandis qu'un synonyme
avacara expliquerait le slave veéeru et le lith. wâkaras. Toute-
fois, comme le scr. car précédé de ava signifie descendre, ces
noms du soir pourraient aussi n'avoir exprimé dans l'origine
que la descente du soleil, occasus, ou de la nuit qui tombe du
ciel. 1
1 Curtius (Gr. £"L3, 352) croit à un rapport avec le sansc. vasati,
nuit, et l'allem. west, occident, de vas, envelopper, couvrir ; mais
— 81 —
5) On trouve encore en Allemagne des exemples de cette
manière d'indiquer les moments du jour par la sortie et la
rentrée du bétail. D'après diverses lois locales citées par
Grimm: * « Les gens (laiten) doivent venir quand la vache re-
« vient du pâturage, à midi, et s'en retourner quand la vache
« retourne au pâturage. Le moissonneur doit sortir le matin
« quand la vache sort, et rester dehors jusqu'à ce que la va-
« che revienne à l'étable. » Cependant les langues germani-
ques n'ont aucun nom du soir ou du matin qui s'y rattache,
car l'anc. ail. âbant, soir, me paraît se rapporter aux travaux
de l'agriculture. Je crois y voir, en effet, un composé du pré-
fixe a = sansc. ava,2 et d'un subst. dérivé de bintan, lier =
scr. bandh, avec le sens de moment où l'on délie les bœufs. Ceci
rappelle tout à fait le grec (iovÀvToç ou (iovAvciÇj soir, dont
la signification est la même, et qui, déjà dans Homère, s'est
généralisé jusqu'à s'appliquer au coucher du soleil (IL, xvi,
799 ; Od., ix, 58).
Quumvero sol transiret ad occasum.
§ 180. LA VACHE ET QUELQUES NOMS DE PLANTES
ET D^OISEAUX.
1) Dans toutes les langues, les plantes sont souvent dési-
gnées par voie de comparaison avec les divers organes des
animaux, d'après quelques ressemblances plus ou moins pro-
cela ne s'accorderait plus avec les formes lithuan. -slaves. Fick (492)
les laisse de côté, en supposant un thème européen vaskara qu'il
n'explique pas.
1 Deut. Rechtsalt., p. 36.
2 Cf. Pott (Et. F., 2e édit, I, 620) pour les exemples de â — ava.
II 6
— 82 —
noncées, et ce sont naturellement les animaux les plus fami-
liers qui fournissent les points de rapprochements. Aussi les
noms de plantes qui se rattachent à la vache sont-ils surtout
nombreux chez les peuples pasteurs, et quelques-uns peuvent
avoir une origine très-ancienne. Les Indiens, qui ont conservé
longtemps les habitudes pastorales, en possèdent la collection
la plus riche, et presque toutes les parties de la vache figurent
dans la nomenclature botanique du sanscrit. Ainsi l'on trouve,
pour diverses plantes, les noms de gavâkshâ, œil de vache,1
gokanta et gôkshura, sabot de vache, gokarnî, oreille de va-
che,1 gôçîrshaka, tête de vache, gôlômi, poil de vache, gôgihvâ,
langue de vache, gonasî, nez de vache, gôçrnga, corne de va-
che, gôstanâ, pis de vache, etc. Les plus intéressants pour
nous sont ceux qui se retrouvent dans quelques langues euro-
péennes, sans s'appliquer toutefois aux mêmes espèces de
plantes, et sans offrir autre chose que des équivalents des com-
posés sanscrits. Cela ne prouve pas qu'ils ne puissent en fait
avoir une origine commune, car, du moment que leur significa-
tion restait vivante, leurs éléments ont dû changer avec les
langues elles-mêmes. Il n'y en a, du reste, qu'un petit nom-
bre d'exemples, ainsi :
Scr. gôgihva, langue de vache ou de bœuf, Elephantopus
scaber. — Cf. le pers. gôzabân, buglosse ; le gr. (iovyA&iovoç,
Y ancien allemand ohsenzimga, le cymr. tafod yr ych, l'armor.
téôd ejenn , l'erse teangandaimh , le russe volovïî iazykû,
le polonais iëzyk ivolowy, etc., etc., tous avec le même sens.
Le lithuanien godas ou gudas, buglosse, semble avoir con-
servé le nom de l'animal, en composition avec un nom altéré
de la langue.
1 Cf. zend yaokerèna, le haoma blanc (Spiegel, Vendid., XX, 17).
— 83 —
Scr. gôçrnga, corne de vache, plante non déterminée. —
Cf. grec (ZovKepctç, Pœnum grœcum, appelé en allem. bocks-
horn.
Scr. gôstanâ, -m, pis de vache, espèce de raisin. — Cf. gr.
(icv[AcL<rôoçi id., espèce de raisins à gros grains (t. I, p. 311).
Je ne doute pas qu'on ne trouve dans les noms vulgaires
des plantes d'autres exemples de coïncidences semblables.
2) J'ai parlé déjà de la nature des rapports qui s'établis-
sent entre certains oiseaux et les animaux domestiques, rap-
ports que l'observation populaire interprète à sa manière. Cf.
pour ceux qui concernent la vache avec le pigeon et quelques
espèces d'Ardea, t. I, p. 496, etc. J'ai montré les analogies
de sens qui se révèlent entre plusieurs noms sanscrits d'oi-
seaux, tels que gosâda, gônândî, gôbaka, et en Europe, (iovSv-
TY\ç^ culufre, cusceote, etc. On peut en signaler d'autres encore.
Ainsi l'erse budaighir, espèce d'Ardea, paraît s'expliquer par:
espoir ou confiance de la vache, de bu = bo, et daigh, doigh,
spes, fiducia, ce qui répond à gônandî, joie de la vache. En
allemand, kuhstelze, motacilla boarula, et kuhvogel, bergeron-
nette, indiquent des rapports du même genre. D'où est venu
au bouvreuil, de bovariolus, diminutif du bas-latin bovarius,
ce nom de petit bouvier ? Sans doute de quelque habitude de
l'oiseau que, cependant, je ne vois mentionnée nulle part.
Ici, comme pour les plantes, les analogies ne concernent
que la signification des noms, mais pourraient bien se fonder
sur d'anciennes dénominations modifiées dans la suite des
temps.
— 84 —
§ 181. VERBES DÉRIVÉS DU NOM DE LA VACHE.
Une des preuves les plus frappantes de la haute ancienneté
de quelques-uns des mots de l'époque pastorale, c'est assuré-
ment d'en voir surgir, en sanscrit déjà, et même dans l'idiome
védique, des verbes d'une signification générale et abstraite,
lesquels prennent parfois la forme de racines primitives. Nous
en avons vu déjà quelques exemples, comme gup ( gugôpa ),
tegeri, tueri, observare, dérivé de gôpa, vacher ( Cf. p. 62 ),
gavêsh, quasrere, dérivé de gavish, qui désire des vaches (Cf.
p. 69). J'en ajoute ici deux autres.
De gôshtha, station de vaches ( Cf. p. 24 ), s'est formé un
verbe gôsht (gôshtatê), plus correctement gôsth, avec le sens
de coacervare, accumulare, parce que les gôshtha étaient des
lieux de réunions nombreuses pour les pasteurs et les trou-
peaux. Aussi le féminin gôshthî a-t-il pris l'acception générale
d'assemblée, de société, puis de camaraderie, de conversation,
de discussion , et il en est venu même à désigner une sorte de
composition dramatique en un acte, un dialogue. Le titre de
gôshthîpati est devenu celui d'un chef de famille et d'un pré-
sident d'assemblée. Un autre composé, gôshthaçva, signifie en-
vieux, malicieux, médisant, en parlant surtout d'une personne
sédentaire qui aime à dire du mal de ses voisins. Le sens pri-
mitif est celui de chien d'un gôshtha, sans doute parce que les
chiens de garde des stations de vaches aboyaient contre tous
les passants.
L'autre exemple est le scr. gôm (gômayati), illinere, ungere,
en général, mais littér. enduire de bouse de vaches, gômaya,
— 85 —
bovinum, substance dont les Indiens, comme on le sait, fai-
saient un grand usage.
Deux anciens dénominatifs de ce genre, savoir gup et gavy,
nous ont paru se retrouver dans le lithuanien, le grec et le
latin avec des transitions de sens analogues aux précédentes.
Cela peut faire croire à l'existence d'autres formes sembla-
bles conservées ici et là par les langues européennes seule-
ment, et dont la signification primitive était oubliée. Je
crois pouvoir en signaler deux cas dans l'ancien slave, sans
me dissimuler que j'entre ici sur le terrain un peu aventureux
de l'étymologie très-conjecturale. Aussi les rapprochements
qui suivent ne sont-ils présentés qu'à titre d'hypothèses en-
core problématiques.
L'ancien slave gobïziti, divitem fieri ou reddere, de gobïzû,
prosper, d'où gobizïnû, dives, gobïzovatïï, prosper, etc., me
paraît être un composé dont le second élément se rattache à
la rac. ;scr. bhag, colère et obtinere, possidere, d'où bhaga,
prospérité, fortune, bhagana, possession, jouissance, etc. Le z
slave serait ici pour g, comme dans znati, noscere = gnâ, zàbu,
dens = gambha, mlïzâ, mulgeo = mr$, etc. Mais que peut
être go, inconnu d'ailleurs comme préfixe en slave ? Y aurait-
t-il improbabilité à y voir le nom de la vache que nous avons
retrouvé déjà dans le slave gospodu ( Cf. p. 64 ), et auquel
appartient aussi, à coup sûr, govedu, bos (Cf. t. I, p. 410). 1 Le
sens que l'on obtiendrait ainsi serait certainement très-plau-
sible, car être riche, aux anciens temps, c'était posséder des
vaches.2 Un composé sanscrit tout semblable se présente dans
1 Cf. aussi Fane. si. gobino, -na, copia, fruges, gobinïnû, copiosus,
avec le scr. gavini, troupeau de vaches.
2 Le goth. gabigs, riche, qui manque aux autres langues germani-
ques, est. peut-être emprunté au slave gobïzû.
— 86 —
gôgâgarika, prospérité, bonheur, fortune, évidemment de gô,
et gâgarika,-raka, vigilance, -rûka, vigilant, de gâgr, vigilare,
intentum esse, providere, la prospérité résultant des soins
vigilants que l'on donnait aux vaches.
Ceci nous conduirait à expliquer d'une manière analogue
l'anc. slave gotoviti ou gotovati, parare, gotovu, paratus, etc.,
que Miklosich déjà regarde comme composé avec la rac. ty,
de tyti, pinguescere = scr. tu ( taviti), crescere. C'est sans
doute à tort, toutefois, qu'il le croit provenu du goth. taujan,
gataujan, facere, car taujan ne saurait se ramener au scr. tu, à
cause de son t non aspiré, et de la différence des significations.
En slave même, ty se développe en tov, et prend un sens cau-
satif dans le serbe toviti, pabulum amplum prsebere.1 D'après
cela, et si go est bien ici le nom de la vache, gotoviti aurait
signifié primitivement faire croître la vache, la bien nourrir,
puis, en général, s'occuper avec soin d'une chose, préparer,
apprêter. Cette transition n'a rien de plus forcé que celles de
désirer des vaches à chercher mentalement, ou de garder des
vaches, à observer en général, qui ont été signalées pour le scr.
gavêsh et gup.
Si ces verbes slaves, ainsi interprétés, ne remontent pas au
temps de l'unité arienne, ils sont du moins fort anciens, puis-
que leur sens propre était complètement oublié.2
1 Miklos., Beitr.,l, 231.
2 Un exemple remarquable des liaisons semblables d'idées entre
la possession des vaches, et la richesse, la prospérité, le rang social
et même la culture intellectuelle, se présente dans l'irlandais huas,
dont il a été question (p. 59), comme nom de deux rivières, et qui
signifie: abondant en bétail, de même que buasach désigne un homme
qui a beaucoup de vaches. Or, d'après Cormac (Gl., 27 et 22), buas,
gén. buaisse, signifie aussi science, pleine connaissance de la poésie;
et O'Dav. (GL, 56) l'explique par innbea, dans O'R, inbhc, dignité,
rang, bonheur, bien temporel, inbheach, éminent, de hautrang. On
87 —
ARTICLE VII.
§ 482. LE SYMBOLISME MYTHIQUE DE LA VACHE.
On doit reconnaître, d'après tout ce qui précède, quelle
place considérable tenait la vache dans la vie des anciens
Aryas, de combien d'intérêts divers elle constituait pour eux
comme le centre. Ce fait reçoit une nouvelle évidence de ce
que l'animal domestique, source de tant de bienfaits, était rat-
taché par toute sorte d'images et de mythes aux. phénomènes
de la nature et aux croyances religieuses. Dans la poésie des
Vêdas, qui nous reporte si haut vers l'ancienne vie pastorale,
l'image de la vache surgit à chaque instant et à propos de
tout. Les fleuves qui s'épanchent vers la mer sont des vaches
qui courent à l'étable ; les nuages sont des troupeaux de va-
ches que traient les vents, et dont le lait nourrit la terre ; et la
terre, à son tour, est une vache qui donne tous les biens. Les
rayons du soleil, ou bien les eaux du ciel, sont les vaches que
le démon Vrtra, le nuage personnifié, retient captives, et que
délivre le dieu Indra en le frappant de la foudre. Les premiers
feux de l'aurore sont les vaches rouges que la déesse du matin
attelle à son char. Le soleil est le taureau qui règne en maître
trouve, ibid., buasamhail = soaim no gaoth, riche ou sage, et,
p. 57, buasach, victorieux.
Un autre exemple du même genre se trouve encore dans le persan,
où gôhar, gawhar, famille, race, descendance, proprement, comme
le scr. gôtra, entretien et possession de vaches (Cf. p. 53), prend les
acceptions de chose précieuse, joyau, perle, etc., puis d'homme noble
et généreux (gawhâri, adj.), puis, au moral, de toute vertu cachée,
et, enfin, d'intelligence et de science.
— 88 —
sur le troupeau des vaches célestes, c'est-à-dire les étoiles. Ces
images s'étendent même aux idées morales, et c'est ainsi que
la libation et la prière sont comparées à des vaches, à cause
des bienfaits dont elles sont la source. Plusieurs de ces con-
ceptions symboliques appartiennent sans doute exclusivement
au monde de l'Inde, mais quelques-unes se présentent certai-
nement comme un héritage des temps tout à fait primitifs,
ainsi que nous chercherons à le montrer.
Rien n'indique cependant, pour l'époque védique, et, à
plus forte raison, pour celle de l'unité arienne, ce respect
excessif de la vache qui s'est développé plus tard dans
l'Inde, sans aller toutefois jusqu'au culte, comme on l'a dit
faussement. Jamais les Indiens n'ont adoré l'animal à la
manière des Egyptiens, et leur vénération s'explique suffi-
samment par le fait que la vache leur fournissait quelques-
uns des principaux ingrédients pour les offrandes du sacri-
fice, le lait caillé, dadhi, et le ghrta, ou beurre clarifié. On mêlait
aussi du lait avec le sôma, liqueur spiritueuse consacrée plus
spécialement à Indra^ et personnifiée sous la forme du dieu
Sôma. C'est pour cela que la vache était appelée la mère du
sacrifice.1
Cette vénération, cependant, n'allait pas jusqu'à respecter
sa vie d'une manière absolue, comme le prouve déjà le nom
de gôghna, qui était donné à l'hôte ( Cf. p. 66 ). D'après la
tradition, le sacrifice de la vache, gômêdha ou gôyagna, inter-
dit depuis le commencement de Kaliyuga, l'ère du monde ac-
tuel, était antérieurement en usage ; et si le taureau et la va-
che ne devaient pas être tués ( aghnya, aghnyâ, t. I, 451),
c'était à cause de la valeur qu'on y attachait. Chez les Grecs?
1 Rigv., Langlois, II, 104.
— 89 —
qui ne se faisaient pas faute de se régaler des bœufs qu'ils sa-
criflaient; on trouve des souvenirs analogues d'un respect
presque religieux aux temps anciens. Ainsi, dans les Boupko-
nies, ou sacrifices de bœufs qui se célébraient à Athènes à la
suite des fêtes de Cérès, le @ov(povoç, en sanscrit gôlian^ ou
(iovTV7roç, s'enfuyait après avoir frappé la victime à mort, et
les assistants se défendaient de toute participation à cet acte ;
puis, finalement, le couteau seul était déclaré coupable, et
lancé comme tel au fond de la mer. Tout cela pour ne point
enfreindre l'ordre donné par Triptolème, l'ami de Cérès, de
ménager le bœuf de labour.1 »
Les métaphores hardies par lesquelles les chantres ins-
pirés des Vêdas poétisaient la vache et le taureau, ont laissé
des traces multipliées dans le sanscrit même, et ce qui n'était
au début qu'un jeu de l'imagination s'est transformé plus tard
en mythes de toute sorte. Ces métaphores, toutefois, doivent
avoir été familières déjà aux Aryas des temps de l'unité,
car on en retrouve également des réminiscences manifestes,
soit dans les autres langues congénères, soit dans les mytholo-
gies de l'Occident, comme on le verra par les considérations
qui suivent.
§ 183. LA VACHE ET LA TERRE.
Plusieurs des noms sanscrits de la vache désignent aussi la
terre, l'une et l'autre étant considérées comme la source de
tous les biens. Les termes qui se prennent dans ce double sens
sont gô, ida, ilâ ou ira, aditi, gagatî, maki, mâtar, surabhi,
en partie d'un caractère mythique. H en est de même du zend
1 Creuzer, Symbolik, im Auszuge, 1822, p. 754,
— 90 —
gâô, vache et terre, que l'on ne sait souvent dans quelle accep-
tion prendre en traduisant l'Avesta.1 Aucune de ces transi-
tions ne paraît se retrouver dans les langues européennes, car
le grec ycclct, yyj9 ne se lie pas directement à go, mais à ga-
vya qui en dérive avec le sens de pâturage ( Cf. p. 20 ). Le
nom de A^fjbtfTfffi peut-être = Tfjf*viTfi(>9 la déesse de la terre ,
n'a de rapport immédiat ni avec gô, ni avec mâtar, dans le
double sens ci-dessus, bien qu'il se rattache d'une manière gé-
nérale à la même idée de production universelle. Tout le culte
de cette déesse, en effet, se rapportait à l'agriculture, quoi-
qu'elle présidât aussi aux troupeaux, et, si on la représentait
quelquefois assise sur un taureau, c'était par allusion au bœuf
de labour.2
Il existe, cependant, un cercle de mythes où les idées de la
vache et de la terre se rencontrent parfois dans la notion com-
mune des sources de la vie, de la nourriture, du bien-être et de
la richesse. C'est celui qui concerne la vache d'abondance,
appelée Kâmaduh, Surabhî et Çabalâ dans les traditions de
l'Inde, et dont quelques réminiscences se retrouvent aussi dans
l'Occident.
Le nom de Kâmaduh ou Kâmadugha signifie celle qui
donne à celui qui la trait tout ce qu'il désire. Il se rencontre
déjà dans des textes védiques,5 et le Rigvêda parle plus d'une
fois de la vache d'abondance.4 Cette épithète est aussi appli-
1 Ainsi, dans les Gâthâs, Spiegel traduit gèus urvâ par Yâme du
taureau, et Haug, par Yâme de la terre, ce qui conduit à des concep-
tions très-divergentes.
2 Preller, Griech. Myth., I, 476.
3 Voyez la citation dans le D. P., v. c.
* Par exemple : « Indra a formé le soleil et la vache d'abondance.»
(Langlois, II, 104.) « A la voix de Bharadvâga, préparez le lait de la
vache qui donne tous les biens. » (II, 479.) — « La prière est pour
— 91 —
quée à la terre, mahî, prthivî; par exemple dans le Bliâgava-
tapurâna (vt, 14, 10), où il est dit que, pour le roi Tchitra-
kêtu, la terre était kâmaduh, ou comme la vache qui donne
tous les biens.1 Sous le nom de Surabhî, la désirable, l'aimée,
cette vache merveilleuse est célébrée dans le Mahâbhârata
comme la mère de toute la race bovine, et ce nom désigne
également la terre. Enfin, elle figure encore sous celui de Ca-
bota ou Çavalâ, la tachetée, dans le bel épisode de Ramâyana
où le roi Viçvamitra veut l'enlever de force au brahmane Va-
çishtha.
Chez les Grecs, c'est la corne d'Amalthée, la cornu copiai,
qui remplace la vache d'abondance. Elle était la propriété du
dieu des fleuves, Achéloiis, comme symbole de l'eau qui fé-
conde tout, et Hercule la lui enlève avec plus de succès que
n'en a Viçvamitra pour la vache Çabalâ. La chèvre Amalthée
elle-même, la nourrice de Jupiter, représentait la force nutri-
tive, et son lait était la pluie bienfaisante, de même que sa
peau, l'Egide, figurait le nuage orageux que secoue Jupiter
pluvius pour en faire jaillir les eaux fécondantes.2 On recon-
naît ici des rapports analogues à ceux que les mythes védi-
ques établissent entre le dieu Indra, les nuages et la vache, et
auxquels nous reviendrons plus loin. D'un autre côté, la corne
d'abondance était un des attributs de Pluton comme dieu de
la terre et des richesses,3 ce qui fournit une nouvelle analogie
avec les mythes orientaux. Il est certain que la vache et sa
celui qui t'adresse des sacrifices comme la vache qui donne tous les
biens.» (III, 255.)
1 Cf. dans le Bhâg. Pur., t. II, p. 89, éd. Burnouf, le curieux épi-
sode de Prthu, qui trait la terre.
2 Cf. Preller, G%\ Myth., 1,81, etc. Pott explique 'Aftolxtou par
aux + ôMw, celle qui fait tout croître (Z. S., IV, 427).
3 Preller, I, 490.
— 92 —
corne étaient à tous égards des symboles mieux appropriés
que la chèvre et sa corne pour figurer l'abondance, et il est
fort probable que le mythe primitif a passé d'un animal à
l'autre.
Les traditions Scandinaves offrent aussi quelques rapports
curieux, et plus directs, avec les mythes indiens. L'Edda ra-
conte comment la vache cosmique Audhumla naquit, à l'ori-
gine des choses, des gouttes de vie dans Ginnûnga gap,
l'abîme, en môme temps que le géant Ymir, afin de le nour-
rir avec les quatre torrents de lait qui coulaient de ses ma-
melles ; puis, comment ensuite, en léchant les rochers de sel,
elle en fit sortir Buri, le premier homme. Dans ce mythe, le
géant Ymir, dont le corps sert plus tard à construire la terre,
représente la matière, et la vache Audhumla est la source de
toute nourriture, la mère du genre humain, une véritable Ça-
balâ cosmique. C'est aussi, si je ne me trompe, ce que son nom
môme semble indiquer. Je crois y voir, en effet, une contrac-
tion de Audthumbla, composé de audr, opes, divitiae (Cf. au-
dugrj dives, audna, bona fortuna, et le goth. audags, ancien
ail. ôtag, felix, dives, etc. ), et de thumbla qui se rattache à
thembaz, intumescere, thambaz, ingurgitare ut venter tumes-
cat, thembr, inflatus. Cf. anglo-sax. thumle, intestina. Nous au-
rions ainsi, comme signification, la vache dont les mamelles
sont gonflées de trésors, la Kâmaduh par excellence. En scr.
tumbâj tambâ, tampâ, désigne la vache laitière toute prête à
traire, c'est-à-dire aux mamelles gonflées par le lait; la chienne
(qui allaite ?) est appelée tumburî, et tumbâ ou tumbî est aussi
le nom d'une espèce de gourde, semblable sans doute à une
mamelle gonflée. La racine, d'ailleurs inconnue, de ces mots
paraît être la môme que celle des termes Scandinaves ci-dessus.
Il existait sûrement, dans la mythologie du Nord, d'autres
— 93 —
traditions, maintenant perdues, sur la vache Audhumla. On
sait, d'après Tacite, que le char de Nertkus, la déesse de
la terre chez les anciens Germains, était traîné par des
vaches, et les Scandinaves avaient en la vache une foi
toute particulière, âtrûnadhr a M.1 Il est raconté que le roi
Œgvaldr possédait une vache sacrée qui l'accompagnait par-
tout, sur terre et sur mer, et dont il buvait le lait. Ce qui est
plus remarquable encore, c'est qu'un autre roi suédois, Eys-
teinn, avait aussi une vache merveilleuse qu'il honorait gran-
dement, et qui portait lé nom de Sibilia, lequel rappelle sin-
gulièrement celui de la vache indienne Çabalâ.
§ 184. LES VACHES ET LES NUAGES.
Rien de plus naturel, pour un peuple de pasteurs, que de
comparer les nuées mobiles et changeantes à des troupeaux
célestes, et la pluie qui féconde au lait nourrissant des vaches.
Les hymnes védiques nous ont conservé, dans leur naïveté
primitive, les mythes que l'imagination des anciens pâtres
a rattachés à ces phénomènes naturels. Pour eux, les nuages
sont des vaches qui appartiennent à Vâyu et aux Marats, les
dieux des vents, et que ces divinités traient pour produire la
pluie. J'ai touché déjà à ce sujet ( Cf. p. 34 ). Aux passages
cités, j'en joins encore deux autres empruntés à la traduction
de Langlois.
« Pour toi (Vâyu), la vache au lait abondant (le nuage )
<( cède tous ses trésors Ainsi exauce les vœux d'un peuple
« innocent : que toutes ces vaches qui dépendent de toi, fas-
1 Grimm, D. Mijthol, p. 631, 2e édit.
— 94 —
(( sent descendre sur nous leur lait doux et béni. » (T. I,
p. 330, 331).
« 0 nobles Maruts, du sein de l'océan ( aérien ) envoyez-
<c nous la pluie. Versez sur nous vos torrents. Les vaches qui
« vous appartiennent ne sont point stériles. » ( T. II, 340. )
Ces images mythiques ; dont il serait facile de multiplier les
exemples, n'ont pu naître que chez un peuple entièrement
voué à la vie pastorale, et les Indiens les ont certainement
reçues de leurs ancêtres les Aryas primitifs. Partout ailleurs
elles ont presque entièrement disparu, mais en laissant des
traces manifestes dans les noms germaniques et slaves de la
rosée et de la pluie, que nous avons vus se rattacher à la racine
duhj traire, ainsi que dans le grec jUOÀyoç, nuage.
Suivant un autre mythe védique, les vaches ne sont plus
les nuages, mais bien les eaux que le démon Vrtra ou Bala y
tient renfermées dans une caverne, et que Indra délivre en
foudroyant l'ennemi. C'est pour cela que le mot gô, vache,
désigne aussi l'eau céleste ou terrestre qui féconde tout, le lait
des nuages aussi bien que le lait ordinaire. Si l'on se souvient
du rôle que joue l'océan de lait dans les traditions indiennes,
on ne verra rien d'impossible à ce que l'irlandais gô, mer, se
lie primitivement au même cercle d'idées.1
§ 185. LES VACHES ET LES RAYONS SOLAIRES.
Le sanscrit gô se prend encore dans l'acception de rayon,
ce qui s'explique par une autre manière de concevoir le mythe
du combat d'Indra contre Vrtra. Ce dernier, dont le nom
1 Dans le Hy Fiachrach, édité par O'Donovan (p. 272, 273, note),
gô est traduit par sea, mer.
— 95 —
même signifie : celui qui couvre, qui enveloppe, devient le
nuage obscur qui retient captifs les rayons solaires, c'est-à-
dire les vaches à? Indra comme taureau-soleil. Celles-ci alors
sont appelées usriyâs, ce qui équivaut à dire les lumineuses,
les rouges.1 La même métaphore est appliquée parfois à l'Au-
rore, Usrâ, surnommée la mère des vaches, et qui attelle à son
char la troupe des vaches rosées, ainsi qu'au dieu Agni, qui s'en-
toure de ses vaches lumineuses, c'est-à-dire de ses flammes.2
Pour en revenir à ce mythe de la séquestration des vaches
par un pouvoir malfaisant, et leur délivrance par un dieu
vainqueur, mythe qui se présente déjà sous une double forme,
il a subi plus tard d'autres modifications, car il est dans la
nature des traditions de ce genre de se métamorphoser inces-
samment. Ainsi ailleurs ce sont les Panis, compagnons du dé-
mon Bala, qui ont dérobé les vaches des Angirasides, antique
famille sacerdotale, et qui les ont cachées dans une montagne.
Indra envoie à leur recherche la chienne céleste Saramâ, qui
les découvre ; puis il les délivre et les rend aux Angirasides.5
Ici déjà la signification primitive du mythe est presque déjà
effacée ; il n'est donc pas étonnant qu'en s'éloignant plus en-
core de sa source première, il ait changé de caractère, tout en
conservant quelques-uns de ses traits distinctifs.
Le principal de ces traits, le vol des vaches, se retrouve en
effet, et chez les Grecs et chez les Romains, mais entouré de
circonstances qui diffèrent considérablement. Le mythe grec,
le plus ancien des deux, trahit encore son origine symbolique
naturelle, bien que son caractère badin soit tout l'opposé de la
grandeur presque tragique du récit védique. L'hymne homé-
1 Cf. Rigv., I, 6, 5, et notre t. 1. p. 419.
2 Cf. Riyv., Langlois, I, 307 ; 11, 1 ; II, 201, etc.
3 Cf. Rosen, Rigv., Annot., p. xxi.
— 96 —
rique à Mercure nous raconte comment le petit Hermès, à
peine né, imagine de voler les bœufs de son frère Apollon, et
par quelle ruse ingénieuse il parvient à dérober leurs traces
en les faisant marcher à reculons. Viennent ensuite tous les
expédients mensongers auxquels il a recours pour dissimuler
son larcin, la colère d'Apollon, le débat en présence de Ju-
piter, et enfin la réconciliation des deux frères quand les
bœufs sont retrouvés. Si l'on voit, avec Preller, dans Hermès,
le dieu de la pluie, qui dissout et fait disparaître les nuages,
c'est-à-dire les bœufs d'Apollon,1 on reconnaîtra bien que le
mythe grec se rattache au même ordre d'idées que le mythe
indien. La circonstance que Hermès était aussi le dieu des
marchands, et de leurs ruses peu conformes à l'honnêteté,
semble former un trait d'union avec celle du vol des vaches
par les Panis, car pani, en sanscrit, signifie un marchand.
On connaît suffisamment la légende d'Evandre et du bri-
gand Cacus, qui lui dérobe ses bœufs en les emmenant par la
queue dans sa caverne, où Hercule les lui reprend après
l'avoir tué. Ici, toute allusion aux phénomènes atmosphéri-
ques a disparu, mais on ne saurait guère douter que ce mythe,
comme celui de Hermès, ne soit une réminiscence d'une an-
tique tradition de l'époque pastorale, bien plus fidèlement
conservée par la poésie védique.2
§ 486. LES VACHES ET LES ASTRES, LE TAUREAU
ET LE SOLEIL.
Du moment que les rayons solaires sont devenus des va-
ches, le soleil devient naturellement un taureau, ou bien le
1 Griech. Myth., I, 242, sq.
2 Voy. sur ce mythe, l'excellent travail de Bréal, Hercule et Cacus,
étude de mythologie comparée. Paris, 1863.
— 97 —
pâtre divin par excellence. C'est pour cola que gô, au mascu-
lin, figure parmi les noms du soleil, et du ciel étoile en géné-
ral, car les astres représentent aussi le troupeau des vaches
célestes. Le titre de gôpati, maître des vaches et pasteur, est
donné non-seulement au soleil, mais à Krishna et à Vishnu.1
C'est là une source nouvelle et abondante de mythes variés
que je ne veux pas suivre dans leurs embranchements multi-
pliés, et qui, chez les Indiens comme chez les Grecs, ont leur
origine primitive dans l'ancienne vie pastorale. Ici seulement
quelques-uns des rapprochements les plus frappants.
La légende indienne de Krishna, incarnation de Vishnu,
élevé parmi les pâtres, et devenu lui-même un dieu-pasteur,
Gopâla, Gôvinda, légende que les épopées et la poésie lyrique
ont développée d'une manière brillante, rappellent singulière-
ment l'Apollon vofAioç, et les mythes qui le concernent. Apol-
lon, comme Krishna, remplit l'office de pasteur auprès d'un
mortel; l'un courtise les nymphes comme l'autre les gôpî ou
bergères ; l'un tue le serpent Python comme l'autre le dragon
Kâliya; tous deux ont inventé la flûte, et se plaisent à la
musique et à la danse. Ce sont là des traits de ressemblance
assez caractéristiques pour faire présumer une origine com-
mune, bien que le mythe indien ne paraisse pas se trouver
dans les Vêdas, et n'ait pris ses développements que dans la
poésie épique et les Purânas.
Un autre fonds d'analogies se présente dans les troupeaux
de bœufs sacrés qui appartenaient à Hélios, le dieu-soleil, et
que gardaient en Sicile ses deux filles, <Pciiôov<rct,, la brillante,
1 D'après les diverses significations de gô, gôpati désigne aussi un
roi, comme maître de la terre, et le dieu Varuna comme maître des
eaux et de l'océan.
II 7
— 98 — .
et AcL/*7riTivi, la rayonnante.1 Des troupeaux solaires du même
genre étaient censés exister à Taenaron en Elide, et dans la
colonie corinthienne Apollonia.2 Cela ne peut guère s'entendre
que des rayons ou des étoiles dont Hélios était le berger,
comme le Gôpati indien.
Le mythe du taureau solaire tient une grande place dans
la religion des Parses et le culte de Mithra ; et l'Avesta déjà
en contient les traits principaux, mais en allusions trop peu
développées pour être interprétées avec sûreté. Le gaoçpenta,
ou taureau sacré et cosmique du Vendidad,3 créé par Or-
muzd, le Gayomard du Boundehesh, paraît représenter la
terre; mais une partie de sa semence a été transférée au soleil
après sa mort,4 et l'idée du taureau solaire et lunaire existait
sans doute chez les Iraniens comme chez les Indiens.
Le sanscrit gô, masc, en effet, est aussi un des noms,
d'ailleurs tous masculins, de la lune, dans laquelle on pouvait
aisément voir un taureau, à cause des cornes de son croissant ;
et, dans l'Avesta, la lune est appelée gaoéithra, c'est-à-dire qui
contient la semence du bétail, ce qui est l'équivalent de tau-
reau.5 Les traditions grecques relatives à la vache Io parais-
sent en faire également une personnification de la lune et de
ses phases. Elle paît dans le bois sacré Junon, c'est-à-dire
dans le ciel, gardée par Argus aux mille yeux, le firmament
1 Odys., xn, 126.
2 Preller, Gr. Myth.,1, 291.
3 Vendid., xxn, 1, éd. Brockhaus, p. 187. Il est singulier que la
vraie signification du gaoçpenta zend ait été si bien oubliée plus
tard, que déjà l'huzv. gôçpand, parsi gôçpend, persan gôsfand, etc.,
ne désignent plus que le menu bétail, chèvres ou moutons ( Cf.
Justi.p. 100).
4 Spiegel, Avesta, l, 258.
« Cf. ibid., 261.
— 99 —
étoile, que Hermès, surnommé 'ApyttQovrtiç, couvre et obs-
curcit en sa qualité de dieu des nuages et de la pluie.1 C'est
encore là un mythe d'une origine pastorale, mais développé
plus tard avec d'autres caractères par l'imagination des
Grecs.
Une fois les étoiles comparées à un troupeau de vaches
célestes, on était conduit à voir dans la voie lactée le chemin
qu'elles suivent pour aller au pâturage et en revenir. Le scr.
(jôvîthî, ou chemin des vaches, n'a pas, il est vrai, ce sens, et
s'applique à une portion de l'orbite lunaire, tandis que la voie
lactée est appelée suravîthî ou dêvayâna, le chemin des dieux.
Le synonyme de gôvîthi est gôpatha, qui ne s'est trouvé jus-
qu'à présent que comme titre d'un brâhmana, ou traité de
théologie védique. Mais ici Kuhn a signalé une remarquable
coïncidence dans le bas-allemand kaupat = kuhpfad, exacte-
ment le sansc. gôpatha, et qui est un des noms populaires de
la voie lactée.2 Ce rapprochement n'est appuyé d'ailleurs par
aucun autre exemple connu; mais je soupçonne fort que le
yctXct^ictç kvjcAoç, circulus lacteus, des Grecs a tiré son ori-
gine d'une idée analogue, celle du lait que les vaches aux ma-
melles pleines laissaient couler en marchant, et que, plus tard
seulement, s'est formé le mythe du lait répandu par Junon en
allaitant le petit Hercule. Peut-être qu'une connaissance plus
complète de la littérature védique achèvera d'éclairer cette
question.
1 Cf. Preller, Gr. Mtjth., II, 27.
2 Z. S., II, 311.
i
100 —
ARTICLE VIII.
§ 187. OBSERVATIONS.
La multiplicité et la variété des rapprochements qui précè-
dent montrent quelle empreinte profonde et durable les habi-
tudes et les idées de l'ancienne vie pastorale ont laissée dans
les langues et les traditions de toute la famille arienne. Cela
prouve que, pendant un temps plus ou moins long, et avant
leur séparation, les Aryas ont été essentiellement un peuple
de pasteurs aux mœurs patriarcales. En réunissant les traits
épars que nous fournit la linguistique comparée, on peut arri-
ver à se faire encore une idée assez complète de cette exis-
tence d'une simplicité toute primitive. Je ne veux pas cher-
cher maintenant à en retracer le tableau qui sera mieux placé
dans le résumé général de nos recherches. Je me borne ici à
une remarque sur la portée des inductions que l'on peut tirer
des faits observés.
Si ces faits, dans leur ensemble, concourent à démontrer
qu'à une époque quelconque, et sans doute la plus ancienne,
les Aryas ont été des pasteurs, il n'en résulte pas cependant
qu'ils l'aient été exclusivement/ Les développements qui sui-
vront prouveront clairement le contraire, pour le moment du
moins où leur séparation s'est effectuée, et il paraîtra très-
probable que dès longtemps déjà avant ce moment-là, ils
étaient parvenus à un état de culture sociale plus élevée. On
peut encore reconnaître les traces d'une période de transition
graduelle, comme lorsque nous avons vu les noms du pasteur
— 101 —
en chef et du pâturage passer au roi et aux divisions territo-
riales, et il s'en présentera encore d'autres exemples.
Rien n'indique non plus qu'à une époque quelconque les
Aryas primitifs aient été un peuple de nomades, à l'instar de
quelques races tartares. La nature accidentée de leur pays
déjà s'y opposait, et leur vie pastorale a dû être celle de tribus
plus ou moins dispersées dans les vallées et sur les montagnes,
où leur bétail trouvait de riches pâturages. Les faits relatifs
à l'agriculture et que nous allons aborder maintenant, confir-
meront mieux encore cette manière de voir.
SECTION III.
§ 188. L'AGRICULTURE.
La première condition d'un état de société stable et régu-
lier, c'est que l'homme reste attaché à la terre qui le nourrit
en retour de ses labeurs. Avec le champ naît le droit de la
propriété et l'amour du travail. A côté du champ s'élève la
maison, où croît et prospère en paix la famille. Des rapports
de bienveillance mutuelle et de protection réciproque s'éta-
blissent, par la force des choses, entre les petites communau-
tés que leurs intérêts rapprochent. L'industrie se développe,
les droits sociaux se fondent avec les pouvoirs qui les garan-
tissent. Les unités sociales s'étendent graduellement et se gé-
néralisent. A la maison succède le village, au village la ville,
comme au champ le district, au district le pays, comme à la
famille la tribu, et à la tribu la nation. Alors seulement peu-
vent entrer en jeu les forces morales et intellectuelles qui amè-
nent la civilisation, l'amour du sol natal et de la race, le
— 102 —
patriotisme qui inspire le dévouement, le sentiment national
qui élève les âmes, le désir de la gloire qui enfante les héros.
Avec le temps et les événements, les traditions naissent et
grandissent, conservées et transmises par la poésie. Les
croyances religieuses s'affermissent par le culte, et la nation
commence à vivre de cette vie propre qui lui assignera sa
place dans l'histoire de l'humanité.
Si nous consultons cette histoire, nous verrons que nulle
part le développement social n'a accompli ses phases sans
avoir l'agriculture pour point de départ et pour base. Les tri-
bus de chasseurs restent à l'état sauvage, et les nomades ne
s'élèvent guère au-dessus de la barbarie. Or, nous savons déjà
que les anciens Aryas n'ont été exclusivement ni chasseurs,
ni nomades, et nous savons de plus qu'ils ont pratiqué l'agri-
culture à un degré quelconque, puisqu'ils connaissaient les
céréales et plusieurs de nos plantes usuelles. Si la vie pasto-
rale a prédominé chez eux au début, il faut que de très-bonne
heure, et dans une mesure variable sans doute suivant les
localités, ils y aient associé le travail de la terre. Les deux
éléments sont-ils arrivés à peu près à s'équilibrer ; et peut-on
retrouver encore quelques indices d'une transition graduelle ?
La comparaison des langues peut seule nous éclairer à cet
égard, car l'histoire se tait absolument sur les origines de
l'agriculture. Chez les peuples les plus anciens, l'art de tra-
vailler la terre, et l'invention de la charrue, sont attribués à
des bienfaiteurs purement mythiques de l'humanité, ce qui
indique, en tout cas, un sentiment vif et vrai de l'importance
de l'agriculture pour le bien-être social. Il s'agit donc de
rechercher maintenant quel degré de développement elle avait
atteint chez les Aryas primitifs, et jusqu'à quel point ce dé-
veloppement a été commun à toute la race, ou limité seule-
— 103 —
ment à quelques-uns de ses embranchements. C'est en exami-
nant avec soin les noms du labourage, du champ, des
semailles, de la moisson, ainsi que des divers instruments des
travaux rustiques, que nous pouvons espérer quelques ré-
ponses à ces questions.
ARTICLE I. LE LABOURAGE ET SES INSTRUMENTS.
§ 189. LE LABOURAGE EN GÉNÉRAL.
Pour exprimer Faction de labourer, les langues ariennes
possèdent deux, racines principales, et également anciennes,
mais dont l'une appartient en commun aux langues de l'Eu-
rope, tandis que l'autre est restée en usage chez les Aryas de
l'Orient. On a voulu en conclure, d'une manière trop absolue
sans doute, que l'agriculture ne s'est développée de part et
d'autre que postérieurement à l'époque de l'unité primitive et
de la vie pastorale, mais on verra que bien des faits s'oppo-
sent à une hypothèse aussi tranchée.
1) Toutes les langues européennes emploient, dans le sens
de labourer, la rac. ar, comme on le voit par l'énumération
suivante :
Grec cLpoct), latin aro, irlandais arai?n, cymr. aru, armor.
ara, goth. arjan, ags. erian, scand. eria, ancien allem. aran,
lithuan. ârti, anc. si. orati, russe orati, pol. orac, etc.; alban.
ârene.
On retrouve bien, en sanscrit, cette racine r, ar, mais avec
l'acception générale de lœdere, d'où, entre autres dérivés,
— 104 —
arus et îrma, blessure.1 Cependant la transition fort naturelle
au sens de labourer, c'est-à-dire de blesser la terre, ou, peut-
être, de la remuer, de la soulever, d'après d'autres acceptions
de ar, ne serait pas restée étrangère au sanscrit, si, d'après la
conjecture de Kuhn, le nom de Arya, comme synonyme de
Vâiçya, ou homme de la troisième caste, celle des travailleurs,
a désigné primitivement un laboureur.2 Max Mùller va plus
loin, et pense que les Aryas, comme peuple, se sont ainsi
nommés en tant que agriculteurs, et par opposition aux races
touraniennes nomades.5 Il rattache également à r, dans le sens
de labourer, le scr. ira, terre, auquel nous reviendrons plus
loin. Ce seraient là assurément des preuves très-précises d'un
ancien accord pour l'emploi de cette racine, si les étymologies
indiquées ne laissaient aucune prise au doute, mais il faut bien
ajouter que les auteurs du D. P. en donnent de leur côté de
toutes différentes.4
2) La seconde racine, restée en usage dans l'Orient, est le
scr.krsh (karsli), zend karesh, dont le sens propre est trahere,
hue illuc trahere, vexare, ce qui s'applique évidemment au
travail de la charrue. De là le scr. karshû, zend karsha, sillon,
c'est-à-dire trait, comme le grec oAkqç de îXkôo, tirer. Il en
dérive beaucoup d'autres termes relatifs à l'agriculture, tels
que karsha, krshi, krshti ( zend karsti, labour à la charrue),
krshaka, soc et laboureur, etc. Dans le Rigvêda, les hommes
en général sont appelés parfois krshtayas, comme habitants
1 Cf. grec ccçn, dommage, malheur, oepaw, etc., scand. or, cica-
trice, et peut-être anc. irland. âr, strages (Zeuss.2, 17), mais cymr.
aer, peut-être tous deux de ager (ibid.).
2 Ind. Stud.,àe Weber, I, 352.
3 Lect. on the science oflanguage, 1861, p. 224.
4 Cf. pour le nom des Aryas, notre t. I, p. 38.
— 105 —
de la terre cultivée.1 Les Iraniens divisaient celle-ci en sept
karshvare, ou pays de labour, comme les Indiens en sept
dvîpas ou îles.2 En persan moderne on trouve karsidan, se
contracter, se rider, puis, avec perte de IV, kêshîdan, tirer,
traîner, tracer, et, enfin, kâshtan, kishtan, labourer, culti-
ver, d'où kishtâwar, labourer, kisht, kishmân, champ cul-
tivé, etc.5
Cette racine s'est conservée également dans quelques lan-
gues européennes avec son acception générale, et si , pour
celle de labourer, elle a fait place à la rac. ary plusieurs de ses
dérivés se rapportent cependant au travail de la terre. Au sens
général de tirer, tirailler, puis vexer et exciter, se rattachent
le lithuan. karszti, carder, étriller, sérancer ; cf. alban. kréshe,
étrille, et kréshte, brosse, et Fane, slave kresiti, excitare. En
fait de dérivés, on peut y rapporter le grec Kiptriov, chardon,
ainsi que le latin crista, la crête à la forme lacérée ; cf. ancien
ail. hursti, id., et hurst, rubus, horst, sylva, etc. Quant aux si-
gnifications qui se rapprochent plus ou moins de celle du la-
bourage, je citerai le pol. krésic, krysic, sillonner, rayer, krés,
krésa, sillon, raie ; cf. scr. karshû, zend karsha, id. ; lithuanien
karsztas, anc. slave krûsta, korsta, irlandais créas (de creast),
fosse, tombe. Kuhn compare aussi l'allemand karst, hoyau/
mais le k inaltéré est une objection. Par contre, l'angl.-sax.
hruse, terra, regio, qui correspond exactement, paraît avoir
désigné primitivement la terre cultivée.5
1 De krshti, ager cultus (D. P., II, 411).
2 Vendidad, 19, 129. Vispered, 12, 35, etc.
3 Cf. Justi, 80, pour d'autres termes iraniens.
4 Ind. Stud., I, 351.
5 Comme, en grec, un k primitif devient parfois un t, Curtius (Gr.
Et.3, 444) rattache ici rs'x<rov, sillon-limite, dans Homère, de même
sens que le scr. kârshman, dans le Rigvêda. — Cf. avec le même
— 106 —
Les langues sémitiques nous offrent ici une remarquable
analogie, car rien à coup sûr ne ressemble mieux au sanscrit
krsh, 'karsh, que l'hébreu chârash, incidit et aravit, d'où cha-
rîsli, tempus arandi, et l'arabe charasha, il a gratté, etc. Il est
difficile cette fois de ne pas croire à une affinité réelle dont
l'explication nous échappe encore.
On voit, en résumé, que les deux racines ar et karsh, dans
leurs acceptions générales de lsedere et de trahere, sont com-
munes aux Aryas de l'Orient et de l'Occident, et que très-
probablement elles ont été employées comme synonymes, au
temps de l'unité, pour exprimer l'action de labourer.1 Il n'en
reste pas moins évident que, plus tard, ces racines se sont sé-
parées, et ont prévalu respectivement, lors d'une première
scission des Aryas dans les deux groupes que tout porte à ad-
mettre avant la dispersion finale. C'est là une répétition du
fait observé déjà pour les racines duh et mrg (Cf. p. 36).
§ 190. LA TERRE ET LE CHAMP.
1) De la rac. ar, er, or, restée vivante dans les langues eu-
ropéennes, dérivent presque partout des noms du champ, au
moyen de suffixes variés. Ainsi le grec apovça de dçùûû ; le
latin arvum, de aro ; l'erse ar, et iom-air, im-ir, champ la-
bouré (im, deimb, préf. = dptpi, etc.), de araim; le cymr.
changement de r en l, l'irl. clas (de clast), sillon, tranchée, cymr.
clais, id., petit ruisseau.
' Cf. l'opinion de Pott (Et. F.\ II, 1, 842; WWb., I, 736, et II, 2,
359). Il rattache à karsh le nom de la déesse Cerës, comme ayant
inventé la charrue (prima Ceres unco glebas dimovit aratro; Ovide,
Met., 5, 341), et il en infère une pratique de l'agriculture déjà au
temps de l'unité.
— 107 —
ar, armor. oar, aor, de aru, ara; le lith. arimmas, de ârti;\e rus.
relia, pol. rola, pour orola, de orati (comme ralo, charrue, pour
ancien slave oralo), pol. aussi oranina, serb. oranie, etc., etc.
Tous ces termes sont naturellement d'une origine relativement
moderne ; mais il en est autrement d'un groupe des noms de
la terre qui se rattachent bien également à la même racine,
mais non aux formes qu'elle a prises dans les langues particu-
lières, ce qui indique une source commune beaucoup plus
ancienne.
Ainsi le grec îpcc, terre, que l'on peut inférer de ipc&Çt, humi,
cf. îviçoi, inferi, et ttoâu^oç, riche en terre ( Hesych. ), ne
saurait dériver directement de dça, dçooô, non plus que le
goth. airtha, ags. eordhe, scand. jôrd, anc. allem. erda, etc., de
arjan, etc., non plus également que l'irland. ire, gén. ireann,
de araim. Si l'on y joint, avec M. Millier, le scr. ira ou idâ,
terre, il faut recourir avec lui, pour l'explication de ces termes
divers, à la forme primitive r, ri, ir, de la rac. ar, et alors le
goth. airtha, par exemple, équivaudrait à un thème sanscrit
rta, rita} Suivant Millier, le vrai sens de idâ, que les Brah-
manes interprètent par prière, n'a jamais été reconnu.2 A
1 Ceci est contraire à l'opinion de Bopp et de la plupart des india-
nistes allemands, qui considèrent ar comme la forme primitive? et r
comme un affaiblissement. Bopp d'ailleurs rattache le goth . airtha au
sansc. ar,dans le sens de ire, comme lieu de mouvement ( V. Gr., I,
256).
2 Lect. on the science of lang., p. 240. — Je note ici les vues di-
vergentes du D. P., où ira n'est regardé que comme une forme secon-
daire, nebenform, de idâ, ilrâ, vivification, restauration, bien-être,
force vitale, nourriture, puis libation et prière. Le sens de terre n'au-
rait été inféré que improprement d'expressions telles que idâijâspada,
le lieu de la prière, et le mot de ira, terre, n'est cité qu'au nombre
des significations diverses, eau, liqueur spiritueuse, parole, données
par les lexicographes indiens seulement. Entre de si hautes autorités,
je m'abstiens, comme de raison, de tout jugement.
— 108 —
l'appui de celui de terre, en tant que labourée, c'est-à-dire
blessée, déchirée, on peut rapprocher de ira, non-seulement
îrma, blessure, mais surtout irina, rigole, entaille, creux, fosse,
puis, en général, sol déchiré, et, par suite, stérile.
Les langues iraniennes nous offrent un nom de la terre qui
ressemble singulièrement au goth. airtha, etc. ; c'est le pehlwi
artâ, armén. art, kourde ard, cf. ossète ardus, champ, prairie.
Il est très-probable cependant que l'origine en est sémitique,
si l'on compare l'arabe ardh, le syriaq. artô et l'hébreu erets.
Cf. aussi le chai, ar 'â, araq. Ces mots n'ont pas d'étymologie
indigène, et cependant il est difficile de croire à un rapport
réel avec la rac. ar, et de supposer que les Sémites aient reçu
des Aryas un nom de la terre. D'autres coïncidences de ce
genre sont, à coup sûr, purement fortuites, et personne ne
songera sérieusement à comparer le pawni orârô, terre, de
l'Amérique du Nord, avec le grec açovça, ou l'aïmara urrake,
id., de l'Amérique du Sud, avec le dongola arikke, de l'Afrique,
et le chaldéen araq.
2) Le sansc. védique agra, déjà cité à l'article de la chasse,
se prend dans l'acception générale du latin campus, la campa-
gne, la plaine, l'espace libre, et d'après sa provenance de ag,
agere, abigere, il a dû désigner plus spécialement le pâturage
de la tribu, où l'on faisait aller les troupeaux.1 On y reconnaît
sans peine le grec dyçbç qui conserve encore le sens général
de campus à côté de celui de ager, comme le montre cvy^ùç,
rustique, sauvage, exactement le sanscrit agrya, ce qui appar-
tient à la plaine. L'application au champ cultivé exclusive-
ment, dans le latin ager, doit être fort ancienne, car elle se
retrouve aussi dans le goth. akrs, ags. aecer, scand. akr, ekra,
' Cf. Kuhn, Z. S., III, 334.
— 109 —
anc. allem. achar, etc. ; d'où l'irl. acra, le cymr. egr, et notre
franc, acre, comme mesure de terre seulement. La racine ver-
bale ag s'est maintenue également dans les trois branches, gr.
dya), lat. ago9 scand. aka (ôk, ekid). La transition du sens de
plaine ou de pâturage à celui de champ labouré est très-natu-
relle, puisque la culture de la terre a dû commencer surtout
dans le pays plat, et au fond des vallées. Elle est la même que
celle du latin campus à notre champ. 1
3) Il ne faudrait pas conclure de là que la notion plus pré-
cise du champ, comme terrain enclos et protégé, ait été étran-
gère aux anciens Aryas, car elle se trouve exprimée par le
sansc. vârata, de la rac. vr} var, circumdare, tegere. Cf. va-
rana, âvarana, prâvara, enceinte, etc. De là aussi le zend
vara, locus circumseptus, devenu, dans l'Avesta, le nom tradi-
tionnel de cette portion de la terre que Djemshid rendit habi-
table en y portant les germes des plantes et des animaux, en
quelque sorte le champ primitif par excellence.
Cet ancien nom du champ paraît conservé dans l'anglo-
saxon wordh, ivordhig, ivurdhig, prasdium, agellus, fundus, le
worth de beaucoup de noms de lieux anglais. Cf. iveard, iva-
radh, rivage, c'est-à-dire enceinte de la mer, et l'anc. allem.
ivarid, insula, ainsi que les verbes warian, iverian, etc., defen-
dere. Au vara du zend correspondent l'anglo-saxon icar, se-
pimentum, le scand. ver, domicilium, Fane, allem. wori, clau-
sura, etc. L'irl. fearann, ager, fundus,2 semble se rattacher au
scr. varana, enceinte ; mais le cymr. gweryd, sol, anc. corn.
1 L'armén. agarag, champ, mais aussi contrée et village, appar-
tient au même groupe de mots.
2 Ferenn, ager ; ferann,-rand (Stokes, Ir. Gî., n° 390). Cf. ferenn,
jarretière (Corm., GL, 72).
— 110 —
gueret, d'où le français guéret, terre labourée,1 se lie peut-
être au groupe ci-dessus.
4) Le latin rus, ruris, pour rusis, a été rapporté par Àuf-
recbt à la rac. scr. krsh, arare, avec perte du h initial,2 mais
il est plus probable que ce nom du champ n'a pas subi de mu-
tilation. Il correspond, en effet, au cymr. rhws, terre cultivée,
et, quant à sa racine, à l'anc. slave rusagu, regio, ainsi surtout
qu'au persan rûstâ, terre à blé, lieu cultivé et habité, puis
village, d'où rûstâr, villageois, le latin rusticusê La racine
doit avoir signifié, comme r, ar, la?dere, puis arare, comme
l'indiquent les analogies du sanscrit rsh, ferire, transfigere,
rish, rush, lush, lûsh, laadere ( Dhâtup.), persan rushtan, dé-
pouiller, peler, lûsh, déchiré, mis en pièces, anc. slave rushiti,
destruere, russe rushiti, couper, découper, goth. liusan, per-
dere, etc. Le lith. rausyti, creuser, fouiller la terre, d'où rau-
sis, creux, ainsi que nisas, silo pour le blé, conduit directe-
ment à la notion du labourage, et mieux encore l'ang.-saxon
reost, anc. ail. riostar, ail. mod. rûster, coutre de charrue. Cf.
erse risteal, espèce de charrue des Hébrides, avec un coutre
en forme de faux.
§ 191. LE SILLON.
Dans l'Inde des temps védiques, le sillon, sîtâ, fém., était
personnifié et invoqué sous la forme d'une déesse au teint
brun et aux yeux noirs, brillante de beauté, couronnée d'épis,
épouse du dieu Indra, ou Parganya, et qui dispense aux
1 Cf. cependant l'étymologie ordinaire du latin vervactum.
2 Umbr. Sprachd.,1, 57. Cf. Z. S., III, 247.
3 Cf. irl. ros, terre arable, plaine, de rost?
— 111 —
hommes les fruits de la terre.1 Cela prouve l'importance con-
sidérable qu'avait prise déjà alors l'agriculture ; mais rien de
semblable ne se rencontre chez les autres peuples de la fa-
mille, et le nom même de sîtâ paraît être purement indien.2
Aucun autre terme ne s'est conservé généralement pour dési-
gner le sillon, mais on peut signaler encore quelques analogies
partielles qui sont dignes d'attention.
1) J'ai déjà comparé plus haut le scr. karshû, zend karsha,
de krsh, trahere et arare, avec le polon. crés, crésa, sillon, raie.
Il faut probablement ajouter l'irl. das, dais, sillon, cymr. dais,
raie, petite tranchée. Toutefois, le maintien de Y s, en irlandais,
indique la perte d'un suffixe, peut-être ti ; das de dasti =
scr. krskti, aratio, comme as = scr. asti.
2) Le latin porca trouve son corrélatif parfait dans l'ags.
furh,fyrli, anc. ail. furh, furhî, allem. moà.furdie, etc., avec
cette différence que le nom germanique s'applique au creux du
sillon. Il y a ici, de part et d'autre, un rapport évident avec
les noms du cochon, latin porcus, porca, anc. ail. farh, farah,
lith. parszas, etc. ; mais comment faut-il entendre ce rapport
qui ne saurait être direct, car rien ne ressemble moins à une
truie qu'un sillon ? Nous avons présumé pour l'animal le sens
1 Cf. Rigv., IV, 57, 6, 7, et surtout les Omina et Portenta de
Weber, p. 369 etsuiv. où se trouve une invocation d'une haute poésie.
A la Sîtâ indienne répond exactement, pour la forme, le surnom de
2<rw donné à AyifÀtîryjp, mais que l'on rattache à o-7toç , froment,
d'ailleurs probablement de la même origine étymologique. Cf. scr.
sîtya, blé, etc. (t. I, p. 328).
2 Le D. P. rattache sîtâ, avec siman, limite, sîra, charrue, etc., à
une racine hypothétique sî, tirer une ligne droite, rectifier. — On ne
saurait guère y ramener le scand. sîlâ, sulcare, incidere, sîling, inci-
sura, d'où, suivant Diez (Wb., II, 412), notre siller, sillon, ainsi que
le milan, sciloira, piémont. sloira, charrue, car ici Yl appartient à
la racine.
— 112 —
étymologique de celui qui fouille et disperse la terre ( Cf. 1. 1,
p. 463), et d'après cela, le sillon ne peut guère être ici que
la terre dispersée et soulevée par la charrue. Le persan vient
à la fois appuyer cette interprétation, et prouver l'ancienneté
des termes européens. Nous y trouvons, en effet, paréam,
comme un des noms de la charrue, et ce nom dérive deparéî-
dan, enfoncer, diviser, d'où paréah, fragment, etc., dont l'af-
finité avec le sanscrit pré, parc, spargere, ne semble pas dou-
teuse. Cf. aussi l'armén. prié, houe.1
Une trace du sillon, considéré comme limite, paraît se trou-
ver dans l'armor. ant, fosse entre deux sillons, rigole, tranchée,
si l'on compare Je scr. anta, limite, bord, fin, goth. andis, etc.
Ce mot semble étranger aux autres dialectes néo-celtiques.
§ 192. LA BÊCHE ET LA PIOCHE.
Le premier homme qui s'avisa de travailler la terre dut
être aussi le premier inventeur d'un outil quelconque pour
rendre l'opération possible, car, seul, le secours des mains n'y
saurait suffire. Très-imparfait au début, cet outil n'aura servi
d'abord qu'à gratter le sol, et, pour arriver à le couper, à le
fouiller, à le retourner plus profondément, il a dû passer par
bien des transformations successives ; ou plutôt, les instru-
ments de travail se seront multipliés pour accomplir séparé-
ment leurs divers offices. La bêche tranchante qui coupe la
terre, et la pioche pointue qui pénètre le sol, auront été les
deux formes prédominantes, grossières d'abord, en bois, en
1 Pour une autre explication de porca, par le grec npourid (?), gar-
tenbeet, cf. Fick (Z. S., 18, 413).
— 113 —
os, en pierre, avant l'emploi des métaux, et telles qu'on les
trouve encore chez quelques peuplades sauvages. Ce n'est que
plus tard, sans doute, que l'on en sera venu à imaginer la
charrue, et la charrue elle-même s'est modifiée cent fois avant
d'arriver à ce qu'elle est de nos jours.
Par cela même que les outils les plus simples ont été les
premiers dans l'ordre des temps, leurs anciens noms ont dû
se perdre facilement, et se remplacer par des termes nouveaux
à la suite des modifications de forme, de matière et d'emploi,
subies par les instruments eux-mêmes. Aussi les affinités à si-
gnaler sont-elles fort isolées pour la plupart, et laissent-elles
prise à plus d'un doute quant à leur valeur réelle. Dans les
rapprochements qui suivent, je ne sépare pas la bêche ou pelle
de la pioche ou du hoyau, parce que leurs noms dérivent sou-
vent des mêmes racines qui expriment l'action de diviser,
couper, fouiller, etc.
1) Le scr. kudâla, bêche, fossoir, est composé sans doute
de ku, terre, et de data, qui divise, rac. df, dar, dal, findere,
dividere.1 Cf. dalita, fendu, déchiré, dali, dalanî, motte de
terre, etc. Le synonyme gôdârana, bêche et charrue , a exac-
tement le même sens, et avadârana, bêche, offre une signifi-
cation analogue. Le premier composé se retrouve dans le
persan kôdâl, grosse pioche, qui n'est peut-être qu'un mot
d'emprunt, mais dalang, fossoir, se rattache directement à la
racine dal, dar, conservée dans le verbe darîdan, diviser, dé-
chirer. Cf. dârah, faux.
Cette racine, sous ses deux formes, s'est maintenue dans
1 Comme le mot s'écrit aussi kuddâla, Weber ( Beitr., 4, 277)
préfère le rapporter à la rac. kutt, provenue de kart, couper ; mais la
substitution de d au t cérébral est une objection. Le D. P. s'abstient
de toute conjecture.
TI 8
— 114 —
toutes les langues européennes, grec Sîpw, lat. dolo, irlandais
dailim, goth. tairan, lithuan. dirti et daliti, anc. slave drati
et deliti, etc. On en voit dériver plusieurs noms d'outils tran-
chants, comme le latin dolabra, doloire, Fane, slave dlato, scal-
prum, etc. L'application à l'agriculture se remarque dans le
lithuan. dirwà, champ cultivé, de dirti, d'où dirwininkas, la-
boureur, ainsi que dans l'ang.-sax. tilian, anglais tïll, arare,
tilia, arator, tilth, cultura ; cf. anc. ail. zîla, sulcus, linea. La
voyelle forte de la racine semble conservée par l'ang.-sax. et
scand. toi, anglais tool, outil en général, peut-être primitive-
ment outil aratoire.
2) Le scr. gôkîla, littér. pieu de terre, désigne la charrue,
et kîla, pieu pointu, lance, dérive sans doute de kf, kar, lœ-
dere; cf. kîrna, blessé, et la rac. çf, car, kedere, dirumpere, d'où
çîrna, défait, détruit, etc.
On peut comparer, comme de même origine, le russe kirkâ,
pioche, bêche ; et peut-être le m.Xy\ ou ;ceÀÀ<fc ( de KlAtct ?)
du grec iaclkîXvi, [AciKiÀAci, et SiaihKcc, c'est-à-dire le hoyau
à une et à deux pointes, ainsi qu'on interprète ordinairement
ces noms ; mais les opinions diffèrent encore à ce sujet.1
3) Le scr. phala, pliâla, soc de charrue, lame d'épée ou de
couteau, de la rac. pliai, findere, findi, aura désigné, en géné-
ral, un instrument plat et tranchant. Cf. phala, phalaka, plan-
che, banc, feuille, etc., le pers. palah, le plat de la rame, Fane,
slave politsa, russe et pol. polka, planche, tablette, etc., avec
p pour scr. pli, comme dans d'autres cas. On peut donc com-
parer avec assez de sûreté le lat. pàla, pelle, cymr. pal, pal,
irl. fol, bêche, d'autant mieux que la racine verbale semble
1 Cf. Pott (Et. F., I, 223). Léo Meyer (Z. S., VIII, 140) décompose
le mot en/U.0«c-£XXoc., sxxot suffixe. Ahrens fybid., 354) conjecture une
contraction de /uc*-* xsxxoc, rac. «x, acus, etc.
— 115 —
conservée dans le cymr. palu, armor. pala, couper et remuer
la terre, labourer, bêcher. Le Scandinave pâli, rutrum, est
sans doute un mot d'emprunt ; mais Y an glo-sax. fealg,fealga,
herse, se lie peut-être à la même racine que les termes ci-
dessus.1
4) Un des noms persans de la pioche est pikan, paykan, et
payhân signifie aussi un dard, une lance, une pointe de lance.
Cf. armén. pkhin, flèche. — L'analogie avec pioche, pic, pi-
que, piquer, est évidente, et s'explique probablement par l'in-
termédiaire du celtique. En armor., en effet, pîk, pic, etpigel,
houe, dérivent de pika, piquer et fouir, comme le cymr. pig,
pic, pointe, picell, dard, de pigaw, piquer. L'irl. péac, pointe,
picidh, pique, piocaid, hoyau, ainsi que piocaim, je pique, sont
des termes d'emprunt, à cause de leur c non aspiré ; et il en
est de même de l'anglo-sax. pykan, scand. piaka, angl. to.pick,
pike, etc. Pour les affinités plus étendues, lat. spico, spica, etc.
(Cf. 1. 1, p. 614.)
5) Le grec <ncct7rccvy}y fossoir, vient de <r;c#tfT&>, creuser,
fouir, dont Ys initiale disparaît dans kcù7titoç, fossé, et KiJ7roç,
jardin. C'est Fane. si. kopati, russe kopâtï, kopnûti, polonais
kopac, etc., creuser, fouir, bêcher, en lithuan. kapôti, et ska-
pâti, tailler, hacher, d'où dérivent également, comme noms de
la bêche, le russe kopanitsa, l'illyr. kopacja,\e boh. kopac, etc.,
et comme ceux du hoyau ou sarcloir, le lith. kapone et kapo-
kas. Cf. anc. si. kopiie, kopishte, lance, kopyto, ungula, etc. A
la même racine avec Ys initiale, skap, se rattachent peut-être
Fangl.-sax. scofl, pelle, anc. allem. sçûvala, seufla, etc., malgré
la différence de la voyelle. Nous la retrouvons encore dans le
1 Je note ici pour mémoire les analogies sémitiques de l'hébreu pâ-
lag, fidit, pâlach, sulcavit terram ; arabe falaga, il a fendu, falaha,
il a labouré, etc.
— 116 —
persan kaftan, Jcu/tan, kafîdan, creuser , fendre , d'où kâf,
kaft, kuft, fissure, etc., mais aucun nom à moi connu d'outil
aratoire.
L'irl. caibe, coibe, erse caibe, cymr. caib, bêche, pioche, a
encore sa racine verbale dans l'erse cab (impér.), incide, fode,
d'où cabadh, labourage, etc., et qu'il faut peut-être distinguer
de la précédente. Comme le b non aspiré remplace quelquefois
en irlandais, un v primitif,1 je crois à un rapport plus direct
avec le latin cavo, cavus, etc., sans admettre, toutefois, le fait
d'une transmission. Le persan, en effet, nous offre kâwîdan, et
kâbîdan, creuser, labourer à la charrue, kâw, kâwish, labour,
kâwâk , cavité, formes alliées, mais non identiques, à ha/tan et
kafîdan?
6) Un autre groupe étendu, mais purement européen, se
lie à la rac. scr. ru (ravatê), ferire, secare, d'où le subst. ru,
qui coupe, qui divise, conservée d'ailleurs par l'anc. si. ryti,
fodere, ruvati, avellere, russe rytt, poL ryc, creuser, fouiller,
bêcher, le lith. rauti, rawëti, sarcler, le scand. rya, vellere, et
rôa, remigare, le lat. ruo, etc. Entre autres dérivés nombreux
on en voit provenir plusieurs noms d'outils aratoires. Ainsi
l'anc. si. rylo, rylïtsa, pioche, russe rytelï, pol. rydel, boh. ryl,
reyl, id. ( Cf. russe rylo, pol. ryi, le groin qui fouille ), l'anc.
allem. riutel, paxillum —grebil (Cf. riuti, novale, riutjan, mod.
reuten, extirpare, et reute, houe) ; le lat. rutrum, bêche, rutel-
lum, id.; l'irl. ruamhet rabhan, cymr. rhaw, pelle. Cf. irland.
rumhar, mine, ruamhar, labour, etc. — L'analogie des suf-
fixes lo (de dlo, tlo), tel y trum, indique un thème primitif
1 Par exemple fedb, veuve = scr. vidavâ, etc.
2 Cf. toutefois l'ancien cymr. cep, fossorium (Z.2, 1061), dont le p
nous ramène à une rac. cap.
— 117 —
rutra ou rutar, que nous retrouverons ailleurs dans quelques
noms de la rame.
7) Le latin vanga, hoyau, paraît avoir la même origine
que l'anglo-saxon wecg, Scandinave veggr, ancien allemand
wekki, weggi, cuneus. Je compare également l'irlandais feac,
espèce de pioche, 1feacadh, fossoir, allié kfeacc^feagy dent,/^,
coupure, entaille, etc.,2 d'un thème plus ancien feng, comme
l'indique le g ou c non aspiré, et surtout l'armor. gueng, coin
à fendre.3 Cf. aussi le lith. wâgis, ivagélis, coin, et wagà, wagas,
sillon, d'où wagôti} sillonner. La racine primitive reste fort in-
certaine.
§ 193. LA CHARRUE ET LE SOC.
Si l'invention de la charrue a dû être précédée pendant
longtemps peut-être par l'emploi des instruments plus sim-
ples, elle remonte cependant à une très-haute antiquité, car le
souvenir en est perdu partout. Cette invention, d'une utilité
si grande, a pris aux yeux des anciens peuples un caractère
divin, comme les origines de l'agriculture elle-même. Les
Egyptiens en faisaient honneur à Osiris,4 les Grecs à Cérès
ou à Minerve,5 les Chinois à leur roi mythique Chin-Noung,
le laboureur divin. Les Scythes croyaient qu'une charrue et un
1 f Fec, pelle (Corm., Gl., 78).
2 Cf. f fiacail, dens (Z.2, 18, Corm., GL, 76), etf fegi, tranchant
(Oingus, GL, dans Stokes, OU Irl. GL, 132).
3 Bict. breton de Rostrenen.
4 Primus aratra manu solerti fecit Osiris
Et tenerem ferro sollicitavit humum (Tibul., i, El. 7).
5 Preller, Gr. Myth., I, 196, 476.
— 118 —
joug d'or étaient tombés du ciel.1 D'après le Rigvêda, ce sont
les Açvins qui ont appris à Manu, le premier homme, à la-
bourer avec la charrue et à semer l'orge.2 Les Cymris aussi
ont une curieuse tradition à cet égard. Dans leur 53me triade
historique, il est dit que Hu, le puissant, leur enseigna le pre-
mier à labourer, alors qu'ils étaient encore dans le pays de
Vété (givlad yr haf) avant leur arrivée dans l'île de Prydain,
où plus tard Coll apporta le froment et l'orge, tandis que, au-
paravant, il n'y avait que l'avoine et le seigle.5 En fait, la
charrue n'aura eu nulle part un inventeur unique, et sera née
graduellement des perfectionnements apportés à un premier
instrument qui n'y ressemblait guère : un simple crochet de
bois dur probablement, pour gratter la terre par la traction.
Le soc métallique, le coutre, le versoir, et l'emploi du bœuf
de labour ne seront venus que beaucoup plus tard.
La charrue a-t-elle été connue des Aryas au temps de
l'unité, et qu'était-elle à cette époque reculée ? L'étude de ses
noms nous montrera que, comme ceux du labourage, ils se di-
visent en deux groupes principaux, l'un à l'Orient, l'autre à
l'Occident, sans que l'on puisse en inférer autre chose qu'une
première division partielle de la race arienne qui possédait
déjà la charrue antérieurement.
1) Le groupe européen se rattache généralement à la rac.
ar, qui, dans tout l'Occident, exprime l'action de labourer
(Cf. p. 103). De là dérivent, par des suffixes en partie sem-
blables, le grec ctporpoj/j latin aratrum; cymr. aradyr, aradr,
arad, ancien corn, aradar, armor. arazr, arar, alar, irlandais
1 Hérod., Mety)., c. 5.
2 Rigv.,I, 147, 71. — Yavan vrkênâçvinâ vapaniâ, hordeum ara-
iro serentes, Â-çvini !
3 Arch. of Wales, II, p. 67.
— 119 —
t arathar (Corm. GL, 7), mais aussi crann-arbhair, erse, crann-
ou arain, c'est-à-dire bois ou arbre de labour, et araeh, soc ;
anc. ail. erida, scand. ardr, anc. slave oralo (pour oradlo), et,
par aphérèse, ralo, russe et illyr. ralo, pol. radio, etc. ; mais en
lith. arklas, avec le suffixe des noms d'instruments, cf. arklys,
le cheval qui laboure. On voit qu'aucune branche de la fa-
mille occidentale ne manque ici à l'appel.
En Orient, on ne trouve à comparer directement que l'ar-
ménien arôr, charrue, d'où le dénominatif arôratrel, labourer,
mais il n'est pas sûr que ce mot, comme d'autres, ne soit pas
un emprunt du grec. Le véritable corrélatif de dpoTpov, ara-
trum, serait, suivant Kuhn, le védique aritram (nom. neut.),
qui ne désigne pas la charrue, mais le vaisseau et la rame, qui
labourent, en quelque sorte, et sillonnent les eaux. Kuhn
appuie ces rapprochements par l'analogie du nom slave de la
charrue, anc. slave et russe plugu, pol. plug, illyr. plugh, lith.
plûgas, d'où sont provenus, sans doute, Fane, allem. pfluoeh,
ploh, scand. plogr, angl. plough, etc. Le slave, en effet, se rat-
tache directement à pluti, plavati, navigare ; cf. russe plovu,
bateau, illyr. plav, vaisseau, etc. = scr., plava, de plu, natare,
hue illuc moveri, salire. H en dérive, d'après Schleicher, par
un suffixe gïï, analogue au ga de sluga, servus, du verbe sluti,
audire.1 Kuhn mentionne encore, comme exemples de cette
assimilation de la charrue au vaisseau, les processions du prin-
temps où ils figuraient également en guise de symboles chez
les Grecs, les Romains et les Germains.2
Je reviendrai plus tard au scr. aritra, dont on trouve les
1 Slaw. Formenlehre, p. 104.
2 Cf. Ind. Stud., 1, p. 353 et suivantes. J'ajoute ici, et à l'appui, que
le boukharc kishti , vaisseau , signifie proprement charrue ( Cf.
Justi, 81).
— 120 —
analogues dans quelques noms européens de la rame et du
vaisseau ; et je me borne à remarquer que, d'après ce qui pré-
cède, il n'y a rien d'improbable à crohe qu'il a été appliqué à
la charrue au temps de l'unité arienne.
2) Le principal nom oriental de la charrue ne dérive pas,
comme on pourrait s'y attendre, de la rac. krsh, qui remplace
ar chez les Indiens et les Iraniens, mais du scr. krt, krnt (kart),
scindere. De là krntatra, charrue, l'instrument qui coupe, et
kuntala, par altération de krntala. Comme la rac. krt est de-
venue plus tard kut, kutt, il faut y rapporter aussi kûta, kû-
taka, corps de la charrue et soc, ainsi que kôtiça, herse, etc.; et
c'est sans doute à cette forme secondaire que se lient le kourde
kotan, ossète guton, charrue, armén. kutlian, attelage de bœufs
de labour, pour charrue. Cf. scr. kartana, coupure, kartanî,
ciseaux, krntanikâ, couteau, etc.
Cette racine krt, kart, se retrouve dans plusieurs langues
européennes avec son sens général de couper, trancher, latin
certo, combattre, c'est-à-dire frapper, tailler, cymr. certhain, id.,
le lith. kirsti (kertu), couper, l'anc. si. kratiti, truncare, et crï-
tati, incidere, d'où crïta, crûta, lineola, etc. On en remarque
aussi plus d'une application au labour et à ses instruments.
Ainsi, le lith. kartéti, labourer une seconde fois à la charrue,
d'où kartojimas, second labour, par opposition à rêkti, défri-
cher. Cf. karta, ligne (sillon ?), et le scr. védique karta, creux,
fosse. Ainsi encore le latin culter, coutre, cultellus, couteau,
qui est à krt comme mulgeo à mrg, etc. Cf. scr. kartarî, cou-
teau. Ce mot latin a passé à l'ang.-sax. cultor, angl. coulter,
comme probablement aussi à l'irland. coltar, cultar, le cymr.
cultir, cwlltyr, cylltawr, anc. corn, colter, armor. koultr.1 Cf.
1 Ici, peut-être, l'irland. f celtair, fer de lance (Cf. Co-rm., Gfï., et
O'Dav., Gl, 68).
— 121 —
cymr. cyllell, couteau, pour cyltell, de cultellus, d'où égale-
ment, sans doute, l'armor. kountel, kontel, id., arrivé par une
voie toute différente à la même forme que le scr. kuntala,
charrue, et kuntalikâ, espèce de couteau.
J'ai observé ailleurs (t. I, p. 568) que les noms slaves de la
taupe qui laboure le sol se lient à la rac. krt (en slave krat et
crït), et que l'ang.-sax. hrither, hrudher, anc. ail. hrind ( plur.
hrindir), jumentum bos, a dû signifier le laboureur, bien que
aucune racine germanique hrith, hrind, ne réponde à krt,
krnt.
On voit qu'il est difficile de séparer les deux groupes
ci-dessus en attribuant l'un à l'Orient et l'autre à l'Occident.
Ici, comme pour les racines ar, krsh, il faut admettre que
la division existante a été précédée par une simultanéité
d'emploi.
3) Le scr. védique vrka, charrue (D. P.), paraît deux fois
dans le Rigvêda, en parlant des Açvins, qui ont semé et cul-
tivé l'orge avec la charrue (vrkêna) . Comme vrka est aussi le
nom du loup, les scholiastes indiens l'ont pris dans ce sens
pour les passages en question ; mais Roth, dans son Commen-
taire sur le Nirukta (p. 92), doute de cette assimilation et
présume une allusion à quelque mythe inconnu.
J'ai cherché, en parlant du loup (t. I, p. 541), dans vrka
l'animal qui saisit, tire, entraîne sa proie, le raptor, plutôt que
celui qui la déchire, en me fondant sur les rapports qui se pré-
sentent en slave, en lithuanien et en grec, entre les noms du
loup et les racines alliées au vrk, vark, saisir, du Dhâtup. Or, la
charrue est non-seulement tirée, traînée, mais elle saisit la
terre et tire, trace le sillon. Cf. supr. la rac. karsh, tirer et la-
bourer, etc. Si son nom védique vrka ne s'est pas conservé
en Europe, on trouve cependant, soit en grec, soit en lithuano-
— 122 —
slave, plusieurs termes relatifs à la traction et au labour qui
ont évidemment la même origine. Ainsi oXkoç (foà^oV), sillon,
de iXKùùi littér. trait, et aussi bien : ce qui tire, que : ce qui
est tiré ; en polon. wlbczka, herse, de wloke, tvloczë, wlec, her-
ser, traîner çà et là, wlok, traîne, wlbka, traîneau qui remplace
les roues de la charrue ; en russe volcki, plusieurs espèces de
traîneaux, de volocitï, anc. slave vlaciti, tirer, traîner. Le lith.
ivélke, de wilkt, welku, tirer, corde de trait, désigne plus spécia-
lement celle qui lie le joug au timon de la charrue.1
4) Le scr. lângala, charrue (et pénis), se rattache peut-être
à une rac. lag, lang, lung, ferire, qui ne se trouve encore que
dans le Dhâttipâtha, mais que paraît confirmer le persan
langîdan, creuser = rangîdan, graver, d'où rangîn, soc. Cf.
langar, l'ancre qui se fixe en creusant, et lung, le dard qui
blesse.
A lag peuvent appartenir le latin ligo, -onis, hoyau, et l'irl.
laighe, bêche, pelle, laighe-an , lance, javeline, tandis que lag,
lagân, creux, cavité, se rattache à lang, à cause du g non
1 A côté de vrka, on trouve kôka comme nom du loup ( Cf. t. I,
p. 543), et c'est ce qui avait conduit Kuhn à en rapprocher le goth.
hôha, charrue. J'ai objecté déjà, dans ma première édition (t. II,
p. 91), que s'il est naturel de comparer la charrue à un sanglier qu
fouille la terre, il Test beaucoup moins d'y voir un loup qui ravit sa
proie. Mais une objection plus directe a été tirée dès lors du défaut de
concordance des voyelles, qui rend ce rapprochement illusoire. L'ô
sanscrit, en effet, toujours provenu de u, ne répond point à Vô goth.
qui remplace un a primitif, comme le grec w, à côté de n (Cf. Schlei-
cher, Compend.2, 152). Cette objection fait tomber également tout
rapport de hôha avec le sansc. kuça, kuçî, comme je l'avais conjecturé.
Ce nom gothique paraît bien être purement germanique, et se lier à
hahan, pendre et suspendre (accrocher), d'où peut-être pour la char-
rue le sens de crochet. Cf. ags. hôh, hô, talon, angl. hough, propre-
ment crochet, comme l'anc. ail. hacen, mod. hacken, à côté dehako,
hakko, scand. haki, ags. hoc, etc., uncus, hamus (Cf. Diefenbach,
Goth. m., II, 493, 592).
— 123 —
aspiré. La nasale, cependant, paraît s'être aussi maintenue,
non-seulement dans l'irl. lang, pique = persan lung, dard,
mais surtout, ce qui est plus intéressant, dans un nom celtique
du vaisseau, l'irland. erse long, cymr. Hong. Ce nom se trouve
ainsi, vis-à-vis du scr. lângala, dans le rapport inverse do
aratrum à aritra, et de plugu à plava, ce qui confirme le fait
observé d'une ancienne assimilation du vaisseau à la charrue.
Comme lag, lang = rag , rang , conservé par le persan
rangîdan, je ramène au même groupe l'armor. rega, fouir la
terre, labourer légèrement avec la charrue, régi, rogi, rompre,
déchirer. Cf. cymr. rhigaw, creuser, tailler ; anc. slave rezati,
incidere, litt. rëszti (rëzu), id. (z,'z de g), et peut-être grec
pyyvvfju, fendre, déchirer. Les langues germaniques nous
offrent ici régulièrement le scand. raka, ags. racian, radere,
sarculare, d'où reka, ligo, spada, et raca, anc. ail. radio, ras-
trum.
5) Parmi les noms persans du soc et de la charrue, on
trouve sûl et sûlî. Comme Ys, en persan, répond ordinairement
au ç sanscrit, tandis que Y s du sanscrit devient h, sûl est sû-
rement le corrélatif de çûla, pique, dard, pal, broche de fer,1
suivant Wilson, d'une rac. çûl (çûlati), transpercer, empaler.
Cf. çûr, lsedere, occidere ( Dhâtup.), çf (car), lasdere, dirum-
pere, le zend çûra, lance, armén. cour, le pers. sûrî, javeline,
flèche, et l'ancien slave et russe sulitsa, illyr. suliza, lance et
dard.
On n'hésiterait pas à comparer avec le persan l'ang.-saxon
sul, syl, sulh, suluh, charrue et soc, n'était que le ç , en ger-
manique, ne devient pas s, mais h. D'un autre côté, Y s paraît
être ici pour sw, car, à côté de sulung, aratiuncula, on trouve
1 L'irl. cecht, charrue, rappelle de même le scr. çakti, lance. Cf.
aussi le pers. tîr, soc et flèche.
— 124 —
swulung, swoling. Ceci conduirait à la rac. sval ou svar, svf,
lœdere (svrnâti; cf. sf et sûr, id. ), l'ancien allemand suer an,
dolere, suero , dolor, etc., d'où probablement suert, ago,
sweord, scand. sverd, le glaive qui blesse. Cf. cymr. chwarel,
dard, javelot, et eliwerw, tranchant, acre, amer, etc., où chw
est régulièrement pour sv. D'après la transition déjà observée
de lœdere à arare, on peut comparer aussi l'irlandais suraim
(O'R., to fallow), défricher par un premier labour.
Si, d'après cela, il faut sans doute renoncer à rapprocher
l'ang.-sax. sul, sulh, dû persan sûl, sûlî, on peut; ce semble, à
meilleur droit, y rattacher le lat. sulcus, sillon, pour svulcus,
lequel devrait être séparé de oAkoç. Les véritables corrélatifs
grecs de sulh, suluh, et sulcus, paraissent être ivKctKct, ctvXctKot,
soc, avÀctci (homér. &5à|), sillon, aussi #ÙÀci|, où le spiritus
asper conservé remplace un o*F disparu, comme dans d'autres
cas analogues.1 Les synonymes coAiy^y oopiy^ sillon, que l'on
ne saurait, pas plus que les précédents, ramener à eÀ;t&>, se
relieraient de la même manière à la rac. svf , svar et sval.2
6) Le bas-latin soccus, socus, paraît être d'origine celtique,
si l'on compare l'irl. soc, socc, gén. suie, bec, groin, soc, corps
pointu en général, d'où socach, rostratus, le cymr. sweh,
soc et groin, anc. corn, soch, armor. souch, soh. Ce mot a des
affinités plus étendues, mais son origine primitive reste incer-
taine.5 Dans l'anc. ail. nous trouvons suoha, herse, à côté de
1 Par exemple, vnvoç = svapnas, $vç, svadus, et sans spir. asp.;
l<> = rac. svid, iiïoç = svêdas, etc.
2 Cf. Legerlotz (Z. S., 10, 370, sqq.), qui compare sulcus et sulh,
en partant, pour le grec, d'une forme FoeXF«|, et d'une rac. o-f«x.
Curtius, par contre ( Gr. Et.3, 3, 131), combat cette explication et
suppose un thème plus ancien oc-FXax, de eXxw, F£X>cw, d'où aussi
âxxoç. De même Fick (397).
3 Ces noms du soc et du groin s'identifient tellement avec ceux
— 125 —
seh, sech, soc, fossoir, et de sahs, ags. seaœ, scand. saœ, cou-
teau, peut-être tout différents à cause de la voyelle. Cf. latin
seco, etc. Le russe et polon. socha, charrue, d'où le russe sosh-
nikû, soc, complique encore la question, car, d'une part, l'anc.
si. socha ne signifie que fustis, vallus, comme le russe soshka,
pol. soszka une étaie, une fourche à étayer, et de l'autre, le ch
slave correspond dans la règle à s ou sh sanscrit, et parfois à
ksh} On ne sait de plus si Yo remplace ici un a ou un u pri-
mitif. Le sanscrit ne nous vient point en aide, car ni sûka,
flèche, ni sûci, aiguille, cône, ne peuvent rendre compte des
formes celtiques et slaves.
Toute conjecture sur l'origine de ces noms du soc et de la
charrue reste d'autant plus incertaine que, soit hasard, soit
rapport réel, les langues sémitiques présentent ici quelques
analogies frappantes dans l'arabe sikkat, soc, sikkîn, couteau
( = hèh. sakkîn), sakka, coin à monnayer, clou, tous du radi-
cal sakka, shakka, shaqqa, il a fendu, coupé, percé, divisé,
du cochon, anc. irland. socc, cymr. hwch = socc, etc. (Cf. t. I, p. 460),
que l'on ne peut guère les en séparer. Cf. le sansc. pôtra, soc et
groin, de pu, nettoyer, d'où pôtrin, sanglier; et plus loin le grec
vviç. — Le latin soccus, espèce de chaussure légère , auquel on a
voulu rattacher soc, en quelque sorte comme le soulier de la charrue,
semble tout différent, mais d'une origine obscure. Spiegel (Z. S., XIII,
372) le rapproche du zend hakha, plante du pied, de hac = scr. sac,
s'attacher à, suivre, en comparant hakhi = scr. sakhi, socius, etc. De
même Justi (314, avec?). De même aussi Fick (192) qui ajoute le
phrygien <rvx,%oç (Hesych.), espèce de chaussure, malgré la différence
des voyelles. Corssen, par contre (Krit. Beitr., 27), explique soccus par
sog-cus, de la rac. sag, couvrir, et Pauli (Z. S., 19, 38) admet,
comme également possibles, soccus de *sodicus, rac. sad, aller, ou de
*sopicus, rac. sap, être attaché, suivre; comme, en slave, sapogû, cal-
ceus. On voit à quel point les conjectures diffèrent.
1 Schleicher, Slav. Formenlehre, p. 138.
^- 126 —
lequel se retrouve même dans l'ancien égyptien sekeu, sekea,
labour, copbte skai, skei , labourer, et siki , sike, briser,
broyer.1
7) Le gr. vvtç, vvviç, aussi uvfj, vvvyj, soc, a été rattaché de-
puis longtemps, et déjà par Plutarque, à vçy cochon (Cf.
Grrimm, Gescli. d. d. Spr., 57, et Curtius, Gr. Et?, 357 ).
Cela s'accorderait bien avec le rapport signalé plus haut entre
les noms néo-celtiques du soc et du cochon, ainsi qu'avec le
sansc. mukhalângala, pour l'animal auquel son groin sert de
charrue (t. I, 464). Toutefois le D. P. (t. VII, 258) présume
une connexion différente entre vvy, vviç, et le sanscrit sunâ ou
çunâ, qui désignerait le soc dans le composé sunâsîra ou çunâ-
sîra, soc et charrue, au duel nom de deux génies préposés à la
culture des céréales. Cf. çunâvant, adj., appliqué à sîra, char-
rue, en tant que munie du soc. Le D. P. n'indique d'ailleurs
aucune étymologie, et je ne trouve rien d'autre à comparer.
S 194. LE JOUG.
Les données qui précèdent fournissent sans doute de fortes
présomptions de croire que les anciens Aryas ont employé la
charrue, mais les preuves ne sont pas encore décisives. En de-
hors des deux groupes principaux des noms de la charrue, qui
appartiennent l'un à l'Orient et l'autre à l'Occident, nous ne
rencontrons, en fait, que des analogies indirectes, ou trop iso-
lées et incertaines pour entraîner une pleine conviction. Il en
est autrement du nom du joug, dont l'accord est général dans
toutes les langues ariennes, comme on le verra par l'énuméra-
tion suivante.
1 Bunsen, /Egypten, 1. 1, vocab.
— 127 —
Scr. yuga, m., joug, n., couple ; dans ce dernier sens aussi
yug, yugala, yugma. Cf. yugya, animal de joug, yôktra, la corde
du joug, etc. — La racine est yug (yunakti), jungere.
Zend yug, joindre, yukhta, joint, attelé, yûkhtar, qui attelle.
Le nom même du joug manque. Les autres langues iraniennes
offrent le pers. yûgh, yôgh, gûgh, guh, gô, d'où yûghîdan} met-
tre le joug ; le kourde gôt, d'où gôt hem, labourer, gôtkâr, la-
boureur ; le belout. gô , l'ossète oziau. Cf. armén. zoygkh,
couple, paire, et zugél, accoupler, atteler.
Grec Çvyoç, Çvyov, &vyoç, fyvyÀrj (Cf. sanscr. yugala),
Çuyioç (fiovç) — scr. yugya. — Rac. Çvy, dans fyuyvvfjii, etc.
Latin jugum. Cf. jumentum, bête de trait, jugerum, acre de
terre pour une paire de bœufs, etc. — Rac. jung dans jungo.
Irl. ughaim, ughmadh, harnais, erse uigheam, id.; sens géné-
ralisé. Cf. scr. yugma. — La racine verbale manque.
Cymr. ancien iou, mod. iau, anc. corn. ieu, armor. ieô, iaô,
géô. — La racine verbale manque également.
Goth. jukuzi, joug, juk, gajuk, couple ; ags. iuc, ioc, geoc,
joug ; scand. oh, oki, ancien allem. juh,joh, etc. De là Fallem.
moyen et mod. jûch, juchart, acre, comme le latin jugerum.
— La racine verbale est conservée dans le Scandinave oka,
jungere.1
Lith. jungas, lett. jûgs ; juncti, atteler au joug. Cf. jautis,
jauczias, bœuf, comme jumentum a jugando.
Anc. slave et russe igo, bohém., par aphérèse, gho. — La
racine verbale manque.
Ce nom si éminemment arien du joug a passé du sanscrit
au malai îgû, et du slave aux langues finnoises, finland. ikkja,
1 Cf. Diefenbach, Goth. Wb., I, 124.
— 128 —
esthon. ikki, carél. iyuge, olon. yugei, perm. igo, etc., sans
doute avec l'emploi de la charrue elle-même.
De cet accord général on peut conclure avec sûreté que le
nom et la chose ont appartenu aux Aryas primitifs ; car, bien
que la racine soit restée vivante dans plusieurs langues, il est
impossible d'admettre qu'elles y aient rattaché le nom du joug
chacune de son côté, tandis qu'elles pouvaient le faire dériver
de bien d'autres radicaux. Or, de ce seul fait découlent plu-
sieurs inductions importantes pour le degré de développement
de l'agriculture au temps de l'unité.
Le joug, en effet, ne convient qu'au bœuf, qui pousse mieux
qu'il ne tire, et dont la force réside dans les muscles puissants
du cou, tandis que celle du cheval est dans son arrière-train.
Ce n'est que pour le bœuf que le joug peut avoir été inventé,
et sa signification même d'instrument qui joint, indique son
emploi pour régulariser l'action d'un couple de bœufs. D'un
autre côté, c'est pour la charrue que le joug est surtout né-
cessaire, parce qu'elle exige une grande force de traction, et il
est peu probable que le char en ait suggéré l'idée, d'autant
moins que la charrue a dû précéder le char, beaucoup plus
compliqué, dans l'ordre des inventions. On peut donc conclure
de l'existence du joug, non-seulement à celle de la charrue en
général, mais encore d'une charrue solide, puisqu'il fallait deux
bœufs pour la tirer, et, partant, d'un labour profond, et plus
complet qu'on n'aurait pu l'obtenir du seul emploi des forces
humaines.1
1 L'emploi du bœuf, comme animal de trait et de labour, suppose
la castration, carie taureau indompté ne peut jamais avoir été sou-
mis au joug. La preuve que ce procédé a été pratiqué par les anciens
Aryas, résulte d'une coïncidence de termes entre le sanscrit et le
grec. Le védique vadhri, adj. de vadh, frapper, briser, apa-vadh,
couper , retrancher , signifie châtré , émasculé, impuissant. De là
— 129
§ 195. LA HERSE.
L'invention de la herse a dû suivre de près celle de la
charrue, dont elle complète l'œuvre. Cependant ses noms
sanscrits kôtiça, de kôti, pointe, lêshtughna, lêshtubhêdana,
qui détruit ou fend les mottes, sont purement indiens ; mais
le persan en possède deux qui se retrouvent dans les lan-
gues européennes, et celles-ci en ont en commun un autre
qui doit être, en tout cas, fort ancien.
1) Le pers. kirâz, herse, paraît se lier à la rac. scr. kf, kar
(kii7ati), spargere, d'où vient kira, kiri, le sanglier qui dis-
perse et remue la terre, comme la herse. Le peigne,
qui ressemble en petit à la herse , est appelé vârakîra
( Wilson ) , de vâra , queue chevelue , d'où le védique
vâravantj caudatus , épithète du cheval ( Cf. grec ovpct,
queue), et de kîra, qui disperse, peut-être isolément aussi
un nom du peigne. En irlandais, en effet, le verbe cio-
raim = cïrim, signifie peigner, et on en voit dériver cir, cz'or,
vadhrikâ, m., eunuque, vadhrimatî, femme dont le mari est impuis-
sant, Vadhryaçva,n. pr.: qui possède des chevaux châtrés. Aussi, au
moral, vadhrivâç, adj., qui prononce de vaines paroles. A ce vadhri ré-
pond exactement IB-çiç, pour Ft§-§iç ( Hesych.), bélier châtré ; aussi
ïB-piç (Suidas, \oc. otpj>sv)} '/%/ç avu'p, eunuque (Cf. Pott, WWb.,\N, 866).
On ne saurait comparer le goth. vithrus, agneau, scand. vedhr, ags.
vedher, anc. ail. widar, bélier, etc., dont les dentales ne correspon-
dent pas régulièrement, et qui se rattachent à vat, année (Cf. t. I,
p. 423). Mais, comme ces termes germaniques désignent aussi partiel-
lement le vervex, mouton châtré, en anglais ivether, etc., on peut
présumer qu'il y a eu confusion entre un ancien vidrus ou vidras,
de la même racine que vadhri, sS-f^, et vithrus, de vat.
II 9
— 130 —
peigne, aussi bien que ciran, herse, et cirin, cirén, crête,1
comme en anglais comb, et en allem. kamm, pour crête et
peigne. A la même racine, avec un suffixe encore différent,
se rattache l'ang.-sax. hyrwe, angl. harrow, herse.
2) Le synonyme persan barn, herse, dérive, ainsi que
barnas, barras, ciseaux, barah, serpette, barmah, foret, burâ,
burindah, tranchant, àeburîdan, tailler, couper, en zend rac.
bere, bar,2 en kourde barum, je coupe. C'est le grec (pctpu,
fendre, diviser, Qctpoœ, labourer à la charrue, le latin /oro,
percer, etferio, blesser, frapper, l'irl. buraim, blesser, écor-
cher, d'où burach, labour, et buiridhe, bêche, houe, et bear-
raim, couper, béarnaim, fendre; le cymr. beru, percer; l'ags.
borian, scand. bora, anc. allem. porôn, terebrare, scand. beria,
ferire, anc. allemand perjan, terere, anc. si. briti, tondere, et
brati, boriti, pugnare, etc.,3 avec une foule de dérivés divers.
Pour en revenir à la herse, le pers. barn trouve son corré-
latif dans toutes les langues slaves, le russe boronâ, l'illyrien
brana, le pol. brona, le boh. brany, etc., mais je n'en trouve
pas de trace ailleurs.
3) Le groupe européen des noms de la herse, dont j'ai parlé
plus haut, provient certainement d'une même racine, mais par
des suffixes qui diffèrent en partie.
Le grec o%v* se lie à olçbç, tranchant, acéré, et désigne
l'instrument armé de pointes. La racine est og, forme secon-
daire de oh = scr. aç et aksh, penetrare. Cf. âçu = u»cvç;
d^ivrj, hache, etc.
Le lat. occa, d'où occare, herser, semble indiquer un thème
1 Cf. scr. kirîta, diadème.
2 Spiegel, Z. S., V, 234, et Justi, 244.
a Cf. scr. vêd. bhara, pugna, anc. slave borï, id.
— 131 —
primitif açka = akka, formé de aç, ak, comme çushka, le lat.
siccus, de çush.
L'anc. cymrique oeet,1 maintenant oged, et aussi og, ogan,
armor. oged, hoged, paraît dériver directement du verbe ogi
(oci), herser ; et son suffixe est le même que celui de l'anglo-
sax. egedhe, anc. allem. egida, ail. mod. egde, egge, où le g est
affaibli de h. Cf. goth. ahs, spica, etc.
Ce suffixe se retrouve également dans le lith. ekkêczos, pi.
( cz pour t, ekkëtojis, celui qui herse ), proprement sans doute
les pointes, d'où le dénom. ekkëti, herser.
Ces noms de la herse, comme celui de la charrue et d'autres,
confirment le fait d'une première séparation de la race arienne
en deux branches principales.
ARTICLE II.
496. LES SEMAILLES.
C'est aussi ce qu'indique l'accord des langues européennes
entre elles pour exprimer l'action de semer. Comme pour celle
de labourer, ces langues emploient ici une même racine, la-
quelle, en sanscrit, n'a qu'une signification plus générale, et
dont les synonymes orientaux ne donnent lieu qu'à un petit
nombre de rapprochements avec l'Occident.
1) {jes termes européens sont les suivants :
Lat. sero (sévi, satum), d'où sëmen} sator, Sëia, déesse des
semailles, etc. Sero est probablement pour seso, forme redou-
blée de seo, rac. se, sa.
1 Z.2,1062.
— 132 —
Irl. sûim, dénom. de su, semence ; rac. si.
Cymr. hau, heu, rac. ha, he = sa, se. — De là had, graine,
corn, hâz, armor. had, d'où hada, semer. De là aussi Ml et sil,
progéniture, et semence, comme l'irl. sil.
Goth. saian, redoublé saisô, ags. sâivan, angl. soie, scand.
sa, sôa, ancien allem. sâan, sâhan, etc., racine sô. — De là le
goth. sêths, satio, semen, ags. saed, scand. sâd, saedi, anc. ail.
sât, sâti, etc., mais aussi sâmo, sâmon = lat. sëmen.
Lith. sëti (sëju), d'où sëja, semaille, sêtëjas, semeur, sëklà,
semence, sëmu, sëmene, id., pa-sëlis, terrain ensemencé. Cf.
irl. sil, cymr. hil.
Anc. si. seti, seiati, russe sieiatï, ill. sjati, pol. siac, etc. De
là l'anc. si. setiie, setva, satio, et semé, russe, siemia, polonais
siemie, illyr. sjeme, boh. semeno, etc., semence.
Le grec, qui manque seul à cette énumération, et qui em-
ploie le verbe (T7riipûù^ possède cependant aussi la racine com-
mune dans (rue*), (TVjêoûy cribler, c'est-à-dire répandre, ce qui
est, en fait, sa signification primitive.2
Léo Meyer croit la retrouver dans le sansc. sô, proprement
sa, destruere, conficere, mais dont le sens originel serait, sui-
vant lui, jeter, et qu'il considère, avec Benfey, comme une
provenance de la rac. as, jacere.5 C'est là, toutefois, une hypo-
thèse bien hardie, et il semble préférable de recourir, avec
Bopp, à la rac. san, donner, répandre, d'une forme primitive
1 Cf. <r7rô§oç} o-néç/AXi semence, et la rac. scr. spr , spar, vivere (Dha-
tup.), lat. spiro, spiritus, irl. spré, animation, esprit et bétail vivant.
Il est naturel de considérer la semence comme vivante, et le eymrique
aman, graine, sperme, dérive, comme anal, souffle, de la rac. scr.
an, spirare, d'où animus, etc. — L'armén. sprel, semer, serait-il em-
prunté du grec? Cf. aussi irl. pôr, graine, de spôrl
2 Cf. Curtius (Gr. Et.*, 354).
» Z. S., VIII, 250.
— 133 —
sa, rapportée à la 5e classe, sâ-nôti, au lieu de la 8e, san-
ôti, etc.1 Bopp compare, d'après cela, le goth. sêths, thème
sêdi, avec le scr. sâti, don, la semence étant ce que Ton donne,
ce que l'on confie à la terre.
Quoi qu'il en soit, la signification spéciale de semer est cer-
tainement propre aux langues européennes, et on n'en trouve
aucune trace sûre en Orient. L'armén. serran, graine, serma-
nel, semer, que l'on pourrait être tenté de comparer, est pro-
bablement un mot sémitique avec une terminaison arienne,
comme on en trouve plusieurs dans le pehlwi. Cf. héb. zâra',
arabe zarda, sparsit, sévit, zerd, chald. zrd, semen, etc., dont
la ressemblance avec sero est purement fortuite. On pourrait
mieux penser à l'ossète thaun, semer, rac. tha, si le th, pro-
noncé à l'anglaise, remplace ici la sibilante, comme quelque-
fois ailleurs.
2) Pour semer, dans le sens agricultural et physiologique
(gignere) également, le scr. emploie la rac. vap, proprement
jeter, répandre. De là, d'une part, vapa, vapana, âvâpa,
upti, etc., ensemencement, vaptar, semeur, vapra, vapri, champ
cultivé, etc., et de l'autre, vapana, sperme, vaptar, vapra, va-
pila, père, etc. Cf. zend vap, lancer, répandre, etvip, semen
emittere.
En Europe, on ne trouve des traces un peu certaines de
cette racine que dans cette dernière acception. Ainsi, j'ai déjà
comparé avec vapra, genitor, l'anc. si. vepru, ou veprï, illyr.
vepar, le verrat ou sanglier, comme fécondateur (Cf. 1. 1, p.465).
Il faut, sans doute, y rapporter aussi, avec Benfey, le grec
07TVÛ0, 07rviûû, coire cum femina, probablement dénominatif
1 Vergl. Gr.yll, 499.
— 134 —
d'un subst. yqwvç = scr. vapus, le corps qui engendre.1 Une
application à l'agriculture ne se montre nulle part avec sûreté.
Kuhn, il est vrai, croit reconnaître la rac. vap dans l'ancien
allem. uoban, colère, exerce re, d'où uobo, colonus, uoberi, cul-
tor, le scand. aefa, ail. mod. ûben, etc. ; 2 mais, d'une part, les
labiales ne correspondent pas régulièrement, b étant = bli
sanscrit, et non p, et de l'autre, la signification de exercere,
restée seule en usage dans l'allemand moderne, et même celle
de colère, paraissent différer un peu trop dejacere et serere.
3) Le pers. kârîdan, semer, afghan karal, id., se rattache
sûrement à la rac. scr. kf, kar, jacere, jaculari, plutôt qu'à
kr, kar, facere, le persan kardan. Les significations toutefois
se confondent, et kârîdan se prend aussi dans l'acception
de travailler, de même que kâr désigne également l'action de
semer et de labourer, et kurd, kurz, un champ ensemencé et
cultivé.
Il est curieux de voir les deux sens indiqués se réunir de la
même manière dans l'irl. cuirim, erse cuir, semer, planter, mais
aussi faire, agir, exécuter, forme sous laquelle se confondent
les racines kf, et kr. De là, dans la première acception, l'irl.
erse cur, curachd, seminatio. La neige, comparée à une se-
mence qui tombe, est aussi appelée cur, comme en sanscrit
kara, karaka, est le nom de la grêle, et comme en zend vafra,
pers. barf, kourde bâfer, de vaf = vap, désigne également la
neige.
1 Griech. Wl., 1,341.
2 Ind. Stiid., I, 352.
3 Justi, 2G7; huzv. vafr, afghan vâvarah, boukh. bcrf, etc.
135
ARTICLE III.
§ 197. LA MOISSON ET SES INSTRUMENTS.
Ici encore, nous nous trouvons en présence d'un groupe eu-
ropéen principal, à côté duquel on peut signaler quelques ana-
logies plus isolées avec l'Orient.
1) La racine verbale européenne paraît être ma, avec une
forme augmentée mat, met.
Dans le grec cI(ji,ciûû, moissonner, cl n'est qu'un préfixe qui
figure quelquefois avec le sens de ct7ro> ou du sanscrit ava. De
là cl/^yj, faucille, cL[à,i>itv}ç9 moissonneur, etc.1
L'anc. allem. mahan, allem. moy. maien, maen, mêwen, ags.
mawan, anglais mow, etc., font présumer un verbe gothique
maian, lequel serait à ma comme saian, serere, à sa, vaian,
flare, à va? Les dérivés germaniques sont l'ang.-sax. maedh,
falcatio, angl. math, ail. moy. mât, id., et foin, pré; l'anc. ail.
amat, amad, herbe nouvelle à faucher, madari, moissonneur,
faucheur, etc. Le scand. ma n'a que le sens plus général de
terere, atterere, d'où mâdr, détritus.
La forme augmentée se trouve dans le latin meto, messis,
messor; l'anc. irl. meithel, metil, bande de moissonneurs, meta,
moisson (Corm., GL, 107), cymr. medi, moissonner, medel,
troupe de moissonneurs, medwr, moissonneur ; corn, f midil,
1 De même Fick, 385. — Curtius, par contre (Gr. Et. 3,301), part
de la forme d^d-oj, avec le sens primitif de rassembler, et non de
couper.
2 Léo Meyer, Z. S., VIII, 261.
— 136 —
messor; armor. médi, midi, moissonner, couper, méd&r, etc.
Cf. anc. slave mesti (meta), verrere, jacere, russe metâtï, d'où
metlâ, pol. miotla, balai, etc.
Léo Meyer (loc. cit.) compare la rac. scr. mi, jacere, proji-
cere, dejicere, delere, proprement ma, au fut. mâsyati, au
prêt, mamâu, etc., rac. sans doute alliée à ma, metiri, avec le
sens primitif de diviser. Cette dernière présente aussi une
forme augmentée d'une dentale dans le sanscr. mâd, le zend
mâdh, le latin mêto, le gothique mitan (mat), le lithuan. ma-
toti, etc., ce qui le rapproche encore plus de ma dans la pre-
mière acception.1
C'est de la racine lu, secare, que le sanscrit fait dériver les
divers termes relatifs à la moisson, ainsi qu'au butin, tels que
lu, lava, lavana, lûni, coupe, moisson, abhilâva, action de cou-
per le blé, lavâka, lavitra, faucille, lôtra, butin, etc. J'ai déjà
remarqué (Cf. t. I, p. 623) qu'un des noms ariens de la caille
et de l'alouette se rattache à la racine lu, et désigne l'oiseau
qui coupe les épis, l'oiseau moissonneur. Aux termes com-
parés il faut ajouter le grec hoiïoç, de ActFioç, espèce de caille,
suivant Aristote (Hist. anim., ix, 19). D'autres analogies prou-
vent plus directement encore cette application à la moisson,
au temps de l'unité arienne. Ainsi le grec Ayjïov> Autov, la
moisson sur pied, exactement le sanscrit lavyam, n., meten-
dum, secandum. Le Scandinave lia, pour livâ, désigne
l'herbe nouvellement coupée, et liâr, de livâr, faux, semble
provenir comme l'afghan lur, faucille, d'un thème lavara
= lavitra, l'instrument qui coupe.2 L'armoricain levé, rente
1 Le goth. maitan, couper, est à wd, oc-/*a«, comme mitcm, mesu-
rer, est à ma, id.
2 Cf. Bugge (Z. S., 20, 10), scand. lé, pour lei, primit. leva, lëvan;
— 137 —
annuelle de bien-fonds, a eu peut-être le sens primitif de
moisson.
3) Le scr. stambaghna, ou -ghana, stambalianana, faucille,
est composé de stamba, javelle, touffe d'herbe, etc., et de han
(ghan), csedere, dejicere. Cette racine, qui en zend devient zan,
se retrouve, avec le sens de moissonner, dans l'ancien slave
jeti (jinâ), vussejatï (jnu), pol. zàc (znë), et avec y pour z et
h. De là beaucoup de dérivés, tels que l'ancien slave jetva,
moisson, jêtelï, moissonneur, russe jâtva et jatelî, id., jnetsu,
moissonneur, jinanie, moisson, polonais zëcie, znhvo, moisson,
zonàé, donner un coup de faucille, etc., etc. — Le gh primitif
de la racine est resté dans l'alban. ghanni, moisson. Cf. litliuan.
genéti (gémi), tailler, frapper, etc.
4) Au sansc. bal, fruges in granario reponere (Dhâtup.),
to hoard grain (Wilson), d'ailleurs sans dérivés, paraît cor-
respondre le lith. walyti (walau), faire et rentrer la moisson,
walimas. Le sens primitif de la racine reste obscur. Je ne sais
si le gaulois vallum, suivant Pline, un char à rentrer la mois-
son,1 a quelque droit à un rapprochement.
5) Une coïncidence plus sûre, bien qu'isolée, est celle du
pers. ban, banû, moisson, avec l'irland. buain, id., de buainim,
moissonner, couper, tondre, frapper, d'où aussi buainire, mois-
sonneur. Cf. beanaim,a\ec le même sens,2 et banaim, bainim,
abattre, enlever, piller, ainsi que l'armor. béna, tailler. La ra-
cine verbale paraît manquer en persan, comme en sanscrit
où elle devrait être blxan, si l'on compare le gr. Qem, <pivoç,
le goth. bani, blessure, banja, coup, l'ang.-sax. benn, vulnus,
liâr, nom. sing., serait provenu du pluriel liâr, pour lévar, et non
d'un thème lavarâ.
1 Hist.Nat., XVIII, 30.
2 Ane. irl. ben, cœsio, oecisio (Z.2, 37, 44).
— 138 —
bânat interfector, scand. bani, mors et percussor, benia, vulne-
rare, etc.
§ 198. LA FAUX, LA FAUCILLE.
J'ai parlé déjà du scr. lavitra, lavâka, aussi lavânaka, fau-
cille, de lu, couper, moissonner, en comparant l'afghan lur et
le scand. liâr. Les autres noms varient beaucoup et ne don-
nent lieu qu'à un petit nombre d'observations.
1) Le persan sifâlah, sufâlah, faucille, est pour sfâlah,
avec une voyelle intercalée pour remplacer le groupe initial
sf — sp, çp, qui manque au persan, comme en général, les
combinaisons de Ys initiale avec une autre consonne. Cf. sa-
fêd, sapêd, blanc = zend çpaêta, etc. Ce mot se rattache
ainsi très-probablement à la racine sanscr. sphal, concutere ;
cf. anc. allem. spaltan, findere, spalt, fissure, etc., erse spealt,
assula, irland. spealtaim, findo, etc. La racine simple se re-
trouve encore dans l'irland. spealaim, couper, moissonner, d'où
spealadoir, moissonneur, et speal, faucille, exactement le pers.
sifâlah}
2) Le grec ccû7rrj9 faux, est sans doute pour cru()7rri, comme
l'indique le latin sarpo, émonder, d'où notre serpe, et surtout
Fane. si. srupu, faux, russe serpu, illyr. sarp, polon. siérp, boh.
srp, etc. C'est là sans doute un nom fort ancien, mais d'une
origine encore incertaine. Pott conjecture, pour le grec, un
composé du préfixe cl = scr. sa, cum, avec la rac. rap, qui
1 Irl. moy. spel, faucille (Corm., GL, 149). - Stokes jfeompare Téol.
<T7T0CXtÇ.
— 139 —
se montre dans rapio et ailleurs.1 D'après cela Y s des termes
slaves ne serait également qu'un préfixe, et on pourrait com-
parer l'ang.-sax. ri/ter, faux, moissonneur, de ripan, moisson-
ner, rip, moisson, etc., ainsi que le lat. irpex, urpex, sorte de
hoyau, extirpateur. Kuhn, par contre, s'appuie de quelques
exemples d'une substitution de s à un sk primitif, comme
l'anc. allemand sarf, acéré = scarf, le latin sirpus = sûr-
pus, etc., pour ramener les noms de la faux à une rac. skarp
(Cf. scalpo), dont Y s se supprimerait dans le lat. carpo, le gr.
Kc&p7roç, Kcip7ri^co} etc. Cela le conduit à rapprocher de ètpTrfj
(macédonien yop7rv\), pour <TKot,p7nn, le scr. çalpa, qui ne dési-
gne, il est vrai, qu'une arme de jet, une espèce de flèche, mais
qui joue dans un mythe indien le même rôle que la cbpmi dans
celui de l'émasculation d'Uranus par Kronus.2 Ces considéra-
tions ingénieuses seraient bien propres à entraîner la convic-
tion, n'était le slave srupîc, qu'il faudrait aussi faire provenir
de skrupu. Peut-être, après tout, que l'opinion de Grimm qui
rattache àpwvi et srupu à gû7T&>, serpo, le scr. srp, est encore
la mieux fondée, car il était naturel de comparer la faux courbe
à un serpent qui se glisse entre les tiges pour les abattre.3 Les
flèches aussi sont souvent comparées à des serpents dans la
poésie indienne, et il ne serait pas impossible que çalpa fût
pour salpa et sarpa, par la substitution fréquente du ç à Ys.lt
» Et. F., II, 123.
* Z. S., IV, 22.
3 Gesch. d. d. Spr.,y. 303.
* Mais voici que le mot çalpa même menace de disparaître, depuis
que le D. P. (t. VII, 109) donne çalpa, çalpaka, comme des fausses
leçons pour çalya, çalyaha,
140
§ 199. LA FOURCHE.
La variété des noms de la fourche n'est pas moins grande
que pour la faux, et les rapprochements que l'on peut faire se
réduisent aux suivants.
1) Le scr. gabhasti désigne un timon fourchu, une limo-
nière, et dans un passage du Rigvêda, un carreau de foudre
à deux pointes (D. P., v. c), de sorte que son sens propre a
dû être celui de fourche. Il s'applique aussi à la main, par
suite de l'analogie de forme. La racine est gabli, gambh = gabh,
gambhy oscitare, d'où dérivent plusieurs noms d'objets divers
qui s'ouvrent, bâillent, s'écartent pour saisir ou engloutir,
comme gabha, fente, vulve, gambhan, gouffre, profondeur,
gambha, gueule, dent, cf. youQoç et anc. si. zàbû, etc. Kuhn
en a traité en détail dan| un intéressant article de son journal
sur la racine en question (Z. S., I, 123), et aux exemples de
dérivés qu'il donne, il faut ajouter l'irl.-erse gab, gob, bouche,
bec, de gamb = gamba, et d'où vient le français gober. Kuhn
y rapporte aussi le nom germanique de la fourche, anc. allem.
kapala, gabala, scand. gaffai, ags. au plur. gaflas, les fourches
pour le gibet, angl. galloivs, et pour le faîte d'un toit, goth.
gibla, scand. gafl, anc. allem. gibil, etc. Ces formes font pré-
sumer un thème scr. gabhala, synonyme de gabhasti, lequel se
retrouve également dans les langues celtiques, anc. irlandais
gabul, fourche (Z.2, 7(38), mod. gabhal, gobhal, erse gobhlag,
gobhlan, cymr. gafl, gaflacli, armor. gavl, gaol. Il est à remar-
quer qu'ici la racine verbale s'est maintenue dans l'ancien irl.
gabim, capio (Z.2, 429), maintenant gabhaim, en cymr. gafael,
— 141 —
capere, etc., le sens transitif de capere appartenant aussi,
d'après Kuhn, au scr. gambh (1. c., p. 127).1
A côté de gabh, gambh, on trouve en sanscrit les formes
sans aucun doute plus primitives grbh, grmbh, bâiller, s'ou-
vrir, d'où grmbha, bâillement, grmbhita, ouvert, épanoui,
bâillant, etc. Il est évident, d'après cela, que la rac. védique
grbh, capere, c'est-à-dire s'ouvrir pour saisir, est originaire-
ment identique à grbh, gabh et gabh. Les affinités de cette
racine grbh s'étendent fort au loin, et il serait intéressant de
mettre en regard ses dérivés divers avec ceux de la rac. gabh.
Je ne puis m'attacher ici qu'aux termes qui concernent la
fourche et les instruments analogues.
A grbh correspond Fane, slave grabiti, rapere, russe gra-
biti, polon. grabic, etc.; de là le polon. grabki (plur.), fourche
à plus de deux pointes. L'anc. allemand chrapho, trident, se
lie de même à la rac. chrap, conservée chripsjan, rapere,
scand. krabba, attrectare. En irlandais, grabaim signifie arrê-
ter, empêcher, c'est-à-dire saisir, et la fourche est appelée
grâpa, grâpadh. Cf. grabach, grobach, dentelé. La racine est
ici gramb, à cause du b non aspiré, mais gribh, doigt, se rapporte
à grbh.
Les noms germaniques du peigne, angl.-sax. camb, scand.
kambr, anc. ail. champ, etc., se rattachent à la rac. gambh, et
de même en slave, on voit provenir de grab ceux du peigne
1 Ce nom de la fourche était aussi sûrement gaulois, à en juger par
ceux de plusieurs rivières bifurquées. Ainsi Gabellus (Pline, 3, 20, 4),
affluent du Pô, peut-être la Secchia, d'après Mannert (XI, 104).
T§iyoî0otXoi (Polybe, 2, 16, 14), localité à l'embouchure du Pô, proba-
blement à Ferrare, où il se divise en trois branches. Gapellus (au
xme siècle), le Gapeau (Var) . Cf. en Vannes, le Stergavale ou -gaule,
ruisseau fourchu {Cartul. Redon., xn° siècle), et, en Irlande, Gabhal,
rivière (Leab. n. Ceart, 214), et Abhainn gabhla, rivière de la four-
che, maintenant Owengowle, dans le Galway.
— 142 —
et du râteau, en russe grébenïvt grabli(\A\\\\), en pol. grzebien
et grabie, en illjr. grebuglia, râteau, cf. lith. greblys, id. Ici en-
core se placent l'irland. sgrabân, étrille, et crib, cymr. crib,
armor. krîb, peigne, avec cpour^.
Ces rapprochements ont ceci d'intéressant qu'ils indiquent
que les formes grbh, grabli et gabh ont dû coexister au temps
de l'unité arienne, fait qui se reproduit aussi pour d'autres
racines dont l'altération avait déjà commencé.
2) L'ossète sagoi, fourche, se rattache au scr. çâkhâ, çikhâ,
branche, en pers. shach, shag, etc. (Cf. t. I, p. 232.) Le même
rapport existe entre le lith. szâke, fourche, et szakà, branche,
évidemment parce que l'on confectionnait l'instrument avec
une branche fourchue.
§ 200. LE CHAR ET SES PARTIES.
Je place ici le char, qui sert à rentrer la moisson, et dont
l'origine se lie sûrement aux besoins de l'agriculture, bien que
son rôle ait pris dans la suite plus d'extension.
Comme l'invention de la charrue, celle du char se perd dans
la nuit des temps mythiques, et nous le trouvons mis en œuvre
chez les principaux peuples anciens dès l'aurore de leur his-
toire. Non-seulement le char rustique, mais le char de guerre,
dont la construction devait être plus soignée, figure déjà dans
les traditions et sur les monuments de l'Egypte et de l'As-
syrie, et tient une grande place dans les épopées de l'Inde et
1 Les noms de la fourche et du peigne se confondent dans le pers.
shânah. Cf. shanah, shinah, fourche, et shanîzah, peigne, arménien
sandr. Ce sont les corrélatifs du gr. |«v/ev, peigne, de t«»'v«, peigner.
Cf. scr. kshan, lœdere, frangere.
— 143 —
de la Grèce. Les Romains le trouvèrent en usage chez les
Gaulois et les Bretons insulaires, et les Germains, comme les
Scythes, avaient des chariots ambulants qui transportaient
leurs familles, et qu'ils utilisaient pour la défense de leurs
camps. Les Chinois et les Grecs attribuaient l'invention du
char et de la charrue à un même personnage mythique, ceux-
là à leur roi Chin Noung, ceux-ci à la déesse Cérès. Il est
probable que ces deux inventions ont surgi d'une manière in-
dépendante chez plusieurs races d'hommes, et que le char, en
particulier, a différé dans sa construction suivant le genre de
services qu'il était appelé à rendre. Ce qui paraît certain, c'est
que les anciens Aryas l'ont bien inventé de leur côté, et porté
déjà à un certain degré de perfection ; car ses noms, ainsi que
ceux de ses parties principales, sont purement ariens et s'ac-
cordent d'une manière remarquable dans toutes les langues
de la famille.
A) Le char en général.
Ses noms forment deux groupes presque également étendus.
1) Scr. vaha, vâha, vahya, vahana, vâhika.
Zend vâsha, au nom. vâklisô, de vaz (=scr. vaJi) et vaksli
(Justi, 275). — Huzv. vâsh.
Gr. h%oçy oxîïov, o%viKct, pour fo%cç, etc.
Lat. vehiculum, vehëla, vectalndum.
Irl. f fén ( Zeuss 2, 19 ), contracté de feghen = scr. va-
hana. — Cymr. gitiain."1
1 Cf. cywain, venere, ire, cy-wain, comme ar-wain, ducere, am-
wain, circumducere. Gluck [Neue Jahrh., 48G4, p. 51)9) y rattache le
gaulois covinnus, char, de co-vignos.
— 144 —
Ang.-saxon. waegen, ivaen, scand. vagn, wôgur, anc. allem.
wagan, etc.
Lith. wazis, wazelis, wezimas; lett. vezka.
Anc. si. et russe vozv, pol. w6z, illyr. voz, vozenie, etc.
La racine de tous ces termes est le scr. vah, ferre, vehere,
dont j'ai déjà comparé ailleurs les divers corrélatifs ( Cf. t. -I,
p. 157). Le char était appelé le porteur, comme, en sanscrit, le
bœuf, vâhya, vahati, vahatu, et le cheval, vâha.
2) Scr. rallia, rathya, char et roue.
Zend ratha, char.
Lat. rota, id. et roue.
Gaulois rêda, char (Fortun., Carm., III, 22), reta (Isid.,
Orig., xx, 12), rita (?), roue, dans petorritum, char à quatre
roues (Aul. Gel., 15, 20 ; Quintil., 1, 5).
Anc. irl. riad ( Z.2, 18 ) = rêda ; rotli, roith, roue; erse
roth, rotlian, rathan.
Cymr. rhodatvr, rhodawg, char; rliod, roue, corn, roz,
armor. rôd.
Ang.-sax. rad, char; scand. reid, id.; anc. ail. rad, roue.
Lith. ratas, roue.
Comme il n'existe en sanscrit aucune racine rath, le subst.
ratha dérive sans doute par le suffixe tha, d'une racine de
mouvement de râ (râti, Naigh., ir, 14, gatïkarma), d'où ra,
m., vélocité, et rî, f., mouvement ( Wilson, Dict.). D'après
cela, l'irl. reathaim, rithim, courir, doit être un dénominatif
de réth, cursus ( Z.2, 11 ), tout comme l'armor. rédek, courir,
de réd, ret, course, flux, etc.1
* Le D. P. indique trois racines de mouvement proposées pour ratha,
savoir ar, ranh, et ram. Cf. le zend râthma, route, que Justi (256)
rapproche de ratha.
— 145 —
3) A côté de ces deux noms principaux, il en est d'autres
qui n'offrent que des rapports plus isolés. J'en ajoute ici quel-
ques-uns.
a) Scr. anas, char, plus spécialement à transporter les far-
deaux. De là anadvâh, taureau, anadvâhî, vache, currum tra-
hens. La racine paraît être an (anitï), ire (Naigh., 2, 14).
Ebel compare le gr. ct7r-yivri, char (Z. S., VI, 431). — Le
lat. onus,-eris, est exactement = anas, mais ne signifie plus
que fardeau. — L'irl. an,1 vase, coupe, se lie peut-être à ce
nom du char, de même que ian, vase, correspond au scr. yâna,
char, véhicule, de yâ, ire.
b) Scr. yoga, yugya, char, de yug, jungere ( Cf. plus haut
l'article du joug).
Gr. &vyoç, ÇivyzïoVy id.
Le kirgise giak, char, bachkire giok, turc de Kazan iuk,
provient sans doute des noms persans du joug, déjà men-
tionnés.
c) Le gr. KdTTccv?], char thessalien, semble répondre, quant
h sa racine, à l'anc. irlandais cap, char ( Corm., GL, 32), et
cette racine ne peut guère être que le scr. kap, kamp, cap,
camp, ire, tremere (Cf. p. 430 et 456).
D'autres noms du char se rattachent à quelqu'une de ses
parties, et reviendront plus loin.
B) La roue.
Le nom principal de la roue, scr. ratha, etc., a déjà été
examiné. Je fais suivre quelques rapprochements plus partiels.
1 Corm., Gl.} 7, au plur. âna. Stokes, ib., présume la perte d'un
p initial, et compare le se. pana, vase à boire , de la rac. pâ.
II 10
— 146 —
1) Scr. cakra, roue, cercle, disque, çakrî, roue.
Pers. carch, car chah, roue, carch, cak, char; armén. garkh,
char.
Grec kvkAoç, cercle, et, comme en persan, par métathèse,
KipKOÇt ttpiKOç, KctpKivoç, etc.; latin circus. Cf. cymr. cylch et
cyrch, cyrchell, cercle, peut-être du latin, comme l'irl. ciôrcal,
et sûrement l'ang.-sax. circol.
Le D. P. ne s'explique pas sur l'origine de cakra, que
Schleicher regarde comme une réduplication de car, ire,1 mais
si cakra est pour kakra, on le rapporterait peut-être mieux à
la rac. kak, instabilem esse, vacillare (Dhâtup. ),2 kank =
cane, ire, tremescere ( Cf. cakita, tremblant, effrayé, et can-
kura, char, ainsi que le pers. cak, id.). Dans l'une ou l'autre
supposition, le sens obtenu de mobile, vacillant, indique la
priorité de celui de roue sur celui de cercle.3
2) L'anc. slave kolo, au plur. kola, char, russe koleso, d'où,
notre calèche, etc., appartient sans doute à éar, cal, ire, vacil-
lare ; cf. cala, mobile, calana, pied = anc. si. koleno, genou,
et le verbe dérivé kolebati, -biti, movere, agitare. — L'irland.
f cul, char ( Corm., GL, 39 ), se rattache également à cette
racine, dont le scr. kul, continuo procedere, ne semble être
qu'une forme modifiée. Cf. gr. kvAiûû, KvÀiviïûû, circumagere.
Le sansc. kula, troupe, multitude, famille, peut n'avoir signifié
primitivement que cercle et roue, de même que cakra et man-
1 Slav. Form., p. 94.
2 De là, peut-être, le gr. jcocjcoç, primit. lâche, tremblant.
3 Fick (51) présume, comme forme primitive, kvakra, d'un kvar
hypothétique — skar, id., tourner ; et compare, outre kwxàoç, l'anglo-
saxon hveohl, pour hvehvol, anglais wheel. Cf. les vues différentes de
Curtius [Gr. Et.3, 150), ainsi que notre vol. I, p. 486, où j'ai présumé
une origine imitative du bruit de la roue. Le persan gargar, char, est
aussi une onomatopée. Cf. scr. gar, craquer, pétiller, etc.; ainsi que
glwshtra, char, de ghush, crier, craquer (D. P., d'après Wilson).
— 147 —
dala, réunissent ces divers sens. Un des noms sanscrits du
potier, kulâla,en pers. kulâl, Jcalâl, semble justifier pour hula
l'acception de roue, puisque le potier est aussi appelé cakrin,
qui a une roue, de cakra.
3) Scr. mandata, roue, cercle, disque, globe, monceau, mul-
titude, etc.
Aufrecht a comparé le scand. môndull, rota, axis rotarum
(Z. S., I, 473). En l'absence d'une racine qui fournisse une
explication (mandne signifie que ornare, vestire,dividere, etc.),
Kuhn croit à une altération de manthala, rac. math, manth,
agitare,1 conjecture que semble appuyer le russe motalïnitsa,
motâria, motushka, dévidoir, moulinet à dévider, de motâtï,
dévider, pol. motac, allié à math.
4) Scr. dalbha, roue, probablement d'une racine drbli, darbh,
que donne le Dhâtup. avec le sens de timere seulement, mais
qui a dû signifier primitivement tremere, vacillare, d'après
l'analogie du lith. drebëti (drebïi), trembler, drebûs, tremblant,
draubinti , agiter, branler, etc.; russe driabietï, trembler,
s'ébranler ; goth. drobjan, agiter, drobnan, être agité, etc. —
Cf. aussi scr. drmbhû, roue (Wilson).
Comme le nom de la roue passe quelquefois au char, je crois
pouvoir rapprocher de dalbha l'irl. drabh, drubh, char, si tou-
tefois il n'appartient pas à la rac. dru, courir.
5) Pers. kundah, roue (de potier). Cf. scr. kunda, vase rond,
kundala, cercle, anneau.
A cette dernière forme, ou plutôt à un thème kudala, ré-
pond l'irl.-erse cuidheal, roue.
1 Die Herabh.d. Feuers, p. 7.
148
C) Le moyeu.
La diversité est ici plus grande, parce que le moyeu a été
comparé tour à tour à des objets dont il rappelait la forme.
Ainsi, l'erse cioch est une mamelle, le pol. piasta, un poing, en
russe piastï, le russe stupitsa, un petit mortier, etc. D'autres
noms sont caractéristiques, comme 7t\v\\my\, le plein de la roue,
de 7rAY\fM, 7r\iûù, ou woîf, %von, la partie qui frotte et grince,
de Kvdod, wave*). Le lat. modiolus est le milieu de la roue, le
lithuanien stebulys, de stebyti, arrêter, fixer, le support des
rais, etc. Un nom seulement peut être considéré comme vrai-
ment ancien.
1) C'est le scr. nâbhi,nâbhî, moyeu et ombilic. QLnabhîla,
le creux de l'ombilic, le pers. nâf, kourde nafk, le gr. bpQcLXoç,
lat. umbilicus, l'irl. f imbliu ( Corm., GL, 93 ), gén. imlenn;
mod. uimleac, imleog, erse iomlag, l'ags. nafel, anc. allemand
napalo, etc. Très-souvent, ce nom de l'ombilic s'emploie figu-
rément pour désigner le centre d'un objet, comme de la terre,
du bouclier, etc.; mais l'application spéciale au moyeu de la
roue se retrouve dans les langues germaniques, anglo-saxon
nafa, nafu, anglais 7iave, anc. allem. naba, mod. nabe. Il est à
remarquer que ces noms du moyeu sont féminins, tandis que
ceux de l'ombilic, distincts aussi par le suffixe, sont mascu-
lins, ce qui indique une séparation très-ancienne des deux
significations.
Les Cymris emploient, dans le double sens ci-dessus, leur
mot bogel, qui, étranger d'ailleurs aux autres langues
— 149 —
ariennes , semble resté en rapport avec l'albanais botziel,
moyeu.
2 ) Un rapprochement beaucoup moins sûr se présente
entre le scr. pindi, pindikâ, moyeu, litt. monceau, masse =
pinda, de pind, coacervare, colligere, d'où aussi pnndala, pin-
dila, jetée de terre, digue, etc., et l'armorie, pendel ou bendel,
moyeu, à côté de moell, le lat. modiolus. Si la ressemblance est
fortuite, elle est certainement curieuse.
Les autres parties de la roue, le cercle, la jante, le rais, ne
m'ont offert aucun cas de rapprochements.
D) L'essieu.
Ici l'accord des langues est aussi complet que pour les deux
premiers noms du char. Ainsi :
1) Scr. aksha, essieu, et, par extension, roue, char.
Grr. à,%ûùv} -ovoç. Cf. ctf^ot^ct, char, ctyu = sam, c'est-à-dire
qui a un essieu.
Lat. axis.
Irl. aisilj essieu, ais, char, comme aksha.
Cymr. echel, armor. liael, aël.
Ang.-sax. aeœ, eax, scand. as, anc. ail. ahsa, etc.
Lith. aszis.
Anc. si. et russe osï, pol. os, boh. os, wos, etc.
La racine est peut-être ahsh = aç, penetrare, occupare,
parce que l'essieu traverse les moyeux.
2) Une coïncidence isolée est celle du sansc. mûla, propre-
ment racine, principal, qui désigne l'essieu dans le composé
— 150 —
mûlavibhuga, char, litt. qui fait tourner l'essieu ( ivhat bends
the aœle, Wilson), avec l'irl.-erse mul, essieu.1
JE) Le timon.
Deux des noms du timon ont des droits à remonter à l'épo-
que primitive, bien que ni l'un ni l'autre n'offrent des coïnci-
dences directes entre l'Orient et l'Occident.
1) Le sansc. dhur, m., désigne, soit le timon, soit le joug,
ou quelqu'une de leurs parties. Ainsi, d'après D. P., a) la
partie du joug qui est placée sur l'épaule de l'animal, puis im-
proprement le fardeau porté ; aussi dhura = bhâra ; b) l'ex-
trémité antérieure du timon, aussi dhura, dliurya ; puis, en
général, le devant, l'avant, la première place, la place d'hon-
neur. De là une abondance de dérivés et de composés, parfois
avec des extensions de sens au moral. Ainsi dliurya, dhurîna,
dhaurêya, adj., propre à l'attelage, et animal de trait ; dur-
dhur, adj., impropre au joug, sudhur, -va, adj., le contraire, et
bon cheval de trait ; sadliura, adj., attelé au même timon, puis
en général, bien d'accord (eintràchtig), pratidhura, m., second
cheval au timon, et le contraire apratidhura, cheval sans com-
pagnon bien appareillé ; sarvadhurîna, propre à tout attelage,
êkadhurîna, adj., (char) à un cheval ( einspànnig ) , dhurari-
dhara, porteur du joug, etc.
Les composés les plus remarquables par l'extension au mo-
ral de leur signification propre, sont, outre sadhura, cité plus
haut, uddhura, adj., délivré du timon, puis content, joyeux,
1 D'après le D. P., le composé sanscrit signifierait : qui courbe les
racines fmûlaj, ce qui rendrait illusoire le rapprochement avec l'ir-
landais,
— 151 —
svadhur, adj., qui a son propre timon = indépendant ; vid-
hura, adj., sans timon, en parlant d'un char (ratha), puis, en
général, désemparé, endommagé, abandonné, isolé, abattu,
misérable, d'où vidhuratâ, privation, misère.1
Ce nom du timon, dhur, dfaira, sans doute de la rac. dhar,
porter, soutenir, maintenir, ne paraît pas se retrouver comme
tel en dehors du sanscrit ; mais des traces indirectes semblent
en être restées dans le grec et l'irlandais.
Un synonyme de vidhura est adhura, sûrement : sans
timon,2 auquel répond exactement, pour la forme, d&vçoçy
mais avec le sens, au moral, de sans frein, effréné, libre,
joyeux. De là ci&vptcû, -ça, jouer, se divertir, se jouer de,
faire en se jouant (Cf. dB-vfJLîoù, de cLôvftoç, sans courage),
â&vçfAci, jeu, jouet, ciS-vçoyAôûo-o'oç, ou -ario^oç^ bavard, etc.
Au point de vue grec, on a expliqué ce mot par cL&vçct, sans
porte ; mais si l'on compare le sanscrit uddhura, joyeux, con-
tent, libre, composé avec ud, ex, ici de même valeur que Va
privatif, on reconnaîtra que l'image du timon convient mieux
que celle de la porte pour les significations indiquées. Il est
très-probable, d'après cela, que &vpoç a été le corrélatif de
dhur a?
1 L'accord de ces composés, quant à leurs significations, témoigne
bien d'un emploi constant de dhura, comme timon ou joug. Cependant
le D. P. incline à séparer vi-dhura, appliqué au char, de vidh-ura,
abandonné, délaissé, isolé, en le rapportant à une racine vidh, vindh,
manquer de, être privé de, nouvellement signalée par Roth, et d'où
dériverait aussi vidhavâ, la veuve, à l'article de laquelle la question
reviendra.
2 Je dis sûrement, parce que dans le D. P (1,155), probablement
par une négligence typographique, le sens du mot est resté en blanc,
bien qu'il soit divisé en a-dhura, et que le D. P., au mot dhura, y
renvoie comme à un composé analogue aux autres. Ni l'errata, ni le
supplément du t. V, ne relèvent cette omission.
3 Ce 5-ypoç se trouve peut-être encore dans (ttS-vpotiu.&oç, chant à
— 152 —
Une autre trace, peut-être indirecte, de dhur a été signalée
par Stokes dans l'irlandais du vieux glossaire Dûil laithne
(Goid.2, 81 ), où l'on trouve daur-ailm, bœuf, et dur-aïbind,
vache. Stokes compare le scr. dhurya, dhurîna, bête de somme;
mais on pourrait aussi y voir directement dhur ; car daur-
ailm paraît signifier : bétail de joug ou de timon (Cf. almha,
troupeau de vaches, O'Don., GL; aima, armenta, Dict. d'Ed. ;
ailmhin, troupeau, O'R.), et dur-aibind, avec aibind, amœnum
( Corm., GL, 10 ), a pu désigner la vache comme docile au
joug ou au timon. Cf. plus haut le synonyme sanscrit sudhur,
sudhura.
2) L'autre nom du timon, européen seulement, se rattache
par sa racine à l'Orient, sans y avoir de corrélatif à moi
connu. C'est l'ang.-saxon tliixl, thisl, anc. allem. dîhsala, ail.
deichsel, qui, rapproché de dehsa, dehsala, hache, conduit avec
sûreté au sansc. taksh, tailler, façonner, fabriquer ; en zend
tash, id. Cette racine, qui manque au germanique, se retrouve
bien dans Fane, slave tesatï, et le lith. taszyti, où elle donne
naissance à des noms de la hache, mais pas du timon.1 Cf. plus
loin la hache. A la même racine, conservée cette fois dans
texo, se rattache le latin tëmo, pour texmo, tesmo, comme tëlum,
pour texlum, tëla, pour texla. Le timon est ainsi la pièce de
bois, taillée, façonnée.
vers libres, où & pour Vioi, comme en latin di, dis , exprime-
rait la séparation, et où -Boç répondrait au sansc. ga, qui va, à la fin
des composés. Cf. la rac. Qx=ga, dans Qïïui, fàfAct, Botivoo, Bocvog, etc.;
ainsi que les composés analogues sanscrits, turanga (turam, adv. -j-
ga ), rapide, pataïiga, qui va en volant, plavanga, qui va en sau-
tant, etc. Le ï)i-§-vpot,n-$Q<; serait ainsi le chant libre, dégagé du timon
ou du joug de la versification régulière.
' L'anc. si. tesû, asser, peut avoir désigné le timon, comme en cymr.
llâth fcerbydj, perche du char, armor. gw a len-garr, id., anglais
pôle, etc.
153 —
ARTICLE IV. LA PREPARATION DES CEREALES.
§ 204. LE BATTAGE ET L'AIRE.
La récolte enlevée sur le char était amenée à l'aire, ou mise
en réserve pour le moment du battage. On sait que cette opé-
ration s'exécutait de plusieurs manières, suivant les temps et
les lieux. On pilait les épis dans un mortier, on les battait
avec le fléau, ou bien on les faisait fouler sur l'aire par des
bœufs ou des chevaux qui tournaient en cercle. Ce dernier
procédé a été surtout en usage chez les peuples de l'Orient,
ainsi qu'en Grèce, où l'emploi du fléau était inconnu. Aussi ce
dernier n'a-t-il de nom ni en grec, ni en sanscrit. Dans le
nord de l'Europe, et par suite du climat, c'est le battage en
grange qui était généralement usité. On comprend que, par
l'effet même de cette diversité de procédés, les termes qui se
rapportent au battage ont dû varier considérablement. Il ne
faut donc s'attendre ici qu'à des rapprochements isolés et,
par conséquent, plus ou moins douteux.
1) Le scr. kad, kand ( kâdayati, kandayati ), peut-être un
dénominatif, signifie grana extrahere, et findere. Cf. khad7
khand, frangere, conterere. De là kandana, l'action du verbe,
la balle du grain, le mortier à battre le grain, et kadatra, sorte
de vase sans doute analogue.
Le d cérébral semble ici avoir remplacé, comme dans d'au-
tres cas, un d dental, si l'on compare le gr. Kî^ct^ct), fendre,
diviser, le lith. hedëti, se fendre, et kâsti (kcmdh), mordre, etc.
On peut donc, sans invraisemblance, comparer l'irlandais câ-
— 154 —
tliaim, câiihim, vanner, c'est-à-dire séparer le grain de la
balle, avec th pour d, comme dans ithim = admi, edo, etc.
De là, de même qu'en sanscrit, le nom de la balle, câth, câith
ou câidh, et celui du van, caiteach, pour cainteach, à cause du
t non aspiré. La nasale se retrouve dans l'armor. kanta, van-
ner, et kant, van.1
Les termes suivants ne concernent que les langues euro-
péennes.
2) Latin trlturo, forme redoublée de tero (trivi, tritum),
d'où trïbiditm, fléau à battre, trïtieum, blé, etc. — A tero,
broyer, fouler, etc., répondent le grec TZipco, l'ancien slave
treti, le lithuanien triti, le cymr. tbri, armor. terri, etc. Au
sens plus spécial se rattache l'irland. tioramh, battage du blé.
Les langues germaniques s'y lient de plus loin par leur verbe
fort go th. thriskan, ags. therscan, scand. threskia, anc. allem.
drescan, etc., d'où le goth. gatlirask, aire, et l'ang.-sax. thers-
col, anc. ail. driskil, fléau. C'est là, sans doute, une forme aug-
mentée de la racine ci-dessus.
3) L'anc. si. mlatiti, triturare, russe molotiU, polon. mlo-
cic, etc., proprement marteler, demlatû, molotu, marteau, ap-
partient à la rac. mal, qui est commune à la plupart des lan-
gues ariennes, et qui reviendra plus loin à l'article du moulin.
De là le russe molotilo, fléau, et le boh. mlat, aire, auxquels se
lie de près l'irl. malôid, fléau.
4) Les noms de l'aire diffèrent presque partout, et ne don-
nent lieu qu'à deux observations comparatives.
1 L'anc. irl. câith, -thech, acus, furfur (Z.2, 30; Corm., GL, 31),
répond mieux au sanscr. çûta, déchet, de çat, abattre, disperser ; au
causât, çâtay ; mais aussi çada, de çad, decidere ( caus. çâday. Cf.
lat. cado et cœdo). Ici aussi l'irl. f câithen, fumier (Stokes, Goid.2,
80). Cf. scr. çâtana, n., action de faire tomber, et çâdana. n.,
chute, etc. La dentale varie comme dans l'irlandais.
— 155 —
a) Le scr. khala, aire, n'a pas d'étymologie certaine, mais
il est probable que sa racine, quelle qu'elle soit, a signifié fou-
ler ou battre. En persan, en effet, on trouve kâlîdan, fouler
aux pieds, presser, disperser, mettre en pièces, où le k peut
répondre au kh sanscrit, comme dans kandan, creuser = khan,
L'armén. gai, aire, est sans doute pour kal.
La même racine reparaît dans le lith. kulti, frapper, battre
le blé, d'où kultuivas, le fléau, etc. Cf. anc. slave klati (kola),
russe kolotï, fendre, couper, piquer, tuer, etc. Le lithuan. klôti,
stratifîer, paver, planchéier, préparer l'airée, doit avoir signi-
fié primitivement battre le sol pour l'égaliser, et de là dérive
le nom de l'aire, klojimas, et de l'airée, kloyis, qui semblent
ainsi alliés au scr. khala.
b) Un autre nom sansc. de l'aire, khaladhânya, ou -dhâna,
a dû désigner plus spécialement la portion de l'aire où l'on
mettait le blé en réserve avant de le battre, le réceptacle ou
magasin de l'aire, car tel est le sens de çlhâna ou dhânî (rac.
dhâ, ponere, collocare) à la fin des composés. Or, à ce dhânya
répond exactement l'anc. ail. ténni, allem. mod. tenue, aire,
grange, avec nn pour ny, comme dans beaucoup d'autres cas.
Le synonyme ang.-sax. adan, aire, ne semble pas représenter
moins fidèlement le sansc. âdliâna, lieu de dépôt,
§ 202. LE VAN ET LE CRIBLE.
Ce que nous avons dit du battage s'applique également au
vannage et à ses instruments. La nature de ces derniers a varié
avec celle des opérations, et dès lors les noms ont aussi
changé. Le van a consisté tantôt en une pelle, tantôt en une
toile, ou une corbeille à anses pour lancer le grain en l'air.
— 156 —
L'action même de vanner ne s'exprime nulle part par une ra-
cine spéciale, mais par des verbes qui signifient purifier, agiter,
lancer, souffler, etc. Les coïncidences directes sont donc ici
également limitées, isolées, et, par cela même, peu sûres. Je
me bornerai à celles qui paraissent les moins contestables.
Le van jouissait, d'ailleurs, d'une certaine considération
parmi les instruments de l'agriculture, chez les anciens peu-
ples ariens. Un de ses noms sanscrits, udbhata, signifie aussi
distingué, excellent. Il était, chez les Grecs, le symbole des
bienfaits de Cérès, et la mythologie en faisait le berceau de
Bacchus, surnommé AucviTyjÇ'1
1) Scr. pava, pavana,, action de vanner, et vent. On dit
aussi nishpava, et paripûta. La racine est pu, purificare, de
vento flando.
Benfey compare avec raison le grec 7TTV0V, attique 7TTeov,
pelle à vanner, où le t intercalé est une addition phonique,
comme dans TTTotepoç pour 7ro\ifA,oç, 3"nW<y pour flr/<ro"û) =
scr. pish. De même 7rnov est pour 7nov, de ttsfoi/ = pava-m?
Un second rapprochement paraît s'offrir dans l'ang.-sax.
fann,fon, ventilabrum, que son/, provenue de p, empêche de
comparer avec le latin vannus et l'allemand wanne, malgré la
ressemblance des formes. Le mot saxon doit avoir été plus an-
ciennement/aum ou faivan = scr. pavana.
2) Scr. çûrpa, -pi, van. — Origine incertaine. — Le verbe
çûrpay, mesurer, est un dénominatif qui indique pour çûrpa
le sens de mesure de capacité.
Kuhn (Z. S., IV, 23) conjecture skûrpa comme forme pri-
mitive, et compare le lat. scirpus, anc. ail. sciluf, jonc, roseau,
scirpo, tresser, lier, scirpea, corbeille d'un char, etc.; aussi
1 Cf. Virgil., Gcorg., I, 166, mystica vannus Jacchi.
2 Gr. Wl., 1,417,11,354.
— 157 —
corbis, anc. allem. korb, de skorb, mais avec doute quant au b
pour^.
3) Pers. sigaw, van, sikû, sorte de fourche à vanner. Ce
nom paraît se rattacher à la rac. scr. çîk ou sîk = sic, spar-
gere; efïundere.
Le scand. sigti désigne à la fois le van et le tamis, et sîa ou
sya, le tamis et le filtre. La rac. est sîh — scr. sîk, comme le
prouve Fane. ail. sihan, filtrer, sîha, colum.1
4) Pers. pal, tamis, filtre, pâlûdan, pâlîdan, purifier, fil-
trer, etc. Ici, peut-être le polonais o-palac, vanner, purifier le
grain, o-palka, van, d'où le lith. apolkas, id. En russe, po~
loti, o-polotï, o-pâlyvatï, signifie sarcler, c'est-à-dire nettoyer
le sol.
5) Legr. àikvov, van, ÀMtytoç» pelle à vanner, d'où À^v/Çw,
ÀiKfActco, paraissent se lier à la rac. scr. rie, purgare, vacuefa-
cere, disjungere, dividere, d'oùrêka, rêcana, purification, etc.
— Cf. anc. si. et russe riesheti, solvere, faire sortir, débarras-
ser, délivrer, peut-être d'une forme désidérative riksh. De là
aussi le nom du crible, anc. si. resheto, russe riesheto, lithuan.
rëszus, etc.
6) La plupart des langues européennes s'accordent à rat-
tacher le nom du van à celui du vent, ou à la rac. va, souffler.
Ainsi :
Lat. vannus, probablement pour vatmis (Cf. scr. vâta, vent),
et ventilabrum, de vent do.
Cymr. givyntyll de gwynt, vent, corn, guinzal, van, armor.
gwenta, vanner.
Goth. vinthi-skaurô, pelle à vanner; ags. ivindivian, vanner
(to ivinnotv), ivind-scobl, scand. vind-skupla, pelle à vent,
1 L'anc. ail. sehtari, situla, ressemble singulièrement au sanscrit
sêktra, baquet, de sic; cependant il peut provenir du lat. sextarius.
— 158 —
vinsa, vanner ; anc. ail. teinta et ivanna (latin ?), van, vintôn,
tvannôn, vanner.
Anc. si. veiati, russe vieiatï, pol. iviaé, ivieiaé, etc., vanner
et souffler, ventiler; anc. slave et russe veialo, vieialo, van,
pol. tvieiaczka, etc.
Lith. ivëtiti, vanner, ivëtykle, van, etc.
§ 203. LA MOUTURE, LE MOULIN, LA MEULE, LA FARINE,
LE SON.
Pour compléter ce qui concerne les manipulations du
grain, je joins ici un article sur la mouture, bien que cette
opération n'appartienne plus à l'agriculture. Mais la posses-
sion du moulin, même dans sa simplicité primitive, implique
celle des céréales, et par suite un certain développement du
travail agricole. Sous ce rapport, cette question a d'autant
plus d'intérêt que nous trouvons ici un accord très-général
entre les langues de la famille arienne, ce qui nous permet
d'assurer les inductions, parfois incomplètes, que l'on peut tirer
des autres faits.
Pour broyer le grain, on n'employa dans l'origine que deux
pierres, procédé qui est encore celui de quelques tribus sau-
vages ; mais la nécessité d'accélérer le travail dut suggérer de
très-bonne heure l'idée d'un mécanisme auxiliaire, et conduire
à l'invention du moulin à bras, resté en usage chez les peu-
ples de l'Orient. Il est très-probable que les anciens Aryas
déjà possédaient quelque appareil de ce genre, bien qu'on ne
puisse plus savoir quelle en était la disposition. En tout cas,
les racines qui expriment l'action de moudre, ainsi que plu-
— 159 —
sieurs des termes qui en dérivent, se sont remarquablement
conservés dans les diverses langues de la famille.
1) Le scr. malana, action de moudre, de broyer, se ratta-
che à une rac. mal, forme secondaire de mar, mr, dans le sens
actif de détruire, tuer, écraser. De là, entre autres dérivés,
marâla, tendre, doux, c'est-à-dire broyé, et mala, boue. Cette
forme mal, perdue en sanscrit comme verbe, se retrouve par-
tout ailleurs avec un ensemble complet. Ainsi :
Pers. mâlîdan, moudre, broyer, frotter, labourer à la char-
rue, d'où mâlah, herse, mâlidah, broyé, brisé, etc.
Grec fJLvXAù), moudre, jAvÀy, fJivAci^ meule, fJLvXûùy, mou-
lin, (MiVÂoôp&i, meunier, etc. — De plus [ActAivpov, farine =
ctMvpov, et clAiûo, moudre, pour [tcttec*), suivant Ahrens ( Z.
S., VIII, 340).
Lat. molo, moudre, mola, meule, molina, moulin, etc.
Irl. meilim, moudre, anc. melim (Z.2, 429), meile, moulin à
bras; mulenn, pistrinum (Z.2, 778), muillion, moulin.
Cymr. malu, moudre, melin, moulin, meilon, farine ; armor.
mala, moudre, milin, moulin.
Groth. malan, malvjan, moudre, broyer; malma, poussière;
ags. mylen, miln, myll, moulin, meule; meleio, mealeive, farine;
scand. mala, moudre, mylna, meule, mêl, miôl, farine; anc.
ail. malan, moudre, muli, meule, mêlo, farine, etc.
Lith. mâlti (malu), moudre, malûnas, moulin, miltai (pi.),
farine.
Anc. si. mleti (meliâ), su-milati, moudre; russe molôtï, illyr.
mlieti, polon. mlec (mielam); russe mélivo, mouture, mlinû,
meule, melïnitsa, moulin, illyr. mlin, pol. mlyn, id.
2) Le scr. pêshana, mouture et moulin à bras, vient de la
rac. pishj terere, d'où aussi pishta, farine, etc. En zend, on
— 160 —
trouve pish et pistra, mouture (Justi, 190), id.; en arménien
pshrel, moudre.
Le grec nous offre 7TTi<r<roù pour 7ri<r<rûû, d'où 7ri(rvct, balle
de grains, son. Cf. cymr. peiswyn, scand.^s, anc. allein. fesa,
acus, palea.
Le latin piso, -onis, mortier à piler, de pinso == pish, ré-
pond presque à pêshana. Cf. pistor, boulanger, pistrina, mou-
lin, pistillum, pilon, etc. — A la même racine se lient l'ir-
landais piosa (de pinsa), miette, morceau, armor. pisel, pesel,
pensel, id.
Le lith. paisyti signifie émonder l'orge en la faisant fouler
par des chevaux, et pesta désigne le mortier et le pilon ; en
russe péstu (Cf. t. I, p. 359, aux noms du pois).
3) Les Germains et les Lithuano- Slaves ont en commun
un nom de la meule, qui est sûrement fort ancien, et dont j'ai
parlé déjà (t. I, p. 326). C'est le goth. qvaimus, ags. cweorn,
cwern, scand. qvôrn, qvern, anc. allem. quirn, meule et moulin
à bras, auxquels correspondent régulièrement l'ancien slave
jrûnûvû, le russe jernovû, meule, l'illyr. sciarn, sciarvan, boh.
zernov, pol. zarna (plur.), moulin à bras. En lithuanien, on
trouve girna, meule, et girnôs (plur.), les meules, pour moulin.
La racine commune est le sansc. gf, gar, aussi gur, gui, con-
terere, et confici, d'où gîrna, contritus, etc. Le gr. yvpiç, farine,
en provient également.
4) Parmi les noms de la farine, le plus intéressant est le
scr. samîda ou samitâ, fine farine de froment. La première
forme semble la plus correcte d'après les analogies qui sui-
vent. La racine paraît être mid, être doux, onctueux, en com-
position avec sa = sain, qui indique la possession, car le pers.
maydah, fleur de farine, s'y rattache directement. Le pers. offre
aussi samtd, pain de froment, pain blanc, comme corrélatif de
— 161 —
mîda, mais c'est là peut-être un mot d'emprunt à cause de Ys
restée inaltérée contre la règle.
Ce qui est plus important, c'est que ce mot reparaît chez
plusieurs peuples européens avec la signification spéciale du
sanscrit. Ainsi en grec trtf/,iocLÀiç, fleur de farine du froment,
en latin, avec l pour d, simila, similago, d'où l'italien semola
et notre semoule. A cette forme latine correspond le scand.
similia, similiu-miôl, anc. allem. semala, simula, semal-mêlo,
qui en provient peut-être; mais il n'en est pas de même de
l'ang.-sax. smeodoma, smideme, smedmen, smedme, qui a con-
servé la dentale avec un suffixe différent. Je n'ai retrouvé ce
nom ni en celtique, ni en lith.-slave, mais les rapprochements
indiqués ne laissent aucun doute sur son origine arienne. Il
faut en conclure que, chez les anciens Aryas, le procédé de la
mouture devait avoir atteint une certaine perfection pour
fournir un produit aussi distingué.1
article v.
§ 204. RÉSUMÉ ET OBSERVATIONS.
De l'ensemble des recherches qui précèdent, on peut tirer
quelques inductions qui ne sont pas sans importance pour
l'histoire primitive de la race arienne.
1 Cf. Lassen, Ind. Alt., I, 247, note 2. — Fick (495) part d'un
thème gréco- italien simala, suivant lui, peut-être de la racine euro-
péenne si, tamiser, en comparant IfAocfacc, surplus de la farine, »Vocà/oç,
surabondant, lnot'hiç, déesse de la mouture, et sans tenir compte de
samîda, <re^u&xX*ç., etc.
II il
— 162 —
Il en résulte d'abord, d'une manière plus positive, que l'agri-
culture a succédé, dans l'ordre des temps, à la vie pastorale,
ce qui d'ailleurs est conforme à la nature des choses. Les
termes, en effet, qui se rapportent à l'existence des anciens
pasteurs, offrent, en général, des affinités plus étendues et
plus multipliées que ceux qui concernent les laboureurs.. Les
transitions de sens de quelques-uns de ces termes, comme
celles du troupeau à la richesse ou au butin, ou du pâturage à
la terre et au champ cultivé, confirment le fait de cette anté-
riorité. Toutefois les premiers commencements de l'agricul-
ture doivent remonter bien au delà du moment de la disper-
sion définitive des tribus ariennes, et ses développements
auront été graduels. On comprend que dans un pays acci-
denté, entrecoupé de vallées et de cours d'eau, tel que l'était
la Bactriane, le travail de la terre se soit associé de bonne
heure aux soins des troupeaux sur les pâturages alpestres. La
proportion mutuelle des deux industries aura varié naturelle-
ment suivant les localités, les montagnards restant plus ex-
clusivement pasteurs, les habitants des vallées s'adonnant
davantage à l'agriculture , et de nouvelles variations ont
dû se produire par suite des extensions successives de la po-
pulation dans son pays d'origine, et avant ses migrations plus
lointaines.
Ici se place le fait peu douteux d'une première sépara-
tion, plus ou moins marquée, en deux groupes distincts,
l'un à l'orient dans la région montagneuse, l'autre à l'oc-
cident, vers les contrées plus ouvertes qui avoisinent le
cours de l'Oxus et la mer Caspienne. C'est dans ces der-
nières que l'agriculture aura pris les développements dont
témoignent plus particulièrement les langues européennes.
C'est là que le pâturage, agra, gavya, sera devenu le champ
— 163 —
de labour, cLypoç, yvict, etc., que la racine ar aura pris le
sens spécial de labourer, que le nombre des plantes cultivées
aura reçu de notables accroissements, etc. Les Aryas orien-
taux, par contre, semblent être restés plus fidèles à la vie
pastorale. On la voit prédominer encore chez les Indiens
de l'époque védique ; et les anciens Iraniens, au temps de
Zoroastre, pratiquaient si peu l'agriculture, que le réformateur
la recommande sans cesse comme une institution divine, afin
d'amener son peuple à un état social plus stable.1
Tout ceci ne prouve cependant pas que l'agriculture ait été
étrangère au premier noyau de la race arienne, puisque la
possession de plusieurs céréales, et très-probablement l'usage
de la charrue, remontent jusqu'aux temps de l'unité primitive.
Les variations des termes en usage s'expliquent suffisamment
par une division partielle des tribus, sans recourir à une hy-
pothèse que trop de faits démentent. Cela serait plus évident
encore si Max Millier avait raison de rattacher le nom même
des Aryas à la racine ar, labourer, et d'y voir le peuple essen-
tiellement agricole par opposition aux races nomades duTou-
ran.2 On aurait, toutefois, quelque peine à s'expliquer que le
nom de laboureurs fût resté attaché aux deux tribus orien-
tales, qui labouraient peu, et fût devenu presque étranger à
celles qui pratiquaient davantage l'agriculture. Il vaut donc
1 Cf. Haug, Die Gâthâs d. Zor., II, 252.
2 Lectures on the science of language, p. 226. Millier s'appuie sur
ce que arya désignait un homme de la troisième caste, celle des
Vâiçyas, ou habitants travailleurs, et primitivement cultivateurs, qui
formaient la masse principale du peuple. C'est ainsi que le dérivé
ârya a pu devenir le nom général de la nation. Il est assez singulier
de voir, tout au contraire, le savant indianiste Gorresio, l'éditeur du
Ramâyana, chercher dans les Aryas les erranti, migranti, en fai-
sant dériver leur nom de la rac. ar, aller, se mouvoir (Rivista di filo-
logia, Torino, 1873, I, 5).
— 164 —
mieux, ce semble, s'en tenir à l'interprétation généralement
adoptée par les indianistes (Cf. t. I, p. 38), bien que la con-
jecture deuMuller ne soit pas dénuée de vraisemblance, si l'on
admet pour l'ethnique ârya une origine postérieure aux
temps de la vie primitive pastorale.
CHAPITRE II.
§ 205. LES ARTS ET MÉTIERS.
La pratique de l'agriculture suppose un état de société ré-
gulier, et une industrie déjà développée dans plus d'une di-
rection. La construction des instruments aratoires, et en par-
ticulier de la charrue et du char, indique une certaine habileté
à travailler le bois et le métal à l'aide d'outils convenables.
D'ailleurs, un peuple devenu agricole possède nécessairement
les conditions matérielles d'une existence confortable. Il doit
avoir des habitations fixes, des ustensiles variés, des vêtements
appropriés au climat, sans parler des armes .pour la chasse et
la guerre. Nous verrons qu'à ces divers égards les anciens
Aryas étaient richement pourvus, ce qui ne peut s'expliquer
que par un développement assez avancé de la division du tra-
vail, sans laquelle les arts mécaniques restent toujours dans
l'enfance. Nous allons chercher ce que la comparaison des
angues peut nous apprendre à ce sujet.
166
SECTION I.
§ 206. LE MÉTIER ET L'ARTISAN EN GÉNÉRAL.
Ces termes généraux, variables de leur nature, ne présen-
tent qu'un petit nombre de rapprochements isolés, bien
que assez sûrs.
1) Un groupe des noms du métier et de l'artisan se lie, en
sanscrit, à la rac. kr, kar, facere. De là karana, kâru, kârikâ,
art, métier, aussi kalâ, de kal = kar; et kâru, kâri, kâruka,
artisan, ouvrier, ainsi que kâra à la fin des composés, comme
ayaskâra, ouvrier en fer, tamrakâra, ouvrier en cuivre, liêma-
kâra, orfèvre, etc.; cf. krta, œuvre, krtaka, artificiel, krtin,
krtnu, habile, adroit, etc. Du pers. kardan, faire, kârîdan, tra-
vailler, dérivent de même kar, métier, karîgar, artisan, et le
gar des composés tout semblables au sanscrit, âhangar, ou-
vrier en fer, zargar, orfèvre, etc.
Racine et dérivés se trouvent également en irlandais, où
de cer (cearaim), faire, on voit provenir l'ancien irland. cert,
cerd, aararius ( Z.2, 60), cerddchae, officina (ibid.), irlandais
moyen cerd, m., artisan, cerd, f., art (Stokes, Ir. GL, p-58),
irl. mod. céard, id. La forme creth, art, que donne O'Reilly,
répond au sanscrit krta ou krti. En cymrique, où la racine
verbale est crëu, faire, créer, on trouve cerdd, art, cerddawr,
artisan, etc.1
1 Mais cf. le lat. cerdo, -onis, ouvrier, ainsi que y.(p^oçf gain, avantage,
puis adresse, ruse, etc., d'où xspàocw, -àa/voi, gagner, et xzpiïuv, nom
d'esclave. Au scr. karana, métier, paraît se lier l'irland. cirnéis, id.,
main-d'œuvre (O'Don., Gl. s.).
— 167 —
Le lith. kivrti, construire, bâtir, kurrêjas, constructeur, ap-
partient probablement au même groupe, ainsi que, dans un
sens plus général, le lat. creo, etc.
2) Un autre terme sanscrit, çilpa, métier, art manuel,
d'où çilpin, artisan, est pour kilpa , et appartient sans
doute à la racine Mrp (kalp) yuans le sens de pamre,facere, ou
swfficere. 1
Ce sont encore les langues celtiques qui, seules , nous
offrent des termes corrélatifs dans l'irl. mlby artisan (O'B,.),
le cymrique celfy cerf, art, métier, celfyddy habile, celfyddwry
artisan , celfi , outils, instruments , etc., 2 l'armor. kalvez,
kalvéy charpentier, d'où kilvizia, charpenter, kilvizerez, char-
penterie, etc.
3) Le Dhâtup. donne une racine, las, lâsayatiy artem
exercere, opificem esse , à laquelle on rapporte lasta} habile,
adroit.5
Ici, ce sont les langues germaniques et slaves qui répon-
dent au sanscrit par l'ang.-sax. list, ars, ingenium, scand. list,
art, métier, listmadry artisan, anc. ail. list y art, ruse, etc., anc.
si. lïstïy d'où lïstïnïïy rusé, trompeur. Cf. lisuy liska, lisitsa,
renard , etc.
1 Cf. le goth. hilpan fhalp, hulpansj, ags. helpan (prêt, hulpori):
anc. ail. hilfan, aider, secourir, hilfa, hûlfa, secours, etc.; le lith.
szèlpti, aider, pa-szalpa, aide, soin.
2 Cf. irl. fcerbele, artisan ( Stokes, Goid.2, 80). — I/étymologie
proposée pour celf devient douteuse en présence de l'anc. cymrique
celmed, efficax (Z.2, 1153) = mod. celfydd, qui conduirait mieux à la
racine sanscrite kar, du n<> 1, d'où karman, œuvre, karmatha,
habile.
3 Dans Wilson las (cl. 10) to be skillful, to do any thing skillfully;
mais le D. P. ne donne à las que les acceptions de briller, paraître,
bruire, se réjouir, et au causât, lâsayati, celle seulement de danser
et d'enseigner à danser. Le lasta, skillfull de Wilson , ne s'y trouve
pas.
— 168 —
4) Le scr. dârû, artisan, ouvrier, paraît venir de df, dar,
dividere, findere, et désigner celui qui taille, coupe, etc.1
Le lith. daryti ( daraù ), faire, préparer, exécuter, semble
avoir généralisé le sens primitif. De là, entre beaucoup de
dérivés, darymas, daryne, ouvrage, œuvre, et surtout daris,
qui forme des composés exactement comme le scr. kâra, auk-
sadaris, orfèvre, namadaris, architecte, etc. On trouve dailis
employé delà même manière, ratadailis, carrossier, staladailis,
menuisier, et ce mot, ainsi que daile, art, dailus, habile, dai-
lyda, artisan, charpentier, se rattache sans doute, bien que
peut-être indirectement, à la forme secondaire de dar, en scr.
dal et en lith. daliii, diviser. Ici, probablement, le grec
SctiSaAoç , plein d'art , ScbiSctXov^ iïatâctAfAU, œuvre d'art,
SdtSctWoù, etc., formes redoublées de SctX.
Les termes nombreux propres aux diverses langues ne doi-
vent pas nous occuper ici. Je me bornerai à remarquer que le
latin ars, artis, que l'on a plus d'une fois rapporté à aro, la-
bourer, se rapporterait mieux au scr. rti, manière, mode. Cf.
rta, ordre, coutume, rtu, id. , lat. ritus, ratio, et l'allem. art, où
cependant la dentale est irrégulière.
Je passe maintenant aux métiers spéciaux.
1 Cf. gr. àpaw.
2 Cf. anc. si. dèliti, dividere, à côté de drati fderâj, scindere; le
grec }>êpa>9 le lat. dolo, etc. Cf. dolabra, doloire, armor. daladur; ainsi
que l'anc. si. dlato, scalprum.
169
SECTION IL
§ 207. LE TRAVAIL DES BOIS.
La racine verbale qui, dans l'origine, paraît avoir exprimé
plus particulièrement Faction de façonner les bois, se présente
en sanscrit sous la double forme de tvaksh et taksïi, avec les
significations de tailler, couper, fendre, gratter, former, fabri-
quer, puis, en général, agir, travailler. Mais ces formes elles-
mêmes sont évidemment secondaires, et dérivées, selon toute
probabilité, de tvak et tak par Y s des verbes désidératifs ou
intensitifs. Les langues congénères nous offrent, en effet, ces
types- plus primitifs à côté des premiers, ce qui assure, en tout
cas, à ceux-ci une très>-haute antiquité. Je réunis ici les termes
de comparaison, avec leurs significations plus ou moins diver-
gentes, mais toutes analogues.
Scr. tvaksh, taksh, sens indiqué.
Zend takhsh, tash, couper, doler, façonner, faire.1
Pers. tâchtan, percer, filer.
Gr. tvkûù, tailler, façonner; tw^où, préparer, construire;
TiKCO, TiHTCt), produire, engendrer ; tclcctoù, ordonner, dis-
poser.
Lat. teœo, tisser.
Irl. tachaim, gratter, racler ; peut-être aussi tescad, teas-
gad, couper (O'Don., GL), par inversion pour tecsad?
Cymr. tociaiv, tivciaw, couper, tailler, émonder.
1 Dans Justi (133) tash, seulement; mais anc.pers. taks, parsi tâsî-
dan, huzv. tashîtan, armén. tashel.
— 170 —
Lith. taszyti, tailler avec la hache ; taisyti, arranger, pré-
parer.
Ane. si. tukatij tisser ; tesati, couper, tailler. Les autres dia-
lectes passim.
Ce tableau devrait être complété par les dérivés nombreux
qui se rattachent tour à tour à la forme primitive et secon-
daire, et dont les principaux reviendront plus loin.
§ 208. LE CHARPENTIER.
En premier lieu se placent ici les anciens noms du char-
pentier, en sanscrit takshan, takshaka, tashtar, tvashtar, celui
qui taille, qui façonne, aussi kâshthataksh, qui taille les bois.
En zend tashan, formateur, créateur. Dans la mythologie
védique, Tvashtar est l'artisan céleste qui donne la forme à
toute chose.
Deux de ces noms ont leurs corrélatifs parfaits dans les
langues européennes. A takshan répond le grec tzktôôv, -ovoç,
charpentier, avec kt pour ksh, comme dans d'autres cas.1
Takshaka se retrouve dans l'anc. irland. Tassach, artifex, de-
venu le nom propre de l'artisan au service de saint Patrice,
d'après la tradition.2
Le russe tektonu, charpentier, est emprunté du grec, le
boh. tesarï se rattache directement au slave tesati, d'où teslï,
faber, comme le pol. ciesla à ciesac, tailler, avec c pour t de-
vant i, comme souvent d'ailleurs.
Il faut ajouter ici les noms du blaireau et du castor (t. I,
p. 553), qui se lient certainement à la rac. taksh.
1 Cf. Pott, Et. F., I, 270. Benfey, Gr. Wl, II, 247.
2 Stokes, Ir. Glos., p. 104.
171
209. LA HACHE.
Cet instrument principal du charpentier paraît avoir été,
avec le couteau, le plus ancien outil taillant, à en juger par
les nombreux échantillons en silex que nous en a transmis
l'âge de la pierre.1 Les anciens Aryas, qui connaissaient plu-
sieurs métaux, et qui n'en étaient plus à l'usage exclusif de
la pierre, ont sûrement fabriqué des haches de plus d'une
espèce, soit pour le travail, soit pour la guerre. C'est, du moins,
ce qu'indique l'existence de plusieurs synonymes qui appar-
tiennent également au temps de l'unité.
1) Le nom le plus répandu de la hache se lie encore à la
rac. taky taksh, et à ses analogues. Ainsi :
Scr. takshanî et tanka?
Zend. tasha (Spiegel, Avesta, I, 204, et Justi, 133).
Pers. tash, tashtan. Cf. tashang, espèce d'outil de charpen-
tier.
Arm. tagur.
Grr. Tv^oÇy hache de bataille; tvkoç, ciseau à tailler, coin.
Irl.-erse tuagh.
Ane. ail. dehsa, dëhsala.
Lith. taszlyczia, teszlyczia.
1 Voy. à ce sujet l'ouvrage de M. Boucher de Perthes : Antiquités
celtiques et antédiluviennes, Paris, 1847. Les découvertes de cet in-
vestigateur zélé, trop longtemps contestées comme imaginaires, ont
été confirmées dès lors, en ce qui concerne la très-haute antiquité des
haches en silex, par plusieurs géologues très-compétents. Sur les ha-
ches en pierre trouvées en Suisse, voyez l'excellent livre de M. Troyon,
Habitations lacustres, 1861. Dès lors on en a trouvé à peu près partout
en Europe.
2 Tanka et tanka, ciseau à tailler, houe (brecheisen), D. P.
— 172 —
Ane. si. testa, teslitsa; russe et illyr. testa. Cf. russe tesâkïï,
épée, pol. tasak, coutelas.1
Il se présente ici un fait singulier, et qui pourrait don-
ner lieu à des hypothèses fort aventurées. Ce nom de la ha-
che, si complètement arien, trouve ailleurs de nombreuses
analogies qui s'étendent non-seulement dans l'Asie du nord,
mais jusqu'à l'Océanie, et même l'Amérique septentrionale.
La permanence d'une rac. tah est manifeste dans le groupe
suivant.
Asie du Nokd. Eniséen d'Imbazk tok; samoyède tuka;
toungous tukka (Klaproth, As. Potygl.).
OcÉanie. Nouvelle - Zélande toki; noukhahiwa toki;
tonga togui ; taïti toi ( Buschmann, Iles Marquises, etc.,
Yocab. ).
Amérique du Nord. Mohawk ottoku; cayuga (Iroquois)
atokea ; shawni ( Algonquin ) tekaka; illinois takahakan;
miami takakaneh; massachusset togkunk; tchinouk tukait-
khlba (Americ. Ethnot. Soc, Vocab.). — Othomi (Mexique)
thégui (Vater, Sprachproben, p. 367).
Ces coïncidences, dont l'énumération n'est sûrement pas
complète, sont trop multipliées pour être mises sur le compte
du hasard; mais on ne peut pas mieux les attribuer à une com-
munauté d'origine, ou à des transmissions de peuple à peuple.
La seule explication possible est ici celle du principe de l'ono-
matopée, la racine tak, tok imitant très-bien le bruit de la
hache qui taille.
2) Un autre nom, également ancien, est le sansc. paraçu,
parçu, dont l'étymologie est encore incertaine. Celle que pro-
pose Pott (Et. F., I, 231), dépara + çu (de çô, acuere), ulte-
1 Stokes {Rem.{, 16) rapproche de tesla l'irland. tal, hache, pour
tasal, Vs devenant quiescent entre deux voyelles.
— 173 —
riorem aciem habens, semble bien hypothétique, en l'absence
d'un çu réel pour acies. En supposant la perte d'un a initial,
on pourrait conjecturer, comme thème primitif, apa-raçu,
l'outil qui tranche. Cf. rç, arç, riç, ruç, laedere, arça, blessure,
pcL<r<roù, panée*), fendre , diviser, iptijccû, Xcmaoù, id.; irlandais
rôichim, déchirer, cymr. rhychu, trancher, sillonner, lithuan.
rëkti, couper, etc. Un composé analogue se montre dans le
védique kuliça, hache, suivant le D. P, de ku -j- Uç = riç, lae-
dere, quomodo laedens. Il faudrait alors que cet a eût disparu
déjà dans la langue primitive, d'après les analogies qui sui-
vent.1
Ossète farathj hache, si le th, prononcé à l'anglaise, rem-
place la sifflante.
Gr. 7riAiKvç, d'après Hesych. aussi 9reÀu|, où Avjc = ruç?
De là 7Tî\îKcLûùy tailler, et 7rtteKciç, -cIvtoç, le pivert qui taille
le bois de son bec (Cf. t. I, 613).
Irl. faracha, farcha, fairce, maillet, par transition de sens,
erse faraich, cuneus doliarii, /ara», tudes. L'/ici pour p.2
3) Le sanscrit drughana ou drughnî, hache, signifie : qui
frappe le bois, de dru -\-han (ghan ), csedere. Le substantif
simple, ghana, désigne une massue et une masse d'armes.
A la même racine appartient le scand. genia, hache, et sans
doute aussi le gr. ytvvç, id., et mâchoire = scr. hanu dans
cette dernière acception. Le y est ici irrégulièrement pour h,
gh, comme dans éycov = scr. aham, etc. Cf. le lith. genys,
1 Le D. P. propose de rattacher paraçu à une racine hypothétique
parc, courber, en comparant parçu, côte, faux, faucille, cimeterre
courbe (Cf. zend pereçu, côte, côté, kourde pârçu, ossète farç, etc.;
Justi).
2 Cf. l'anc. cymr. pelechi, gl. clavse (Juvenc. gl., Beitr., 4, 94). Il
faut ajouter que, dans l'irlandais moyen (O'Don., GL), faracha dé-
signe aussi un carreau de foudre, comme paraçu en sanscrit (D. P.).
— 174 —
pivert, de genëti, tailler ( Cf. t. I, p. 614), comme ci-dessus
TTîAtKclç.
4) Le pers. bayram, hache de charpentier et foret, dans ce
dernier sens aussi baylam, se rattache probablement à la rac.
zend bëre, couper, dont les affinités ont été indiquées déjà à
l'un des noms de la herse.
Comme cette racine se retrouve dans le scand. beria, ferire,
d'où barinn, contusus, il faut peut-être y rapporter l'anc. ail.
parta, barta, hache, ainsi que pm*sa, ang.-sax. byrs, id. La res-
semblance singulière de ce germanique barta avec l'arabe
burt, hache, provient de ce que la rac. bar existe également
dans les langues sémitiques, où l'on trouve l'héb. bârâ, bârâh,
bârash, bârath, cecidit, secuit, en arabe baraya, barata, d'où
burt, hache. On est surpris de voir reparaître ce nom dans le
tchouvache borta, hache, que les autres dialectes turcs possè-
dent aussi sous la forme de balta. Cf. arabe balt, qui coupe, de
balata = barata. Et par une nouvelle singularité, ce balta
rappelle le scand. byllda, bûllda, hache, à côté de byla, id. Il y
a là une complication de rapports, sans doute en partie for-
tuits, et que je ne me charge pas de débrouiller.
Le scand. byla, hache, conduit à une autre série de termes
non moins pleine d'incertitudes. Une racine bil, peut-être
= zend bere, se montre dans le persan Ml, bîlah, pic-hoyau,
pelle, rame, etc. Cf. baylam, foret = bayram, foret et hache.
Le Dhâtup. sanscrit donne aussi bhil ou bil, findere, qui ne
semble être qu'une forme secondaire de bldd. Mais où faut-il
placer le scand. bila, frangere, anc. allem. pillôn, dans durah-
pillôn, terebrare? ainsi que le scand. bîlldr, scalpellum, l'ang.-
sax. bil, ensis, hvi-bill, bipennis, anc. ail. pill, ensis, uuidu-bil,
runcina, le scand. bilaeti, ags. bilidh, anc. allem. piladi, statua,
forma, c'est-à-dire image taillée? Ce qui est certain, c'est qu'il
— 175 —
faut en séparer l'allem. beil, hache, qui provient de l'ancien
Mal, bihal, dont l'origine est tout autre,1 et qui semble avoir
passé dans l'irl. Mail, le cymr. bwyell et l'armor. bouchai, bo-
chal, hache.
Je laisse à de plus habiles la tâche de porter la lumière dans
ce chaos.
4) Le persan talaivsah, petite hache, ainsi que talah, talî,
pierre à aiguiser, se rattachent peut-être à la même origine,
d'ailleurs incertaine, que le sansc. talirna, couteau de chasse,
épée ;2 cf. tala, surface plane.
On peut, sans invraisemblance, comparer l'irl. tâl, erse tàl,
tàlag, hache,3 armor. taladur, doloire, ainsi que le verbe irl.
tallaim, tailler, et le lat. tâlea, taille, greffe.
5) Au persan tabar, tawar, hache, boukhare tawar, kourde
teper,^ armén. dabar, correspond évidemment l'ancien slave
et russe toporû, polon. topor, boh. topor, etc.; mais l'origine
première est douteuse. Le persan a pu désigner l'outil qui
perce ou qui frappe, si l'on compare tabîdan, percer, forer,
tapak, martinet, taprah, timbale, tapânéah, coup. D'un autre
côté, le slave toporïï semble se rattacher à tepsti (tepâ), per-
cutere, en russe topatï, battre, et tiapatï, tiapnutï, tailler, ha-
cher, polon. tapac, tupaê, frapper du pied, etc., lesquels, comme
le sanscrit tup, tv7TTûo, taper, etc., sont sans doute des ono-
matopées. Cependant une transmission du persan au slave,
ou vice versa (?) , n'aurait rien d'improbable pour un instru-
1 Suivant Benfey (Gr. Wl., II, 175), bi-hal, comme bi-pennis, fei=
scr. dvi, deux, et hal = scr. cala, lance, etc.
2 Cf. talawâri, épée, en armén. talabr, en tirhaï tarwâli, en siah-
pôsh tawali, etc.
3 Mais cf. la note ci-dessus, p. 172.
4 Dans les Vocab. Catharinœ.
— 176 —
ment comme la hache, qui a dû servir très-anciennement de
moyen d'échange, et le chaldéen thbar, arabe tabara, fregit,
pourrait suggérer une origine sémitique. Le tchérémis tubar,
tovar, et le lamoute tobar, hache, sont-ils venus du persan ou
du slave ?
6) Le pers. sikiz, espèce de hache de charpentier, semble-
rait au premier abord devoir se rattacher à la même racine que
le latin securis, et l'anc. slave sekyra, seéivo, hache, polonais
siekiera, id., siekacz, tranchet, etc.; savoir, d'une part seco, et
de l'autre seshti (sekà), couper. Mais cette racine, d'où déri-
vent en Europe les noms de plusieurs outils tranchants,1 ne se
retrouve ni en persan, ni en sanscrit ; 2 et, comme Y s initiale
persane ne répond pas dans la règle à Y s primitive, qui devient
A, il faut, je crois, rapporter sikiz, hache, ainsi que sikanah,
sikînah, foret, à la racine sémitique sakka, déjà mentionnée à
l'article du soc. Quant à un rapport d'affinité possible entre
ce sakka et seco, etc., c'est une question qui reste obscure,
comme toutes celles qui concernent les origines communes
des Sémites et des Aryas.
7) J'ajoute encore ici un groupe purement européen des
noms de la hache, qui doit être en tout cas fort ancien, et qui
se lie à la même rac. ak, aksh, que le n° 3 de la herse. Le grec
d^lvyj; hache, en effet, ne diffère pas essentiellement de o^ivct,
herse. Le latin ascia n'est probablement qu'une inversion de
1 Lat. secula etsicilis, faux, d'où l'ags. sicel, anc. allem. sihhila,
id., et l'irl. seical, séran ; cf. cymr. hicel, serpe, et hoc, id., scandin.
sigd, faucille, anc. allem. segansa, faux, etc. Lat. serra, scie, ags. et
anc. ail. saga, etc. Ancien allem. seh, coutre, etsahs, couteau, ags.
seax, etc.
2 Fick (400) admet une racine européenne 's ak, couper, en compa-
rant le zend skâ, couper = scr. châ et khâ (p. 206).
— 177 —
acsia.1 Dans les langues germaniques, nous trouvons le goth.
aqvizi, anc. sax. acus, ags. acas, aex, eax, scand. ôx, ôxi (gén.
axar), anc. ail. achus, akus, akis, etc., où cependant la gut-
turale n'a pas subi le changement régulier en h. En lithuanien
enfin, jekszis, jeksztis, qui ne semble pas provenir du germa-
nique.2
Aucun nom oriental de la hache n'est comparable, mais on
peut en rapprocher peut-être le persan âkus, qui désigne un
ciseau de maçon. Le sanscr. agis, crochet du serpent, de aç,
pénétrer, offre aussi une formation très-analogue au gothique
aqvizi, etc.
J'ai réuni, pour la hache, à cause de son importance, tout
ce qui m'a paru offrir des indices d'affinité ; mais il est à
peine nécessaire d'ajouter que les deux premiers groupes de
noms seuls procèdent avec certitude du temps de l'unité
arienne.
§ 210. LE COUTEAU.
Appliqué, non-seulement au travail des bois, mais à beau-
coup d'autres usages, le couteau figure avec la hache parmi les
premières productions de l'âge de la pierre, et on ne saurait
douter de sa possession par les anciens Aryas, quand bien
même quelques-uns de ses noms n'en fourniraient pas la
preuve. Ce sont les suivants.
i Benfey, Gr. Wl., I, 162.
2 Cf. l'anc. cymr. ochcul, espèce de hache, de och (dans Ducange;
acha, achia, securis) et cul, tenuis (Z.2, 1061).
II 12
— 178 —
1) Scr. kartarî, karttrikâ, couteau et ciseaux, de fort, kart,
scindere.
Zend kareta (Spiegel, Avesta, I, 205); pers. kârd, couteau,
kârdû, ciseaux à tondre ; kourde kârdi, ossète kard.
Lat. culter, cultellus.
Cymr. cyllell (du latin? ou directement de cyllu) pour
cyltu = krt f). Pour l'armor. kountel, et son rapport peut-être
indirect avec le scr. kuntala, kuntalikâ, ainsi que pour les
noms du coutre analogues à culter, cf. p. 120.
2) Scr. krpânî, -nikâ, couteau, ciseaux ; cf. krpâna, glaive,
karpana, espèce de lance, et kalpanî, ciseaux , de klrp, kalp,
parare, facere; cf. kalpana, action de former et de couper.1
Armén. kharp, glaive.
Lat. scalprum, de scalpo. Cf. sculpo.
Irl. sgeilpin, petit couteau ; de sgealpaim, scalpaim, fendre,
couper.2
Ang.-sax. screope, scalprum, strigil, de screopan, scalpere.
Cf. sceorfan, concidere minutatim, anc. ail. screfôn, incidere,
scurfjan, rescindere, etc.,3 et le lith. kirpti ( kerpu ), couper,
tondre.
Russe kliapikUy couteau de cordonnier, tranchet.
Le roseau, en latin scirptts, anc. ail. sciluf, mod. schilf, aura
reçu son nom de sa feuille tranchante, et semblable à un cou-
teau.
Ici, comme dans d'autres cas, la différence des suffixes pro-
1 Cf. le siahpôsh kolba, charrue ; en aymak de l'Afghanistan kulpa
(Gabellenz, D. Morg. Ges.,xx, 330).
2 Cf. irl. f cerp, coupure ou tranchant (O'Dav., Gl., 63, et Stokes,
Rem.\ 10).
8 Grimm admet une racine perdue scerf, scarf, scurf (Deut. Gr.,
II, 62). Delà aussi l'anc. ail. scarf}o,gs. scearp, acer, acutus.
— 179 —
près aux diverses langues n'empêche pas d'admettre comme
très-probable l'existence d'un nom primitif du couteau dérivé
de la rac. karp, kalp, ou skarp, shalp.
3) Scr. kshura, m., rasoir, kshâurî, f., id., kshurikâ, petit
rasoir ; kshuradhârâ, outil tranchant comme un rasoir ; kshu-
rapavi, adj., à tranchant acéré ; kshurapra, espèce de flèche
semblable à un rasoir. De là kshurin, kshâurika, barbier,
kshâura, action de raser, de tondre, etc. Cf. kshurî, éhurî,
khurâ, couteau, poignard. Suivant D. P., la racine est peut-
être kshar, glisser. Le kshur, couper, creuser, rayer, du
Dhâtup., serait inféré de kshur a. Mais cf. aussi chur, rayer,
inciser (D. P.), et khur, couper (Dhâtup.).1
Armén. sur, couteau, épée ; pers. sûrî, espèce de flèche ou
de javelot (Cf. kshurapra); kourde shûr, couteau.
Grec %v(>6ç, -pov, rasoir, jgjçtov, petit rasoir, %uç*iK9jç, tran-
chant comme un rasoir, ^oS^iw;, -JImwj, boîte à rasoirs, comme
en sanscrit kshuradhâna, kshurabhânda, et peut-être *kshura-
dhâkâ. De là ^uçclco, -ptc*), raser, tondre, etc.
En Europe, ce mot ne semble se retrouver d'ailleurs, chose
singulière, que dans surin ou chourin, couteau, terme d'argot
en France, d'où chouriner, assassiner à coups de couteau, chou-
rineur, assassin (Voy. les Mystères de Paris, de Sue). Ces mots
seraient-ils provenus peut-être de quelque dialecte des Zin-
ganis ou Bohémiens, originaires de l'Inde, comme on le sait,
et qui en ont fourni d'autres encore à l'argot des malfai-
teurs? 2
1 Cf. la racine germanique scer, scar, scur, couper, tondre, d'où
l'ags. scear, anc. ail. scar, scaro, soc, scar a, scera, ciseaux, et peut-
être l'ags. et ancien allem. scur, hache, s'il ne provient pas du latin
securis.
2 De la parfaite concordance du kshur a, déjà védique, avec £upoç,
180 —
§ 211. LA TARIÈRE.
Les instruments à percer le bois exigent l'emploi du métal
plus que les outils taillants, parce qu'ils doivent réunir une
grande solidité à une forme plus ou moins déliée. Aussi sont-
ils l'indice d'une industrie assez avancée, et je ne crois pas
déjà dans Homère {IL, x, 174), on peut conclure que les anciens
Aryas se rasaient la barbe, soin qui indique un certain degré de cul-
ture. On sait, d'après Diodore (v, 28), que les chefs gaulois se rasaient,
en ne conservant, comme signe distinctif, que de longues moustaches.
Ce fait s'est confirmé par la découverte de nombreux rasoirs en bronze
dans les tumulus de la Gaule, des sources du Rhône aux embou-
chures du Rhin. On en a recueilli près de quatre-vingts. Dans le voi-
sinage de Bologne aussi, au cimetière de Villanova, on a trouvé
douze rasoirs qui, d'après le comte Gozzadini, doivent dater de sept
ou huit siècles avant notre ère. Une quarantaine d'autres ont été
recueillis dans l'Italie supérieure (Cf. Mém. des Antiq. de France,
t. 34, p. 319, sqq.).
Le nom gaulois du rasoir ou du couteau ne nous est pas parvenu.
Mais, comme en gaulois, un x primitif se change parfois en s, ss, de
même qu'en irlandais et dans les langues iraniennes (Cf. les noms
propres des inscriptions gallo-romaines Andoxus et Andossus, Texia
et Tessia, Excingus et Escingus, Maxia et Masia, Moxus et Mo-
sus, etc., etc.), on peut conjecturer que le nom d'homme éduen Surus
(Ces., 8, 45), Surus Tribocus (Orel., 2728), fréquent aussi dans
Gruter, se rattache à kshura. Un Surinus Vindelicus (Steiner, 2619,
Ratisb.) rappelle singulièrement le sanscrit kshurin, barbier, et surin,
couteau de l'argot. Barbier et Couteau sont des noms propres très-
communs en France.
A la suite des outils tranchants, il faut mentionner un ancien
nom de la pierre à aiguiser, le scr. çâna, de çâ (ci), aiguiser, d'où
gâta, cita, tranchant. Cf. zend çâ, couper, détruire, çâna, destruction.
C'est le persan sân, shân, ap-sân, af-sân, fa-sân, etc. En Europe, le
corrélatif se trouve dans le scand. hein, angs. haen, angl. hone. A la
même racine appartient le lat. côs, côtis, et aussi catus, rusé, adroit,
proprement acéré. Cf. Aufrecht (Z. S., I, 363, 472) qui en rapproche
également le scand. hvatr, hvass, acutus, etc.
— 181 —
que l'âge de la pierre en ait fourni autre chose que de très-
grossiers échantillons.
1 ) Un seul des noms de la tarière en Orient présente
quelque analogie avec ceux de plusieurs langues européennes.
C'est le persan barma, bayram, baylam, bîrah, de la rac. zend
bere, bar, couper, déjà mentionnée aux articles de la herse et
de la hache. Cf. lat. foro, d'où notre foret. L'anc. allem. bor,
pora, se rattache de même à porôn, ags. borian, scand. bora,
terebrare. L'irl.-erse bàireal et le russe burâvu, foret, d'où
buravitï, percer, forer, dont les suffixes diffèrent, ne provien-
nent sûrement pas du germanique. Il y a donc là, très-pro-
bablement, un ancien nom de l'outil, qui s'est modifié de plu-
sieurs manières.
2) Cela est plus incertain pour un autre groupe de termes
purement européens, quoique leur racine soit arienne dans le
sens général. Le grec Ttpîrpov j latin terebra ; irland. tarathar
(Corm., Gl., 161), tarar, tarachair, toramh ( O'R. ), erse
tora ; cymr. f tarater (Z.2, 1061), moy. taradyr(Leg.,I, 82),
mod. taradr, armor. tarar, talar ; alban. turjéle, ainsi que
notre tarière, etc., se rattachent tous à la rac. tr, tar, traji-
cere, gr. riipcù, Tpecû, lat. tero, etc. Au grec Tiûirpov, cymr.
taradr, répond exactement le sansc. taritra, qui, toutefois, ne
désigne pas le foret, mais le bateau qui traverse les eaux.1
§ 212. OBSERVATIONS SUR D'AUTRES OUTILS.
Les trois instruments qui précèdent sont les seuls dont les
anciens noms se soient partiellement transmis jusqu'à nous ;
mais cela ne prouve pas que d'autres encore n'aient pu être
» Cf. encore taratrum, vox gallica, d'après Isidore.
— 182 —
en usage au temps de l'unité. Il est difficile de croire que, ré-
duits à des moyens aussi limités, les anciens Aryas eussent
pu fabriquer des chars, et surtout des roues, et la scie^ en par-
ticulier, ne doit pas leur avoir été connue. Si nous possédions
une nomenclature orientale plus complète des outils de menui-
serie, il est probable qu'il se révélerait de nouvelles analogies
avec les langues européennes. Quelques faits isolés tendent à
appuyer cette conjecture.
Ainsi, nous trouvons en sanscrit une racine lue, luné, evel-
lere (to eut, to pare, to peel, Wilson), d'où luncita, coupé,
pelé, luncana, action d'arracher, etc.; cf. anc. slave lâciti,
sejungere, separare ; mais on n'en voit dériver aucun nom
d'outil tranchant, comme on aurait pu s'y attendre. Par contre,
le grec pvacLvyj, rabot, a perdu sa racine pv x, = lue, tandis que
le lat. runcina, id., l'a conservée dans runco = luné. Ceci
peut déjà faire présumer l'existence d'un ancien nom de
l'outil à planer, et cette présomption se fortifie quand nous
trouvons, pour le rabot, l'irl. locar, erse locair ( de loncar, à
cause du e non aspiré), d'où le dénominatif locaraim, raboter,
planer, dont la racine loe, lonc = luné, a disparu comme en
grec.
Un second ^exemple se présente dans le pers. rand, randah,
rabot, doloire, racloir, râteau, de randidan, planer, polir, cou-
per, racler, scier. Ce verbe correspond au scr. rad, findere,
fodere, mais on n'en voit provenir que rada, radana, la dent
qui creuse et divise. Le latin possède aussi cette racine sous
la double forme derâdo, gratter, polir, planer, et de rôdo, ron-
ger, et de la première viennent ràdula, rallum, racloir, et
rastrum, râteau. D'un autre côté, l'irl. rodhbh, rudhbh, scie,
dont la racine manque, se lie certainement au même groupe,
et rappelle rada, dent.
— 183 —
On peut croire, d'après cela, que les anciens Aryas ont
rattaché aux racines ruk, runk, et rccd, rand, les noms de
quelque outil à planer les bois, et peut-être celui de la scie
dentelée.
SECTION III.
§ 213. LE TRAVAIL DES MÉTAUX.
Nous avons vu (t. I, p. 218 et suiv.) qu'au temps de l'unité
arienne on connaissait déjà la plupart des métaux usuels ;
mais il est plus difficile de savoir jusqu'à quel point on avait
porté l'art de la métallurgie, surtout pour le fer, dont l'em-
ploi est resté inconnu à plusieurs peuples d'une industrie
d'ailleurs très-avancée. Les métaux fusibles et ductiles auront
été, comme de raison, les premiers mis en œuvre, l'or et l'ar-
gent pour les bijoux et les ornements, le cuivre et l'airain pour
les outils tranchants, les armes et les vases à cuire. Malheu-
reusement les anciens noms de ces divers objets ne nous
apprennent guère de quelle matière ils étaient faits, et il ne
nous reste, pour nous éclairer sur cette question, que l'exa-
men des termes qui se rapportent au travail des métaux, aux
opérations du fondeur et du forgeron, ainsi qu'aux outils in-
dispensables pour la métallurgie.
§ 214. LA FUSION.
1) Pour exprimer l'action de fondre, le sanscrit emploie
la rac. ri} lî, solvere, liquefare ; d'où rîna, lîna, liquéfié, rîti,
flux, laya, fusion, etc. La forme secondaire lî se retrouve dans
— 184 —
les langues lith.-slaves, et l'irlandais, avec des applications
spéciales à la fusion des métaux. Ainsi :
Ane. si. liti, liiati, russe litï, fondre, couler, verser, litié,
liianie, fonte, litetsu, fondeur, liialo, moule, loi, chose fondue,
slitoku, lingot; illvr. u-liti, sliti, fondre; pol. lac (leië), id.,
lanie, fonte, lity, fondu massif, etc.
Lithuan. lëti, causât, lydyti, fondre , lëtas, métal fondu,
lêjëjas, lëtojis, lydytojis, fondeur, lëtuive, creuset, lëjimas,
fonte.
Irland. leaghaim = scr. layâmi,]^ fonds, leaghadh, fusion,1
leaghthoir, leaghadôir, fondeur, etc.
2) Au gr. fA,i\iïûù, fondre, liquéfier, répond le goth. maltjan,
l'ang.-sax. meltan, smeltan, scand. melta, smelta, anc. allem.
smelzan (transit, et intrans. ), etc. La racine sansc. corrélative
est mrd, avec le sens analogue de conterere, comminuere. Cf.
mardana, dans himamardana, fonte de neige (D. P).
3) Les termes comparés ci-dessus n'ont pas, en sanscrit,
une signification assez spéciale pour donner la preuve de leur
application à l'ancienne métallurgie, bien que cette application
soit très-probable. Le rapprochement suivant serait plus con-
cluant s'il était moins hypothétique, faute d'intermédiaires.
Le scr. sandhânî, fonderie et distillation, est dérivé dans
Wilson de sam -f- dhâ, componere, comme sandhâna, combi-
naison, mélange, ce qui ne donne pas un sens bien satisfai-
sant, et il vaudrait peut-être mieux recourir à la rac. dhan =
dhanv, dans l'acception de faire couler (D. P.), mais avec sam,
faire couler ensemble, c'est-à-dire fondre. En cymrique, en
effet, nous trouvons dyne, fonte, fusion, d'où dynëu, gorddy-
1 Cf. f legad, dissolutio (Z.?, 625).
— 185 —
nëu (gor préf. intens.), fondre, aussi dinëu, puis dinëwr, fon-
deur, dyneudy, fonderie (ty, maison ), etc., termes qui se rat-
tachent mieux à dhan qu'à dhâ.
Ce dyn cymr. reparaît encore, ce semble, dans odyn, four,
fournaise, odyn-dy, fonderie, forge, et ici se présente une se-
conde analogie remarquable avec le scr. uddhâna, four, peut-
être de ud -f- dhan qui signifierait effundere. Ce dernier rap-
prochement, toutefois, serait illusoire si, comme le présume le
D. P., la forme véritable du mot sanscrit était uddhmâna, de
dhmâ,ûare. Cf. russe damna, fournaise, et p. 189.
§ 215. LA FORGE ET LE FORGERON.
L'action de forger s'exprime, dans les langues ariennes,
par des verbes divers, lesquels se rattachent à quelque no-
tion plus générale, comme faire, former, fabriquer, frapper,
battre.
1) La rac. kr, kar, facere, paraît avoir été en usage, dès
les temps les plus anciens, avec cette acception plus spéciale,
comme si forger était l'œuvre par excellence. De là les noms
sanscrits du forgeron, kârmara ou kârmara, de karman, œu-
vre, c'est-à-dire l'ouvrier, l'artisan, et karmakâra, littéral,
celui qui fait l'œuvre; cf. plus haut l'article du métier en
général.
La même application se montre dans le pers. kurali ou kû-
rali, forge, proprement atelier, fabrique, de kardan, faire.
En irlandais, le nom de l'artisan cerd, cert, céard, de cea-
raim, faire, désigne plus particulièrement le forgeron , et la
forge est appelée céardach.1
1 Ane. irl. cerd, cert, aerarius ; cerddchœ, officina (Z.2, 70).
— 186 —
Enfin comme, en sanscrit déjà, kar devient kal, on peut y
rattacher le lithuan. kdlti, forger, d'où kâlwe, forge, kahvis,
forgeron, et le kalys des composés aukskalys, orfèvre, anglais
goldsmith, sidabrokalys , angl. silversmith, etc., composés tout
semblables à ceux du sanscrit avec kâra et du persan avec
kar7gar (Cf. p. 166).1
2) Les langues slaves ont pour forger un verbe particulier,
anc. si. konti (kova) ou kovati (kuiâ\ o-kovati, po-kovati, d'où
kovacîj kouzriîtsï, forgeron, kovalînitsa, forge, na-kovalo, en-
clume; en russe kovàtï, forger, kovalnia, forge, kovâlo, mar-
teau, kévka, ferrure, etc., dont les analogues se retrouvent dans
tous les dialectes slaves. Cf. litb. faijis, marteau, et kujininkas,
forgeron.
Miklosich (Rad. slov.y p. 41, et D. si.) compare la rac. scr.
ku, kûy sonare, mais cette racine exprime plus spécialement le
son de la voix, vociferari, gemere, etc., ce qui ne convient pas
au bruit du marteau qui forge. Il est plus probable que le verbe
slave signifie proprement battre, frapper. Cf. lithuanien
kauti, kowiti, combattre, kaioà, kowà, combat; ainsi que l'an-
glo-saxon heawan, secare, fodere, ancien allemand hauwan,
hauan, concidere, dolare, d'où hauwa, fossorium, notre
houe, etc.2 Or, ces diverses significations se réunissent dans
le pers. kawîstan, kuwîstan, frapper, kuwîst, percussion, coup,
et kâwîdan, combattre , creuser, labourer, etc., dont la racine
ku, kaw, est ainsi le vrai corrélatif du slave et du ger-
manique. Cette racine semble avoir eu, en persan même,
le sens plus spécial de forger, à en juger par le nom propre
Kdivahj celui du forgeron de la tradition qui leva l'étendard de
1 Sur cette racine kal, cf. les vues différentes de Fick (Z. S.,
20, 356).
8 Cf. siahpôsh cavi, hache.
— 187 —
la révolte contre le tyran Zôhak, ainsi que le raconte le Shah-
nameh.
3) Parmi les noms du forgeron, il en est un qui donne lieu
à un rapprochement curieux et difficilement illusoire. C'est
le persan gâwbân, qui désigne à la fois le forgeron et le pâtre,
mais, étymologiquement parlant, le dernier seulement ( Cf.
p. 12), et qui offre un rapport frappant avec l'ancien irland.
goban ou goba, génit. gobann, goband, irland. moy. gabann^
moderne gobha, gabha, erse gobha, gobhann , cymr. gof, gof an,
gofant, armor. gof, gôv, corn, gof, partout forgeron exclusi-
vement.
Zeuss (1. cit., 37, 90, 138) compare le nom gaulois Goban-
nitio ou Gobanitio ( Ces., vu, 4 ), et Gluck y ajoute Goban-
nicno, corrigé du Gobannilno de Muratori (Insc, 1384, 4),2
le Gobannium britannique deYItin. Antonini, le nom d'homme
cymrique Gouannon = Gobanton, et irlandais Gobanus
(Acta SS. Aug., I, 349).3 J'y joins de plus le Gobban des
Annal. InnisfaL, p. 13, et le Gobnenn des Annal. Tighern.,
p. 136. La comparaison de ces formes diverses suggère plu-
sieurs observations.
En premier lieu, il paraît singulier que dans l'irlandais an-
cien et moyen le b ne soit pas aspiré entre les deux voyelles,
suivant la règle constante, puisque le gaulois n'indique aucune
autre consonne supprimée avant ou après le b. Cette anomalie
s'expliquerait peut-être en admettant, d'après l'analogie du
persan gâwbân, un thème plus ancien gobban, qui se trouve en
effet dans les Ann. Innisfal. (vid. sup.), et où gob, pour gov,
i Z.2, p. 37; Stokes, Ir. Glos., n<> 369.
2 C'est-à-dire fils de Gobannus. Pour cnos, fils, voy. mon Essai sur
quelques inscriptions gauloises, p. 39, et Nouv. Essai, p. 38.
3 Gluck, Dieheltischen Namen bei Cœsar, p. 107.
— 188 —
représenterait le pers. gâw = sansc. gava pour go, vache, au
commencement des composés. Le gaul. go, ou serait déjà con-
tracté de gov, ou répondrait directement au gô du synonyme
pers. gôpân}
La réduplication de Yn, que confirment les formes gauloises,
semble s'opposer à une comparaison immédiate avec le persan
ban ou pan, gardien, chef, qui, de même que le slave panû,
dérive de la racine pâ, tueri, par le suffixe na (Cf. p. 11). Il
est probable, en effet, que le thème celtique primitif a été
gobant, affaibli de gopant ( Cf. la variante irland. goband et le
cymr. gofant). D'après cela, il faudrait voir dsoispant un par-
ticipe présent de la rac. pâ, en scr. pânt, et les noms persans
et celtiques, sans être identiques, seraient composés des mêmes
éléments.
Enfin, la forme cymrique plus simple gof peut se rattacher
au nom sanscrit du pâtre, gôpa.
Reste la question principale : comment se fait-il que le nom
primitif du gardien des vaches soit devenu celui du forgeron
chez les Persans et les Celtes ? On sait que les bergers, livrés
aux loisirs d'une vie solitaire, s'adonnent volontiers à la re-
cherche et à la pratique de quelques industries secrètes, de
procédés mystérieux de sorcellerie, de médecine, etc. Or,
l'ancienne métallurgie était une de ces industries pleines de
mystères, et les forgerons passaient pour des sorciers chez
les anciens Irlandais comme chez les Scandinaves.2 D'après
le double sens du persan gâwbân, on voit que les bergers de-
1 II faut observer que, dans l'ancien irlandais, l'aspiration du b
n'est souvent pas indiquée, et doit être suppléée quand on la trouve
rétablie dans l'irlandais moyen et moderne, ce qui dispenserait de
l'explication proposée.
2 Saint Patrice invoque des secours divers contre les incantations
des femmes, des forgerons et des Druides (Stokes, Ir. Glos., p. 70).
— 189 —
vaient exercer le métier de forgerons, et l'analogie du celtique
semble faire remonter cette coutume jusqu'aux temps les plus
anciens. C'est là ce qui donne à ce rapprochement un intérêt
particulier.
Je dois ajouter que Z.2 (p. 37 ) et avec lui Stokes ( 1. cit. )
présument un rapport étymologique entre goba et le latin
faber; mais si ce dernier, ipour fagbery dérive defacio, ce qui
est très-probable, je ne vois aucun moyen de ramener ces
termes à une même origine.
§ 216. LE SOUFFLET.
La nécessité de produire un calorique intense, soit pour
fondre les métaux, soit pour ramollir le fer, a dû conduire de
bonne heure à l'invention du soufflet, et on le trouve en usage,
de temps immémorial, chez les peuples les plus divers. Toute-
fois ses noms ariens ne donnent lieu qu'à un petit nombre de
comparaisons, parce qu'ici, comme en général pour les objets
dont le rôle est bien caractérisé, les langues ont remplacé in-
cessamment les termes anciens par des mots clairement signi-
ficatifs, comme le gr. fyùTrvçov, qui vivifie le feu, l'allem. blase-
balg, sac à souffler, le cymr. chwythbren, bois à vent, notre
soufflet, etc.
1) Un des noms primitifs de cet utile instrument se ratta-
chait sans doute à la rac. dhmâ (dhain), flare, d'où le sanscrit
âdhmâna, soufflet, et dhamaka, dhmâkâra, forgeron, littéral,
souffleur. Cf. dhama, dhma, en composition, qui souffle, dha-
mana, id.; dhmâtar, souffleur et fondeur, etc. De même, en
persan, dam, damah, soufflet, et dam-gâh, lieu à soufflet, pour
— 190 —
forge, de damîdan, souffler. Cf. siahpôsh dama, vent, ossète
dimgh, demgah, id.
De la forme causative dhmâpay vient le scr. âdhmâpanâ,
soufflet. Cette forme paraît se retrouver dans le lith. dumpti,
(dwnpja), souffler le feu, et, plus spécialement, faire aller le
soufflet, dumple ou dumpptmve. Il est fort probable que les
Slaves ont eu aussi quelque nom analogue du soufflet, rem-
placé plus tard par miechu, car Fane. si. a conservé la racine
dham dans dâti, au présent dûmà, flo, d'où dwneniie, inflatio;
cf. russe dmitï, enfler, dménie, enflure, damna, fournaise, pol.
dâc (dîne), souffler, dménie, souffle, dma, vent d'orage, et
dmuchawka, tube à souffler.
Pott (Et. F., I, 187) y rattache aussi le gr. (T^ûoç, o'f&uvf},
coup de vent, avec c pour ô devant m. On peut en signaler
encore d'autres traces dans les langues congénères, mais sans
aucun nom du soufflet.
2) Au scr. bhastrâ, -trî, -trakâ, -trikâ, soufflet et outre, sac,
répond, sauf la voyelle radicale, le gr. (pvcrviTYip, aussi (pv<rct,,
soufflet et souffle, vent, d'où <Q\)<tùloù, souffler.1 La variation
de la voyelle n'a pas ici d'importance, parce qu'il s'agit d'une
racine imitative qui a dû être également bha8f bhus ou bhis.
Dans les langues germaniques, en effet, nous trouvons le
scand. basa, suffocare, anniti, bisa, summo nixu moliri, bastl,
rudis labor, dont le sens propre est souffler fortement, ce que
confirme l'anc. allem. bîsa, pîsa, le vent du nord, la bise. Ici
probablement aussi l'ang.-sax. bôsum, bôsm, anc. ail. bôsam,
mod. busen, la poitrine qui souffle et respire. Je crois de plus que
l'anc. ail. bôsi, ineptus, inanis, vanus, signifie proprement enflé,
1 Cf. Curtius {Gr. Et.3, 463) qui rattache <&So-«, etc., à une racine
hypothétique spu. Bugge (Z. S., 19, 442) compare le scand. bysia,
effluere, suéd. busa, souffler avec force, ainsi peut-être que fis-tula.
— 191 —
vide, comme le lat. vdnus se rattache à va, flare. Enfin, les
langues celtiques nous offrent l'irl. bôsd, cymr. bosd, vanterie,
proprement inflatio, d'où peut-être l'ang. boast, qui manque à
l'ang.-saxon ; cf. irl.bos (de bostf), vil, abject, comme l'anc. ail.
bôsi, et bosân (de bossdn, bostdn?), bourse. En scr. bhastrikâ
désigne aussi une outre gonflée pour servir de flotteur. Il ne
s'y trouve pas de racine bhas avec le sens de souffler, mais
bhash, latrare, a une affinité peu douteuse.
3) Le soufflet n'a consisté d'abord qu'en une outre gonflée
que l'on pressait. Aussi le pers. mâsah, soufflet de forge (Cf.
mas, amas, enflure, tumeur), se lie-t-il sûrement au scr. ma-
çaka, outre de cuir à tenir l'eau, d'une origine d'ailleurs incer-
taine.
Les deux significations se réunissent dans les langues
slaves ; anc. slave mechu, outre, mèshïtï, poche, russe miechû,
polonais miech, bohém. mech, illyr. mjesiniza, outre et souf-
flet ; russe mieshokû, polon. mieszek, illyr. mascja, sac, poche.
Cf. lith. mdszas, maiszas , grand sac, maiszélis, poche, mdszna,
bourse.
Il en est de même en celtique où, à l'irl. miach, sac, corres-
pond le cymr. et armor. megin (de mekin), soufflet.1
En fait de rapports analogues, je citerai encore l'irl. bolg,
builg, soufflet et outre, l'anc. gaulois bulgap le scand. belgr,
soufflet, ags. blaest-belg, anc. allem. plâspalg, id., goth. balgs,
sac, etc. ; ainsi que le latin follis , soufflet et outre = grec
ôvAXiç, etc.
1 Bugge (Z. S., 20, 4) ramène avec beaucoup de probabilité ces
noms du soufflet au sansc. mêsha (= maisa), bélier, mouton, et aussi
la peau de l'animal et les objets que l'on en faisait. Le D. P. compare
également le slave mechu et le lith. maiszas.
2 Bulgas Galii sacculos scorteos vocant (Festus).
192
§ 217. L'ENCLUME.
Plusieurs des noms de l'enclume, dans les diverses langues
ariennes, dérivent naturellement de verbes qui signifient frap-
per ou forger. Ainsi le lat. incus, -udis, de cudo , l'anc. allem.
anapôz, de pôzjan, tundere, l'anc. slave nakovalo, de kovati,
forger, le lith. prekalas de kàlti, id., l'irl. ingeoin (Voy. plus
loin au marteau), etc. Tous ces termes sont, comme de raison,
des formations secondaires. Parmi les autres, je n'en connais
pas qui soient directement comparables, mais quelques-uns
nous permettent de reconnaître ce qu'était l'enclume aux
temps primitifs.
Le plus important est le gr. ctx,f/,a)V, -ovoç, enclume, dont le
corrélatif sanscrit, açman, signifie pierre, rocher, ce qui mon-
tre que l'ancienne enclume ne consistait qu'en une grosse
pierre.1
Le sanscr. sthûnâ, enclume, et pilier de maison, dérive de
sthâ, stare, et exprime la stabilité, la solidité. Le sens de pierre
lui est étranger ; mais le goth. stains, ags. stân, scand. stên,
anc. allemand stein, ainsi que l'illyr. stena, rocher, et le grec
arleb, crriov, pierre, proviennent sans doute de la même ra-
cine. Pour la variation de la voyelle, cf. sanscr. sthira, ferme,
solide. Le scand. stedi (enclume, cf. stedia), firmare, est radi-
calement allié à sthûnâ.
Le pers. sindâr, enclume, aussi sindân, sandah, kourde
1 Chez les anciens Germains, le marteau était aussi de pierre,
comme l'indique le scand. hamar qui réunit encore les deux sens; cf.
ags. hamor, anc. ail. hamar, etc., le marteau seulement. Ce nom
correspond au sansc. açmara, lapideus, de açman, par la même in-
version qui se remarque dans le slave kamenï, pierre, pour akmenï.
— 193 —
sanddn, désigne également une grosse pierre ; et ce double
sens reparaît dans l'erse innean, incus et rupes, saxetum,
d'après le Dictionnaire d'Edimbourg.
Ainsi, de plusieurs côtés, les indications convergent vers le
même résultat. Il est évident d'ailleurs qu'aux temps anciens,
alors que le cuivre et le fer étaient encore rares et précieux,
on ne pouvait guère songer à se donner le luxe d'enclumes
métalliques. Les populations de l'Afrique orientale, qui savent
depuis longtemps fondre et travailler le fer, ne se servent en-
core maintenant que d'une pierre pour enclume. l
§ 218. LE MARTEAU.
Pour cet outil simple et primitif, les analogies linguistiques
sont plus multipliées qu'étendues, et il semble avoir eu de
très-bonne heure plusieurs synonymes.
1) Sanscr. ghana, arme semblable à un marteau, massue,
masse, comme adj. dense, dur, ferme ; vighana, marteau,
maillet, udghâta, marteau, arme, ayôghana, marteau de fer
(ayas), tous de la rac. han, caedere, avec vi, ud, etc.
Je compare, comme de même origine, l'irl. geannaire, erse
geannair, marteau; mais la formation diffère, ainsi que l'in-
dique, outre le suffixe, la réduplication de Yn. Ce mot, en
effet, dérive immédiatement de geannaim = geangaim, je bats,
je frappe, verbe qui semble répondre à la forme redoublée de
han, gaghan, gaghn, avec transposition de la nasale, geang
pour geagn. Cf. geogna, coup, blessure, avec le scr. gaghni,
' Burton et Speke, Voy. aux grands lacs de l'Afrique orientale,
p. 619.
II 13
— 194 —
gaghnu, qui frappe, tue, et à côté de gen, gain, erse gonag,
blessure, du verbe simple gonaim, je blesse = han.
Ici se rattache également le nom celtique de l'enclume, irl.
ingeoin, inneoin, erse innean, cymr. eingion,1 armor. annéan,
anneô, où in, ein, an, sont sans doute des restes de l'ancien
préfixe gaulois anti, anc. irl. int, ind, devenu plus tard inn et
m.2 Ce composé est ainsi parfaitement analogue au gr. cLvtitv-
7roç, enclume (Hérod., i, 67), c'est-à-dire ce qui est opposé
au marteau.
Le nom celtique du coin (cuneus), en irl.-erse geinn, cymr.
gaing, armor. genn, appartient au même groupe, aussi bien
que ceux de la hache ( p. 173 ), et d'autres encore de quel-
ques armes qui viendront plus tard.
2) Scr. mudgara, marteau, massue, masse. Origine incer-
taine.
Conservé peut-être dans cifAvyiïctAoç, par allusion à la forme
du fruit de l'amandier (Cf. t. I, p. 289).
3) Pers. kôpîn, kôbt7i, kôbân, marteau ; cf. kuftan, battre,
piler, et la rac. sansc. kup, au caus. kôpay, concutere, com-
movere.
Gr. K07rccvoVy tout instrument qui sert à frapper, K07tc6vi^ù)3
battre.
Alban. kopân, maillet.
Cf. KOTTrù), K&7roç> coup, kottiç, couteau, K07rîvç, burin, etc.
4) Pers. tapak, marteau de forge, tûbak, marteau à foulon.
Kourde tupùz, massue.
Gr. TU7TCIÇ, TV7riç, marteau, maillet ; tv7tclvov, tv{A7tclw,
battoir, etc.
1 Cf. f ennian, incudo (Z.2, 1061), cymr. moy. eing on (ibid.).
2 Z.2, 877.
— 195 —
Alban. topus, massue.
Cf. scr. tup, tumpj pulsare, ferire, gr. tv7TTù), ancien slave
tâpiti, obtundere, cymr. tivmpian, frapper, et le n° 5 des
noms de la hache, p. 175.
5) Lat. maliens (pour malteus ?), martulus, marcus, mar-
culus.
Ane. si. mlatû, russe molôtu, pol. mlot, illyr. mlat.
Cymr. mwrthwyl, armor. morzel, probablement du latin.
Scand. miôlnir, le marteau du dieu Thor.
La racine commune est mar, mal, broyer ; cf. p. 154.
6) Gr. Ktorpcti marteau, et espèce d'arme, aussi le mar-
teau, poisson. Cf. xetfTpov, burin.
Irl. casar, casnr, marteau, de castar.
Cf. scr. castra, arme, glaive, de cas, ferire, occidere.
Les, rapprochements qui précèdent sont trop isolés pour
qu'on puisse y reconnaître , avec quelque sûreté, les noms
vraiment primitifs du marteau. Je les ai signalés cependant,
parce qu'une investigation plus complète pourra faire décou-
vrir de nouvelles analogies à l'appui des uns ou des autres.
Comme, après tout, on ne saurait douter que les anciens
Aryas n'aient eu des marteaux, puisqu'ils avaient des haches
et des couteaux, la question purement philologique a peu d'im-
portance.
§ 219. LES TENAILLES.
La variété des termes est ici très-grande, par la môme rai-
son que pour le soufflet, savoir la tendance naturelle des lan-
gues à remplacer par de nouveaux noms significatifs ceux
— 196 —
des objets dont le principal attribut est bien saillant. C'est
ainsi que notre tenaille, de tenir, a pris la place du latin for-
ceps, et que ce dernier, de/om capio, a été sans doute subs-
titué à quelque mot plus ancien. Il en est de même du grec
ÀotS/çj de Àatêû), saisir, du composé 7rvoctypc&, etc. Parmi les
noms d'une origine plus ancienne, et devenue parfois obscure,
je n'en trouve qu'un seul qui semble remonter jusqu'aux
temps primitifs.
En sans'crit, la tenaille est appelée sandança, -aka, de sam
-f- danç, mordere. Cf. (Tvv-^ukvûo ou SctyKccvoù. Le subst. simple
dança, morsure, désigne aussi la dent qui mord, et s'applique-
rait également bien à la tenaille. La racine danc ou daç , gr.
iïc&K, se retrouve en gothique sous la forme régulière tah, tah-
jan, lacerare, (nrctùcnriiv , <TKop7riÇziv, scand. ta, discerpere ;
et à cette racine, ou à sa forme nasale tanh, se rattachent
l'ang.-sax. tanga, scand. tông, anc. ail. zanga, tenaille. 'Le g
est ici un affaiblissement de h, comme dans le goth. tagr,
pour talir, ags. taeher, anc. allem. zahar = Scmcûv, lacryma,
de la même racine dak, pour exprimer l'âcreté mordicante de
la larme.
L'anc. irland. tenchor, forceps, mod. teanchair, n'a aucun
rapport avec le germanique; c'est un composé de ten, tene,
feu, et de cor, main = scr. kara, analogue au gr. 7rvfoKct(ilç
(Stokes, Goidï, 131 ). Cf. f coir, main (O'Dav., GL, 66).
§ 220. LA LIME.
Les noms de la lime, comme ceux de la scie, n'offrent au-
cune analogie à signaler entre l'Orient et l'Occident, et celles
qui se remarquent clans les langues européennes paraissent
— 197 —
résulter de transmissions. Ainsi, le latin lima, de lio, polir, a
passé sans doute dans l'irl.-erse liomhdn, le cymr. llif, et l'ar-
mor. Mm. Au si. pila, lime et scie, répond l'ang.-sax. feola,
anc. aW.fîla, mais il est difficile de savoir auquel appartient la
priorité. Le slave peut dériver de piti, clamare, comme, en
irlandais, la lime est appelée eighe, la criarde, de eighim, crier.
Legr. p/vîfse rattache peut-être au scr. rî (rînâti), rudere.1 La
scie qui grince, Trpicov, vient de même de 7rpico9 7rp(Ça. Cf.
cymr. criaw, armor. kria, crier. En sanscrit, elle est appelée
krakara, litt. qui fait kra.
§ 221. OBSERVATIONS.
Malgré les lacunes que présentent encore les recherches
relatives à la métallurgie, il résulte cependant de leur en-
semble que les anciens Aryas ont su fondre et travailler quel-
ques métaux. A l'égard du fer, toutefois, la comparaison des
langues ne nous apprend rien de décisif, les opérations de la
fonte et de la forge pouvant n'avoir conservé que le cuivre et
le bronze. Les noms mêmes du fer, ainsi que nous l'avons vu
(t. I, p. 188), n'offrent pas de ces affinités générales qui for-
cent la conviction. Weber, il est vrai, dans l'esquisse rapide
qu'il a tracée de l'ancienne civilisation arienne, affirme que
Vépée , la lance, le couteau, la flèche étaient de fer ; 2 mais
j'avoue que j'ai cherché en vain ce qui pourrait justifier une
assertion aussi positive ; je n'ai trouvé que des probabilités. Il
paraît bien certain que les Indiens védiques, ainsi que les Ira-
1 Wilson et Wefstergard. Le D. P. ne donne pas cette racine, mais
seulement râ frayj, aboyer.
2 Hist. de la littér. indienne, trad. franc., p. 10.
— 198 —
niens, à peu près contemporains, savaient travailler le fer ; 1
mais comme, dans leurs langues respectives, ayas et ayanh, le
la t. œs, désignent aussi le bronze, on reste en doute sur la va-
leur primitive de ce nom. L'emploi de ce dernier métal pré-
dominait chez les Grecs du temps d'Homère, et semble avoir
précédé celui du fer chez les peuples du nord de l'Europe.
Toutefois, comme je l'ai observé ailleurs (t. I, p. 220), il n'y
aurait rien d'improbable à ce que ces peuples, à la suite de
leurs longues pérégrinations, eussent perdu de vue l'usage du
fer, pour y revenir graduellement plus tard.
En définitive, cette question n'a pas beaucoup d'importance
pour celle du développement de l'industrie des Aryas. Plu-
sieurs peuples, tels que les Mexicains, les Péruviens, et sur-
tout les Egyptiens, sont arrivés, sans connaître le fer, à une
industrie très-avancée, et, d'un autre côté, les tribus afri-
caines qui travaillent fort bien par des procédés très-primitifs,
sont cependant restées dans la barbarie.2 La possession de ce
métal a pu dépendre en bonne partie de l'état naturel où il
se rencontre, ou résulter de quelque observation fortuite plu-
tôt que d'une recherche raisonnée. On ne saurait douter que
les anciens Aryas n'aient eu des instruments tranchants de
plusieurs sortes, ainsi que des armes en métal : c'est là l'es-
sentiel. Qu'ils y aient employé le fer ou le bronze, c'est ce qui
importe peu pour apprécier le degré d'avancement de leur
industrie à l'époque préhistorique.
1 Cf. Vendidad, 3, 110, traduction de Spiegel, où il est dit que les
Daêvas se précipitent vers l'enfer comme du fer en fusion.
2 Les indigènes de l'Afrique orientale fondent le minerai entre
deux couches de charbon, dans un trou creusé en terre, et à l'aide
d'un soufflet. La fonte qu'ils obtiennent ainsi est «excellente, et au
moyen de deux pierres, dont l'une sert d'enclume et l'autre de mar-
teau, ils en fabriquent des faucilles, des houes, des rasoirs, des an-
199
SECTION IV.
§ 222. LES CONSTRUCTIONS.
De quelle nature étaient les habitations des anciens Aryas ?
Nous verrons plus tard qu'ils en avaient de plusieurs sortes, à
en juger par la variété de leurs noms ; mais quel degré l'art
des constructions avait-il atteint, depuis la simple cabane
jusqu'à la demeure des chefs? Y employait-on, outre le bois,
la brique ou la pierre? Y avait-il des maçons et des architectes?
Sur ces questions nous restons forcément dans un vague à
peu près complet, parce qu'ici la comparaison des éléments
linguistiques ne suffit pas à nous éclairer. Ceux des anciens
noms de la maison qui peuvent être ramenés à leurs ori-
gines étymologiques conduisent à des notions générales qui
nous apprennent fort peu de chose, et il en est de même de
la plupart des termes qui se rapportent à l'art de bâtir. Je me
borne au petit nombre de conjectures que peut suggérer leur
examen.
1) Les verbes qui expriment l'action de bâtir se rattachent
ordinairement à quelque notion moins déterminée, comme
faire, poser, fonder, élever, ériger, etc., et cela dès les temps
les plus anciens. Ainsi, le sansc. éi = ki, colligere, accumu-
lare, en pers. éîdan, se prend dans l'acception d'ériger un
bûcher, une construction : de là éita, édifice, et kâya, maison,
qui se retrouve dans l'irland. cai, id.1 La racine dhâ, ponere,
neaux et des aimes (Burton et Speke, Voij. aux grands lacs de VAfr.
orient. } p. 619, 620).
1 Ca, cae, maison (Corm., Gl., 46, Z.2, 60)..— Cf. kourde (dial.
zaza) kei (Lerch, 196).
— 200 —
d'où dhâman, maison, reparaît avec le sens de fonder dans le
latin con-do, et avec celui d'édifier, de bâtir, dans l'anc. slave
z-dati, zïdati, zazdati, sïïz-dati, d'où zïdu, maison, en russe
zdânie, bâtiment, etc. A la rac. kar, facere, se lie sans doute
le lithuan. kicrti, bâtir. Le latin struo correspond au russe
stroitï, bâtir, construire, arranger, accorder, d'où stroenïe, bâ-
tisse. Cf. anc. si. stroiti, administrai, u-stroiti, parare, etc. Le
corrélatif sanscrit est str, star, sternere, tegere, upa-star, pa-
rare, etc. Ces verbes, et d'autres encore, ne jettent aucun jour
sur la manière de bâtir. Il en est peut-être autrement de deux
racines dont les dérivés paraissent dater du temps où les cons-
tructions se faisaient en bois.
La première est le scr. taksh, primitivement tak, tailler,
couper le bois, etc., déjà mentionnée plus haut, et d'où dérive
le nom de l'architecte divin Takshaka, proprement le char-
pentier.1 On peut y rapporter le tacara des inscriptions de
Persépolis que Lassen traduit par œdes, et qu'il compare avec
le persan moderne tagar, habitation d'hiver, magasin de sub-
sistances.2 Le grec tzktw, charpentier et architecte, tiktq-
(rvvvji architecture, tîktclivûû, construire en bois, charpenter,
montrent que TîKûOy tIktcù^ a dû se prendre dans une accep-
tion plus spéciale que celle de produire et d'engendrer.
L'ancien irlandais nous l'offre également dans les composés
1 A Takshaka répond exactement l'irl. Tassach, nom d'un évêque,
ami de saint Patrice, et son principal artisan, faber œrarius, pour
la confection et l'ornementation des croix, des crosses, des châsses,
des cloches, etc. ( O'Curry, Lect. on anc. Ir. hist., 368, 603,611.)
Takshaka et Takshan étaient aussi des noms d'hommes (D. P., III,
194 ), comme en français Charpentier , en allemand Zimmer-
mann, etc.
2 Z. S. fur d. K. Morgenlands, t. VI, 14. Ya iman tacaram âqu-
nus, is hanc aîdem œdificavit ; âqunus = scr. akrnôt, fecit, rac. kar.
— 201 —
cuim-tgim, construo, cum-tach, aadificatio.1 Cf. irlandais mod.
togaim, bâtir, élever, togtha, bâti, erse tog, strue, togail,
aedes, etc.; le g non aspiré pour g s, es, ksh, comme dans
tiiag, arc = t6%ov. Il est probable, d'après tout cela, que la
racine taksh ou tak a exprimé très-anciennement l'action de
construire en bois, comme le gotb. timrjan, aedificare, qui dé-
rive d'un nom même du bois (Cf. t. I, p. 245).
L'autre racine en question est le gr. ot{t, oî^cce), construire,
d'où iïofjtcç, maison, scr. dama, etc. La rac. dam, en sanscrit,
ne signifie que domare, Sct^ctoù 5 mais son sens primitif, ainsi
que celui de olfAoù, a sans doute été ligare. Da?n, en effet, est
à dâ, ligare, comme gam, ire, est à gâ, et comme oî^où est à
Sîûù, lier. De part et d'autre, cette racine a dû se prendre dans
l'acception de construire en liant, ce qui ne peut guère s'en-
tendre que des bois. Comme le nom de la maison qui en dérive
se retrouve dans toutes les langues ariennes, il a pour la ques-
tion une importance particulière.
Il est naturel de penser que l'emploi du bois a précédé celui
de la pierre pour les habitations. Il ne faudrait pas, cependant,
conclure de ce qui précède que les anciens Aryas, avant leur
séparation, en sont restés à un mode de construction aussi
simple, et il est fort possible, ici comme dans d'autres cas, que
les termes usités aux premiers âges se soient maintenus quand
bien même les procédés avaient changé. Il faut bien dire, tou-
tefois, que les langues ne nous fournissent pas de preuves suf-
fisantes d'une architecture plus développée. Les noms de la
brique, ainsi que ceux de la truelle, diffèrent partout; et, si
ceux de la chaux et du mortier présentent quelques analogies,
1 Z.2, 872. Cf. Stokes, Ir. GL, p. 103, qui compare aussi tech,
maison.
— 202 —
il reste douteux que leur préparation ait été ce qu'elle est de-
venue plus tard.
2) Les noms européens de la chaux se lient généralement
au latin calœ que les Romains ont porté au loin. Ainsi l'irl.-
erse cailc, cymr. calch, armor. kalch, l'ang.-sax. cealc, scand.
kalkj anc. allem. chalch, le lithuan. kalkes (plur.), Fillyrien
klak, etc.1 J'ai comparé ailleurs déjà le sansc. karkara, espèce
de chaux, dont se rapproche, plus encore que calœ, l'albanais
kelkjére (t. I, p. 151). J'ajouterai que ce mot sanscrit peut
être allié à karka, blanc, tout comme la chaux est appelée en
kourde spi, la blanche, en pers. kal safêd, argile blanche, en
afghan spinakhal, id., etc. Je ne sais si le persan arabe kils,
chaux vive, mortier, n'est point provenu de calx?
^e &r- X&hé, chaux, est peut-être tout différent de cala, et
semblerait correspondre au sansc. khâdî, khadikâ, ou khatî,
khatikâ, craie, par la substitution fréquente d'une cérébrale à
la liquide.5
Ces rapprochements font bien présumer que les anciens
Aryas ont connu la chaux, mais ne prouvent pas qu'ils aient
su la préparer et l'employer pour les constructions.
3) On peut en dire autant du mortier ou plâtre, en sansc.
lêpa, vilêpa, de la rac. lip, ungere, oblinere, et d'où lêpakara,
maçon. Cf. ÀfWç, Xi7roç, graisse, anc. si. lepû, viscum, lepiti,
1 La chaux a cependant aussi des noms originaux dans ces di-
verses langues, tels que l'irl. aol, l'armor. râz, le scand. lîm, le slave
vapno, etc.
2 On trouve aussi en arabe kilhâ, action de crépir à la chaux, d'un
radical kalaha.
3 Fick (408) rapproche %c*X<|, pour o-kocâ^, de calx, et les ramène
également à un thème européen skala, pierre, comme en ancien slave,
et en comparant le goth. skalja, brique. Toutefois le latin scala,
écaille, sûrement sans rapport avec calx, conduirait à une origine
différente.
— 203 —
conglutinare, russe liepitï, coller, modeler, lipnutï, s'attacher,
se coller, lipkiï, gluant, tenace ; pol. lep, glu, lepic, coller, etc.,
lithuan. lipti, se coller, lipyti, enduire, etc. En pol. lepianka
désigne une paroi enduite d'argile, lepiarz, l'ouvrier qui
crépit, en lithuanien lippitojis, id., ap-lippinti, crépir un
mur, etc. Il semble évident, d'après cela, que le sansc. lêpa
n'a signifié autre chose, dans le principe, qu'un enduit onc-
tueux et gluant, comme l'argile, et non pas le mortier pré-
paré à la chaux.1
4) Au sansc. éhurâ, f., chaux, répond, sauf le genre, le gr.
crxvpoç, (tkvûoç, gyps, mortier, mais aussi (TKipog. D'après
D. P., la racine est chur, inciser, graver, corroder, au causât.
churay, chôray, incruster des incisions avec des substances.
Cf. Fick (208) qui admet skur, skar, rayer, écorcher, comme
racine primitive. Ici encore, il ne s'agit pas du mortier à
bâtir.
SECTION v.
§ 223. LE TRAVAIL DES ÉTOFFES.
Il est à peine besoin de prouver que les anciens Aryas ont
su se vêtir, puisque le climat même de leur pays leur en fai-
sait une nécessité absolue. Qu'ils n'allassent pas nus, comme
certains sauvages, c'est ce que l'on pourrait inférer déjà de ce
que chez eux la nudité était accompagnée du sentiment de la
1 De la rac. lip avec ava dérivent avalêpa, action d'enduire, puis
action d'orner, puis orgueil, vanité, avalipta, vain, orgueilleux, etc.
Il est curieux de retrouver aussi ces significations secondaires dans
l'anc. slave lepû, decorus, lepota, pulchritudo, etc., et dans le lith.
lépe, orgueil, lépùs, orgueilleux, vain, etc.
— 204 —
honte. C'est, en effet, à la rac. nag, pudere (Dhâtup.), que l'on
rattache le sansc. nagna, nu, ainsi que ses corrélatifs euro-
péens, latin nudus , pour nugdus (?), irland. nochd , cymr.
noeth, goth. naqvaths^tc^ lithuan. nâgas, anc. si. nagîi, etc.1
Toutefois, comme ils auraient pu ne se couvrir que de peaux
de bêtes, à l'instar de plusieurs peuples barbares, il importe
de rechercher s'ils ont connu l'art du tissage, et jusqu'à quel
point ils l'avaient porté. Nous passerons donc en revue les
termes qui s'y rapportent, ainsi qu'au filage qui le précède
nécessairement, et à la couture qui en met en œuvre les pro-
duits. L'examen de ces produits, transformés en vêtements,
sera plus tard l'objet d'un article particulier.
ARTICLE i.
§ 224. LE FILAGE.
La première substance filée, au temps de la vie pastorale, a
sans doute été la laine que fournissaient les troupeaux, et
l'emploi des plantes textiles ne sera venu, ou n'aura été per-
fectionné et généralisé, qu'à la suite du développement de
l'agriculture. Nous avons vu que, si la connaissance du chan-
vre remonte avec quelque probabilité au temps de l'unité
1 Le D. P. doute de cette dérivation de nagna, la rac. nag n'étant
point constatée, et peut-être seulement une modification de lag, lagg,
pudere. Fick (107) recourt à une rac. nag =. scr. nig, purifier, laver
(v/£w, vjVtw). Cette conjecture trouve un appui dans l'irlandais, où
f nocht, nud, est donné aussi comme = nighi, lotion, et necht =
glan, pur (O'Dav., Gl., 108, etCorm., G/., 33, voc. cruithnecht) . Cf.
fo-nenaig, lavit, forme redoublée de la rac. nig (nighim), nighset, ils
lavèrent, etc. (Stokes, 0. Ir. Gl.t lxxiv.)
— 205 —
arienne, la possession du lin ne saurait être attribuée qu'aux
Aryasdéjà plus ou moins séparés à l'Occident (Cf. t. I, §§ 78
et 79). Comme les produits de ces plantes ne peuvent être uti-
lisés qu'à la suite de plusieurs préparations, il semble que
l'étude de ces dernières, au point de vue linguistique, devrait
jeter quelque jour sur ces questions. Cependant la comparai-
son des mots techniques ne m'a donné aucun résultat de quel-
que valeur. Les expressions usitées en Europe pour rouir,
tailler, broyer, sérancer le chanvre et le lin, diffèrent beau-
coup suivant les langues, et les termes orientaux correspon-
dants me sont restés trop incomplètement connus pour une
étude comparative. Il faut donc, pour le moment, les laisser
de côté, et ne commencer que par l'opération subséquente et
moins spéciale du filage.
Pour l'exprimer, les langues ariennes partent tour à tour
des notions plus générales de tourner, tordre, étendre, lier, etc.,
et il est difficile de savoir laquelle a prévalu dans l'origine, car
les affinités, bien qu'assez multipliées, ne sont pas de nature
à résoudre cette question. Il faut se contenter de réunir
par groupes les termes qui semblent avoir une origine
commune, sans se flatter de pouvoir déterminer leur ordre
d'ancienneté.
1) La racine usitée en sansc. est krt, kart (krnatti), distincte
de krt (Jcrnati), scindere, et qui signifie proprement tourner
le fil, avec ud, défaire en développant, avec pari, entourer,
envelopper, etc. De là kartdna, l'action de filer. D'après le
D. P., il faudrait y rattacher aussi le nom du fuseau tarku, par
inversion pour kartu; mais on verra plus loin que cette con-
jecture est tout au moins douteuse.
J'ai observé ailleurs (t. I, p. 397) que le nom persan du lin,
katân, kourde ktân, est venu de kart, par la suppression de
— 206 —
IV, comme dans le mahratte katane, filer, et kâtîna, arai-
gnée, ou le persan kâpas, coton, du sansc. karpâsa. De là aussi
l'arabe quttun, et notre coton, produit originaire de l'Inde.
Toutefois, le persan a conservé intégralement la rac. to^dans
kartân ou kârtana, l'araignée fileuse, et kartanah ou kartînah,
toile d'araignée ; peut-être aussi dans karatlân, fuseau et que-
nouille.
En Europe, je ne trouve à comparer que le lith. kërte, tige
de fuseau, et peut-être l'irl. ceirtle, peloton de fil ou de filasse,
en erse ceirsle.1
2) En persan, on trouve, pour filer et tordre, le verbe rash-
tan, rishtan, ristan ou risîdan, d'où rêshah, fil tordu, rishtah,
rismân, fil, arash, arîsh, arêsh, chaîne de tissu , ras, rasan,
rasîman, corde, etc. Cf. kourde resané, corde, armén. arasan,
tirhaï rassai, id., ainsi que le persan et kourde rîsh, laine. —
Le sanscrit nous offre une double analogie dans raçanâ,raçmi,
corde, ceinture, et la rac. riç, tirer, tirailler (rupfen, zerren),
d'où rishta, tiraillé.
Le lith. riszti, lier, d'où riszys, raisztis, raisztas, lien, paraît
allié à ce groupe ; et l'on peut en rapprocher également le
latin restis, corde, et peut-être réte, filet, pour reste? Toutefois
l'analogie singulière de l'hébreu resheth, filet, suivant Gese-
nius de iârash, cepit, laisse en doute sur l'origine vraiment
arienne des termes ci-dessus.
3 ) Le persan tanîdan, tanûdan, filer et tresser, tisser,
signifie proprement tendre, étendre, comme la rac. scr. tan
1 Fick (36) compare xocproiXoç, corbeille tressée, cràtes, goth. haurds,
etc., claie, porte.
2 Kuhn, avec moins de probabilité, ce semble, cherche dans restis,
pour près tis, un corrélatif du sansc. prusiti, lien, de pra-\- si, ligare
(Z. S., II, 476). Pour rëte, cf. l'article du filet, p. 7.
— 207 —
qui reviendra plus loin, avec ses dérivés, à l'article du tissage.
Ici, je ne compare, à cause du sens spécial, que l'irl. toin-
nim, filer, tresser, tordre , toinneadh, toinneamh, filage, toinnte,
fil entre la quenouille et le fuseau, etc. L'n redoublée indique
une assimilation, et toinn pour toint est probablement un dé-
nominatif, comme notre filer de fil. Cf. scr. tantu, fil, etc., et
le vêd. tânva, adj., tissu tressé.
4) Un troisième verbe persan, tâchtan, tazîdan, filer, tordre,
d'où tâchtah, cordon ; cf. kourde test kem, filer, et test, fu-
seau, se rattache clairement à la rac. scr. taksh, fabricari, que
nous avons vue appliquée déjà à deux espèces de travaux, et
qui reparaîtra encore au tissage.
Je crois la retrouver, avec le sens de filer, dans Fane, allem.
dâht, ail. mod. docht, mèche de lampe, c'est-à-dire fil, comme
le scand. thâttr, filum funis, et qui répond exactement au pers.
tâchtah, cordon. Ces mots peuvent avoir perdu Ys de taksh,
conservée, d'ailleurs, dans dehsa, hache, et dihsila, timon
(Cf. p. 152, 171), ou bien se lier, comme probablement dâha,
testa, à la forme plus primitive tak.
5) Un groupe important, mais dont il est difficile de récon-
cilier les divergences, appartient surtout aux langues euro-
péennes. Sa racine, à l'état le plus simple, se montre dans le
grec vîûûy lat. neo, filer, dont la voyelle s'allonge dans VYifjua,
fil,1 vvjtoov-, fuseau, w]<riçy filage, névi, nêUis, nêre, etc. On peut
en inférer une forme primitive nâ, laquelle reparaît, en effet,
dans l'anc. ail. nâ-an, nâian, nâwan, nâhan, avec le sens ana-
logue de coudre, c'est-à-dire de lier;1 cf. nât, couture, et nâ-
dala, goth. nê-thla, aiguille.
Jusqu'ici tout est bien, mais les difficultés commencent du
1 Cf. Léo Meyer, Z. S., VIII, 260, et Fick, 782.'
— 208 —
moment que l'on compare la racine scr. nah, ligare (en zend
naz), d'où nâha, lacs, piège, etc., avec une gutturale addition-
nelle qui semble reparaître dans necto, neœus. D'après l'ana-
logie de veho, vecto = scr. vah, macto = scr. mah, on serait
tenté d'admettre neho pour neo, dont l'A aurait pu disparaître
comme dans nïl pour nihil.1 D'autres traces de cette guttu-
rale se montrent encore dans le pers. nach, fil écru, fil de lin,
etl'armor. nachen, nahen, tresse; mais l'A de l'anc. ail. nâhan
est d'une tout autre nature.2
Ce n'est pas tout. Au sansc. nah se rattachent plusieurs
dérivés qui indiquent une forme primitive nadh, comme nad-
dha, lié, 7iaddhi, corde, etc., et cette forme nous conduit à une
série de rapprochements beaucoup plus étendue que la précé-
dente. On a comparé d'abord le gr. vffêa, mais la différence
de quantité de la voyelle porte plutôt à y voir, avec Pott et
Léo Meyer (1. cit.), une formation secondaire de vîc*), comme
7rAvjôù), de 7tMùù, etc. A nadh, par contre, répond certaine-
ment le cymr. nydduy filer, corn, nédha, armor. néza, et néa,
néein, où la suppression du z = dh amène une identité appa-
rente avec vtoù- En irlandais, nous trouvons, avec une s pros-
thétique, l'anc. sndthe (Z.2, 16), mod. snâth, snâdh, snadhm,
et sans s, naidhm, gén. nadma, nadmann (O'Don., Gl. ),
contrat, gage, garantie, c'est-à-dire lien.5 Dans les langues
germaniques, nous avons déjà rapproché du sanscrit naddhi,
corde, le goth. nati, ancien allemand nezzi, etc., filet ( Cf.
p. 85), et il faut sans doute aussi ramener à nadh l'ang.-sax.
nestan, filer, proprement lier, comme le suédois nàsta, danois
7ieste, etc. Ce sont là des dénominatifs d'un subst. nest, lien
i Cf. Pott, Et. F., I, 282.
2 Cf. sâhan, rac. sa, mâhan, rac. ma, wâhan, rac. va, etc.
3 Cf. naidmther, is bound or fastened (O'Don., GL).
— 209 —
(Cf. scand. nist, fibula, anc. ail. nestila, ilmiculus, fascia), où
Ys représente une ancienne dentale, comme dans l'ail, last do
laden, hast de binden, etc.1
A ce groupe déjà étendu, il faut ajouter encore le cymr.
noden, fil, et nodioydd, aiguille, en armor. neûd et nadoz, le lat.
nodus, nœud, et les termes germaniques qui y correspondent
avec une gutturale prosthétique d'origine obscure, ang.-sax.
cnotta, anc. ail. chnoda, et, de plus, avec variation de la voyelle
dans le scand. knûtr, linûtr, nœud, hnyttr, nexus, etc.
Nous sommes ainsi en présence de trois racines, nâ, nàh
(nagli) et nad-h, qui doivent avoir coexisté au temps de
l'unité arienne, et dont les dérivés peuvent s'être parfois con-
fondus.2 Les formes snadh et knadh paraissent purement
secondaires.
Nous voyons en outre apparaître dans l'anc. slave niti, fil,
russe nui, nûka, pol. nié, etc., une racine ni, qui se retrouve
encore avec une s prosthétique, et un autre suffixe, dans l'irl.
sniomh, filage, sniomha, fuseau, sniomliaim, filer, et qui doit
être, sans aucun doute, séparée des précédentes. Miklosich
( Rad. slov., 57 ) y voit avec raison le scr. ni, ducere. Nous
avons ici, en effet, les analogies du latin ducere filuin, et du
gr. Kctrctyav pour filer. Le pers. duchtan = scr. duh, signifie
à la fois traire et coudre, tirer le fil (Cf. armén. dogh, fil), et
le nom du fuseau ; dûk, duy, dûk, se lie évidemment à la même
1 Ce changement de d, dh en s devant une dentale, se remarque
également en zend, en grec, en latin et en slave.
2 Sur nah — nagh, mais non = nadh, cf. Fick (108). — Le D. P.
donne encore une rac. nets, se joindre, se réunir à, qui pourrait bien
rendre compte des termes germaniques nestan, nist, nestila, aussi
anc. ail. nusta, nexio. Cf. de plus nusca, fibula, et Fane. irl. nasc,
bracelet (Corm., 125), mod. nasg, lien, nasgaim, lier, que Stokes
ramène à la rac. nak, nec-to, etc.
II 14
— 210 —
racine. Je ne sais si l'arménien ninthel, filer, appartient à nî
ou ailleurs.
6) Le grec kAôôÛûû, filer , d'où KAù)0"Ty]p, fileur, KAcoa-fjLci,
fil , etc., répond à la rac. scr. çrath, çranth, nectare, ligare, que
le Dhâtup. donne comme variante de grath, granth, id. De là
çrantha, çranthana, action de lier ensemble = grantha, gran-
thana. A cette dernière forme appartient le scand. kranz,
ancien allemand chranz, guirlande ( Je régulièrement pour
g ), tandis que çrath paraît se retrouver dans le latin crdtes,
treillis, claie ; irland. creathach, lithuanien krdtas, -tis, polon.
krata, et avec l pour r, dans l'irland. cleath, cllath, id. Cf.
anc. slave Meta, decipula, kleti, cella, russe klietka, polonais
klatka, cage, etc., cymr. moy. cluit (Z.2, 97), corn, t cluit =
clêtj etc.1
7) Je termine par un groupe dont les ramifications très-
étendues donnent lieu encore à maintes difficultés. C'est celui
qui se rattache au goth. spinnan ( spa?m, spunmin), et à ses
analogues germaniques, dont le sens propre est tendere, ex-
tendere, anc. allem. spannan; cf. scandin. spenia, trahere,
ducere, ang.-sax. spanan, allicere, sollicitare, etc.; ainsi que
l'irl. spionaim, spûinim, tirer, arracher, enlever, piller, dé-
pouiller, etc. La forme plus simple du grec <r7rctûù, tendre,
étendre; cf. lat. spatium, allié au scr. sphâ, sphây, crescerej
1 Ces derniers rapprochements deviennent incertains depuis que le
D. P. ne donne à çrath, çranth, que l'acception contraire de se dé-
faire, se délier, se relâcher. Kuhn (Z. S., 4, 320) ramène hXw9-w
à grath (le jc pour y à cause du S-); Fick (36, 347), cràtes à kart
(v. sup. p. 205). A granth, d'où granthi, nœud, grantha ou grathna,
paquet, touffe, appartient sûrement l'irl. f grinde, fagot (Corm., Gl.,
77); grinne (O'Don., Gl.) , au pi. grinnenu, bandages, dat. pi. grin-
nib (Stokes, Goid.*, 30). Cf. grend, barbe (touffue), Corm., GL, 90;
mod. greann, aussi chevelure, que Stokes (ib.) rapproche du pro-
vençal gren, barbe, v. franc, grenon, grignon (Diez, I, 224).
— 211 —
augeri, jette du doute sur Yn comme élément primitif, et d'un
autre côté, le lith. pinti (pinnu), tresser, anc. si. pëti (pïnâ),
mettre en croix, c'est-à-dire étendre, comme le polon. piâc
(pnë) et le boh. pnouti, etc., qui n'ont pas Y s initiale, font
naître le même doute à l'égard de cette dernière. Sans rien
préjuger sur ces questions, je réunirai ici, d'après Pott, Benfev,
Diefenbach et d'autres, les termes divers relatifs au filage et
à ses produits, qui paraissent se rattacher à quelqu'une des
formes ci-dessus.
Outre les noms germaniques bien connus du fuseau, de
l'araignée, etc., qui dérivent de spinnan, on trouve :
En anc. slave, de pïnâ, pâto, polonais pëto, etc., lien, en-
trave, etc.; anc. slave poniava, linteum, o-pona, vélum, cor-
tile, etc.
En lith., de pinti, pyne, tresse ; de plus pantis, corde, lien,
en rapport probable avec panôti, envelopper en liant. Cf. irl.
pâinte, corde, pâintei?*, lacet, lacs.
En grec 7ryjvoç, 7ty\vy\, 7tv\v[ov, le fil delà trame, etc.; peut-
être pour (T7rrjvcÇ) de (nraoù.
En latin, pdnus, id. (du grec ?), et pannus, étoffe.
En goth. fana, étoffe, drap, ancien allem. fano, drap, dra-
peau, etc., mots qui ne sauraient se lier directement à spinnan,
ni avoir perdu une s initiale.
A ces rapprochements j'ajouterai encore l'albanais peu,
corde, et surtout le persan panâm, fil de soie (cf. banah, corde,
et kourde ben, fil), qui étend notre groupe à l'Orient.
Il est certainement singulier de ne trouver, dans tous ces
exemples, aucune trace de Y s initiale de la racine span, et cela
dans plusieurs langues où le groupe sp est très en usage. Je
n'en connais qu'un cas unique, mais remarquable, parce qu'il
— 212 —
se rencontre dans le tirhaï du Caboul , où spct7isî est le nom
du fil. D'après tout cela, et sans pouvoir décider si la forme
primitive de la racine a été spâ, span ou pan, avec le sens
d'étendre, puis de filer, tresser, tisser, il faut admettre que très-
probablement les deux formes ont coexisté déjà avant la
séparation des Aryas.1
§ 225. LA QUENOUILLE ET LE FUSEAU.
Ces deux instruments primitifs du filage remontent certai-
nement à la plus haute antiquité, et leur simplicité même a
contribué à en perpétuer l'usage jusqu'à nos jours, à côté
du rouet plus compliqué et d'une invention relativement
moderne.
1) Les noms de la quenouille, bien que très-variés, appar-
tiennent, en général, au fond le plus ancien des diverses lan-
gues. Cela vient, en partie, de ce que dans l'origine on se ser-
vait d'un roseau, à la fois solide et léger, pour y placer la
laine ou l'étoupe, et que le nom du roseau devenait celui de
la quenouille. Or, l'ancienne synonymie du roseau était déjà
très-riche, et chaque idiome semble y avoir puisé de son côté.
Plus d'une fois, en effet, tel mot européen qui ne désigne que
la quenouille trouve son corrélatif probable parmi les noms
orientaux du roseau. En voici quelques exemples.
Scand. rockr, quenouille ; anc. allem. rocho, roccho; allem.
mod. rocken; angl. rock. — Armén. rokh, quenouille ; mais
pers. ruch, roseau. Cf. ancien slave et russe rogozû, polonais
rogoz, etc., id.
1 Sur aWw, span, cf. Fick, 216 et 914; et .Curtius (Gr. Et.2,
255) avec des vues en partie différentes. Voir aussi Pott ( WWb.,
I, 382).
— 213 —
Grec Y\hciKctTYi, quenouille, et roseau, flèche, etc. — L'ar-
ménien aghegad = alegad, quenouille, semble provenu du
grec, dont l'origine est fort incertaine. — Je ne sais si dans
l'armén. eghêkn = elêkn, roseau, il y a plus qu'une ressem-
blance fortuite.1
Lat. colus, quenouille, peut-être allié à calamus, KctAujLtoç,
germ. halm, etc., ainsi qu'au sansc. kalama, kalana, roseau;
cf. corn, koilen, id., et t. I, p. 231. — Le bas-latin conucula,
d'où notre quenouille, est-il pour colucula, ou vient-il de co?ius,
malgré la longueur de Yo? Quoi qu'il en soit, il a passé à l'anc.
ail. cuncla, ail. mod. kunkel, et Stokes (Ir. GL, p. 80) y rat-
tache aussi l'irland. moy. cuigel, de cuingel, à cause du g non
aspiré. Mais pourquoi le cymr. cogel, armor. kégel, corn, kigel,
ont-ils, contre l'ordinaire, supprimé la nasale? Il est certaine-
ment singulier que le persan kâgal se trouve désigner un ro-
seau, et l'irl. cuigel pourrait être provenu du cymr. cogel =
kâgal.
Ane. si. kâdelï, pensum lini (Dobr. , Instit., p. 105), mais
trama, suivant Miklosich (Leœ.). Dans tous les autres dia-
lectes, quenouille, russe kudélï,Y>o\. kàdziel,i\\yr. kudjeglia, 'etc.
— Scr. kânda, tige, verge, tige de roseau entre deux nœuds,
flèche, etc. Cf. kandâla, kândôla, corbeille de joncs.
2) Le fuseau présente également une synonymie très-
variée, dont les termes se rattachent, en partie, aux verbes qui
expriment l'action de filer (vid. sup.). Deux de ses noms pa-
raissent anciens.
a) J'ai parlé plus haut du scr. tarku ou tarkutî, fuseau, tar-
kuta, filage, que le D. P. considère comme une inversion de
^urtius/Gr. Et.3, 319), d'accord avecWalter (Z. S., 12, 377), ra-
mène y'A-ot-K-dTn, avec des voyelles intercalées, à une racine ccKx,
ark, d'où aussi oipy.vç et dpd%yy\. Cf. t. I, p. 660, t. II, p. 8.
— 214 —
kartu. Il est plus probable, toutefois, qu'il dérive de la racine
tark} laquelle n'a plus que le sens abstrait de perpendere, dubi-
tare, suspicari, mais dont la signification primitive, ainsi que
le remarque Benfey (Gr. Wl.} I, 674), a dû être celle de tour-
ner. Cf. volvere animo. Cette conjecture, d'ailleurs, est tout à
fait appuyée par la comparaison du lat. torqueo; dugoth. trei-
han, ags. ihregian, anc. ail. drahjan, tourner, tordre, etc., du
cymr. torcJii, id., trwc, tour, armor. treki, troquer, échanger,
c'est-à-dire tourner, trok, trohl, troc, etc. Cf. aussi l'arménien
turkn, roue de potier.1
Pour en revenir au fuseau, Benfey (loc. cit.) rapproche de
tarku le gr. oLtùciktoç, fuseau (cl préfixe = sa ou ava), ainsi
que de tarka, doute, l'adj. cLrptMJç, vrai, certain, indubi-
table.2 •
b) Le sansc. vartana ou vartulâ, de vrt, vertere, désigne
plus spécialement le peson du fuseau, ou la boule qu'on y
adaptait pour faciliter sa rotation. A la première forme répond
exactement l'ancien slave vreteno, fuseau, russe vereteno,
pol. wrzeciono, etc. ; à la seconde, le diminutif polon. wartolka,
peson du fuseau. La racine verbale est conservée dans l'anc.
si. vrïtetij vratiti, circumagere, vertere, russe vertietï, polon.
wierciec, id., wartac, faire tourner le fuseau. Du latin verto
dérive également verticillus, bas-lat. verteolus, d'où peut-être
l'ail, mod. wertelj wirtél, qui manque aux anciens dialectes ;
mais cf. ang.-sax. wrîdhan, scand. vrida, torquere. Enfin, et bien
que les langues celtiques ne possèdent plus la racine verbale,
on trouve en irlandais moyen fersaid, mod. fearsaid, fuseau,
1 L'irl. tore, cœur, de son mouvement, répond au scr. tarka, agi-
tation d'esprit, doute, conjecture, désir.
2 Curtius (Gr. Et.3, 427), à rpeVw, compare aussi, avec Schweizer
Siedler, le latin trïcae, trïcari, ainsi que le sansc. trikvan, trkvan,
voleur, dans le sens de versutus.
— 215 —
^ovlv fertaid (Cf. feartas, roue), en cymr. gwerthyd, en corn.
gurhthit, et en armor. gwerzid.
c) En fait d'analogies purement européennes, je citerai en-
core le lith. warpste, -tis, fuseau, werptmvis, peson de fuseau,
de werpti, filer, avec beaucoup d'autres dérivés. Cf. werbti,
tourner le foin, et le goth. livairban, ags. hweorfan, Scandinave
hverfa, anc. ail. hiverban, vertere, verti. En cymrique, le fu-
seau est aussi appelé chwarf, chiverfan, de chioerfu, tourner,
dont le chw = sv indique une s prosthétique au lieu de Yh
= k du germanique.
§ 226. LES PRODUITS DU FILAGE, LE FIL, LA CORDE.
Plusieurs des noms du fil dérivent des verbes qui expri-
ment l'action de filer, et ont été déjà mentionnés incidem-
ment. D'autres, ainsi que ceux de la corde, ont le sens pri-
mitif de lien, et ne prouveraient pas par eux-mêmes que les
anciens Aryas aient su filer, puisqu'on peut faire des liens avec
des fibres de plantes, des lanières de cuir, etc. Toutefois,
comme le fait de la pratique du filage est suffisamment dé-
montré, je joins ici ceux de ces noms que leurs analogies pa-
raissent faire remonter au temps de l'unité.
1) Scr. bandha, bandhana, lien, corde, pour le bétail, bad-
dhrîj courroie, etc.; rac. badli, bandh, ligare. — Pers. band,
lien, corde , de bandan, bastan, lier ; belout. bandich, fil,
corde.
Goth. bandi, lien; ags., scand. band, id. et fil, scand. benda,
corde ; anc. ail. pant, pinta, lien, etc. ; rac. bind, band, bund,
lier. — Le 6 pour scr. b est ici une exception.
— 216 —
Irlandais-erse bann, corde, lien ; cymr. bydd, dyddag, lacs,
piège, etc.
Voit {Et. F., I, 251) compare aussi 7riïa"[4,af corde, de la
rac. ttiÙ, 7riiûûô, persuader, primit. lier. Benfey (Gr. Wl., II,
94) part d'une forme ttîvS = band, comme ttvÔ = budh, etc.
Cf. 7Ttoêtp6ç> beau-père, et sanscr. bandhura, parent. Pott
place également ici le lat. /unis pour fudnis, malgré l'irrégu-
larité de Vf pour b, au lieu de bh, comme en germanique b pour
b au lieu de bh. Ces termes seraient entre eux dans le même
rapport que le sansc. budhna, le gr. 7rvôfArjv, l'anc. allemand
bodam et le lat. fundus.
2) Scr. sêtra, lien, de si, ligare.1 Cf. sêru, qui lie, sîman,
sîma, limites, et le vêd. sîrâ, fleuve, suivant Kuhn (Z. S., II,
457) proprement fil.2
Gr. Iftctç, -[Aclvtqç, pour erifActç, courroie, Iftova,, corde de
puits; et peut-être crupct, -prh corde (Benfey, Gr. Wl, I, 289,
mais cf. n° 5).
Irl. sioman, erse sïaman, corde = sîman, mais Y m devrait,
ce semble, être aspirée.
Ane. sax. si?no, lien, scand. seymi, fil. — Gotb. sail, corde,
ags. sael, scand. et anc. ail. seil, id., anc. ail. silo, trait d'un
ebar. — Anc. ail. saito, saita, corde, said, lacs, etc. D'après
Kubn (Z. S., II, 466), anc. ail. sinwa, senwa, ags.senw, scand.
sin, nervus. Cf. scr. sinâti, sinôti, de si?
1 Zend hi, d'où hita, lier, et hita, m., attelage de chevaux (Justi,
325).
2 Le D. P. rattache sîrâ à la rac. sar, couler.
3 Cf. irl. f sin, moy. sion, collier, chaîne (Corm., GL, 152); ainsi
que f sén, filet d'oiseleur (ib. et O'Dav., Gl., 117 ) = cymr. hwyn,
pour hên, et sên, piège, lacs. Le français seine, senne, esp. de filet,
n'a qu'une ressemblance fortuite, s'il provient bien de sagena (Diez,
Wb.,l, 408).
— 217 —
Lith. sëtas, corde pour le bétail, sêris, fil. — Cf. lett. seet,
lier.
Ane. si. seti, russe sieti, lacs, pol. sieé, filet. — Ane. slave
silo, russe silokû, lacet. — Russe sima, ficelle, etc.
On remarquera surtout l'identité du suffixe man, ma, dans
plusieurs branches.
3) Scr. daman, dama, corde, de dâ, ligare.
Gr. SifAct,, -utoç, de 8iœ.
Irl. damhnadh, corde.
4) Scr. pâça, lien, de paç, ligare.
Zend paçman, liaison, de paç (Justi, 188).
Irl. fasg, id., faisgim, lier; cym.v.ffas^ffasg, id.
Ane. si. pasmo, filorum numerus ; russe pdsmo, pol. pasmo,
écheveau de fil ; pol. pasek, lien, bande. Cf. lith. paszyti, pelo-
tonner ; lett. pâs?na, écheveau ; anc. ail. faso, nW.faser, fibre ;
etfasto, scand. fastr, ags. fôst, etc., ferme, c'est-à-dire lié.
5) Scr. sarî, corde, sarat, sarit, fil, de sr, sar, ire, fluere,
caus. sâray, extendere.
Armén. sarich, corde.
Gr. opfAcç corde, chaîne, collier, oppict,, ligne à pécher, îpjbtcc,
lien, pendant d'oreille, etc., de iqùù, tipco = latin sero, d'où
séries, sertum, etc. Cf. Benfey (Gr. WL, I, 59 ) et Curtius
(Gr. Et?, 330), rac. <rg£, èç, d'où aussi cuça, corde, crîpiç,
ceinture (Hesych).En lith. seris, fil.1
6) Scr. snâva, tendon, muscle, de snu, fluere, comme sarat,
de sar, par la notion du mouvement continu en ligne droite.2
1 Ici, peut-être l'irl. f sir, cymr. hir, long, étendu. Cf. scr. sâra,
extension, et rac. sar, dans pra-sar, vi-sar, étendre, s'étendre, vi-
srta, étendu, etc.
2 Suivant Weber ( Ind. St. 5, 232, et Beitr., 4, 277), de snâ
ou peut-être de si, lier.
— 218 —
Goth. snôrjô, corde, scr. mura, anc. ail. snôr, snuor, filum,
linea. Cf. goth. snivan (snau, snêvun, ags. sneowan, et snyrian,
alacriter ire).
Russe o-snôva, pol. o-snowa, chaîne de tissu, fil de la vie, etc.,
et, figurément, en russe et en anc. slave, base, fondement. —
Cf. ancien slave snouti, russe snovatï, polonais snowac, snuc,
ourdir la chaîne, tirer un fil, mais aussi glisser sur l'eau, ram-
per, etc.
7) Scr. andu, anduka, lien, chaîne que l'on met aux pieds
des éléphants, sorte d'ornement au pied des femmes. — Sui-
vant les grammairiens indiens, d'une racine ad, and, ligare
= at, ant, ît, înt, id. (Dhâtup.); mais d'après le D. P., ima-
ginée pour expliquer andu. Toutefois, plusieurs analogies sem-
blent appuyer l'existence réelle d'une racine dans l'acception
indiquée. Ainsi :
Ossète andach, fil.
Alban. and, ind ou ent, int, tisser, indme, éndme, inture,
tissu.
Irl. edim, prendre, saisir ( pour endim), id, chaîne , collier,
edire (pi.), captifs (Lhuydd et O'R.). Cf. eide, eideadh, étoffe,
vêtement, eidighim, vêtir; erse éid (impér.), vesti, éididh, eu-
dach, étoffe. Anc. irl. étach, éitach, etiuth, vestitus ( Z.2, 802,
810), con-étid, induite (870), rac. ent.
Cymr. edau, edaf, fil, eddi, chaîne de tissu, lisse.
Cette même racine existe peut-être en composition avec le
préfixe prie = pra, dans l'ancien si. predà (prëstï), je file,
d'où predivo, fil, prêslitsa, fuseau, etc. Cf. passim les autres
dialectes.
219 —
ARTICLE II.
227. LE TISSAGE.
Pour l'action de tisser, la langue primitive possédait sans
doute déjà plusieurs racines, dont les deux principales se
retrouvent, avec de nombreux dérivés, dans la plupart des
idiomes de la famille.
1) La plus simple, et probablement la plus ancienne, se
présente en sanscrit sous la forme de va, vê (vayati), dont j'ai
déjà parlé à l'article de l'araignée (t. I, p. 657). De là vayî,
tisseuse, vâya, tisseur, vêni, tissu, tresse, mais aussi vâni, tis-
sage, avec un â plus primitif que Yê (Cf. l'infin. vâtum et le
futur vâta, vâsyati ), de sorte que la véritable racine est va.1
Ce va se contracte en u, û, dans plusieurs temps du verbe,
partie, passé uta, ûta, prêt. oe pers. plur. ûvus, ûyus, passif
ûyatê, etc.; et de même dans ûti, tissage, etc. Ces varia-
tions sont importantes à noter pour les rapprochements com-
paratifs.
Cela permet, en effet, de rattacher à va l'afghan ôdal,
tisser, où dal est le suffixe de l'infinitif, de sorte que la ra-
cine se réduit ko, comme dans le védique ô-tu, trame, pour
vâtu.2 Je n'en trouve pas d'autres exemples dans les langues
iraniennes.
En grec, la rac. va ne s'est conservée que dans quelques
1 D. P. ne donne que va. Justi (277) donne le zend vî, mais sans
justification.
2 Cf. Ewald, dans la Z. S. f. d. K. cl. Morg. de Lassen, t. II, 298
et 310.
— 220 —
dérivés. Pott y rattache ij-Tptov> tissu et chaîne de tissu (Et-
F., I, 230 ), suivant Benfey, d'un substantif perdu qrfov,
F?}Tf)ov = sanscr. hypoth. vâtra-m (Gr. Wl., I, 285). De plus,
v-f^fjv, vfitvoç, tissu, membrane ; cf. scr. vêman, métier à tis-
ser. D'autres rapprochements paraissent moins sûrs.
En latin, nous trouvons vieo = vyâ, part, vîta, tisser, tres-
ser, lier, d'où vïmen, tige flexible, osier, vïtis, etc. Ici, proba-
blement vélum, voile, c'est-à-dire tissu. Cf. irland. fiai ( Z.2,
p. 18), armor. gwél, id.2
A vayâmi répond d'ailleurs l'irl. fighim, avec ses dérivés
fghe, fgheadh, tissage, figheadôir, tisserand, etc. La forme
simple reparaît dans le cymr. gioëu, givan, l'armor. gwéa, le
corn, guia, avec de nombreuses provenances.
Les langues germaniques ne semblent pas offrir de traces
de cette racine,3 mais l'anc. slave nous offre viti (yiia) avec le
sens un peu différent de circumvolvere, comme le latin vieo;
russe viti, pol. wic, tresser, tordre, etc. De là vhiîtsï, russe vie-
nokîi, pol. wiena, ivianek, guirlande, tortis; anc. slave veika,
vimen, polon. wic, id., etc. ; anc. slave na-voi, liciatorium, en-
souple, de na, super + viti. Les termes lithuaniens correspon-
dants sont wyti (wyiu), tresser, ivytis, osier, ivainikkas, guir-
lande, etc.*
Le lithuanien toutefois possède la racine va sous une autre
1 Ici vîyv, vigne sauvage (Hesych., à l'accus.), aussi vUv ; comme en
sanscr. ûy pour vay. De même olvy, olvolç, vigne, de yoivyi, si toutefois
ils ne viennent pas de oïvoç (Cf. I, p. 313).
2 Curtius [Gr. Et.3, 182), contre Corssen, rattache vélum à veho, à
cause du diminutif vexillum.
3 Si ce n'est peut-être sous la forme augmentée vith, vid, si elle est
bien telle (Cf. t. I,p. 259).
4 Cf. l'irl. -j- féith, fibra, rien ; cymr. gwden pour gwiden, anglais
withe (Stokes, Ir. GL,n°99).
— 221 —
forme dans austi ( andu, aadmi), tisser, d'où proviennent
udis , audimmas, tissu, audejas , tisserand, etc. Le d n'est
ici qu'une addition qui caractérise les verbes causatifs en
lithuanien. Cf. wôras, araignée, c'est-à-dire tisseuse, de va +
suff. va.
2) A côté de va, on trouve en scr. vap, texere, mais aussi
jacere, serere , gignere , tondere. Ce n'est là probablement
qu'une forme causative de va = vâpay, avec la voyelle de-
venue brève, comme dans snapay, de snâ, etc., et suppression
de la caractéristique ay. De même que va, texere, semble ex-
primer, comme va, flare, un mouvement continuel de va-et-
vient, le causât, vap, texere, jacere, serere, paraît s'appliquer
à l'action de lancer la navette ou la semence. La forme vabh,
signalée par Aufrecht dans un nom de l'araignée ( Cf. t. I,
p. 658), et que confirment les analogies du grec et des lan-
gues germaniques, n'est-elle qu'une variante de vap, ou une
racine distincte ? La question reste douteuse.1
Spiegel reconnaît la rac. vap, contractée en up, dans le
partie, zend. ubda, d'où l'adj. ubdaêna, littér. fait d'un tissu.2
La forme régulière uf, pour vaf, se montre dans d'autres cas,
avec le sens secondaire de composer poétiquement, et de célé-
brer, comme pour le gr. v<pdivoù (JBeitr., I, 315). Le persan
moderne l'a conservée dans bâftan, bâfidan, tisser, d'où bâ-
fandah, bâf-kar, tisserand, baf,bafrah,wafraJi, métier à tisser,
abaft, grosse étoffe, etc.
1 Cf. avec vabh la rac. ubh, tenir ensemble, tenir réuni, avec apa
etpra, lier, joindre, ce qui conduirait à la notion de tisser par une
autre voie que vap. LeD. P. ne donne pas cette racine vabh.
2 Vendid., VIII, 65, 68. Vaçtra abdaena, vêtement de tissu, par
opposition à vaçtra îzaêna, vêtement de peau. Cf. Justià vap et ubda
— scr. upta, tissé.
— 222 —
A vabh, nbh, appartient sans doute le grec vQclIvûô, tisser,
v@9j, tissage, vQoç, tissu, etc., plutôt qu'à vap.
Il en est de même de Fane. ail. iveban omvepan,texere, d'où
webevi, textor, weppi, wuppi, textura, wâba, favus, le gâteau
de miel étant comparé à un tissu. Dans l'anglo-saxon xoefan,
scand. vefa, texere, et leurs dérivés, weft, vaf vefr, vefari, etc.,
1'/ représente, comme souvent, un bh primitif, et non pas un
p, et le b régulier reparaît dans l'ang.-sax. iveb, tissu, icebba,
tisserand. Toutefois, l'ancien allemand offre aussi quelques
formes avec/, telles que wefal, subtemen, et vif j an, texere, qui
se lient mieux à vap qu'à vabli, et qui semblent indiquer la
coexistence des deux racines. Cf. le goth. veipan (vaip, vipun),
(TTi<pcLvovv, d'où vaips, vipja, guirlande, où le p primitif est
resté intact, comme dans d'autres cas.
L'affaiblissement de la voyelle a en i, qui se remarque ici,
se produit déjà dans le scr. vip, jacere = vap, ainsi que dans
le zend vip, vif semen emittere = scr. vap, serere, au partie.
vipta ou vîpta, au potentiel ufyât, etc. Une forme germanique
vib ou vîb, provenue de vabh, peut également s'inférer du
goth. bi-vaibjan, entourer, envelopper. Cf. plus haut l'accep-
tion du san se. ubh, peut-être = vabh. C'est à cette forme, ce
semble, et dans le sens de tisser, qu'il faut rapporter le nom
germanique de la femme, anc. ail. wîp, ivîb, ags. wîf, scandin.
vif, ainsi nommée d'une de ses principales occupations aux
temps plus anciens.1
1 Benfey (Gr.Wl.,l, 341) voit dans wîb celle qui reçoit la semence,
de vip pour vap, serere, gignere, et compare le grec ot$e«, coire, qui
appartient à yabh, id.; mais, d'une part, le b germanique ne répond
pas ù p, et de l'autre, le nom de la femme exigerait quelque suffixe
qui indiquât la passivité. Fick (877) rattache vip, vif, au scand. veifa,
vibrare, agitare, ags. wûfian, osciller, hésiter, anc. ail. weibôn, se
— 223 —
3) La rac. taksh, fabricari, déjà mentionnée plusieurs fois
avec des applications diverses, tailler, construire, filer, prend
encore l'acception de tisser dans le pers. tâchtan, et lat. texo,
d'où têla, toile, sub-tèmen, trame, tissu, etc., tandis que
télum et témo se rattachent encore à celle de tailler. La même
transition se remarque dans le russe tësma, tesïma, tissu, ruban
de fil, pol. tasma, par rapport à tesdtï, tailler = scr. tahsh.
Mais les langues slaves ont en outre, pour tisser, Fane, slave
tukati, russe tkatï, illyr. tkati, polon. tkaé, etc., avec une foule
de dérivés dont je ne cite ici que l'anc. slave tïïkaéï, textor,
tukaniie, textura, le russe utoku, zatokû, trame, boh. auiek, pol.
wâtek, etc., formes qui correspondent à la racine plus simple
tak. ï
Nous verrons, en parlant de la poésie, que le sanscrit em-
ploie taksh aussi bien que va, tisser, pour exprimer le travail
de la composition poétique, comme en latin teœere carmina.
Comme on ne taille pas les poëmes, il est probable que taksh a
été pris ici, et peut-être plus généralement, dans l'acception
de texo.
4) Plusieurs des termes du tissage et de ses produits se
lient à la rac. scr. tan, tendere, qui a figuré déjà à l'article
du filage. De là tantu, chaîne de tissu et fil, tanti, tisserand,
tantra, métier à tisser, tântava, tissu, santânikâ, toile d'arai-
gnée, etc.
Au pers. tanîdan, tendre, puis tisser et filer, se lient tanah,
tanîd, tissu, tânah, chaîne de tissu, tanîdah, métier à tisser,
tantah, toile d'araignée, etc. — Cf. ossète digor. tuna, étoffe,
drap.
En irlandais, où nous avons trouvé tonnaim, filer, le subst.
balancer, etc. = scr. vip, vep, trembler, être agité. La femme serait
alors l'active, la mobile ou la timide.
1 Cf. Fane, prussien tuckoris, tisserand (Nessclm., Thés., 192).
— 224 —
tannaidh désigne la trame. Il est probable que tona, tonach.
vêtement, chemise, a signifié simplement toile ou tissu, ce qui
conduit à comparer aussi le lat. tunica.
5) Une autre racine, commune à plusieurs langues dans le
sens de tresser, tisser, se rattache au sanscr. pré, prné, et prg,
prng, parg, prag , conjungere, miscere. Cf. ava-praggana,
bord d'une chaîne de tissu.
A prng répond l'anc. si. preshti (pregà), avec la significa-
tion un peu divergente de intendere, mais qui prend celle de
jungere, avec le préfixe vu, in.1 Cf. russe priajka, boucle ;
mais priaéï, joindre, unir, à scr. prné. Partout ailleurs, c'est
cette dernière forme qui prévaut. Ainsi :
Pers. paréîdan, river un clou, c'est-à-dire joindre ; mais
paréali, étoffe de coton, paréam, frange, ramènent à la notion
de tisser.
G-r. 7tAîkco, lat. plecto, plico, tresser, lier, tisser, avec leurs
dérivés 7rXinoç, 7tXikty\-> 7rteKTct,vy], 7tXokyi, plexus, etc., corde,
filet, tresse, tissu, etc.
Ane. ail. flelitan (flaht, floht, fluht), scand. fletta, nectere,
intexere, plectere, gefleht, gefluhte, textura. Cf. goth. fiahtom,
torquibus. De là aussi flahs, lin.
Cymr. plygu, armor. plégà, plicare, et plethu, tresser, pli-
thaiv, être mêlé, complexe, avec suppression du c devant t,
comme à l'ordinaire.
L'anc. slave plesti (pletâ), plectere, d'où piétina, textura,
plotu, sepes, etc., que l'on a comparé, est probablement diffé-
rent, l'absence de la gutturale ne s'expliquant pas comme pour
le cymrique. Schleicher (Form. lehre, 120) compare le goth.
falthan, plicare, sûrement distinct dejïethtan.
» Miklosich, Rad. Slov., p. 69, et Lex. si. (753). Cf. prëglo, tendi-
cula, néo-sl. progla, res. etc.
— 225 —
6) L'armén. anganel, tisser, semble appartenir à la même
racine que le sanscrit anhii, angustus, le goth. aggvus, le grec
dy%co, latin ango, etc., car, en tissant, on serre, on étreint
les fils.
Je croîs retrouver cette application spéciale de la racine
angh dans l'irland. eige, oige, uige, tissu, dont le g non aspiré
indique une nasale supprimée. Cf. anc. irl. ôigthidi, sartores
(Z.2, 794).
La même suppression se remarque dans eigean, anc. irland.
écen ( Z.2, 804 ), nécessité, compulsion ; cf. dvccyjc?}, pour
cLvccyx/i) de civet, -f- dy%od\ tandis que le cymr. ing, étroit,
difficile, a conservé la nasale.
En anc. si. cette racine se présente sous la forme âz, iâz,
d'où âzu, iâzûj vinculum, âzina, âzota, angustia, etc. ; mais on
trouve aussi vâzïï, pol. wiâz, lien, avec un v qui ne paraît être
que le préfixe vît, in, en russe v, en polon. u\ D'après cela, le
verbe vïzenie, ligare, russe viazati, polon. iviâzaé, etc., semble
composé de vu -f- âz ou iâz. Or, en russe, viazati signifie
non-seulement lier, mais nouer, tisser, tricoter, et de là déri-
vent viazeia, tricot, viazeia, tricoteuse, etc., ce qui nous ra-
mène aux applications spéciales de l'arménien et de l'irlan-
dais.
7) A côté du tissage proprement dit, on a connu et prati-
qué, sans doute, dès les temps les plus anciens, l'art analogue
de combiner les fils par divers systèmes de mailles. C'est ce
qu'exprime, en sanscrit, la rac. srg, sarg, srag , proprement
emittere, effundere, puis extendere, serere, d'où srag, guirlande,
puis, enfin, tricoter, comme l'interprète Weber, dans un pas-
sage où il est question d'un travail de femmes.1 Kuhn, qui
1 Zwei wedische Texte, iiber omina et portenta. Berlin, 1859,
p. 373.
II 15
— 226 —
traite de cette racine ( Z. S., II, 457 ; IV, 25, 26), compare
l'anc. allem. strecchan, extendere, d'où strie, stricch, laqueus?
funis, et stricchan, nectere, ail. mod. stricken, tricoter, etc. Il
y ramène également strang, funis (rac. string, strang, strung),
ainsi que (TTpayyôù et stringo, et présume une racine primi-
tive strg, starg, sirag. Toutefois le t peut avoir été ajouté par
les trois langues ci-dessus, auxquelles le groupe initial sr est
étranger. L'irlandais , en effet, qui possède bien le groupe
str, nous offre cependant sreangaim, stringo, et sreang, corde,
lacet, fibre. En grec même, on trouve (raoyccvri, lien, corde, et
ouvrage tressé, corbeille, etc., mais aussi, il est vrai, rctpyctvv\,
tous deux peut-être de crTctpycùvvj, *
§ 228. LE MÉTIER A TISSER.
Les premiers essais du tissage auront été faits simplement
à la main ; mais la lenteur et l'imperfection de ce procédé ont
dû conduire de bonne heure à imaginer des moyens d'exé-
cution plus expéditifs. De là l'invention du métier à tisser, la-
quelle remonte partout aux temps préhistoriques, et qui s'est
modifiée d'âge en âge par des perfectionnements successifs. Ce
qu'il a été au début, et dans sa simplicité primitive, c'est ce
dont il n'est plus possible de se faire une idée précise, et les
langues ne nous fourniront à cet égard que des données fort
incomplètes.
Les indications réelles les plus anciennes que nous possé-
dons à ce sujet pour les peuples de race arienne sont celles qui
se trouvent dans quelques passages des poëmes homériques,
1 Cf. Curtius (Gr. Et.*, 356).
— 227 —
mais elles restent obscures en plusieurs points. Le plus impor-
tant de ces passages est celui de Y Iliade (xxm, 760), où l'on
voit la tisseuse à l'œuvre. Malheureusement, ici déjà, les tra-
ducteurs ne s'accordent point sur ce qu'il faut entendre, soit
par le xclvcûv qui est près de sa poitrine, et qu'elle tend
(tuvvctctvj), d'autres traduisent qu'elle lance, avec les mains,
soit par le 7rvjvlôv qu'elle tire hors de la chaîne, fxlroç. Je laisse
de côté les conjectures diverses qui ont été faites, parce
qu'elles n'intéressent pas la question plus obscure encore du
métier à tisser au temps de l'unité arienne.
1 ) Ses noms dérivent généralement des racines vap ou va,
avec des suffixes qui varient. Le sanscrit a les composés âvâ-
pana, de a + vap, causât., tantuvâpa, qui tisse le fil, vâpa-
danda, vânadanda, vâyadanda, bâton à tisser, etc. Le persan
ivafrah, bafrah, baftarî, de baftan, répond, pour les suffixes,
au scr. vapra et vaptar, mais de vap dans l'acception de semer,
père, semeur, champ, etc. Le lith. austuwas vient de même
de austi (Cf. p. 221). Les composés germaniques ang.-saxon
iceb-beam, scand. wef-stadr, anc. ail. weppi-paam, mod. web-
stuhlj ainsi que l'erse beart-fhige, machine à tisser, etc., sont
des formations toutes récentes.
Un seul des noms de cette classe paraît être décidément
ancien ; c'est le sansc. vêma, vêman, de va.1 Si l'on se rappelle
le changement de va en u dans les dérivés, et si l'on compare
le scr. umâ, lin, dont la formation est la même, on n'hésitera
pas à y rattacher l'ang.-sax. uma, métier à tisser (Boxhorn,
voc. cit.). Ce nom, d'ailleurs isolé dans les langues germani-
ques, est peut-être celtique, car il se retrouve dans l'irl. um,
1 D. P., VI, 1373, avec vêmaka, m., -ki, f., tisserand, tisseuse. Cf.
le zend vaêma, huzv. vêm, lacs, piège, auquel répond l'irlandais
fiam = fêm, chaîne (O'R).
— 228 —
uam, uaim, a weaver's harness (O'R.), d'où uamaim, accou-
trer. Cf. uaim, broderie. On devrait cependant attendre umh,
au lieu de nm, et le mot pourrait aussi provenir de l'anglo-
saxon.
2) Ce premier groupe de noms ne nous apprend rien sur
la disposition de l'ancien métier, mais un autre nous fournit la
preuve que le tissage s'opérait verticalement, et non, comme
plus tard, horizontalement. Cela résulte de quelques-uns des
noms du métier et de la chaîne.
Le sanscrit n'a pas de terme qui se rapporte à ce procédé,
mais on y trouve sthavi, tisserand, de sthâ, stare, ce qui in-
dique déjà que l'ouvrier travaillait debout.
Le grec Icroç^ de iffTyjfju, désignait, soit le métier, soit la
chaîne, soit la pièce d'étoffe en œuvre. De là î<TTovpyoç, l(TT0'
7TQV0ç, tisserand, larav, atelier à tisser, IfTTiov, tissu, etc.
L'expression de lariv t7roixo[Aivy], tournant autour du métier
ou de la toile, qu'emploie Homère en parlant de Calypso
( Od., v, 63), montre que la tisseuse était debout, et se por-
tait alternativement aux deux côtés de son ouvrage. Hésiode
recommande à la femme de dresser la chaîne, icrrov ctvjo-ciito
yvvvj. La chaîne elle-même s'appelait ot^julcûv, comme en latin
stâmen, et l'on disait aussi crTyjfrcti tov o-Tyjpovct. * Elle était
maintenue verticalement par des poids, cLyvvêiç, Xciïou, pon-
déra. Quemadmodum tela suspensis ponderibus rectum stamen
extendat (Senec, Epist., 90).
A la même rac. sthâ se lient, dans les autres langues de
l'Europe, le cymr. ystawf = ystâm, chaîne de tissu, d'où
ystofi, ourdir la chaîne, etc., en armor. steûven, steûen, d'où le
1 Cf. Ovid., Metam., IV, 275 : Radio stantis percurrens stumina
telœ.
— 229 —
verbe steûvi, steiri ; le scand. ve/stadr, métier à tisser, le lith.
stâkles (pi.), ici., le russe stanïï, stanôku 9id.9 etc.
Une coïncidence extra-arienne à signaler est celle de l'hé-
breu shthi, chaîne de tissu, arabe satâ, satât (Cf. pers. satâ-
dan, stare), suivant Gesenius, d'une racine inusitée shâtâh,
texuit. Il va sans dire que je n'en infère pas que les Sémites
aient reçu des Aryas l'art du tissage.
Le tissage vertical, resté en usage dans l'Inde, existait
aussi chez les anciens Egyptiens, comme on le voit par un
dessin que reproduit Wilkinson {Ane. Egypte, p. 85). Living-
ston observe que, aujourd'hui encore, à Angola et dans toute
l'Afrique centrale, le procédé est exactement le même.1
3) Les diverses parties du métier à tisser ont reçu des noms
particuliers à mesure que son mécanisme s'est modifié. La
navette également a changé de nature et de forme, par suite
de l'introduction du tissage horizontal, de sorte que les termes
qui la désignent dans les diverses langues n'offrent rien qui
puisse nous révéler son nom primitif.
§ 229. LA CHAINE ET LA TRAME.
Ces deux éléments nécessaires de tout tissu n'ont jamais
essentiellement varié, et cependant leur nomenclature pré-
sente des divergences multipliées, parce que les termes se rat-
tachent tour à tour aux notions diverses de tisser, jeter, battre,2
dresser, traverser, etc. J'en ai déjà signalé quelques affinités
1 Travels in South Africa, p. 399.
2 Par exemple xp«t», trame, de k/js'kw, comme l'allemand einschlag.
— L'ang.-sax. wearp, scand. varp, anc. ail. waraf, chaîne, de vair-
pan, jeter, comme le cymr. bwrw, chaîne et jet, etc.
— 230 —
dans les articles qui précèdent, j'y reviens ici pour réunir et
compléter ces rapprochements.
1) A la racine va se lient plusieurs noms de la chaîne et
de la trame, mais avec des formations très-diverses.
Scr. ôtu, trame, pour vâtu.
Gr. vjTQiov, chaîne, pour FyjTçtcv.
Lith. at-audai, pi., trame, de austi, tisser (Cf. p. 221).
Irland. f innech (Corm., GL, 95), mod. et erse inneach,
trame, probablement composé avec le préfixe inn, int = oLvti,
inn-each pour int-fheach, de int-fighim, littér. contre-tisser
(Cf. p. 220).
Cymr. anwe, armor. anneûen, trame, du même préfixe an,
ann, de ant, et de givëu, tisser.
Au synonyme vabh, gr. v(p, se rattachent i<Pv(prj, <rvvv<pYi,
trame, ainsi que les termes germaniques, ang.-sax. tueft, ivefla,
aweb, oweb, scand. va/, veftr, anc. allem. weppi, angl. woof:
iveft, etc.
2) Sansc. tantra, chaîne: rac. tan, tendere.
Pers. tânah, id.
Irl. tannaidh, trame (Cf. p. 224).
3) Pers. târ, târah, chaîne de tissu, et fil, corde, corde
d'arc ou instrument. Cf. tîr, tîrah, fil, en arménien ther ;
et le sanscrit tara, corde d'instrument. La racine est tr, tar,
trajicere.
Le fil mis en travers constitue mieux encore la trame. De
là le lat. trama, qui parfois désigne aussi la chaîne, et auquel
répond, avec un sens primitif analogue , le scand. thrôm, anc.
ail. drum, limbus, angl. thrum, les fils qui dépassent le bord
de la toile après le tissage, to thrum = to weave, twist, fringe.
Cf. armor. trémen, passage, etc.
4) Gr. o-TrjfACûV, chaîne.
— 231 —
Lat. stâmen.
Cymr. ystawf, armor. steûven (Cf. p. 228).
Le corrélatif sanscrit sthâman ne signifie que stabilité,
force.
§ 230. LES PRODUITS DU TISSAGE.
Ici encore les termes directement comparables sont en très-
petit nombre, et cela s'explique facilement. Au début, les
produits du tissage étaient simples et peu variés; mais, dans
la suite des temps, ils se sont multipliés à l'infini, et ils ont
pris des noms spéciaux. Quelques-uns de ces noms ont passé
d'une langue aux autres par l'influence du commerce, et ne
prouvent rien quant aux affinités primitives.1 D'un autre
côté, les termes généraux qui désignent l'étoffe, le tissu,
la toile, le drap, ont suivi le sort des racines qui expriment
l'action de tisser, et nous en avons signalé déjà quelques-uns.
D'autres trouveront leur place à l'article qui concernera les
vêtements.
1 Quelques exemples de ce genre sont les suivants :
Gr. xcîf>'7roc<rQÇ, lat. carbasus, terme importé par les Phéniciens. Cf.
hébr. karpas (Esth., \, 6), arabe kirbâs, kurfus, empruntés au pers.
kirpâs, kirbâsah, étoffe de coton ou de lin, du scr. karpâsa, coton.
Goth. etang.-sax. saban, anc. ail. saban, sabo, byssus, linteum, du
grec itxBxvov, sabanum, d'origine sémitique. Cf. arabe sabanîyat,
voile de lin, du nom de Saban, près de Bagdad, où on les fabriquait.
Notre taffetas, du pers. tâftah, étoffe de soie, de tâftan, tàbldan,
tisser.
Notre camelot, peut-être du pers. kamlah, espèce d'étoffe. Cf. scr.
kambala, étoffe de laine.
232
ARTICLE III.
§ 231. LA COUTURE.
Le fil et l'étoffe une fois obtenus, il ne reste plus qu'à les
mettre en œuvre, au moyen de l'aiguille, pour en confectionner
des vêtements. Ici, nous rencontrons de nouveau, pour les
termes relatifs à la couture, un ensemble remarquable de coïn-
cidences qui viennent compléter et confirmer les affinités signa-
lées pour tout le travail des étoffes.
1 ) La racine verbale est la même dans les langues sui-
vantes.
Scr. sîv (sivati), part, syûta, etc. — Cf. deer (du Caboul)
si, impér. couds.
Ossète chouin, choin, je couds. Le ch résultant d'une con-
traction en sv.
Gr. (Tvoù) dans Kctç-crvco, coudre du cuir, de Kctrct-a'v gù , ou
peut-être de kccç == iïiptAa (Hesych.).1
Lat. suo.
Groth. siujan, ags. siwian, suwan, angl. sew, anc. ail. siwan,
shvjan, suéd. sy, dan. sye, etc.
Lith. sûti (suivit, sunu) ; lett. shût (shuju).
Anc. si. shiti (shivà), russe shitï, illyr. sciti, pol. szyc, etc.
De ces diverses formes de la racine dérivent, par des suf-
fixes variés et parfois concordants, d'abord les noms de la cou-
ture, de la suture, du fil, etc.
*Cf. Curtius, Gr.£L3, p. 356.
— 233 —
Scr. syûti, sûti, sîvancij sêvana, couture, sûtra, fil.
Lat. sutura, sutela.
Ane. ail. siutj allem. moy. sût; ags. seam, scand. saumr (d'où
sauma, suere), anc. ail. saum, sarcina, limbus; scand. seymi,
fila sartorum.
Lith. suwimas, suie, suture, sulas, fil.
Anc. si. shïvïïj shïveniie, id.; russe sJiovû, shitïë, illyr. scjavy
pol. szew, etc.
Puis ceux de l'aiguille à coudre.
Scr. sêvanî et sûéî (de sûki).
Belout. shîshin, laghmani, sûneik, ossète suginy arménien
sugn.
Lat. subula,
Irl. siobhal, épingle, épine.
Anc. ail. sûila, sûla; ail. mod. seuwel, subel, dan. syel, etc.
Anc. si. et russe shiloj pol. szydlo et szwayca.
Puis ceux du tailleur et du cordonnier.
Scr. sûcika, sâuéi (de sûéî).
Lat. sûtor.
Anc. allem. sutari; ags. seamere, scand. saumari} de smm,
Lith. suwêjas, suwikkas.
Anc. si. shïvïtsï, russe shvetsu, ill. svitar, sejavaz, polonais
szwiec, szwacz, etc.
Les langues celtiques paraissent avoir perdu la racine ver-
bale, et ne nous ont offert jusqu'ici que l'irlandais siobhal =
subula. Une autre coïncidence à noter est celle de l'irlandais
siunân , sorte de banne en paille pour la farine, avec le sansc.
syôna, sac, en tant que cousu ( aussi sêvaka, sêvana* syûta,
1 On à rapproché de sêvaka le gr. a-olxoç, s-ockkoç, saccus , qui a
— 234 —
syuti). L'ang.-sax. seam désigne également un sac. Comme le
v disparaît en irlandais entre deux voyelles, on pourrait en-
core voir dans séan, filet, le corrélatif du scr. sêvana. *
2) Aux noms de l'aiguille déjà mentionnés, il faut ajouter
celui de l'alêne, plus spécialement appliquée au travail des
cuirs. Le terme sanscrit est ara, probablement de r, ar, dans
le sens de lœdere, et qui désigne aussi une espèce d'arme,
attribut du dieu Pushan (D. P., v. a). De la même racine
vient sans doute ala pour ara, l'aiguillon du scorpion ; et ce
changement de r en l se reproduit dans l'ang.-sax. al, ael, le
scand. air, Fane. ail. ala, alêne, auquel répond le lith. yla, id.,
et l'irl. ail, aiguillon, piquant.
SECTION VI.
§ 232. LA NAVIGATION.
S'il est un art dont les origines doivent être considérées
comme multiples, c'est à coup sûr la navigation, que nous trou-
vons pratiquée à quelque degré partout où il y a des hommes
et de l'eau. Aussi n'en est-il aucun qui remonte à une anti-
passé dans toutes les langues européennes ; mais l'hébr. saq indique
une origine sémitique.
1 La forme ancienne sén, filet d'oiseleur (Corm., Gl., 152; O'Dav.,
Gl.i 147), se rattache mieux à la racine scr. si, lier, zend hi, d'où,
avec un sens différent, sêna et haêna, armée, c'est-à-dire troupe
réunie, organisée. Cf. avec h pour s, comme en zend, le cymr. hwyn,
hwymjn, long cheveu ou fil, et piège, lacs ; hwyn = hên. Cf. la note,
p. 216. Au scr. et zend sêna, haêna, se rattache, avec une signifi-
cation analogue, le cymr. hain, essaim , multitude d'insectes, d'où
heiniaw, foisonner, etc.
— 235 —
quité plus reculée, et qui ait accompagné plus constamment
les phases de la civilisation humaine, depuis l'arbre creusé du
sauvage jusqu'au vaisseau de ligne de nos jours. Ses progrès,
naturellement, ont dépendu de la position géographique des
peuples, suivant qu'elle favorisait plus ou moins les relations
du commerce, et les expéditions maritimes lointaines. Sous ce
rapport, et d'après les conjectures les mieux fondées, les an-
ciens Aryas n'ont pas été placés dans des circonstances favo-
rables ; car la mer Caspienne, la seule qu'ils aient pu connaître,
n'était pas alors une voie de communication entre les peu-
ples, et il est même douteux qu'au temps de l'unité ils se soient
établis sur ses bords. Il est certain cependant, et l'on a ob-
servé depuis longtemps, que les noms du vaisseau, ou plutôt
du bateau, présentent un accord remarquable dans les lan-
gues ariennes ; mais, d'un autre côté, cet accord ne s'étend
qu'à la rame, et cesse dès que l'on arrive aux agrès néces-
saires pour la navigation maritime. On doit en conclure que les
anciens Aryas n'ont navigué que sur des fleuves ou des lacs,
et ceci tend à confirmer les autres inductions de diverse na-
ture qui permettent de fixer approximativement la position de
leur berceau primitif. Voyons maintenant ce que la compa-
raison des langues peut nous apprendre à ce sujet.
§ 233. LE BATEAU.
Trois noms principaux du bateau ont été certainement en
usage au temps de l'unité arienne, et d'autres font présumer
l'existence d'une synonymie encore plus étendue.
1) Sanscr. nâu, f., dimin. nâukâ; aussi nu, m., et nâvâ,
— 236 —
f. nâvya, navigable, nâvika, matelot, pilote, etc. — La racine
est probablement nu (navatê), ire (JSfaigh., 2, 14), peut-être
nave vehi, comme le conjecture Westergaard ( Rad. scr.,
p. 45), alliée sans doute à snu, fluere, dont Vs, ainsi que dans
d'autres cas, pourrait bien n'être pas primitive, comme le
pense Weber (Beitr., I, 506). Cf. aussi snây lavari.
Ane. persan nâvi, persan nâw, nâivaïi, naivâraJi, dimin.
nâwêah, bateau, puis tout objet creux et long, auge, canal, etc.,
puis vase en général. Kourde naw; armén. nav, navag, navig;
ossète nau.1
Grec vctvÇy ion. vvfiçi f., vctvTqç, vclvtiAoç, matelot, etc. —
Cf. vue*) pour vctFùù, éol. vctvco, couler = sansc. snu, le groupe
initial sn étant étranger au grec.
Latin nâvis, f., nauta, nàvita, matelot, etc.
Ane. irl. née ( Z.2, 56 ), nau ( ib., 33 ), mod. naoi, naebh
(O'R.), dimin. naomhôg, — Cf. cymr. noe, armor. nev, néô,
baquet, auge.
Ane. allem. naivaou. nawi (Graff, II, 1109); dial. bavarois
nau. Cf. scand. nôi, vasculum.2
Polon. nawa, manque en ancien slave et russe.
2) Scr. plava, plavâkâ, bateau, radeau; de plu, natare,
nave vehi, fluctuare, salire = pru; enzend/rw (Bopp, Verg.
Gr., I, 233).
Gt. 7rXoïoVy bateau ; de 7rhioù (7rAiFa)), flotter, naviguer.
Cf. 7rhooç, 7rXovÇ) navigation, 7tXoùty\^ batelier, nageur, etc.
Ang.-sax. jlota, jliet, vaisseau, flota, matelot; anc. allem.
fiudar, radeau, floz, scapha (Grimnij D. Gr., III, 437); scand.
1 Justi (171) donne le zend nâvaya, adj., fluide, coulant, suivant
lui de ç nâ, laver, et — scr. nâvya.
* Ici, peut-être le goth. nd£a, poupe, d'ailleurs isolé.
— 237 —
floti, lin ter, elassis. Cf. ags. flôwan, fluere, scand. Jlôa, inun-
dare, anc. ail. flatvjan, fluitare, lavare, etc.
Litli. plauksmas, plausmas, radeau, de la forme augmentée
plaukti, naviguer, nager. Cf. plduti, plowiti, laver, pléditi,
flotter, etc.
Anc. slave plavï, navis ; russe plovû, canot ; illyrien plav,
vaisseau, plavza , plavciza, bateau. — Cf. ancien slave et
russe pluti, plavati, naviguer, nager, illyrien plivati, polonais
plywaé, id., etc.1
3) Pers. parandah, barque , bateau, aussi oiseau, de parî-
dan, voler, proprement traverser l'air. Cf. zend par, père, scr.
pf, traducere, d'où para, rive opposée, pâraha, qui fait traver-
ser un fleuve, du causât, pâray.
Grec 7TUf>ûùv, espèce de vaisseau léger, latin paro. — Cf.
7rtpcLùù, traverser, etc.
Ang.-s&x.faer, scand. far, navire ; anc. ail. ferid, id., farm,
celox, navis genus, ferjo, ferari, nauta, furt, vadum, etc. —
Cf. goth. faran, farjan, ire, vehi (nave, curru), et ses analo-
gues germaniques.
Lith. par amas, bac, radeau. Cf. anc. aW.farm.
Russe paromu, polon. prum, id. — De là l'allem. moderne
prahm et notre prame. Cf, anc. slave prati (perd ) et pariti,
volare, d'où pero, plume, comme en pers. par, far, plume et
aile, kourde per, de paridan, voler. Le latin pluma se lie de
même à la racine phi, d'où, en sanscrit, plâvin, l'oiseau qui
nage dans l'air.
4) A côté de ces trois groupes de noms dont les affinités
sont assez multipliées pour être sûres, il se présente un bon
1 Ebel (Z. S., 7, 228) compare aussi le latin plaustrum, en tant
que véhicule.
— 238 —
nombre de rapprochements d'une valeur plus incertaine, et
que je fais suivre ici à titre d'indications.
a) Scr. kalâ, bateau, sans doute de kal (kalayati), agere,
impellere.
Kourde kalek, espèce de radeau sur des outres.
Latin celox, vaisseau léger. Cf. celer, celeritas, et le grec
KiXv\ç, coursier, KîXofAc&i, xztevù), tcîAXct), agere, mcitare.
Russe éelnïï, celnoku, nacelle, bateau, pol. czblno, czolnek,
boh. élun; peut-être plus directement au scr. calcina, mobile,
fluctuant, vacillant, de cal, ire, vacillare, allié, d'ailleurs, à
kal. Cf. anc. si. clanu, élenu, articulation mobile.
F) Scr. kola, canot, radeau. — Cf. kul ( kôlati ), continuo
procedere (Dbâtup.), mais racine fictive suivant le D. P.
Irl.-erse culaidh, bateau.
c) Scr. aritra, vaisseau (?) et rame.1 Voy. plus loin pour
l'étymologie.
Irl. arthrach, vaisseau, bateau (O'R.); mais on trouve aussi
arthach et atrach (O'R.), ce qui rend ce rapprochement dou-
teux tant que la vraie forme n'est pas constatée.2
d) Scr. tara, radeau; tari, tarant, taritrî, tarantî, etc.; ba-
teau. De la rac. tf, tar, transire.
Russe tara, espèce de bateau ancien ; pol. trativa, radeau.
é) Scr. kanthâla, bateau, baratte, etc. (Orig. incertaine.)
1 Le D. P. ne donne à ce mot védique que les acceptions de rame
et de gouvernail. Kuhn [Ind. Stud., I, 353), en accord avec Rosen,
lui attribue aussi celle de vaisseau. Il est certain que, dans le passage
du Rigvêda (I, 46, 8) : Aritrâ va divasprthu tîrthô sindgûnâm , na-
vis vestra, cœlo amplior, in littore marium (est), précédé qu'il est par:
â nô nâvâ yâtam, nos nave adite, le sens de vaisseau convient mieux.
Un gouvernail grand comme le ciel occuperait décidément trop de
place.
2 Dans le Cath Maghleana, édité par O'Curry, je trouve le datif
plur. arthraigibh, rendu par : to the vessels.
— 239 —
Gr. Kccvêupoç, espèce de bateau? vase à boire, etc.
/) Scr. vâriratha, radeau, littér. char d'eau.
Lat. ratis, id.
Erse ràth.
Le scr. vahana désigne à la fois un char et un bateau, et
de vah, vehere, dérive vahitra, bateau, comme en latin vecto-
riwn, vaisseau de transport, de veho.
g) Scr. bhasad, radeau et canard (Cf. t. I, p. 489).
Gr. <pcL<j-rjXoç, canot.
h) Pers. kiraiv, canot. — Cf. karap, kirep, hereb , bateau,
dans plusieurs dialectes turcs (Klaproth, As. Polyg., Atlas).
Gr. Kct,pa(icç 5 lat. car abus, scapha e vimine et coria (Isid.,
Glos.).
Irl. carbh, vaisseau et char; dimin. cairbhin.
Ane. si. korabï, korablï, navis, russe korablï, pol. et bohém.
korab.
Lith. korâblus, id.
L'origine de tous ces noms n'est peut-être pas la même
malgré leur ressemblance. Miklosich (Rad. slov., p. 37) rat-
tache les mots slaves à kora, cortex, en observant que le boh.
korab a les deux acceptions. Cf. le scand. barkr, bateau, barque,
et bôrkr, écorce.1
i) Pers. sal, bateau, radeau. Cf. scr. cal, sal, sél, vacillare,
ire (Dhâtup.).
Lith. sêla, sêlis, radeau de bois flotté. Cf. selêti, glisser dou-
cement, ramper.
k) Armén. lasd, vaisseau (Orig. ?).
1 Le russe kôca, bateau, cymr. cwch, armor. kôked, irl. coca, anc.
ail. kocho, id. (mot d'emprunt?), rappellent de même le sansc. éôéa,
écorce, armor. koehen.
— 240 — .
Tri. leastar, cymr. llestr, armor. léstr, vaisseau, bateau, vase.
Cymr. llest, llyst. vase.
Quand une partie seulement de ces rapprochements seraient
fondés, ils prouveraient déjà que les anciens Aryas ont pos-
sédé plusieurs espèces de bateaux, radeaux, etc.
§ 234. LA RAME ET LE GOUVERNAIL.
Les noms de la rame présentent des affinités remarquables
dans la plupart des langues ariennes, mais elles ne sont pas
encore classées d'une manière sûre, et il reste des incertitudes
sur les origines étymologiques.
1) Le scr. aritra, rame, gouvernail, et probablement aussi
vaisseau, a été rapporté par Kuhn, ainsi que nous l'avons vu,
à la rac. ar) dans le sens de lœdere^ scinder •#, appliquée plus
tard à l'action de labourer, ce qui l'a conduit à comparer ari-
traavec aratrum, etc. (Cf. p. 119). Le D. P., toutefois, n'ad-
met pas cette étymologie, et rattache aritra à la rac. ar, dans
l'acception d'inciter, exciter, mouvoir, faire aller, d'autant
plus que, comme adjectif, aritra signifie qui fait aller, qui met
en mouvement (treibe?id), ce qui s'applique parfaitement à la
rame, mais moins bien au gouvernail, et point du tout au
vaisseau, ni à la charrue. D'un autre côté, il est certain que la
rame prend quelquefois les noms de la pelle qui laboure, de
sorte qu'il est difficile de savoir lequel des deux sens a prévalu
dans l'origine. Le subst. aritar, rameur, ne décide rien, car
il a pu désigner celui qui fait aller le bateau, propulsor, ou
celui qui laboure les eaux, arator. Seulement il fait présumer
que la racine ar a été employée pour exprimer l'action de
ramer.
— 241 —
En grec, et par suite de sa double acception, la racine en
question a pris aussi une double forme, savoir ctp pour labourer,
et ip pour ramer. Ainsi iptryç = ipirrip, rameur = sanscrit
aritar, se distingue nettement de dpoTVjp, laboureur. Toute-
fois, le v\pv\ç des composés cifAQvjpqç, qui a des rames de deux
côtés, Tptripriç, qui a trois rangs de rames, ctAiyjpyjç, etc.,1 et
mieux encore le opoç de 7rèVTy}KOVTopoç, qui a cinquante rames,
offrent des variations de la voyelle. Le verbe i^ica'où, içîTTO)y
est sans doute un dénominatif.2 De là ipiT^oç, rame, lat. rëmus,
de resmus.
Je crois retrouver encore notre racine dans 7rpûûpa,, la proue,
en composition avec 7rpo, et ici le sens de couper et de labou-
rer conviendrait assurément mieux que celui de faire aller
pour la proue qui fend l'eau; mais peut-être le nom n'exprime-
t-il que le simple mouvement en avant. Cf. scr. pra -f- ar,
procedere.
La racine simple reparaît dans l'ang.-sax. et scand. âr, f.
angl. oar, suéd. ara, dan. aare, rame ( Cf. gr. qpviç), thème
primitif ara, fém. Le verbe roivan, auquel je reviendrai tout
à l'heure, semble différent.
En irlandais, nous trouvons ara, action de ramer (O'R.,
d'après un ancien glossaire), et la racine verbale est con-
servée dans iom-raim, pour iom-araim, je rame, d'où iom-
radh, iom-ramh, remigatio, à côté de l'erse iom-airt, id., de
iom-air, remiga, à l'impératif.5 Il est probable d'après cela
que l'irl. rdmha, erse ramh, d'où râmliaim, je rame, râmhaire,
1 L'expression de xwV» olxtyptiç (Eurip., Hec, 455) ne peut guère
signifier que la lame qui laboure la mer , et non qui pousse ou fait
aller.
2 Cf. Benfey, Gr. Wl, II, 305.
3 Le préf. iom, anciennement imm, imb, correspond au gaulois
am&i, au germ. umbi et au grec «V<£'-
II 1G
— 242
rdmhadoir, rameur, a perdu un a initial, et n'a pas de rapport
direct avec le latin rêmus.1
Par contre, c'est probablement du latin qu'est provenu le
cymr. rhwyf, rame, pour rhwym = rêm, d'après les mutations
ordinaires ; corn. rui/} armor. roéàv, roév, id.; mais à la rac.
ar appartiennent sans doute l'anc. corn, airos, armor. aros,
poupe, et l'anc. irl. erosse, id. (Z.2, 49, 1070), peut-être pro-
prement gouvernail.
Enfin, le lithuanien nous l'offre encore, sous la forme de ir,
dans irti (irru), ramer, d'où irklas, rame, irtojis, irrëjas,
rameur, irrimas, action de ramer, etc. Ce ir est à ar, la-
bourer (Cf. irklas, rame, et arklas, charrue), comme le grec
if à ÛLf.
En résumé, les deux racines, malgré leur tendance à se
séparer quelquefois, se confondent à tel point dans leurs dé-
rivés et leurs acceptions, qu'il est bien difficile de s'arrêter à
une décision étymologique. Si l'interprétation de Kuhn a
contre elle le D. P.,2 elle a pour elle, d'un autre côté, l'appui
plus récent de Max Mûller, qui l'adopte tout à fait.0 On
peut alléguer aussi en sa faveur l'analogie de plusieurs autres
noms de la rame qui se rattachent à la notion de couper et de
labourer. Ainsi le grec kûû7tyi^ de kq7ttùù) alban. kupi ( Cf. le
n° 5 des noms de la bêche, p. 115), le russe greboku, greblo,
rame, anc. si. grepsti (grebâ), ramer, grebeniie, remigatio, etc.
= grepsti, sepelire, c'est-à-dire fodere, d'où grobïï, fosse. Cf.
german. graban, etc. Le groupe qui suit est de même nature.
2) Il faut, je crois, séparer tout à fait de la racine ar l'ang.-
sax. réican (reoiv, reic), scand. rôa, angl. roiv, remigare, d'où
1 Cf. cependant l'anc. irl. râm, remus (Stokes, Hem.1, 26).
2 Et aussi l'opinion de G. Curtius, Gr. Et.3, p. 319.
3 Science oflangitage, p. 242.
— 243 —
ags. rodhere, redhra, remus, nauta, rewele, remigatio, navi-
gium, scand. rôdr, remigatio, rôdhr, remus, ancien allemand
ruodar, id., etc. La ressemblance apparente de ces derniers
termes avec le sansc. aritra, dont on les rapproche ordinaire-
ment, ne provient sans doute que de l'identité du suffixe de
dérivation, car on ne saurait assimiler Yi bref du sanscrit, qui
n'est qu'une voyelle de jonction, kYô, uo du germanique, qui
appartient sûrement à la racine. Cette racine me paraît être
ru, rû, scindere, d'où nous avons vu provenir déjà plusieurs
noms d'outils aratoires (Voy.p. 116). Le véritable corrélatif de
rôdhr, ruodar, rude?*, est le latin rutrum, qui se sépare bien
nettement de aratrum et de aritra. Je compare de plus le pol.
rudel, gouvernail, russe rulï (pour rudlï), lith. rûdelis, id. (Cf.
pol. rydel, russe rytelï, anc. si. rylo, etc., pioche, de ryti, fodere,
1. cit. ), auxquels ressemble singulièrement le cymr. rliodl,
rlwdol, rame.
Je trouve la confirmation de ce qui précède dans un second
groupe de mots qui se rattachent probablement à la forme
sanscrite lu, scindere, de la racine rû ou ru. En cymrique, le
gouvernail est appelé llyiv, d'où llyioydd, ancien corn, leuuit,
timonier ( Z.2, 1070 ), en armor. levier, id., de lévia, ramer
à l'arrière avec une seule rame, louvoyer (mot celtique). Les
bateliers disent couper, pour faire dévier l'esquif avec la
rame de l'arrière. On peut comparer de plus le lithuanien
laiwas et lîitas, lotas, bateau ou petit esquif, en tant qu'il fend
l'eau.
3 ) Le persan palah , le plat de la rame, se lie aux noms
de la pelle (p. 114 ). Cf. latin pahnula, cymr. palf, id., ainsi
que l'irland.-erse failm, gouvernail, irl. aussi palmaire etfal-
madoir.
Le pers. lâtû, rame, semble avoir perdu un p initial, si l'on
— 244 —
compare 7t\cltv\, ici., et 7rÀurvçt plat, large = scr. prthu et
lat. latus.
§ 235. L'ANCRE.
Les langues européennes s'accordent ici presque généra-
lement, mais cet accord ne résulte sans doute que d'une
transmission du grec ayKvpct, qui signifie proprement un
crochet. Cf. ctyx,oç, ctyitvAoç, etc. Dans ce sens, il répond au
sanscrit anka, a?ikuça, crochet, de anc, curvare.1 Le dérivé
ankura, coïncide lettre pour lettre, mais ne désigne qu'un
bourgeon, un rejeton, une tumeur, etc. Il est bien à croire
que quelque terme analogue aura été appliqué à l'ancre
dès les temps les plus anciens, mais la preuve positive fait
défaut. Je ne connais même aucun nom sanscrit de l'ancre,
et le persan ankar, angar, langar, vient très-probablement du
grec.
Les autres noms européens sont le lat. ancora, l'anc. irland.
ingor ( Z.2, 781 ), mod. ancoir, accaire, erse acair, acrach, le
cymr. angor, l'angl.-sax. ancor, ancra, scand. akkéri, anc. ail.
ancher, le russe iakôrï, et le lith. inkorus. Quelques noms ori-
ginaux, comme le cymr. Jieor, armor. héôr, éôr, l'irland. fos, le
scand. stiôri, l'anc. ail. senkil, l'anc. si. kotva, lith. hâtas, etc.,
prouvent bien que les peuples du Nord n'ont pas reçu des
Grecs ou des Romains l'ancre elle-même , mais ils sont
d'ailleurs fort isolés.
1 Sur la rac. anc et ses nombreux dérivés, cf. Pott ( WWb., 3,
119, sqq.).
— 245
§ 236. OBSERVATIONS.
Ainsi que je l'ai dit plus haut, les termes qui se rapportent à
un art plus avancé de la navigation, à la quille, au mât, à la
voile, etc., pour autant du moins qu'ils sont connus en sans-
crit et dans les langues iraniennes, n'offrent aucun rapport
avec leurs synonymes européens; et ceux-ci même diffèrent
beaucoup entre eux partout où ils n'ont pas passé d'un
idiome à l'autre.1 Il semble bien, d'après cela, que les anciens
Aryas n'ont point navigué sur la mer, mais seulement sur
les grands fleuves de leur pays, l'Oxus , le Jaxartes et
quelques-uns de leurs affluents. On ne saurait cependant en
conclure qu'ils n'aient eu aucune connaissance de la mer Cas-
pienne avant leur dispersion. Lors même qu'ils se seraient
avancés partiellement sur ses rives, comme nous le croyons,
rien ne les aurait stimulés à s'aventurer au large, et ils ont pu
se borner à l'emploi de simples bateaux à rame pour la pêche
ou la navigation côtière. Ainsi, les preuves diverses que j'ai
réunies au Chap. vi de cet ouvrage conservent bien toute leur
force.
1 Le latin vëlum, d'après Curtius, Gr. .EL3, 182, dérive de veho,
comme aussi vexillum. Cf. sanscr. vahala, vaisseau (douteux, d'après
D. P), et le slave veslo, rame. De là, peut-être, l'irland. f fiai =vêl
(Z.2, 21), corn f guil, mod. goyl, armor. gwêl, gwîl. L'anc. allem.
segal, scand. segl, ags. segel, angl. sail, etc., est rapporté de même
par Fick (891) à la rac. scr. sah (sagh), tenir, porter, supporter, d'un
sens analogue à vah. Du germanique sont provenus, d'une part le
lith. zeglas, pol. zagiel, de l'autre, l'irl. seôl, cymr. huil, hwyl = sêl.
L'anc. si. vëtrilo, de vëtrï, vent, ne se lie qu'indirectement au sansc.
vâtapata, toile à vent.
24:6 —
SECTION VII.
§ "131. LA GUERRE ET LES ARMES.
On se tromperait fort si l'on se figurait que les Aryas pri-
mitifs menaient, au sein de leurs vallées, une existence toute
paisible, livrés uniquement aux soins des troupeaux et à la
culture des champs, et ne faisant usage de leurs armes que
contre les animaux de la forêt. Tout indique, au contraire,
qu'ils formaient une race belliqueuse, sans cesse en lutte, soit
de tribu à tribu, quand ils eurent pris une certaine extension,
soit contre les peuples étrangers qui les entouraient au nord
et au midi. C'est ce que l'on pourrait inférer déjà du carac-
tère essentiellement guerrier et héroïque que toutes les nations
de sang arien ont déployé si brillamment dans l'histoire; mais
c'est ce que prouvent plus directement, et mieux encore, les
termes nombreux qui concernent la guerre et les armes, et qui
sont restés dans les diverses langues de la famille comme
autant de témoins des dispositions belliqueuses de nos pre-
miers ancêtres.
ARTICLE i.
§ 238. LA GUERRE EN GÉNÉRAL, LE COMBAT, L'ARMÉE.
Les termes généraux qui présentent des affinités plus ou
moins étendues sont les suivants :
1) Sansc. agi, combat, lutte ; âgikrt, qui lutte; âgitur, qui
— 247 —
triomphe dans le combat, âgipati, maître du combat ; agma,
agman, combat, expédition, carrière. Eac. ag, agere.
Gr. dydùVy lutte, àyti/tct , armée, etc. ; de dry où.
Lat. agmen, armée, expédition, marche ; de ago.1
Irl. dgh, bataille, aghach, belliqueux, aighe, vaillant.2
2) Scr. hâra, guerre, combat; praharana, id., prahartar,
combattant. Bac. hr, har} violenter agere; avec pra-, ferire,
vim inferre, irruere, avec sam-pra, pugnare.
Pers. â-zarm, guerre, bataille, violence, colère. Cf. zârîdan
et â-zurdan, molester, vexer, troubler (z régulièrement = h).
Cf. zend zar, être en colère, tourmenter, zaranu, colère
(Justi).
Gr. %ctp^, combat, dans Homère. Hesychius donne %clùcl
pour opyrj, colère, ce qui correspond au sens du pers. âzarm,
ainsi qu'à celui du védique hrni, colère (Naigh., II, 13), d'où
hrnîy, iratum esse. Le gr. Xctp^oLy joie, de %a,ipoùy exprime
d'une autre manière un mouvement vif de l'esprit.
Alban. X6Pg' guerre.
Irland. grim, guerre, combat , pour girm f == %ot,pfjLvi,
zarms*
Lith. zalna, armée, éalnërus, soldat; zal pour zar= har ;
cf. zalas, vert, et scr. hari, id., etc.
3) Scr. kâra, kârana, meurtre, carnage; rac. kf, kar, occi-
dere, laedere.
1 Stokes [Rem.1, 10) rapproche de agmen, l'anc. irl. «m, troupe,
manus (Z., Gr. C2, 268). Cf. lat. ex-âmen, essaim, pour ex-agmen.
2 O'Dav., GJ.,50, aighe= calma, brave; agh = indsaighed, atta-
que (ib., 51). Ici aussi l'irl. âr, cymr. aer, bataille, carnage, deagro,
si Zeuss, Gr. C.*, 17, a raison d'y rattacher le gaulois Veragri.
3 Mais cf. aussi le scr. san-grâma, bataille. Ici, directement, avec
g = h, %i le goth. gramjan, scand. gremia, anc. ail. gremjan, irri-
ter, mettre en colère, du scand. gramr, grôm (ags. et anc. allemand
gramj, irrité, hostile, grcmi, colère, ail. grimm, etc.
— 248 —
Ane. persan kâra, armée ; persan mod. kâr, bataille, kârî,
champion, combattant.
Irl. cear, mort, sang. i
Groth. harjis, armée, ags. hère, scand. lier, ancien ail. hari,
heri, id. Cf. ags. herian, vastare, scand. heria, arma circum-
ferre, herian, bellator, anc. ail. heriôn, etc.
Litb. haras, guerre, combat, armée, karône, bataille, ka-
reiwis, guerrier, karauti, combattre. De là peut-être kardlus,
le roi, comme chef de l'armée, anc. si. kralï, russe korolï, pol.
krôl, etc. (Nesselmann, Lith. Wb., v. c.)
4) Scr. yuddha, yudlima, combat, yudhâna, yôdha, yoddhar,
guerrier, âyudha, arme, etc.; rac. yudh, certare.
Pott et Benfey comparent \)0~^ivv\, combat, pour vS-'juLivy},
le spir. asp. remplaçant l'y (Et. F., I, 252 ; Gr. Wl, I, 680J.
Benfey conjecture aussi vtrcoçy javelot, de vd-ioç.
Irl. iodhnach, belliqueux, iodhlan, guerrier, héros, iodhan,
lance, iodhna, armes.2 — Ici , probablement , le Iud des an-
ciens noms propres cymriques et armoricains, Iudnerth, force
du combat, ludri, chef de bataille, Iudbiu, Iadnoe, ludlowen,
ïudivallon, etc. (Cf. Zeuss, passim.)
On a comparé l'ancien allem. gund, ags. yudh, etc., bellum
(Bopp, GL, v. c); mais, outre le g pour Yy (?), les dentales
ne correspondent pas, et il faudrait gunt et gud. Si l'on veut
passer sur cette anomalie, on rapprocherait mieux gund du
scr. nir-gandhana, carnage, de gandh, bedere (Dhâtup.).
5) Scr. bhara, bataille (Naigh., II, 17). — Cf. rac. bhf,
1 Ici les K»î/}£ç, déesses de la mort dans les combats ? Cf. wpxivw,
(Hesych.), nuire, ruiner, blesser.
2 Iodhna, armes (O'Don., Gl. ), aussi inna, deidna, et îudna.
-— 249 —
vituperare (Dhâtup.), ou zend bere, couper, tailler, Qapcà,
fer io, etc.1
Pers. barnûs, armée (?).
Irl. barn, bataille, baran, guerrier, baire, baradh, mort.
Ang.-sax. bearn, guerrier.
Lith. bârnis, bdrimas, querelle, dispute ; bdrti (bâra), gron-
der, blâmer, disputer. Cf. scr. bhf , bhar, vituperare.
Ane. si. brati, boriti, pugnare, bremï, bellum, borïba, certa-
men, borïtelï,borïtsï, certator; russe borôtï, combattre, vaincre?
brarii, guerre, querelle, dispute, etc., etc.
6) Sanscr. unmâtha, pramâtha, pramathana, carnage,
meurtre ; rac. math, manth, agitare, avec ud et pra, ferire,
occidere.
Gr. fJLQ&oç, bataille, tumulte du combat.
7) Scr. sprdh, sprdha, combat ; rac. sprdh, spardh, con-
tendere, pugnare, semulari. Cf. lithuan. sprauditi, sprausti,
pousser, presser.
Grec 7Tèf)S-ûô, détraire, ravager, 7riû(nçy destruction, «t-
Trif&ûû, expugno (Cf. Kuhn, Z. S., IV, 13).
Goth. spaurds, carrière, ags. spyrd, anc. allem. spurt, etc.
Proprement, lutte, comme en sansc. agi, carrière et combat.
8) Scr. badha, bandhana, carnage, meurtre ; badhatra,
arme, rac. badh, bâdh, ferire.
Irl. béd, béad, béud, dommage, mal ; de bend, à cause du d
non aspiré.
Anglo-saxon beado,beadu, -dote, combat, guerre, carnage ;
scand. bôd, pugna, bôdvarr, pugnax, bôdull, bôdill , carnifex.
9) Scr. varaka, bataille; rac. vr, var, defendere, tegere. Cf.
vâraka, défense, obstacle, vârana, résistance, défense, etc.
1 Le D. P. explique bhara, par das anpacken, l'action de saisir, de
la rac. bhar, portenir, emporter, agir avec violence.
— 250 —
Irl. forn, foirn, combat. — Cî.foirim, assister, secourir,/^,
défense, forach, lutte.
Ang.-sax. waer, guerre, angl. war. — Cf. goth. varjan, ags.
waerian, defendere, etc.
10) Scr. ru, guerre, combat; proprement bruit = rava,
ravana; rac. ru, rudere, clamare.1
Irl. rae, bataille 2 = rava; cymr, rhae, id.
Ane. si. rïïvariï, pugna, rïvaniie, mugitus. Cf. riuti (rêva),
mugire ; russe revu, reviénie, mugissement, etc.
11) Scr. khaga, combat; rac. khag, commovere, agitare.
Cf. khanga, épée, cimeterre.
Irl. cogairn, combattre, t cogad (Corm., GL, 44), moderne
cogadh, guerre, cogach, cogamhuil, belliqueux, coigne, lance. Le
g non aspiré indique, comme forme primitive, cong = sansc.
khang, avec le sens analogue de claudicare (agitare).5
12) Scr. râti, guerre, combat; rac. rat, mugire, ululare.
Ane. si. et russe ratï, guerre, ratïnu, belliqueux, etc.; reti,
contention, lutte, retiti, lutter.4
1 Cf. scr. tumula, bruit confus, et bataille, lat. tumultus, et scr.
rana, bruit et combat.
2 f Rôe, combat (S. M., I, 250).
3 Cf. Cogidunus f-dumnus?), rex Britanniaî (Tacit., Agricola,i4:;
Orelli, 1338), c'est-à-dire grand à la guerre (Gluck, Kelt. IV., 74);
mais aussi, avec la nasale, Congé (Duchal., 494), Congi, man. fig.
(Roach Smith Catal., 42), Congi di as, insc. à Modène (Longperrier) .
4 J'ajoute encore ici le scr. sênâ, troupe en ordre, armée, sans
doute de si, lier, comme le zend haêna, anc. pers. hainâ, arménien
hên, armée, de hi = si (Justi, 312). Ce mot ne se retrouve, à ma con-
naissance, que dans le cymr. hain, avec le sens de troupe nombreuse
et d'essaim, d'où heiniaw, essaimer. Cf. pour le sens examen, de ex-
agmen. A la même racine hi, si, se rattache le cymr. haid, armor.
Iiëd, essaim, troupe, ainsi que l'irl. f saithe, multitude, essaim
d'abeilles (O'Dav.^ GL, 116, et O'Don., GL), dans O'R. aussi armée.
Cf. scr. sêtu, lien, connexion, puis digue, pont, zend haêtu.
— 251 —
Dans les rapprochements qui précèdent, et qui, malgré leur
nombre, ne sont sûrement pas complets, j'ai laissé de côté plu-
sieurs termes européens qui paraissent 'avoir une origine com-
mune, et trouver leur racine en sanscrit. Ainsi le cymr. bel,
beli, guerre, ravage, bêla, combattre, belu, ravager, dévaster,
l'irl. bal, combat. Si l'on compare le cymr. bala, peste, le goth.
balveins, tourment, ags. balew, balo, exitium, malum, scand.
bôlv, bol, calamitas, anc. ail. palo, pernicies, pestis, J'anc. si.
bolï, aegrotus, bolestï, morbus, bolieti, cruciari doloribus, etc. ;
si l'on remonte de là au persan bala, violence, mal, on est
conduit à la rac. scr. bhal ou bhall, ferire, occidere (Dbâtup.).
Un autre exemple est le grec ftcLxfly bataille, de fict^of^cci,
auquel répond l'irl. machair, combat, et dont le sens primitif,
conservé par le latin 7nacto, se retrouve dans le sansc. védique
mah, caedere, mactare (Westerg.). Cf. maha et makha, immo-
lation, sacrifice, et, sur ces mots, Kuhn, Z. S., IV, 19, 21J
Quelques cas analogues se présenteront encore incidemment
dans les articles qui suivent.2
1 Toutefois le D. P. ne donne à mah que les acceptions de réjouir,
vivifier, exciter, honorer, célébrer, d'où maha, solennité, fête, sacri-
fice = mahas et makha, comme adj., joyeux, vif; et comme subst.,
sacrifice, mais non immolation. Reste l'affinité des termes européens
entre eux. Cf. Curtius, Gr. Et.3, 305, et, plus loin, l'un des noms de
l'épée, n°6.
2 Un exemple de ce genre se présente dans l'irland. cath, bataille,
cymr. f cat, mod. cad, le gaulois Catu- des noms d'hommes (Cf.
Z.2, 4, 37, 81). C'est là exactement l'anc. ail. hadu, ags. headhu,
guerre, combat, goth. * kathu. Leur racine commune ne se trouve
que dans le scr. çat, de kat, abattre, renverser, disperser, ni-çat,
frapper, abattre, vi-çat, briser, mettre en pièces, etc. Cf. çatêra,
çatru, ennemi, çâtana, -tin, qui détruit, zend çâtar, ennemi, tyran.
Fick (29) compare aussi jcotcç, haine, colère, et ailleurs (Spracheinh.
422) le nom propre thrace et phrygien Kôtvç, guerrier, combattant, et
Kôrvç, comme déesse de la guerre. J'ajouterai que Katu est aussi un
nom d'homme en zend (Justi, 77),
252
§ 239. LA GUERRE DES SIÈGES , LE REMPART,
LA FORTERESSE.
Il est certain que les Aryas, au temps de l'unité, n'étaient
pas disséminés à la façon des races nomades, et qu'ils avaient
non-seulement des demeures fixes, mais des centres perma-
nents de population, des villages et des villes, ce dont nous
verrons plus tard les preuves positives. Dès lors, et comme
ces centres de population devaient se trouver exposés aux ha-
sards de la guerre, il est à présumer qu'ils étaient protégés
par des enceintes susceptibles d'une certaine défense, si ce
n'est par de fortes murailles, et que l'art de l'attaque et de la
défense pouvait bien avoir pris ses premiers développements.
On remarque, en effet, une analogie si générale entre les
termes qui désignent l'opération d'assiéger, que le fait d'une
pratique ancienne des sièges ne saurait être contesté.
Les termes en question se rattachent presque partout à la
rac. sad, sedere, en combinaison avec divers préfixes. Ainsi :
Scr. upasad, upasada, siège de ville, de upa + sad, pro-
prement considère.
Gr. 7rpo<rKct,3-èÇoiu,cti,7ripMet3-iÇofÀ,6tiy assiéger, 7rtptKct3-y](riçi
siège; de ttçqç ou TTipi + kcctcù + tÇoTrctiy rac. iiï — sad.
Lat. obsideo, assiéger, obsidium, obsidio, obsessio, siège.
Irl. iomsuidhe, siège, de iom, hum, imb -f- suidhim. Cymr.
sawd = sad, siège.
Ang.-sax. ymbsittan, assiéger, anc. ail. umbisizan, id. —
Ags. ymbsety anc. allem. umbisez, bisezida, siège, hari-sezza,
siège d'armée.
Lith. apsédëti, assiéger.
— 253 —
Ane. si. obûsesti, id., obûsèdeniie, siège; russe obsiesti, pod-
siesti, assiéger, osajdenïe, osàda, illyr. obsieda, siège, etc.
Un accord aussi complet ne saurait être attribué au déve-
loppement propre de chaque langue, bien que la racine sad
soit restée partout en usage. Le sens de cette racine, en effet,
n'a pas un rapport nécessaire avec l'opération d'assiéger, qui
aurait pu s'exprimer, et qui s'exprime réellement de plusieurs
manières différentes. On doit en conclure que les anciens
Aryas ont fait et soutenu des sièges, et que, par conséquent,
ils ont eu des places susceptibles de défense.
2) Quant aux noms de la forteresse , du rempart, du mur
d'enceinte, etc., je me borne à indiquer les analogies suivantes,
sans vouloir les garantir de tout point.
a) Scr. kalatra, forteresse, peut-être de kal, dans le sens
de tenere, ligare, firmare, munire (D. P.).
Pers. kalât, kalâtah, château fortifié sur une hauteur;
kourde kalâ, id. ; ossète galoan, forteresse.
Alban. kaljà, id.; illyr. kula.
Irl. caladh, caleith, port, havre, comme lieu protégé (?).
b) Scr. varana, mur extérieur, enceinte, âvarana, rempart
(wall, outer bar. Wils.), en général protection, et tout ce qui
protège ; de var, vr, tegere, circumdare.
Zend vara, vare, locus circumseptus; pers. bar, bârah,rem-
part, fortification, bârû, id., tour.
Lat. vallum, rempart; peut-être de vahium, comme vellus
de velnus (p. 31). Cf. scr. val, vall, tegi (Dhâtup.), de var, et
valaya, enceinte.
Irland. fâl, id., enceinte ;fâlaim, enclore, entourer; cymr.
givàl, id. Cf. irl. balla, rempart, et batte, ville.
Ancien allem. wari, weri, rempart, etc.; de ivarjan, etc.,
defendere.
— 254 —
Ang.-sax. weall, wall, mur, ail. ivall, rempart.
Pol. waroivnia, forteresse; waroivaé, fortifier.
Lith. wâlinaSj ivôlas, mur.
c) Persan bast, mur; de bastan, lier, enfermer; racine bad,
band. — Kourde beden, mur de ville; armén. badnêsh, baduar,
mur, rempart.
Irl. badhon, rempart, boulevard (?). O'R.
d) Pers. daz, diz, forteresse. Cf. rac. sanscr. dagh, dangh,
tegere, protegere (Dhâtup.). Le z persan pour gh, h, sanscrit.
Cette racine, qui n'est pas encore constatée, et qui n'offre,
en sanscrit, aucun dérivé connu, se retrouve cependant en
lithuanien, où dengti signifie couvrir, denga, couverture, dangtis,
toit, dangùs, ciel, etc.
Irl. daingean, fort, fortification ; anc. irl. daingnigim, mœnio
(Z.2, 435).
é) Grr. 7rvpyoç, tour; macéd. (ivpyoç.
Goth. baurgs, place fortifiée, ville, ags. burh, id., beorh,
rempart, scand. borg, anc. ail. punie, etc.
Irl. briïgh, forteresse, bourg, palais, etc.
L'origine première de ces noms est d'autant plus incertaine
que l'on trouve en arabe burg, pour forteresse, tour, château,
rempart, bastion. Serait-ce là un nom emprunté à l'Europe,
et par quelle voie ?
§ 240. LE GUERRIER, LE HÉROS.
1) Parmi les noms du guerrier qui ne se rattachent pas
directement à ceux de la guerre et du combat, il en est un qui
semble jeter quelque jour sur l'ancienne manière de combattre,
et qui mérite une attention particulière. C'est le sanscr. sâdi,
— 255 —
sâdin, guerrier, plus spécialement celui qui combat à cheval ou
sur un char, c'est-à-dire qui est assis, de sad, sedere, par oppo-
sition au fantassin, padaga, padga, padâta, qui va à pied, de
pad, pada -f- garni ou at, ire.1
En anc. slave, le cavalier est appelé de même vïïsadïnû, vû-
sadtniku, russe vsadniku, de vû-siedati, conscendere, monter à
cheval ou en char, littér. s'asseoir sur.2
L'irl. suidh, erse saoidh, guerrier, héros, est également à
suidhim, sedeo, sad, dans un rapport qui serait resté incom-
pris sans les rapprochements ci-dessus. Il en est peut-être de
même du cymr. sawdwr, guerrier (= sâdivr), bien qu'il se soit
éloigné de seddu, être assis, parce que son sens primitif était
oublié. Cf. saivd, siège (Owen), sodi, placer, fixer. La circons-
tance que les chars de guerre étaient en usage chez les Bre-
tons du temps de César, et les anciens Gaëïs, aussi bien que
chez les Indiens, les Iraniens et les Grecs homériques, peut
expliquer la conservation de ce nom, qui paraît ainsi remonter
jusqu'à l'époque de l'unité, ainsi que la manière de combattre
à laquelle il se rattache.5
1 Aussi patti, padika. Cf. gr. TriÇôv, TreÇiyôv, infanterie, oi nsÇoi, lat.
pedites, cymr. peddyd, etc.
2 Cf. russe siadlo, pol. siodlo, illyr. sedlo, selle, lat. sella, de sedla;
ags. sadel, scand. sôdal, anc. ail. sattul, peut-être du slave, à cause
de l'irrégularité du d, t pour d.
3 Pour les anciens noms du char, cf. § 200. — En zend, le guerrier
est appelé rathaêstar, in curru stans, comme en sanscrit rathêshthâ-
Cf. savyêshthar, ou -shthâ, le cocher qui se tient à gauche, pour
laisser au guerrier le libre usage de sa main droite. Quelques noms
de la bride et du mors prouvent que l'art de conduire les chevaux
était connu des anciens Aryas. Ainsi le scr. khâlîna, mors, se retrouve
dans le grec %a\mç, mors et bride. Au persan kâmah, gâm, bride,
répond le grec xaVo?, latin camus, mors, anc. ail. chamo, id., lith.
hamanôs (plur.), rênes. — L'irl. cab, mors, de camb, rappelle l'ar-
ménien gab, bride; cf. scr. gambha, gueule, en irl. gob, etc.
— 256 —
2) Le scr. vira, héros, guerrier, comme adj., fort, puissant,
d'où virya, vîratâ, force, vigueur, héroïsme, vâira, prouesse,
valeur, vâirin, héros, etc., dérive sans doute de vr, var, arcere,
tegere, sustentare, d'où, plus haut, un des noms de la guerre
(n° 9).1 Le héros était le défenseur, le protecteur, et tel est
aussi le sens de l'ang.-sax. haeledh, anc. ail. helid, mod. held,
de helan, tegere.
On a rapproché depuis longtemps, soit de vira, soit mieux
de vara, lelat. vir, goth. vairs, lith. ivyras, anc. ir\. fer, cymr.
gwr (pi. gwyr\ etc. Pott et Benfey comparent également
comme provenu du moins de la même rac. var, le grec ripaç,
-ooç, pour Ftipoç, forme renforcée par guna et pourvue d'un
autre suffixe (mais lequel?).2 A l'appui de cette conjecture, on
peut citer le cymr. gwawr, héros = gwâr, qui suppose un
thème primitif vâra. Cf. scr. vâraka, défenseur, vârana, dé-
fense, et le cymr. gwara, -red, défendre, garder, etc.
3) Le scr. çûra, héros, lion, sanglier, signifie proprement
ferme, fort ; de là çûratâ, fortitude. Zend çûra, fort. Cf. rac.
çûr, firmum esse (Dhâtup.), aussi çûray, dénomin.5
Ici le gr. xvpioç, maître , seigneur, xvpcç, puissance, pou-
voir, d'où xvpoct), fortifier, etc.
Puis, mieux en accord avec le sens spécial du sanscrit, l'irl.
curadh, erse curaidh, curach, héros, guerrier, curanta, vaillant,
curantachd, vaillance. Cf. cur, puissance, force. — Le cymr.
cawr, homme fort, géant, serait comparable, si la diphthongue
1 D'après D. P., vira proviendrait de la même racine que vayas,
force. Est-ce tn, dans le sens de saisir, entreprendre, attaquer, ou bien
exciter, pousser?
2 Et. F., I, 221 ; Gr. Wl., I, 316.
3 Suivant D. P., à la rac. çû, dominer, être vainqueur ; zend eu,
être fort (Justi, 295).
— 257 —
aw (au) ne représente pas ici, comme dans la règle, un a pri-
mitif.
4) C'est également à la notion de force que se rattache un
nom germanique et celtique du guerrier et du héros qui
remonte sans doute à l'époque la plus ancienne.
L'anglo-saxon secg, scand. seggr} vir fortis, miles strenuus,
illustris (Cf. segi, pulpa nervosa, seigr, firmus, seigia, firmitas),
se lie à la même racine que le goth. sigis, ags. sige, sege,
sigor, scand. sigr, sigur, anc. ail. sigi, sigu, victoire. Comme
Aufrecht l'a montré dans un article plein de développements
intéressants (Z. S., I, 355), cette racine a été conservée par
le scr. sah, sustinere, perferre, resistere hosti, vincere, d'où
saha, sahas, force, exactement le goth. sigis et le vêd. sahuri,
victorieux, en ang.-sax. sigora.1
Un autre dérivé sanscrit, sahana, fort, trouve son corrélatif
dans l'irland. séighion, guerrier, héros, tandis qu'à salia, fort,
se rattache le nom de l'urus ou buffle, segh, et celui du fau-
con, séigh, l'oiseau fort. Gluck compare avec raison le Sego
de plusieurs noms d'hommes et de lieux gaulois, tels que Sego-
maruSj Segobodium^ Segobriga, Segodunum, etc., ainsi que
Sigo dans Sigovesus.% Dans la chronique irlandaise des IV Ma-
gist. (p. 219, 492), on trouve les noms propres Segan et
Segonan.
5) J'ajoute encore comme possible, mais incertaine à cause
1 De la rac. scr. darsh, être hardi, courageux, au causât, darshay,
violenter agere, surmonter, dompter, vaincre, d'où durdarsha, dif-
ficile à vaincre, vient aussi adrshya, adrshta, invincible. — Gluck
{NeueJahrb., 1864, p. 600) en rapproche 'Av£paVr»j, la déesse britan-
nique de la victoire. Cf. cymr. andras, espèce de démon (Owen).
Pour les autres affinités européennes de darsh, voy. Curtius, Gr. Et.3,
241, et Fick, 99.
2 Gluck, Die kelt. Namen bei Cœsar, p. 152.
Il n
— 258 —
de son isolement, la comparaison du scr. ûrdara, héros, d'ori-
gine inconnue, avecl'irland. ordlach, id., c'est-à-dire vaillant,
de ord, gén. uird, id.1
§ 24) . L'ESPION.
La ruse, aussi bien que la force, jouait son rôle à la guerre
aux temps les plus anciens, et l'espion avait déjà pour office
de scruter les desseins de l'ennemi. C'est ce que prouve un de
ses noms qui est resté en usage en sanscrit comme dans plu-
sieurs langues européennes.
Le sansc. spaça, espion, émissaire, agent secret, vient de
spaç, proprement tangere, puis (d'après Wilson) informer,
rendre clair, évident, d'où spashta, manifeste, évident, comme
nous disons ce qui se touche au doigt.2 La forme paç, qui y
tient de près, a pris le sens de voir, et fournit quelques temps
à la racine irrégulière drç, videre.
En grec, spaç devient <tk,17T, par inversion pour Œ7riK\
<rKi7TT0[A,cu, considérer, regarder au loin, et, à spaça, répond
<rx,o7roç, espion, gardien, d'où a"K07nct), épier, surveiller, etc.
Le corrélatif latin spex ne s'emploie qu'en composition dans
auspex, haruspex, etc., et le nom de l'espion, speculator, se
rattache à speculari, de spécula, et de specio, specto.
L'anc. allemand spehari, espion, speha, exploration, spêhon,
épier, spahi, circonspect, sage, spahida, sagesse, prudence ;
Scandinave spâ , vaticinari , vaticinium , spakr , prudens ,
1 Dans Corm., GL, 132, ordlach, de ord, brave, mais avec un? de
Stokes.
2 Ajouter le zend spaç, espion, de spaç, voir, observer, veiller sur;
armén. çpaç, pers. çipâç (Justi, 303).
— 259 —
sapiens, etc., font présumer un verbe goth. spaihan, spali,
spêhun, qui manque dans Ulphilas.1
C'est du germanique sans doute qu'est provenu l'italien
spia, espag. espia, notre espie, espion, anglais spy, ainsi que le
cymr. yspiwr, armor. spier (Cf. spî, observation, affût, spia,
cymr. yspeiaiv, épier), et l'irl.-erse spin, espion , tandis que le
cymr. peithiwr, de peithiaw, yspeithiaw, paith, vue, aspect, se
rattache au latin specto.
L'irlandais, qui conserve rarement un p initial, lequel dis-
parait ou se change parfois en / ou en b, semble avoir con-
servé la racine paç dans féachaim, voir, à l'impératif féach,
féuch, vois! = scr. paçya, à' ou féich, vision, féachdin, aspect,
féachadôir, voyant, devin ; 2 mais on trouve aussi une forme
avec b, d'où beacht, observation, perception, beachdaim, con-
sidérer, et, surtout, beaclitôir, erse beachdair, espion, lequel
serait, en sanscrit, pashtar, pour paçtar et paktar.
Je ne sais si le pol. szpieg et le lith. spëgas, espion, sont in-
digènes ou empruntés au germanique.
§ 242. L'ENNEMI.
1) Le plus important des anciens noms de l'ennemi est le
sansc. dasyu, le destructeur, le méchant, le barbare, le bri-
gand, épithète ordinaire du démon Vrtra, l'ennemi par ex-
cellence. La racine est dâs = das, occidere , ferire, laedere
(Dhâtup.), d'où dasra, dasma, destructeur, brigand, le vêd.
dâsa, démon, barbare, etc.
1 Grimm, D. Gr., II, 53. Ulphilas (Marc, 6, 27) emploie pour espion
le mot étranger spaikulatur, du latin.
2 L'anc. irland. faicim, qui n'aspire pas le c, ainsi que l'observe
Stokes^/r. Glos., 149), serait-il pour faictim = specto ?
— 260 —
En zend, on retrouve clahma = da&ma, avec le même sens
de destructeur, et dahâka, le Zôhah des traditions persanes,
est le surnom du serpent créé par Ahriman.1 Le scr. dasyu,
par contre, est devenu daqyu et danhu, par suite des mutations
phoniques propres au zend, et a pris l'acception très-diver-
gente de province. Il est probable, comme le pense Burnouf,
que ce nom a désigné dans l'origine une contrée ennemie et
barbare, devenue tributaire des Iraniens.2
Un corrélatif de dasyu a été reconnu par Kuhn dans
l'adjectif grec Svfioç^ Sdïoç, ennemi, pour Syjtrioç, avec le <r sup-
primé, comme à l'ordinaire, entre deux voyelles (Ind. Stud.,
I, 337).3
Je crois pouvoir en signaler un second dans l'irlandais et
erse daoi, homme méchant, pervers, insensé, animal féroce,
plus anciennement, sans doute, dai, la triphthongue aoi étant
moderne, et provenu de dasi par la même règle de suppression
de Ys qu'en grec.
Ce qui donne à ces rapprochements un intérêt particulier,
c'est que cet ancien nom de l'ennemi paraît aussi avoir été
celui de l'esclave, d'où il résulterait que ce dernier était l'en-
nemi vaincu, le prisonnier de guerre. En sanscrit, en effet,
l'esclave est appelé dâsa, au fém. dâsî, c'est-à-dire le barbare,
comme dasyu et dâsa. De là dâsya, dâsatva, esclavage, etc.
C'est le persan dâh, serviteur, servante, et, comme adjectif,
bas, vil, ignoble.
i Zend dahma, de dah, détruire, ruiner, nuire; dahaka, malfaisant
(Justi, 150).
2 Burnouf, Comment, sur le Yaçna, p. 110, note. — Lassen, Ind.
AU., I, 524, compare le dahyu, province, des inscriptions de Persé-
polis. Cf. Justi, 145.
3 De môme Max Muller (Z. S., 5, 151). Cf. le phrygien àa'oç, loup,
pour iïoco-oç (?).
— 261 —
Pott, le premier {Et. F., I, 189), a interprété le grec §i<r-
7roTYiç comme maître des esclaves, ce qui serait, en sanscrit,
dâsapati, et Kuhn, qui adopte ce rapprochement, l'appuie en
comparant, avec iïi<T7roivct, pour Siom7roTVtu, le vêd. dâsapatnî,
malgré son sens différent d'épouse du démon ou de l'ennemi
(Ind. Stud., I, 337). Plus récemment encore, Max Mùller
(Mytli. comp., p. 29 ) le considère comme presque certain,
mais il prend otç = dâsa, dans l'acception de nation soumise,
d'abord ennemie, qui est propre au zend daqyu. Tout cela,
cependant, a été mis de nouveau en doute par Benfey (Z. S.,
IX, 110), qui voit dans SiCTTrorviç le scr. daînpati, maître de
maison, en supposant une forme damspati, conjecture à la-
quelle se rallie le D. P.
S'il fallait renoncer, d'après cela, à la certitude d'un rap-
prochement de §îç avec dâsa, on peut, d'après Pott (1. cit.),
en présumer un autre de SovAog, esclave , pour «WuÀoç, avec
les noms sanscrits de l'esclave et de l'ennemi, ce que rend
très-probable l'analogie de SctvKog, asper, hirsutus, pour
dWuÀoç, de Scurvç, id. Cf. scr. dasra = dasyu, brigand, et
qui pourrait être dasura, dasula. Ce qui est assurément remar-
quable, c'est que ce SovKoç, paraît se retrouver dans l'irland.
dûile, esclave, serviteur, qui semble provenu de dusile parla
suppression de Ys entre les voyelles.1 Je ne sais si l'on peut
comparer aussi le scand. doli, servus, dont le d ne correspond
pas régulièrement, et qui manque aux autres dialectes germa-
niques. C'est peut-être là un mot étranger.
On peut donc présumer avec beaucoup de probabilité que,
chez les anciens Aryas, l'ennemi prisonnier de guerre deve-
1 Dans le glossaire de Cormac (p. 59), on trouve duile (pour dui-
liu, servio), comparé avec SqvXzvùj, et sans doute aussi un dénomi-
natif.
— 262 —
nait esclave, comme d'ailleurs chez la plupart des peuples de
l'antiquité. Parmi les autres noms de l'ennemi, les suivants
donnent lieu à quelques rapprochements.
2) Scr. pîyu, pîyatnu, ennemi, scélérat; dêvapîyu, ennemi
des dieux, de pîy, offendere, lsedere, etc. Aufrecht, qui traite
de cette racine et de ses dérivés (Z. S., III, 200), lui attribue
principalement le sens d'insulter, de blâmer, de haïr.1 Il com-
pare, avec toute raison, le goth. fijan, haïr, etfaian, blâmer,
à^oùfijands, ennemi, et fiathva, inimitié. Cf. ags. fianetfiend,
fiond, scand.^rt etjiandi, anc. ail. fiên et fiant, etc. Il y rat-
tache aussi le lat. pejor, j>essi7nus, etc.
Comme l'irlandais change parfois en / un p primitif, il est
possible que/, mauvais, méchant, fiamh, horrible, abomina-
ble, fiamhan, crime, forfait, appartiennent au même groupe,
d'autant mieux que le cymr. offre Jiaidd, abominable, d'où
ffieiddiaw, exécrer. Mais, comme le p, dans quelques cas, de-
vient aussi b, on pourrait également comparer l'erse biûi,
biîiidh, biitthaid, hostis, et pugnator.
3) Scr. vimata, ennemi, de vi privatif et mata, honoré,
considéré, rac. man. Cf. vimati, aversion, vimanas, adverse,
vimâna, mépris, etc.
Je compare, quant au second élément et à la formation,
l'irlandais ancien ndma, gén. ndmat, pour ndmanta, ennemi,
au nominat. plur. namait , nantit, inimicus ( Z.2, 801),
irl. mod. ndmh, ndmhaid, où nd est la négation. Stokes, il est
vrai, explique ce mot par na-amat , na-amanta = in-imicus
(Ir. Glos., p. 65); mais il me semble mieux se rapporter aux
composés analogues tels que air-mitiu, honor (Z.2, 868), for-
1 Dans D. P., pîy, insulter, mépriser, pîyu, piyatnu, adj., hôhnisch;
piyaka,m., épithète des démons.
— 263 —
met, memoria, der-met, oblivio (223), qui appartiennent sans
contredit à la rac. man.
Un groupe de formations toutes semblables avec le préfixe
dus, maie, offre des analogies très-étendues. Ainsi, scr. dur-
manas, durmati, méchanceté, haine , zend dushmata, qui a de
mauvaises pensées, pers. dusJmian, ennemi, kourde dushmén,
afghan dochmen, id., grec S'va-f^ivyjç, ennemi ; irl. domhaoin,
méchant, mauvais ; illyr. barb. duscmanin, ennemi, etc.
§ 243. LE BUTIN.
Nous avons vu déjà, au § 177, que la guerre, aux temps
primitifs, devait souvent avoir pour but l'enlèvement des
troupeaux, qui constituaient alors la principale richesse, et
l'amour du butin en général a été toujours et partout un mo-
bile puissant des entreprises belliqueuses. Les anciens Aryas
n'auront pas été, plus que les autres peuples, à l'abri de ces
entraînements, et c'est ce qu'indiquent quelques noms du
butin qui se sont conservés à partir de l'époque de l'unité.
1) Le scr. Iota, lôtra, butin, pillage, vient de la racine lu,
secare, desecare, et signifie proprement dépouille. Cf. lava,
lavana, lûni, moisson, tonte, etc., et p. 136, etc.
En grec, nous trouvons Àewfc, butin, pour Mfiu, Àrçiç, etc.,
et la racine verbale se montre encore dans d7ro-Kctvoù, prendre
part et jouir d'une chose, d'où cc7roKctv(nç, jouissance, avan-
tage, etc. On y rattache aussi Xcltçov, salaire, ActTpiç, merce-
naire, etc., de Kccùù, pour Kclyoù = Xolvùù}
1 Cf. Pott, Et. F., I, 209; Benfey, Gr. Wl., II, 2; Curtius, Gr.
£*.3,338.
— 264 —
Le latin nous offre lucrum, lucre, et le nom de la déesse des
voleurs Laverna, d'où 'Idvemiones, voleurs. 1
L'irlandais se rapproche tout à fait du sanscrit, par son lot,
rapine, mieux sans doute loth, si l'on compare lothar =
lôtra (?), abscission, a cutting down (O'R.).
Lé goth. et scand. laun, anc. allem. laon, ags. ledn, n'a,
comme A#tooj/, que le sens de salaire. Cf. scr. lavana et lûni,
moisson, etc.
L'anc. si. loviti, captare, d'où lovu, venatio, lovitelï, vena-
tor, lovlienina, praeda, etc., se rapproche de nouveau de l'ac-
ception du sanscrit. Cf. pol. low, polow, butin, et les autres
dialectes passim.
2) Un second groupe moins étendu se rattache à la racine
scr. lup (lumpati), rumpere, d'où lôptra, butin. Cf. rup, vio-
lare, perturbare.
Bien que cette racine se retrouve dans la plupart des lan-
gues ariennes, on n'en voit provenir des noms du butin qu'en
germanique et en lith.-slave.' Ainsi:
Scand. rupl, rapina, ruplari, prsedo, rupla, spoliare. Cf.
goth. raupian, evellere, ags. rypan, spoliare, anc. ail. rauf-
jan, vellere ; sansc. riûfa, rumpere, etc., à côté du goth. rau-
bôn, spoliare, etc., rac. prim. rubh, qu'il faut peut-être en dis-
tinguer.
Lett. laupiums, butin. — Cf. lith. lùpti, écorcher, peler,
luppimas, action d'écorcher, etc.
Pol. lup, butin. — Cf. lupac, lupiè, rompre, fendre, peler,
piller, russe lupitï, id., etc.
1 Cf. corn, f lowern, id.; pi., leuirn (Lib. Land., 251); armor.
louarn, loarn, le renard, comme déprédateur ; ainsi que le nom
propre gaulois Aovépvioç, roi des Arvernes ( Posid. dans Athénée,
iv, 13).
— 265
§ 244. LA GLOIRE.
Si l'espoir du butin était souvent une incitation à la guerre,
on peut croire cependant que les anciens Aryas y ont été
portés aussi par des mobiles d'une nature plus relevée, le pa-
triotisme, l'honneur de la race, la gloire des armes. L'idée de
la gloire surtout doit avoir tenu une grande place dans les
préoccupations de nos communs ancêtres, car les termes qui
l'expriment ne forment qu'un seul groupe étymologique dans
six des rameaux principaux de la famille arienne.
Le scr. gravas, gloire, renommée, vient de gru, audire, et
signifie ce qui est entendu au loin. De là gravasyu, avide de
gloire, çruta, fameux, çruti, renommée, etc., ainsi que les noms
propres tels que Prthuçravas, celui dont la gloire est grande,
Satyagravas, celui dont la renommée est vraie, etc.
En grec, cru devient kKv et il en dérive kMoç, gloire, pour
KXiFOÇi exactement = gravas, kKvtoç, célèbre = gruta, etc.
Kuhn signale la parfaite identité du nom propre 'EtiokAyiç
avec Satyaçravas (Z. S., IV, 400).
En latin, nous trouvons cluo, clueo, être réputé, d'où in-
clutus, inclitus, célèbre.1
1 Pott (Et. F., I, 214) compare aussi gloria, mais sans justifier un
rapprochement aussi hardi. Kuhn (Z. S., III, 398) tente cette justifica-
tion, et cherche même à identifier g loria et le védique çravasyâ. Mais
gloria répond évidemment à l'irland. glôr, bruit, voix, glôir, gloire,
gloire, glôrach, glôrdha, glôrmhar, fameux, glorieux, du verbe glô-
raim, bruire en général, qui ne saurait, en aucune manière, se ra-
mener à cru, et dont le sens même éloigne toute idée d'un emprunt
fait au latin. Cela empêche aussi d'admettre la conjecture de Bugge
(Z. S., 19, 421), gloria pour clària, de clàrus.
— 266 —
Les langues celtiques nous offrent également du pour ra-
cine, dans l'anc. irl. clûu, gloria, fama ( Z.2, 25 ), moderne
cliu, ià., cliuthach, célèbre, cloth, renommée, louange. Cf. clui-
nim, audio = scr. çrnômi, part, clotha = çruta, clos, auditio,
cluas, oreille, etc. — Cymr. clod, renommée, clyw, audition,
clust, oreille, etc.
Les idiomes germaniques présentent une double forme hru
et Mu, dans Fane, allem. hruom, hrôm, gloire, mod. ruhm, et
hliumunt, renommée, rumeur, mod. leumund ; l'anglo-saxon
hlysa, hliosa, gloire, hlysan, anc. ail. hlôsen, célébrer, etc. Cf.
goth. hliuma, hliuth, auditus, scand. hlust, auris, etc.
Enfin l'anc. slave sluti, audire, donne naissance à slutiie,
slava, slavitsa, gloire, slavïnu , glorieux, comme à slovo,
parole, termes qui se retrouvent dans tous les dialectes. De là
le lith. szléwe, gloire. Le nom même des Slaves se rattache
sans doute ici.
On voit, par cet accord remarquable, que cet amour de la
gloire qui pousse aux exploits guerriers, et qui est resté si vi-
vace chez tous les peuples de sang arien, leur a été transmis
par leurs premiers pères,
ARTICLE II.
§ 245. LES ARMES ET LES INSIGNES DE GUERRE.
Il va sans dire que les anciens Aryas possédaient des armes,
puisqu'ils faisaient la chasse et la guerre. D'ailleurs, l'inven-
tion des instruments d'attaque et de défense a été partout une
des premières en date. On a trouvé des tribus sauvages sans
vêtements, sans ustensiles, sans habitations ; je ne crois pas
— 267 —
qu'on en ait découvert aucune qui fût sans armes. Partout
aussi les armes sont les mêmes en principe, et ne diffèrent que
par une exécution plus ou moins perfectionnée. La massue et
la lance, les plus simples de toutes après le bâton et la pierre,
n'ont pas exigé de grands efforts d'invention. L'arc et la
flèche sont déjà le résultat d'une industrie plus avancée, et ce-
pendant on les trouve en usage, de temps immémorial, dans
l'ancien et le nouveau monde, sans que l'on puisse supposer
aucune transmission de peuple à peuple. La pierre et les os
ont servi au début pour confectionner les pointes des lances et
des flèches, tout comme les couteaux et les haches ; mais les
glaives, qui exigent l'emploi du métal, sont sans doute d'une
origine plus récente. En fait d'armes défensives, le simple
bouclier aura été la première en date, tandis que l'armure sera
née pièce à pièce, en se complétant avec les progrès de l'in-
dustrie. Quand on voit ce qu'étaient déjà les armes chez les
Grecs à l'époque de la guerre de Troie, et chez les Indiens
des temps épiques, on doit reconnaître que ce perfectionne-
ment graduel a dû commencer de très-bonne heure, et se con-
tinuer pendant bien des siècles antérieurs.
A quel degré les anciens Aryas étaient-ils arrivés sous ce
rapport ? On ne peut le savoir que d'une manière imparfaite,
parce que les noms seuls des diverses armes ne nous appren-
nent rien sur leur qualité. De plus, ces noms, très-riches en
équivalents, ont subi de nombreux renouvellements, par cela
même que les armes ont été l'objet d'un intérêt constant, et
de modifications successives. Cela explique pourquoi les coïn-
cidences que l'on peut encore signaler sont ordinairement
limitées à deux ou trois branches de la famille arienne, et n'of-
frent aucune de ces affinités étendues que l'on remarque, par
— 268 —
exemple, pour les noms de quelques animaux domestiques. Il
faut ajouter que les transitions d'une arme à l'autre, ou des
noms généraux aux noms spéciaux, sont assez fréquentes,
l'arme qui tue, qui blesse, etc., pouvant désigner, ici la lance
ou la flèche, et là l'épée ou la massue. Ceci soit dit en vue des
rapprochements qui suivent.
§ 246. LA LANCE, LA PIQUE, LE JAVELOT.
1) Scr. cala, lance, bâton, piquant de porc-épic ; çalâkâ,
pieu, piquant, pointe de flèche ; çalya, çalyaha, id. Cf. çara3
çaru, çarya, flèche, çiri, id. et épée : tous de la racine çr, car,
lasdere, dirumpere = kf, kar, lgedere, occidere. Je ne compare
ici que les noms de la lance.
Irl. cdil, lance, javeline, calg, colg, aiguillon. Cf. cymr. cal,
col, cala, cola, colyn, aiguillon ;1 anc. slave et russe kolû, pieu,
pal, de klati (koliâ), mactare, russe kolotï, piquer, pol. hbl,
pieu, kolka, aiguillon, etc.
Irl. coir, lance, coirr, carr, id.2 = çara,çarya.
La rac. çr prend aussi la forme çûr, lsedere, occidere (Dhâ-
tup.). De là, avec l pour r, comme ci-dessus, çûla, pique,
dard , broche, çûlâ, pieu à empaler, en zend çûra, lance ; anc.
persan crvpotç == fj,ct%ct,içciç ( Hesych. ) ; armén. cour ( Justi,
296).
Ici, sans doute, le sabin curis, javelot (Ovide, Fast.,
2, 477). Cf. persan sûrî, espèce de flèche, où s est = ç sans-
crit.
1 Cal aussi pénis, gr. jcwXjj, latin coles, alban. kar, kare. Curtius
(Gr. Et.3, p. 142) compare aussi xîxov, flèche, trait.
2 f Carr (Corm., GZ., 47).
— 269 —
De même, avec s pour ç, comme dans d'autres cas, ancien
slave et russe sulitsa, illyr. suliza, lance (Cf. p. 123).
2) Scr. kunta, lance. Cf. kuntala, charrue.
Gr. kqvtoç, bois de lance, perche, pénis.
Lat. contus, lance, pique, pénis.
Cf. cymr. cont, irl. eut, de cunt, queue ; comme en cym-
rique llost, queue et lance.
3) Scr. kâsû, espèce de lance; probablement de kas = cas,
cans, csedere, kedere, ferire; que le Dhâtup. donne à côté de
kash, cash, cash, çish, etc. Cf. pers. kushtan, tuer, kourde kust,
il tua.
Irl. ceis, lance, pique. — Cf. casa, broche, aiguille, casdn,
casair, épine, piquant, casar, casrach, meurtre, casar, mar-
teau ( Cf. p. 195 ). Le maintien de 1'* indique partout une
consonne supprimée, s pour st, ou pour ns en recourant à
çans = cas.
Lithuan. kassulas, épieu de chasseur. — Cf. kàsti (kàssu),
fouir, creuser, et kassyti, gratter, étriller = scr. kash, id.
4) Zend gaêçu, gaêsu, nom d'une arme indéterminée dans
le Vendidad, 7, 150, et le Yaçna, 9, 33.
Spiegel (Avesta, II, 135) compare gaesum, ycturoç, yoiïtrov.
On sait que ce mot était gaulois et désignait une sorte de
javelot. De là le nom des TcturcLTOh pilo armati. Zeuss y rat-
tache aussi le galate TcuÇaropioç, au gén. (Polyb., 25, 4 ), en
corrigeant pioç par piyoç, nom. pi%. Il compare de plus Fane,
irl. gai, hasta, gaicle, gaithe , pilo armatus (Z.252; Stokes, Ir.
Glos., n° 216). O'Reilly donne aussi gaisde, armé.
Scand. kêsia, lance. — Grrimm conjecture pour l'ang.-sax.
gâr, scand. geir, anc. allem. kêr, lance, un corrélatif goth. gais
— gaesum; mais le goth. gairu, stimulus, rend cette supposi-
— 270 —
tion douteuse.1 Le g initial serait d'ailleurs irrégulier, à moins
que le mot ne fût emprunté du gaulois.2
5) Pers. san, lance, sha?iî, javelot, sanî, fer de lance ou de
flèche.
Armén. suin, lance. — Cf. scr. kshan, lsedere, interfi.cere,
gr. Zcu'vûô, P&vtov =r= pers. shânah, shanîzah, le peigne armé de
pointes.
Gaulois saunium, espèce de javelot à fer droit ou recourbé
(Diod. Sic, v, 29, 30).
Irl. so?i, sonn, pieu, massue ; somiaim, percer, frapper, son-
nadh, combat, etc. Cf. erse sbnas, vexation, et cymrique sènu,
vexer, insulter.
6) Pers. paykân, lance, pique, dard, flèche, pointe de lance.
Cf. paykan, pîkan, pic-hoyau, et p. 115.
Armén. pkhin, flèche.
Lat. spïca, pointe, spiculum, dard, flèche.
Cymr. picell, dard, javelot; irl. picidh, pique, etc.
Une rac. pik, avec le sens de blesser, piquer, piler, broyer,
et, en général, nuire, peut s'inférer de tout un groupe de
termes épars dans les langues ariennes. Ainsi en grec 7TM,pôç,
âpre, amer, cruel, en lithuan. peikti, mépriser, blâmer, paikas,
mauvais, méchant, piktà, méchanceté , piktis, le diable, etc. ;
en armoricain pika, piquer, fouir, etc., etc. Ici probable-
ment, comme formations secondaires , l'angl.-sax. feohtan,
scand. Jikta, anc. ail. fehtan, pugnare. Les Pictavi ou Pictones
1 Grimm, D. Gr., I, 91; II, 455, 494. —Cf. Diefenbach, Goth.
Wb.,\.c.
2 Sur le zend gaêçu , ses acceptions probables, et les conjectures
qu'il a fait naître, cf. Justi, 98. Voir, en particulier, un article de Bic-
kell (Z. S., 12, 438) , qui rattache le mot zend au scr. gavêsh, gêsh,
d'où gavishti, combat (voy. p. 69).
— • 271 —
gaulois, et les Picti calédoniens n'étaient peut-être que des
guerrier s. x
7) Lat. sparus, sparum, lance.
Ang.-sax. spere, id.; scand. spam, spôir, telum, anc. allem.
spër, hasta, etc.
Cymr. par, hasta, pour spâr (Stokes, Rem}, 12).
Anc. pr. sparte, pique (Nesselm., Thés., 221).
L'analogie du persan siparî, espèce de flèche, indique une
origine arienne primitive, et qui se trouve peut-être dans la
racine védique spr, spar, d'après Benfey (Sama Vêda, Glos.),
proprement combattre, puis protéger.2 La lance, en effet, peut
être considérée comme une arme défensive aussi bien qu'of-
fensive. Cf. pers. sipar, ispar, bouclier.
8) Gr. Àoyx^j lance, javelot.
Lat. lancea, mot gaulois, suivant Diod. Sic, v, 30, qui écrit
AayKiu.
Irl. lang, lann, lance, javeline.
Anc. si. lâshta, lance.
Cf. pers. lung, dard. — En sanscrit, lankâ désigne seule-
ment une branche d'arbre (Cf. t. I, 232), et c'est là, en effet,
ce qu'était la lance à son état primitif. 3
1 Cf. Fick, 124, qui admet une racine pik, primitivement couper,
tailler, ce qui serait aussi le sens propre du sanscrit piç, former,
orner, etc.
2 Le D. P. ne donne à spar [sprnôtij que les acceptions de libérer,
sauver, attirer à soi, gagner pour soi; d'où sparana, ad.j., qui délivre,
sauve, etc., et compare sperno. — D'un autre côté, sparitar, m.,
agent de douleur, se rapporterait mieux à spar (sprnâti), d'après le
Dhâtup., frapper, blesser, nuire, tuer, etc. = hins. De là sans doute
aussi les noms de la lance.
3 On peut encore ajouter ici Fane. irl. err, pique (Goid.t, 66), pour
ers, comme corrélatif du sansc. rshti, lance, de ars/i, piquer, percer,
en zend arsti, id., de ares h (Justi, 32).
272 —
§ 247. LA FLÈCHE.
1) Scr. pîlu, flèche.
Pers. pîlali, pîlak, bîlak, espèce de flèche.
Lat. pïlum, javelot.
Cymr. pilwrn, id. ; pilan, lance, ffil, dard.
Ags. pil, scand. pîla, anc. allem. phîl, mod. pfeil, etc., tous
du latin.
Si l'on compare les noms de la balle qui se lance, grec
7rÏKoç, lat. pila, irl. peiléir, cymr. pel, peled, pelen, armor.
pellen, etc., on est conduit, comme racine, au sansc. pil (pê-
lay), projicere, mittere (Dhâtup.). Cf. pêl, pal, pall, ire, grec
ttclXKoù, lancer, ttc^àûç, jet, 7rctXAct, balle ; lat. pello, cymr.
pelu, lancer, peliaw, brandir, etc.
2) Scr. astra, flèche, arme de jet, asanâ, asta, id.; de la
rac. as, jacere. Cf. astar, archer, et prâsa, flèche barbelée, de
pra + as.
Zend asta, id., de aç = scr. as, lancer (Justi, 43).
Armén. ashdê, lance.
Irl. astal, astas, javelot (O'R.). Cf. as, lancé, projeté, pour
ast = scr. asta, comme as, est = scr. asti. La différence des
suffixes rend peu probable une provenance du latin hasta,
dont l'origine est tout autre. — Cymr. aseth, javelot.
Benfey (Gr. WL, I, 663) et Kuhn (Z. S., I, 540) compa-
rent cL(Tty\û, clcrTûov, astrwn, zend açtar, pers. âstar, l'astre
qui lance ses rayons comme des flèches. Il est certain que sou-
vent les noms de la flèche et du rayon sont les mêmes ou
— 273 —
dérivent des mêmes racines/ et que ces racines ont parfois le
double sens de lancer et de luire, ce qui paraît être le cas pour
as, lucere, d'après le Dhâtup. Il n'y a donc rien à objecter à
ce rapprochement, et d'autant moins que le nom grec de
Téclair cL<rTçct7rYii oL<TTiQQ7rYi, renferme certainement celui de la
flèche. Kuhn considère aussi comme appartenant à ce groupe,
avec perte de Va initial, le védique star, étoile, latin Stella,
goth. stairnô, etc., aussi bien que le slave striela, ang.-saxon
strael, anc. ail. strâla, flèche et rayon ; mais la rac. str, star,
sternere, a été invoquée avec autant et plus de droit pour ex-
pliquer ces termes divers. Je doute plus encore de son rappro-
chement du scr. tara, étoile, constellation, météore, vêd. tar,
avecastar, etc. Cf. grec tuqqç, plur. Tilçict (II. ,-xviii, 485),
constellations. L's initiale de star a pu facilement se perdre;
mais, pour astar, il faudrait supposer que la racine entière a
disparu pour ne laisser que le suffixe, ce qui serait par trop
extraordinaire. 2
Je crois retrouver encore un corrélatif du sanscrit asanâ,
flèche, dans le goth. azna, de arhvazna, id., en considérant
arhv, avec Diefenbach (Goth. Wb., v. a), comme l'analogue
du lat. arcus. Ce mot composé désignerait la flèche en tant
que lancée par l'arc, comme le grec to^oQoàoç. 3
3) Scr. ishuj ishukâ, flèche, ishîkâ, id.,' et roseau, êshana,
flèche de fer; de la rac. ish, lancer, zend ishu, id., anc. persan
içu de ish (Justi, 58).
1 Par exemple, scr. gô, rayon et flèche, aktu, id., id., grec otïyXy,
B(\oç, irl. gath, anc. ail. strâla, id., id., etc.
2 Cf. Curtius (Gr. Et.3, 194). Justi, 298, s'en tient à la rac. as.
Fick, par contre (211), donne la préférence à star. De même D. P.
3 Cf. le sanscrit çarâsa, -âsana, arc, c'est-à-dire qui lance des
flèches.
II 18
— 274 —
Pott et Kuhn ( Et. F., I, 139 ; Z. S., II, 137 ) ont
comparé le grec ïoç, flèche, pour uroç, ce qui suppose un
thème isha. Benfey ( Gr. WL, II, 137) y rattache aussi
oÏ<ttoç, flèche, pour oykttoç, de ava + ish. L'irlandais fiuthid,
erse fihthaidh, fiuîûiaidh, fiùi, et iidJiaidh, flèche, où iu est
peut-être = ishu, serait-il composé de même avec un pré-
fixe/, fi = sansc. vi intensitif? Mais l'élément ajouté resterait
obscur.
4) Scr. bhalla, espèce de flèche. Cf. bhal, bhall, ferire, occi-
dere (Dhâtup.).
Gr. (pctXXÔç, <paXv\g, -yroç, phallus, sans doute primitive-
ment dard, comme kcvtoç, etc.
Irl. bail, arme en général, membre, instrument, etc. ; cymr.
bollt, dard.
Ang.-saxon boita, pilum, scand. byla, bylda, telum, bolti,
clavus ferreus; anc. ail. polz, bolz, telum.
Pol. belt, flèche, trait d'arbalète.
5) Scr. pradara, pradala, flèche, c'est-à-dire qui déchire,
fend, de pra + df, dar, dal, dirumpere, findere.
Pers. dalang, dard.
Ird. duillean, lance, dula, épingle. Cf. duille, feuille, cymr.
dal, dail, avec le scr. data, id.
Russe drotu, drotiku, dard, javelot. — Cf. anc. slave drati
{dera), scindere. L'ang.-sax. daradh, dard, scand. dôrr, hasta,
anc. ail. tart, lancea, d'où l'armor. dared et notre dard, n'ap-
partient pas à dr, en goth. tairan, etc., mais à une racine ger-
manique dar, angl.-sax. derian, léser, nuire, dam, lésion,
anc. ail. ter j an, laedere, tara, damnum, etc., qui serait en sans-
crit dAar. Cf. dhûr, ferire, laedere, et dhru, occidere, grec
èçctvct), etc.
— 275 —
A dal se rattache le scr. dalapa, arme en général, ainsi que
le grec SoXûùv, lat. dolo, poignard. Cf. dolabra, hache, doloire,
de dolo, et l'anc. slave dlato, russe doloto, etc., scalprum, de
deliti, lith. daliti, dividere (Cf. p. 168).
6) Scr. ghâta, flèche, c'est-à-dire qui tue, de han (ghan),
occidere, icere. Cf. ghâtaka, ghâtana, meurtrier, ghâtanî,
espèce de massue, et ha, hanu, gaghni, arme en général.
Irl. gath, gadh, flèche, lance, goth, gothnadh, goithne, lance,1
guin, erse guineach, dard. Cf. gen, gean , épée, et gen, goin,
guin, blessure, de gonaim, guinim, blesser = sansc. han.
7) Scr. gô, flèche, carreau de foudre, rayon. — Dans ce
dernier sens, et au pluriel gavas, les rayons sont considérés
comme les vaches célestes (Cf. p. 96), de sorte que ^o, rayon,
puis flèche, aurait une origine mythologique. On pourrait ce-
pendant ne voir là qu'un jeu de mots, et rapporter gô à la
racine de mouvement gâ, en composition gu, d'où gô, le cheval
rapide, ou bien à gu, sonare, du bruit de la flèche et de la
foudre.
Irl. gô, lance (O'R.); rapprochement douteux, soit à cause
de l'origine spéciale possible du mot sanscrit, soit parce que
gô peut n'être qu'une variante de goth, lance, qui appartient
à ghâta. 2
8) Scr. svaru, flèche et carreau de foudre, svarus, id., de la
rac. svar, sonare.
Cymr. chwarel, dard, javeline. — Cf. chwara, jeu, propre-
ment bruit, chwardd, rire, chwyrn, ronflement, sifflement, où
1 Goitni, lance (Stokes, Goid.2, 81). Cf. scr. ghâtin, adj., meur-
trier.
2 Cf. cependant plus loin une conjecture sur l'existence de gô, flè-
che, dans deux noms européens du carquois.
— 270 —
chiv est pour sv, comme dans chioaer, sœur = svasar, chwys,
sudor, de svid, sudare, etc.
§ 248. L'ARC.
Les noms de l'arc, bien qu'assez nombreux, n'offrent presque
aucune coïncidence directe certaine entre l'Orient et l'Occi-
dent; mais les termes qui le désignent, quand ils n'ont pas un
sens clairement dérivé dans les langues particulières, trouvent
plus d'une fois leur explication par des étymologies que j'ap-
pellerais préhistoriques, et qui témoignent de leur ancienneté.
Il semblerait, d'après cela, que les peuples ariens se sont par-
tagé ici un fonds commun de synonymes usités déjà à l'époque
primitive, comme on le verra mieux par les rapprochements
qui suivent :
1) Scr. âsa, astra, arc, de as, jacere; en composition ish-
vâsa, vânâsana, çarâsana, lance-flèche, dûlâsa, pour dûr-âsa,
qui lance au loin.
Benfey ( Gr. WL, II, 203 ) rattache à la même racine le
grec ctîfjLfAct, arc, pour ctF-îfTf^a, de ava + as, mais on pour-
rait aussi penser au scr. â-yam, tendere, d'où âyamana, action
de tendre, âyâma, tension, etc.
Scand. ys, yr, arc. — La différence de la voyelle est une
objection, car y est une modification de û, ou répond au iu du
gothique et de l'anc. allemand (Grimm, D. Gr., I, 291). Ce
mot est d'ailleurs isolé dans les langues germaniques et euro-
péennes.
2) Pers. kamân, arc ; aussi kaywân; laghmani et tirhaï
(du Caboul) kamân, kourde kâvena, arménien kamar. — Cf.
— 277 —
zend kamerë, voûte, pers. kamar, id. et ceinture, aussi kam,
kamand, etc. Cf. gr. KctfAdpct, lat. caméra et camurus.
Il est singulier que la racine verbale kam, courber, ait dis-
paru en Orient, et partout ailleurs, car l'irl. camaim, courber,
cymr. camu, armor. kamma, sont provenus de camb (Cf.
x,a,fÂ,7rTC*)), et le gaulois cambo- (cambos) dans plusieurs com-
posés (Zeuss, G. C2, 64, 81, etc). Le scr. kmar, curvare, que
donne le Dhâtup., est sûrement dissyllabique, comme le zend
kamar. Le scr. kâmuka, arc, que l'on serait tenté de compa-
rer, n'est, d'après le D. P., qu'une altération de kârmuka, dé-
rivé de krmuka, espèce de bois dont on faisait des arcs, et
n'aurait ainsi aucun rapport avec les noms iraniens. Il est dif-
ficile, cependant, de croire qu'une racine kam n'ait pas existé
en Orient.1
3) Gr. to^ov, arc.
Ane. irl. tuag, id. (Z.2, 27); irl. mod. tuagh. — ^Cf., p. 171,
tuagh, hache, et scr. takshanî, id.
J'ai déjà comparé ailleurs ( t. I, p. 265 ) le persan taksh,
l'arbalète, et le nom de l'if taxus, qui servait sans doute à faire
des arcs.
4) Lat. arcus.
Goth. arhu (?), dans arhvazna, flèche (vid. supra).
Irl. earc, arc-en-ciel (O'E.), peut-être du latin.
Pott (JEt. jF., I, 271) ramène arcus à arceo, dçKtù), sansc.
raksh, avec le sens d'arme défensive; explication qui laisse
bien quelque chose à désirer, car on se défendrait fort mal
avec un arc seul. Le sanscrit semble en offrir une meilleure
1 Le sens primitif de la racine sansc. kam, amare, aurait-il été
celui d'incliner vers, de se courber ?
2 Ce nom de l'arc, en tant que fabriqué, taillé, de taksh, semble
avoir son pendant dans le lith. kilpa, kityinnis, arc, de la rac. scr.
kalp, avec la même acception.
— 278 —
dans la rac. arc, lancer et rayonner, d'où arka, foudre,
rayon, etc.1 Toutefois, cette même rac. arc conduit aussi à une
autre étymologie non moins satisfaisante, en partant de l'ac-
ception de canere, sonare, qui lui appartient également.
En effet, la sonorité de l'arc et de sa corde, le JcXuyyvj
d'Homère, le gyâghôsha des épopées indiennes, est un sujet
fréquent d'allusions poétiques. Ainsi, dans le Ramâyana (I, 5,
19, éd. Schlegel), la ville d'Ayôdhya est appelée dhanuhsva-
naninâditâ, arcuum stridore resonans. Homère, en parlant de
l'arc de Pandarus, dit (77., IV, 125) :
\iy\z Bioç, vsvçh Si fxîy' /a%£v, ocXto «ToiVraç.
Stridit funis, nervusque valde sonuit, saliitque sagitta.
Et quand Ulysse tend son arc vengeur (Od., xxi, 411), la
corde rend un son clair, semblable à la voix de l'hirondelle.
C'est pour cela que le sansc. dhanu, dhanus, dhanvan, dé-
signe certainement l'arc en tant que sonore, de la rac. dhan,
sonare, laquelle cependant n'est pas encore constatée;2 tout
comme la corde, l'arc est appelé çingâ, çinginî, en pers. ching,
de çing, tinnire.0 Un autre nom de la corde, lôcaka, semble
1 Cf. angs. earh, flèche, trait ; ce qui serait le sens du goth. arhv-
azna, siFick a raison (p. 341) de ne voir dans azna qu'un suffixe de
dérivation.
2 Par cette raison, sans doute, le D. P. ne donne aucune étymologie
de dhanu, et pourtant l'existence de la rac. dhan, sonare, est plei-
nement confirmée par les langues congénères. Ainsi, pers. dânidan,
murmurer, dan, lamentation, danah, chant ; ang.-sax. dynan, stre-
pere, scand. duna, tonare, dynia, resonare ; irl. dan, chant, cymr.
dwn, murmure, etc., etc.
3 Cf. le passage védique cité dans le Nirukta, 9, 18, où il est dit de
la corde de l'arc : yôshê'va çinktê vitaiâ'dhi dhanvan, tendue sur
l'arc, elle chante comme une femme.
— 279 —
signifier celle qui parle , de lôc, loqui,1 et le pers. rûd, rôda,
corde d'arc, a aussi le sens de chant et de conversation
joyeuse, bruyante.2 La rac. arc, dans les Vêdas, s'emploie par-
fois en parlant du vent qui mugit, et pour exprimer un bruit
qui résonne en se prolongeant. Il n'y a donc rien d'impro-
bable à ce qu'il y ait eu anciennement un synonyme de
dhanu, arka ou arku, corrélatif du latin arcusê
5) Ang.-sax. bôga, scand. bogi, anc. ail. pogo, etc.
Ane. irl. bocc (Z.2, 854), irl. mod. et erse bogha; cymrique
bwa. La racine verbale est conservée dans le goth. biugan,
baug, bugun, courber, ags. beogan, etc. Les verbes irlandais
boghaighim , et cymr. bwâw , id., sont des dénominatifs,
comme arcuare, et ces noms de l'arc proviennent sans doute
du germanique. Les termes celtiques sont tuag et lub, lubdn,
de lubaim, courber, pour l'irlandais, et gwyrag, gwarek, pour
le cymrique et l'armoricain. Cf. gwyr, courbe = irl. fiar et
lat. varus.
En sanscrit, on trouve bien la rac. bhuéj, curvare, flectere,
avec plusieurs dérivés, mais sans aucun nom de l'arc, comme
on devrait s'y attendre.
6) Anc. si. ïàkû, arc et courbe, russe lukû, illyr. luk, pol.
luk, etc.
Lith. lankas.
i D'après Wilson et Westerg. flôcayatij; mais le D. P. ne donne
à ce causatif qne le sens d'éclaircir, faire voir, considérer (â-lôc), etc.
2 Cf. encore le sansc. gadayitnu, arc, et loquace, de gad, loqui.
3 On pourrait aussi, et peut-être mieux, penser à la rac. arc dans
le sens de lancer (abschnellen, abschiessen, D. P.), identique sans
doute à arc, rayonner, d'où arka, rayon, arci, -cis, id., etc. Arka
désigne aussi un jet d'éclair et un rayon de foudre, ainsi que le so-
leil. Cf. anc. irl. erc, ciel, irland. mod. earc, soleil, ciel et arc-en-ciel
(O'R.; Corm., GL, 19 ; O'Dav., Gl., 81).
— 280 —
La racine est Pane, slave lështi (lêkâ), lith. lenkti, curvare,
avec beaucoup de dérivés. Je crois ici, comme pour l'un des
noms de la lance (vid. sup.), à un rapport avec le scr. lankâ,
branche, car l'arc n'était primitivement qu'une branche. On
peut présumer une racine perdue lank, rank, curvare, alliée
peut-être à anc, ank, id., à laquelle appartiendrait aussi le si.
râkû, lith. ranka, main. Cf. le sansc. bhuga, main et bras, de
bhug, curvare.
Nous avons fait le tour des langues de la famille, et, à l'ex-
ception d'un seul cas certain (n° 3) et d'un autre douteux
(n° 1), nous n'avons trouvé aucun accord direct entre
l'Orient et l'Occident. Mais partout les noms de l'arc se
rattachent avec probabilité à des origines étymologiques
ariennes primitives, et se présentent ainsi comme des legs du
temps de l'unité. C'est d'ailleurs ce que confirment les noms
de la corde de l'arc, lesquels, chose singulière, se sont mieux
conservés que ceux de l'arc même.
§ 249. LA CORDE DE L'ARC.
1) Scr. gyâ, gyâkâ.
Zend zya, écrit jy 'a dans Justi (117); pers. zah, belout.
zaiha, siahpôsh^M
Gr. (itoç, (i pour g, g, aussi arc.
Cymr. gi, pi. giau, dimin. gieuyn, nerf, tendon; anc. corn.
goiuen, id.
Lith. gija, fil, trame.
J'ai déjà comparé ailleurs ces mots (t. I, p. 392) et con-
jecturé un rapport de gyâ avec gayâ, chanvre. Dès lors le
— 281 —
D. P. nous a révélé une racine védique gyâ (ginati), sans
doute alliée à gi, vincere, et avec le sens analogue de surmon-
ter, opprimer, violenter, d'où gyâ, oppression, violence, pri-
mitivement force, comme le grec /3/a, (Holoù, (ZiaÇco, qui y
répond de tout point.1 La corde constitue bien la force de
l'arc, et c'est là sans doute ce qu'exprime son nom. Je ne
crois donc plus à une contraction de gayâ, chanvre, mais plu-
tôt à une affinité primitive, avec la notion commune de force
qui appartient aussi à gi, vaincre, gciya, victoire, etc. Cf. zend
zaya, zaêna, arme, instrument ; pers. gân, gânah, armén. zen,
arme, etc. — C'est probablement à tort que j'ai rapproché
des termes en question le russe gujû, corde, à cause de la na-
sale de l'ancien slave gâjvitsa, vimen, qui indique une origine
différente.
2) Scr. tâvara, corde d'arc.
Zend thanvara, thnavara, id. (Spiegel, Avesta, I, p. 209).
Brahui (du Caboul) tanâb.
Ni Wilson, ni le D. P. n'indiquent d'étymologie pour le
sanscrit qui, vu la concordance du zend, ne peut guère déri-
ver que de la rac. tan, tendere et sonare, avec perte de Vn
devant le suffixe, et allongement de l'a.
A la même racine se lie le grec tovoç, tendon, corde, nerf,
et aussi son, ton, accent, de Ttiva), Tèvco.
Puis, avec un suffixe différent, l'anc. slave tetiva, corde
1 Cf. (Z. S., 15, 217) les vues divergentes de Max Millier, qui rat-
tache 0iog à la rac. vê (va), tresser, tourner, et Bloc au sansc. vayas,
force = f(ç, vis. Ascoli {Vorles., 98, 99) conteste ces rapproche-
ments.
2 D'après Justi (138), thanvara et thanvana désignent l'arc, et non
la corde, de la racine tan. Kuhn (Z. S., 2, 236) et Weber (Beitr. 4,
278) ramènent aussi le scr. dhanvan à la forme plus complète stan,
tendere et sonare, le dh pour t, par suite de la suppression de s.
— 282 —
d'arc, russe tetiva, pol. cieciwa, lith. temptywa, id. Cf. tempti,
tendre.
L'anc. irland. tét, fidis ( Z.2, 68 ), irland. mod. téad, te'ud,
cymr. tant, répond au sansc. tantu, corde, et ne désigne pas
spécialement celle de l'arc. Pour ce dernier sens, on trouve
l'irland.-erse taiféid = taifet, ta/et (?), qui semblerait indi-
quer un thème primitif tanvant, synonyme de tâvara et de
thanvara.
Tous ces noms divers peuvent avoir désigné la corde de
l'arc comme tendue ou comme sonore, en vertu de la double
signification de la racine tan. Cf. Tiivoù et crnvûù = scr. stan,
lat. ten-do et tono, tonitru, ang.-sax. thenian, scand. thenia,
anc. ail. danjan, tendere, et ang.-sax. thunian, tonare, thunor,
anc. ail. donar, tonitru, etc. Le scand. thundr, arc, signifie
probablement le sonore.
§ 250. LE CARQUOIS.
Les noms du carquois sont ordinairement des composés
significatifs propres aux diverses langues, comme le scr. ishu-
dhi, çaradhi, porte-flèche, le pers. tîr-dân, id.; l'ang.-saxon
earh-fere, le scand. ôrva-maelir, l'irl. gath-bholg, sac à flè-
ches, etc. Quelques-uns seulement donnent lieu à un petit
nombre d'observations comparatives.
1) Le scr. tulasârinî, carquois, est obscur quant à sa for-
mation, et le D. P. l'accompagne d'un point d'interrogation.
Tidâ, f., désigne une balance, un poids, et aussi une espèce de
vase,1 de tul, soulever, peser, équilibrer ; cf. lat. tollo; etsara
1 Cf. irl. tulân, chaudron (kettlej.
— 283 —
est un des noms de la flèche, mais la nature du composé reste
énigmatique. Il est probable, toutefois, que tula ou tula seul a
signifié un carquois (cf. tûna, tûni, id.); car, en persan, nous
trouvons dûl, et ce nom est conservé mieux encore dans l'anc.
slave tulu, illyr. tul, tuliza, boh. taul, carquois. Cf. anc. slave
prituliti, accommodare, proprement équilibrer? -pol.tulic, cal-
mer un enfant en le dorlotant, etc.
2) Les composés sanscrits nishanga, upâsanga, carquois, de
ni et upa + a -j- sang, adhasrere, signifient proprement ce
qui est attaché, suspendu, ce qui peut s'entendre, ou du car-
quois même, ou des flèches liées en faisceau.1 Je ne sais si
l'on peut comparer le pers. shagâ, shaghtâ, sakâ, carquois, dont
la sibilante ne correspond pas régulièrement, et je ne trouve
pas d'analogies parmi les noms européens du carquois. Par
contre, la racine sang pourrait bien nous donner l'explication
du lat. sagitta, la flèche en tant que liée dans le faisceau. L'anc.
irlandais sagit, plus tard saigheadh, et soigh, cymr. saeth,
vient peut-être du latin. Cependant le verbe saigim, adeo (Z.2,
995), c'est-à-dire je m'attache à, exactement le scr. sdng, à
cause du g non aspiré, peut faire croire à une origine indépen-
dante.
3) Le grec yoùpvroç, carquois, suggère un rapprochement
curieux, bien qu'un peu hypothétique. Benfey déjà considère
ce mot comme composé de yoù, qui serait identiquement le
sanscrit gô} flèche, et de puroç, dérivé de pvojucti, conserver,
protéger ( Gr. Wb., II, 114, 303), explication, sans contre-
dit, très-ingénieuse. Toutefois, et en adoptant sa conjecture
quant à yco, on pourrait aussi rattacher pvroç à la rac. ôv =
scr. ru, sonum edere, fremere, murmurare, conservée dans
1 Cf. erse dôrlach, carquois et faisceau, poignée, paquet.
— 284 —
co-pva, suivant Pott (Et. F., I, 213), = scr. â-rû. Voici sur
quoi je me fonde.
A la p. 73, j'ai parlé du sanscrit gôruta, qui correspond
lettre pour lettre à yapvTog, mais qui désigne une mesure de
distance, celle où l'on entend le beuglement d'une vache, go.
En prenant ce dernier mot dans l'acception de flèche, on au-
rait exactement le corrélatif du mot grec, et le carquois pour-
rait avoir reçu son nom du bruit qu'y font les flèches agitées
par le mouvement, la marche, etc. Ceci rappelle ce que dit
Homère d'Apollon, quand il descend irrité de l'Olympe (i7.,
I, 45) :
iuXocy^uv tfocf oivTÙ fat ojiuloov km/aimo.
Arcum humeris gestans, et undique tectam pharetram,
Clangoremque dederunt sagittae in humeris irati.
Cette interprétation semble trouver un nouvel appui dans
un nom germanique du carquois, l'ang.-saxon cocer, ancien
allemand chochar, allemand mod. kôcher, dont Benfey com-
pare le co avec le yoù grec, mais en rapportant char à la
rac. sanscr. dhvr (?). Il serait beaucoup plus simple de le rat-
tacher immédiatement à l'ang.-sax. ceorian, murmurare, anc.
ail. charôn, queri, cherran, strepere, etc. Cf. scr. gar, gar, so-
num edere, etc. Ainsi cocer , qui serait en sanscr. gôgara,
deviendrait l'équivalent parfait de yodQVTOç , expliqué comme
ci -dessus.
— 285 —
§ 251. L'ÉPÉE, LE SABRE, LE POIGNARD.
Les armes destinées à frapper d'estoc et de taille ont pris
des formes si diverses que leur nomenclature n'a pas cessé de
s'étendre, et de se modifier d'âge en âge. C'est pourquoi au-
cun des noms anciens ne s'est conservé d'une manière géné-
rale. Ce qui en est resté dans quelques langues suffit cependant
à prouver que ces armes ont été en usage dès l'époque primi-
tive; et comme elles supposent presque nécessairement l'em-
ploi du métal pour la fabrication des lames, on peut tirer de
là un argument de plus pour un certain degré de développe-
ment de l'industrie métallurgique.
1) Scr. asi, épée ; astra, id., arme en général, plus spécia-
lement arme de jet, de as, jacere.
Lat. ensis, concordance unique, mais sûre.
L'épée n'est pas une arme de jet, mais, en frappant du
glaive, on lance le coup, ce qui explique cette étymologie. Le
grec çiQoç, épée, se rattache de même à la racine scr. kship,
jacere, d'où kshipani, arme de jet, et coup de fouet lancé,
kshêpana, fronde, etc. Cf. pers. shîbâ, action de lancer des flè-
ches, shîw, arc, shîwan, lance, avec sh pour ksh, comme dans
shah, shaw, shaf, nuit = scr. kshapa. Le persan shifar, épée,
grand couteau, tranchant de glaive, que l'on serait tenté de
rapprocher de |/(Poç, provient sans doute de l'arabe shafrat,
pi. shifâry tranchant, bord.1
1 Pott (WWb., 4, 81) regarde f/@oç comme sémitique, en compa-
rant l'arabe saif et le cophte sifi. Fick (406) et avec lui Curtius
(Gr. Et.:Kt 651) se fondent sur le aw'poç de Hesych., et !»0», fer du rabot,
— 286 —
2) Scr. çiri, épée, de çf, car, laedere.
Goth. hairns, ags. heoru, heor, scand. hiôr, id.
Aux diverses formes de la racine çf ou 1er, car, kar, çal,
leal, etc., qui ont été signalées plus haut en parlant de la lance
et de la flèche, se rattachent aussi plusieurs autres noms de
l'épée. — Ainsi, à kar, le sansc. karanda, glaive; cf. kourde
kerendi, faux, armén. keranti, id.; kourde kêr, couteau, pers.
kâri, tranchant acéré, etc. A kal, l'irl.-erse calg, colg, épée, et
aiguillon; et le lithuan. kalawijas, épée.1 Il faut séparer de ce
croupe les noms du couteau qui appartiennent à la racine krt
(p. 178), zend kareta, persan kârd, ossète kard et chard,
épée, etc. C'est à ces derniers noms que paraissent se lier,
comme termes venus de l'Orient, le russe kârda, sabre, ill.
korda, polon. kord, alban. kord, hongrois kard, lith. kârdas,
ainsi que le scand. kordi, glaive. — Cependant le scand. hrotti,
épée, où les consonnes sont régulièrement changées, et sur-
tout le latin carduus, le chardon piquant, semblent indiquer
aussi une racine kard, laquelle rappelle le sanscrit khard,
pungere, mordere (de serpentibus ), isolée, il est vrai, dans le
Dhâtup.2
3) Scr. tanka, tanka, épée, burin, hache ; tanga, épée, pelle;
rac. tak = taksli (Cf. p. 171).
Pers. tak, tuk, pointe d'épée, bec. Cf. takah, flèche.
Irl. tuca (de tunca), épée, rapière, cymr. twea, espèce de
couteau, d'où l'anglais tuck, rapière. — Cf. cymr. tweiaw,
tociaw, couper ; grec tvjcqç, ciseau à tailler, tvkm, façonner,
TV)ti&, tailler ; anc. slave tuk, dans is-tuk-anu, simulacrum
pour comparer Pane, allem. scaba, rabot, scand. scafa, grattoir, et
skjafa, hache.
1 Cf. siahpôsh kalai, couteau, afghan cale, care, id.
2 Cf. de plus le lith. skerstifskerdu), tuer, égorger.
— 287 —
sculptum, russe tukati, tociti, piquer, tuca, pointe, pol. tyka,
pieu, etc.
A la forme taksh appartiennent le pers. tish, épée, l'armén.
tashnag, sabre, ainsi que le russe tesàku, glaive, polon. tasak,
coutelas, de tesàtï, tailler, etc.
4) Scr. bhidaka, épée, et foudre d'Indra; racine bliid (bhi-
natti), findere.
Irl. bideôg, erse biodag, épée courte, poignard; bid pour
bindj à cause du cl non aspiré. Cymr. bidawg, id.
Le nom de la foudre, qui est aussi bhidu, bhidira, bhidura,
bhidrcbj se retrouve également dans l'irlandais-erse beithir,
peithir.
5) Scr. rshti, rishti, épée, lance.
Zend arsii, id.
La racine est rsh, rish. arsh, piquer, percer, blesser, à la-
quelle appartient le latin arma, pour arsma, comme le prouve
l'ombrien arsmo (Cf. Z. S., IV, 46). Aucun nom de l'épée ne
correspond, mais j'ai comparé déjà (p. 110 ) l'anglo-saxon
reost, anc. ail. riostar, riostra, culter. Cf. aussi le scand. rista,
scindere.1
6) Anc. si. mecî, mïcï, glaive, russe mecî, pol. miecz, illyr.
mac, etc. Lith. méczius.
Goth. mêki, ags. mece, mexe, anc. sax. ?ndki, scand. maekir.
Cf. pers. mak, muk, lance, javeline, et peut-être latin mucro.
Le maintien du k germanique fait présumer une transmission
du slave au gothique. Le gr. fxct^cti^d, de [Ac(,X,o[j,cti, ne cor-
respond pas régulièrement. Une rac. mac semble indiquée par
le latin macellum, à côté de macto. Le Dhâtup. donne aussi
1 Cf., p. 271, l'irl. f err, pique, pour ers.
— 288 —
une racine maksh, scindere, qui rappelle singulièrement l'an-
glo-sax. mexe, glaive.
§ 252. LA MASSUE.
Bien que la massue ait en sanscrit plus d'une douzaine de
noms, dont deux, gada et vagra, se retrouvent dans le zend
gada et vazra, aucun n'a été conservé par les langues euro-
péennes, ni même par le persan, qui en possède cependant une
autre douzaine. Ces derniers seulement donnent lieu à quel-
ques rapprochements, et encore sont-ils assez incertains. La
massue, toutefois, est une arme si primitive, qu'elle doit avoir
été en usage dès les temps les plus reculés.
1) Persan kala, massue de fer. Cf. kâlîdan, mettre en
pièces.
Ossète qil.
Lat. clava, massue. — Cf. kXcIûùj briser, rompre.
Irl. cuaille; cymr. civlbren, id. (pren, bois).
Lith. kule, id., kulbé, maillet. — Cf. kulti, frapper.
Pol. kula, id. — Cf. anc. si. klati (koliâ) , mactare.
Le scand. kylfa, anc. ail. cholbo, angl. club, semblent être
des mots d'emprunt, vu le maintien du k. La racine commune
est la même sans doute que celle du § 246, 1, savoir kal =
kar, Va changé parfois en u par l'influence de la liquide. Le
grec KoçvvYi, massue , appartient-il à la même racine, ou à
kqçvçi tête ?
2) Pers. karzahj massue.
Irl. cairse, id.
Le z persan remplace quelquefois une s primitive,1 de sorte
1 Cf. Vullers, Inst. ling. pers., p. 25.
— 289 —
que ce rapprochement est licite, mais il n'en est pas moins
incertain, à cause de son isolement. L'origine de ces mots est
également obscure.
3) Armén. sunag, massue, gros gourdin.
Irl. son, sonn, id., id. — (Cf. § 270.)
§ 253. LE BOUCLIER.
Cette arme défensive, la plus simple de toutes, a été inven-
tée spontanément partout où l'on s'est battu, c'est-à-dire à
peu près chez tous les peuples du monde. Les anciens Aryas
la possédaient comme les autres, et, bien qu'ici également les
noms aient beaucoup varié, quelques-uns datent encore des
temps primitifs.
1) Scr. canna, carman, bouclier et peau.
Ane. ail. scenn, scirm, bouclier et défense, protection. Cf.
t. I, p. 203, aux noms de l'écorce, et p. 29, à ceux du cuir.
Les boucliers se faisaient avec l'une et l'autre matière. On
peut rattacher au même groupe général le siahpôsh karai,
bouclier, cf. corium, etc., et peut-être l'irland. câil, caile, bou-
clier et protection ; cf. anc. ail. skâla, scand. skêl, écorce, etc.
Benfey compare avec èarma, le gr. 7rd^v\, 7ra,\fA,v\9 latin
parma, par le changement ordinaire de k en p ( Gr. WL, II,
83). Mais nous verrons ci-après d'autres rapprochements pos-
sibles.
2) Scr. phala, pliara, phalaka, bouclier, et planche, feuille,
lame, etc. , de la rac. pliai, findi.
Kuhn (Z. S., 111,437) considère spal comme la forme
primitive, l'aspiration du pli remplaçant Y s supprimée, et
II 19
— 290 —
compare tr&tActç, banc, gotli. spilda, tablette à écrire, anc.
ail. spalt, fissure, spaltan, fendre, etc. La notion commune
serait celle de corps plat obtenu en fendant le bois. D'après
cela, on peut conjecturer que 7rctXfJLYi, 7rct^fLtyj^ bouclier, a perdu
également une s primitive, ce qui le séparerait de carma, et
7rct\oL^jLYi, latin palma, anc. ail. folma, la main plate, la -paume
de la main, se relieraient secondairement à la même origine.
On pourrait aussi y ramener 7ti\ty\-> lat. pelta, bouclier, auquel
semble répondre l'irland. failte, id., avec/ exceptionnellement
pour p.
A phara, de spara (?), peut appartenir le pers. ispar, sipar,
zipar, armén. asbar, bouclier. Toutefois, on trouve en sans-
crit védique une rac. spar, sauver, protéger ( D. P. ; cf. an-
glo-saxon sparian, scand. spara, ancien allem. sparôn, favere,
parcere), qui donnerait pour le bouclier un sens bien appro-
prié, et à laquelle wd^fA,^ pour <77r#^J7, se relierait mieux qu'à
pliai.
3) Scr. âvarana, bouclier. — Cf. vârana, armure, au § qui
suit.
Irl. fearn, id. — Cf. ang.-sax. ivearne, obstaculum.
La racine est var, tegere, et reviendra tout à l'heure.
4) Lat. scutum, bouclier. Cf. cdcvtoç, kvtoç, peau, cuir, et
cutis.
Anc. irland. seiath (Z.2, 18); cymr. ysgwyd, ancien armor.
sooit (Z.2, 97).
Anc. si. shtitïï, russe shéitû, illyr. sctit.
Alban. skiut, skutûre.
Aufrecht (Z. S., I, 360) rattache scutum et (tkvtûç à la
rac. scr. sku, tegere, tout comme Mikl. l'anc. si. shtitu, pour
shkitu. Un i pour u se montre aussi en celtique, où seiath et
— 291 —
ysgwyd indiquent un thème ancien scêtâ ( ê de i par gouna).
Cf. Stokes, Ir. GL, p. 148. Cf. <nc/#, ombre.1
Aufrecht sépare de scutum, avec raison, je crois, le lithuan.
scydas, scyda, bouclier, dont le d ne correspond pas, et le rap-
porte, ainsi que le goth. skadus, ombre (pour skatus) , à la rac.
scr. chad, tegere, provenue de skad. Cf. irland. sgathaim, cou-
vrir, sgath, ombre, etc. Il observe ensuite que cliadis, de-
meure, c'est-à-dire couvert, se présente dans les Védas sous
la forme plus complète chardis, ce qui indique une racine pri-
mitive chrd, chard = skard, et cette racine lui paraît rendre
compte du goth. skildus, ags. scyld, scand. skiôlldr, ancien
allem. scilt, bouclier. Ces conjectures sont à coup sûr très-
ingénieuses.
5) Lat. clipeus, clupeus, bouclier.
Scand. hlîf, scutum, tutamen, hlîfa, tueri, hlîfd, tutela, etc.
C'est Aufrecht encore ( 1. c.) qui rapproche ces deux noms,
malgré la différence des voyelles qu'il justifie d'ailleurs
suffisamment. J'ajouterai à cette comparaison celle de l'illyr.
o-klop, armure, cuirasse; cf. pri-klopiti, couvrir, néo-sl. sklê-
pati, claudere, r. klep (Mikl., Lex., 285). Pott (Et. F., II,
163) mentionne Fane, prussien au-klipts, abditus, et compare
Kot,\v7rTûù = KÇV7TT00 , cacher, couvrir. Je rappelle aussi les
crupellarii ou guerriers cuirassés chez les Gaulois, dont parle
Tacite {Annal., III, 43).
1 Haug [Gâthâs des Zoroasters, II, 95) signale en zend une rac.
sfti, couvrir, protéger, à laquelle il rapporte s-y-ioc et l'ang. shy,
ciel. Cf. irl. sceo, id. (O'R.) Justi, par contre, identifie ski avec kshi,
demeurer.
292
§ 254. L'ARMURE.
La nécessité de protéger le corps mieux que par le simple
bouclier, a dû suggérer de bonne heure l'emploi de l'armure,
qui toutefois n'a pu se perfectionner que très à la longue, et
pièce par pièce. Il serait intéressant de savoir si les anciens
Aryas étaient arrivés à fabriquer, au moins partiellement, des
armures métalliques; mais les langues ne nous apprennent rien
à ce sujet, parce que le petit nombre des termes comparables
n'expriment autre chose que la fonction de l'armure comme
défense. Il est probable que le cuir en a constitué d'abord la
matière principale, et que le métal y a été associé graduelle-
ment avant de le remplacer tout à fait.
1) Scr. varman, vârana, armure, cuirasse, varutha, id., et
cuir, de la rac. vr, var, tegere, circumdare. Cf. plus haut âva-
rana, bouclier, et les composés dêhâvarana, tanuvâra, armure,
c'est-à-dire qui couvre le corps, vanavâra, qui défend des flè-
ches, etc.
Zend vairi, vârethman , cuirasse (Haug, Gâth, I, 191, et
Justi). Cf. vareça, arme (ib. 189), vâra, protection, dé-
fense, etc. ; rac. var.
Armén. war, waruadz, armure.
Scand. veria, id. ; anc. ail. wari} weri, clypeus, gawer, arme ;
cf. goth. varjan, defendere, etc.
Le sansc. kâvâri, de ka -f- â-var (D. P.), désigne un para-
pluie ou une ombrelle, et signifie littéralement : quel (bon)
couvert ! — C'est là un de ces composés exclamatifs qui sont
assez nombreux en sanscrit, mais dont quelques linguistes
allemands ne veulent pas reconnaître l'existence dans la
— 293 —
langue arienne proethnique, malgré les faits qui paraissent
bien la constater. Ces composés cependant ont par eux-
mêmes un caractère de naïveté qui s'accorde parfaitement
avec la nature d'un idiome primitif, et on ne saurait les en
exclure a priori. Tout dépend ici du nombre et la valeur des
comparaisons, et le sansc. kâvârî nous conduit, je crois, à un
nouvel exemple assez concluant, à ajouter aux observations
déjà faites.
Il est évident que ce mot, ou un synonyme de ka-vara, en
vertu de sa signification, s'appliquerait aussi bien à une ar-
mure qu'à une ombrelle, et l'on trouve, en effet, le terme tout
semblable ka-vasa, quel vêtement ! pour armure. Or , le
persan nous offre kabrah, gabar, gabr, corselet de fer, cotte de
mailles, où le b est pour v, comme dans bar, bârah, rempart,
bar, barm, garde, protection, etc.; et l'irlandais, qui ne pos-
sède pas de v, et qui ne le remplace par / qu'au commence-
ment des mots, nous présente pour le bouclier le terme iden-
tique cabhara oucobhra.1 Peut-on mettre cette triple analogie
de forme et de sens sur le compte du hasard? J'en doute fort
pour ma part.2
2) Scr. gagara,gâgara, gâala, armure; forme redoublée. Cf.
gala, gâlikâ, cotte de mailles, espèce de casque, proprement
filet, de gai, tegere (Dhâtup.).
En zend, où cette racine serait zar, nous trouvons zrâdha,
ou zarâdha, armure (Spiegel, Avesta, I, 205). C'est le persan
1 (O'R., d'après un vieux glossaire.) Irl. moy. cobhair, id. (Maghr.,
p. 304.) Le verbe cobraim, cobraighim, je protège, j'aide, f cobrad,
juvet (Z.2, 359), est un dénominatif de cobair, comme en anglais
to shield = to protect.
2 Cf. pour le sens le sanscrit çarâvara, -varana, bouclier, armure,
qui protège contre les flèches, et aussi carquois, qui couvre les
flèches.
— 294 —
zirak, le kourde zerîk, l'arménien zrah (mais aussi garasi)
et le siahpôsh girah.1 — Le pers. ciighal, armure, paraît ré-
pondre au sanscrit gagala, comme l'ossète zgar, sgar, à ga-
gara.
En Europe, je ne trouve à comparer que le latin galea,
casque, irland. galiath, id. (O'R.), et peut-être Yir\and..goill,
bouclier.
3) Scr. saggâ, sagganâ, armure, équipement, vêtement, de
saggay, causât, de sag, sang, attacher, s'attacher, adhérer
(D. P.). Cf. sag, tegere (Dhâtup.), et Fick (192), à rac. sag.
Grec <TcLyY\, armure, harnais, (rctyuct, id., et manteau ;
ctolttci), rac. (Tcty, équiper. Cf- crotyrçi/rç, sagena, grand filet. —
Cf. le gaulois sagum, saie, etc.
Irl. sas, arme, instrument, de sdgs(?).
4) Scr. kukûla, armure et enveloppe, gousse; éôlaka, ar-
mure; cf. rac. kûl, defendere (Dhâtup.), avec réduplication.
Erse culaidh, id. Cf. cul (irl.), défense, garde.
Scand. hukull, hôkul, thorax, armure pour la poitrine; cf.
hekla, manteau; le k conservé irrégulièrement.
Ici probablement le gaulois cucullus, sorte de cape, ainsi
que d'autres noms du chapeau que nous retrouverons plus
loin. Comme la rac. kûl serait en zend kûr ou kur, on peut
comparer kniris, portion de l'armure que Spiegel traduit par
halsbedeckung, hauberge (Avesta, I, p. 205). La ressemblance
de ce mot avec notre cuirasse est un pur jeu du hasard.2
1 Ajouter huzv. zrâê, pars, zreh (Justi, 128), où zrâdha est ratta-
ché à zrâd = scr. hrâd, bruire, résonner.
2 Cf. Justi (83) qui mentionne notre rapprochement.
295
§ 255. LE CASQUE.
Destiné à protéger la tête, le casque est le complément né-
cessaire du bouclier, et a dû précéder l'usage des autres pièces
de l'armure. Cependant ses noms diffèrent presque partout,
parce qu'ils consistent généralement en composés significatifs
ou en dérivés des termes qui désignent la tête dans les lan-
gues particulières. Ainsi le scr. çirastra, çirastrâna, de ciras,
tête, et trâ, protéger, ou bien çîrshaka, de çîrsha, tête, etc., le
zend çâravâra (Vendid., 14, 39), armén. saghavard pour sala-
vard, de çâra, çara, tête = grec kcc^y\, kclqcc, et var, tegere
(Justi, 294); le gr. xbçvç, -vùoç, que Bopp ( Verg. Gr., 147)
explique par koçv + osa), capiti impositum, et qui, en tout
cas, se lie au nom de la tête, KOPvQq ; l'irland. ceannbeirt, de
ceann, tête, etbeirt, défense, armure; le cymv. penawr, peniel,
de peu, tête, etc.
Parmi les noms simples, je ne trouve à comparer, avec
quelque probabilité, que le sanscr. gala, espèce de casque en
mailles, déjà mentionné plus haut, et le latin galea, casque,
auxquels répond peut-être l'ang.-sax. colla, id., avec c régu-
lièrement pour g, g. L'irl. galiath, casque, peut être provenu
du latin.
Les Germains et les Lith.-Slaves ont en commun un nom
du casque qui doit remonter à une haute antiquité. C'est le
goth. hilms, ags. helm, scand. hiâlmr, anc. ail. helm, etc., d'où
notre heaume, l'anc. slave shlemil (shlemïniku, galeatus), russe
shlémïï; lith. szalmas. Grimm ( Geseh. d. deuts. Sp?\, p. 121)
compare le thrace tpLX^oç = Sooct, peau, suivant Porphyre,
qui explique le nom de Zalmoxis par la circonstance que ce
— 296 —
roi, à sa naissance, avait été enveloppé dans une peau d'ours.
Cela conduit Grimm à remonter au sanscrit carma , peau et
bouclier, comme un corrélatif des termes européens, qui au-
raient désigné ainsi un casque de peau ou de cuir. J'ajouterai
que l'irl. cailmhion, casque (Llh. et O'R.), qui semble répondre
au synonyme scr. carman, fournit un nouvel appui à ces rap-
prochements.1
§ 256. LE DRAPEAU, L'ENSEIGNE.
Les avantages d'un insigne de guerre comme centre de
ralliement dans le combat, et comme symbole de l'honneur
militaire et de la victoire, sont si naturellement indiqués, que
l'usage s'en retrouve chez les peuples les plus divers, sans
aucune influence d'imitation. Ainsi les Mexicains du temps
de la conquête avaient des étendards de plusieurs sortes qui
étaient sûrement de leur invention. Les peuples de la race
arienne possédaient tous des noms variés pour le drapeau ou
l'enseigne, mais aucun de ces noms n'offre des coïncidences
assez sûres pour qu'on puisse le faire remonter avec certitude
à l'époque primitive. Quelques termes seulement permettent
ici et là une conjecture.
1) Le plus intéressant de ces termes est le zend drafsha,
dans lequel, comme le dit Burnouf (Comment, sur le Yaçna,
p. 48, notes), « on ne peut s'empêcher de reconnaître le mot
<( d'où s'est formé le drappello et drapeau des langues de
« l'Europe occidentale et méridionale.» La ressemblance est,
en effet, frappante, mais il faut retrouver les chaînons inter-
1 Cf. cependant pour le germanique hilms, etc., l'anc. ail. helcrn,
tegere, lat. celo, etc.
— 297 —
médiaires, qui seuls peuvent confirmer une affinité réelle.
C'est là ce que je vais essayer.
Au zend drafsha se rattachent d'abord le pers. dirafsh, di-
rawsh, et l'arménien drôsli, drôshag, drapeau ; mais le persan
signifie aussi un bandeau que l'on met autour de la tête pour
aller au combat (Cf. diraivish, morceau d'étoffe), un tablier de
forgeron/ puis un éclair (= durushf), une lance, une épée
(durufshah), sens divers qui semblent difficiles à réconcilier.
Le verbe dirafshîdan, trembler et briller, peut conduire à les
expliquer, bien qu'il ne soit qu'un dénominatif.
Dans le sanscrit védique, en effet, on trouve drapsa, avec
l'acception de goutte, mais qui s'emploie aussi au pluriel,
drapsâs, pour désigner les flammes mobiles, ou les langues de
feu qui dévorent le combustible.2 Ceci se rapproche déjà du
zend drafsha, car le drapeau se compare facilement à une
flamme, et en porte quelquefois le nom, comme en français
oriflamme, et flamme pour banderole. Ce drapsa, d'après le
D. P., se lie probablement à la racine drâ, currere, causatif
drâpay, et désigne ainsi la goutte en tant que fluente, et la
flamme comme mouvante, ce qui s'applique également bien
au drapeau qui flotte, et rend compte du double sens du pers.
dirafshîdan, trembler et briller, luire, en parlant de l'éclair, de
l'épée, etc., comme en latin micare.
A drapsa, goutte, répond le grec tyoroç, rosée, à un thème
plus simple drapa, le kourde dlop, goutte. En germanique,
nous trouvons l'ang.-saxon dropa, scand. dropi, anc. allemand
1 Sans doute par allusion au forgeron Kâwah, dont le tablier servit
de drapeau dans la révolte contre Zôhak.
2 Ainsi R. V. ; I, 94, 11 : drapsâ yattô yavasâdô vyasthiran,
flammse quum tuas, graminis consumtrices, hic illic adsunt (Ed. Ro-
sen, p. 192).
— 298 —
trofo, goutte, respectivement du verbe fort driopan, driupa,
triufan {truf, trof, trauf), stillare, dont la racine druf, truf,
est à drap comme le 'sanscrit drâ, currere, est à dru, id.1
Une autre série d'analogies se lie au sanscrit drapa, le maré-
cage, la boue qui distille. Ainsi, l'irlandais drabhas, drib,
boue, drab, tache, l'ang.-saxon drof sordidus, le lithuanien
drapstyti ( dénom. ), salir, asperger. Tout cela nous prouve
l'ancienneté des termes en question, sans nous éclairer jus-
qu'ici sur la relation présumée entre le zend drafsha et notre
drapeau.
Le jour commence à se faire par le sanscrit védique drâpi,
manteau, vêtement, c'est-à-dire, sans doute, vêtement ample
qui flotte en tombant, acception qui nous ramène à celle du
persan dirafsh, dirawish, bandeau (dont les bouts flottent),
pièce d'étoffe, et que le zend drafsha a probablement par-
tagée. De là nous arrivons tout naturellement au lith. drapa-
nos, pi., qui désigne les linges portés sous les vêtements, la
chemise, etc., ainsi qu'à drobë, toile, termes qui se lient direc-
tement à une racine drab, drib, drëb, conservée dans dripti
(drimbu), pendre comme un corps qui vacille et va tomber,
distiller, en parlant de substances gluantes ou grasses, etc. Cf.
drabnus, qui pend, drapsummas, suspension, drabuzis ou dre-
buzis, tout ce qui pend du corps comme vêtement. Nous voilà
bien près du bas-laftn drappus, ital. drappo, drappello, et de
notre drap, drapeau.
Ce n'est pas, toutefois, du lithuanien qu'a pu provenir le
terme du bas-latin, mais bien probablement du celtique, et dans
les dialectes de cette branche, je ne trouve rien qui se rap-
1 Le d initial germanique est resté inaltéré par exception, comme
dans dauhtar, fille = scr. duhitar , id. Le p se conserve aussi plus
d'une fois à la fin des racines verbales.
— 299 —
proche des acceptions de drap, d'étoffe ou de drapeau. Mais
l'irlandais, à côté des mots drabhas, drab, drib, cités plus haut
et qui appartiennent certainement au même groupe, offre un
verbe dreapaim, driopaim, grimper , c'est-à-dire se pendre,
s'attacher à, qui répond parfaitement au lith. dripti, et d'au-
tant mieux que le p non aspiré indique une forme dreamp =
lith. drimbu} Dans le synonyme dreimim de dreimmim, c'est
\ep qui s'est assimilé. On peut dès lors conjecturer sans invrai-
semblance que dans quelque dialecte gaulois, comme en lithua-
nien, il aura existé des dérivés de cette racine avec le sens
d'étoffe, et peut-être de drapeau. C'est ainsi que ce dernier
nom paraît bien se rattacher en réalité, au moins étymo-
logiquement, au zend drafsha. Cela ne suffit pas cependant à
prouver que les anciens Aryas aient possédé, soit le mot, soit la
chose.2
m
2) Un nom du drapeau fort analogue par sa signification
propre est le latin labarum, sans doute de labo, vaciller, bran-
ler, commencer à tomber. Cf. sansc. lamb, labi, cadere, ava-
lamb, pendere, d'où lamba, qui pend, lambana, suspension,
et collier, etc., et le latin limbus, bordure de vêtement.5 A la
même racine appartiennent évidemment le cymr. lumman,
irlandais lomân (lommân), étendard, avec assimilation du b,
exactement le sansc. lambana, qui toutefois n'a pas le sens de
drapeau.
3) Le pers. sâmah, bannière, répond au grec omyjjut,a9omr}fMiovi
signum militare. Le sens précis du mot grec, signe, ne se
retrouve pas en persan, de sorte que l'on doit présumer un em-
1 De là aussi la non-aspiration du b dans drib, drab, boue, tache.
2 Cf. sur drafsha, huzv. drafsh, Justi (161), qui en réfère à cet ar-
ticle.
3 Cf. anc. ail. limfan, anglais to limp, boiter,
— 300 —
prunt de la part de cette dernière langue; ce qui se comprend
aisément pour un terme militaire.
§ 257. LA TROMPETTE DE GUERRE.
S'il n'est pas sûr que les anciens Aryas aient eu des dra-
peaux, on peut croire que, soit pour les signaux de guerre,
soit pour exalter l'ardeur des combattants, ils ont fait usage
de quelque instrument aux sons bruyants. En laissant de côté
la conque marine qui, d'après nos observations (t. I, p. 644),
n'a été employée que plus tard dans l'Inde et la Grèce, il est
probable que leurs premières trompettes n'étaient que des
cornes de bœuf.
Le pers. karncL^ trompette, en effet, a sûrement signifié une
corne, comme l'indique l'accord de plusieurs langues euro-
péennes pour cette double acception. Le lat. cornu, le goth.
■ haurn, ags., scand., ancien ail. horn, l'irl. et cymr. corn, ont
tous les deux sens, et on sait que les Gaulois appelaient
Kctpvcv leur trompette de guerre. Il en est de même du grec
kîûuç, dont l'origine est peut-être différente. Il semble diffi-
cile, d'après cela, de ne pas y voir un mot arien, et cependant
bien des doutes s'élèvent en présence de l'hébreu qeren, du
chaldéen qarnâ, de l'arabe qarn, qurnat, qui désignent aussi
soit la corne, soit la trompette. Comme ce nom de la corne
manque en sanscrit, où karna ne signifie que oreille,1 et
comme le zend cru, çrva, huzv. çrûb ( Justi) , corne, ongle,
pers. surû, diffère notablement, on reste fort incertain sur son
1 Le rapprochement souvent tenté de çrng a avec cornu, etc., reste
extrêmement douteux.
— 301 —
origine véritable. C'est là un de ces mots énigmatiques qui
semblent appartenir en commun aux Aryas et aux Sémites.
Si toutefois il y a eu emprunt de la part des premiers, il ne
peut avoir eu lieu qu'à une époque où le latin, le germanique
et le celtique étaient encore bien rapprochés entre eux, ce qui
donne en tout cas à ce nom de la trompette une antiquité
très-respectable.
D'autres noms de l'instrument se rattachent à ceux de la
corne dans les langues celtiques. Ainsi l'irl. bublial, cymrique
bual, avec les deux sens ; cf. bubalus; l'irland. stuc, erse stùc,
stiichd, corne, et stoc, trompette ; cf. ang.-sax. stocc, id. ; l'irl.-
erse dûd, corne, et dudôg, dudach, trompette. L'anc. irland.
buinne, tuba (Z.2, 13; cf. ang.-sax. buna, fistula), se lie sans
doute de même à benn, cornu (ib., p. 59), cymr. ban, et il est
singulier que ce nom celtique ne trouve d'analogue, à ma con-
naissance, que dans le buïnus, boïnus, corne, de quelques dia-
lectes turcs.1 On pourrait, d'ailleurs, penser à la rac. sanscrite
bhan, résonner, bruire, crier à haute voix (D. P.); bliâna,
espèce de représentation dramatique, bliânaka, proclamateur ;
aussi blian, parler, d'où bhaniti, parole, langage. Cf. le persan
ban, cri, â-bânîdan, acclamer, louer, célébrer, le grec (pùôvv\,
son, voix, chant, l'irl. boin, langage, le cymr. bànan, bruit
d'alarme, l'anglo-saxon ban, scand. bon, baen, invocation,
prière, etc.
Rien n'indique que les tambours ou les cymbales aient été
en usage au temps de l'unité, bien qu'en Orient, et surtout
dans l'Inde, ils aient joué plus tard un grand rôle. Leurs
1 On ne peut cependant rien en conclure, pas plus que de la coïn-
cidence, fortuite à coup sûr, du bambara (Afrique) bien, corne, avec
l'irl. benn.
— 302 —
noms diffèrent partout, et sont en général imitatifs, comme le
sansc. dundu, dundama, dindima, pataha, etc., l'anc. slave
bâbïnû, polonais bëben, russe bûbenu et barabanû; le scand.
bumba, etc. Notre mot tambour est du même genre, mais il
nous est venu de l'Orient, où on le trouve dans le persan
tambûr, tambûr âk, tumbuk, tabîr, armén. thembug; cf. kourde
tdmbur, guitare, instrument à cordes. Il a passé aussi dans
l'irland. tdbar et le cymr. tabwrdd}
§ 258. OBSERVATIONS.
L'ensemble des termes qui viennent d'être comparés auto-
rise certainement à conclure que les Aryas primitifs étaient
une race belliqueuse, et que l'art de la guerre avait pris chez
eux un certain développement. Leurs armes , il est vrai, étaient
celles que, de temps immémorial, nous trouvons en usage chez
tous les anciens peuples, la lance, l'épée, l'arc et les flèches,
sans doute aussi la massue, et peut-être la hache de bataille, et
comme défense le bouclier, l'armure et probablement le casque.1
Nous ignorons aussi jusqu'à quel point ces armes étaient perfec-
tionnées. Mais ce qui nous éclaire mieux sur la question géné-
1 Weber (Beitr., 4, 278) compare le sansc. dambara, dans â-dam-
bara, tambour, et aussi signal de la trompette pour l'attaque, et mu-
gissement de l'éléphant, dérivé peut-être de stam, <rrétu.Bio, fortifier,
c'est-à-dire encourager. Le persan tambûr remonterait à la période
indo-iranienne;, ou aurait été importé plus tard de l'Inde.
2 Pour la fronde, je n'ai rien trouvé à comparer, mais les Indiens
et les Iraniens l'ont possédée de toute antiquité. Dans le Vendidad
(xtv, 37), on voit que le guerrier devait être muni d'une fronde avec
trente pierres. Les autres armes spécifiées sont la lance, le couteau
(glaive), l'arc avec trente flèches à pointes de fer, la cuirasse, le hau-
bert, et les cnémides pour les jambes.
■ — oUo — '
raie, c'est la riche synonymie qui existait déjà pour la guerre,
le combat, l'armée ; c'est l'usage probable des chars de ba-
taille et du cheval de guerre ; c'est le nom du héros, peut-être
comme défenseur, celui de l'espion comme explorateur ; c'est
le fait peu douteux d'une certaine pratique des sièges, et de
l'existence d'enceintes fortifiées ; c'est enfin ce nom de la
gloire qui s'est conservé d'une manière si remarquable chez
tous les peuples de sang arien.
Quelles ont été les guerres des anciens Aryas? Quelles
luttes ont-ils eu à soutenir contre des races étrangères ? Par
quels exploits s'étaient-ils illustrés? Tout souvenir en est
effacé ; mais la vigueur d'expansion qui les a dispersés sur une
si vaste étendue de pays, la supériorité qu'ils ont conquise et
maintenue sur les autres races, l'ardeur des entreprises et
l'esprit d'héroïsme qui n'ont pas cessé d'animer leurs descen-
dants, témoignent à coup sûr d'un développement précoce et
puissant des vertus guerrières.
CHAPITRE III.
§ 259. LES PRODUITS DE L'INDUSTRIE.
Après avoir passé en ?evue les principaux arts et métiers
qui se rapportent à la civilisation matérielle, il faut compléter
le tableau que nous cherchons à en retracer par une étude des
produits de cette antique industrie. Nous en avons déjà con-
sidéré une partie en traitant des instruments agricoles, des
outils pour le travail des métaux, des bois, des étoffes, en par-
lant de la navigation et des armes; il nous reste à voir ce
qu'étaient les habitations des anciens Aryas, leurs ustensiles
domestiques, leurs vêtements, leur nourriture, enfin tout ce
qui concerne la vie journalière au point de vue matériel.
C'est ce que nous tâcherons de faire dans autant de sections
de ce chapitre consacrées à ces questions diverses.
SECTION I.
§ 260. LES HABITATIONS.
Se construire un abri contre les intempéries des saisons, et
comme lieu de repos pendant la nuit, est une des premières
— 305 —
nécessités de l'homme; mais la nature de cet abri varie suivant
les climats et les exigences qui résultent du mode de vivre,
et du degré de culture sociale. Le chasseur et le pâtre nomade
ne s'accommodent que d'un abri mobile, tente ou chariot ;
la demeure fixe, la maison proprement dite, est indispensable
à l'agriculteur ; enfin, les agglomérations de maisons et de
familles, en villages et en villes, sont le résultat nécessaire
d'une organisation sociale plus avancée.
Les Aryas primitifs, qui avaient sûrement traversé plu-
sieurs phases de développement avant leur dispersion, devaient
posséder des habitations de plus d'un genre , et c'est ce qu'in-
dique déjà la synonymie très-riche des anciens noms de la
maison. Ces noms ne datent point sans doute d'une même
époque, et se distinguaient probablement par des nuances de
signification qui se sont confondues plus tard. Si leur sens éty-
mologique, d'une nature ordinairement très-générale, nous
éclaire peu sur les détails qui piqueraient le plus notre curio-
sité, ils laissent entrevoir parfois les idées que les Aryas atta-
chaient à la maison et à la famille. On voit aussi, par la no-
menclature des parties de la maison, qu'ils possédaient déjà
autre chose que de simples cabanes. C'est ce que prouveront
les rapprochements qui suivent, et dont les plus évidents sont
généralement reconnus et acceptés. Ceux que leur isolement
rend moins sûrs, ne sont ajoutés qu'à titre de conjectures
qui pourront se vérifier plus tard.
ARTICLE i.
§ 261. LA MAISON EN GÉNÉRAL.
1) Scr. vêd. dama et dam, maison, demeure. De là damû-
II 20
— 306 —
naSy domesticus, familiaris, et dampati, le chef de la maison et
de la famille.
Zend dénia, dèma, demeure (Justi), demâna, maison, dans
le dialecte plus ancien des Grâthâs,1 plus tard nëmâna,nniâna,
peut-être différent.
Armén. dohm, maison, famille.
Gr. $6[A0ç, $0[A,rj, SûùfAct,, oûù, etc.
Lat. domus, domesticus, domicilium.
Irl. damh, daimh, maison, famille. — Cymr. dofr, dofraeth
(/pour m), domicile, domesticité.
Ang.-sax. team, famille, race.
Lith. dimstis, ferme, cour (?).
Ane. si. et russe domïï, pol., illyr., etc., dom.
La racine en sanscrit est dam, domitum, mitem esse et do-
mare, et le D. P. voit dans dama, non pas la maison maté-
rielle, mais le lieu où règne et domine le chef de la famille, ce
qui résulterait d'ailleurs de l'emploi de ce mot dans les Yêdas.
Il y est ajouté que, d'après cela, il faudrait séparer le grec
Sofxoç de StfAûù, construire, ce qui semble cependant fort dif-
ficile. Le grec pourrait bien ici, comme le pense Lassen (An-
thol. scr., gloss.), avoir conservé, mieux que le sanscrit, le sens
primitif de la racine dam, qui doit avoir été celui de lier. Cf.
Siûù, qui serait à Sifjuoô comme le scr. dâ, ligare, est à dam, et
comme g a, ire, est à gam. On conçoit, en effet, que, de la notion
de lier, soient provenues secondairement, d'une part celle de
dompter, de même que l'allemand bàndigen vient de band et
de binden, et de l'autre celle de construire. La première est
restée attachée au sansc. dam, en accord avec plusieurs autres
langues ariennes, gr. SctfjLctoù (auquel on ne saurait rapporter
1 Cf. Haug, Die Gâthûs d. Zor., I, p. 107.
— 307 —
SifAOç), lat. domo, cymr. dofi, armor. donva, goth. tamjan, etc. ;
la seconde ne s'est maintenue que dans le grec SzfAûù, car le
goth. timrjan, gedificare, que l'on a comparé, est probablement
différent (Cf. 1. 1, p. 245). Si damaet So^oç dérivent en réalité
de dam dans son acception la plus ancienne, ces noms au-
raient désigné la maison en tant que construction dont les
parties sont liées entre elles, ce qui peut s'entendre à la lettre
du mode tout primitif de construire avec des bois et des
branchages entrelacés. Dans l'état de la question, une déci-
sion finale n'est guère possible.
2) Scr. vasiy vâsa, vasati, vasana, vasta, vastya, vâstu, et
avec divers préfixes, âvâsa, âvâsatha, adhivâsa, nivâsa, san-
vâsa, etc., maison, demeure en général ; de la rac. vas, habi-
tare.
Gr. î<TTict pour tmttÎcl = scr. vastya, sauf le genre qui est
neutre; maison et foyer, famille ; puis divinité tutélaire du
foyer, la Vesta des Romains.1 De plus dcrv pour fcmttv =
scr. vâstu, mais avec l'acception plus étendue de ville. Pott
rattache encore ici oïfi, village, pour yo<tivi = scr. hypoth.
vasyâ ( Et. F., I, 279 ). Sa conjecture relative à valu,
demeurer = scr. ni-vas, est beaucoup plus douteuse.
Irl. fois, foistine, fosr a, habitation; cf. scr. vasra, ià.;fos,
fosadh, repos,2 fosaim, foisim, demeurer, rester, etc. Le main-
tien de Y s semble indiquer la perte d'un suffixe ta ou tya, de
sorte que le verbe ne serait en réalité qu'un dénominatif.
Scand. vist, mansio, anc. ail. wist, heimwist, domicilium. —
La racine verbale conservée dans le goth. visan, ags. et anc.
ail. ivesan, etc., manere.
1 Curtius (Gr. Et.*, 370) préfère rattacher ces mots à vas, lucere,
urere, à cause du sens de foyer.
a Dans Corm., GL, 2, 100, fos, foss, repos, et boîte, case.
— 308 —
Lith. weisle, famille, race (?). Nesselmann (Lith. Wb., 76)
compare icaisa, fertilité , waisus, fertile, et fruit, etc.
3) Scr. vêça, vêçana, vêçman, nivêça, etc., demeure, mai-
son; de la rac. viç, intrare, adiré, considère, contingere.
Zend vîç, maison, habitation, hameau, village.
Gr. oÏkoç pour yoÏkoç, maison, oÎkîûû, demeurer. — La ra-
cine est conservée dans Mûô, fmoû, ixavu, Innovai, venir,
arriver, entrer, etc.
Lat. vîcus, village, vîcinus, etc., villa de vïcula, d'où, par
une extension de sens peu logique, notre ville.
W.jich, village; cymr. gwig, maison; armor. gwîk, village.
Goth. veihs, id.,1 ags. wic, anc. ail. wîch; le c et ch irrégu-
liers.
Ane. slave et russe vesï, vicus, polon. mes, wioska, bohém.
wes, etc., avec s pour ç, comme dans bien d'autres cas.
Cf. lithuan. wëszëti, hospitem esse, wëszne, hospes femina.
Pour wëszpatis, seigneur, maître, cf. plus loin l'article du
clan.
4) Scr. sadas (vêd.), sadana, sâdana, sadman, sattra, etc.,
maison, demeure, littér. siège, de la rac. sad, sedere, au cau-
sât, sâday, ponere, collocare, qui est restée vivante dans toutes
les langues ariennes.
Zend hadhis, demeure ( Vispered,, 2, 34), de had = sad."
Gr.eJoç, temple, siège = sadas, icïaXicv, demeure, de iÇco,
rac. ia = sad.
Lat. sêdes, siège et demeure , de sedeo.
Irl. sadhbh, sadhail, habitation, bonne maison, de suidhim,
i Veihs, gén. veihsis, est neutre et répond à un thème scr.hypoth.
vêças.
2 Cf. aussi haçta pour hacl-ta, enclos pour le bétail, avec c pour cl
devant t.
— 309 —
saidhim, sedeo, d'où suidhe, saidhe, siège. Cf. anc. irland. in-
sddaim, jacio (Z.2, 434), suide, sedes, locus, suidigud, positio
(803), où le d devrait être aspiré. L'irl. sosta, demeure, habi-
tation (O'R.), pour sod-ta, répond exactement au zend haçta,
mentionné plus haut. — Cymr. syddyn, habitation = scr.
sadana, de syddu, demeurer, seddu, être situé, sedda, s'asseoir;
mais aussi haddef, demeure, avec h pour s, et /pour rh = sad-
dem, irl. sadhbh et scr. sadman.
Scand. setr, domus, habitaculum, sedes, de sitia, sedere,
séria, ponere, goth. sitan et satjan, ags. sittan et settan, anc.
ail. sizzan et sezzan, etc.
Anc. si. sedalo, sedes, pol. siadlo, boh. sidlo, demeure, de
sedati, sedere, caus. saditi, ponere, plantare, etc.
La variété des suffixes de dérivation pour ce groupe de
noms est le résultat naturel de la permanence de la racine dans
les langues particulières, mais l'application si générale pour
désigner la demeure et la maison indique certainement une
source primitive commune.
5) Scr. bhavana, maison, habitation; site, champ, etc.,
de la racine bhû, fieri, existere, au causât, bhâvay, producere.
Cf. bhû, bhûmi, lieu, site, terre, bhuvana, monde, bhûti,
existence, etc.
Pers. bûm, demeure, terre; bûd, maison.
Irl. bunait, habitation, bun, fondation;1 buth, botli, maison,
hutte. — Cymr. bod, maison, bwtli, hutte.
Goth. baueins, demeure, bauan, gabauan, demeurer ; ags. by,
bye, demeure, buan, habiter, cultiver; scand. bû, res familiaris,
bûdli, hutte, bûa, habiter; anc. ail. pu, maison, boda, hutte; ail.
mod. bau, édifice, bauen, construire.
1 Cf. le gaulois bona dans les noms de lieux, mais aussi le sansc.
buclhna (t. I, 235).
— 310 —
Lith. buivis, buta, buklê, maison, demeure, budà, hutte.
Russe bûtka, bûdka, hutte, boutique, pol. buda, hutte, tente,
budowa, édifice, boh. byt, demeure, etc.
La rac. bhû est restée vivante dans toutes les branches de
la famille, sous les formes de bû, <pv, fu, bi, bo, by, etc.
6) Scr. vana, maison, demeure; de van, colère, cupere,
petere, addictum esse; zend van, aimer, protéger.
Armén. vankh, vaner, p]., habitations.
Ang.-sax. wunung, anc. ail. wununga, demeure; de wunian,
iconên, habiter. — Cf. irl. fanaim, habiter , fantin , fanachd,
action de demeurer, etc.
7) Scr. huta, kuti, kûtî, maison; kôta, kutîra, kuttima,
hutte, kutaru, tente, kutala, kutanka, toit, kutumba, famille, etc.
— La racine paraît être kut, curvare, curvum esse, d'où kuti,
courbure, kutita, kutila, courbe, etc., probablement de la
forme ronde de la hutte et du toit. Le t cérébral semble avoir
remplacé un t dental, à en juger par les rapprochements sui-
vants :
Irl. cotta, erse cot, hutte; cymr. cwt, eut, id.
Anc. ail. hutta, ail. mod. hutte, d'où notre hutte, — L'ang.-
sax. cota, scand. kot, est peut-être celtique.
Anc. si. kotïtsï, mansiuncula; pol. kotara, tente = sansc.
kutaru.1
8) Scr. dhâman, maison; de dhâ, ponere, et habere, possi-
dere. 2
Anc. irland. domun, mundus (Z.2, 14), irl.-erse domhan,
id., proprement demeure. Cf. scr. bhuvana, monde, et bhavana,
maison.
1 Cf. aussi le zend kata, maison, pers. kadah, suivant Justi (77), de
kan, creuser.
2 Cf. gr. 0>?^ûjv, de 0g'«, mais avec le sens de monceau.
— 311 —
Ane. ail. tnom, maison, conservé dans les composés mo-
dernes eigenthu?n, heiligthum, etc., avec le sens plus primitif
de condition, état, possession, etc., comme l'anglo-sax. dom
et le scand. domr. — La racine germanique est tâ} tô, dô
= sanscrit dhâ, et tuom n'a rien de commun avec domus.
Ane. si. zîduj domus, zdaniie, sediflcatio, russe zddnie, bâti-
ment, etc., de zdati, zïdati, condere; rac. da; cf. dieti, facere.
9) Scr. dhartra, maison; de dhr, dhar, tenere, continere.
Pers. darî, dîrah, dêrah, maison.
Gr. ôciAafJLVj, demeure, tanière, êaAapoç, chambre à cou-
cher (Cf. t. I, p. 139).
Irl. daras, duras, dars, maison, habitation.
10) Scr. çâlâ, maison, hutte, chambre, étable, çâlâra, cage ;
de la même racine que çarana, çaranya, vêd. çarman, maison,
asile, protection, savoir car = çri, s'appuyer à, s'attacher, se
réfugier dans, etc. (D. P.)1 Cf. lat. celo, irl. ceilim, cymr. celu,
et anc. ail. helan.
Pers. sarâ, sarâéah et â-sâl, maison, s = ç dans la règle.
Gr. Kc&hicc, hutte, cage, KctXtoç, nctAictç, maisonnette.
Lat. cella, suivant Kuhn (Z. S., v. 454), pour celia.
Ang.-sax. lieall, scand. hôll, anc. ail. lialla, aula, palatium.
Anc. si. kela, keliia, cella; kletï, domus, keltva, tabernacu-
lum, etc.
Cymr. eail, étable.
A côté de çâlâ, on trouve aussi sala, maison, qui n'en est
peut-être qu'une variante, mais qui pourrait se rattacher à la
racine de mouvement sar, sal, ire. Quoi qu'il en soit, c'est à
cette forme sala que répondent les termes germaniques et
slaves suivants :
1 A çri, d'où çrâya, çrayana, habitation, se rattache le goth. hlija,
hutte, tente, ags. hléo} couvert, refuge, maison.
— 312 —
Go th. salithva, hôtellerie; saljan, demeurer; ags. soi, salo,
sele, scand. salr, anc. ail. sal, domus, palatium, aula.
Ane. si. selitva, selishte, selieniie, selînitsa, habitatio. Cf.
selo, selitse, fundus ; russe selo, village, pol. sielo, id., etc.
11) Sanscr. maudira, maison, et temple, ville, ?nandurâ,
étable.
Gr. (Accvoça,, étable, enclos.
Irl. maindreach, hutte; erse mainnir, id., etc. ( Cf. p. 26. )1
12) Scr. varûtha, maison (Naigh., 3, 4) ; rac. vr, var, tegere,
circumdare.
Zend vara, vare, arx, palatium;2 pers. wârah, maison, de-
meure. Kourde war, habitation d'hiver.
Scand. vara, mansio.
Irl. foruSj demeure, f foras (S. M., I, 102). Cf. foil, mai-
son, folachj couvert (Corm., GL, 77), à rac. val = var.
Cf. p. 292, etc.
13) Scr. sthâna, maison, demeure, ville, lieu, station; rac.
sthâ, stare.
Zend çtâna, endroit; persan âstân, ûstân, palais, shatan,
ville.
Anc. si. stanu, hospitium, staniie, statio ; russe stânu, loge-
ment, hôtellerie, stanitsa, village; pol. stancya, demeure; illyr.
s tan, maison.
Anc. ail. stat, locus; ail. mod. stadt, ville.
Cf. p. 24.
14) Scr. mâna, édifice, demeure, suivant D. P. de ma, me-
surer, puis préparer, former, disposer, construire, bâtir.
Zend nemâna, nmâna, maison, habitation. Cf. scr. ni-mâna,
1 Ajouter l'irland. f mendat, mennat, résidence, place (Corm., GL,
1 17), provenant aussi de mand, s'arrêter, rester.
s Vara, hortus (Justi) = scr. vara, enceinte, entourage, espace.
— 313 —
proportion de mesure, de ni-mâ, déterminer, former. Cepen-
dant, d'après Justi (175), nmâna ne dérive pas de ma, me-
surer, faire, mais du zend man, demeurer (ni-man, rester,
attendre), et aussi (comme le scr. man) penser et former. Cf.
huzv. man, pers. man, maison, famille, de mândan, mânîdan,
demeurer, kourde man, etc.
Les mêmes transitions de sens se présentent dans les corré-
latifs européens. Ainsi :
Gr. [Aovq, habitation, demeure, de jLCèvûo, désirer, vouloir,
puis demeurer, rester.
Lat. mansio, demeure, d'où notre maison, de maneo, allié à
moneo, mens, etc.
Ane. irl. montar, mointer, muinter, familia (Z.2, 14). Cf. do
muinur, puto (ib. 438), munaim, instruo, etc. — Erse manas,
ferme. Cf. cymr. man, men, armor. mann, lieu, endroit.
Lith. mena, dans prê-mena, litt. avant-demeure, bâtiment
d'entrée. Cf. menu, puto, etc.
Du reste, les significations diverses des rac. ma et man, et de
leurs dérivés, se relient logiquement entre elles, en passant du
concret à l'abstrait, et leur affinité primitive est évidente.
Nous aurons à y revenir au chap. Ier du livre V.
15) Armén. dun, maison, famille.
Irl. dûnadh, maison; dûn, forteresse, ville, oppidum, cas-
trum; de dûnaim, entourer, enfermer (Cf. Z.2, 24). Cymr.
din, dinas, forteresse. — C'est le gaulois dunitm, qui figure
dans beaucoup de noms de lieux.
Ang.-sax. et scand. tûn, ville, village; angl. town; anc. ail.
zûn, locus sep tus, mod. zaun, etc.
16) A ces coïncidences, déjà bien multipliées, dont les
groupes s'étendent à plusieurs des branches de la famille
arienne, je joins, à titre d'indications, celles que je n'ai
— 314 —
remarquées jusqu'à présent qu'entre deux langues seulement,
à l'Orient et à l'Occident, et qui restent, par cela même, plus
douteuses.
a) Scr. tantra, maison; de tan, tendere.
Lat. tentorium, tente.
b) Scr. kâya,nikâya, maison, demeure, monceau; de éi, pour
ki, colligere, struere, ordinare. Cf. cita, édifice.
Kourde (zaza) kei, maison (Lerch, GL, 196).
Irl. anc. ca, maison (Corm., GL, 46), cae, dans cerdd-chae,
officina(Z.2, 60). Cf. p. 199, note.
c) Scr. grha, maison, famille; probablement de grh, grah,
prehendere, capere, puis tenere, possidere, etc. — Cf. latin
grego, grex, etc.
Irl. garga, atrium (Stokes, Ir. Glos., n° 702); grag, gragan,
village.
d) Scr. asta, astaka, demeure, maison; zend asta, id.
(Justi); peut-être de as, esse.
Irl. iostas, iosda, maison, habitation.
e) Scr. ôka, ôkas, maison; de ué, congruere, aptum esse,
se plaire ou être habitué à quelque chose (D. P.).
Lith. ukis, maison rustique; ukininkas, propriétaire terrien,
père de famille, cultivateur. i
f) Scr. çrâma, abri, âçrama, ermitage.
Anc. si. chramïï, chramina, maison.
g) Zend kata, maison (Spiegel, Beitr., I, 221);pers. kad,
kadah. Suivant Justi (77), de kan, creuser. Cf. le n° 7.
Pol. chata, hutte.
h) Kourde kôshk, haush, hutte (Lerch, Glos., p. 88);
i De même Fick (23), qui compare de plus l'anc. slave vyk-nâti,
être habitué, et le goth. bi-uh-ts, habitué, bi-uh-ti, coutume.
-— 315 —
armén. chuz, id.; persan kûshk, portique, villa. Cf. scr. kôça,
kôsha, magasin, etc.
Goth. hus, maison, et germanique passim.
i) Pers. rast, maison, demeure, station. Cf. rastî, repos.
Goth. razn, maison. Cf. rasta, milliare, propr. requies, ags.
rest, quies, lectus, scand. rôst, anc. ail. rasta, id.1
Ici, peut-être, l'irland. a-ras, a-ros, maison, habitation, de
arast ? etc.
k) Armén. ert, maison, toit.
Irl. art, maison (O'R.).
ï) Armén. shên, shinutiun, maison, demeure. — A sanscr.
&s/w,habitare ?
Lith. sênys, demeure, édifice principal d'un domaine.
m) Armén. lôrai, maison.
Ang.-sax. lâr, maison, anc. ail. gi-lâri} demeure. — Erse
làrach, id.
Malgré le nombre de ces rapprochements, le sujet n'est
sans doute pas épuisé. Nous avons vu déjà quelques noms de la
maison qui se lient à l'époque delà vie pastorale (Cf. p. 19, etc.) :
d'autres se rattachent à ceux du toit, etc., et reviendront plus
loin. Il faut passer maintenant aux termes qui désignaient les
diverses parties des habitations, et qui peuvent mieux nous
donner quelque idée de ce qu'elles étaient aux temps pri-
mitifs.
§ 262. LE MUR, LA PAROI.
Les anciens noms du mur seraient très-propres à jeter
quelque jour sur le mode usité de construction, s'ils nous
1 Suivant Aufrecht (Z. S., I, 358), de la racine scr. raw, quiescere,
rastaipour ram-s-ta} d'où aussi goth. rimis, repos.
— 316 —
étaient mieux connus ; mais les coïncidences sont ici en trop petit
nombre pour donner des résultats un peu certains. J'ai
parlé déjà (p. 253) des termes qui se lient à la rac. var et val,
mais qui s'appliquent plutôt aux enceintes qu'aux bâtiments.
Parmi les autres, il n'y en a que deux qui offrent matière à
des observations comparatives.
1) Toutes les langues européennes, à l'exception du grec,
s'accordent pour l'un de ces noms.
Lat. murus; irl.-erse mûr, cymr. mur; ags. et scand. mûr,
anc. ail. mura, mûri; lith. muras; pol. mur, illyr. mir, etc.
Il est possible que cet accord provienne, partiellement au
moins, d'une transmission du mot latin, mais, en tout cas, ce
dernier paraît bien avoir une origine proethnique. On trouve,
en effet, dans le Samavêda (II, 1, 1, 14, 2), un substantif mur,
que Benfey traduit par mauer 1 et qu'il rapporte à la rac. mur,
circumdare (Dhâtup.), d'où dérive aussi mura, surrounding,
encircling (Wilson, Dict.).2 Ce rapprochement, assurément
très-plausible, donnerait pour murus, comme pour vallum, le
sens primitif d'enceinte. Toutefois Weber propose une autre
étymologie, et, sans s'occuper du védique mur, il rattache
murus à la racine sansc. mû, ligare, vincire, d'où muta, cor-
beille tressée. D'après cela, murus n'aurait désigné dans l'ori-
gine qu'une paroi en clayonnage, et mœne, munimentum, mu-
nio proviendraient de la même racine ( Cf. Z. S., VI, 318).
A l'appui de cette conjecture, on peut observer que l'anc. ail.
ivant, paries, dérive de wintan, plectere, torquere, et que le
1 Na y an dudhrâ varantê na sthirâ mur 6. Den Burgen nicht,
nicht Festen, Mauern wehren ab. — Mais le passage est-il bien
rendu? D'après le D. P., dudhra ne signifie pas Burg, mais wild,
ungestùm, sauvage, emporté.
s Cf. rac. mur, entourer ; mura, action d'entourer (D. P.).
— 317 —
cymr. plaid, paroi, comme pîeiden, clayonnage, se lie proba-
blement à plethu, plectere.
2) Le scr. bhitti, bhittikâ, mur en terre ou en maçonnerie,
vient de bhid, bhind, dividere (le lat.y?nrZo),et désigne un mur
de séparation ou de refend. Cf. bhêda, bhêdana, division.
L'analogue de ce terme ne se retrouve, à ma connaissance,
que dans l'irland. Md, bideân, erse bidean, sepimentum, que
son d non aspiré rattache à la forme bhind de la racine ci-
dessus.
§ 263. LE TOIT.
1) Une même racine, généralement conservée, donne nais-
sance au principal nom du toit dans tout l'Occident. C'est le
scr. sthag, tegere, occulere, qui perd quelquefois son s initiale.
Ainsi :
Gr. cnyoç, <rrtyt}9 toit, maison, chambre, (TTtyvoç, cou-
verture, lieu couver^ tente, de (rriyoù, couvrir, cacher. Cf.
scr. sthagana, couverture, sthagita, couvert, sthagî, boîte, etc.
Et encore rsyoç, Tiyv\, toit.
Lat. tectum, tugurium, de tego.
Ane. irl. teg, maison (Z.2, 27), irl. mod. teagh, tigh, toigh,
tiaghais, tioghus, id. — Cymr. ty . maison, plur. coll. tai et to,
toit, de toi, couvrir, armor. tô} de 'foi, tei, avec perte du g
final.
Ang.-sax. thac, thecen, toit, scand. thah, theki, anc. allem.
dach, etc. ; theccan, thekia, dechian, tegere, formes secondaires
d'un verbe fort thikan, thah, etc., qui ne s'est pas retrouvé en
gothique.
Lith. stôgas, toit, pastogis, avant-toit, de stégti, couvrir une
maison, stegius, couvreur, etc.
— 318 —
Cf. anc. si. stogû, acervus = scr. sthagu, bosse; o-stegnû,
o-stejï, vestis, et stegno, fémur, ce que l'on couvre ?
2) Le scr. valabhi, charpente du toit, dérive sans doute de
val = var, tegere, et fait présumer une forme plus ancienne
varabhi ou varabha. Or, c'est là exactement le grec oûo(poçy
oootyri, charpente de toit, toit, plafond, lieu couvert, etc., pour
FopoCpoç, dont le verbe ipîOûû, couvrir, voûter, n'est en réalité
qu'un dénominatif. Benfey, auquel on doit ce rapprochement
( Gr. WL, II, 311), compare aussi le scand. hvelfa, camerare,
hvelfîng, voûte, ags. hwealfa, id., où l'A initiale paraît inorga-
nique, d'après l'anc. ail. walbo, imbrex, gi-welbi, ge-welbe, cela-
tura, caméra, ail. mod. gewôlbe. 1
A la même racine val appartient le persan wâlâd, toit,
maison.
3) Sanscr. cïiadi, éhadis, éhad?nan, toit, couvert, de chad,
tegere. Cf. chada, éhadana, couverture, éhâdanî, peau, etc.
Goth. skadus, couvert, couverture, ombre; ags. scadu, id.
couvert, abri, ancien ail. scato, velamentum, umbra, etc. (Cf.
p. 290).
Irl. caidhidhe, toit. Cf. caidh, peau.
Le scr. chadman signifie aussi tromperie, fraude, et comme
on trouve chala avec le même sens, on peut présumer un
changement du d en /, dont on a d'ailleurs d'autres exemples.
Ceci conduirait à rattacher également à la racine germanique
skad = chad le goth. skalja, tegula, scand. skâli, tectum,
domus, skyla, umbra, anc. ail. scâla, tegimen, testa, concha, etc.,
1 Tout autrement Fick (388); il rapporte z-çîQv, opotpoç, à une rac.
hypoth. rap, couvrir, avec scand. raef, anc. ail. râfo, toit, etc. De
même (p. 737), hvelfa, etc., à une racine européenne kvalp, cour-
ber, voûter, avec koâttoç, jcoâo^wv, etc.
— 319 —
auxquels correspondent l'irl. scâil, scalân, ombre, erse sgâil,
id., et sgailean, casa, tabernaculum , etc.
4) Zend kamere, voûte,1 kameredha, voûté, de kamere =
scr. kmar, curvum esse (Cf. p. 276).
Pers. kamar, id., kamrâ, mur; armén. gamar, voûte.
Grec KCLiActpcc, Kct^dçtov, voûte, chambre voûtée, char
couvert, etc.
Lat. camara, caméra, d'où notre chambre, pent-être du
grec. De là aussi, par transmission , le scand. kamar, anc. ail.
chamar, ail. kammer, pol. komora, etc.
Il n'est pas certain que le mot grec ne soit pas lui-même
une importation orientale; mais on ne saurait, en aucun cas,
conclure de ce rapprochement que les anciens Aryas aient su
construire des voûtes en pierre. Le nom, en effet, ne désigne
qu'un couvert arrondi quelconque.
5) Les termes européens suivants dérivent d'une racine
commune conservée dans l'anc. si. kry-ti, occultare, pokryti,
tegere, russe krytï, pol. kryc, etc., et qui doit avoir été primi-
tivement kru. De là:
Anc. slave krovïï, toit, russe krovlia, illyrien krov, bohém.
krow, etc.
Cymr. craiv, couvert, étable à cochons. Cf. crawen, croûte ;
corn, crou, armor. kraou, kréu, étable.
Irl. cro-th, cabane, maison.
Groth. hrô-t, toit. — Cf. ags. krô-f, id.
Cette racine kru, à laquelle paraît se rattacher le lat. em-
mena, bourse (cachette), se retrouvera plus loin sous la forme
de klu, avec un sens analogue.
1 Dans Justi (78) kamara, voûte et ceinture, avec concordances ira-
niennes.
— 320 —
6) Dans les noms qui précèdent, rien n'indique quel était
le mode de construction des toits, et parmi les termes qui en
désignent les diverses parties, comme la charpente, le faîte, le
sommier, la couverture, je n'en ai trouvé aucun que l'on puisse
rapporter avec sûreté au temps de l'unité arienne. Cela s'ex-
plique aisément par le fait que les matériaux de construction,
ainsi que leur mise en œuvre, ont varié dès lors suivant les
pays et les climats. C'est ainsi, par exemple, que le nom sans-
crit du sommier, vança, qui est aussi celui du bambou, trahit
son origine indienne. Deux de ces termes seulement suggèrent
au moins une conjecture.
Le goth. ans, poutre de support, scand. as, id., sommier,
répond au sansc. ansa, épaule, ce qui pourrait bien avoir été
l'acception primitive, les poutres du toit étant considérées
comme les épaules de la maison. Il est vrai que le gothique
amsa, épaule, se lie déjà, et de plus près, au sanscrit, mais la
double forme a pu résulter de ce que les Germains avaient
perdu de vue le sens figuré appliqué à la maison.
L'autre observation concerne le faîte, dont le nom Scandi-
nave, bust, baust, ainsi que l'a remarqué Grimm, correspond,
sauf la terminaison, au latin fastigium. Si l'on compare le
scand. hast, cortex tiliae, liber, le zend baçta, ligatus, persan
bastah, id., etc., de la rac. baclh, bandh, ligare, * on peut pré-
sumer que ces noms du faîte se rapportaient au procédé très-
primitif de lier ensemble les pièces qui convergeaient au
sommet du toit.
1 Cf. lat. fistula, de findo, fissus, pour fistus, de fidtus, etc.
— 321 —
§ 264. LA PORTE ET SES PARTIES.
A) ha porte en général.
L'accord de toutes les langues ariennes pour le principal
nom de la porte est aussi complet que possible, et plusieurs
synonymes présentent des analogies suffisamment sûres, bien
que moins étendues.
1) Scr. dvâr, dvâr a, védique aussi dur. Cf. durya, ce qui
est relatif à la porte, au plur. demeure (fores), durona, du-
ryona, maison.
Zend dvara, pers. dar, darwâz, kourde der, afghan derwase,
ossète duar, armén. turkh (plur.), tara-ban, portier.
Gr. êvçay pour ^clqol.
Lat. foris (pi. fores), f pour $ (?).
Irl. dér, doras, dorus. Cf. daras, duras, maison.
Cymr. dor, drws; corn, darat, daras; armor. dôr.1
Goth. daur, ags. duru, scand. dyr, anc. ail. tura, turi. —
Le d primitif resté intact par exception, comme dans dauthar,
ou = gr. ô et le lat. /.
Lith. durrys (pi.), porte à deux battants; divâras, cour.
Anc. si. dvïrï, janua, dvoru, aula, pri-dvoriie, 7rpQ7rv\cLioV)
russe dverï, porte, dvorîi, cour; pol. drzivi (plur.), fores, et
dwbr, cour ; boh. dwere et divor, etc.
La racine commune paraît conservée dans le sanscrit dvr,
dvar, tegere, coercere ( Dhâtup. ), d'où l'adjectif védique
1 Cf. le gaulois dvorico (n), porticus_, de l'inscription de Guéret,
dans mon Nouvel essai sur les inscriptions gauloises, p. 45.
II 21
— 322 —
dvara, qui arrête, empêche,1 ce qui s'applique parfaitement à
la porte.2
2) Scr. vâra, porte, entrée, de vr, var, arcere, tegere; à
distinguer sans doute de dvâra, mais dans le même rapport
d'affinité qui peut exister entre les racines var et dvar.
Pers. bar, afghan war, porte.
Ombrien vero.
Lith. ivartai (plur.), porte de la cour, pa-warte, petite porte
près de la grande, pri-warte, avant-cour; de wérti (iverù), fer-
mer, pri-werti, uz-werti , id. ; mais at-werti, ouvrir, c'est-
à-dire découvrir, comme en sanscrit apa-var , vi-â-var,
aperire.
Ane. si. vrata (plur.), porte, vratarï, janitor, etc., de vrèti
(vrià), concludere = scr. vr; russe vorota, illyr. vrata, polon.
wrota, etc.
3) Le sansc.pzw, pura, maison, ville, paraît aussi avoir le
sens de porte, dans gô-pura, porte de ville, et porte en gé-
néral. Mais que signifie ici gôf — La racine pourrait être^f
(par) , dans l'acception de tutari, custodire.
Pott et Benfey (Et. F., I, 264, Gr. WL, II, 86) com-
1 Cf. Rigv., I, 52, 3: dvar ah dvarishu, coercitor coercitorum,
d'après Rosen ; dvar a, dvari ou dvarin, adj., qui arrête, empêche
(hemmend), D. P. d'après Sâyana.
2 Sur cette question, les opinions diffèrent. Weber (Beitr., 4, 279)
pense que larac. ebar, tegere, n'est qu'une fiction des grammairiens,
et que les noms de la porte dérivent de dar, fendre, dont dvar serait
une forme secondaire. Il approuve l'explication du 3- grec par l'in-
fluence du digamma. Le D. P., par contre, observe seulement que
l'on devrait attendre dh en sanscrit comme consonne initiale. Cur-
tius (Gr. Et.3, 243) adopte dhur, dhvar, comme forme primitive, la
racine restant obscure. De même Fick (106).
— 323 —
parent le gr. 7rvAoç, cruÀrç, 7rvAcov> porte, à côté de 7toKiç^ qui
a gardé le sens de ville. *
Un rapprochement avec le latin porta, portus, est possible,
mais moins sûr. On peut penser ici, avecPott,àun rapport avec
le gr. 7TCÇ0Ç, chemin, passage; cf. 7rzpctct), traverser, et sanscr.
pf, trajicere, etc. Il faut tenir compte également de l'ancien
slave pa-pratû, ou pa-prutïï, 7rçoôvpa, vestibulum, de prèti,
fulcire, ou prati, conculcare, salire (Miklos., Rad. si., p. 67).
Cf. za-preti, claudere, obsidere.
4) Scr. arara, arari, porte, battant; aussi couvercle, en-
veloppe; cdâra, porte, de la rac. ar, probablement dans le sen3
d'adapter, insérer.
Pers. alrâ, jambage de porte.
Irl. orrar, erse brair, porche, vestibule, entrée; airear, port;
mais aussi ailear, porche. — Cymr. oriel, id. — En Europe,
les langues celtiques seules ont conservé cet ancien terme.
B) Le gond.
Aucun nom sanscrit du gond ne m'est connu, et les autres
termes orientaux ne m'ont rien offert à comparer avec ceux
de l'Occident, lesquels sont eux-mêmes très-variés, mais sou-
vent d'une origine obscure, ce qui est un indice d'ancienneté.
Dans ces cas-là, le sanscrit fournit quelquefois l'étvmologie
qui fait défaut aux langues particulières. C'est ainsi, par exemple,
que S-aiçoç, gond, que rien n'explique en grec, se rattache
sans doute à la rac. scr. dhr, dhar, ferre, tenere, d'où dliara,
qui porte, dhîra, ferme, solide, etc.2 Le lith. wdszas, ivanszsa,
1 Curtius (Gr. Et.3, 667) conjecture que nvh.vi pourrait être un fém.
de nôxoç, gond, de la rac. srex (p. 429).
2 Curtius (Gr. Et.3, 243) rattache S-otipôç, pour S-xpiog et B-Fupioç,
— 324 —
gond et crochet, est également isolé dans cette langue; mais
si Ton se rappelle que le sz représente un k primitif, on n'hé-
sitera pas à comparer le sanscrit vanka, courbure, vankâ,
pommeau de selle, vakra, courbe, etc., de vank, curvum esse.
Ce nom du gond et du crochet se retrouve aussi dans l'irland.
bac, bacàn, cymr. baclx, de bacaim, courber, pour bançaim, à
cause du c non aspiré. Je citerai encore le lat. car do -inis, d'où
provient peut-être le cymr. corddyn, gond, et qui paraît se
rattacher, ainsi que carduus, aux noms de l'épée, lith. kârdas,
slave korda, etc., de même que l'anglo-sax. heor, liior, et le
scand. hiara, hiôr, gond, se lient à heoru, hiôr, goth. hairus,
ensis (Cf. p. 286). La transition de sens s'explique par la
forme pointue du gond.1
Malgré ce que ces explications ont d'incomplet, on ne sau-
rait douter que l'usage des gonds ne soit aussi ancien que
celui des portes, qui, du reste, ne peuvent guère s'en passer.
C) La fermeture de la porte.
Les moyens employés pour fermer les portes ont varié con-
sidérablement depuis la simple cheville ou barre jusqu'à la
serrure au mécanisme compliqué. Il va sans dire que cette
variété se reproduit dans les mots qui les désignent, mais on
trouve cependant ici quelques rapprochements intéressants à
signaler.
1) Scr. argala, argada, argalihâ, verrou, cheville pour fer-
au scr. durya (aussi dvârya), adj., ce qui appartient à la porte. De
même Fick, 106.
1 Cf. anc. ail. scerdo, scerdar, gond, que Fick (407) rattache, avec
cardo, à une racine hypothétique skard, sauter. Mais il faudrait régu-
lièrement scerzo, et d'ailleurs le gond, solidement fixé, ne saute pas.
— 325 —
mer la porte, ar g alita, verrouillé; peut-être de rg, arg, fîxum
esse, stare.
Ancien allem. rigil, allem. mod. riegel, verrou; le g resté
inaltéré.
Irland. rugaire, erse rugair, verrou, barre, pour urgaire; cf.
argaire et argad, obstacle, empêchement.
2) Scr. dvârayantra, verrou, serrure, littér. machine de
porte; yantra, de yam, coercere, machine, instrument pour
fixer et maintenir. Cf. yantar, coercitor, yantrana, arrêt, coer-
cition, etc., et le dénomin. yantray, yatray, obstringere,
coercere.
Je compare le lithuan. jutryna, serrure de porte ou de
coffre, terme d'ailleurs isolé, mais qui se rattache sans doute à
l'anc. si. iâti (imâ = scr. ya?n), prehendere, d'où iàtiie, pre-
hensio.
3) Pers. parrah, verrou.
Irl., erse sparr, sparra, sparran, verrou, boulon, clou; spar-
raim, fixer, clouer. — Cymr. par, barre, armor. sparl, sparla,
id., pêne de serrure.
Scand. sperra, verrou, ancien allemand bi-sparrida, id. —
Cf. scand. sperra, ags. sperran, anc. allem. sparjan, sperran,
claudere.
Cf. la rac. scr. spar, tueri, custodire, et p. 271.
4) Pers. barang, barandak, verrou, barre, serrure, clef;
sans doute de burdan = scr. bhar, ferre, comme en gr. è%ivç9
verrou, de o^g«, et, en lat., vectis de veho.
Irl. barra, barre, clou, barradh, empêchement, obstacle. —
Cymr. bar, verrou, barr, barre, armor. barren, id.
5) Armén. pagankh, pagaghan, serrure; pers. bajang, ba-
zang, verrou.
Lat. re-pagulum, verrou.
— 326 —
Cymr. pegwn, pegwr, cheville, pivot.
La rac. est pag, conservée dans Tryjy-vufii, lat. pango, fixer,
affermir. Cf. 7ryjyoç, ferme, fort, 7rct<r<rot,Aoç, pessulus, paxil-
lus, cheville, clon; lith. pozas, joint, rainure, encastrement, etc.
Cette rac. pag doit avoir existé en sanscrit, où l'on trouve
pagra, ferme, solide, et pâgas, force (Z. S., VI, 319),1. ainsi
qu'en persan, où paj, pajim, gelée, répond au grec 7rctyoç,
7rct,%vyj, id., de 7rrjyvvjLti.
6) Tout un groupe européen des noms de la serrure et de
la clef se rattache à une racine commune qui doit avoir été klu,
avec le sens de fermer, cacher, couvrir, etc., et qui est iden-
tique à kru (Cf. p. 319). Ainsi:
Grec nXîiç, xXqïç, serrure, clef; clor. kAcl% ; xteïôpov,
KhiicTpoVy verrou; de jcMico, pour kM^ûo, fermer.
Lat. cldvis, clef, claustrum, verrou; de clau-do, clu-do.
Irl. clb, clodh, cheville, clou; erse clbimhean, cloidhean, id. ;
cf. lat. clcivus. — Cymr. do, serrure, de doi, fermer.
Ane. si. et russe Miucï, clef; illyr. kgliuc, polon. Muez, boh.
Le verbe Miuéiti ou Mucati sie, congruere, za-kliuéiti, clau-
dere, indique une forme augmentée de klu.
Cette racine paraît aussi se retrouver en germanique, dans
le scand. hlûa, abriter, couver, etc.
J'ignore jusqu'à quel point on peut considérer comme alliés
à ce groupe les mots pers. kuland, serrure, clef, kulang, verrou,
kalîd, kilîd, kalîéah, kourde Mil, clef, etc. On sait que le kl
initial est étranger au persan, qui insère toujours une voyelle
intermédiaire.
1 D'après D. P., pâgas, proprement, éclat, lueur, et, par extension
seulement, gaieté, activité, vigueur, force.
327 —
D) Le seuil.
La diversité des noms est ici à peu près complète, et il n'en
est aucun qui paraisse remonter à l'époque primitive; ce qui
surprend, vu les idées que plusieurs peuples anciens associaient
au seuil. L'unique rapprochement, peut-être plus apparent
que réel, qui se présente entre l'Orient et l'Occident, est celui
de l'arménien tranti avec le cymr. trothwy, armor. treuzou.
Cf. le scand. drôtt, isolé d'ailleurs en germanique. Comme le
nom cymrique se lie directement à troth, armor. treuz, tra-
vers, traversée, et par là à la racine sanscrite tf} tar, traji-
cere, etc., la réalité d'un rapport avec le mot arménien dépen-
drait de l'affinité de ce dernier avec la même racine. L'irland.
tairseach, seuil, cf. tars, trans, tarsuing, transversus, tos-
ndn, transtrum, est une autre formation de même origine,
ainsi que le scand. thremr, seuil. Cf. armor. trémen, traversée,
passage, etc.
§ 265. LA FENÊTRE.
Aucun nom ancien de la fenêtre ne s'est conservé dans
plusieurs langues, mais on remarque entre un certain nombre
de termes une analogie de sens qui semble indiquer autre
chose qu'un accord fortuit. Ces termes, soit simples, soit
composés, se rattachent de diverses manières au nom de l'œil,
ce qui est assez naturel, mais non nécessaire. Ainsi:
Scr. grhâksha, œil de maison, galâksha, littér. filet-œil, pour
fenêtre à treillis, gavâksha, fenêtre ronde, exactement notre
œil-de-bœuf.
— 328 —
Goth. augadaurô, ags. edgdura, anc. ail. augatora, porte
de l'œil; ags. edgthyrl, trou de l'œil; scand. vindauga,
dan. vindue, angl. windoiv, œil, c'est-à-dire ouverture pour le
vent, d'où probablement l'irland. fui?ideog, fuinneog, erse
uinneag.
Anc. slave, russe, pol., etc., okno, fenêtre, de oho, œil; de
même origine que akshi, aksha, oculus, ov^, etc.
Gr. Ç)uvo7rry]ç, de (pctivco, Qctvcç, et o-n-TO^cii, o^» etc.
L'analogie de ces dénominations peut faire présumer que
déjà les anciens Aryas comparaient la fenêtre à un œil.
Parmi les noms isolés, je ne citerai que le lith. lângas, lun-
gas, à cause de son double rapport, d'une part avec l'irlandais
long, lumière, et de l'autre avec la rac. scr. lang, lung, lucere,
que donne le Dhâtup,
ARTICLE II. L'INTÉRIEUR DE LA MAISON.
§ 266. LA CHAMBRE.
Les points de comparaison directe sont ici en petit nombre,
bien qu'assez sûrs. J'ai parlé déjà plus haut du gr. xctfAccpct,
lat. camara, à l'origine, voûte, cintre, puis chambre cin-
trée. J'indique quelques analogies d'un autre genre.
1) Je reviens en premier lieu au scr. çâlâ, qui signifie non-
seulement une maison, mais aussi une salle, double sens que
partagent les corrélatifs germaniques soi, salr, etc., indiqués
p. 311 et qui répondent à la forme sâlâ, ainsi que ceux
qui ont conservé la gutturale, heall, halla, etc. C'est à ces der-
niers que Kulm rattache également l'allemand bas-saxon
hille, chambre à coucher des valets dans une ferme (Z. S., V,
— 329 —
454), en comparant, comme de raison, le latin cella et le grec
KccAict. L'irl. ceall et le cymr. cell, cellule, cabinet, proviennent
peut-être du latin; mais l'irl. cuil, cymr. cil, cachette, retraite,
coin ; erse cuile, cuilidh, magasin, cave, paraissent bien se lier
directement à cette rac. kal, çal, etc., tegere, que nous avon3
signalée à l'article indiqué. En germanique, où elle se pré-
sente sous les formes liai, hil, hul, hel, on en voit dériver le
goth. hulundi, ags. hol, scand. hola, anc. ail. liolî, caverne; cf.
anc. slave koliia, fovea, dont le sens propre se rapproche de
celui de chambre, comme espace clos. Cf. latin caula, étable.
2) Le scr. kaksha, d'origine incertaine, réunit des acceptions
très-diverses, qui se rattachent de près ou de loin au sens
primitif et védique de lieu clos, cachette, tanière, etc. (D. P.)
Au féminin, kakskâ, ou kakshyâ, désigne une ceinture, puis
un mur d'enceinte et l'espace qu'il renferme, puis l'intérieur
d'une maison, etc. — Cf. pers. kâshah, hutte de jmille, kâshân,
habitation d'hiver, kâshânah, maison, salle, antichambre, por-
tique, galerie, et aussi nid d'oiseau, etc.
Les corrélatifs européens de kaksha, dans ses significations
diverses, sont très-nombreux. Parmi ceux qui s'appliquent à
un espace clos de dimensions variables, on peut signaler les
suivants.
Gr. x,c£\l>a, caisse, avec ip = ksh, comme dans ci[/, œil =
akshi. De là, le lat. capsa, d'où notre mot caisse. Cependant
une dérivation de kcL7ttûû, capio, est également possible.
Lat. casa, casida, hutte, avec s pour ksh ou x, comme par-
fois en grec et en latin (Cf. Aufrecht, Z. S., VIII, 71). —
De là, avec un sens plus diminutif encore, notre mot case, etc.
Irl. ces, cavité, cachette, asile, caverne, avec s pour ksh,
comme dans deas = daksha, etc.
— 330 — -
Lithuan. kaszus, grande corbeille, kaszele, kaszikkas, dimi-
nutifs.
Ane. si. koshï, cophinus, koshara, ovile; russe kosha, cor-
beille, koshélî, besace, boîte; polon. kosz, corbeille et butte de
branchages; koszar, parc à moutons, etc. — Cf. de plus pol.
kasaé(kasze), enceindre, kasanie, action de ceindre, avec le scr.
kaksha, ceinture.
Une seconde série d'analogies se révèle pour le scr. kaksïia,
dans le sens d'aisselle, de flanc, de cavité du corps. Ainsi le
pers. kash, aisselle, et coin, angle; le lat. coxa, flanc, hanebe,
l'irl. coss, cos, cuisse, jambe et pied, cymr. coes; l'irland. caise,
cunnus, l'anc. ail. hahs, poples, etc.1
Ces rapprochements multipliés s'appuient les uns sur les
autres, et témoignent de la haute ancienneté de ce terme, qui
doit avoir désigné aussi l'intérieur de la maison.
3) De la rac. rudli, impedire, includere, occulere, dérivent,
en sanscrit, ârôdha, lieu secret, intérieur, avarôdha, uparôdha,
clôture, appartement intérieur, gynécée, etc.
La forme ârôdha se retrouve exactement conservée dans le
lith. arôdas, aroda, cloison, séparation, et, plus spécialement,
compartiment ménagé dans le grenier pour y mettre le blé.
L'existence plus d'une fois contestée de la préposition préfixe
a dans les langues européennes, est ici manifeste.
4) La chambre était naturellement le lieu du repos et du
sommeil, cubile, cubiculum, et plusieurs de ses noms se ratta-
chent à ceux du lit. Ce dernier est appelé en sanscrit çaya,
çayana, de la rac. çî, jacere, quiescere, decumbere, d'où aussi
âçaya, demeure, retraite, asile.
Le gr. kq'ityi, lit, tanière, d'où koitôôv, chambre à coucher,
dérive de même de Kîtf^cti, jacio, quiesco, rac. ki = çî.
1 Curtius, Gr. Et.3, p. 146 et 642, compare aussi xo%&W
— 331 —
En germanique, où cette racine serait M, on y rattache le
goth. hêthjô, chambre à coucher ( thjô suffixe ), ainsi que des
noms du village et de la famille que nous retrouverons plus
tard.
Enfin, de l'anc. si. éi = çî dans po-éiti, quiescere, on voit
dériver pokoi, quies, pokoiti, quietare; cf. lith. pa-kajus, paix;
et le russe pokoi, comme le polon. pokoy, désignent la chambre
à coucher.
§ 267. LA CUISINE.
Le groupe principal des noms de la cuisine se lie partout à
une racine commune à la plupart des langues ariennes, et qui
exprime Faction de cuire. J'en offre ici le tableau comparatif
avec les formes qui en dérivent, et dont les variations sont
souvent singulières.
Scr. pac, coquere et maturare. De là paci, pakti, pâka,
cuisson, et plusieurs noms du feu, tels que paktra, pacata, pa-
cana, pâcala, etc. De là aussi, âpâka, four à cuire, pacaka,
pâkuka, pacêluka, cuisinier, et les composés pâkaçâlâ, pâka-
sthâna, chambre à cuire, pour cuisine.
Zend pac, cuire. — Pers. pazîdan, pajîdan, id., paz-gar,
cuisinier, paz-âivâ, four à briques, pâcak, bouse séchée au
soleil, pêcah, feu, etc. ; et aussi pochtan, cuire, etc. — Kourde
pesium, coquo, part. pas. pat = scr. pakta; mais, à côté de
cette forme, on trouve kuéiek, fourneau, kauciek, cuisinier, avec
k pour p, comme on le verra plus d'une fois. — Afghan pa-
chaval, cuire. — Armén. epel, id., probablement pour pepel, le
c ou k final changé en p ; cf. plus loin i^co et 7ri7rTôo; mais
aussi l'inverse, à ce qu'il semble, pour le p initial, dans khoh,
— 332 —
cuisine, khohager, khokhger, khakhamokh, cuisinier. Cf. latin
coqao. Enfin, une troisième variante dans poukh, four, peut-
être d'origine persane; cf. pochtan, — Ossète fiéin, fitsun,
cuire, avec/ régulièrement pour p.
Gr. 7rî7TTCt) {jnTTOù), cuire, mûrir, 7ri7TùùV, cuit, 7rifA,fA,ct,
7rc7rctvovv gâteau, clpT07rû7roç, boulanger, etc. Puis 7TîO"<rûû,
suivant Benfey et Curtius (Z. S., III, 409),' d'une forme plus
ancienne 7rzxiù), avec maintien de la gutturale. Curtius signale
de plus la forme inverse dans dpro-K07roç, boulanger, en rap-
pelant le lith. képti, qui reviendra plus loin. Enfin, Benfey
Gr. Wl.} II, 89) rattache encore ici le verbe eij/a>, pour tti^oô,
cuire, ainsi que o7Ttoç> cuit, o7ttcloù, otttcivîiov, cuisine, et peut-
être 17TV0Ç3 four, avec perte du p initial, comme dans l'armén.
ep-el.
Lat. coquo, dans le même rapport avec le sanscr. pac que
quinque avec panda; coquus, cuisinier, coquina, cuisine. Le
synonyme popina se rattache probablement à l'osque ou au
grec, ainsi que popanum, gâteau. 1
Il faut observer ici que le lat. coquo et ses dérivés ont passé
dans les langues du nord de l'Europe, où ils figurent plus
d'une fois à côté des termes vraiment primitifs. Ainsi l'ancien
irland. cucann (Z.2, 69), plus tard cuicen, cuisine, coca, cocaire,
cuisinier, cymr. cegin; angl.-sax. cycene, coquina, cueccan, co-
que re; scand. kocka, kockr, anc. ail. kochjan, koch, kuclùna, etc.;
le russe et polonais kuchnia, illyrien kuhigna, cuisine, kuhati,
1 Le lat. culina, où l'on a cherché une forme altérée de coculina,
semble sans rapport avec coquo, comme l'indique l'analogie de l'anc.
irland. Guile, cuilœ, cuisine (Z.2, 765), qui ne provient sans doute pas
du latin. Cf. cuil, coin, et erse cuile, cuilidh, magasin, cave. Comme
le foyer était le lieu de réunion de la famille, on pourrait conjectu-
rer une connexion entre culina et cuile et le sanscrit kuia, famille,
d'où kulin, kulya, ce qui appartient à la famille.
— 333 —
cuire, kuhar, polonais kncharz, cuisinier, etc., le lith. kuhnê,
cuisine, kukkorus, cuisinier, etc. Tous ces mots sont assurément
d'origine latine. Les termes originaux sont les suivants.
Cjmr. pobi, cuire, poban, four, pobivr, boulanger, etc.,
armor. pibi ou pobein, cuire, piber, pober, boulanger, etc.
Lith. képti, cuire, rôtir, kepëjas, boulanger, képalas, pain
cuit, kepone, rôtissoire, etc.; hep pour pek par inversion,
comme le gr. kc7Tûç. Un des noms du four, péczus, paraît
venir du slave, et un autre, kakalys (Cf. erse cagailt, foyer (?),
et scr. pâéala, feu), rappelle coquo et les formes analogues en
kourde et en arménien.
Ane. slave peslrii (pekâ), cuire, pekît, chaleur, pesïitï, four,
pekarï, boulanger, etc. Cf. les autres dialectes passi?n. On peut
se demander si le russe ocagïï, foyer, n'aurait pas perdu un p
initial, comme êi)/&), 07TT0ç> etc.
Les langues germaniques ne paraissent pas avoir conservé
cette racine, non plus qu'aucun de ses dérivés.1
En résumé, ce groupe si fécond en divergences, non-seule-
ment d'une langue à une autre, mais parfois dans une même
langue, laisse quelque incertitude sur la forme primitive de la
racine commune. Il est assez probable que, déjà antérieure-
ment à la dispersion, et par suite du changement dialectique
du k en p, et vice versa, cette racine s'était modifiée de plu-
sieurs manières, en pak, kap, kak et pap.
Les autres noms de la cuisine sont isolés, ou se confondent
avec ceux qui vont suivre.
1 Weber, il est vrai (Beitr., 4, 279), rattache à pac l'ail, backen, en
rejetant (p. 262) mon rapprochement avec bhag. Mais ce rapproche-
ment est confirmé par Curtius (Gr. Et., I, 151) et par Pott (Wb.,
3, 177), en comparant 06Jyw, rôtir, chauffer, @wjcroç, rôti = sanscrit
bhakta, Qûyocvov, grille à rôtir = bhagana, neut., vase à cuire, etc.
— 334 —
§ 268. LE FOYER, LE FOUR, LA CHEMINÉE.
Aux temps anciens et dans la simplicité des mœurs primi-
tives, le foyer constituait le centre de la maison, le lieu de
réunion habituel de la famille. De là, les idées morales qui
s'y rattachaient, comme au symbole de la vie domestique et
de l'hospitalité. Le nom du foyer se prend souvent et partout
au figuré pour celui de la maison et de la famille, et, par une
métaphore inverse, le sansc. gâti, famille, désigne aussi le
foyer, de même que vastya, maison, est devenu en gr. éariet.
Les langues ariennes offrent ici une grande variété de termes,
avec des analogies plus multipliées qu'étendues, et ces termes
se rapportent en général aux caractères purement matériels
du foyer, comme lieu du feu et de la cuisson, ce qui est
d'ailleurs dans l'ordre naturel des choses. Les noms compa-
rables, y compris ceux du four et de la cheminée, sont les
suivants.
1) Scr. açmanta, -taka, foyer, four, proprement lapideus,
de açman, pierre.
Le même rapport se reproduit entre l'anc. si. kamerii, lapis,
kamenïnu, lapideus, lithuan. akmù, thème ahnen, pierre (Cf.
1. 1, p. 149), et le russe kaminû, pol. komin, boh. kamna (pi.),
lithuan. kdminas, foyer, four, cheminée. Le synonyme russe
komelï, foyer, semble formé comme le scr. açmara, lapideus.
Il faut naturellement rapporter ici le gr. xctftivoç, lat. caminus,
four, foyer, plutôt qu'au verbe jcctiûù, brûler.
C'est à un synonyme sanscrit de açman, savoir açna, açan,
qu'Aufrecht ramène également le goth. auhns , four, d'un
thème olina , primitivement okna , contrairement à Bopp
— 335 —
qui avait comparé agni, feu, ou bien ushna, chaud (Z. S., V,
135). Il n'y aurait rien à objecter à cette conjecture, si le lith.
aukszinis, cheminée du four, qui répond au goth. auhns, ne
conduisait pas à une autre étymologie, car il est évidemment
dérivé de auksztas, élevé. Il devient très-probable, d'après
cela, que auhns se lie directement à l'adjectif gothique au-
huma, élevé, auhumists, suprême, d'où auhumistô, élévation.
Ce qui le confirme encore, c'est que auhns devient ofen en
anglo-sax., ofn, on, en scand., ovan en anc- allemand, et que
auhumists se change de même, dans l'anglo-sax., en ufemest,
l'anglais upmost (Cf. Grimm, Deut. Gr., III, 628).
Quoi qu'il en soit, les rapprochements plus sûrs du nom
sanscrit avec le slave, le lithuanien, le grec et le latin, mon-
trent suffisamment que l'ancien foyer consistait en une pierre,
ce qui d'ailleurs n'avait guère besoin de preuve.
2) Le sanscrit a la rac. çrâ, çrî, cuire, qui devient çir
dans âçir, cuisson, âçirta, cuit. Cette racine, primitivement
kar, kir, avec le sens de chauffer, brûler (Cf. Fick, 33),
reparaît dans plusieurs termes européens qui désignent le
foyer, le four, des ustensiles de cuisine, ou des produits de
la cuisson.
A çrî se rattachent probablement le gr. TtçifioLvoçy KXiQctvoç,
four, et xpfêctvov, -avv], espèce de pain, où (ictvo semble être une
forme augmentée du suffixe sanscr. van. A çrâ, peut-être
xpctTyp, lat. crater, primitivement vase à cuire. Cf. irlandais
creithir, crithir, vase, coupe. A çir ou car, mpct/noç, terra
coctilis, Kipvov, vase de terre; cf. irl. cré, criadh, cymr. pridd
(p = c), argile. De plus, F irl. cearn et cir-thanach, cuisine,
ainsi que très-probablement l'anglo-sax. hëordh, anc. allemand
herd, foyer, et hearst, anc. allemand harsta, rogus, craticula,
frixura.
— 336 —
D'après Scliweizer (Z. S., IV, 299), il faudrait ramener à
çrâ le lat. cremare, cremium, etc., venant d'un subst. cre-mor,
comme clamare, de clamor. L'irl. cramhaim, concoquo, vient
de même de cramJi, concoctio, digestio.
La forme causative de çrâ, qui est çrapay, d'où çrapita,
cuit, crapaud, cuisson, se retrouve clairement dans l'anc. slave
crépu, crêpina, testa, pelvis; russe cerepitsa, tuile, et Jcirpicïï,
brique; litliuan. czerpyczia, tuile. Cf. illyr. o-peka, brique, de
pesJiti, cuire. A ces mots slaves correspond aussi l'anc. allem.
scirbi, all.mod. scherbe, testa. On a rapproché encore de çrap le
gotb. hlaifs, ags. hlâf, scand. Meifr, anc. allem. hlaib, pain en
tant que cuit, anc. si. chliebu, litb. klëpas, lett. klaips, id. (Cf.
Pott, Et. F., I, 197; Benfey, G. WL, II, 177.)
Enfin, le Dhâtup. donne une racine çrish, çlish, urere,
qui n'est probablement qu'un dérivé du désidératif ciçrîsh,
çiçrâs, de çrî et çrâ. Je rattache à ces formes l'irl. cris, crios,
feu, criosachj braise, le cymr. crasu, armor. kraza (pour crist),
griller, rôtir, et cresu, enflammer, creisier, four, creision, cen-
dre, etc. ; Fane. si. o-krasiti, accendere, krèsiti, excitare, russe
kresitï, pol. krzesac, battre le briquet, kresivo, briquet, etc. ;
enfin le lithuan. krosnis, four, et karsztis, chaleur, karsztas,
chaud, etc.
3) Ser. âshtrî (vêd.), foyer, cuisine, probablement de la
racine aç , edere, vorare, au fut. partie, ashtâ et açitâ, d'où
âçira, açitar, âçitar, vorace, et açira, âçara, le feu qui dévore,
comme admani, feu, de ad, edere.1 — Pers. âsh, cuit, et ali-
ment cuit, âshîn, cuisinier, boulanger, âsh kardan, cuire. Cf.
beloutc. as, feu.
Je compare, comme se liant à la même origine, l'angl.-sax.
1 On peut en rapprocher peut-être «o<ç, ocSlxç, foyer, que donne
Hesychius.
— 337 —
ast, four, essian, de estian (?), consumer, anc. ail. essa, de esta (?),
foyer de forge, etc.; et l'irl. asaim (c'est-à-dire assaini), allu-
mer, asadh, inflammation. Le latin asso, rôtir, assus, rôti,
semble provenir d'une assimilation analogue.
4) Scr. angârî, angârinî, foyer portatif, de angâra, char-
bon. Cf. pers. angêz, charbon, kourde agiter, aghrï, feu, lagh-
mani angâr, kashgari ingar, id.
Irland. ong et aingeal, erse oingeal, oinneal, [foyer et feu;
cymr. engyl, feu. — L'acception de charbon se retrouve dans
le lith. anglis, anc. si. agit, russe ugolï, pol. icegiel, illyrien
ughgljen, boh. ulxel, etc.
La racine commune est sans doute la même que celle du
scr. agni, angati, agira, feu, savoir ag, ang, se movere, à cause
de la mobilité de cet élément.
5) Persan ushtû, ushtuwa, foyer, probablement, comme
ustuwân, ustuwâr = scr. sthâvara, ferme, fixe, de istân =
sthâ, stare.
Scand. stô, elld-stô, foyer, proprement statio, ignis locus; cf.
ags. stow, locus, lith. stowa, id., stoiveti, stare, anc. si. staviti,
statuere, etc.
Russe shestoku, foyer, forme redoublée de sthâ (tishthâmi),
comme le lat. sisto. — Le russe pôdu, âtre, foyer, correspond
de même au sanscrit pada, lieu, site.
6) Pers. barîgan, birîzan, barsân, birsân, four; kourde
bêrosha, chaudron. Cf. pers. burushtan, frire, cuire = sanscrit
bhrg, bhrasg, frigere, d'où bhrggana et bhrâshtra, poêle à
frire.
Gr. tyçvytrpov, vase à griller l'orge, 0çvyivçf rôtissoire, de
Qçvya, rôtir, griller, le latin frigo, à'ohfrixorium, poêle à
frire.
n 22
— 338 —
Irland. breôgach, boulanger, breôgaim , cuire et pétrir,
venant de bhrasg (?) à cause du g non aspiré.
Au sanscr. bhrg, assare, se lie sans doute la rac. bhag (10),
coquere, d'où bhakta, cuit. Les deux formes doivent s'être
séparées de bonne heure, car on trouve en grec, à côté de
(pçvycx), et comme corrélatif de bhag, Ç)ûoyco, Ç>û)Çûô9 d'où
(pûûyctvov, poêle à frire. A cette forme secondaire de la racine
correspond également l'ang.-sax. bacan, scand. baka, anc. ail.
pachan, frigere, torrere, d'où respectivement baecere, bakari,
paccharo, pistor. Cf. irl. bacht, bocht, feu; mais bdcala, bdcud-
has, four, bdcailim, cuire, viennent sans doute de l'anglais
bake. Cf. plus haut la note p. 333.
7) Pers. âlawahj foyer, âlû, four à briques. — Cf. âlâ,
âlaiv, âlanka, flamme.
Cymr. aelwyd, armor. oaled, foyer, irl. eallach, id. — Cf.
ang.-sax. aeled, alet, scand. elldr, feu.
8) Armén. wararan, foyer; wary feu. — Cf. pers. war, cha-
leur, warazm, feu, warâgh, flamme, etc.
Anc. si. po-variia, cuisine, po-varit , cuisinier, de variti,
coquere, et vreti, fervere, d'où varie, calor, etc. Cf. passim les
dialectes modernes.
Lith. ivirti, cuire, ivirtuwê, cuisine, wirrêjas, cuisinier, etc.
Ici se rattache peut-être directement le germanique ivarm,
chaud, etc., que l'on rapproche ordinairement du scr. gharma.
et de &i()[A,cç, lesquels pourraient fort bien ne se ressembler
que par le suffixe, à moins qu'on ne veuille identifier les trois
formes var, ghar et <9"g£ = dhar.
9) D'après Kuhn, le latin atrium aurait désigné dans l'ori-
gine le foyer ou la cuisine, et, plus tard seulement, la pièce à
l'entrée de la maison. En bas-latin, atrium signifie encore
parfois la cuisine et Votre (Cf. Ducange, v. a). Kuhn rattache
— 339 —
ce nom du foyer, aussi bien que ater, noir, c'est-à-dire brûlé,
au zend âtar, feu, conservé dans le sanscrit atharvan, prêtre
du feu, et probablement dans atharya, surnom du dieu Agni.1
Le zend âtar, dont l'origine est encore incertaine,2 persan
âdar, âzar, armén. adr, paraît conservé dans l'irland. adhair,
feu.
Suivant Rossbach (Z. S., VI, 61, 239), une extension de
sens analogue aurait eu lieu pour le lat. œdes, primitivement
foyer, et allié ainsi au grec ui&ûô, brûler , correspondant au
sansc. idhj indh, d'où, entre autres dérivés, êdïia, bois à brû-
ler, êdhatUy feu, aidh, aidha, flamme, etc. Cf. angl.-sax. ad,
bûcher, anc. ail. eit, id., et feu, eitjan, cuire, etc. Cette con-
jecture est appuyée par l'irlandais, où l'un des noms de la mai-
son, aidhe = œdes, semble se rattacher à celui du feu , aedh ,
en cymr. aidd, chaleur.
A côté de ces rapprochements nombreux entre les noms
de la chambre, de la cuisine et du foyer', je n'ai rien
trouvé à comparer avec sûreté pour le reste de l'intérieur de
la maison, le grenier, la cave, l'escalier, etc.3 Cela s'accorde
1 Z. S., VI, 239. Roth explique atharya par athari, ocn. Xsy. du
Rigvêda, signifiant, suivant lui, pointe de lance = oc&n'p, par allusion
à la forme pointue des flammes (D. P., v. c.).
2 Suivant Justi (49), peut-être de ad-tar, qui dévore.
3 Dans trois branches de la famille arienne, les noms de l'escalier
et de l'échelle dérivent de la même racine, mais par des formations
diverses. Ainsi, en sanscrit, ni-çrayanî, ni-çrêni} de çri, ni-çri,
appuyer, incliner ; en grec x>aV<*t, de jcXt-vw, in-clino, en anc. allem.
hleitara, angs. hlaeder, allem. leiter, angl. ladder, de la rac. hli,
hlinôn, -nen, lehnen, etc. Cf. scr. çrêtar, masc, celui qui s'appuie.
Aucun de ces termes n'est primitif, mais leur commune dérivation
peut faire présumer un nom proethnique avec le même sens. On se
tromperait fort si l'on rapprochait le kourde daràg, scala (Garzoni,
— 340 —
d'ailleurs avec l'idée que nous pouvons nous faire des sim-
ples habitations des temps primitifs, lesquelles ne devaient
guère consister qu'en une cuisine, et une ou plusieurs cham-
bres à coucher.
Voyons maintenant quels étaient les alentours de la mai-
son, avant d'y rentrer pour en examiner le mobilier.
ARTICLE III. LES ABORDS DE LA MAISON.
§ 269. LA COUR.
1) Un seul des noms sanscrits de la cour a conservé son
corrélatif européen, savoir angana ou angana, de la rac. ang,
ire, comme lieu de mouvement et de passage, de même que le
synonyme agira, de ag, agere. Cf. agra, p. 6 et 108.
Je compare le lithuanien a?iga, entrée, ouverture de la
porte, nam-angis, nùm-ange, cour, de namas, numas, maison,
et anga; prëanga, pryangis, prgange, le devant de la porte,
composé exactement comme le scr. prângana, cour, pra -f- an-
gana.
Il faut peut-être rattacher ici l'anglo-sax. inge, scand. engi,
pratum, anc. ail. a?igar, arvum, bien que le g ne corresponde
pas régulièrement.
2) Le grec %ooroq^ cour, enceinte, appartient à l'un des
groupes de mots les plus difficiles à démêler, quant à ses ori-
gines étymologiques. D'après les expressions homériques
Vocab.), de l'armoricain dérez, dergé, escalier, car, d'une part, le
kourde est emprunté à l'arabe daragat, durgat, et de l'autre, dérez,
dergé, aussi marche d'escalier, qui manque en cymrique, n'est sans
doute qu'une altération de degré.
— 341 —
uvAyjg iv x°9Ta) O^v XI? 744), mfa\ç xiçrot (xxiv, 640), ce
terme désignait, soit l'enceinte de la cour, soit l'espace en-
clos , l'allemand hofraum ; mais l'acception d'enceinte ou
limite paraît être la primitive, à en juger par <rvy%oçTQÇ)
voisin, limitrophe. D'après cela, %o^toç ne peut guère se sépa-
rer de %oçoç-> danse circulaire, qui, suivant Hesychius,= kvkàoç,
(TTèQctvoç, cercle, guirlande. Ainsi la racine serait %op, ce qui
conduit à comparer le scr. hvar, curvum esse, dont le parti-
cipe hruta, courbé, par inversion pour hurta, de hvarta, repré-
sente fort bien %oproç pour x^cçtoç.
Au mot grec répond exactement le latin hortus, jardin, en
tant que lieu enclos, et co-hors, enceinte, cour, par contraction
chors, cors, thème corti, d'où le bas-latin curtis, qui a passé à
l'irl. cûirt, au cymr. civrt, à l'angl. court, etc.
Comme le g germanique répond régulièrement au % grec,
et à Y h latin, on a souvent comparé le go th. gards, maison,
garda, cour, ags. geard, jardin, enclos, scand. gardr, ancien
allem. kart, karto, id., et cercle, etc. Mais ici déjà commen-
cent les difficultés ; car, non-seulement le d gothique suppo-
serait un ô = dix, au lieu du t, mais il appartient clairement à
la racine. On ne saurait douter, en effet, que Grimm ne
rapporte avec toute raison gards au verbe fort gairdan (gard,
gaurdun), enceindre, entourer, lequel se retrouve dans l'an-
cien slave graditi, sepire, d'où gradu, russe gorodu, urbs,
gradejï, sepes, gradina, o-gradîi, hortus, etc. Le lithuanien
a de même zardis, jardin ( z = %? h ), à côté de gardas,
enclos, parc, qui est peut-être slave. Enfin, les langues celti-
ques nous offrent encore l'irl. gort, gâradh, et le cymr. gardd,
jardin, qui ne semblent pas empruntés au germanique. 1
1 Cf. aussi cymr. garth, rempart, forteresse, garthan, camp. L'irl.
garadh désigne aussi une haie, un mur et une tanière.
— 342 —
Si de l'Europe nous passons à l'Orient, nous voyons le
problème se compliquer encore davantage. Nous rencontrons
d'abord le pers. gird, cercle, ville, gardar, id., kourde gertia,
enceinte, etc., termes en apparence tout semblables à gards, et
gradïï, mais en réalité tout différents, car ils dérivent de gar-
dîdan, tourner, entourer, être entouré; et la racine de ce verbe,
par le changement de v en g, propre au persan, répond au scr.
vrtj vartj vertere. Or cette rac. vart reparaît non-seulement dans
le \a,t. verto, qui n'a plus aucun rapport avec hortus, mais dans
l'anc. si. vratitij vertere, vrïtieti, circumagere, d'où dérive vrïtïï,
illyr. vart, hortus, entièrement distinct de gradïï. D'un autre
côté, l'ossète kharth, cour, aussi semblable que possible à
%cûtoç, ne saurait cependant s'y rattacher régulièrement,
puisque le hh ou ch initial, en ossète comme en persan, corres-
pond au sv sanscrit.
Enfin, la confusion atteint ses dernières limites par l'addition
du scr. garta, signifiant maison, comme le goth. gards, mais
aussi creux, fosse, tanière, et qui diffère également de tous les
termes qui précèdent. D'après le D. P., en effet, ce ne serait là
qu'une forme plus moderne de karta, fosse, de la rac. krt, scin-
dere,1 et, comme maison, garta aurait désigné probablement
une habitation souterraine. Il faut encore ajouter le karta des
inscriptions de Persépolis, que Lassen traduit par arx, pala-
tium, mais qu'il compare à l'héb. qereth, urbs ( Z. S. f. d.
Kunde des Morg., VI, 78).2
Je laisse à de plus habiles à débrouiller cet écheveau si
compliqué, ce qui ne peut se faire, je crois, qu'en admettant
1 Cf. ossète karta, baquet, et anc. si. crûtogû, cubieulum, de crû-
tati, incidere = scr. krt.
2 Cf. xipTot — ttôXiç v7ro 'Ap^tvim (Hesych.).
— 343 —
des transmissions de plus d'un genre d'une langue à une
autre.1
3) L'anc. ail., ags., scand. hof, cour, puis, par extension,
demeure, maison, a été rapproché du gr. nyJTroç, jardin (Pott,
Et. F., 1, 141); il faut en rapprocher aussi l'alban. kâpesht, id.
La racine ne peut guère être que les rac. kap, skap, des termes
déjà comparés (p. 115), dans le sens de creuser, fouir. Il est à
remarquer que l'anglo-sax. hof scand. hôfr, anc. ail. hiwf,
sabot de cheval, est au si. kopyto, id., de Jcopati, fodere,2dans
le même rapport que celui de hof à KfJTroç. — Le mot germa-
nique semble avoir désigné primitivement, comme le grec, un
terrain cultivé près de la maison, un jardin; mais il ne paraît
pas se retrouver chez les Aryas de l'Orient.
§ 270. LE PUITS, LA CITERNE.
Les habitations se sont toujours établies naturellement de
préférence dans le voisinage des eaux, des lacs, des rivières ou
des sources; mais, partout où celles-ci manquent, l'industrie
humaine a dû chercher à y suppléer de bonne heure par des
puits ou des citernes, dont la place la plus convenable était dans
la cour. Je laisse de côté les noms de la source naturelle, qui
n'intéressent pas directement l'économie de la maison, et je
ne m'attache qu'à ceux qui indiquent une intervention du tra-
vail de l'homme.
1 Fick, p. 359, se borne à comparer xôproç, hortus et gardhr, en les
ramenant à un thème commun gharta, de ghar = ser. kr, prendre,
saisir, etc. Cf. aussi Curtius (Gr. Et.3, 189).
2 Cf. scr. capha, zend çafa, sabot de cheval, d'ailleurs sans étymo-
logie connue.
— 344 —
1) Scr. kûpa, fontaine, puits, et creux, fosse, kûpî, petite
fontaine, outre à huile, bouteille; dérivés peut-être, suivant le
D. P. ,de Jeu -f- ap, qui a un peu d'eau, comme anûpa, proche de
l'eau, de anu + ap, etc. Il n'est pas sûr cependant que le sens
de creux, cavité, fosse, ne soit pas le primitif, car kûpî, dans
l'acception d'ombilic, ne peut signifier que petit creux, fos-
sette. Dans les langues congénères, les corrélatifs de' kûpa
s'appliquent, comme le sanscrit, à des récipients pour les
liquides, de nature et de dimensions variables. Ainsi :
Armén. kup, puits, citerne ; pers. kôp, grande cruche à
eau, ossète koph, baquet.
Grec KV7TèAAov, coupe. Cf. kv7Ty\, cavité, caverne, peut-
être à distinguer de yv7rrj, qui se rattache mieux au scr. gup,
tegere.
Lat. cûpa, cuve, d'où sans doute l'irl. cûpa, cupân, cymr.
cwpan, armor. kôp, coupe, et le scand. kûpa, vas rotundum.
Par contre, l'ags. cyfe, anc. ail. chuofa, dolium, se rattachent
plus régulièrement à gup et à yv TTfj.
Lith. kûpka, coupe, peut-être du polon. kubek, id., aussi
mot d'emprunt (?).
Anc. si. koupa, poculum ( Mikl., Leœ., 322), néo-sl. kupa,
kupica, serbe kupa, grec mod. K0V7rct>, etc. Le russe kopanï,
citerne, de kopati, creuser, doit être séparé, à moins que sa
racine, kop, ne se rattache de quelque manière à celle du scr.
kûpa, si elle existe.
2) Scr. sûcla = kûpa (Naigh., 3, 23), peut-être de su -|-
uda, bonam aquam habens, mais le Dhâtup. donne aussi une
racine sud, effundere, efïluere (Westerg.).1
1 Dans le D. P. sud n'a que les acceptions de : bien diriger, rectifier,
ordonner, achever, détruire, tuer.
— 345 —
Kuhn ( Ind. Stud., I, 361) compare le bas-allemand sot,
puits.
Irl. soidheach, vase.
Lith. sudas, sudélis, sudyne, vase, cruche.
Ane. si. susâdu, vase, pol. sddek, petit tonneau, russe sosud,
sudu, sudno, vase, vaisseau, sudoku, jatte, illyr. et boli. sud,
vase, etc.
3) Scr. curî, cûrî, petite fontaine. Origine incertaine.
Irl. curr, puits, fontaine.
Lith. szùlnis, szulinys, id., — sz = k = c.
4) Des rapports de significations du même genre que pour
les deux premiers groupes ci-dessus, mais plus incertains, se
présentent entre les termes suivants.
Scr. puta, putaka, creux, cavité, poche, cornet. Origine in-
certaine. Cf. put, contenir (Dhâtup.).
Pers. pûtah, bûtah, creuset, kourde buta, armén. putag.
Armén. pos, puits; alban. pus, id.
Lat. puteus.
Irl. f putte (Corm., Gl., 138), vase, cavité, cunnus; peut-
être du latin, malgré la différence de sens, à cause du t non
aspiré; cymr. pydaio, pydew, puits (latin?).
Ang.-sax. pytt, scand. pittr, anc. allem. puzza, puzzi, etc.,
puits, sûrement du latin, à cause du maintien du p.
ARTICLE IV. LES MEUBLES ET USTENSILES DE MÉNAGE.
Eevenons maintenant à l'intérieur de l'ancienne habitation
pour rechercher, si possible, comment elle était meublée, et
par quels moyens l'industrie primitive avait su pourvoir aux
nécessités de la vie domestique. Nous commencerons cette
— 346 —
étude par les meubles proprement dits, pour passer de là aux
ustensiles divers du ménage. La multiplicité des objets est
ici très-grande, et nous serons forcé d'être sobre de dévelop-
pements pour ne pas donner trop de place à ces menus
détails de la vie matérielle.
§ 271. LE LIT.
1) Scr. stara, stariman, âstara, âstarana, prastara,prastira,
vistara, sastara, sanstara, etc., lit, couche, de str, star, sternere,
expandere, avec divers préfixes.1
Zend çtairis, couche.
Persan bistar, pistar, lit, coussin = scr. vistara. Cf. ka-star,
coussin (?).
Grec (TTfOù^cti CTpwfjLVtj, couche, de (TTpôûvvvfAi, ctoçîoô, rac,
orep.
Alban. slitruare, lit, str orne, id., du grec.
Latin torus, pour storus, de sterno (Cf. Bopp, Ver g. Gr.,
p. 1341).
Irland. osar, lit, litière, pour ossar et ostar = scr. âstara,
comme l'indique le maintien de Y s entre les voyelles ; côsair,
lit, pour co-stair, = scr. sastara, ou pers. kastar, coussin.
Ang.-sax. stre ( = scr. stara), streow, strene ( = scr. sta-
rana), straete, strael, lectus, stratum; de streoioian, go th.
straujan, etc., sternere.
Ane. si. postelia, russe postélï, boh. postel, etc., lit, de po-
1 C'est aussi à star que le D. P. (t. III, 286) croit pouvoir ratta-
cher talpa, lit, sopha, siège, que Weber préfère rapporter à tarp,
satisfaire, réjouir, etc. Cf. aussi talima, talina, lit, tala, surface
plane, sol, également de star, et l'irl. talamh, terre.
— 347 —
stlati, po-stilati, sternere, avec l pour r à côté de strieti, ex-
tendere. — Cf. scr. upastarana, couverture.
Lith. pdtalas, lit, probablement pour pa-stalas.
2) Scr. tûlikâ, lit, matelas.
Gr. tvà?], matelas (Diod., 13, 82). *
Irl. tolg, 2 cymr. tyle, lit.
Le mot sanscrit se rattache à tûla, tûlaha, coton, et désigne
un matelas qui en est garni; mais tûla est aussi le nom du
panache des roseaux et de plusieurs graminées, et c'est là sans
doute son acception primitive. Les anciens Aryas, en effet, ne
pouvaient connaître le coton, qui est originaire de l'Inde, et
l'analogie des noms du matelas et du lit, en sanscrit, en grec
et en celtique, ne peut s'expliquer que par le fait de l'emploi
d'une matière analogue, comme les panaches du roseau, etc.
La rac. scr. tul, tollere, sursum ejicere, explique parfaite-
ment le sens primitif de tûla. Cf. irl. tula, tulach, tuilg, mon-
ceau, colline.
3) Scr. ç aga, çagana, lit, de çî, jacere, cubare, quiescere.
Gr. Kolrvi) koitoç, lit, sommeil, de KiifAou.
Irl. cin, lit.
Cf., p. 331, le sl.po-koi, chambre à coucher, etc.
4) Scr. nishadgâ, petit lit; de ni -)- sad, sidère, commorari.
Irl. suidhe, couche et siège ; et aussi séad, erse seid, avec
le d non aspiré, ce que je ne m'explique pas mieux que pour
l'anc. irland. suide, sedes, suidigur, pono, in-sddaim, jacio (Z.2,
1 Comme rvXy, rv>.o<;, signifie aussi durillon, bosse, Curtius (Gr.
Et.3, 212) le rattache à rv = scr. tu, valere, en comparant tumor,
tuber, etc.
2 Irl. moy. tolcc, au datif tuilg flr. Ann., p. 8) ; peut-être = au
scr. talpa, avec c pour p.
— 348 —
434, etc.), en présence du moderne suidhim, sedeo, etc.1 Cf.
plus loin les noms du siège.
5) Scr. mandurâ, lit, natte (demand, reposer); aussi. étable
= maudira, comme lieu de repos (Cf. p. 26, note).
Alban. minder, matelas.
Comme la racine mand signifie aussi, de même que ?nad,
inebriari, lsetari, ce qui s'applique fort bien à l'ivresse bien-
faisante du sommeil, il faut peut-être rapporter à mad le
latin matta, pour madta, natte, mattarius, qui couche sur
une natte.
L'irland. matta, cymr. matras, angl.-saxon meatta, ancien
allem. matta, etc., viennent peut-être, en partie du moins, du
latin.
6) Scr. langâ, sommeil (D. P., d'après Wilson).
Irl. long, lit.
Ce rapprochement se justifie par le fait que les noms du lit
et du sommeil sont plus d'une fois les mêmes. L'irl. long dé-
signe aussi une demeure, une maison, et le Dhâtup. donne
une racine lag, lang, lung , manere, habitare, sens très-rap-
p roche de quiescere, decumbere, et qui rendrait bien compte
des diverses acceptions ci-dessus. Or cette racine, qui n'est pas
encore constatée en sanscrit, se retrouve, sous ses deux formes
lang et la$, dans l'anc. si. leshti (au prés, legà, avec la nasale),
decumbere; cf. pol. lâdz, legnaé, couver, lagnanie, lâzenie, ac-
tion de couver, etc., et dans lejati, jacere; cf. po-lojiti, po-la-
gati, ponere, d'où loje, lectus, etc. Ce fait nous conduit à ratta-
cher ici tout un groupe européen des noms du lit, dont la
* Cela s'explique, comme dans d'autres cas, par le fait que dans les
anciens manuscrits le signe de l'aspiration des consonnes est souvent
omis.
— 349 —
racine est également conservée presque partout, mais où la
gutturale varie. Ainsi :
Ane. si. et russe loje, pol. loze, boh. loze, etc.
Gr. XîKTpov, Aaypoç (Hesych.), de Myopui, decumbo ; à
côté de Ag%oç, Ao^oç, rac. Ae%.
Lat. lectus.
Irl. leacht, de luighim, jaceo, recumbo; par contre, leagaim,
leigim, pono, sterno, indique, par le g non aspiré, la perte
de la nasale.
Goth. ligrs, ags. léger, scand. leg, anc. ail. legar, etc., de
ligan (lag, legun), jacere, où le g répond au % grec de
Ao%oç, etc.
7) Pers. dari, couche, lit. Cf. bî-dâr, éveillé, vigilant, ex-
somnis, bî-dârî, vigilance.
Anc. si. o-dru, lit, illyr. o-dar, boh. odry, lit.
La racine est probablement le scr. drâ, dormire, d'où ni-drâ,
ni-drâna, sommeil, ni-drâlu, endormi, etc. Cf. grec «fyjjta,
iïèpôûô, Sc&çùioù) dormir, forme secondaire, ainsi que dormio,
ancien slave driemati, dénominatifs comme l'indique l'ana-
logie du scandin. draum, angl. dream, anc. allemand traum,
somnus, etc.
J'ajouterai que c'est aussi à la rac. védique çast, dormire,
que semble se rattacher l'irland. cuiste, lit. Le latin castrum
n'aurait-il signifié à l'origine qu'un lieu de repos et de
sommeil ? Comme la racine çast s'écrit aussi sast et sas, je
compare également l'irland. sosa, sois (sosti f), repos, et l'erse
seist, couche. 1
1 Cette racine ç ast, dans Wilson, to sleep, peculiar to the Vedas,
est contestée par Weber (Beitr., 4, 279) et n'est point admise, en
effet, par le D. P. Westergaard (Rad., 314) a sas, sanst, cas, çaîist,
dormire , le D. P. seulement sas, id. Si la forme avec c est décidé-
— 350
§ 272. LE STÉGE, LA CHAISE ET LE BANC.
1) Le principal nom de la chaise dérive partout de la rac.
arienne sad, sedere, déjà mentionnée (p. 308 et 347). J'in-
dique brièvement ses diverses formes.
Scr. sadas, sadman. — Zend hadis.
Gr. îSoç, e Jp#, ïfyctvov, etc.
Lat. sedes, sedile, sella, pour sedla.
Irl.-erse suidhe, erse seidhir; cymr. sedd.
Goth. sitls,&gs. setl, saetel, scand. saeti, sess, &nc. allemand
sezal, etc.
Lith. sëdimaSj sostas, pour sodtas.
Ane. si. siedalo, siedaniie, etc.; dial. slaves passim.
2) Scr. vistara, chaise, siège et couche; de vi-\~str, sternere.
Cf. p. 346. — Peut-être de la même racine.
Goth. stôls, chaise, ags. et scand. stôl, anc. ail. stûl, etc.
Ane. slave stolu, chaise et table, stolïtsï, selle; russe stiilïï,
chaise, stàlïï, table, etc., etc. — Lith. stâlas, table.
Irl. stâl, cymr. ystawl, chaise.
Ce groupe européen si compacte pourrait aussi se ramener
à la racine sthâ, stare, ou sthal, nrmiter stare, causât, sthâlay.
Cf. scr. sthala, site, monceau, lieu sec élevé artificiellement,
tente, etc., et cf. p. 24.
3) Pers. kûrsî, kourde kursi, chaise. 1
ment apocryphe, il faut renoncer aux rapprochements avec cuiste et
castrum ; mais il ne m'appartenait pas de mettre en doute le diction-
naire de Wilson.
1 Cf. le scr. kûrea, paquet d'herbe ou de paille, employé comme
siège. Fick (45) compare le latin culcita, coussin. On peut ajouter
l'irl. coilce, lit ; mais kûrea, touffe, poignée d'herbe, déplumes, etc., et
— 351 —
Lith. krase, kraséle, id., kreslas, fauteuil; krastis\ s'asseoir.
Russe krésla, pol. krzesto, fauteuil.
Rapprochement douteux.
4) Lat. scamnum, siège, banc; dim. scabellum.
Ang.-sax. scemol, scamel, anc. ail. scamal, banc.
Ane. si. skomïnu, russe skamiia, banc.
Lith. skomia, table.
D'après Kuhn (Z. S., I, 140), scamnum est pour scabnum,
comme l'indique le diminutif scabellum, et appartient à la
racine sansc. skabh, skambh (skabhnôti, skambhatê), fulcire,
comme, à ce dernier verbe, fulcrum, lit, sopha. 1 Les formes
lithuan.-slaves et germaniques auraient alors perdu le bh
de skambh. Cette étymologie est appuyée par l'irl. scabhal,
échafaudage, porche, hutte, dont les significations, différentes
de scabellum, s'expliquent également bien par la rac. skabh.
§ 273. LA TABLE.
1) Un seul groupe des noms de la table présente quelque
importance au point de vue comparatif.
Lat. mensa et mesa. 2
Irl. meis, mias, erse mios, plat ; corn, mius, table, armor.
meuz, plat. Cf. irland. maois, corbeille, cymr. mwys (= mes),
panier.
aussi barbe et tète, semble encore mieux représenté par l'irl. cuire,
cuircin, crête, tête, nœud au sommet de la tête (O'R.); en erse cuir-
cinn, sorte de coiffure de femmes.
1 Cf. zend çkemba, pilier, de çkemb — scr. skambh.
2 In sermone Varronis mensa mesa dicisolere(Charis. in Varr.^W).
— 352 —
Goth. mes, ags. meose, myse, anc. ail. meas, mias, table. Cf.
scand. meisa, corbis pabulatoria, et anc. ail. meisa, cistella.
Russe misa, miska, terrine ; pol., boh. misa, plat ; slov. misa-,
table.
Alban. mes die, table, misû, plat.
Si l'on compare le acr. mânsa, chair, viande (p. 28), il de-
vient probable que mensa et ses corrélatifs ont désigné à
l'origine la chair distribuée pour le repas.
2) Le pers. tabrak,tabûk, table, plat, semble avoir la même
racine que le lat. tabula, pour stabula, cf. stabulum; savoir
stliâ, ou peut-être stabh, stambh, stabilire, fulcire. Cf. ang.-
sax. stapel, stapul, anc. ail. staphal, staphala, mensa, fulcrum.
Le kourde stambulii, grand plat, peut-il être comparé ?
§ 274. RÉCIPIENTS DIVERS, CAISSE, TONNEAU, PANIER,
SAC, ET VASES DE TOUTE ESPÈCE.
Je comprends dans cet article la vaste nomenclature des
ustensiles de tout genre et de toute matière qui servent à la
conservation des solides et des liquides, à leur transport, à leur
préparation culinaire, à leur consommation, etc. Il est impos-
sible, en effet, de les séparer au point de vue étymologique,
parce que les transitions d'un sens à un autre sont perpé-
tuelles. Les significations primitives restent par cela même
souvent obscures, et les rapprochements multipliés qui sui-
vent ne sont donnés en partie qu'à titre de conjectures qui
exigeront un nouvel examen.
1) Scr. kâshta, mesure de capacité, c'est-à-dire récipient
— 353 —
en bois, de kâshta, pièce de bois, de même que le grec ipKov,
iïoçv, etc., pour des objets divers de cette matière.
Pers. kashtî, bateau, vaisseau, auge, vase, etc., boukhar.
kishtî, vaisseau; ossète kushtil, tonneau.
Gt. Tcicrtvii caisse.
Lat. cista, cistula, cistella, cisterna.
Irland. ceis, cisedn, * erse ciosan, panier (s pour st); cisde,
caisse (latin?). Cymr. cist, cistan, caisse, cabinet, cellule, cist-
faen, caisse de pierre, monument druidique cellulaire ; armor.
kést, panier.
Ang.-saxon ciste, scand. Jcista, kassi, ancien allem. chista,
chasto, etc., caisse, termes d'emprunt, à cause du k inaltéré.
2) Scr. kabandha, kavandha, tonne, gros vase ventru, corps
sans tête, ventre, nuage; du pron. interr. ka et de bandha,
corps, quel corps ! Ainsi D. P.
Pers. kawandah, gaioandah, sac à blé, panier à paille, filet
en paille tressée pour porter le fumier sec, etc.
Comme nom propre, Kabandha désigne le nuage person-
nifié, le démon qui l'habite et que combat le dieu Indra. Kuhn
le retrouve presque intact dans le grec Kciavêoç, fils de
l'Océan, frère de Melia qu'enlève Apollon, contre lequel
il lutte et succombe , comme Kabandha sous les coups
d'Indra. Cf. zend Kunda, Kavanda, nom d'un Daêva (Justi,
83 ).2
Le scr. bandha, corps, de badh, bandh, ligare, a fort bien
pu, sans le pronom, s'appliquer à un tonneau.5 Ce double sens,
1 Irl. f ceis, ruche d'abeilles (S. M., III, 433, etc.).
2 Die Herabkunft d. Feuers, etc., p. 134. Il est à remarquer que
nous avons ici, en grec, un exemple bien constaté de ces anciens com-
posés avec le pronom interrogatif ka, dont l'existence en dehors du
sanscrit est encore contestée.
3 Cf. bandha, réservoir (D. P.); goth. bansti, ctiroSwv (v. p. 25).
II 23
— 354 —
en effet, se reproduit dans le germanique, où l'anglo-saxon
bodig, angl. body, anc. ail. potah, désignent le corps, tandis
que les corrélatifs byden, putin, putinna, allem. mod. bottich,
butte, signifient tonneau. Cf. erse bodhaigh, corps, et buideal,
irl. bâid, boide, tonneau, bouteille, dont la nasale est supprimée
devant le d non aspiré.
3) Scr. kumbha, kumbhî, pot, cruche, jarre, urne cinéraire,
vase en terre pour la cuisson, vase à mettre le blé, mesure de
capacité, kumbhakâra, potier, etc. — Le Dhâtup. donne une
racine kumbh, kumb, tegere.
Zend khumba; pers. chumb, chub, chum, cruche, jarre, chum-
bah, vase à tenir le blé, chumbak, chummak, id., et pot à eau.
Boukhar. chum, cruche.
Gr. kv{a£oç, KVfÂ,£yj, vase, coupe, canot (cymba), KVfA,Qa\ov,
cymbale, le (i pour Q après ^5 kvQoç, <tkvÇ)oç9 vase creux.
Irland. cumaidhe, vase à boire ; * erse cuman, seau à traire,
Y m non aspirée pour mb. Cymr. cwman, baquet, auge. —
Erse cùb, espèce de panier, cubag, caisse; le b non aspiré
pour mb. Ici encore le cymr. cwm pour cwmb, vallée, combe,
déjà en gaulois cumba (Cf. Gluck, Kelt. Nam., 28).
Russe kûbu, alambic, kûboku, bocal, kubyshka, cruche, vase
ventru ; Vu russe fait présumer en ancien slave une forme
nasale kàbu; polon. kubek, coupe, kubel, seillot.
Lith. kubilas, tonneau.
Les corrélatifs germaniques, tels que l'anglo-sax. cumb, me-
et l'irl. baiti, tonneau (Stokes, GoicL2, 76), de basti. Mais cf. aussi le
sansc. bhânda, n., pot, vase, plat, caisse, boîte, etc., sans étymo-
logie dans D. P.
1 Cf. f comm, baratte (S. M., I, 124); f cummain, petit panier
(Stokes, GoicL2, 94). De plus, l'armor. koumm; vague, en tant que
creuse comme un vase.
— 355 —
sure de liquides, angl. comb, mesure de capacité, scand. kum-
bari, navis mercatoria, anc. ail. chumph, cymbus, ail. moy.
chumf, kump, vase, coupe, etc., sont des mots d'emprunt,
le k s'y étant conservé intact. *
4) Scr. kôça, kôsha, récipient en général, enveloppe, ton-
neau, seau, vase, coupe, caisse, fourreau, coque, calice, scro-
tum, utérus, etc.; kôçika, kauçikâ, coupe; kôshtha, grenier,
magasin, aussi kôsha.
D'après le D. P., la forme kôça est la plus ancienne et pa-
raît dériver de la rac. kuç, amplecti (Dhâtup.), d'où vient
aussi kukshi, ventre , zend kushi, ventre, cavité.
Pers. kôs, timbale, kôshah, caisse pour les vêtements,
ventre, kôshish, vase à tenir le vin; boukhar. kbseh, vase;
kourde gbsk, id. ; ossète kus, coupe.
Lat. caucus.
Lithuan. kauszas, vase à boire, grand pochon; diminutif
kauszéle, kiauszas, coque, coquille, kiausza, crâne, etc. (Cf.
§ 148, 1.)
Irland. cuach (= côch), coupe, gobelet; cymr. cwch, canot.
Irl. f cochme, vase (Corm. GL, 47). 2
Armor. cos, gousse.
Comme Yo slave répond à Y a sanscrit, et non à Yô, il faut
rapporter à kakslia l'ancien slave koshï, cophinus, lithuanien
kaszus, etc., ainsi que nous l'avons fait § 266, 2. Mais à la
rac. kuç appartient sûrement le lithuan. kuszys, cunnus; cf.
1 Cf. cependant l'allem. moderne humpen, s'il n'est pas affaibli de
chumph.
2 Cf. lat. cucuma, vase à cuire, et l'anc. si. kokma, vas quoddam,
ainsi que koukoumarï, poculum, qui rappelle singulièrement notre
coquemar, suivant Diez, W6., 2, 20, de l'italien cogoma = cucuma.
Ici, peut-être, le latin cucumis, -meris, courge, à cause de la ressem-
blance de forme.
— 356 —
scr. kuksJii, ventre, ainsi que le grec Kvtroç, kv(T(Toç, kv(t9-oç,
anus, cunnus, et Kv<TTy]t vessie.1 Après tout, la racine perdue
de kaksha, kaç(?), peut être alliée primitivement à kùç.
5) Sanscr. pâtra, récipient, vase en général, jarre, coupe,
plat, etc. ; pâtrî, petit foyer portatif; rac. pâ, tueri ou bibere,
selon les cas. 2
Pers. pâtû, grand pot de terre, pâtîlah, pot, chaudron.
Gr. 7roTY\Q, 7roTqçtov9 coupe, 7Tùù\jucl, id., rac. 7Toù, 7ro, bibere
{jrivoù, 7rco&i, 7tî7rûùKoi).\ mais il faut rapporter 7roùfJLct, cou-
vercle, à pâ, tueri. — Cf. 7rot,Tctvvi, 7rounKXct, plat, de
7rctrî0fjuai,]e mange, forme augmentée de 7rctofA,cu = scr. pâ,
nutrire. 3
Lat. paiera, patère, vase de sacrifice, coupe, tasse; patella,
dimin. patina, patena, plat (du grec?), poculum, coupe, comme
potus, etc., de la rac. pâ, bibere.
Irl. putraicc, vase, puitric, bouteille. Le nom du pot, pota,
pôite, 4 cymr. pot, vient du latin potus, comme le sc&nd. pottr ,
l'angl. pot, etc. — Irland. pâdhal, seau, cruche ; cymr. padell,
poêle à frire, peut-être aussi de patella.
Goth. fôdr, theca, vagina, ipourfôthr —pâtra, ags. fotlier,
cophinus, anc. ail. fôtar, theca, plaustrum, etc., sûrement de
pâ, tueri (Cf. Bopp, Verg. Gr., III, 201).
6) Scr. pana, pânila, coupe, vase à boire; nipâna, seau à
traire ; rac. pâ, bibere, comme ci-dessus.
1 Cf. anc. si. koukshinû, urceus.
2 Cf. pitar, pour pâtar, père, le protecteur, etpâtar, le buveur.
3 Curtius (Gr. Et.3, 199) rattache Wro», d'où le latin patina, à
TrtTotvvvfAi, étendre.
4 Cf. irl. f pait, espèce de vase (Corm., GL, 138); pata, vase
(O'Clary, ibid.).
— 357 —
Cymr. pan, coupe, vase creux.1
Ane. si. pany, féru., pelvis, panitsa, patella, lanx, cisterna;
pol. panew, panewka, poêle.
Lith. pana, pane, poêle.
Cf. anc. ail. fanari, espèce de vase ( Graff, Spr. schatz,
III, 526); mais panna, ags. et scand. panna, etc., patella, sar-
tago, frixorium, probablement du lat. patina.
7) Scr. kathina, vase à cuire, comme adj. dur. Cf. kâtha,
pierre, kathinî, craie.
Gr. KdTctvoçy lat. catinus, catillus, vase à cuire, plat. 2
Anc. si. kotlu, chaudron, russe kotelïï, ill. kotla, pol. kociel.
Lith. kdtilas, id.
Le goth. katils, ags. cetel, cytel, scand. kêtill, kati, ancien
ail. chezzil, chezzi, sont empruntés, soit au latin, soit au slave.
8) Scr. vâsana, récipient en général, vase, boîte, corbeille,
enveloppe, demeure, etc.; rac. vas, habitare, et induere sibi.
Cf. p. 307.5
Lat. vas, vase. Cf. vesica, scr. vasti, vessie et bas-ventre.
Scand. vasi, sacculus, loculus, veski, pera, bulga.
9) Scr. cashaka, coupe, vase à boire. — Cf. cashati, nour-
riture (D. P.), das Essen, et rac. cash, edere (Dhâtup.); en
pers. cashîdan, goûter.
1 Stokes rattache ici l'irl. f an au pi. âna, petite coupe (Corm.,
GL, 7), pour pan, avec suppression observée plus d'une fois du p
initial.
2 Bopp (G/, scr.) rapproche catinus de kathina, mais le th céré-
bral donne lieu à une objection. Fick (30) recourt à la racine scr.
cat = kat. signifiant suivant lui : cacher ; mais d'après D. P., seulement:
se cacher, d'où catin, adj., qui se tient caché, sens moins approprié
pour un vase. Il y ramène aussi xdrvXoç, -"hy, creux, coupe, en compa-
rant le scr. catvâla, dans le D. P., creux en terre pour le feu du sacri-
fice; mais cf.catvara, place carrée, lieu de sacrifice, de catvar, quatre.
3 D'après l'observation de Weber (Beitr., 4, 279), vas, habitare, et
induere sibi, constituerait deux racines distinctes.
— 358 —
Pers. cashm, coupe; armén. gashag, petite tasse.
Ane. si. casha, cashitsa, poculum ; russe casha, pol. czaszka,
illyr. ejaseja, boh. ceshe, disse, id.
Irl. case, easg, vase, eascar, coupe.
Goth. kas, vase, Jcasja, potier, scand. kêr, anc. allem. char,
avec r pour s, vas, cratera, sinum; termes d'emprunt, du
slave (?), à cause du k au lieu de h qu'il faudrait régulièrement.
Le pers. kâs, kâsah, kourde kas, coupe, gobelet, n'ont sans
doute aucun rapport, et correspondent probablement au scr.
kansa, coupe, tasse, vase de métal, laiton, dont l'origine est
incertaine.
10) Scr. karka, karkarî, karkatî, cruche, karaka, id., ka-
rôta, bassin ; peut-être de kf, kar, effundere, spargere.
Irl. corc, coredn, grand pot, crocann, récipient; creach, coupe.
Cymr. crochann, vase, cregen, cruche, crwc, baquet.
Anc. slave krucagu, vas fictile, russe koredga, grand pot de
terre.
Anglo-sax. croc, olla, crocca, pot, anc. ail. chruoe, cruche,
mots d'emprunt, à cause du c inaltéré.
11) Scr. bhâgana, vase en général, pot, coupe, plat; de
bhag, dividere, distribuere.
Irl. buaigh, biiaighneach, coupe (O'R.).1
Ancien allem. bechi, becliin, bassin, bechar, coupe; scand.
bikar, id.
Lith. békis, coupe (du germanique).
Russe bocka, tonneau, pol. beszka, lith. baszka, id., le g, g,
changé en c, sz devant k (?).
12) Sanscr. vêd. saras, patère, vase du sacrifice (Roth, Ni-
1 Dans Corm., Gl., 21, f bôge, boige, chaudron, boge, petit vase à
boire.
— 359 —
rukta, V, 11), saraka, vase à boire, et liqueur. Cf. sara, saras,
eau, lac, etc., de sr, sar, se movere, fluere.
Gr. troçoç, vase funéraire, puis cercueil, pourrait appartenir
au scr. kshar, effundere, et peut-être colligere, comme le syno-
nyme ksJtal (Dhâtup.). De là kshâraka, corbeille pour le pois-
son, les oiseaux, exactement le grec (rcdgctï, (rcàçctxoç, cor-
beille pour les figues. Cf. (Tûùçcç, monceau.1
Irl. soir, soire, soireadh, vase, bouteille, outre, sac.2
13) Scr. pan, petite jarre, vase à boire, seau à traire ; pâlî,
pot, chaudière. Probablement de pf , tueri. Cf. pâla, gardien,
plus anciennement para.
Gr. 7TYipci, lat. pera, sac, poche, ce qui garde, contient.
Cymr. pair, chaudière; irl. coire, id., avec c pour p, comme
souvent: à moins que coire ne se rattache au scr. caru, pot,
chaudron, et que pair ne soit, au contraire, pour cair.
14) Sanscr. palla, grand panier à blé. Cf. palli, maison,
place, station.
Gr. 57-eÀÀ#j seau, 7reÀÀ#£, sreÀÀfç, 7rî\iç, TrèXinr}, plat.
Lat. pelvis, plat. 3
Armor. pellestr, pélestr, baquet, cuve, semble composé avec
léstr, vase. Cf. aussi bal, béol, cuvier.
Irl. battân, baratte (pour palldnf), baillein, seau à traire.
Ces rapprochements sont peu sûrs, l'origine de ces mots
divers étant également incertaine.
1 Sur l'osque sorovom, ossuarium, cinereum, cf. Corssen, Z. S., 18,
p. 199, sqq.
2 Cf. Beitr., 4, 279, les objections de Weber quant à saras, dont le
sens propre serait lac, étang. Quand il est dit, dans le Rigvêda, que
Indra a bu d'un seul coup trente saras, il ne* faudrait voir là qu'une
métaphore poétique, un exploit à la Gargantua.
3 Fick (124) compare le scr. pâlavî, espèce de vase (D. P.).
— 360 —
15) Scr. malla, mallaka, mallika, vase, coupe, vase à huile,
gobelet. Cf. molli, holding, having (Wilson, Dict.), et racine
mal, mail, tenere (Dhâtup.).
Irl. mdla, mdileid, sac, milan, urna (Stokes, Gl., n° 138),
mulldn, seau à traire. — Cymr. mail, bassin, vase creux;
armor. mal, coffre, caisse, malle.
Anglo-sax. mêle, pot, panier, anc, ail. malaha, pera.
16) Scr. kalaça, vase pour recevoir le sôma; caluka, éuluka,
espèce de vase.
A l'un ou à l'autre de ces noms d'origine incertaine se rat-
tachent: 1
Pers. kalîzah, coupe.
Gr. Kct,M>%, id., enveloppe, calice, kvXi%, coupe, KvAixvrj^d.,
koMoç, kovMoç9 gaine.
Lat. calix, culullus, culigna, coupe, culeus, culleus, outre.
Lith. kullys, kulle, outre.
Eusse kulï, sac.2
17) Scr. amatra, cruche, coupe (de am, ire + tra, suffixe
d'instrument), c'est-à-dire moyen de transport. Cf. scr. yâna,
véhicule, de yâ, ire, avec l'irlandais ian, vase.
De la même racine am proviennent: pers. âmus, grand
verre; armén. aman, vase.
Gr. ct^viov, coupe ou vase pour recevoir le sang de la vic-
time. Cf. aussi d^ct^ct, canal (?).
Armor. of, auge, pour om plus ancien; ofad, augée.
Scand. âma, amphora; anc. ail. ôma, mod. ohm, mesure de
capacité.
18) Scr. ambhrna, cuve (vêd.),de ambhas, ambhar, eau (D.P.).
1 Cf. Fick (39), à la rac. kar, répandre.
* Au même groupe se rattache peut-être l'irl. -J- cilornn, ureeus
(Z.2, 14, 774), dérivé par le suffixe rn, am, ern, urn.
— 361 —
Pers. ambâr, réservoir, magasin, d'où ambârîdanj remplir;
kourde ahmbdr, grenier.
Russe ambdrû, illyr. hambar, grenier, pol. ivâbor, wëbbr,
grand baquet.
Irl. ammar, omar, baquet.
Malgré la singulière ressemblance des termes, il faut sans
doute séparer le gr. dfJuQoçivÇ) et l'anc. ail. eimbar, qui appar-
tiennent à (pîpco et beran, et qui reviendront plus loin, n° 24.
19) Scr. sirâ, seau, baquet à puiser, vaisseau tubulaire du
corps (Wilson).1
Siahpôsh siri, pot, vase.
Russe siréna, chaudière.
Gr. (riçoç, cruçoç, lat. sïrus, silo, fosse pour conserver le blé.
Ce dernier nom est donné, par les anciens, comme barbare.
L'usage des silos était commun à plusieurs peuples. Varron et
Pline l'indiquent comme propre à la Cappadoce et à la Thrace,
et Quinte-Curce l'attribue aux habitants de la Bactriane.2
D'après Tacite (Germ., 16), les Germains employaient le
même procédé. Les termes comparés ci-dessus, et auxquels
on peut ajouter l'armén. shirim, fosse, tombe, font présumer
que le nom et la chose avaient une origine arienne, et que,
dans le principe, le silo ne consistait qu'en un gros vase enfoui
sous le sol.
20) Scr. drtij outre, c'est-à-dire peau, cuir, rac. df, dar,
findere.
Gr. ooçoç, id., et peau = iïipfAct, de Sîqûù.
21) Scr. ukhâ, casserolle, vase à cuire.
1 D'après le D. P., canal, veine, mais non vase à puiser.
2 Varro, De re rust., I, 57 ; Plin., H. 2V., 48, 30 ; Q. Curt., Hist.
Alex., 7, 4, 24.
— 362 —
Lat. auxilla, dimin. de aida, olla, d'après Festus (Pott, Et.
F., II, 280).
22) Scr. tulâ, vase, coupe de balance, etc.; rac. tul, tollere.
Irl. tuldn, chaudron.
23) Sanscr. aTisadhrî, vase à cuire (? sic D. P.), de ansa,
épaule, et de dhra, qui tient, porte, c'est-à-dire vase à anses.
Je ne cite ce nom que pour le mot ansa, parfaitement con-
servé dans le lat. ansa, litli. asà, lett. osa, anc. ail. ense, anse,
primitivement épaule du vase. Le goth. amsa a gardé le sens
propre.
24) Pers. barn, barnî, bavant, grand vase, coupe de terre
ou de métal; rac. bar {burdan) = sanscr. bhf, ferre. Cf. kabâ-
rah, coupe, composé avec le pronom ha, comme hawandah;
v. n° 2.
Gr. (pipvicVi <pèp[Aiov, (poçfxoç, panier, corbeille, mesure de
grains; de (pe^y. Cf. Qtçerçov, feretrum, litière, et dfiCpoçîvç,
amphora, de dva-Qîçco.
Irland. bruin, grand pot, et ventre.1 Cf. brû, ventre, de beir,
porter.2
Armor. baraz, baquet à anses, baratte.
Anc. ail. piril, biril, ancien saxon biril, corbeille, de beran,
porter. Cf. les composés eimbar, einbar; ags. amber, de an-ber,
et zwïbar, gerula, tina; ail. mod. eimer, zuber, baquet à une ou
à deux anses (?), sans rapport avec amphora; peut-être aussi
anc. ail. sumbar, calathus.
25) Pers. lagân, pot à eau, lagan, bassin; kourde laghen,
vase; armén. lagan, bassin.
1 Bruinioch — mias, lanx (Stokes, Goid.*, 76; Duil Laithne, n°74).
2 L'irl. tunna, tonna, tonneau, etc., semble de même se lier au scr.
tunda, tundi, ventre. Cf. lat. uter et utérus.
— 363 —
Grr. Actyrjvog, Actyvvoç, bouteille; lat. lagena, dimin. lagun-
cula.
Irl. long, vase, coupe. Cf. lag, log, lagdn, cavité, creux.
Cymr. llogell, réceptacle, poche, case, etc.
AU. moy. legel; mod. lâgel, tonneau.
Ane. slave lagvitsa, poculum, laguncula; russe lagunu, boîte
à graisse pour les chars; pol. lagieiv, petit tonneau, bou-
teille, etc.
La racine reste incertaine.
26) Pers. tashtah, plat, panier, tast, tas, coupe, tasse, tasht,
bassin. Cf. zend tâçta, façonné, fabriqué, de tash = sanscr.
taksli, fabricari.
Lat. testa, vase de terre, brique, etc., de texo.
Ane. ail. dehil, testa, de dâha, ags. thô, goth. thahô, l'argile
qui se façonne; rac. ihah, thahs; cf. p. 152, 169 et suiv.
Lith. tisztas, grand panier de joncs tressés; cf. taszyti, for-
mer, tailler, etc.
27) Pers. satl, coupe à anses, grand chaudron; sital, réser-
voir.
Lat. situla, seau, vase à eau.
Irl. moy. sitheal, coupe, bol (Stokes, GL, n° 241).
Cymr. Mail, filtre, passoire (?).
28) Pers. sâbal, espèce de panier pour le transport.
Irl. sabhail, grenier, primitivement peut-être, grand panier
à grains.
29) Pers. dol, dôlah, baquet, seau à traire. Qî.dûlah,
ventre.
Lat. dolium, tonneau, que Fick rapporte à la rac. dhar.
Ancien si. et russe delva, id.
30) Kourde had (Ji fort), tonneau. Cf. pers. kad, kadah,
caveau, cave, tanière, magasin, souterrain.
— 364 —
Grr. kolSoç-, tonneau, baquet; latin cadus,
Cymr. cod, poche; erse cùdainn, tonneau; irl. cuad, -dh,
coupe de bois (O'E. et D. Laith. n° 73).
Lith. kodis, cruche, cuve.
Ane. si. et russe kadî, cuve, baquet; russe kadka; pol. Jcadz,
kadka, id., etc.
L'origine de ce groupe est d'autant plus incertaine que l'on
trouve en hébreu kad pour urne, vase à puiser et à porter
l'eau, lequel toutefois n'a pas d'étymologie sémitique. Le scr.
kadatra, espèce de vase, paraît correspondre à kalatra; cf.
KccÀctS-oç, corbeille tressée (?), sans rapport avec kciSoç, etc.1
1 Ces trente rapprochements, dont plusieurs restent douteux, peu-
vent être encore augmentés et j'en fais suivre quelques-uns qui pa-
raissent assez sûrs. Ainsi :
Scr. caru, pot, chaudrou; caluka, espèce de vase. — Ane. si. cara,
carûka, poculum, russe cara, pol. czara ; gr. x.ocXv%, -vkoç, etc.
(v. n° 16); irl. f coire, chaudron, mais cf. n° 13 ; ags. hver, scand.
hverr, chaudron, vase.
Scr. dhâkâ, récipient, de dhâ, poser, tenir, porter, etc. — Grec
S-j/xjî, id., gaine, bourse, bière, etc., de la rac. S-e, riB-vifxi (Fick, 100).
Scr. dhâraka, récipient, cruche à eau, de dhar, porter, tenir. —
Grec 3-«p«|, -axo?, thorax, cuirasse (Fick, 102); dans Aristophane, aussi
une'espèce de coupe.
Scr. gôlâ, cruche ronde, et aussi boule. — Grec yotvXoç, et yxvXôç,
vase rond, cuvier, espèce de navire. Cf. scr. gula, gulî, balle, boule ;
scand. kula, id. (Fick, 65).
Scr. kûpa, creux, cavité ; fontaine, puits ; creux qui garde l'eau
dans le lit d'une rivière à sec ; outre pour l'huile ; kupî, bouteille.
Cf. p. 344, et ajoutez l'anc. si. koupa, poculum (Mikl., Lex., 322).
Grec Hgpvoç» -vov, grand plat pour les sacrifices. — Irl. \ cern, plat
(O'Dav., Gl., 64), cernine, plur. dimin. (Corm., Gl., 37); anc. slave
krina, -nu, modius, krinitsa, catinus, olla, urna ; russe krinka, plat,
tasse, etc.; scand. hverna, pot, écuelle. Curtius (Gr. Et.3, 141) ratta-
che xlçvoç à x-ipocfAoç, terra coctilis, et à la rac. scr. car, çrâ, cuire. Cf.
le partie, çrâna, cuit. Fick (38), avec moins de probabilité, compare
365 —
§ 275. NOTE SUR L'EMPLOI DU VERRE.
Les rapprochements qui précèdent, et que j'ai limités aux
analogies observables entre l'Orient et l'Occident, sont loin
sans doute d'être complets, et les langues européennes com-
parées entre elles en fourniraient encore une riche moisson.
Ils suffisent cependant à prouver que les anciens Aryas pos-
sédaient une grande variété de récipients et de vases de tout
genre, en terre cuite, en bois, en cuir, et sûrement aussi en
métal. Sur ce dernier point, il est vrai, la comparaison des
noms ne nous donne pas de certitude, parce que ceux qui
expriment la matière dont le vase était fait, comme le sanscrit
lâuhabhû, lâuhâtman, chaudière, de lôha, fer, le gr. %ct,A)Ciov
de %#À?co£, le russe miednitsa, id., de miedï, cuivre, etc., dif-
fèrent dans les langues particulières. Le zend ayanha, vase
d'airain, ressemble bien au latin aenum, ahenum, mais ces mots
peuvent s'être formés indépendamment l'un de l'autre, le pre-
mier de ayanh = scr. ayas, le second de aes, et il ne reste de
certain que l'analogie de nom du métal même. Comme on ne
saurait douter, toutefois, que les anciens Aryas n'aient connu
et employé plusieurs métaux, il est plus que probable qu'ils
les ont appliqués aussi à la confection de vases divers.
Une question plus obscure est celle de savoir s'ils ont connu
et mis en œuvre le verre, que les Egyptiens, comme on le
sait, possédaient déjà à une époque très-reculée. Les noms du
le sansc. karaka, cruche (Cf. n° 10), karanka, crâne, et y rapporte
aussi jtpavoç, goth. hvairnei, anc. ail. hirni.
— 366 —
verre diffèrent trop dans les branches de la famille pour qu'au-
cun d'eux puisse être considéré avec sûreté comme proeth-
nique. Les observations qui suivent ne sont pas de nature à
dissiper les doutes à cet égard.
Le scr. sikshya, verre, cristal, peut-être de sié, spargere,
rigare (cf. sikatâ, sable), paraît bien se retrouver, peut-être par
transmission, dans le persan shîshah, verre et vase de verre,
flacon, coupe; cf. sîch et sayka, coupe, et le kourde scùsca,
verre (Garzoni). Le ksh serait devenu sli comme dans tash,
pour talcsh, etc. Or, on trouve aussi le synonyme shishlah, pour
shikshlaïi, et cette forme se rapproche beaucoup de l'anc. si.
stiklo, vitrum, d'où stïklenïï, vitreus, stiklënitsa, poculum, russe
steklo, etc., lithuan. stiklas, verre et coupe, terme qui a passé
dans le goth. stikls, anc. ail. stechal, coupe de verre. Le t inter-
calé semble être inorganique (stïklo serait pour sïklo) et il dis-
paraît, en effet, dans plusieurs dialectes slaves, comme le pol.
zklo, le boh. sklo, le slovaque sklén, etc. Cependant, même en
admettant un rapport réel, il resterait à savoir si ce nom du
verre ne serait point venu aux Slaves du persan à une époque
postérieure à la séparation.
Une autre coïncidence à noter, bien que trop isolée pour
être sûre, est celle du pers. mînû, verre blanc ou bleu, mînâ,
verre à boire, verroterie, émail, vitriol, bleu, etc., avec l'irl.
mionn, verre (O'B,.).
Enfin, le lat. vïtrum, d'ailleurs sans analogue, car le cymr.
givydr en provient sans doute, semble trouver son étymologie
probable dans le scr. vîdhra, clair, pur, de vi intensitif et de
idh, accendere. Cf. iddha, enflammé et pur, et idhra dans
agiudhra, suivant le D. P., pour iddhra, et idhtra. D'après
cela, vîdhra, clair, pur, tiendrait lieu de vi-idh-tra, et vïtrum
— 367 —
serait contracté de vïdtrum. Je dois ajouter, cependant, que
Bopp ( Ver g. Gr., III, 197) rapporte vïtrum à video. 1
Tout cela, je le répète, ne suffit pas à constituer une preuve
décisive pour l'ancienne possession du verre, et ne fournit que
des présomptions fort hypothétiques.
§ 276. USTENSILES DOMESTIQUES DIVERS.
Je fais suivre encore quelques noms des objets mobiliers
qui paraissent avoir fait partie d'un ancien ménage arien.
Il ne faut pas s'attendre à y retrouver tous ceux qui nous
sont devenus nécessaires, mais qui ne l'étaient pas aux temps
primitifs. D'ailleurs, bien des anciens termes doivent s'être
perdus, et on ne peut espérer mieux que des indications fort
incomplètes.
A) Le balai.
1) Scr. avaskaraka, balai, brosse (Wilson),2 avaskara, ba-
layures, ordures, aussi avakara, et apaskara, de ava (avas\ et
apa -f- kf, kar, dispergere. Cf. bahukarî, balai, multum spar-
1 Weber (Beitr., 4, 274) décompose vîdhra en vi-idh-ra, propre-
ment chaud. Le D. P. ne donne que le sens de clair, et compare le si.
vedro, serenitas, ainsi que ctiS-çyi, mais sans, parler de vïtrum, que
Weber non plus n'en rapproche pas. Fick(189) compare le scr. vithura,
en lui donnant le sens de fragile ; mais le D. P. n'a que les acceptions
de vacillant, oscillant, instable, de vyath, trembler. Fick, comme avant
lui Curtius (Gr. Et.*, 528), rapproche de vitrum le gr. aïrvpov = vxXoç
(Hesych.); pour a-F'rupov — scr. vithura, maisSchmidt(Z. S., 9, 398) y
voit une fausse lecture pour Xiyv§ov, ce que Curtius ne regarde pas
comme prouvé.
2 Le D. P. ne donne pas cette acception.
— 368 —
gens. L's intercalée peut appartenir à la préposition préfixe
avas, en bas, sous ( D. P. ), ou être ajoutée par euphonie,
comme dans apaskara, de apa -f- kar, ou enfin être un reste
d'une forme skar de la rac. kar, dont on trouve des traces
ailleurs. Cf. la rac. german. skar, skir, skur, scindere, radere
(separare), lith. skirti, diviser, séparer, irl. scaraim, id. (dans
Z.2, 239, etarscartha, separationis, 416, noscarinn, separabam
me), le gr. itkoùq, excrementum, gén. (Tkc&toç, thème <tkci,çt,
lat. stercus pour scertus, etc.
A la forme km^ se rattache le grec xoçoç, Koçyi&çov, balai,
xoçvjfjLcii balayures, koçzcô, balayer.
A skar, l'irl. moyen escart, gl. scupa (scopae ?), balai, ou
peut-être stupa, étoupe, = erse eascart (Stokes, GL, n° 254).
— L'anc. ail. cherjan, kerjan, mod. kehren, balayer, kehricïit,
balayures, paraît également provenir de skerjan, le ch, k,
s'étant maintenu sous l'influence de Y s supprimée plus tard.
2) Pers. sliârûf, balai.
Grr. (raçoç, (Tclqôù&çqV) id., (TciçfJLct, balayures, de (TciÎqùù, ba-
layer, nettoyer, (Tccçqûô, id. Cf. lat. sario, sarrio, sarcler, net-
toyer le sol.
Russe sôru, balayures, ordures, soritï, remplir de ba-
layures, etc. Pol. szbr, szur, détritus, alluvion, szorowaè, frot-
ter, nettoyer.
Lith. szlotà, balai, szloti, balayer.
La racine commune de ce groupe se reconnaît dans le scr.
kshar, dimittere, relinquere, effundere, = kshal, abluere, puis
verrere, abstergere. Cf. persan sharîdan, couler et verser,
shâr, flux, etc. Comme le ksh sanscrit est plus d'une fois
représenté par sk, on peut comparer l'ancien allem. scioran,
scôr, scurun, trudere, impellere, d'où scora, pelle, ail. moderne
scheuern, nettoyer, frotter, anglais to scour, etc. On peut
— 369 —
même présumer une affinité primitive de kshar, avec le skar,
de l'article qui précède.
3) Lat. scopœ (pi.)? scopula, balai, de scopa, brin, petite
branche.
Irl. erse scuab, sguab, balai; cymr. ysgub.
Cf. gotb. shuft; anc. ail. scuft, scufi, chevelure; allem. mod.
schopf, bouquet, crête, queue, etc.; pol. czub, touffe, crête,
plumet, czupryna, touffe de cheveux, czubac, arracher, cueillir;
lith. czopti, prendre, saisir, czupoti, toucher, czupikkas, touffe
de cheveux, etc.
Le corrélatif sanscrit me semble se trouver dans kshupa,
kshumpa, chupa, buisson, sens qui se rapproche beaucoup des
acceptions de balai, touffe, plumet, bouquet. La racine chup,
tangere (Dhâtup.), (= lith. czupoti) et peut-être capere, car-
pere, comme le lith. czâpti et le pol. czubac, donnerait pour sens
primitif ce qui est cueilli, saisi, réuni.1
B) Le tamis, le filtre.
Les noms de ces deux ustensiles se confondent souvent, bien
que l'un s'emploie pour les substances sèches et l'autre poul-
ies liquides.
1) Un groupe étendu, mais exclusivement européen, se
compose des termes suivants.
Grr. <rv\\i&y(TY\<rTt>w-> tamis; cv\boù, tamiser, forme augmentée
par S'a), de <rctc*), triico, secouer, agiter ; v7ro<Tîiùùy tamiser.
Irl. siothldn, swthlog, filtre; siothlaighim, filtrer; par con-
traction siolànaim, id. , et siolachân, filtre, — formes dérivées
1 Weber (Beitr., 4, 280 ) propose la racine kshubh , trembler,
osciller.
II 24
— 370 —
sans doute d'un thème plus simple siothal, sithal = cymr.
hidl, filtre et tamis, d'où hidlaw, filtrer, etc.
Ags. sibi, syfe, anc. sax. sef, anc. ail. sib, tamis. — De là le
cymrique syfa. — La nature du suffixe de dérivation reste
obscure.
Lith. sëtas, tamis, sijoti, tamiser.
Russe sito, pol. sito, boh. sjto, etc.
La racine commune, conservée par le grec, est sûrement
identique à celle qui exprime l'action de semer (Cf. p. 133).
L'anc. allem. sîhan, colare, sîha, colum; scand. sya, id., et sîa,
sigti, tamis, semblent se rapporter au scr. sic, sîk, spargere,
effundere (Cf. p. 157).
2) Scr. câlanî, tamis, de cal, vacillare, au causât. câlay,
commovere, concutere. Cf. câlana, oscillation, et pers. calîdan,
mouvoir, caléal, instabilité, etc.
Lat. colum, filtre; colo, filtrer.
Alban. hdoig, id.
Le pers. pal, tamis et filtre (Cf. p. 157), se rattache peut-
être à cette série par le changement de k, c, en p, dans le
zend, etc.
3) Pers. cac, tamis. — Cf. scr. cane, tremere, et hak, Jcank,
vacillare (Dhâtup.); goth. hahan, pendere; russe kacatï, bran-
ler, secouer, etc.
Cymr. gogr, tamis, de gogi, agiter, secouer, pour coci et
cocr(?).
Irl. coignean et sgoignean, tamis, caigne, van, sedgaire,
scogaire, filtre, de scagain, sgagaim, filtrer, passer et vanner.
Cf., cependant, le sanscrit kliag , khang et ses analogues
(V. p. 44).
— 371
C) La lampe.
Aucun nom proethnique de la lampe ou du flambeau ne
paraît s'être conservé, et, sauf ceux qui ont passé d'une langue
à une autre, les différences sont partout complètes. Ce qu'il y
a de singulier pour un objet aussi simple, et sans doute d'un
emploi très-primitif, c'est de voir ses noms grecs et latins,
non-seulement se transmettre au reste de l'Europe, mais
retourner parfois dans l'Orient, ce qui indique que les lampes
ont dû être portées au loin comme articles de commerce.
C'est ainsi que le gr. Ad^7rccç, AtzU7TTyjp, de À#p7r#, briller,
peut-être allié au scr. limp, urere et ungere, cf. limpidus, etc.,
a passé au lat. lampas, au scand. lampi, à l'anc. ail. lampili,
au lith. lampà, lempe, au pol. lampa, etc., et aussi à l'arménien
ghamp = lamp. C'est ainsi encore que le latin candela, de
candeo (Cf. scr. cand, lucere, etc.), d'où l'irl. caindeal, le cjmr.
canivyl, l'armor. kantol, l'anglo-sax. candel, etc., se retrouve
également dans l'armén. kanthegh, et même dans le kourde
kandil, lampe.
Il est certain, cependant, que les anciens Aryas ont dû
savoir s'éclairer dans l'intérieur de leurs maisons, et il faut
admettre que les premiers noms de la lampe ont été rem-
placés plus tard. A défaut d'analogies directes, on pourrait
peut-être rapprocher le scr. daçâ, mèche de lampe, proprement
frange, fil qui dépasse le bord d'une étoffe, de l'anc. ail. tâht,
dâht, ail. mod. docht, mèche; toutefois l'irrégularité du t ou
d pour d qui exigerait z, et la comparaison du scand. thâttr,
filum funis, rendent plus probable un rapport avec le persan
— 372 —
tâchtan, filer, tordre, tâchtah, tordu, etc. Cf. sanscrit taksh,
teœo, etc. (V. p. 223.) i
D) La cuiller.
Pers. eam} cuméaJi, cuiller.
Russe éumicïï, éumicka, id., pochon.
Je ne sais si ce mot russe se retrouve dans d'autres dia-
lectes slaves, et s'il ne vient pas du persan. Ce dernier dérive
de éa?nidan, boire, d'où camân, éamanah, coupe, gobelet. Cf.
sanscrit cam, camasa, coupe, camû, bassin pour recevoir le
sôma, etc.
Aucun autre nom de la cuiller ne donne lieu à des com-
paraisons.
Ceux de la fourchette se rattachent, partout où ils existent,
à ceux de la fourche. Cf. p. 140 et seqq.
Pour le couteau, cf. p. 177 et seqq.
Pour le soufflet, cf. p. 189 et seqq.
ARTICLE V.
§ 277. LE VILLAGE ET LA VILLE.
D'après ce que nous pouvons présumer déjà par tout ce qui
précède, et ce qui deviendra plus évident quand nous aborde-
rons l'organisation sociale, les anciens Aryas doivent avoir eu
des centres de population plus ou moins considérables. Ce qu'il
1 Grassmann (Z. S., 12, 125) rapporte tâht, dâht, à dah, brûler;
mais la concordance des consonnes fait également défaut.
— 373 —
est plus difficile de savoir, c'est quel degré de développement
ils avaient atteint, et si, à côté des villages ou des bourgades,
il existait des villes proprement dites. Les termes proethni-
ques qui se sont conservés, et qui ont suivi sans doute les
phases graduelles d'accroissement des populations, nous lais-
sent par cela même dans l'incertitude, car on les voit passer
facilement d'un sens plus restreint à des acceptions plus éten-
dues. Le nom de la maison, ou de la demeure, devient celui
du village et de la ville, et nulle part il ne semble y avoir de
limite bien précise. L'examen de ces noms montrera ce que
l'on peut conjecturer à cet égard.
1) A la p. 308, j'ai comparé les corrélatifs du scr. vêça, mai-
son, venant de viç, intrare, considère. Le subst. viç, f., iden-
tique à la racine, a eu sans doute primitivement le même sens,
mais, dans les Vêdas, il désigne la famille, et, au pluriel, les
hommes, comme réunion des familles.1 En zend viç, vîç, réunit les
acceptions de maison, de hameau et de clan. Je reviendrai plus
tard sur ces mots importants pour l'histoire de l'ancienne orga-
nisation sociale. Je me borne à remarquer ici que, dans toutes
les langues européennes, à l'exception du grec oïkoç = vêça ,
c'est le sens plus étendu de village qui prévaut exclusivement,
ce qui ne laisse aucun doute sur son emploi au temps de
l'unité.
2) Des transitions analogues se montrent dans les noms
dérivés de la rac. vas, habitare (Cf. p. 307). A côté de ceux qui
désignent la maison , on trouve en sanscrit, pour le village,
âvasatha, et, avec d'autres préfixes, npa, -ni, -prati, -sanvasatka,
qui ne signifient en réalité que demeure, établissement, habita-
tion commune, etc. J'ai mentionné déjà, d'après Pott, comme
1 D. P. viç, commune, petite division du peuple, puis race, nation.
— 374 —
se rattachant à la même racine, le gr. o\y]9 village, pour Yo<nv\,
et avec plus de certitude encore, le gr. oLctv, ville, pour fcmttv.
Il faut remarquer toutefois que le scr. vâstu, qui y répond de
tout point, ne signifie que maison, demeure, établissement
d'une famille (D. P.).
. 3) Le scr. g rama, village, et, en général, lieu habité, habi-
tants d'une commune, puis troupe, multitude, n'a pas d'éty-
mologie connue. De là proviennent grâmaka, village, grâmatâ,
réunion de villages, grâmin, villageois, grâmika, chef de vil-
lage, etc., ainsi qu'une foule de composés divers. — Siahpôsh
gram, id. — Le pers. gâm, village, s'y rattache probablement.
Ce terme n'est pas étranger aux langues européennes, où
ses analogues expriment surtout la notion d'amas, de multitude,
qui est peut-être la primitive. Ainsi l'anc. si. gramada, gra-
mota, acervus, cumulus; russe gromdda, grande quantité,
masse en général; mais en polonais gromada, la multitude, le
grand nombre, en parlant des hommes, et aussi l'ensemble des
habitants d'un village, la commune, ce qui se rapproche tout
à fait de grâma. De là gromadzic, rassembler, réunir, surtout
des personnes, rarement des choses inanimées, comme, en
sanscrit, grâmay (dénomin.), vocare, convocare.1 Cf. lithuan.
grwïiàdas, assemblée, société. — Je compare également l'irl.
erse gramhaisg, profanum vulgus, rudissimorum consociatio,
l'angl. mob, la foule, la tourbe, etc. On peut conclure de ces
analogies que grâma est bien un nom proethnique du village
et de la commune.
4) Le scr. pur, f., pwm, n., purî, f., désigne plus spécia-
1 D'après le sens de vocare, on pourrait supposer une racine gram,
strepere, d'où grâma, multitude, etc., du bruit confus. Cf. anc. slave
gromù, tonitru, grûmieti, tonare, etc., cymr. grwm, murmure, gron-
dement, irl. gromhach, babillard, etc.
— 375 —
lement une grande ville, une ville forte, mais, au neutre,
purarn, il a aussi le sens de maison. La racine est la même que
celle de puru, multus, savoir pf , implere, ce qui implique la
notion primitive de lieu rempli d'habitants, mais sans limite
de quantité. Il n'est donc pas certain que ces termes aient été
appliqués dès le principe à une grande ville, bien que cette
acception soit celle du gr. 7roAtç, qui est dans le même rapport
ELvecpurî que 7ToXvç &vecpuru,pulu. helith.. pillis, château (Cf.
pilti, pillu, remplir, et le nom de la ville Pillawa), ainsi que
le cjmr. pill, forteresse, ont des significations plus restreintes.
Il en est de même du cymr. phvy, plwyf,plwydd, aYmor.ploué,
village, commune, qui se rattachent sans doute également à ce
groupe.
5) Au pers. gird, ville, et cercle, circuit, répond l'anc. si.
gradu, russe gorodu, etc., urbs, et le goth. gards, maison, etc.
J'ai exposé déjà, p. 341 et seqq., les difficultés étymologiques
que présentent ces termes et leurs nombreux attenants, et je
renvoie le lecteur à ce paragraphe. Il est fort probable que ce
sens primitif a été celui d'enceinte, comme pour l'irland. dûn,
anglo-saxon tûn, etc. (Cf. p. 313.)
6) On a rapproché depuis longtemps du gr. KMjLtrj, village,
le goth. haims, ags. hâm, scand. et ancien allem. heim, d'où
notre mot hameau, ainsi que le lith. kaimas, këmas, village. La
racine grecque est kl, dans KîifAcit = sanscr. çî, quiescere.
Cf. KCûpa, sommeil, Koiyiccûù, koItv], et les noms du lit (p. 346)
et de la chambre (p. 328). — Le village désignait ainsi le lieu
du repos.
7) Un autre groupe européen comprend les noms sui-
vants :
Goth. thaurp, vicus, ags. dhorpe, scand. thorp, anc. allem.
dorf, etc.
— 376 —
Irl. treabh, famille, clan; treabhur, race, lignage, treabhiha,
village. Cf. anc. irl. atrab, possessio, domicilium (Z.2, 224),
atreba, habitat, possidet (410, 866).
Cymr. treb, vicus, tref, tre, id., demeure, ville.
Lith. troba, maison.
Ebel compare également le latin tribus, ombr. trifu, trefu
pour 'treifu (?) (Z. S., VI, 422). Le scr. trapâ, famille, pro-
bablement de trp, tarp, gaudere, exhilarare, (cf. tiù7toù^ tccù7toj)
me paraît être le corrélatif de ces mots européens, dont il
concilie les acceptions diverses, possession, c'est-à-dire jouis-
sance, famille, maison, village, tribu.
On voit, en résumé, par quelles transitions ont passé les
noms du village et de la ville. La question est de savoir si ces
transitions s'étaient accomplies déjà avant la dispersion des
Aryas. D'après les seules données linguistiques, on peut l'affir-
mer avec certitude pour deux au moins des noms du village,
et avec probabilité pour celui de la ville.
§ 278. RUES, ROUTES, PONTS.
Du moment qu'il existait chez les anciens Aryas des centres
de population, villages ou villes, il devait aussi y avoir des
rues et des routes pour la circulation intérieure et extérieure,
et des ponts sur les cours d'eau. A ce dernier égard, la compa-
raison des langues nous laisse en défaut, car les noms du pont
diffèrent partout complètement entre l'Orient et l'Occident.
Ceux des routes, des rues et des chemins présentent par
contre des analogies assez nombreuses, mais nous laissent le
plus souvent douter s'il s'agit de constructions faites avec art
— 377 —
ou de simples chemins de piétons, attendu qu'ils se rattachent
à des racines exprimant le mouvement en général. C'est le
cas, par exemple, pour les termes suivants.
1) Scr. patli, patha, pathin, paihyâ, panthan, etc., de path,
panth, ire, proficisci (Dhâtup.). Zend pathan.
0 ssète fandag, route.
Gr. 7râT0Ç) chemin, sentier; 7Toltîoù, fouler, marcher; puis
aussi 7T0VT0Ç, la mer, comme voie, en scr. pâthis, anc. saxon
fâthi, etc. (Cf. 1. 1, p. 136.)
Lat. pons, pontis, proprement voie. 1
Anc. si. pâti, russe putï, illyr. put, via.
Anglo-sax. padh, ancien allem. phad, semita; le p conservé
irrégulièrement.
2) Scr. gati, route, chemin ; de gam, ire.
Zend g âtu, via, locus.
Groth. gatvô, rue, seand. gâta, ancien ail. gazza, id., anglo-
sax. geat, porte. Les deux consonnes sont irrégulières. La rac.
est gaggan, ire, réduplication de gam, comme gang ami.
Anc. si. gatï, via in paludibus (Dobr., Instit., p. 102);
agger (Mikl., Lex.), néo-sl. gat, canalis, gâta, pons vimineus.
3) Scr. kalaha, chemin (Wilson) ; rac. kal (kâlayati), agere,
ferre, ire.
Gr. KèMvôoç, chemin.
Lat. callis, rue.
Irl. caill, sentier.
Lith. kélias, kelys, chemin.
4) Scr. sarani, route; de sr, sar, ire.
Cymr. sarn, route pavée, s'il n'est pas pour starn = scr.
starana, stratum.
1 Kuhn (Z. S., 4. 75) rapproche pontifex du sanscrit védique pa-
thikrt, celui qui prépare les voies, surnom du dieu Agni.
— 378 —
Ces noms, et d'autres que je laisse de côté, ne nous appren-
nent rien sur la nature des routes au temps de l'unité. Nous
savons cependant qu'il y avait alors des chars, et cela suppose
presque nécessairement des voies de communication établies
avec une certaine solidité. Or, c'est là ce dont témoignent
encore deux anciens noms de la route qui s'accordent entre
le sanscrit et quelques langues européennes, en se rattachant
de part et d'autre à ceux du char. Ainsi:
5) Scr. vaha, route, de vah, vehere, ferre, ce qui ne peut
guère s'entendre de simples piétons, mais de véhicules. Cf.
vaha, vahya, vahana, char, et p. 143.
Lat. veha, vea, pour via, dans la langue rustique ( Varr., I,
2, 14). Cf. vehëla, veïdculum.1
Groth. vigs, via, scand. vegr, ags., anc. allem. iveg, etc., de
vigaît, vag, vegun = scr. vah. — Cf. ags. ivaegen, anc. allem.
wagan, etc., char (1. cit.).
Erse uigli (?), iter, via.
6) Scr. rathya, grande route, route carrossable, de ratha,
char.
Irl. raite (O'R.) (raithef), plur., routes, chemins; erse
rathad, via, iter. — Irl. rodh, id.
Cymr. rhaivd — rhâd, id.
Cf., § 200, pour les noms du char et de la roue. Il ne fau-
drait pas comparer le français roule, qui vient de rupta (via) .
L'anglais road, qui manque en anglo-saxon, semble emprunté
au cymrique plutôt qu'au français.
1 Mais cf. aussi le zend vya, f., chemin suivant Justi (288), de la
rac. vi, aller, voler = scr. vi.
— 379
§ 279. CONDUITES D'EAU, CANAUX, AQUEDUCS, ETC.
Il est probable aussi que, soit pour les besoins de l'agricul-
ture, soit pour ceux des villages ou des villes, les anciens
Arjas ont su amener les eaux par des moyens qui devaient être
fort simples, et sans qu'il faille penser aux constructions plus
ou moins compliquées des civilisations avancées. Les langues,
naturellement, ne peuvent nous fournir à cet égard que des
indications très-incomplètes, à cause de la variété des termes et
du vague de leur sens primitif. Je me borne aux observations
suivantes.
1) Le scr. âdhâra, proprement récipient, support, de â +
dhr, ferre, tenere, désigne plus spécialement un canal, un
fossé (a dike, a canal. Wilson). Cf. dhara, veine.
C'est là exactement l'anglo-sax. œdra, veine, et tuyau poul-
ies liquides, anc. ail. âdara, id., brun-adara, manationes aqua-
rum, pour âtara. Cf. le dat. plur. athrom (GrafF, Spr. Sch.,1,
157). L'angl. drain semble se rattacher à la forme sans pré-
fixe, scr. dhara, dharana.
2) Le gr. (rwAyjV, canal, tuyau, sans étymologie indigène,
se retrouve dans le kourde solina, canale fatto con vasi di
terra (Garzoni). Est-ce là un mot grec importé en Orient ?
Ce qui peut en faire douter, c'est que le siahpôsb shueldw,
canal, semble appartenir à la même racine. Quoi qu'il en soit,
le gr. (toùKy\v répond aussi exactement que possible au sanscrit
kshâlana, lavage, arrosage, de kshâlay, causât, de hshal =
kshar, fluere. Le <r initial est pour |, comme dans a"vvy de
%vv9 etc. Il serait intéressant de savoir si ce nom du canal
— 380 —
existe dans d'autres langues iraniennes que le kourde. Je n'ai
pas pu le découvrir en persan.
3) Le lat. canalis, qui n'a pas non plus d'étymologie, et
dont la racine reparaît dans l'armor. kân, canal, tuyau, con-
duit, vallon, qui ne semble point en provenir, est sûrement un
terme très-ancien. Sa racine verbale, en effet, perdue d'ailleurs
dans les langues européennes, ne peut être que le scr. khan,
fodere, d'où khani, kïiâni, mine, creux. Cf. pers. kân, excava-
tion, mine, de ka?idan, creuser, et peut-être le russe kanura,
caverne. Toutefois, aucun nom oriental du canal n'en dérive, à
ma connaissance.
SECTION II.
§ 280. VÊTEMENTS ET ORNEMENTS.
Que les anciens Aryas eussent des vêtements, c'est ce qu'on
peut inférer déjà de la nature même du climat sous lequel
ils vivaient. Nous savons que l'art du tissage était connu chez
eux, qu'il y avait des étoffes de plusieurs espèces, et qu'on les
mettait en œuvre au moyen de la couture. Il est donc certain
que l'on en confectionnait des vêtements, et la démonstration
linguistique ne fera que constater cette certitude. Cependant
cela ne suffit pas à notre curiosité, et nous voudrions nous faire
quelque idée de ce qu'était le costume des Aryas primitifs. Il
est évident que, à cet égard, les détails feront défaut, car ils
sont essentiellement variables suivant les habitudes, les temps
et les diversités de climat. Tout ce qu'on peut espérer, c'est de
retrouver encore quelques indications sur les pièces princi-
pales dont se composait l'habillement de nos premiers ancêtres.
— 381 —
§ 281. LES VÊTEMENTS DU CORPS.
Je comprends sous ce titre tout ce qui recouvrait le tronc
et les membres, à l'exclusion de la tête et des pieds, et en fai-
sant observer par avance que les transitions fréquentes des
termes généraux aux noms spéciaux s'opposent à toute classi-
fication précise.
1) Scr. vasna, vasana, vasman, vastra, vâsa, vâsas, etc.,
vêtement en général, de la rac. vas, induere, tegere.
Zend vastra et vanhana = vasana; rac. vas, vanh.
Gr. icS'Yiç, î<r3~oç, id., ityiorçlç, vêtement de dessus, l<rS-èu,
vêtir, etc., avec perte du digamma. Puis aussi tvvvfju pour
Fiç-vv-fti (fut. t<r<Tûù, aor. tara, part, ècrrcùptvoç), vêtir ;
Zctvoç, îletvoç, pour yktclvoç = vasana; tlfici, kp^ct, pour
Fè<rfjLct = vasman. 1
Lat. vestis, vestitus, vestimentum, vestio, etc.
Irl. fassradh, erse fasair, fasrach, avec le sens spécial de
harnais \fasair pour fassair, fastair = scr. vastra. Puis aussi
irlandais earradh, vêtement, pour easradh, etfeasradh, tout
comme errach, earrach, printemps, est pour fesrach, etc. (Cf.
t. I, p. 118.)
Cymr. givisg, armor. gwisk, corn, guesk (et aussi guest),
vêtement.
Goth. vasti, vestis, %vtoùv> <ttqXyi, etc., ga-vaseins, vêtement,
vasjan, ga-vasjan, vêtir; ang.-sax. icaestling, lodix, stragula;
scand. vesti, vêtement de dessous, vesl, tunique ; ancien allem.
1 Cf. Pott, Et. F., 1,280. Benfey, Gr. Wl., I, 296. Kuhn, Z. S., II,
132. Curtius, Gr. Et.*, 351.
— 382 —
ivasti, ivesti, loester (= scr. vastra), en composition seulement;
ail. mod. weste, gilet, comme notre mot veste, de vestis.
La branche lithuan. -slave fait défaut ici, mais il faut ajouter
encore l'alban. vèsh, vêtir, et vèshura, vêtement.
2) Un second groupe étendu, mais qui n'a pas, que je sache,
de représentant en sanscrit parmi les noms de vêtements, se
rattache à la rac. bhr, bhar, ferre, comme l'ail, tracht, costume,
de tragen. Ainsi :
Pers. barak, veste courte, vêtement de poil de chameau;
bârânî, manteau; kourde baràni, id.; armén. barekôd, vête-
ment; rac. bar, burdan.
Gr. Qcipoç, vêtement, voile, toile; d-Qctçyjç, nu; (QoçyifJLcc,
vêtement; <$>oçi<rict, manteau; rac. @eç.
Irl. erse beart, vêtement; anc. irl. brat, vestis (Zeuss, Gr.
C, 854 ) et manteau ; cymr. brat, brethyn, étoffe de laine;
cf. alban. bruts, id., au pi. Ijrith, brethinnou ( Juv., 8; Z.2,
1057).
Ici probablement se rattache le gaulois (àçaKat (Diod. Sic,
v. 30), braccœ, braies, armor. bragez, culotte, cymr. brycan,vête-
ment. L'irl. erse brigis, culotte, semble emprunté à l'anglais
breeches; on sait que les Highlanders ne connaissaient point ce
vêtement nécessaire. L'anglo-sax. broc, plur. braec, braeccae,
scand. brôk, ancien allem. brôch, etc., est peut-être d'origine
celtique, vu le maintien de la gutturale ; mais cela est plus
douteux pour le russe briuki (pi.), le lett. bruhkes et l'alban.
mpreke; cf. le pers. barak, veste.
Pol. u-bibr, costume, u-biory, pi., culottes larges, de u-braè,
habiller. Cf. anc. si. brati (berâ), ferre, capere.
Les rapprochements multipliés qui suivent sont en partie
plus hypothétiques, soit à cause de leur moindre extension,
— 383 —
soit par l'effet des transitions de sens, et de l'obscurité des
origines.
3) Scr. tantra, vêtement. Cf. tanu, tanû, peau, etc., racine
tan, tendere.
Pers. tanakj étoffe; ossète, dig. tuna, id.
Lat. tunica.
Irl. tona, tonach, vêtement, tun, chemise. Cf. tonn, tuinn,
peau. Cymr. ton, peau, écorce.
4) Scr. patta, vêtement de dessus, étoffe, pata, étoffe fine,
tissu, pati, gros drap, patamaya, jupon, tente; patakâra, tisse-
rand; cf. patala, etc. Le Dhâtup. donne une rac. pat (patay),
induere, circumdare. 1
Pers. patû, étoffe de laine ; pat, bat, tissu sur le métier.
Gr. 7ra,T0ç, le vêtement de Junon (Hesych.). Cf. Pott, Et.
F., I, 280.
Irl. peiteog, erse peiteag, peitean, jaquette courte (mots
d'emprunt?); cymr. pais, vêtement; com.peis, peus.
Goth. paida, tunique, ga-paidôn, vêtir; anc. sax. pêda,&gs.
pâde, anc. ail. pheit, indusium, ail. mod. pfait, robe, veste.
(Cf. Diefenbach, Goth. Wb., v. c.)
L'affinité des termes européens, soit entre eux, soit avec le
sanscrit, reste très-douteuse, à cause du t cérébral de ce der-
nier et des irrégularités dans la concordance des consonnes.
L'accord du finlandais paita, chemise de lin, avec le goth.
paida, qui est sûrement étranger, est d'autant plus à remar-
quer que ce mot dérive de peittâa, tegere, peite, tegmen,
esthon. peitma, id., hongr. féd, couvrir, etc. Le gr. (ictirct,
vêtement de peau de bergers, et Yirl.faith, vêtement, faithim,
1 Weber (Beitr., 4, 280) indique, comme racine, patt, findere, en
comparant l'allemand fetzen.
— 384 —
vêtir, rappellent la rac. sanscr. vat, bat, vestire, circumdare
(Dhâtup.). Il y a eu sans doute ici des transmissions de plus
d'un genre.
5) Scr. cela, câila, vêtement; rac. cil, vestire (Dhâtup.).
Pers. killa, voile, kourde kelii, id.; gil, vêtement (Lerch,
GL, 119).
Lith. kailis, peau de mouton ou de chèvre.
Irl. ceal, grosse étoffe de laine, couverture épaisse; cealt,
cealtair, vêtement, d'où le kilt ou jupon des Highlandais. Cf.
ceilim, couvrir, cacher, lat. celo, etc.
6) Scr. varutra, vêtement de dessus ; apa-varana , prâ-
varana, manteau; rac. vr, var, tegere (Cf. p. 292).
Armor. verargu, manteau, tunique.
Scand. veria, tunica; ags. werian, induere vestes, anglais
wearings, vêtements, etc.
7) Scr. cola {coda), ni-éôlaka, veste, jaquette. Cf. côlaka,
cuirasse, écorce, et kukûla, armure (Cf. p. 294).
Pers. gûlak, gôlach, vêtement de laine des derviches men-
diants. Cf. cûlâh et gûlâh, tisserand.
Irl. cuilche, vêtement, cuilceach, voile, étoffe; irland. erse
culaidh, vêtement.
8) Scr. çuka, vêtement, bordure d'étoffe, turban, etc. Ori-
gine incertaine. Cf. coca, côcaka, peau, écorce.
Pers. cûchâ, vêtement de laine, gûchâ, étoffe; kourde cûcha,
cocha, drap (Lerch, GL, p. 117); ciuk (Garzoni, Foc), id.,
cuka, espèce de veste, ossète cuka, armén. cuchai, id.
Ane. si., russe, pol., illyr. sukno, drap; pol. suknia, robe,
vêtement; illyr. sukgna, boh. siikné, id.; s pour ç, comme dans
d'autres cas.
Alban. dshoke, manteau.
9) Scr. lâta, vêtement. Origine incertaine.
— 385 —
Armén. lôtig, manteau.
Lat. lodix, couverture.
Irl. lothar, vêtement.
10) Scr. valkala, valkala, vêtement d'écorce, de valka,
écorce, valkuta, id.
Lith. ap-walkalas, vêtement, uz-walkas, enveloppe, couver-
ture, ivilkêjirnas, vêtement (Cf. t. I, p. 239).
La coïncidence paraît complète, mais on se tromperait sans
doute si l'on voulait en tirer quelque induction sur l'emploi
primitif de Fécorce pour la fabrication des étoffes. Les noms
lithuaniens , en effet , dérivent immédiatement de wilkti
(welku), tirer, traîner, puis vêtir, ap-wilkti, id.; comme on dit,
en allemand, anziehen, anzug. J'en ai rapproché ailleurs (p. 122,
note) la rac. scr. vrk, vark, capere (Dhâtup.), anc. si. vlekâ,
grec i\ku), etc., d'où probablement valka, Fécorce que l'on
enlève, et secondairement valkala, corticeus. Le rapport ci-
dessus ne serait ainsi qu'indirect.
11) Scr. taranga , vêtement, étoffe , signifiant aussi flot
et galop, de tarant -f- ga, qui va flottant. Cf. plavanga, id., de
plu; et tari, tari, bordure flottante d'un vêtement, de tr, tar,
dans le sens de phi.
Cymr. toron, toryn, manteau, dont le suffixe = celui du scr.
tarana, bateau. Je remarque incidemment que le lat. mantelum,
irl. matai (non emprunté qui est pour marital), cymr., armor.
mantel; ags.mentel, scand. môttul, anc. ail. mantel, etc., venant
peut-être du latin ;ital., espag. manto,eto., semblent se rattacher
primitivement, par une liaison d'idées analogue, à la rac. scr.
manth, agitare.
12) Scr. kakshâ, ceinture, et la partie du vêtement que
l'on relève à la ceinture. — Pour le sens primitif, cf. p. 329.
Pers. kashah, ceinture; kashgar. kisht, id.
II 25
— 386 -~
Gr. Kturtrov, vêtement épais (Hesych.).
Bas-lat. casida, espag. casaca, ital. casacca, casaque, etc., de
casa, hutte, c'est-à-dire abri, couvert (vid. loc. cit.).
Irl. cosar, manteau, à côté de casai, cassai, casôg; anglais
cassock; cymr. casul, de casula et casaca. 1
Russe kushâku, ceinture; pol. kasaé, ceindre, se trousser,
relever son vêtement pour ne pas le salir, kasanie, kaszenie,
Faction de ce verbe, acception qui offre une analogie frappante
avec le sens spécial du scr. kakshâ.
13) Pers. karkuh, manteau, surtout flottant; kourde kurq,
fourrure, ossète cliarc, id.
Irl. cairc, fourrure, poil, cairceach, poilu.
14) Pers. kartah, kurtah, kurtî, jaquette de femme, tunique
courte.
Scand. skyrta, skirta, angl. shirt, chemise.
15) Kourde krasi (Grarzoni), chemise, kir as, id. (Lerch,
p. 103).
Cymr. crys, armor. krés, kréz, chemise, tunique.
Cf. anglo-sax. crusene, fourrure, anc. ail. chrusina, chursina,
mastruga, mais le c ne correspond pas régulièrement.
16) Siahpôsh kamis, drap, étoffe, vêtement (Burnes, Voc,
Journ. of the asiat. soc. of Bengal, 1838, p. 332).
Ce terme intéressant offre une preuve nouvelle de l'origine
orientale de Fane. irl. caimmse, vestis, cymr. camse, chemise,
corn, kams, surplis, armor. kamps, aube, d'où Zeuss fait
venir le bas-latin camisia, etc. ( Gr. Celt?, 787.) Cf. ags.
cernes, du celtique ou du latin, et, pour les langues néo-
latines, Diez, Roman. Sp., v. cit. L'arabe qamiç, vêtement de
1 Ici peut-être se rattache l'anglo-saxon et anc. ail. hosa, culotte,
bas (de hohsa ? ). De là le cymr. hos, hosan, bas, et l'irl. osan, botte.
— 387 —
dessous, qui n'a pas d'étymologie sémitique, paraît à Diez im-
porté d'Europe, mais il pourrait l'être aussi de la Perse, si le
mot siahpôsh venait à se retrouver dans les langues iraniennes.
On a comparé, non sans raison peut-être, quant à la racine,
le goth. hamôn, vêtir, ags. hama, homa, peau, chemise; scand.
hamr, ïiams, peau; anc.all. hemithi, hemidi, chemise, etc., mais
les corrélatifs orientaux manquent jusqu'à présent.1
§ 282. LA CHAUSSURE.
A quelques exceptions près, les noms qui précèdent ne nous
ont offert que des analogies plus ou moins isolées, et, partout
où l'on peut reconnaître encore leur signification primitive,
ils n'expriment guère que les notions de vêtement ou d'étoffe
en général. Les applications spéciales aux diverses parties des
costumes, à mesure qu'ils se sont modifiés, appartiennent aux
époques plus récentes, et ont varié de bien des manières
depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. C'est ainsi,
par exemple, que le lat. vestis, d'un thème proethnique vasti,
vêtement, désigne la tunique (%itûûv, <ttq\v\) j le gothique
1 J'ajoute encore ici les rapprochements suivants:
Scr. târpya, vêtement dont le tissu est tiré d'une plante appelée
trpâ (D. P.).
Lat. trabea, costume des rois et des hauts dignitaires. Cf. lett.
terpt (terpja), vêtir (Fick, 80).
Scr. sthagana, n., couverture, rac. sthag, <mV&>, etc.
Lat. toga, toge, de tego.
frl. f tugen, tuigen, sorte de manteau des poètes, fait de peaux
d'oiseaux (Corm., Gl., 160). Cf. tuige, couverture, ind-tuigther,
induitur (Z.2, 472). Stokes (Corm., 1. c.) compare le nom gaulois Tu-
gnatius (Orel., 4982). Cf. aussi Tugiacus (Momms., Insc. fte£y.,269),
Togiacus (Grut., 845, 5), Togonius, Togi, f. (id.,53, 6), etc.
Ane. si. o-stegû, vestis, rac. steg, tegere (Mikl., ie^0883); lithuan.
stêgti et stogas, toit.
— 388 —
vasti, et le scand. vesti, le gilet; l'allemand weste, la veste en
français, etc. Pour la chaussure, la dissémination des termes
a été plus grande encore, parce qu'il n'a assurément pas existé
dans le principe une racine particulière pour exprimer l'action
de chausser, comme pour celle de vêtir. Aussi aucun nom
ancien ne s'est-il conservé très-généralement. Ce qui reste,
cependant, suffit à prouver que les Aryas primitifs n'étaient
pas des va-nu-pieds.
1) Scr. pâdûj pâduka, soulier; cf. pad, pada, pâda, pied;
rac. pad, ire.
Gr. TTiSkKov, semelle; cf. 7rt$r}, lien pour les pieds, entrave,
wov ç, 7ro$oç, pied, etc.
Lat. pedule, semelle, pedica, entrave, etc.; cf. scand. fat,
fetil, fiôtur, anc. ail. fezil, fezera, id., etfotr,fôz, goth. fôtus,
pied.
Lith. pddas, semelle et pied, pedélis, socque.
2) Scr. kôçî, Jcôshî, soulier, sandale.
Pers. hawsh, armén. goshig, kashgar. kosh, soulier, botte,
ossète kochugi, soulier d'écorce, siahpôsh kôsha, koshara,
botte.
Gr. xclvxiç, pi. -$èç, espèce de souliers de femme ; et
aussi ficcvKiç,
Goth. skôhs, soulier, ags. scoh, scand. skôr, ancien allemand
scuoh, etc., avec une s prosthétique.
Ce nom est important, parce que le scr. kôçî désigne pro-
prement, comme kôça, une gaine, une enveloppe, un four-
reau, etc. Cela prouve que l'ancienne chaussure ne consistait
pas seulement en une semelle attachée sous le pied, et qu'elle
devait ressembler, pour la forme, à un soulier ou à une botte.
3) Scr. upânah, soulier, sandale, de upa -\- â et nah, nec-
tere, induere, ou de upa + nah, avec allongement de l'a
— 389 —
(D. P.); panaddhâ, panaddhrî, id., avec suppression de Vu
initial; au sens propre, ce qui s'attache sous le pied, comme
V7rQcÏY}fJLCL.
Tirhaï (du Caboul) phanai, soulier.
111 jr. opanak, espèce de chaussure; scarpa rusticana di cuojo
crudo (Ardello, Dict. UL, II, 298).
Cette singulière coïncidence est quelque peu problématique,
le mot illyrien ne se retrouvant pas, que je sache, dans les
autres langues slaves. Ne serait-elle qu'apparente, et faudrait-
il comparer l'anc. slave et polon. opona, couverture, housse,
voile, de o-pëti (o-pïnâ), tendere? mais le sens ne corres-
pond guère. Il faut remarquer que plusieurs noms slaves de
chaussures diverses ont été importés de l'Orient; par exemple,
l'illyr. cisme, bottes, lithuanien cziéma, soulier, vient du pers.
cashmak; le russe shmony, souliers, illyr. zamaa, bottes, du
persan sham, shamam, shamal, id., etc. Le pers. sandal, san-
dalak, soulier, pantoufle, a passé dans toutes les langues de
l'Europe.
4) Scr. badhrya, soulier, sandale. Cf. badhrî, courroie, de
bandh, ligare. Dans le D. P. sous la forme vadhrya, vadhra,
vadhrî.
Armor. bôdréou (pl.)> chaussure, bas, guêtres. — Cf.cymr.
bodrwy, anneau, cercle.
Ce rapprochement n'est pas moins curieux que le précédent,
vu l'absence d'intermédiaires connus entre les deux termes
comparés.
5) Zend aothra, soulier (Spiegel, Avesta, I, 197); proba-
blement de la rac. av = scr. av, tueri ; pers. awzâr, soulier,
armén. ôt, id. (Cf. Justi, p. 10.)
Lithuan. awola, chaussure, autas, autaivas, soulier, auklys.
— 390 —
bandes de laine dont les femmes entourent leurs jambes. Cf.
aati, chausser, awëti, être chaussé, rac. aiv.
Ane. si. ob-uvû, ob-utiie, ob-utielï, ob-uvishte, ob-ushta, cal-
ceus, russe obuvï, polon. obuw, obuivie, illyr. obuchja, chaus-
sure, etc. Cf. anc. slave uti, ob-uvati, induere, pol. ob-uwac,
chausser, rac. u, uv == av. Lottner (Z. S., VII, 189) compare
aussi le lat. uo, dans ex-uo (ex-uvice) et ind-uo, lith. ap-si-auti,
induere.
6) Pers. kâlak, kâliyâr, soulier, sandale. Cf. kâlîdan, fouler
aux pieds. Kourde kalek, ossète tzuîuk, soulier (?).
Grec kocAIkioç, botte, kclAikioi, souliers; kolAtioç, botte (en
Sicile).
Lat. calceus. Cf. calx, talon, calco, etc. ; caliga, botte.
Lith. czulka, bas; russe éulôku, id.
7) Pers. sulwah, soulier, pantoufle,1 salû, espèce de gros
souliers. Kourde sul, sàl, soulier; ossète tzuluk, id. (?)
Gr. vhicti (pi., Hesych.).
Lat. solea, semelle, sandale. Cf. solum.
Goth. sulja, <rayocL\iov, ags. solen, solese, scand. sôli, ancien
ail. sola, etc.
Armor. sol, semelle. Cf. anc. irl. sàl, talon (Z.2, 16); armor.
seul, id.; cymr. swl, corn, sol, solum; cymr. sail, corn, sel,
base, fondement, etc.
Alban. shôlle, semelle.2
8) Pers. charkash, soulier, garkâw, espèce de chaussure;
ossète tsirkite, botte.
Lith. karke, kurke, klurke, soulier.
9) Armén. kurbai, kulbai, bas.
1 Cf. sansc. çulva, çulba, corde, lien ; ç = s en persan.
2 Cf. la note p. 124.
— 391 —
Lith. kurpê, soulier; pol. Jcurp, sabot. Cf. szkarpeta, socque,
et ital. scarpa, soulier.
Ici, peut-être, se rattachent xpqTrlç, crepida, etc.
10) Pers. âghârah, soulier; kourde ghora.
Irl. ochar, id. (?)
§ 283. LA COIFFURE.
La variété des noms est ici aussi grande que celle des formes
qu'ont prises les couvre-chefs de tout genre, suivant les cli-
mats et les habitudes. Aussi le nombre des rapprochements à
signaler est-il assez restreint, bien qu'ils ne soient pas sans
importance.
1) Pers. kulah, chapeau, bonnet; boukhar. kulah ; kourde
kûlik; afghan, choli.
Cymr. cwlen, chapeau, cwcwll, capuchon; armor. kougoul,
cape; irl. cochai, cochall, erse cochull, id., et manteau, enve-
loppe. Le latin cucullus, cape, espèce de manteau, est, comme
on le sait, d'origine gauloise,1 et a passé, avec le capuchon des
moines, dans plusieurs langues européennes, outre les néo-
latines. Ainsi, anglo-saxon kugle, ancien ail. cugula, cucula,
cucala; russe kukûlï, illjr. kuklica, etc. Mais, à côté de ces
termes d'emprunt, il en est d'autres dont les affinités semblent
être d'un ordre primitif. Ainsi :
Goth. hakuls, manteau, ags. hacela, haecla, sagum, pallium ;
scand. hekla, cucullus, hôkull, liukull, casula, thorax; anc. ail.
hachul, cucullus, etc.; l'A initiale régulièrement pour k, et le
second k resté intact par exception.
Lith. kaukolas, kaukole, crâne.
Russe, pol., boh. chochol, capuchon, huppe, crête, etc.
i Cf. Martial, Epig., I, 54; XIV, 128. Juven., Sat. VIII, 144, etc.
— 392 —
Le corrélatif sanscrit de toutes ces formes redoublées se
trouve évidemment dans kukûla, armure, enveloppe, gousse
(Cf. p. 294), et la rac. Ml, tegere (Dhâtup.), rend fort bien
compte de leurs significations diverses. Nous y avons rapporté
cola, veste, côlaka, cuirasse, etc.; il faut ajouter sans doute
cûlâ, cûlikâ, crête, huppe, qui nous ramène au sens de coif-
fure et de chapeau.
Toutefois cûlâ s'écrit aussi cûdâ, et, comme le d et VI se
remplacent assez souvent, on reste en doute sur la forme
primitive. Il est certain qu'un second groupe des noms du
chapeau, etc., se rattache à une rac. kud ou khud; cf. dans le
Dhâtup. cud, chud, khud, skhud, tegere, operire. Ici se placent
sans doute :
Pers. chûd, casque; ossète chud,chôde, chapeau, bonnet.
Lat. cudo, -onis, casque de peau.
Lith. kodas, kûdas, huppe, crête.
Cf. irl. cudh, cuth, tête. i L'ancien allem. hôt, huot, ags. hod,
angl. Jiood, mais aussi haet, liât, scand. hattr$ chapeau, etc.,
offrent pour la dentale et la voyelle des divergences difficiles
à concilier. Il se pourrait, après tout, que les deux groupes
de mots en question fussent indépendants l'un de l'autre.
2) Scr. çuka, turban, casque; aussi vêtement. Origine inc.
Lith. kyka, russe kuka, bonnet de femme.
Ags. hicae, perruque ; dial. allemands hûke, heuke, hoike,
bonnet; néerland. huycke. — Cf. bas-latin huca, etc. — Le
second k est resté inaltéré, comme dans le goth. hakuls, etc.,
ci-dessus, mais il est d'une origine toute différente. L'acception
1 Cf. scr. kakud, kakuda, sommet, peut-être composé de l'interro-
gatif ka, et de kud, tegere, comme le synonyme kakubh, kakubha,
de ka -f- kubh, kumbh, tegere. Cf. latin cacumen, et culmen, pour
cacudmen et cudmen.
— 393 —
de vêtement se retrouve aussi dans l'angl. huke, hyke, sorte de
manteau, et le français hoquet, hoqueton, espèce de casaque. Le
cymr. hug, manteau, est d'origine germanique.
3) Les langues du nord de l'Europe ont en commun un
nom du chapeau ou du bonnet ' dont la forme première est
incertaine, et qui a passé plus d'une fois de l'une à l'autre.
Ses formes diverses sont :
Bas-lat. capa, capellus, cape, chapeau, capote, chaperon, etc.
Cf. passim l'italien, l'espagnol, etc.
Cymr. cap, capan, bonnet, copyn, crête; armor. kâp, cape,
kabel, coiffure, chapeau, huppe. Irl. erse cap, capa, bonnet,
mot d'emprunt à cause du p non aspiré.
Anglo-sax. cop, cappa, scand. kâpa, anc. ail. chappa, etc.;
tous étrangers comme contraires à la loi de mutation des
consonnes.
Lith. kepurrë, chapeau, terme sûrement indigène; ce qui
est moins certain pour kâpe, bonnet, comme pour le russe,
polonais, illyr. kâpa, id.
Il est fort probable que ces noms de la coiffure se rattachent
à ceux de la tête et du crâne, scf. kapâla, grec KiÇ>ccXr^ lat.
caput, goth. haubith, etc., dont les rapports mutuels et les
étymologies sont encore en discussion.
§ 284. ORNEMENTS DIVERS, COLLIERS, BRACELETS,
ANNEAUX.
Le goût de la parure est si naturel à l'homme qu'il se déve-
loppe dès les premiers progrès de la culture matérielle, et,
même chez les races sauvages, nous voyons mettre en œuvre
des procédés variés, bien que souvent bizarres, dans l'inten-
— 394 —
tion d'embellir la figure humaine. Les anciens Ary a s aussi ne
se contentaient sûrement pas de se vêtir, et cherchaient à
faire valoir leur costume par des ornements de plusieurs sortes.
Ce qu'étaient ces ornements, nous ne pouvons plus le savoir
que d'une manière générale et incomplète. Des colliers et des
anneaux de dimensions diverses, bagues, boucles d'oreille,
bracelets, etc., voilà quel en était le fond, d'après les traces
encore subsistantes de l'ancienne nomenclature.
1) Scr. mani, joyau en général, gemme, pierre précieuse,
plus spécialement un joyau percé pour le suspendre, et une
amulette, manika, id., mânikya, rubis. La rac. est sans doute
man, putare, sestimare, avec substitution de Vn cérébrale,
comme dans pan, an, can, vên = pan, an, etc.
Pers. man, dans man-gôsh, joyau d'oreille.
Ane. irl. màini, preciosa (Z.2, 30).
Lat. mon, dans mon-edula, la pie qui dérobe et avale les
objets brillants, d'après Pline (X, 41 ), suivant la conjecture
de Pott {Et. F., I, 89). Peut-être aussi moneta, qui a passé à
l'anglo-sax. mynet, au scand. mynt, à l'anc. ail. muniza, au
lith. manëta, au russe moneta, etc., s'il ne dérive pas directe-
ment de moneo, allié d'ailleurs à man. Le sens primitif pour-
rait avoir été celui de chose de prix.
Nous retrouverons plus tard la racine man aux noms dési-
gnant la richesse.
2) Scr. mânava, mânavaka, collier de seize ou vingt rangs,
de la même origine que mani; manisara, manimâlâ, collier,
c'est-à-dire fil ou rang de gemmes.
Zend minu, collier (Justi, 233), armén. maneak; phrygien
fJLOLVlKCt.
Gr. (Aavov, pctvvov, fJiovvov, id.; lat. monile.
— 395 —
Gaulois fjLctviciKyjç (Poljb., II, 31). Cf. sanscr. manyâ, ma-
nyâkâ, nuque.
Ane. irland. muinae, collarium (Z.2, 791), pour muinte (?)
(Stokes, Goid.1, 98); am-muinde, id., muin-torc, torques (Z.2,
ib.);irl. moy. muinche, collier (M. Len., 112), dans O'R.
muince, muinte.
Ags. hals-mene, id., menas, monilia; scand. men; anc. allem.
menni, manili.
Anc. si. monisto, collier.
On ne saurait guère douter de l'affinité primitive de tous
ces termes. Cependant l'irl. muince semble provenir de muin,
cou, en cymr. mwn, d'où mtvn-dhvs, joyau de cou, pour col-
lier, etc.; mais il se pourrait bien qu'au contraire le nom du
cou fût venu dans l'origine du collier, de même que le mot
ceinture désigne par métathèse le milieu du corps. C'est ainsi
que la crinière, en irl. mong, cymr. mwng, anc. allem. maria,
mani, scand. mon, etc., semble avoir été ainsi nommée comme
l'ornement du cou, le collier du cheval. Il est certain, cepen-
dant, que la dérivation inverse, comme collave, de collum, etc.,
est plus naturelle, et le doute subsiste quant à l'origine réelle
des termes irlandais.
3) Scr. grâiva, grâivaka, collier.
Anc. si. grivïna, collier; russe grivna, ornement d'or que
l'on portait au cou, et pendant d'oreille, griva, fil d'argent
pour orner la crinière d'un cheval.
La dérivation est la même de part et d'autre; en sanscrit
de grîva, cou, nuque, en slave de griva, pol. grzywa, crinière,
primitivement cou. — Le russe grivna, pol. grzywna, lithuan.
griwina, griivna, a désigné plus tard une monnaie d'argent,
un marc, représentant probablement la valeur de l'ornement
que l'on portait au cou.
— 396 —
4) Le scr. sara, dans manisara, collier; cf. sarat, sarit, fil,
pratisara, guirlande, de sr, sar, ire, a fort bien pu signifier
seul tfh collier. A la même racine appartiennent:
Le gr. opfJLoç, collier, pour poçjaoç ; Kd&cçfjuov, hoçfjt,loy9 id.,
èçfict, pendant d'oreille, de ttçôû, =\at.sero,(To\isertum, guir-
lande, séries, etc.
L'anc. si. u-serëgu, u-serêzï, russe seriga, serejka, pendant
d'oreille. Cf. russe sherenga, pol. szereg, rang, série.
5) Kourde tok, collier; brahui touk, id.
Ane. si. pri-tokû, anneau. Cf. tocilo, torcular, russe toéitï,
pol. toszyé, tourner.
Si l'on compare le pers. tûk, boucle de cheveux, peloton, il
devient probable que la racine est la même de part et d'autre.
6) Sanscr. angulîya, angurîya, anneau, bague, de anguli,
anguri, doigt; kourde engishtere (Lerch.), bague, angushtir
(Garzoni); cf. engist, zend angust, pers. angusht, ossète an-
gulse, etc., doigt, et scr. angushtha, pouce.
Lat. annulus pour angulus (?).
Irl. aigiolain, erse aigilean, boucle d'oreille, pour aingio-
lain, à cause du g non aspiré.
7) Scr. kundala, bracelet, anneau, boucle d'oreille, cercle
en général.
Lat. condalus, condalium, anneau que portaient les esclaves.
Cf. gr. KoviïvAoç, condyle, éminence d'une articulation (?).
8) Scr. valaya, bracelet et cercle, vâlaka, bâlaka, id., bague,
bâlî, vâlikâ, espèce de boucle d'oreille; rac. val = var, cir-
cumdare.
Irl. erse f ail, anneau, fdl, cercle; irland. faileachan, boucle
d'oreille.
Cymr. gwalen, bague.
9) Scr. bhugishya, bracelet, lien autour du poignet, de bhug,
— 397 —
curvare, ou de bliuga, bras, main, courbure, bhugi, action d'en-
tourer, d'embrasser (D. P.).
Anglo-sax. beâg, scand. baugr, anc. allem. pouc, baug, bra-
celet, de beogan, piucan, goth. biugan, flectere, curvare.
10) Scr. tushtu, joyau porté à l'oreille, inauris, de tush,
contentum esse aliqua re, lsetari. Cf. tushti, plaisir, satisfac-
tion, etc.
Irland. tuis, joyau, pour tûist, tûsti, à cause du maintien
de l'a.
11) Sanscr. ratna, joyau, perle, gemme, don, possession,
bien, suivant le D. P. probablement de râ, donner, comme
rayi, richesse.
Irl. rathdn, collier de grains (O'Don., GL). Cf. scr. ratna-
mâlâ, -vagi, -vâlî, collier de perles. O'R. donne aussi réd (?),
gemme.
12) Lith. grandis, grandele, anneau, bracelet.
Cymr. grain, "anneau, greinyn, boucle d'oreille.
Cf. irl. grainne, rond. La racine commune semble se trou-
ver dans le scr. granth, grath, nectere, serere, d'après le
Dhâtup. signifiant aussi curvare, d'où granthi, nœud, cour-
bure, grathna, bouquet, etc. A grath se rattache peut-être l'irl.
greith, ornement, joyau.
SECTION III.
§ 285. ALIMENTS ET BOISSONS.
Nous venons de voir à peu près comment les anciens Aryas
s'habillaient; il nous reste à rechercher de quelle manière ils
se nourrissaient, pour compléter autant que possible notre
— 398 —
esquisse de leur vie matérielle. L'alimentation de l'homme
reste toujours et partout essentiellement la même, empruntée
qu'elle est nécessairement aux végétaux et aux animaux; mais
elle varie à l'infini quant aux détails, et l'art culinaire subit les
métamorphoses les plus multipliées suivant les lieux et les
temps. On peut se dispenser de prouver que les anciens Aryas
se nourrissaient des produits de la chasse, du lait et de la chair
de leurs troupeaux, ainsi que des fruits de la terre; cela s'en-
tend de soi-même. Ce qui nous intéresse serait de savoir de
quelle manière ils les mettaient en œuvre, et s'ils connaissaient
déjà quelques-uns des mets restés généralement en usage,
comme le pain, la soupe, etc. Nous avons vu qu'ils possédaient
plusieurs céréales et quelques légumineuses, qu'ils avaient des
cuisines et des ustensiles pour la cuisson ; nous savons aussi
qu'ils ne s'en tenaient pas pour boissons à l'eau pure et au lait.
On peut donc croire que l'art culinaire avait fait chez eux
quelques progrès ; mais on ne saurait s'attendre à trouver
dans les langues autre chose que des indications fort incom-
plètes à cet égard.
§ 286. LE PAIN ET AUTRES PRÉPARATIONS DE CÉRÉALES.
Les noms du pain proprement dit diffèrent entre eux plus
qu'on n'aurait dû s'y attendre pour un aliment aussi primitif.
C'est que le mode de le confectionner a subi des changements
successifs, et que les termes appliqués d'abord à diverses prépa-
rations fort simples, comme le grain broyé et grillé sans autre
apprêt, sous forme de galettes, ont passé plus tard au pain
pétri, levé et cuit au four, tel que nous le connaissons. Ce qui
l'indique d'ailleurs, c'est d'une part que les noms du pain,
— 399 —
ramenés à leurs étymologies probables, ne désignent autre
chose que la nourriture en général, ou l'aliment préparé et
cuit, ou la forme particulière, plate ou ronde, qu'on lui donnait
habituellement, et, d'autre part, que les noms de la pâte et du
levain sont encore plus divergents que ceux du pain. Le levain
ne m'a pas offert une seule analogie à signaler, et la pâte ne
présente qu'un seul groupe d'affinités purement européennes.1
Les rapprochements assez nombreux qui suivent, et qui com-
prennent également les noms du pain, et ceux de diverses
espèces de gâteaux de céréales, ne prouvent donc en réalité
que la haute ancienneté de leur emploi pour l'alimentation.
On pouvait l'inférer déjà du fait de leur possession et de
leur culture, lequel, à son tour, reçoit ainsi une confirmation
de plus.
1) Scr. pita, pain, pitu, nourriture; rac. pâ, nutrire, avec
affaiblissement de â en i, comme dans pitar, père.
Zend pitu, nourriture; pers. pâh, id.; brahui, pâli, pain;
armén. pan, pâte, pain.
Messapien 7tccvqç, lat. pânis, cf. pâbulum ; ainsi que penus,
penum, provisions, vivres (omne quo vescimur, Cicér.).
Irland. pain (Corm., GL, 37, 134), du latin (?) ; et cymr.
pain, farine.
Qoth.fôdeins, nourriture, fôdjan, nourrir ; ags. foda, fother,
scand. fôdr,faeda, anc. ail. fôtar, etc. La dentale n'appartient
pas à la racine (Grimm, D. Gr., II, 224).
1 Irl. f tais, taes, taos, cymr. toes, armor. tôaz. Ags. thaesma, anc.
ail. deismo, anc. si. et russe tZsto, pol. ciasto, etc., hongrois teszta.
Lith. taszlà, teszlà. Stokes (Hem.2, 83) compare avec beaucoup de
probabilité le gr. <rraîç, -ourôç, pâte, de la rac. erra; mais il semble
alors difficile d'y ramener aussi les termes germaniques et lithuaniens:
le slave s'y rattache mieux.
— 400 —
Lith. pénas, provende, fourrage, etc.
Cf. p. 10 etseqq., et les formes secondaires 7ra,Tîo(Acti, man-
ger, et anc. û.pitati, nourrir. 1 La différence des suffixes semble
indiquer l'existence de deux synonymes primitifs principaux,
peut-être pâta et pana, pour le pain et la nourriture. Un
thème sansc. pana est peut-être conservé dans panasa, l'arbre
à pain, àepana + sa?i, littéralement qui donne de la nourriture.
2) Scr. artika, espèce de gâteau (Wilson); n'est pas admis
dans le D. P.
Pers. ârd, farine, ardah, pain de fleur de farine, avec d
pour t, comme dans kard, couteau = zend kareta. — Afghan.
rotai , pain.
Gt. clqtoç> pain.
Le terme sanscrit suppose un thème plus simple arta, sans
doute de la rac. r, ar, dans le sens de obtinere, ou analogue à
rta, ce qui est bien en ordre, bien disposé, préparé. Cf.l'adv.
aram et aram kar, préparer. Le grec ccqtoç se rattache de
même à cLçoù, comme ccçtiqç, préparé, achevé, l'adv. ccqti,
et les dénominatifs uçria, cLqti&, etc. Le kourde âr, ar,
farine, peut appartenir à la' même racine, ainsi que l'irl. ardn,
pain, si ce n'est pas là une simple variante de bardn, qui
reviendra plus loin.
3) Scr. pûra, pûrikâ, gâteau sans levain frit au beurre ou
à l'huile, pôlî, pôlikâ, pûlikâ, pâulî, pâulikâ , gâteau plat,
d'orge ou de froment, pulaka, boule de pain pour les élé-
phants, etc. — La rac. est pf, pur, par, complere, satiare,
nutrire, piparti, papâra, à'oiipuru,pulu, ttoXvç, etc.
Pers. pûrah, pain et viande bouillis ensemble, pûlâd, pôlâd,
1 Sur la conjecture de Stokes, qui rattache à pituYirl. ith, blé, etc.,
pour pith, cf. t. I, p. 325.
— 401 —
riz bouilli, pûlânî, potage de gruau \ fur ni, riz bouilli dans du
lait. Cf. géorgien puri, pain.
Gr. 7rvçoç, froment (Cf. t. I, 332, pour le lithuanien et le
slave), ttvqvoçj 7rvçvov, pain de froment; 7toXtqç, bouillie: cf.
7roXvç et pulu, 7roAiç et pura; peut-être aussi 7TèAuvoç,
espèce de gâteau, bouillie de farine, et même 7r&\v\, 7rcLi7raAri,
fleur de farine, d'après les variations de la voyelle dans pur,
par et par.
Lat. puis, pultis, bouillie de farine, pulmentum, aliment,
polenta, gruau d'orge.
Lith. appora, gâteau de farine d'avoine (?), pyragas, pain
de froment. Cf. pûrai, froment.
Illyr. upurak, gâteau (?) ; russe pirôgu, pâté, polon. pirbg,
boulette de farine et de fromage. Cf. anc. si. pyro, froment,
pirënie, convivium, russe pirïï, festin, pir a, seigle, etc. L'i est
ici pour u, comme dans le lith. pilnas = scr. purna, plenus,
ou le goth. filu = scr. pulu.
4) Scr. ôkula, gâteau de froment, peut-être de ava-kula,
comme ô pour ava dans ôgana, ôpaça (D. P.), mais le sens
étymologique reste obscur. Cf. êûlikâ, gâteau de froment frit
dans du beurre.
Pers. kulî, kulîé, grand gâteau de farine, kulîcah, pain rond
de fine farine, et, en général, objet rond, disque, lingot, etc.
Ossète gui, pain blanc (?).
Lith. kukulys, pain rond, gâteau.
Russe kullcû, brioche; boh. kolac, gâteau.
Alban. kuljac, gâteau.
Peut-on comparer aussi le grec ^oÀÀ<|, KoWvça, pain ou
gâteau rond et allongé, xoÀAaQoç, espèce de pain de froment ?
D'après le persan et le lithuanien kulys, paquet, kulkà, boule,
II 26
— 402 —
pol. kula, boh. kule, id., etc., l'idée de rotondité semble être
ici la primitive.
5) Scr. pishtaka, gâteau de farine; pishtika, gâteau de riz.
Cî.pishta, broyé, pétri, et farine, rac. pish (Cf. p. 159 et sqq.).
Ane. si. pishta, cibus, russe pishéa, illyr. pichja, etc., peut-
être proprement farine ou pain.
6) Scr. upakârikâ, espèce de gâteau; de upa-kâra, prépa-
ration, service, rac. kr, facere. — A la même racine se rap-
portent :
Lith. karaiszis, gâteau.
Russe Jearavdïj korovâï, gros pain rond.
7) Scr. dhâna, grain grillé et moulu ; au pluriel dhânâs,
orge ou riz grillé ; rac. dhâ, sustentare, alere.
Lith. dûna, pain (?).
8) Armén. barên, pain; boukhar. barï, id.; siahpôsh, bre,
farine.
Irl. erse bar, bâran, cymr., armor. bara, pain.
Cf. sanscr. bhara, qui nourrit, soutient, bharana, nutrition,
bharîman, nourriture, rac. bhr, sustentare, ferre; pers. bar,
nourriture, bar, orge, etc. (v.t. I, p. 335); lat. far, farina, etc.
Il faut séparer de ce groupe l'anglo-sax. bread, scand. braud,
anc. ail. brôt, pain, qui dérive du verbe fort brâtan, frigere.
L'anc. irl. bairgen, pain (Z.2, 4), se lie de même à la rac. scr.
blirg, bharg, frigere, comme le synonyme bras, braise, à la rac.
bhrasg, id. (Cf. p. 337.)
9) Pers. kirpah, gâteau mince et rond.
Lith. klépas, lett. hlaips, pain. — Anc. si. chliebu, etc.
Goth. hlaifs, ags. lilâf, scand. hleifr, anc. ail. hlaib, etc.
Cf. p. 336, et en particulier Fane, slave crépu , testa, et le
russe kripicu, brique, en tant que cuite.
10) Belout. mânî, pain. Cf. ossète manaw, mannau, froment.
— 403 —
Irland. mann, pain, froment, nourriture ; f men, farine
(Z.2, 10).1
Cf. t. I, 330, le scr. su-mana, froment, etc.
11) Pers. nân, pain et gâteaux divers; kourde et boukhar.
nân, armén. ngan, id.
Gr. yctvoç, gâteau au fromage.
Ce nom du pain se retrouve au loin, dans les dialectes fin-
nois, éniséens et samoièdes, sous les formes de nann, nân, nen,
niân, etc.
§ 287. LA SOUPE ET LE BOUILLON.
L'accord de plusieurs termes est ici remarquable, et, s'il
n'est pas sûr que les anciens Aryas aient connu l'usage du
pain proprement dit, il est certain, par contre, qu'ils ont été
des mangeurs de soupe.
1) Notre français soupe, quelle que soit sa source prochaine,
est un mot vénérable par son antiquité, car il correspond
exactement au sansc. sûpa, potage, bouillon, sauce, et aussi
cuisinier, comme sûpakâra, littéralement faiseur de soupes,
sûpika, bouillon, sûpya, potage, sâupika , adj., arrosé de
bouillon. La racine est probablement su, succum exprimera,
d'où dérivent également sava, suc, eau, abhishava, abhishuta,
bouillie aigre de gruau, et le nom du sôma, la liqueur sacrée.2
Les corrélatifs européens sont les suivants :
Anglo-sax. sop, scand. sûp, sûpa, saup, soppa, jus, sorbil-
1 O'R., peut-être de wanna, comme dans Z.2, 634, et O'Dav., Gl.,
105. Ce dernier a aussi matin = eruithnecht, froment.
2 Le D. P. ne donne pas d'étymologïe. On pourrait peut-être l'ex-
pliquer par su -f- ap, bonne eau, d'après l'analogie de kûpa, suivant
le D. P., de ku-ap (v. p. 344). Cf. aussi sûda — kûpa (p. 344).
— 404 —
lum, avec le p primitif inaltéré, mais changé régulièrement en
/ dans l'anc. ail. suf, sauf, sufil, *
Armor. souben, soupe, soub, infusion, soubil, sauce, souba,
tremper. Cf. cymr. sew} jus de viande, bouillon = scr. sava.
Russe supû, pol. supa.
Lith. suppa.
Les langues classiques n'en offrent pas de trace.
2) Un second terme non moins bien conservé est le scr.
yû, yûs, yûsha, yûshan, bouillon, bouillon de viande, potage,
soupe aux pois, eau dans laquelle on a fait bouillir des légumes,
probablement de la rac. yu, miscere (Cf. Pott, Et. F., II, 327,
et Fick, 162).
Lat. jus, jusculum, bouillon.
Ane. slave iucha, id.; russe ucha, ushka, ushitsa, soupe au
poisson; polon. iucha, iuszka, espèce de sauce; illyrien juha,
bouillon, etc.
Ane. prus. juse, bouillon, \ith. jtisze, soupe de pâte aigre et
d'eau, juk/cà, soupe au sang d'oie, etc. Le lettique jau-t,
mêler de la farine avec de l'eau, offre encore la rac. yu à l'état
simple.
Armor. ioud, iôd, iôt, cymr. uwd, bouillie de farine au lait.
Le suffixe est ici différent.
Le scanà. juck, bouillon, soupe (cf. ail. mod.jauche),est peut-
être emprunté au slave, où le ch remplace la sifflante; mais
l'anc. ail. jussol, bouillon, pourrait bien être purement germa-
nique, à moins qu'il ne provienne du latin jusculum.
3) Scr. rasâlâ, rasikâ, lait caillé au sucre et aux épices;
' Mais cf. le verbe fort, scand. sûpa (saup, supum); ags. sûpan ;
anc. ail. sûfan, ail. saufen, etc., sorbere, potare, qui indiquerait une
rac. sûp, peut-être une forme augmentée de su, avec sens causatif.
— 405 —
rasaka, bouillon. Cf. rasa, jus, saveur, nourriture (Naigh.,
II, 7).
Lith. rasalà, rasdlas, saumure. Cf. rasa, rosée.
Russe rosôlu, polon. rosbl, saumure, bouillon. — Cf. rosa,
rosée.
4) Sanscr. kashâya, décoction en général, comme adjectif,
astringent au goût; rac. kash, scabere.
Pers. kashk, soupe épaisse de farine, viande et lait de bre-
bis, préparation de lait de beurre, lait aigre sécbé; kashkû,
potage de gruau d'orge, kashkîn, froment macéré dans l'oxy-
gal, etc.; armén. kashu, bouillon.
Ane. si. kashitsa, puis (Mikl., Lex., 284); russe kdsha, gruau
cuit, kashitsa, soupe, kashevârû, cuisinier. Pol. kasza, id., kas-
zanat, marinade; boh. kasse, bouillie.
Lith. kosze, gruau, koszenybe, pot-pourri de viandes, etc.
Cf. russe kisélï, bouillie aigre, lith. kiselus, bouillie d'avoine,
et p. 47.
5) Pers. shôrbâ, shôrwâ, soupe, bouillon ; kourde siorba, id.
Lat. sorbitio, -tium, jus, jusculum, de sorbeo.
Irl. moy. sruban, merenda (Stokes, Ir. Gl., n° 143), srûbôg,
gorgée de liquide (O'R.), de srûbaim, sorbeo.
Lith. srubà, soupe, de srubti, srëbti, ainsi que surbti, surpti,
sulpti, humer, sucer.
Ane. si. srubaniie, sorbitio. Cf. illyr. barb. ciorba, soupe.
Si l'on compare de plus le grec po(Pîûo, pvQec*), po<Pct,vct),
sorbeo, d'où poQrifAot,, bouillon, suivant Pott (Et. F., II, 196)
pour <rpo<pè6û, ou suivant Kuhn (Z. S., IV, 18) pour (ropQèct),
si l'on ajoute encore l'allemand schlùrfen, on ne doutera guère
d'une origine commune de ces divers termes. Il semble inutile
toutefois de chercher, avec Kuhn, à les ramener à une racine
primitive hypothétique svarb, parce qu'ils ont évidemment le
— 406 —
caractère d'onomatopées qui comportent une certaine latitude
de variations phoniques. Vairon déjà fait venir sorbeo du
bruit que l'on fait en aspirant un liquide, et qui ne saurait
mieux s'exprimer que par la triple combinaison d'une sifflante,
d'une liquide et d'une labiale. La même onomatopée se repro-
duit exactement dans l'hébreu sâraph, chald. sraph, sorbsit,
glutivit, arabe sharïba, bibit, sharb, sJrirb, shurb, action de
humer, de boire, sharbat, breuvage, d'où notre mot sorbet peut
provenir aussi bien que de sorbitium. Le pers. shôrbâ, soupe,
ainsi que sharâb, vin, kourde siorba et sherab, sont sûrement
empruntés à l'arabe, comme l'indique le sh initial, qui ne
représente pas régulièrement Y s arienne. Une seconde coïnci-
dence du même genre se montre dans le basque zurrupatu,
cJiurrupatu, sorbere, et cette onomatopée est ainsi commune à
trois familles de langues distinctes.
§ 288. LES BOISSONS FERMENTÉES.
L'usage de liqueurs spiritueuses extraites de substances
végétales très-diverses, fruits, grains, racines, etc., se retrouve
chez beaucoup de peuples, même sauvages, de l'ancien comme
du nouveau monde. C'est le plus ou moins de variété de ces
boissons, et l'art apporté à leur préparation, qui peuvent ser-
vir de mesure pour l'industrie d'une race d'hommes. Sous ce
rapport, les anciens Aryas se sont distingués assurément, car
ils possédaient plus d'une espèce de liqueurs fermentées, et
c'est chez leurs descendants, orientaux et occidentaux, qu'elles
ont été portées au plus haut degré de variété et d'excellence.
Les Indiens, en particulier, ont su tirer des richesses de leur
règne végétal une abondance de boissons spiritueuses dont plus
— 407 —
de soixante noms sanscrits attestent la diversité, et les Euro-
péens de leur côté, avec des ressources plus limitées, ont
obtenu des produits d'une perfection sans doute supérieure.
Au temps de l'unité toutefois, cet art était sûrement dans l'en-
fance; mais il annonçait déjà ses progrès futurs, car plusieurs
noms de liqueurs fermentées ont été conservés. Un des an-
ciens termes qui exprimaient l'ivresse prouve encore que nos
premiers pères en connaissaient fort bien les effets, et indique
en même temps qu'ils devaient avoir le vin gai.1 J'ai traité
ailleurs déjà de quelques-uns de ces noms de boissons. J'y
reviens ici pour y ajouter quelques observations.
A) Le vin.
1) Au t. I, p. 311 et sqq., j'ai parlé déjà de plusieurs noms
du vin qui paraissent avoir une origine arienne. J'ai traité
plus spécialement du groupe principal de ces noms, issu proba-
blement d'un thème primitif * vîna, et arien plutôt que sémi-
tique. La même conjecture peut s'appliquer à un autre terme
sémitique, l'hébreu sobè, vin, arabe salriyat, suivant Gesenius
de sâbâ, boire avec excès, se gorger de boisson, d'où sâbâ,
adj., ivre, avec le b doux, sans point diacritique, = v. Si l'on
compare ce qui a été dit ( t. I, 305 ) sur le HaÇioç phrygien
et sa connexion probable avec le sansc. sava, on ne pourra
guère se défendre d'y rattacher aussi les mots sémitiques.
Boire avec excès, c'est s'administrer des libations, en sanscrit
sâva, de su, au causât, sâvay. Wilson (Dict., p. 910) donne à
savana le double sens d'extraire et de boire le sôma, tout
comme à sûta (p. 940) celui de drank, bu. Il y aurait là un
1 Cf. t. I, p. 317, note.
— 408 —
nouvel indice des antiques relations entre les Aryas et les
Sémites dans les régions où la vigne était indigène.
2) Quant au scr. surâ, zend hura, venant également de su
et rendu tour à tour par vin et boisson, mais, dans le D. P.,
seulement par liqueur alcoolique, eau-de-vie, j'ai présumé (t. I,
305) qu'il avait eu dans l'origine les deux premières acceptions.
Celle de boisson en général se confirmerait par le fait que surâ
a passé à la bière dans le mot suani (géorgien) sura, le turc
sra et l'éniséen syrd.1 Le persan moderne sur, liqueur extraite
du riz, et sûr, vin rouge, doivent être des mots d'emprunt, vu
le maintien de Y s.
En Europe, on peut comparer peut-être le russe syrétsu,
avec une autre application à l'hydromel non cuit, et allié à
syrôi, humide, venant de l'anc. si. syru, sourovïï, id.
3) Pour quelques autres noms du vin, sûrement fort an-
ciens, cf. les rapprochements européens avec le persan mus-
târ, moût (t. I, 317), le scr. halâ, hâlâhalî (ibid.),2 et l'ossète
san, sanna (t. I, 318).
1 Pour le sens de boisson, cf. aussi le scr. surâ, coupe à boire pour
les spiritueux (D. P.).
2 A l'appui d'une provenance de la rac. har, transporter, enlever,
ravir (entzùcken), soit de colère (haras), soit de joie (xxpx), cf. hary,
désirer quelque chose, haryata, désirable, aimé, hâra, hârin, qui
transporte les sens, ravissant, magnifique. En fait de formations ana-
logues à hâlâhalî, liqueur spiritueuse, on peut citer halahalâ, inter-
jection d'applaudissement, hârahûra, liqueur enivrante, hârahâra,
-râ, hârahûra, espèce de raisin.
Le double sens de har (favorable ou défavorable, joie et colère,
délire) explique pourquoi halâhala peut désigner une espèce de poi-
son violent (D. P.).
La rac. hal (de har), dans l'acception de labourer à la charrue,
signifie proprement, comme karsh, tirer, traîner, enlever la terre, etc.
— 409 —
B) L* hydromel.
S'il peut rester des doutes sur la possession du vin par les
Aryas du temps de l'unité, il ne saurait en être de même pour
l'hydromel, dont le nom s'est maintenu, en Asie et en Europe,
dans les principales langues de la grande famille. On sait que
le miel mêlé d'eau donne par la fermentation une liqueur spi-
ritueuse très-agréable, et longtemps rivale du vin qui, parfois,
en a pris le nom chez plusieurs peuples. Pour ce nom, le scr.
madhu, n., qui est aussi celui du miel, et pour ses corrélatifs
divers, je puis renvoyer au t. I, p. 510. La transition au sens
de vin, qui se remarque également dans le scr. madhu (D. P.,
V, 484), lé grec fJLî&v, déjà homérique, et l'anc. si. inedïï,
oïvoç (Miklos., Leos.j 365), doit être à coup sûr fort ancienne,
bien qu'elle ne se remarque pas dans les Vêdas.
C) La bière, etc.
Le vin et l'hydromel, ce dernier surtout, sont les seules
boissons fermentées dont la linguistique comparée permette
de faire remonter l'usage jusqu'aux Aryas primitifs. Il n'en
est pas ainsi de la bière, bien qu'ils possédassent l'orge d'où
on la tire. Ses noms sont beaucoup plus divergents, et sans
doute d'une origine plus récente. Le sanscrit ne m'en a
offert aucun exemple sûr.1 Quelques-uns, comme le mot suani
sura et l'illyr. subaja, semblent avoir été empruntés à ceux
'* Wilson donne bien yavasura, n., ou -surâ, f., liquor distilled
from barley, et béer; mais le D. P. n'admet que la première accep-
tion, et d'après le sens ordinaire de surâ, eau-de-vie, il ne s'agit pas
ici de la bière.
— 410 —
du vin (Cf. p. 408 et t. I, p. 305). Le pers. bârah se rattache
clairement à bar, orge; mais n'a aucun rapport réel avec l'anc.
ail. bior, ags. beor, scand. bior, etc., d'où notre bière, bien que
le goth. baris, ags. bere, scand.' barr, orge, réponde au persan
bar}
1) Une seule affinité à signaler comme assez sûre, bien
qu'indirecte, est celle de l'armén. karôghi, boisson fermentée
(ôglù) d'orge (kari), avec le celtib. ceria, gaul. cerevisia, cer-
voise (Cf. t. I, 341), ainsi qu'avec le gr. oivoç Kp&ivoç, bière,
si, comme je le crois, x,fu9~y} est étymologiquement allié à
l'arménien kari.
2) Parmi les noms européens de la bière, un groupe assez
étendu paraît se rattacher au nom sanscrit et arménien d'une
boisson fermentée, mais qui n'est pas la même. C'est le lith.
alus, alukas, espèce de bière indigène, auquel répondent l'anc.
slave olu, olovina, sicera, le scand. ôl, ags. eala, alodh, angl.
aie? En sanscrit, nous trouvons ali, liqueur spiritueuse, et en
armén. ôglù = ôli, boisson fermentée. La racine, partout la
même, est peut-être ar (al), dans le sens d'élever, d'exciter,
de stimuler.5
1 Suivant Schleieher (Z. S., VII, 224), bior viendrait du slave pivo,
gén. pivese, thème pivas, bière, proprement boisson, de piti, pivati,
boire, comme ttTvov, bière, de tt/vw. Ce pivas, affaibli et contracté en
* bius par le gothique, serait devenu bior, avec le changement ordi-
naire de s en r. Par contre , Wackernagel et d'autres font venir
bior d'un subst. latin biber, boisson, l'italien bévere, béere. Cf. Diez,
Wb., I, 69. L'irl. beoir, cymr. bwr, armor. biorch, sont germaniques
ainsi que l'ital. birra.
2 Cf. irl. ôl, boisson, ôlaim, je bois, ôlach, ivrogne, etc.
3 Je laisse de côté d'autres rapprochements purement européens
pour les boissons spiritueuses, et je me borne à signaler encore la cor-
rélation du cymr. moy. gwyraut, liqueur (Leg., I, 24), corn, gwiras,
avec le scr. vira, f., boisson enivrante. De part et d'autre, l'idée pre-
mière est celle de force, si l'on compare le cymr. gwyr, vigoureux, et
— 411 —
D) Le breuvage d'immortalité'.
Outre les boissons fermentées à l'usage de l'homme, les an-
ciens Àryas en avaient une à laquelle ils attribuaient une ori-
gine céleste, qui était pour les dieux mêmes une source
d'immortalité, et une des offrandes les plus propres à concilier
leur faveur. Je dois laisser de côté les mythes divers qui se
rattachaient à ce divin breuvage, et dont les traits caractéris-
tiques se retrouvent également chez les Indiens, les Iraniens,
les Grecs et les Germains. Je puis renvoyer pour cela au beau
travail que Kuhn a publié sur ce sujet, et qui fait autant d'hon-
neur à son érudition qu'à sa compréhension juste et profonde
de la poésie des mythes.1 Je ne veux ici que rappeler les quel-
ques analogies de noms qui ont été signalées depuis long-
temps.
Quelle a été dans l'origine la nature de cette boisson mer-
veilleuse ? C'est ce qu'il est difficile de savoir, parce que sa pré-
paration a dû varier à partir de l'époque de la dispersion des
Aryas. Les Indiens tiraient leur sôma de YAsclepias acida,
dont ils mêlaient le suc avec du lait.2 Les Iraniens extrayaient
leur liaoma d'une autre plante grimpante comme la vigne, et
dont les feuilles ressemblaient à celles du jasmin.5 Dans la tra-
ie scr. vira, homme fort, suivant le D. P., de la même racine que
vayas, force, savoir, vi (vayati), mettre en mouvement, pousser, exci-
ter. Cf. virât â, virilité, ainsi que le latin vis, pi., vires, etc.
1 Die Herabkunft des Feuers und des Gôttertranks. Berlin, 1859.
2 Ou, plus tard, suivant le D. P., du Sarcostemma acidum, plante à
suc doux et acidulé, mais qui ne croit qu'au sud du Pendjab, la de-
meure des Indiens védiques. La plante aura été changée par suite des
migrations ultérieures.
3 Kuhn, 1. cit., p. 418. Sôma et haoma, de su, hu, succum expri-
mere, ne signifie proprement que suc exprimé.
Sur le haoma, jaune et blanc, cf. Justi (313) et Haug (Essays^Sd).
— 412 —
dition conservée par le Mahâbhârata, le breuvage d'immor-
talité, V amrta, est obtenu par le barattement de l'océan de
lait, auquel se mêlent les sucs de toute sorte de plantes, sucs
que distille la montagne Mandara mise en feu par la rotation.
Il est donc probable que la liqueur désignée tour à tour par
les noms de sôma et à'amrta se composait, dans le principe, de
quelque suc végétal combiné avec du lait.
Au sanscr. amrta, immortel, correspond le gr. ctfjL^ooToç ou
ctQpoTog, comme @f)0T0ç, mortel, à mrta. De là le nom de l'am-
broisie, a{ibpo(nct, qui serait en sanscrit amrtyâ ou amartyâ,
synonyme de amrta. Un autre équivalent paraît se retrouver
dans le persan amarâ, vin; cf. zend et sanscrit amara, immor-
tel, mot peut-être synonyme de haoma chez les anciens
Iraniens. L'ambroisie, dans Homère et ailleurs, désigne
la substance dont se nourrissaient les dieux, et leur bois-
son était le nectar; mais, d'après Athénée, d'autres y voyaient
un breuvage, et dans la langue sacerdotale, elle désignait
l'eau pure. Il est à remarquer qu'en sanscrit même, suivant
les lexicographes, le nom à* amrta s'applique également à
l'eau, au lait, au beurre clarifié et au riz bouilli, ainsi qu'à la
nourriture en général. Chez les Grecs toutefois, aucune idée
spéciale ne s'attachait à la composition de l'ambroisie et du
nectar, devenus des choses purement mythiques.
Ce nom de la boisson divine ne s'est pas conservé chez les
L'espèce à fleurs jaunes se trouve dans le Gilad, le Mazenderan,
le Shirvân et le Yezd. Ses rameaux noueux et séehés sont piles dans un
mortier, et arrosés d'eau, ce qui produit, d'après le procédé des Parsis
actuels, une liqueur de très-mauvais goût, au dire de Haug, qui en a
goûté. Le Sôma indien devait être fort différent, vu les épithètes lau-
datives que lui donne le Rigvèda, telles que madhu, madhumant,
doux, agréable, mielleux, madya, exhilarant, enivrant, tîvra, fort,
piquant, çukra, çuci, pur, clair, etc.
— 413 —
Scandinaves. Dans les mythes divers qui la concernent, ils y
ont substitué leur miôdur, hydromel, le sanscr. madhu, qui
est aussi une épithète du sôma. Il est appelé quelquefois
ôdhreirir, le breuvage d'inspiration poétique, et ôminnisôl, la
liqueur d'oubli. Tel serait également, suivant Kuhn (1. cit.,
p. 175), la signification propre de vîktcc^ la boisson qui tue le
souvenir des choses terrestres, en le rapportant à vizco,
= scr. naç, vtxvc, vzkooç, nex, etc.
TABLE DES MATIÈRES
DU
TOME DEUXIÈME.
LIVRE TROISIEME.
LA CIVILISATION MATERIELLE DES ANCIENS ARYAS.
Pages.
§ 160. Observations préliminaires 1
CHAPITRE I.
Le genre de vie 4
Section I.
§ 161. La chasse et la pêche ïb.
Section II.
§ 162. La vie pastorale 9
Article I.
§ 163. Le pâtre 10
Article 11.
§ 164. Le bétail et le troupeau 17
— 416 —
Pages.
Article III.
§ 165. Le pâturage 19
Article IV.
§ 166. Les lieux de réunion des troupeaux, l'enclos,
Tétable 23
Article V. — Les produits du troupeau.
§ 167. La chair, la viande 27
§ 168. La peau, le cuir 29
§ 169. La laine 30
§ 170. Le laitage ' 32
A) Le lait et la crème. ......... 33
B) Le beurre et sa préparation 40
Q) La caillebotte et le fromage 45
Article VI.
§ 171. Termes divers empruntés à la vie pastorale. . 48
§ 172. Le troupeau et la richesse 49
§ 173. La vache et la famille. . 55
§ 174. Les vaches et les fleuves 57
§ 175. Le pasteur et le roi 61
§ 176. Le pasteur et l'hospitalité 63
§ 177. La vache et la guerre 68
§ 178. Mesures diverses empruntées à la vie pastorale. 71
§ 179. Les divisions du jour 75
§ 180. La vache et quelques noms de plantes et d'oi-
seaux 81
§ 181. Verbes dérivés du nom de la vache. .... 84
Article VIL
§ 182. Le symbolisme mythique de la vache. . . . . 87
§ 183. La vache et la terre 89
§ 184. Les vaches et les nuages. 93
— 417 —
Pages.
§ 185. Les vaches et les rayons solaires 94
§ 186. Les vaches et les astres, le taureau et le soleil. . 96
Article VIII.
§ 187. Observations 100
Section III.
§ 188. L'agriculture 101
Article I. — Le labourage et ses instruments.
§ 189. Le labourage en général 103
§ 190. La terre et le champ 106
§ 191. Le sillon 110
§ 192. La bêche et la pioche 112
§ 193. La charrue et le soc 117
§ 194. Lejoug "... 126
§ 195. Laherse 129
Article IL
§ 196. Les semailles 131
Article III.
§ 197. La moisson et ses instruments 135
§ 198. La faux, la faucille 138
§ 199. La fourche 140
§ 200. Le char et ses parties 142
A) Le char en général 143
B) La roue 145
Q) Le moyeu 148
D) L'essieu. . 149
E) Le timon 150
Article IV. — La préparation des céréales.
§ 201. Le battage et Taire 153
il 27
— 418 —
Pages.
§ 202. Le van et le crible 155
§ 203. La mouture, le moulin, la meule, la farine, le son. 158
Article V.
§ 204. Résumé et observations 161
CHAPITRE IL
§ 205. Les arts et métiers 165
Section I.
§ 206. Le métier et l'artisan en général 166
Section IL
§ 207. Le travail des bois 169
§ 208. Le charpentier 170
§ 209. La hache 171
§ 210. Le couteau 177
§ 211. La tarière 180
§ 212. Observations sur d'autres outils 181
Section III.
§ 213. Le travail des métaux 183
§ 214. La fusion ïb.
§ 215. La forge et le forgeron 185
§ 216. Le soufflet 189
§ 217. L'enclume 192
§ 218. Le marteau 193
§ 219. Les tenailles 195
§ 220. La lime 196.
§ 221. Observations 197
Section IV.
§ 222. Les constructions 199
Section V.
§ 223. Le travail des étoffes 203
— 419 —
Pages.
Article I.
§ 224. Le filage 204
§ 225. La quenouille et le fuseau 212
§ 226. Les produits du filage, le fil, la corde 215
Article IL
§ 227. Le tissage 219
§ 228. Le métier à tisser 226
§ 229. La chaîne et la trame 229
§ 230. Les produits du tissage • . . 231
Article III.
§ 231. La couture 232
Section VI.
§ 232. La navigation 234
§ 233. Le bateau 235
§ 234. La rame et le gouvernail 240
§ 235. L'ancre 244
§ 236. Observations 245
Section VIL
§ 237. La guerre et les armes 246
Article I.
§ 238. La guerre en général, le combat, l'armée. . . ib.
§ 239. La guerre des sièges, le rempart, la forteresse. 252
§ 240. Le guerrier, le héros 254
§ 241. L'espion. 258
§ 242. L'ennemi 259
§ 243. Le butin 263
§ 244. La gloire. 265
Article IL
§ 245. Les armes et les insignes de guerre 266
— 420 —
Pages.
§ 246. La lance, la pique, le javelot. 268
§ 247. La flèche 272
§ 248. L'arc 276
§ 249. La corde de l'arc 280
§ 250. Le carquois 282
§ 251. L'épée, le sabre, le poignard 285
§ 252. La massue -288
§ 253. Le bouclier 289
§ 254. L'armure 292
§ 255. Le casque 295
§ 256. Le drapeau, l'enseigne 296
§ 257. La trompette de guerre 300
§ 258. Observations 302
CHAPITRE III.
§ 259. Les produits de l'industrie 304
Section I.
§ 260. Les habitations ib.
Article I.
§ 261. La maison en général 305
§ 262. Le mur, la paroi 315
§ 263. Le toit 317
§ 264. La porte et ses parties 321
A) La porte en général ib.
B) Le gond 323
Cj La fermeture de la porte 324
DJ Le seuil 327
§ 265. La fenêtre ib.
Article IL — L'intérieur de la maison.
§ 266. La chambre 328
— 421 —
Pages.
§ 267. La cuisine 331
§ 268. Le foyer, le four, la cheminée 334
Article III. — Les abords de la maison.
§ 269. La cour 340
§ 270. Le puits, la citerne. . m 343
Article IV. — Les meubles et ustensiles déménage.
§ 271. Le lit 346
§ 272. Le siège , la chaise et le banc 350
§ 273. La table 351
§ 274. Récipients divers, caisse, tonneau, panier, sac, et
vases de toute espèce 352
§ 275. Note sur Pemploi du verre 365
§ 276. Ustensiles domestiques divers 367
A) Le balai ib.
BJ Le tamis, le filtre 369
Ç) La lampe 371
DJ La cuiller 372
Article V.
§ 277. Le village et la ville 372
§ 278. Rues, routes, ponts 376
§ 279. Conduites d'eau, canaux, aqueducs, etc. . . 379
Section IL
§ 280. Vêtements et ornements 380
§ 281. Les vêtements du corps 381
§ 282. La chaussure 387
§ 283. La coiffure 391
§ 284. Ornements divers, colliers, bracelets, anneaux. 393
Section III.
§ 285. Aliments et boissons 397
§ 286. Le pain et autres préparations de céréales. . . 398
— 422 —
Pages.
§ 287. La soupe et le bouillon 403
§ 288. Les boissons fermentées 406
A) Le vin . 407
B) L'hydromel 409
CJ La bière, etc ib.
DJ Le breuvage d'immortalité. . . . . . 411
FIN DE LA TABLE DES MATIERES
DU TOME DEUXIÈME.
La Blbtiotkiqud
Université d'Ottawa
Echéance
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Uni vers ity of Ottawa
Date Due
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