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Full text of "Le mystère de la Passion en France du XIVe au XVIe siècle : étude sur les sources et le classement des mystères de la Passion ; accompagnée de textes inédits.."

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University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/lemystredelapa02roy 


REVUE 

BOURGUIGNONNE 


■l'BLIKK    l'Ait 


L'UNIVERSITÉ  DE  DIJON 


REVUE    BOURGUIGNONNE 


l'I   lU.IKK    I'  \l< 


UNIVERSITE  DE  DIJON 

19m.  -  TOME  XIV.  —  V  3-4 


LE 


MYSTÈRE  DE  LÀ  PASSION  EN  FRANCE 

III    XIV"  AU  \VI'-  SIÈCLE 


ÉTUDE  SU!  LES  SOURCES  ET  [.H  CLASSEMENT  DES  MYSTÈEES  DE  LA  PASSION' 

Accompagnée  de  textes  inédits 

l'Ail 

Emile  ROY 

Professeur  à  lTniversilé  de  Dijon 


DEUXIEME   PARTIE 


LIBRAIRES   DÉPOSITAIRES    DE    LA   REVUE 

DIJON 

DAMIDOT  Frères,  rue  des  Forges  l  Félix  KF.V,  rue  de  la  Liberté,  2t> 


NOURRY,  place  St-Etienne 


\  ENOT.  place  d'Armes 


PARIS 


II.  CHAMPION,  librairie  spéciale  pour  l'histoire  de  la  France 
et  île  ses  anciennes  provinces,  '.*,  quai  Voltaire. 

A.  ROUSSEAU,  rue  souflloi,  14 


Prix  exceptionnel  de  ce  numéro  :  6  fr. 


NBUOTHtCA 
Ottav\«oS^* 


II 


LA  THÉOLOGIE 


DÉVELOPPEMENT  DU  MYSTÈRE  DE  LA  PASSION 


AU    XVe    SIECLE 


LES 

SOURCES  DES  PASSIONS  DU  XV-  SIÈCLE 


C'est  au  xv  siècle  que  les  mystères  de  la  Passion  ont  acquis  tout 
leur  développement.  Aux  compilations  de  pièces  détachées  succè- 
dent les  pièces  d'une  seule  teneur  et  d'un  seul  auteur,  et  pour  la 
bourgeoisie  plus  riche  les  poètes  se  mettent  plus  en  frais.  Nous 
avons  dit  comment  ces  grandes  Passions  dramatiques  se  reliaient 
à  la  Passion  de  Semur.  Reste  à  voir  en  quoi  elles  en  diffèrent  et. 
ce  que  les  nouveaux  dramaturges  apportent  de  nouveau.  Cette 
étude  peut  se  ramener  à  deux  propositions. 

i°  De  même  que  la  Passion  de  Semur  dérive  de  la  Passion 
Sainte-Geneviève,  ainsi  toutes  les  grandes  Passions  du  Nord,  sauf 
une,  dérivent  de  la  Passion  d'Arras.  A  vrai  dire,  cette  démonstra- 
tion est  surtout  importante  pour  la  Passion  de  Greban,  mais  elle 
ne  donnerait  aucune  sécurité  si  elle  se  bornait  à  relever  de  vagues 
ressemblances  de  plans,  de  situations,  et  même  d'expressions. 
Elle  ne  peut  ressortir  que  d'épisodes  particuliers,  de  détails  pré- 
cis, absolument  étrangers  à  l'histoire  sainte.  Nous  admettrons  pro- 
visoirement que  Greban  a  lu  et  imité  la  Passion  d'Arras,  quitte  à 
en  donner  la  preuve  matérielle  plus  loin. 

2°  Dans  toutes  ces  Passions  du  xve  siècle  ce  qui  domine  c'est  la 
théologie  et  l'érudition.  Si  l'on  peut  indiquer  exactement  les  sour- 
ces théologiques  et  livresques  de  la  Passion  d'Arras  et  des  pièces 
de  Greban  et  de  J.  Michel  pour  des  épisodes  déterminés,  dont  les 
origines  sont  actuellement  reconstituées  par  hypothèse  à  l'aide  de 
rapprochements  avec  «  les  Passions  allemandes  du  Rhin  »,  ces 
hypothèses  deviendront  inutiles.  Or  la  Passion  de  Greban  repose 
en  partie  sur  les  mêmes  textes  que  celle  d'Arras,  qui  est  très  pro- 
bablement l'œuvre  d'un  poète  connu,  Eustache  Mercadé,  mort,  au 
commencement  de  l'année  i44°»  doyen  de  la  Faculté  de  décret  île 


Paris,  et  clic  utilise  par  surcroit  un  commentaire  théologique  nou- 
veau. Pour  abréger  on  peut  donc  se  borner  à  énumérer  les  sources 
de  Greban,  en  indiquant  sur  quels  points  il  se  sépare  de  son  de- 
vancier. 

A  ces  commentaires  théologiques  il  convient  d'ajouter  l'influence 
du  dialogue  apocryphe  de  Saint  Anselme  et  des  Meditationes 
Vitae  Christi  qui  a  déjà  été  déterminée  par  des  citations  précises 
pour  toutes  les  Passions '.  Nous  n'y  reviendrons  que  pour  deux 
scènes  de  Greban,  les  plus  connues  de  son  drame  et  qui  suffiront  à 
rappeler  la  complexité  de  cette  imitation.  La  première  de  ces  scè- 
nes (l'apparition  de  Jésus  à  sa  mère  après  la  Résurrection)  n'est 
qu'une  réminiscence  ou  une  imitation  très  vague,  mais  d'autant 
plus  curieuse  qu'elle  montre  comment  Greban  peut  rester  l'obligé 
du  pseudo-Bonaventure,  alors  même  qu'il  le  cite  de  mémoire  ou 
indirectement.  La  seconde  (les  quatre  requêtes  de  la  Vierge)  est 
au  contraire  une  imitation  très  précise,  une  traduction.  Elle  nous 
donnera  l'occasion  de  classer  les  traductions  et  imitations  fran- 
çaises des  Meditationes  et  de  relier  le  théâtre  du  Nord  à  celui  du 
Midi  à  l'aide  d'une  de  ces  imitations,  la  Passion  française  de 
i398. 

Ainsi,  avant  toute  discussion  sur  le  développement  du  mystère 
de  la  Passion  au  xv"  siècle,  nous  allons  d'abord  énumérer  les  sour- 
ces et  les  textes  à  commenter. 

i.  P.  92  à  99  de  ce  livre. 


LA 


PASSION  D'ARNOUL  GREBAN 


PASTILLES  DE  NICOLAS  DE  LIRE 


LA 

PASSION   D'ARNOUL  GREBAN 

ET    LES 

POSTULES  DE  NICOLAS  DE  LIRE 


La  Passion  d'Arnoul  Greban  n'est  autre  chose  que  la  Passion 
d'Arras  (éd.  J.-M.  Richard.  Paris.  Picard.  1893).  refaite  à  l'aide  : 

i°  Des  Evangiles  : 

20  Du  commentaire  de  Nicolas  de  Lire  sur  ces  Evangiles; 

3°  Du  récit  de  la  Passion  en  prose,  composé  en  1398  pour  la 
reine  Isabeau  de  Bavière. 

La  part  des  emprunts  faits  par  Greban  à  d'autres  livres  {Somme 
de  saint  Thomas  d'Aquin.  Légende  dorée,  Histoire  scholas- 
li'/ue,  etc.)  est  insignifiante. 

On  s'est  borné  à  indiquer  les  premiers  vers  des  principaux  pas- 
sages de  la  Passion  de  Greban  (éd.  G.  Paris  et  G.  Raynaud.  Paris, 
Yieweg,  1878)  directement  tirés  du  commentaire  de  Nicolas  de 
Lire.  Les  chiffres  renvoient  à  l'édition  suivante,  désignée  en 
abrégé  par  X.  L. 

Biblia  sacra  j  cum  |  glossa  ordinaria  :  |  et  Postilla  Nicolai  Lirani 
Franciscani  nec  non  |  Additionibus  Pauli  Burgensis  Episcopi  |  opéra  et 
studio  Theologorura  Duacensium  |  Tomus  Quinlus  |  Antverpiae  apud 
Joannem  Meursium.  I  anno  M. DC. XXXIV.  in-folio. 


1.  -  PROCÈS  DE  JUSTICE  ET  DE  MISÉRICORDE 
{Passion  d'Arras,  pages  ia-i5  > 

Greban  a  emprunté  ce  procès,  p.  29-43,  à  la  Passion  d'Arras;  il  l'a 
complété  par  deux  emprunts  à  la  Somme  de  saint  Thomas  d'Aquin. 

1  Summa  P.  I.  Q.  LXIV.  Art.  II.  éd.  Migne,  p.  990  :  t  L'trum  volunt&s 
daemonum  ait  obstinata  in  malo.  » 

Gkeban,  p.  35,  v.  2620  et  sq.  Comparaison  de  l'homme  et  des  démons. 


208  LA    PASSION 

2°  Summa  P.  III.  Q.  III.  Art.  VIII,  p.  54  :  «  Utrum  fuerit  magis  conve- 
niens  quod  persona  Filii  assumeret  humanam  naturam  quam  alia  persona 
divina.  » 

Greban,  p.  40.  A  quelle  personne  est  mieulx  deue 
Ceste  incarnacion  emprendre 
Se  le  Père  ou  Filz  la  doit  prendre  (v.  3100-3260). 


2.  —   LES  VŒUX  DES  DEUX  ÉPOUX,  JOSEPH  ET  MARIE 
(Matth.  I,  iS.  «  De  spiritu  sancto.  ») 

Nicolas  de  Lire,  p.  44.  —  t  Dicendum  quod  modus  erat  justorum  non 
perficere  matrimonium  per  carnalem  copulam  nisi  prius  vacarent  ora- 
tioni  per  aliquod  tempus  implorando  misericordiam  divinam,  ut  patet 
Tobiae  8.  Et  tune  creditur  revelatum  esseipsi  Joseph  propositum  Mariae 
de  observanda  virginitate.  Licet  enim  cogeretur  ad  matrimonium  con- 
trahendum  secundum  temporis  illius  modum,  propter  rationes  praedictas, 
tamen  habebat  virginatatem  in  desiderio  et  proposito,  sed  votam  non 
expressit.  Contraxit  igitur  matrimonium  committens  se  divinae  volun- 
tati,  et  tune  ex  revelatione  divina  creditur  quod  Joseph  cognovit  pro- 
positum Mariae  et  tune  ex  communi  consensu  voverunt  virginitatem, 
quia  ut  creditur  Joseph  adhuc  virgo  erat.  » 


Greban,  p.  43-46,  vers  3395-3590  —  ;  p.  44,  vers  3407.  —  Joseph 


Or  savez-vous,  notable  dame, 

Que  la  loy  baille  par  usage, 

Quand  deuz  gens  viennent  en  mesnage 

Avant  qu'ils  conviengnent  ensemble, 

Doyvent  vacquer,  comme  il  me  sarnble, 

En  oroyson  ung  certain  temps 


3.  -  LE  VOYAGE  A  BETHLÉEM 

(Luc.  II,  p.  ~j-  «  Et  reclinavit  eum  in  praesepio.  ») 

N.  L.,  p.  709.  —  «  Joseph  enim  in  illo  itinere  adduxerat  secum  asinum 
ad  portandum  uxorem  praegnantem  etbovem  advendendum  in  Bethléem 
ubi  erat  congregatio  populi  magna,  ut  de  precio  solveret  expensas  in  via, 


d'aRNOUL  GRE  BAN  2    9 

et  illis  duobus  animalibus  fecit  praesepium  juxta  se,  in  quo  beata  virgo 
reclinavit  filium  natum,  secundum  quod  fuerat  predictum  Habacuch  3, 
secundum  translationem  LXX,  quatn  sequitur  officium  ecclesiasticum  : 
«  Domine,  audivi  auditurn  tuum  et  timui.  Consideravi  opéra  tua  et  expavi, 
in  medio  duorum  animalium.  » 

(Luc.  II,  7.  «  Quia  non  crut  eis  loctis  in  diversorio.  ») 
N.  L.,  p.  709.    —  «  Est  enini  diversorium  hospitalaria  ad  quam  diver- 
tunt  venientes  ab  extra.  Joseph  erat  de  nobili  génère,  non  tamen  erat  de 
divitibus.  » 

Greban,  p.  56,  v.  4395  et  sq  —  ;  it  v.  5421.  —  Joseph  : 

Chère  espeuze,  puisqu'ainsi  est, 
Mener  nostre  asne  convendra 

Pour  vous  porter  quand  la  vendra 

Et  pour  ce  que  nous  n'avons  pas 

Tant  d'argent  qu'il  nous  fault  despendre, 

Nous  preurons  ce  beuf  cy  pour  vendre 


4.  —  LA  NAISSANCE  DE  JÉSUS 

Rejet  par  Greban  de  la  légende  de  Salomé  et  Zebel  suivie  dans 

la  Passion  d'Arras. 

[Luc.  II,  7    «  Et  pannis  eum  involvit.  »> 

.Y.  L.,  p.  709  :  «  Per  se  ipsam.  Ex  hoc  patet  falsitas  quae  scribitur  in 
libro  de  lnjantia  Salcatoris,  scilicet  ipsam  obstetrices  habuisse  inpartu, 
quae  non  requiruntur  nisi  propter  afflictionem  matris  in  partu,  quae  non 
habuit  locum  in  virgine,  quia  peperit  sine  dolore,  imo  cum  maximo 
gaudio.  » 

Greban,  p.  64,  v.  49JS0  et  sq.  —  Makie  : 

Yirginalmcnt  t'ay  enffanté  sans  peine,  etc. 


5.  —  LA  CIRCONCISION 

Tout  le  début  de  la  scène  de  la  Passion  d'Arras.  p.  29,  v.  2483-2539, 
est  traduit  presque  littéralement  de  la  Somme  de  saint  Thomas  d'Aquin 
(P.  III,  Q.  XXXVII,  éd.  Migne,  1.  IV,  p.  537). 

14 


210  LA    PASSION 

Greban  a  supprimé  ce  début  et  développé,  p.  75-76.  une  «  opinion  » 
qui  est  encore  mentionnée  plus  tard  par  Suarez,  Comm.  in  III.  p.  D. 
Thomae,  bisp.  XV,  Sect.  I  (Paris,  Vives,  t.  XIX,  p.  253)  :  «  Josephus, 
ut  aliqui  volunt,  circumcisionis  etiam  ipse  minister  fuit.  » 


6.   —    L'ETOILE    DES    MAGES 

(Matth.  II,  9.  «  Et  ecce  Stella...  ») 

N.  L.,  p.  62.  —  «  Ex  praedictis  patet  quod  illa  Stella  non  erat  de  stellis 
existentibus  in  orbe,  nec  de  stellis  cometis  quae  aliquando  apparent  in 
suprema  aeris  parte,  quia  illae  lucent  tantum  de  nocte,  ista  autem  de 
die.  Item  ex  motu  quia  illae  revolvuntur  secundum  motum  mobilis  primi 
in  die  naturalis,  ista  autem  movebatur  secundum  quod  expediebat  Mago- 
rum  itinerationi.  unde  in  tredecim  diebus  non  est  mota,  nisi  a  terra  in 
qua  babitabant  Magi  usque  ad  civitatem  Bethléem.  Tertio  hoc  apparet 
ex  situ,  quia  si  fuisset  sita  in  orbe  seu  etiam  in  suprema  aeris  parte,  ubi 
generantur  cometae,  non  potuisset  determinatum  locum  ubi  erat  puer 
ostendere,  et  ideo  patet  quod  erat  in  propinqua  aeris  parte.  » 


Greban,  p.  67,   v.  5255  et  sq.  ;  item,  p.  79,  v.  6129;  it.,  p.  83,  v.  6480 
et  sq.  ;  p.  67,  v.  5254.  —  Jaspar  : 

Cette  estoille  que  j'apperçoy 
Dessoubz  le  cerne  de  la  lune  ; 
Ce  n'est  pas  estoille  commune, 
Car  les  autres  de  commun  cour 
Luysent  de  nuyt  non  point  de  jour 


7.  —  L'ÉTOILE  DES  MAGES  (suite). 

(Matth.  II,  i3.  «  Qui  cum  recessissent.  —  Del'uncto  Herode.  v) 

N.  L.,  p.  64.  —  «  Ad  cujus  intellectuni  notandum  quod  Ilerodes  credi- 
dit  primo  Magos  fuisse  delusos  ea  apparitione  stellae  phantasticae,  et 
ideo  non  curavit  tune  de  pueri  inquisitione,  sed  postea  oblato  puero  in 
trinplo  et  a  Simeone  justo  praedicato  et  manifestato  et  similiter  ab  Anna 
prophetissa  coram  toto  populo  ut  habetur  Luc  2  c.  Sed  Matthaeus  illud 
demittit.  Tune  fama  pueri  crescente,  voluit  Herodes  ipsum  perdere,  sed 
iterum  portatus  est  per  Joseph  in  Aegyplum.  » 


d'arnodl  greban  21 1 

Greban.  p.  89.  Herode-Hermogenes,  v.  6948-6967.  —  Hermogenes  : 

Je  double,  sire,  qu'ilz  ne  soient 

Deceus  de  leur  advision, 

Et  n'estoit  qu'une  illusion 

De  leur  estelle  et  de  leur  compte. 

Item,  7209-7280,  p.  9:3.  —  Herode,  v.  7227  : 

De  paour  que  ne  feussious  surpris 
De  quelque  folle  fantaisie. 


8.  —  LE  RETOUR  DES  MAGES  PAR  MER 
(Addition  à  la  «  Passion  »  d'Arras.) 

(Matth.  II.  12.  «  Per  aliara  viam.  ») 

N.  L.,  p.  63.  —  «  Peracto  scilicet  obsequio  ;  quia  descenderunt  ad 
mare,  et  inde  per  navem  transfretantem  in  Tharsis  abierunt  ;  propter 
quod  Herodes  iratus  postea  naves  Tharsensium  incendit,  secundum 
quod  fuerat  prophetatum  per  David  :  «  In  spiritu  vehementi  eonteret 
naves  Tharsis.  » 

Greban,  p.  87-88;  p.  88,  v.  6835.  —  Le  Matelot  : 
Nous  serons  en  Thars»'  singles. 


9.  -  LE  MASSACRE  DES  INNOCENTS  «  A  BIMATU  » 
au  retour  du  voyage  d'Hérode  à  Rome,  voyage  qui  dure  deux  ans. 

(Matth.  II,  n.  «  Tune  Herodes  videns.  » 

N.  L.,  p.  65-66.  —  «  Hic  ponitur  ipsa  persecutio.  Herodes  videns  se 
esse  illusum  a  inagis  ppr  famam  pueri  crescentem  iniratus  est  valde, 
timens  principatum  suum  perdere,  et  ideo  tune  occasione  ipsius  voluit 
oinnes  pueros  de  Bethléem  interficere  ne  puer  sibi  incognitus  evaderet, 
sed  fuit  impeditus  ab  exequutione  hujus  facti  quia  otatus  est  ad  euriam 
Homanam  ad  petitionem  suorum  tiliorum  ipsum  accusantiuin,  et  ideo 
non  fuit  ausus  tune  pueros  interficere,  ne  cum  aliis  facinoribus  suis 
accusaretur  de  tanta  crudelitate.  Eundo  autem  Romani,  et  remanendo  in 
caria,  et  redeundo  in  Judaea  apposuit  annum  et  plus,  et  ideo,  fere  post 
duos  annos  ad  regnum  reversus,  et  in  regno  confirmatus,  quia  senten- 
tiam  pro  se  contra  tilios  habebat,  tune  adimplevit  de  nece  puerorum 
quod  prius  conceperat,  et  hoc  est  quod  dicit.  » 


212  LA    PASSION 

Greban,  p.  92-94-97-98  ;  p.  93,  v.  7264.  —  Hérode 

A  Rom  me  nous  fault  comparoir 
Pour  raison  et  justice  avoir 
De  nos  filz. 

P.  97.  v.  7530.  —  Hérode  : 

Or  avons  contirmacion 

En  nostre  royalme  haultain 

De  par  l'imperateur  romain. 


10.  —  LA  FUITE  EN  EGYPTE, 
la  légende  du  palmier  et  de  la  chute  des  idoles. 

Episodes  tirés  par  la  Passion  d'Arras,  p.  56-57,  de  la  Légende  dorée 
(Saints  Innocents). 

Greban,  p.  96,  rejette  la  première  légende  ef  conserve  la  deuxième 
qui  s'appuie  sur  une  interprétation  ancienne  d'un  verset  d'Isaïe(XIX,  1). 


11.  —  UN  DES  FILS  D'HÉRODE  TUÉ  PAR  MÉGARDE  AVEC  LES 
SAINTS  INNOCENTS. 

Cet  épisode  de  la  Passion  d'Arras,  p.  57,  60-62,  est  emprunté  à  la 
Légende  dorée  (les  Saints  Innocents). 

Greban,  p.  101-102,  s'est  contenté  d'abréger  la  version  du  poète 
d'Arras. 

12.  —  LE  TESTAMENT  D  HÉRODE. 
(Matth.  II,  22.  «  Audiens  autem.  ») 

N.  L.,  p.  67.  —  Ad  evidenliam  hujus  notandum,  secundum  quod  refert 
Josephus  Antiquit.  17.  ca.  10,  Herodes  moriens  condidit  testamentum  in 
<]uo  ordinavit  Arcbelaum  lilium  regni  sui  successorem,  ita  tamen  quod 
coronam  sibi  non  imponeret,  nisi  per  Romanum  imperatorem  ad  acci- 
piendum  igitur  diadema  venit  Iiomam,  sed  et  fratres  ejus,  Philippus  et 
Herodes  illuc  venerunt  petentes  pateraœ  hœreditatis  partem. 


Greban,  p.  102-103;  p.  102,  v.  7915.  Hérode  : 

Ja  ne  vendront  a  nostre  règne  : 
Nous  le  mettons  en  mains  du  jesne 
Voire,  mes  par  condicion 


d'arnoui.  greban  213 

Que  jamès  par  presumpcion 

Ne  se  face  couronner  d'homme 

Se  n'est  par  l'empereur  de  Romme. 


13.  —  LA  MORT  D'HÉRODE  SE  TUANT  D'UN  COUTEAU. 

Le  poète  d'Arras  a  tiré  cette  scène  (p.  63-65)  de  la  Légende  dorée 
(les  Saints  Innocents). 

Greban  l'a  complétée  par  un  nouvel  emprunt  à  la  Légende  dorée,  ibi- 
dem, où  il  a  pris  le  rôle  de  Salomé,  p.  103,  v.  7938-7970. 


14.  -  LES  FÊTES  DE  PAQUES  : 
Jésus  perdu  par  ses  parents  ;à  Jérusalem. 

(Luc.  II,  43.  «  Et  non...  ») 

N.  L.,  p.  724.  —  «  Ad  solennitatem  vero  Pascha  viri  ibant  seorsum 
a  mulieribus  in  uno  comitatu  et  mulieres  in  alio  et  simititer  rever- 
tebantur  ut  magis  religiose  solemnisarent  festum  ab  uxoribus  conti- 
nentes, sicut  et  in  datione  legis  preceptum  fuit  quod  continereni  per 
très  dies  ab  uxoribus  se,  prout  habetur  Exo  19.  Pueri  autem  indifferenter 
poterant  ire  in  comitatu  virorum  aut  mulierum,  et  ideo  Joseph  quando 
non  vidit  puerum  Jesum  in  comitatu  virorum  existimavit  eum  esse  cum 
Maria  in  comitatu  mulierum,  et  eodem  modo  Maria  credidit  eum  esse  in 
comitatu  virorum.  » 

Greban,  p.  104-129  ,  p.  109.  v.  8032  et  sq.  perte  de  Jésus  ;  p.  195,  v. 
8084.  Eliachin  : 

Mes  dames,  cheminez  en  voye, 
Tirés  vous  a  part,  s'il  vous  plest  ; 
Vous  savez  que  la  coutume  est, 
Et  la  loy  fait  enseignement 
Que  pour  aller  plus  chastement 
A  ceste  souveraine  feste 
Et  mener  vie  plus  honneste, 
Les  femmes  par  elles  s'en  vont 
Et  les  hommes  d'autre  part  sont 
Sans  aller  en  leur  compaignie. 


214  LA   PASSION 

15.  -    DISCUSSION    DE  JÉSUS  AVEC  LES  DOCTEURS  DU  TEMPLE 
A  L'EFFET  DE  SAVOIR  SI  CHRISTUS  EST  DÉJÀ  NÉ. 

Greban,  p.  109-118,  123-129. 

Les  principaux  arguments  de  cette  discussion  sont  énumérés  par  X. 
de  Lire,  p.  57  in  Matth.,  II,  1.  «  In  diebus  Herodis  régis  »;  p.  81,  in 
Matth.  IV,  1.  «  Et  accedens  tentator  »  ;  et  surtout  p.  711,  in  Luc.  II,  12. 
«  Et  hoc  vobis  signum  ».  —  Aux  princes  nés  dans  l'obscurité,  Moïse  et 
Cyrus.  figures  du  Christ  citées  par  N.  de  Lire,  Greban  a  substitué 
(p.  111)  des  noms  plus  connus,  Romulus  et  Rémus,  et  Alexandre,  pro- 
bablement d'après  le  Spec.  historicum  de  Vincent  de  Beauvais,  1.  II, 
cap.  96  et  1.  IV,  cap.  i-v,  mais  il  a  usé  du  même  raisonnement  que 
N.  de  L.  

16.  —  L'AGE  DE  JÉSUS  QUAND  IL  VA  SE  FAIRE  BAPTISER 

PAR  JEHAN  BAPTISTE. 

(Matth.  cap.  III,  i  :  «  In  diebus  autem  illis.») 

N.  L.,  p.  70.  —  «  In  diebus  Christi.  Nec  est  hoc  référendum  ad  dies 
Christi  prodictos  immédiate,  scilicet  ad  dies  pueritie,  quando  fuit  repor- 
tatus  de  yEgypto,  tum  enim  erat  in  quinto  anno  a  sua  nativitate.  sed 
référendum  est  ad  dies  Christi,  quando  fuit  aetatis  perfectae.  Erat  enim 
incipiens  trigesimum  annum  quando  venit  ad  baptismum  de  quo  hic 
agitur.  » 

Greban,  Seconde  Journée,   p.  134  :  Jhesus,  homme,  v.  10281  : 

Ma  mère,  vous  entenderez, 

S'il  vous  plaist,  mon  intencion  : 

J'ay  attaint  la  perfection 

D'aage  d'homme,  a  ce  que  je  vois, 

Car  sur  mon  an  trentième  vois. 


17.  —  LES  CONSEILS  TENUS  PAR  LES  DIABLES  AU  SUJET 

DE  LA  DIVINITÉ  DU  CHRIST 

(Matth.  IV,  i.  «  Et  accedens  tentator.  ») 

A".  /,.,  p.  82.  —  «  Ad  evidentiam  bujus  tentationis  advertendum  quod 
diabolus  sciebat  praedictum  per  prophetas  quod  Christus  futurus  erat 
virus  bomo  et  verus  Dcus...  'suivent  ces  prophéties^,  sed  nesciebat  cer- 


D  ARNOUL   GREBAN  'J  I .  > 

titudinaliter  quod  Jésus  Nazarenus  esset  ipse  Christus  de  quo  talia  fue- 
rant  dicta.  Verum  ta  mer  propter  eminentiam  sanctitatis  ejus  et  propter 
completionem  temporis  Christi  adventus  habebat  quamdam  conjectura  m 
quod  ipse  esset  vere  Cbristus,  et  ideo  de  hoc  voluit  experimentam  acci- 
pere  per  tentationcm.  » 


Greban,  2e  journée,  p.  137-138.  —  Sathan  : 

Et  me  doubte  d'une  aultre  somme 
Qu'il  ne  soit  Dieu  en  forme  d'homme, 
Veue  la  sainteté  qu'il  tient  (v.  10508). 

It.,  3e  journée,  p.  305,  v.  23310  et  sq. 


18.  —  LE  JEUNE  DE  QUARANTE  JOURS 
(Matth.  IV.  a.  «  Quadraginta  diebus.  ») 

N.  L.,  p.  81.  —  Non  ultra  transiit,  ut   virtus  divinitatis  diabolo  cela- 
retur,  quia  Moyses  et  Elias  jejunaverunt  tôt  diebus.  » 


Greban,  p.  136.  —  Jhesus  : 

Si  jeuneray  la  quarantaine 

Comme  fit  le  prophète  Helie  (v.  10447). 


19.  —  LES  VOCATIONS  DES  APOTRES 

Réunies  en  un  seul  épisode  dans  la  Passion  d'Arras,  p.  87-<S8. 
Développées  par  Greban,  p.  142-145,  qui  intercale  dans  un  long  mono- 
logue la  légende  de  Judas,  d'après  la  Légende  dorée. 


20.  -  HÉRODE,  HÉRODIADE  ET  JEAN-BAPTISTE 
Subterfuge  de  la  reine  et  tristesse  simulée  du  roi  qui  s'est  entendu 

avec  elle. 
(Matth.  XIV.  (i.  «  Saltavit  filia  Berodiadis.  ») 

N.  L.,  p.  252.  —  «  Id  est  tripudiavit  et  hoc  fuit  ex  dispositione  matris 
et  ipsius  Herodis.  » 


216  LA   PASSION 

(Matth.  XIV,  9.  «  Et  contristatus  est  rex.  ») 
A.  L..  p.  253.  —  «  Hoc  tantum  fuit  secundum  apparentiam  ad  repri- 
mendum  populi  seditionem.  Quod  patet  primo,  quia  voluit  eum  primo 
occidere,  sed  retardatus  fuit  tantum  ex  populi  timoré.  Secundo  quia  si 
vellet  eum  vivere,  non  interfecisset  eum  propter  juramentum,  quia  in 
promissione  facta  in  generali  etiam  eum  juramento  non  intelligitur  ali— 
quid  illicitum  sub  obligatione  cadere  cujus  modi  erat  interfectio  Joannis. 
Tertio  quia  non  est  verisimile  quod  propter  saltationem  unius  puellae 
promisisset  sub  juramento  etiam  medietatem  regni  sui  dare,  ut  habetur 
Marc.  6.  Et  ideo  credendum  est  quod  totum  fuit  fictitium  ut  haberet  occa- 
sionem  apparentem  interliciendi  Joannem.  Ita  enim  ardebat  libidine  in 
Herodiadem  quod  voluit  fingere  tantam  malitiam.  Et  ideo  quod  sequitur. 
Et  contristatus  est  rex  propter  jusjur,  totum  est  intelligendum  secun- 
dum apparentiam,  ad  reprimendum  populi  seditionem.  Et  eodem  modo 
exponendum  est  de  ista  materia  quod  dicitur  Mare.  6.  » 

(Marc.  VI,  20.  '<  Et  libenter  eum  audiebat.  ») 

N.  L.,  p.  544.  —  «  Totum  istud  erat  simulatorium,  etc Hanc  sen- 

tentiam  tenet  Beda  super  locum  islum  et  quod  subditur.  » 


Le  poète  d'Arras  avait  dépeint  Hérode  sincèrement  «  attristé  »  ;  p.  85, 
v.  7225  ;  Greban  suit  la  version  de  N.  de  Lire. 
Greban,  p.  156-160,  v.  11985-1229.  —  Herode  : 

....  Je  craings,  se  je  traictoie 

Son  mal,  ou  a  mort  le  mettoye, 

Qu'il  n'en  sourdist  sédition,  (v.  12000). 


HERODIADE 

Sire  roy,  j'avoie  songé 

Ung  moien  assés  convenable  : 

Que  tantost  que  serez  a  table, 

Ma  fille  qui  est  bien  mobille 

Venist  faire  un  esbatement. 

Et  lors,  quand  l'esbat  ara  fait, 

Ainsi  comme  ignorant  du  fait, 

Vous  la  mettrez  a  l'abandon 

De  vous  demander  quelque  don...  etc.  (v.  12025). 


d'arnoui,  greban  217 

21.  -  LA  FEMME  ADULTÈRE 
(Joann.  VIII,  t>.  «  Il<><-  autem  dicebant  tentantes  eum.  ») 

N.  L..  p.  1144.  —  «  Ad  capiendum  ipsuni  ex  responsione,  ut  possent 
aceusare  eum.  Videbant  enim  tantam  ejus  mansuetudinem  et  misericor- 
diam,  quod  probabiliter  credebant  eum  indicare  ipsam  dimitti,  et  sic 
accusaretur  ab  eis  ut  trangressor  legis,  propter  quod  reduxeruut  legem 
ad  memoriam  ne  posset  excusari  per  legis  oblivionem.  Si  autem  a  con- 
trario diceret  eam  lapidandam,  videretur  dicere  contra  alia  sua  dicta  et 
facta  quae  erant  de  pietate  et  inisericordia.  » 


Greban,  p.  177.  v.  136G5.  —  Naasox  : 

S'il  dist  qu'elle  a  mort  desservye 
Ou  doit  souffrir  lapidement. 
Il  se  desdit  et  se  desment  : 
Car  en  ses  sermons  ne  recorde 
Que  doulceur  et  miséricorde. 


22.  —  LA  FEMME  ADULTÈRE  (Suite.) 

(Joann.  VIII.  io.  «  Erigens  autem.  \> 

N.  D.,  p.  1144.  —  «  Circa  primum  sciendum  quod  suam  sententiam 
secundum  modum  judicialem  primo  scripsit,  postea  protulit,  boc  est  quod 
dicitur.  Jésus  autem  inclinans  se  deorsum  digito  scribebat  illud  quod 
postea  protulit  ad  majore  m  certitudinem.  » 

(Joann.  VIII,  S.  «  Et  iterum  inclinans  se,  ») 

N.  L.  —  «  Dicunt  aliqui  quod  scribebat  idem  quod  prius  ad  ostenden- 
dum  majorem  firmitatem  sententiae.  Alii  dicunt,  et  melius  ut  videtur, 
quod  scribebat  eorum  peccata  ut  eos  ostenderet  ineptos  ad  accusationem 
bujus  foeminae.  » 

Greban.  p.  177  à  17!),  v.  I:5(i75-13756. 


2:\.  -  LE  REPAS  CHEZ  SIMON  LE  PHARISIEN  ET  LA  FEMME 
PÉCHERESSE. 

Dans  la  Passion  d'Arias,  la   scène  décrite   dans   YErangile  de  Sainl 
Luc,  VII,  36-50,  et  la  scène  analogue  décrite  par  les  autres  évangélistes 


21 S  LA   PASSION 

(Matth.  XXVI.  6-14  ;  Mare.  XIV,  3-13  ;  Joann.  XII,  1-9),  sont  fondues 
dans  un  épisode  unique,  p.  116-122. 

Au  contraire,  suivant  N.  de  Lire,  il  y  aurait  eu  là  deux  scènes  dis- 
tinctes qui  se  seraient  passées  toutes  deux  à  Béthanie,  dans  la  maison 
du  même  Simon,  mais  à  un  long  intervalle.  N.  de  Lire  avait  noté  aussi, 
p.  659,  795,  1187,  mais  sans  prendre  parti,  les  divergences  des  inter- 
prètes au  sujet  de  l'identification  de  la  femme  pécheresse,  et  de  la  ou 
plutôt  des  Madeleines. 

Greban  a  choisi  dans  ces  opinions  ;  il  a  identifié  comme  le  poète 
d'Arras  la  pécheresse  de  Saint-Luc  et  la  sœur  de  Lazare,  et  il  l'a  fait 
paraître  deux  fois  chez  Simon,  p.  179.  p.  206,  suivant  le  commentaire  de 
N.  de  Lire,  p.  796  et  1203. 


24.  —  L'ALLÉGORIE  DES  DOUZE  HEURES. 

(Joann.  XI,  9.  «  Nonne  duodecim  horae  snnt  diei  ?  ») 

N.  L.,  p.  1189.  —  «  Q.  d.  si  voluntatem  hahebant  tune  me  lapidandi, 
modo  tamen  non  facient,  quia  mutato  tempore  potest  voluntas  mutari. 
Erat  enim  proverbium  apud  Judaeos,  et  adhuc  est  apud  nos,  quod 
loquendo  de  mutatione  propositi  dicitur,  duodecim  horae  sunt  diei,  et 
ideo  Salvator  usus  est  tali  modo  loquendi.  Et  ostendit  ulterius  quod 
deberent  esse  securi,  dicens  :  Si  quis  ambulaverit  in  die,  etc. 

A  cette  interprétation  de  X.  de  Lire,  le  poète  d'Arras  en  avait  ajouté, 
p.  107,  une  seconde  tirée  de  la  Glose  ordinaire,  Patr.  Migne,  t.  114, 
p.  399  :  «  Illos  autem  dicit  [Jésus]  esse  horas  quae  diem  sequuntur,  non 

dies  eas 

Je  suis  le  jour,  vous  les  XII  heures  (v.  9129). 

Greban  ne  conserve  que  l'interprétation  de  N.  de  Lire,  p.  193.  Jhesus, 

v.  14892  : 

N'est  il  pas  douze  heures  au  jour 

Qui  en  plusieurs  lieux  et  parties 

Ne  sont  pas  égalaient  parties  ? 

S'en  l'une  ont  aucun  mal  songé, 

En  l'aultre  ont  leur  vouloir  changé,  etc. 


25.  —  LA  RÉSURRECTION  DE  LAZARE. 

(Joann.   XI,  36.  «  Dixerunt  ergo  Judaei.  » 

N.  L.,  p.  1194.  —  Hic  ex  aftectu  Christi  ostenditur  sequens  murmura- 
tio.  .Indaei  enim  viderunt  Christum  tristari  et  per  consequens  arguebant 


d'aRNOUI,   GREHAN  219 

quod  mors  illa  contra  voluntatem  Christi  simpliciter  'accidisset,  quia 
tristitia  est  de  his  quae  nobis  nolentibus  acciderunt,  ut  dicit  Aug.  14, 
de  Civ.  Dei,  et  per  consequens  concludebant  quod  non  potuissftt  Laza- 
rurn  praeservasse  a  morte,  ethoc  est  quod  dicitur.  Dixerunt  ergo  Judœi: 
Quia  videbant  evidens  signum,  invenientes  per  hoc  quod  libenter  si  pos- 
set  prœservasset  eum  a  morte,  et  ex  hoc  ulterius  miraculum  caeco  nato 
illuminato    volebant    annihilare   et   in    alium  retorquere,  dicentes  :  Non 

poterat  hic  qui  aperuit  oculos 

Ar.  L.  «  Quasi  dicat  ex  quo  non  potest  hoc,  nec  illud  potest,  nec  fecit. 
Isti  non  expectabant  sufficienter,  sed  indicabant  ante  tempus,  quia  Chris- 
tus  plus  fecit.  Plus  enim  est  mortuum  suscitare  quam  mortem  infir- 
mantis  impedire. 

Dans  la  Passion  d'Arras,  p.  108,  la  remarque  désobligeante  «  Non 
poterat  »  est  prêtée  à  l'apôtre  Saint-Bartholomieu,  à  contre-sens  ;  dans 
Greban,  p.  195,  v.  15024,  à  un  Juif  ^Tubal),  suivant  le  comment,  de  N.  de 
Lire. 


26.  —  LE  REPAS  A  BÉTHANIE,  CHEZ  SIMON  LE  LEPREUX. 
(Joann.  XII,  2.  *  Fecerunt  autem  ei  coenam.  »> 

X.  L.,  p.  1203.  —  «  Et  fuit  haec  coena  in  domo  Simonis  leprosi,  ut 
communiter  tenent  doctores,  fuerat  tamen  prius  a  Christo  curatus,  sed 
nomen  remanserat  ad  memoriam  miraculi.  Origenes  autem  dicit  quod 
illa  cœna  fuerat  in  domo  Marthae,  quod  probat  ex  eo  quod  subditur  :  Et 
Martha  ministrabat.  Sed  potest  dici  quod  iste  Simon  erat  vicinus  Mar- 
thae et  propter  hoc  ipsa  ministrabat  in  domo  ejus,  sicut  homines  soient 
facere  in  domibus  amicorum  suorum  ». 

Greban,  p.  204-208  ;  p.  206.  —  Simon  à  Marthe  : 

Voisine,  la  vostre  mercy, 

Que  pour  moy  tant  vous  occupez  (v.  15887). 


27.  —  LE  CALCUL  DE  JUDAS  POUR  RECOUVRER  LA  DIME. 
(Matth.  XXVI,  i5.  «  Et  triginta  argentcos.  ») 

N.  L.,  [i.  422.—  «  Argenteus  nummus  valebat  decem  nummos  usuales 
et  per  consequens  triginta  argentei  valebant  trecentos  de  uuniinis  usjua- 
libus,  ut  patet  manifeste  si  multiplicentur  triginta  per  decem  etc.-,  sic 
in  venditione  Christi  recuperavit  vaiorem  predicti  unguenti. 


220  LA    PASSION 

(It.  Luc.  XXII,  4.  «  Et  abiit.  ») 

A*.  L.,  p.  960.  —  Motivum  autem  Judae  hic  tacetur,  sed  exprimitur 
Matt.  26  et  Joann.  12.  a.  scilicet  ut  recuperaret  valorem  unguenti 
preciosi  effusi  super  Christum  a  sorore  Lazari. 

Greban,  p.  208.  Judas  : 

J'exploiteray 
De  faire  telle  trahison 
Que  je  raray  ma  porcion 
Que  j'ay  pardu  a  ceste  fois  (v.  16016). 


28.  —  LA  DESCRIPTION  DES  PEINES  DE  L'ENFER. 

Greban,  p.  205.  —  Cet  épisode  provient  d'un  sermon  apocryphe  de 
Saint-Augustin  déjà  cité  dans  l'Histoire  scholastique,  Patr.  Migne,  t. 
198,  p.  cap.  CXVT,coï.  1597),  et  il  est  développé  dans  la  plupart  des  mys- 
tères, notamment  dans  la  Passion  Sainte-Geneviève  et  dans  la  Passion 
de  Semur,  toutes  deux  antérieures  à  celles  de  Greban,  avec  un  grand 
luxe  de  détails.  A  ces  descriptions  de  l'enfer,  Greban  a  substitué  une  des- 
cription plus  conforme  aux  traités  de  théologie  scholastique  (voir  notam- 
ment saint  Thomas  d'Aquin,  Somme  passim,  et  du  Cange,  t.  IV,  p.  117, 
v°  Limbus)  c.  a.  d.   uq  enfer  divisé  en  quatre  parties. 


29.  —  LES  DEUX  ENTRÉES  A  JÉRUSALEM 

Une  seule  entrée  dans  la  Passion  d'Arras,  p.  124  et  sq.,  suivant 
Joann  XII,  12. 

Deux  entrées  séparées  par  un  long  intervalle  dans  la  Passion  de 
Greban.  La  lrc,  p.  149,  d'après  Joann,  II,  13  (N.  L.,  p.  1050),  et  ÏHist. 
seholastica,  cap.  XL  (Patr.  Migne,  t.  198,  p.  1560).  La  2%  p.  208-211, 
d'après  Joann.,  XII,  12  (N.  L.  p.  1206;,  les  autres  Evangélistes  et  YHist. 
srhol.,  cap.  CXVIII,  p.  1599. 


30.  —  LES  DEUX  MALÉDICTIONS  DU  FIGUIER 

l'ne  seule  malédiction  dans  la  Passion  d'Arras,  p.  127,  qui  place  la 
scène  le  soir,  quand  Jésus  et  ses  disciples  retournent  à  Béthanie,  vers 
lhôtel  de  Marthe. 


d'arnoul  greban  221 

Deux  malédictions  du  figuier  dans  la  Passion  de  Greban  :  la  1",  p.  216, 
le  matin,  quand  Jésus  vient  de  quitter  l'hôtel  de  Marthe,  à  Béthanie. 
C'est  l'explication  de  N.  de  Lire,  p.  349,  in  Matth.  XXI,  18  (Esuriit).— 
Ista  autem  esuries  non  fuit  naturalis  quia  in  sero  praecedeti  comederat, 
nec  erat  adhuc  hora  comedendi.  » 

La  2",  p.  223,  le  soir,  au  retour  de  Jérusalem,  suivant  X.  L.,  p.  601;  in 
Marc,  XI,  17.  Et  cum  vespera  esset.  » 


31.  —  LES  QUATRE  REQUÊTES  DE  NOSTRE  DAME  A  JÉSUS 

Empruntées  par  Greban,  p.  213-215.  à  la  Passion  française,  composée 
en  1398  pour  Isabeau  de  Bavière.  (Voir  plus  loin.) 


32.  —  JUDAS  INDIQUE  LA  RETRAITE  DE  JÉSUS 

AU  JARDIN  DES  OLIVIERS 

(Luc  XXII,  39.  «  Ibat  secundum  consuetudinem  in  montem  Olivarum.  » 

N.  L.,  p.  967.  —  «  Quia  assuetus  erat  illuc  ire  de  nocte  causa  ora- 
tionis.  » 

Greban,  p.  227.  —  Judas  : 

Il  a  de  coustume  et  d'usage 

De  hanter  sur  le  tardivet 

Vers  la  montagne  d'Olivet  (v.  17585.) 


33.  -  LA  CÈNE,  LE  LAVEMENT  DES  PIEDS 

1°  De  ablutione  pedum  (fait  partie  des  petits  traités  d'Arnold  de  Char- 
tres, De  Cardinalibus  opcribus  Christi.  imprimés  parmi  les  apocryphes 
de  saint  Cyprien,  p.  78,  éd.  Pearson.  Amsterdam,  1700.  et  cités  par  Cor- 
nélius à  Lapide,  p.  445  :  «  Jam  sacramentum  corporis  sui  Apostolis 
Dominus  distribuerai,  jam  exierat  Judas, cum  repente  de  mensa  surgens 
linteo  se  praecinxit  et  ad  genua  Pétri  Làvaturus  pedes  ejus  ipse  Dominus 

obtulit    famulatum »    —   C'est    la  tradition    suivie   dans   la  Passion 

d'Arras). 

2"  (Joann.  XIII,  a.  «  El  coena  facta.  ») 

.Y.  /..,  p.  1220.  —  «  Non  est  intelligendum  quod  esset  totaliter  com- 
pleta  quia  postea  dicitur  Et  cum  rccubuisset  ;  sed  erat  facta  quantum  ad 


222  LA   PASSION 

hoc  quod  comederant  agnum  Paschalem,  et  tune   surrexit  ad  lavandum 
pedes  discindlorum  suorum,  antequam  daret  eis  sui  corporis  sacramen- 

tum » 

L'opinion  de  N.  de  Lire  est  suivre  par  Greban,  p.  233  :  Icy  menjuent 
tous  en  ung  plat  l'aigneau  de  Pasques.  —  Icy  se  lieve  Jhesus  de  la  table 
et  se  çaint  d'une  touaille. 


34.  —  LA  CÈNE  :  JÉSUS  ANNONCE  LA  TRAHISON  DE  JUDAS 
(Math.  XXVI,  21    «  At  ipse  respondit.  ») 

N.  L.,  p.  425.  —  «  Per  hoc  non  poterant  perpendere  quis  esset  deter- 
minate  quia  omnes  comedebant  in  eodem  vase,  in  quo  erant  carnes  agni 
paschalis  positae.  » 

Greban,  p.  235  :  «  Et  notez  ici  que  tous  les  apostres  ont  main  dedans 
le  plat  et  menjue  Jhesus  et  Judas  aussi.  » 


35.  -  LE  SOMMEIL  ET  LES  RÉVÉLATIONS  DE  SAINT  JEAN 
PENDANT  LA  CÈNE 

Greban,  p.  236,  v.  18210-18219. 

Le  sommeil  de  saint  Jean  et  les  révélations  qu'il  aurait  eues  en  songe 
sont  deux  traditions  originairement  distinctes  qui  se  sont  facilement 
confondues.  C'est  Abdias  (Hist.  apostolique,  I,  5,  Dict.  des  Apocryphes, 
col.  Migne.  t.  II,  p.  327)  qui  semble  avoir  dit  le  premier  que  «  à  la  dernière 
cène,  lorsque  le  Seigneur  établissait  le  Nouveau  Testament  de  notre  salut, 
(saint  Jean)  assis  à  côté  du  Chrisl,  et  reposant  sur  son  sein,  s'endor- 
mit ».  L'Evangile  (Joann.  XIII)  ne  dit  nullement  qu'il  s'endormit  ;  il  fait 
simplement  allusion  à  l'usage  qu'avaient  les  anciens  de  prendre  leur 
repas  à  demi  étendus  sur  des  lits,  et  il  note  que  le  disciple  bien-aimé 
était  couché,  «  discumbebat  inclinatus  ante  pectus.Dormni  »,  suivant  la 
remarque  de  l'Histoire  scholastique  (cap.  C,  41.  Patr.  Migne,  t.  198, 
p.  1617).  Mais,  d'autre  part,  le  sein,  le  cœur,  ne  renferme  t-il  pas  les  plus 
secrètes  pensées.  «  Per  sinum  quippe  quid  significatur  aliud  quam 
secretum  ?  »  Cette  interprétation  symbolique  de  saint  Augustin  (In. 
Joann.  Expositio,  cap.  XIII,  Patr.  Migne,  t.  35,  p.  1301)  a  passé  dans 
Grégoire  de   Tours  (Aliraculorum,   I,    30,   Patr.   Migne,  t.  71,  p.  730)  : 

«  Johannes  quem  Dominus  plus  quam  caeteros  dilexit  apostolos ut 

super   ipsum  sacri    corporis   pectus  accumbens  mysteriorum  cœlestium 


d'arnoux  greban  223 

hauriret  arcana  <>,  dans  Bède  et  dans  la  Glose  ordinaire  (P.  Migne, 
t.  11  i.  p.  426).  Elle  s'est  rattachée  tout  naturellement  à  la  Légende  du  som- 
meil, et  nous  la  trouvons  ainsi  exposée  dans  la  Passion  romane  de  Cler- 
mont-Ferrand  (v.  28),  dans  la  Bible  d'Herman  de  Valenciennes,  et  dans 
la  plupart  des  Vies  françaises  de  Jésus-Christ,  en  vers  et  en  prose. 
Greban  n'a  donc  fait  que  recueillir  ici  une  légende  des  plus  populaires. 


36.  -  LA  LÉGENDE  DES  ÉPÉES  ACHETÉES  PAR  LES  APOTRES 
AU  «  FOURBISSEUR  » 

Cette  légende  de  la  Passion  d'Arras,  p.  130-131.  est  déjà  dans  un  ancien 
poème  de  la  Passion  (B.  de  l'Arsenal,  Ms.  5201,  p.  U2j.  Elle  est  rejetée 
par  Greban.  p.  2i0,  v.  18528  et  sq..  suivant  le  comm.  de  N.  de  Lire,  in 
Joann.  XVIII,  10  «  Simon  ergo  »,  p.  1285  :  «  Dicunt  hic  aliqui  quod  dis- 
cipuli  emerant  gladios  de  praecepto  Domini,  secundum  quod  habetur. 
Luc,  22.  Sed  non  est  veiisimilo  quia  ibidem  dicil'ur  quod  Apostoli  statim 
responderunt.  Ecce  duo  gladii  hic,  etc.  » 


37.  -  LE  SIGNE  DONNE  PAR  JUDAS 
(Luc,  XXII.  47-  «  Ut  oscularetur  eum.  ») 

N.  L.,  p.  969.  —  Dederat  enim  Judas  comprebensoribus  istud  signum 
ne  pro  Jesu  caperent  Jacobum  fratrem  Domini,  qui  fuit  ei  valde  similis 
ut  dictum  fuit.  Mat.  27.  » 

Greban,  p.  241.  —  Judas  : 

Pour  ce,  seigneurs 
Qu'il  a  des  disciples  plusieurs. 
Et  l'ung  d'iceulx  qui  sont  ensemble 
Si  très  proprement  luy  ressemble 
Que  vous  ne  sçariez  distinguer. 

Ilem,  p.  24(i,  v.  19G58.  —  Judas  : 

Or  vous  souviengne  donc  du  signe 
Que  je  vous  baillay  au  partir. 


38.  —  LE  JEUNE  HOMME  AU  MANTEAU 
(Marc.  XIV .  Si.  «  Adolescens.  ») 

.Y.  /..,  p.  6.'!5.  —  o  Quia  iste  non  nominatur  hic.  ideo  dicunt  aliqui  quod 
fuit  Jacobus  fjraler  Domini.  Alii  autem  quod  fuit  Joannes  Evangelisla  qui 


'■d2i  LA    PASSION 

junior  erat   inter  Apostolos.   Alii  autera  dicunt  quoci  fuit  juvenis  de  illa 
domo  in  qua  comederant  pascha.  » 


Greban,  p.  249-250,  v.  19305.  —  S.  Jaques  Alphey  : 

J'ayme  mieulx  a  laisser  la  chappe 
Que  mon  corps  y  soit  retenu. 

DRAGON 

Ha  !  le  ribaut  s'en  fuit  tout  nu. 


39.  -  SAINT  JEAN  INTRODUIT  SAINT  PIERRE  DANS  LA  COUR 

DU  PONTIFE  ANNE 

(Joann.  XVIII,  io.  «  Discipulus  autem  ille  erat  notiis  pontifici.  ») 

N.  L.,  p.  1^87.  —  «  Dicunt  aliqui  quod  Joannes  erat  peritus  in  lege  et 
propter  hoc  habebat  noticiam  cum  pontifice.  Sed  hoc  non  est  verisimile 
quia  piscator  erat  et  de  navi  a  Christo  vocatus  fuerat,  ut  habetur  Mat.  4 
d.  unde  dicit  Hier,  in  epist  sua  ad  Paulinum  »  Joannes  rusticus  piscator 
indoctus  etc.  »  ;  ideo  alia  fuit  causa  suae  notitiae  cum  pontifice  quia  forte 
missus  a  pâtre  suo  pluries  portaverat  pisces  ad  domum  pontificis  et  vel 
forte  quia  aliquis  de  cognatione  ejus  ibidem  serviebat,  vel  aliqua  alia 
causa  quam  aliqui  assignant,  quia  descenderat  de  David  et  sacerdotes 
habebant  istas  genealogias.  » 


Greban,  p.  850.  —  Saint  Jehan  : 

J'ay  esté  des  fois  plus  de  cent 

Leans  pour  porter  du  poisson  : 

Anne  et  tous  ceulx  de  sa  maison 

Me  corgnoissent  par  tel  manière  (v.  10360.) 

Qu'il  n'y  a  porte  ne  barrière 

Qu'il/  ne  m'oeuvrent  ysnel  le  pas  (v.  19361.) 


40.  —  L'INTERROGATOIRE  ET  LE  SUPPLICE  DE  JÉSUS 

DIRIGÉS  PAR  LE  PONTIFE  ANNE 

{Matth.,  XXVI,  ;.  «  At  illi  tenentes.  ») 

N.  L.,  p.  437.  —  «  Licet  enim  primo  fuerit  ductus  ad  Annam  ut  dicitur 
Joann.  18  ;  tamen  Matthaeus  de  hoc  non  facit  mentionem  quia  non   fuit 


li  ARNOUL   GRBBAN  Si.) 

ibi  ductus  nisi  propter  quamdam  reverentiam  quia  erat  socer  Caipbe,  ut 
ibidem  dicitur.  » 

(Item,  /oann,  XVIIJ.  «  Kr.it  enlm.  »)  —  .V.  L.  p.  128O. 
(Joann,  XVIII,  19.  «  Pontifex  ergo  interrogavit  Jesum  de  discipulis  suis.  ») 

N.  L.,  p.  1288.—  «  Dicitur  autem  Anuas  pontifex  non  quia  esset  actu, 
sed  quia  an  te  fuerat,  et  quia  socer  erat  pontificis  ut  dictum  est.  » 

[Matth.  XXVII,  1.  «  Mane  autem  facto.  y>) 

X.  L.,  p.  .  —  «  Quia  a  média  nocle  usque   ad  illam   horarn  illuse- 

runt  eum  conspuendo  et  palmis  caedendo,  ut  visuin  est.  » 


C  est  en  suivant  ce  commentaire  de  N.  de  Lire  que  Greban  a  placé 
chez  le  pontife  Anne,  p.  250-263,  toutes  les  scènes  qui,  dans  la  Passion 
d'Arras,  p.  139-149,  étaient  placées  chez  le  pontife  Caiphe. 


41.  -  LA  COLONNE  DANS  LA  MAISON  D'ANNE. 

Pseudo-Bonaventurae  Meditationes  Vitae  Christi,  cap.  LXXV.  — 
«  Ligaverunt  Jesum  ad  quamdam  columnam  lapideam,  cujus  pars  postea 
comminuta  est,  et  adhuc  apparet,  ut  habeo  ex  fratre  nostro  qui  vidit. 

«  Dimiserunt  nihilominus  aliquos  armatos  ad  tutiorem  custodiam  qui 
eum  totam  noctem  residuam  vexaverunt. 

«  Et  sic  stetit  rectiis  ad  illam  columnam  ligatus  usque  ad  mane.  3 

Cf.  Vie  de  Jesu  Crist,  imprimée  par  Rob.  Foucquet,  1485,  p.  IIIIxx  y"; 
(Passion  de  1398,  B.  Nat.  ms.  fr.  24438,  fol.  35  v°),  etc. 


fireban,  p.  254-259;  p.  254,  Anne  : 

Votez  ceste  colompne  haulte, 

Qui  soustient  au  milieu  la  vaulte'; 

Mrnez  l'i  tost  comment  qu'il  soit  (v.  19628). 


42     -    LES    RENIEMENTS    DE   SAINT    PIERRE. 
(Matth.,  XXVI,  tiij.  «  Et  accessit  ad  eum  una  ancilla.  ») 

.V.  L..  p.  440.  —  «  De  istis  negationibus  Pétri  videntur  Evangelistae 
diversimode  scribere  maxime  de  secunda  el  tertia,  quia  de  secunda  dici- 
tur hic  quod  fuit  ad  vocem  ancillae,  Lucas  autem  dicil  quod  fuil  ad  vocem 

1.". 


226  LA    PASSION 

hominis,  Joannes  autem  dicit  quod  fuit  ad  vocem  plurium.  Similiter  de 
tertia  dicit  Joannes  quod  fuit  ad  vocem  unius  qui  erat  cognatus  illius 
cujus  Petrus  abscidit  auriculam.  Matheus  autem  hic  dicit  quod  fuit  ad 
vocem  illorum  qui  astabant.  Dicendum  igitur  quod  principalis  intentio 
Evangelistarum  erat  negationem  trinam  Pétri  exprimere  et  in  hoc  con- 
veniunt  omnes  Evangelistae.  Exprimere  autem  personas  accusantes 
Petrum  non  erat  principalis  intentio  eorum,  sed  tantum  ex  accidenti. 
Tamen  non  contrariantur  in  hoc  quia  verisimile  quod  multi  ad  ista  verba 
concurrebant  circa  Petrum  et  consimilia  verba  proferebant  ipsum  accu- 
sando,  et  sic  unus  Evangelista  unam  personam  nominat,  alius  aliam, 
unam  vel  plures,  nec  est  ibi  falsitas  ratiône  dicta.  Videtur  autem  secun- 
dum  veritatem  historiae  quod  prima  negatio  sit  facta  ad  vocem  ostiariae 
principaliter.  Secunda  ad  vocem  illorum  qui  stabant  ad  ignem,  fuerunt 
tamen  excitati  ab  alia  ancilla,  propter  quod  Matheus  illam  exprimit  hic 
et  de  aliis  tacet.  Quod  autem  hic  dicitur  quod  facta  est  Petro  exeunle 
janua,  intelligendum  se  disponente  ad  exitum,  quia  adhuc  erat  propter 
ignem,  ut  dicit  Joannes,  sed  timens  ne  perciperetur  exire.  Tertia  autem 
negatio  facta  est  multis  eum  accusantibus  inter  quos  principalis  erat 
cognatus  illius  cujus  Petrus  abscidit  auriculam,  propter  quod  exprimit 
illum  Joannes  de  aliis  tacendo.  » 

(Item,  Luc,  XXII,  34-  «  Non  cantabit  hodie  gallus.  ») 
N.  L.,  p.  966.  —  «  Post  binam  autem  negationem  Pétri.  » 
(Item,  Joann.,  XVIII,  2;.)—  N.  L.,  p.  1290. 


Greban,  p.  252-255,  v.  10484-19700.  —  Greban  a  suivi  l'explication  de 
Nicolas  de  Lire  et  placé  dans  la  cour  du  pontife  Anne  la  scène  qui,  dans 
la  Passion  d'Arras.  p.  139,  était  placée  chez  le  pontife  Caiphe. 


43.  —  LA  MORT  DE  JUDAS. 

A  l'épisode  de  la  Passion  d'Arras,  p.  153,  Greban  ajoute  un  trait  tiré 
de  ïllist.  scholast.  —  In  Actus  Apost.,  cap.  IX.  (Patr.  Migne,  t.  198, 
p.  1650.)  —  «  Et  suspensus  crepuit  médius.  Et  «  diffusa  sunt  viscera 
ejus  »,  sed  non  per  os  ejus  ut  sic  parceretur  ori,  quo  Salvatorem  oscu- 
latus  fuerat.  Non  enim  tam  viliter  debuit  inquinari,  quod  tam  gloriosum, 
scilicet  os  Christi,  contigerat.  » 


1)   \RNOUL    GREBAN  227 


Greban  (3'  journée),  p.  288.  —  Désespérance  : 

Il  vint  et  son  maistre  bais;i, 

Et  par  cette  bouche  maligne, 

Qui  toucha  a  chose  tant  digne 

L'ame  ne  doit  ne  peust  passer  (v.  22023.; 


tt.  -  LE  PREMIER  INTERROGATOIRE  DE  JÉSUS  PAR  PILATE. 
(Joann.,  XVIII,  Tî.  «  Introivil  ergo  iterum  in  praetorium  Pilât  us.  » 

N.  L.,  p.  1292.  —  a  Hic  ponitur  examinatio  Christi  in  secreto.  Et  divi- 
ditur  in  très,  quia  primo  ponitur  Pilati  interrogatio,  secundo  Christi 
responsio,  ibi  :  Respondit  Jésus.  Tertio  Pilati  objectio,  ibi  :  Dixit  itaque. 
Circa  primum  sciendum  quod  Judaei  cum  tumultu  irrationabili  petebant 
mortem  Christi.  propter  quod  Christus  non  respondebat,  secundum  illud 
Eccl.  32.  a.  Ubi  non  est  auditus  non  effundas  sermonem.  Propter  hoc 
Matthaeus  et  Marcus  dicunt  quod,  cum  accusaretur  a  principibus  sacer- 
dotum,  nihil  respondit,  propter  quod  Pila'us  intravit  praetorium  quod 
erat  in  domo  sua  ut  ibi  Christum  magis  pacifiée  examinaret  extra  tumul- 
tum  Judaeorum  qui  non  audebant  intrare  praetorium,  ut  dictum  est 
Christus  autem  de  tribus  fuerat  accusatus  coram  eo,  ut  habetur  Luc.  23. 
Hune  incenimus  subcertentem  gentem  nostram.  Pilatus  autem  de  duo- 
bus  primis  non  curavit  inquirere  quia  de  primo,  scilicet  de  subversione 
observationum  legalium, non  curavit  utrum  esset  verum  vel  falsum,  quia 
non  erat  Judaeus,  sed  gentilis.  Secundum  cognovit  esse  falsum  per  fa- 
mam  publicam,  quia  audierat  Christi  responsionem  qua  Judaeis  de  hac 
materia  responderat  Mat.  22.  C.  Reddite  que  sunt  Caesaris  Caesari,  etc. 
Sed  de  tertio  quod  videbatur  esse  contra  honorem  Imperatoris,  inquisi- 
vit,  scilicet  de  regno,  quia  Imperatores  Romani  omen  regium  a  Judaeis 
abstulerant,  ut  frangèrent  eorum  superbiam  et  tollerent  rebellandi  occa- 
sionem,  et  ideo  quaesivit  a  Christo,  etc.  » 


Greban,  p.  279-281  ;  p.  280  :  Icy  interrogue  Pilate  Jhesus  a  part  au 
prétoire  : 

Se  tu  presches  ou  pervertis 

Se  tu  as  usé  mal  ou  bien, 

Penser  dois  que  je  n'en  sçay  rien  : 

Juif  ne  suis  pas  de  naissance  (v.  21455,  etc.) 


228 


LA    PASSION 


45.  —  JÉSUS  ENVOYÉ  A  HÉRODE. 
(Luc,  XXIII,  7.  «  Herodes  qui  et  ipse  Jerosolimis  erat  his  diebus.  ») 

A  .  L.,  p.  976.  —  «  Scilicet  Paschalibus,  propter  solennitatem,  quia 
Judaeus  erat.  Pater  enim  suus  fecit  se  circumcidi,  transiens  ad  ritum 
Judaismi,  secundum  quod  dicit  Josephus.  » 


Greban,  p.  282.  —  Claquedext  : 

Où  pourrons-nous  trouver  Ilerode  ? 

IMLATE 

Il  est  venu  en  la  cité 

Pour  voir  la  feste  solennelle  (v.  21,597.) 


46.  -   JÉSUS  RENVOYÉ  PAR  HÉRODE  AVEC  UNE  ROBE  DE  FOU. 
(Luc,  XXIII.  11.  «  Sprevit  autem  illum  Herodes.  » 

•N.  L.,  p.  977.  —  «  Reputain  eum  idiotam  et  fatuum.  Et  illusit  indu- 
tum  veste  alba.  Sic  enim  illudebatur  tune  fatuus.  Et  remisit  ad  Pilatum. 
Ut  eum  honoraret  sicut  et  Pilatus  ei  detulerat.  » 


Greban,  p.  293.  —  Herode  : 

Prends  l'habillement 
D'ung  de  mes  sos  le  plus  cornu  (22,399.) 


47.  -  RECONCILIATION  D'HÉRODE  ET  DE  PILATE. 
(Luc,  XXIII,  i3.  «  Nara  antea  inimici.  ») 

A'.  L.,  p.  978.  —  «  Propter  Galilaeos  quos  Pilatus  occiderat,  miscens 
sanguinem  eorum  eum  sacrifîciis,  ut  dictum  est  supra.  13  C.  » 

(Ibid.,  Luc,  XIII,  1.  »  Aderant  autem  quidam.  ») 

N.  L.,  p.  869.  —  «  De  Galilaeis  a  Pilato  interfectis,  dum  actu  essent 
occupati  in  sacrificiis  de  quibus  duplex  est  opinio.  Dicit  enim  Cyrillus 
quod  isti  fuerunt  sequaces  Judae  Galilaei  de  quo  dicitur  Act.  5.  g.  quod 
avertit  populum  in  die  professionis,  quia  dum  Judaei  profîterentur  se  esse 
subditos  Romano  imperio,  ut  dictum  est  supra  2  cap.,  iste  Judas  Galilaeus 


d'arnoul  grbban  229 

dicebat  quod  hoc  erat  eis  illicitum,  scilicet  recognoscere  aliquem  domi- 
num  praeter  Deum  qui  eos  eduxerat  de  .Egypto  et  fecerat  sibi  populum 
peculiarem,  et  multi  consenserunt  ei  in  tantum  quod  postea  probibebant 
oblationes  fieri  pro  salute  iraperii  Romani,  de  quo  Pilatus  indignatus  re- 
pente cum  multitudine  Romanorum  venit  super  eos  sacrificantes  secun- 
dum  ritum  suum  et  interfecit  eos,  ita  quod  sanguis  interfectorum  fuit 
mixtus  cum  sanguine  sacrificiorum.  In  Scholastica  vero  historia  dicitur 
quod  fuit  quidam  magus  de  Galilaea  qui  dicebat  se  esse  filium  Dei,  et 
dum  multos  seduxisset,  et  secum  duxisset  in  montrem  Garizim,  promit- 
tens  inde  se  ascensurum  in  caelum,  et  dum  illi  sacrificarent  ei  sicut  filio 
Dei,  Pilatus  superveniens  eos  cum  armis  interfecit  ne  major  seductio 
ficret.  » 

Greban,  p.  290.  —  Herodes  : 

Non  obstant  la  perte  et  dommage 

Que  jadis  Pilate  me  fit 

Quand  mes  gens  destruit  et  occist, 

Joyeulx  suis  pour  l'heure  présente 

De  cest  homme  qu'il  me  présente  (v.  22204.) 

L'explication  développée  de  Cyrille  sur  les  sacrifices  de  Judas  de 
Galilée  a  été  recueillie  par  Jean  Michel  et  lui  a  servi  pour  une  de  ses 
additions  à  la  Passion  de  Greban. 


48.  —  LE  SONGE  DE  LA  FEMME  DE  PILATE. 
(Matth.  XXVII,  19.  «  Sedente  »). 

N.  L.,  p.  451.  —  «  Hic  declaratur  innocentia  Christi  per  testimonium 
uxoris  Pilati.  Ad  cujus  evidentiam  sciendum  quod  diabolus  qui  captio- 
nem  Christi  procuraverat  per  Judaeos,  per  aliqua  signa  perpendit  quod 
ipse  esset  vere  Christus  et  per  consequens  quod  per  ejus  mortem  spo- 
liaretur  infernus  ;  hoc  autem  perpendit  per  ejus  patientiam  et  per  scrip- 
turarum  impletionem  et  forte  per  sanctorum  patrum  in  lymbo  existen- 
tium  exultationem,  et  ideo  mortem  Christi  impedire  volebat  per  uxorem 
Pilati,  cujus  preces  efficaces  credebat  in  conspectu  viri  sui. 

«  MÙlta  rnim    passa  ». 

N.  L.  —  Quia  diabolus  apparuerat  ei  movens  eam  terroribus  ad  bbe- 
rationem  Christi.  Utrum  autem  talis  apparitio  fuerit  ei  facta  in  somno 
vel  vigilia  expresse  non  habelur  hic,  videtur  tamen  quod  fuerit  in  somno 
per  hoc  quod  hic  dicitur  per  visurn.  Christus  enim  praesentatus  Pilato 
valde   mane   ut   dictum    est    in    principio  hujus  cap.  Et  ideo  probabile 


230  LA   PASSION 

est  quod  uxor  ejus  jacebat  adhuc  in  lecto,  quia  dominae  non  soient  ita 
mane  surgere  sicut  viri  sui  ». 


Passion  d'Arras,  p.   165.  —  Version  adoptée  par  Greban,  p.  306-308, 
comme  approuvée  par  N.  de  L.,  p.  451. 


49.  -  LA  LÉGENDE  DU  BOIS  DE  LA  CROIX  ET  LA  LÉGENDE 
DES  CLOUS  FORGÉS  PAR  LA  FEMME  DU  FORGERON. 

1°  Poème  de  la  Passion  (B.  de  l'Arsenal,  ms.  5201,  p.  124-125). 
2°  Passion  d'Arras,  p.  180-181. 

3°  Légendes  empruntée  à  la   Passion   d'Arras    et   abrégées    dans  la 
Passion  de  Greban,  p.  311-312. 


50.  —  ON  REMET  A  JÉSUS  SES  VÊTEMENTS  POUR  LE  FAIRE 
RECONNAITRE  SUR  LE  CHEMIN  DU  CALVAIRE. 

iMatth.  XXVII,  il,  «  Et  induerunt  eum  vestimentis  suis  »). 

N.  L.,  p.  455.  —  Quibus  spoliaverunt  eum  ut  praedictum  est,  et  hoc 
fecerunt  ut  ductus  ad  mortem  magis  cognosceretur  in  propria  veste 
quam  aliéna  ». 

Greban,  p.  313,  Ca'ïphe  : 

Ostons  luy  cet  abit  de  roy, 

Et  le  vestons  en  tel  arroy 

Qu'il  souloit  aller  par  la  voye, 

Affin  que  chacun  si  le  voye 

En  ses  habis  accoustumés  (v.  23867). 


51.  —  SIMON  DE  CYRÈNE. 
{Lue,  XXIII,  2(5.  «  et  eum  durèrent  eum  ». 

.Y.  L.  p.  979.  —  «  111e  autem  invite  portabat,  tum  quia  hoc  erat  turpe, 
tum  quia  forsitan  erat  discipulus  Iesu,  occultus  tamen.  » 


d'arnoul  greban  231 

Greban.  p.  319-320.  —  Simon,  y.  24,430  et  sq.  ;  it.  : 

Car  tant  reproché  en  seroye. 

Que  james  jour  n'aroye  honneur  (v.  24407). 


52.  -  LES  DÉTAILS  DE  LA  CRUCIFIXION,  LE  VOILE,  LES  CORDES,  ETC. 

Dialogus  b.  Mariae  et  Anselmi  de  Passione  Domini  (Patr.  Migne, 
t.  159,  p.  271-290;. 

«  Nudaverunt  Jesum  unicum  tilium  meum  totaliter  vestibus  suis  et 
et  ego  exanimis  facta  fui  ;  tanien  velamen  capitis  mei  accipiens  circum- 
ligavi  lumbis  suis...  Post  hoc  deposuerunt  crucem  super  terrain  et  eum 
desuper  extenderunt,  el  incutiebant  primo  unum  clavum  adeo  spissum 
quod  tune  sanguis  non  potuit  emanare,  ita  vulnus  clavo  replebatur.  Acce- 
perunt  postea  funes  et  traxerunt  aliud  brachium  lilii  mei  Iesu  et  clavum 
secundum  ei  incusserunt.  Postea  pedes  funibus  traxerunt,  et  clavum 
acutissimum  incutiebant,  et  adeo  tensns  fuit  ut  omnia  ossa  sua  et  mem- 
bra  apparent,  ita  ut  impleretur  illuu  Psalmi  ;  Dinumeraverunt  omnia 
ossa  mea.  XXI.  18....  Post  haec  erexerunt  eum  magno  labore,  p.  283.  » 

Cf.  les  Meditationes  ritae  Çhristi  (cap.  lxxviii)  du  pseudo-Bonaven- 
ture  :  la  Vita  Christi  de  Ludolphe  le  Chartreux,  la  Passion  de  1398,  la 
Passion  de  Gerson  (ad  Deum  vadit),  etc, 


Passion  d'Arras,  p.  187-188. 

Légendes  empruntées  à  la  Passion  d'Arras  et  abrégées  par  Greban, 
p.  322-327.  

53.    -    LA    PROMESSE   DE  JÉSUS   AU    BON  LARRON  ET  LE  SENS  DU 
MOT  PARADIS  D APRÈS  NICOLAS  DE  LIRE. 
(Luc,  WIII.  i>       Bodie  mecuna  eris  va  paradiso 

X.  L..  p.  983.  —  Non  accipitur  hic  paradisus  pro  horto  voluptatis, 
nec  jjro  cœlo  empireo,  sed  pro  fruitione  beata  quam  habuerunt  sancti 
patres  in  morte  Christi,   qui   erant    in  limbo  detenti,  statim   eum  ejus 

anima   descendit  ad  eos,  et  eadem  die  illuc  descendit  anima  illius  latro- 
nis,  facta  particeps  beatae  fruitionis  ». 


Suivant  l'interprétation  de  X.  de  Lire,  dans  la  Passion  de  Greban.  les 
âmes  des   Pères  que  Jésus  arrache  à  l'Enfer  sont  mises  simplement 


232  I.A    PASSION 

«  en  quelque  lieu  déterminé  ».  p.  343;  tandis  que  dans  la  Passion  d'Ar- 
ras,  p.  244,  elles  étaient  conduites  au  Paradis  terrestrs  d'après  l'Evan- 
gile de  Nicodème,  XXVI. 

54.  -  SATAN  GUETTANT  L'AME  DE  JÉSUS  EN  CROIX. 

Episode  emprunté  par  Greban,  p.  327.  au  poète  d'Arras,  p.  181,  qui 
avait  pu  trouver  lui-même  l'idée  dans  VHistoria  scholastica,  cap. 
clxii,  p.  1630.  —  Vinc.  Bell.  Spec.  Hist.,  VII,  cap.  xliii;  Passion  de 
Gerson,  etc. 


55.   -  L'INVENTION  DU  JEU  DE  DÉS  PAR  SATHAN. 

Epis,  emprunté  par  Greban,  p.  335-336,  à  la  Passion  d'Arras,  p.  191 
et  sq. 


56.  -  JÉSUS  APPELANT  HELY. 
(Matth.  XXYII,  47-   «  Quidam  autem  illic  stantes  et  audientes  dicebant,  Eliam  vocat 

iste  »). 

1°  Interprétation  de  la  Glose  ordinaire  (Patrol.  Migne,  t.  114,  p.  239  : 
«  Sin  autem  Judaeos  qui  hoc  dixerint  intelligere  volueris,  et  hoc  more 
sibi  solito  faciunt,  ut  Dominum  imbecillitate  infament  qui  Eliae  auxilium 
deprecetur  ».  —  Cette  interprétation  est  suivie  dans  la  Passion  d'Arras, 
p.  200. 

2°  Interpr.  de  Nie.  de  Lire,  p.  460  :  «  Scilicet  milites  ipsum  custo- 
dientes,  qui  erant  gentiles.  propter  quod  linguam  Hebraicam  ignorabant, 
dicebant. 

Greban,  p.  337.  Le  soldat  romain  Broyefort  aux  Juifs  : 
Ouez,  seigneurs,  il  a  huchié 
Hplias,  ung  de  vos  prophètes  (v.  25905). 


57.  —  LE  CRI  DE  JESUS  EXPIRANT. 
(Lui-.  X.XIII,  47-  «  Videns,  Centurio...  quod  factum  fuerat  »). 

A.  L.,  p,  9S4.  —  «  Scilicet  miracula  in  Chiisti  passione  facta,  utpote 
terrae  motus,  petrarum  scissio.  obscuritas  solis  supernaturalis.  Et  quod 
cum  clamore  magno  expirasset  quod  non  poterat  fieri  virtute  naturali  ».. 


d'arnoul  greban  233 


Greban,  p.  339  :  Centurio  : 

Esmerveillié  très  fort  je  suis 

De  ce  Ihesus  qui  en  mourant 

A  geste  un  cry  si  puissant 

Yt'u  la  foiblesse  de  son  corps  (v.  26023;. 


58.  —  L'ÉCLIPSÉ  ET  S.  DENIS  D'ATHÈNES. 

Emprunté  par  Greban.   p.   340-341   à   la  Légende  dorée  (Hist.  de   S. 
Denis)  et  à  N.  de  Lire.  p.  459  in  Matth.,  XXVII,  45.  «  A  sexta  ». 
Cf.  Passion  d'Arras,  p.  199-200,  même  source. 


59.    —   SAINT  MICHEL  EMPORTANT  L'AME  DU  BON  LARRON 
ET  SATAN  CELLE  DU  MAUVAIS  LARRON. 

Passion  d'Arras,  p.  204,  v.  17557-17730.  —  Légende  abrégée  par  Gre- 
ban, p.  347,  v.  26609-26616. 


60.  —  LE  «  MISTERE  »  DU  SANG  ET  DE  L'EAU. 
(Joann.,  XIX,  34.  «  Et  continue  exivit  sanguis  et  aqua.  ») 

N.  L.,  p.  1307.  —  «  Sanguis  ad  nostram  redemptionem,  aqua  ad  pec- 
catorum  ablutionem.  Sciendum  tamon  quod  ista  aqua  miraculose  exivit, 
quia  non  fuit  humor  phlegmaticus,  ut  dicunt  aliqui,  sed  aqua  pura  ad 
ostendendum  quod  corpus  Christi  erat  ex  veris  elementis  compositum, 
contra  errorem  eorum  qui  rlixerunt  eum  habere  corpus  cœleste,  sicut 
dixit  Valentinus  et  sequaces  sui,  et  eorum  qui  dixerunt  eum  habere  cor- 
pus phantasticum.  sicut  Manichaei.  » 


Greban,  p.  348.  —  Centurion  : 

Il  n'y  a  pas  sang  seulement, 

Mes  avec  le  sang  eaue  Hère, 

Qui  signifie  aucun  mislere 

Dont  nous  n'avons  pas  la  science  (v.  2(>t5(i7.) 


234  LA    PASSION 

61.  —  LES  APPARITIONS  DE  JÉSUS  APRÈS  LA  RÉSURRECTION. 

L'ordre  chronologique  et  le  détail  des  diverses  apparitions  de  Jésus 
après  la  Résurrection  présentent  dans  la  Passion  d'Arras  et  dans  la 
Passion  de  Greban  des  différences  considérables. 

Ces  différences  tiennent  à  ce  fait  que  le  poète  d'Arras  a  suivi  exacte- 
ment l'ordre  des  apparitions  tel  qu'il  est  donné  par  Honorius  d'Autun 
(ou  d'Augsbourg)  dans  YElucidarium,  I,  24  (Patr.  Migne,  1. 172,  p.  1127). 
Mais  de  ces  douze  apparitions  il  a  supprimé  la  seconde  «  Secundo  matri 
suae,  ut  Sedulius  manifestât  »  et  la  cinquième  à  l'apôtre  saint  Jacques. 
Restent  dix. 

Au  contraire,  Greban  dans  sa  «quarte  journée  »  a  suivi  un  ordre  diffé- 
rent, celui  que  son  guide  ordinaire  N.  de  Lire  (in  Matth.,  XXVIII,  16. 
In  montera,  p.  469)  avait  emprunté  lui-même  à  YHistoire  scholastique, 
Act.  I.  (Patr.  Migne,  t.  198,  p.  1615.)  Seulement,  aux  dix  apparitions 
mentionnées  par  N.  L.,  ilfna  ajouté  trois  mentionnées  dans  la  Légende 
dorée  (De  Resurrectione  Domini),  les  Meditationes  Vitae  Christi  du 
pseudo-Ronaventure  (en.  87,  voir  plus  loin)  et  beaucoup  d'autres  ou- 
vrages. 

1°  11  a  placé  en  tète  une  apparition  à  la  Vierge  ;  2°  après  l'apparition  à 
saint  Pierre  (n°  3  de  N.  de  Lire),  il  a  intercalé  les  apparitions  à  l'apôtre 
saint  Jacques  et  à  Joseph  d'Arimathie.  Total,  treize. 

Pour  le  reste  et  dans  les  moindres  détails,  Greban  a  suivi  scrupuleu- 
sement les  Postilles  de  N.  L.  ;  il  suffira  d'en  donner  quelques  exem- 
ples. 

62.  —  SAINT  PIERRE  RETOURNE  AU  CÉNACLE. 
{Marc,  XIV,  i5.  «  Vobis  demonstrabit.  ») 

.V.  I.,  p.  628.  —  «  In  illo  coenaculo  comederunt  et  in  illo  post  resur- 
rectionem  latuerunt  discipuli  propter  metum  Judaeorum  et  in  illo  Spiri- 
tum  Sanctum  receperunt  in  die  Pentecostes  ut  habetur.  Act.  2.  » 


Greban,  p.  375.  —  Saint  Pierre  : 

Mes  chiers  frères,  doneques  querray 
Ne  scay  ou  ja  les  trouveray, 
N'en  quel  lieu  est  leur  tabernacle 
Se  ce  n'est  au  lieu  de  cénacle 
Auquel  Jhesus  sa  cène  fit  (v.  28605.) 


d'arnoul  grkban  235 


63.  -  L'APPARITION  A  MADELEINE. 
(Joann..  \.\,  16.  «  Dicit  ci  Rabboni.  ») 

N.  L..  p.  1314.  —  «  Sic  enim  consueverat  eum  appellare  ante  passio- 
nem  quia  doctores  apud  Judaeos  vocantur  magistri.  » 

(l)icit  ei  Jcsus  :  Noli  me  tangere.) 

N.  L.  -  «  Illa  enim  ex  devotione  voluit  statim  osculari  pedes  ejus,  sed 
prohibita  est  secundum  Auguslinuin,  quia  erat  indigna  propter  fidei  de- 
fectum,ideo  subditur  :  «  Non  enim  ascendi  ad  patrem  meum.  »  Id  est,  in 
corde  tuo  non  credis  me  pervenisse  ad  aequalitatem  patris.  Aliter  expo- 
nitur  secundum  Chrisostomum,  et  melius  ut  videtur,  ad  cujus  intellectum 
sciendum  quod  apparuit  Mariae  in  consimili  corpore  secundum  appa- 
rentiam,  quale  habebat  ante  passionem  et  non  in  illa  claritate,  quae  est 
proprietas  corporis  gloriosi,  et  ideo  Maria  credebat  ipsum  resurrexisse 
ad  vitam  communem  cura  discipulis  ducendam  sicut  ante,  et  ideo  volebat 
eum  familiariter  tangere  sicut  prius.  Hanc  autem  opinionem  Dominus 
voluit  ab  ea  removere  dicens  :  Noli  me  tangere.  Quasi  dicat  non  credas 
me  inter  vos  babitaturum  sicut  prius  et  hoc  est  quod  dicitur.  Xon  enim 
enim  ascendi  ad  patrem  meum.  Est  assignatio  causae  quare  apparebat 
in  simili  corpore  sicut  et  ante  passionem,  et  non  in  claritate  corporis 
erloriosi.  etc » 


Greban,  p.  386-387.  —  Madelaine,  p.  387  : 

O  mon  maistre,  etc (v.  29503.) 

JHESUS  <v.  29507). 
Cesse,  Marie,  ne  m'atoucbe, 
Et  vueilles  ton  cueur  appaissier 
De  ceste  heure  mes  pies  baisier, 
Car  encor  n'ay  pas  monté 
A  la  haultaine  majesté 
De  la  dextre  de  Dieu  ;  mon  père, 
Car  puisque  ce  divin  mistere 
De  mon  hault  ressuscitement 
Ne  crois  pas  en  cueur  fermement, 
Foible  loy  te  veult  empescher 
Que  ne  me  peus  ne  dois  toucher. 


2:>fi  LA   PASSION 


64.  -  L'APPARITION  A  L'APOTRE  SAINT  PIERRE. 
(Luc,  XXIV,  %.  «  Apparuit  Simoni.  ») 

N.  L..  p.  993.  —  «  Quando  autem  ista  apparitio  fuerit,  non  legitur  ex- 
presse, sed  tune  creditur  fuisse  facta  quando  Petrus  cucurrerat  ad 
monumentum,  et  viderai  linteamina  posita,  abiit  mirans  secum  quod  fac- 
tum  fuerat,  ut  dictum  est  infra.  » 

{Luc,  XXIV,  12.  «  Et  abiit  secum  mirans.  ») 

N.  L.,  p.  990.  —  «  Id  est  cogitans  de  Christi  resurrectione.  » 


Greban,  p.  386,  388-9.  —  Saint  Pierre  : 

Il  n'y  a  mes  que  les  linsseux 

Et  le  suaire  précieux (v.  29447]. 

(Icy  s'en  va  S.  Jehan  aux  apostres.  S.  Pierre  demeure  derrière.) 
Ibid.,  p.  388,  v.  29602  et  sq. 


65.  -  JÉSUS  ERISE  LE  PAIN  DEVANT  LES  PÈLERINS  D'ÈMMAUS. 
(Luc,  XXIV.  3o.  «  Et  accepit  panem  et  l'regit.  ») 

A  .  L.,  p.  1323.  —  «  Id  est  eo  modo  dividebat  eis  et  distribuebat  sicut 
ante  passionem  ad  declarandum  suam  resurrectionem.  Dicunt  enim  ali- 
qui  doctores  et  satis  probabiliter  quod  sic  dividebat  cibaria  sola  manu, 
sicut  alii  cum  cultello,  et  hoc  cognoverunt  eum  cum  aliis  signis.  » 


Greban,  p.  408.  —  «  Isy  brise  Jhesus  le  pain  tellement  qu'il  semble 
estre  coppé.  » 

66.   -   LES  APOTRES  REPRENNENT  LEURS  OCCUPATIONS  : 

LA  PÊCHE  DANS  LE  LAC  DE  TIRÉRIADE. 

(Joann.  XXI,  3.  «  Dicit  eis  Simon  Petrus  :  Vado  piscari  »). 

.Y.  L.,  p.  1320.  —  «  Erant  enim  pauperes  et  ideo  ad  procurandum 
necessaria  vitae  licite  poterant  ad  exercendum  negocium  quod  sine  pec- 
cato  poterat  exerceri.  Mathaeus  autem  non  rediit  ad  tractandum  nego- 
cium telonaei  quia  vix  aut  nunquam  potest  sine  peccato  fieri  ». 


d'arnoul  greban  23" 

Greban,  p.  377,  S.  Bkrthelemy  : 

Or,  mes  frères,  il  nous  convient 

Icy  secrètement  tenir, 

Et  pour  nos  vies  soustenir 

Ensemble  nos  mestiers  ferons  (v.  28753). 


S.    MATHIEU 
En  tant  qu'il  touche  mon  mestier 
Qui  estoit  de  change  et  de  compte, 
Quant  est  a  moy,  je  n'en  tien  compte  : 
James  je  n'y  retournerai  (v.  28761). 

Item,  p.  415,  v.  31703,  etc.,  S.  Pierre  : 
J'iray  pescher 

S.  BERTHELEMY 

A  l'aventure 
Je  suis  tout  prest  de  commancer, 
Car  aussi  nous  fault  il  penser 
De  soustenir  la  pauvre  vie. 


67.  —  S.  PIERRE  MARCHE  SUR  LE  LAC  DE  TIBÉRIADE 

A  LA  RENCONTRE  DE  JÉSUS. 

(Joann.  XXI,  J.   «  El  mi>it  se  in  marc  o), 

N.  L.,  p.  1322.  —  Ut  cilius  veniret  ad  Christum  ex  devotione.  Hic 
dicit  Beda  quod  tune  non  venit  ad  Christum  supra  aquas  ambulando 
sicut  fecerat  prius,  sed  magis  peditando  vel  natando,  sed  rationabilius 
videtur  contrarium.  Non  enim  videtur  quod  natando  venerit,  quia  tune 
tunica  succinxit  se  ut  ad  Christum  veniret,  quod  non  fecisset  si  natando 
venire  vellet,  nec  etiam  peditando  pei  profunium  aquae,  quia  distabat  a 

terra  quasi  cubitis  ducentis  : 

propter  quod  magis  videtur  quod  Petrus  domini  memor  quem  ferventer 
diligebat,  et  pristine  ambulationis  super  aquas,  quando  ad  Christum 
venerat,  quod  simile  hoc  fecerit. 


i ' irebnn,  p.  448,  S.  Pierre,  v.  31859. 

Il  me  fault  ma  robe  lever 
Et  moy  aventurer  tout  oultre. 

Icy  s'en  va  S.  Pierre  tout  teul  sur  là  mer  au  port  ou  J/>esus  est. 


23S  LA   PASSION 


68.  -  L'APPARITION  SUR  LE  MONT  THABOR 

(manque  dans  la  «  Passion  »  d'Arras). 

(Matth.  XXVIII,  16.  «  In  montem  »). 

N.  L.,  p.  469.  —  «  Scilicet  Thabor  in  quo  transfiguratus  fuit  coram 
Jacobo,  Petro  et  Joanne,  ut  habitum  est  supra,  cap.  17.  Ibi  enim  paucis 
ostenderat  gloriam  suae  resurrectionis,  ut  ibidem  dictum  est,  et  ideo  ibi 
resurrectionem  completam  manifestavit  omnibus  discipulis  suis.  Unde 
probabiliter  creditur  quod  illa  fuit  manifestatio  de  qua  scribit  Apostolus 
I,  Cor.  15  :  «  Deinde  visus  est  plus  quam  quingentis  fratribus  simul, 
hic  tamen  non  exprimuntur  nisi  undecim  Apostoli  qui  erant  principales 
Christi  discipuli  ». 

Greban,  p.  420-423,  S.  Andry  : 

Frères,  entendez  moi  parler. 
Chacun  ses  compaignons  assemble 
Et  nous  en  allons  tous  ensemble 
Sur  la  montagne  en  Galillée 
Laquelle  est  Thabor  appelée  (v.  32008). 


69.  —  LA  DERNIÈRE  APPARITION  DE  JÉSUS  A  JÉRUSALEM 

ET  L'ASCENSION  SUR  LE  MONT  D'OLIVET. 

(Matth.  XXVIII,  ië.  a  In  montem  »). 

N.  L.,  p.  469.  —  Liste  détaillae  des  apparitions...  Et  iterum  bis  appa- 
ruit  in  die  ascensionis  semel  in  Jérusalem  ipsis  convescentibus,  et 
semel  in  monte  Olive ti  horae  suae  ascensionis  ut  habetur  Marci  ultimo 
et  Lucae  ultimo  et  Act.  I. 

(Marc.  XVI,  i4-  «  Novissime  recumbentibus  »). 

N.  L.,  p.  660.  —  «  Ista  apparitio  facta  immédiate  ante  ascensionem 
suam  ». 


Ces  deux  épisodes  sont  à  peu  près  semblables  dans  la  Passion  d'Arras 
et  dans  celle  de  Greban  parce  que  le  comm.  de  N.  de  Lire  sur  le  verset  de 
Marc.  XVI,  14,  coïncide  avec  la  Glose  ordinaire  (Patr.  Migne,  t.  114, 
p.  243),  suivie  dans  la  Passion  d'Arras.  Mais  le  poète  d'Arras  (p.  276 
v.  24100)  fait  prononcer  les  paroles  :  «  Vos  autem  sedetein  civitate,  Luc. 
XXIV,  49  »,  par  Jésus  sur  le  mont  d'Olivet,  et  Greban  les  lui  fait  dire 


d'arnoul  greban  239 

(p.   12N,  v.  32,  636)  à   Jérusalem,  dans   le  dernier  repas,  suivant  le  com- 
mentaire de  N.  de  Lire  in  Luc.  XXIV,  49,  p.  9i)f>. 


70.  —  SAINT  MATHIAS  ELU  AU  SORT,  COMME  DANS  L'ANCIEN 

TESTAMENT. 

Ilist.  Scholast.,  Act.  Apost.,  cap.  XI,  Patr.  Migne,  t.  198,  p.  1651. 

«  Et  dederunt  eis  sortes.  I't  cecidit  sors  super  Mathiam,  et  annume- 
ratus  est  cum  undecim.  Non  est  modo  utendum  sortibus,  ut  tradit  Hie- 
ronymus  pro  liac  auctoritate,  quia  privilégia  pancorum  non  faciunt  legem 
communem.  Xondum  tamen  missus  est  Spiritus  sanctus,  necdum  figu- 
rae  légales  penitus  cessaverant.  Ideo  adhuc  positae  sunt  sortes,  sicut  in 
Veteri  Testamento  saepe  factum  legitur  ». 


Greban,  p.  440. 

Faisons  pour  estre  plus  seurs 

Comme  nos  bons  prédécesseurs 

En  l'ancien  testament  faisoient  (v.  33637). 


LES 

MEDITATIONES  VITAE  CHRISTI 

ET 

LA    PASSION    DE    1398 


16 


LES 


MEDITATION  ES  ET  LÀ    PASSION  DE   GREBAN 


Si  Greban  est  avant  tout  un  théologien,  il  n'en  a  pas  moins  pro- 
fité des  légendes  du  pseudo-Bonaventure  ou  des  Meditationes 
Vitae  Christi  précédemment  signalées.  Pas  plus  que  pour  le  poète 
d'Arras,  nous  ne  savons  si  Greban  a  consulté  directement  le  texte 
latin,  ou  une  traduction  française,  mais  nous  savons  qu'il  a  connu 
l'ouvrage  tout  entier,  et  de  plus  une  de  ses  imitations  françaises 
partielles.  Il  serait  inutile  d'étudier  en  détail  tous  les  emprunts 
signalés  plus  haut1,  toutes  les  réminiscences  tantôt  fidèles  et  pré- 
cises, tantôt  modifiées.  Pour  abréger,  on  ne  donnera  qu'un  exem- 
ple des  unes  et  des  autres  dans  les  deux  scènes  les  plus  connues 
du  mystère. 

Voici  d'abord  une  légende  très  ancienne  que  l'on  a  déjà  rencon- 
trée dans  la  Passion  des  Jongleurs,  l'apparition  de  Jésus  à  sa  mère 
après  la  Résurrection.  Si  on  prend  la  peine  de  suivre  cette  légende 
depuis  ses  origines,  on  reconnaîtra  qu'elle  pouvait  très  facilement 
être  mise  en  scène  sans  les  Meditationes,  puisqu'en  fait  elle  y  a  été 
mise  sans  elles  ;  mais  on  reconnaîtra  également  qu'à  cette  légende 
connue  les  Meditationes  ont  ajouté  des  détails  nouveaux,  et  ce 
sont  précisément  ces  détails  qui  reparaissent,  d'ailleurs  très  modi- 
fiés, dans  le  drame  de  Greban.  Cette  scène  peut  donc  servir  de 
spécimen  pour  les  imitations  les  [tins  éloignées  «les  Méditations. 

La  légende  de  l'apparition  de  Jésus  à  sa  mère,  en  opposition 
avec  le  verset  bien  connu  de  l'Evangile  de  saint  Marc  X\  I.  9,  se 
présente  à  nous  smis  <l<-u\  formes  distinctes  : 

i°  La  Vierge  accompagne  les  Saintes  Femmes  au  sépulcre,   et 

1    Page  93  de  ce  livre. 


2ii  LA    PASSION 

c'est  là  qu'elle  retrouve  la  première  son  fils.  Telle  est  la  version 
adoptée  par  quelques  Pères  de  l'Eglise  grecque  et  par  l'auteur  du 
drame  bysantin,  Christus  patiens.  Dans  l'Eglise  latine,  on  la 
retrouve  dans  le  Carmen  Paschale  de  Sedulius (1.  V. ,  v.  322  et  36i, 
Patr.  Migne,  t.  19,  col.  ;38  et  yfô)  et  dans  YElucidarium  d'Hono- 
rius  d'Autun  (1.  I,  ch.  24,  P.  Migne,  t.  172.  col.  1127). 

20  Les  saintes  Femmes  vont  seules  au  sépulchre,  et  la  Vierge, 
qui  a  foi  en  la  Résurrection,  reste  en  prières  dans  sa  maison.  Jésus 
vient  l'y  visiter  la  première  au  sortir  des  Limbes,  puis  retourne 
consoler  Madeleine.  Cette  version  a  été  beaucoup  plus  répandue 
que  la  précédente  en  Terre-Sainte  (d*après  le  Saint  Voyage  en 
Hierusalem  de  Saladin  d'Anglure,  i3o,5,  éd.  Bonnardot  et  Lon- 
gnon,  p.  27-28),  en  France  et  en  Italie.  Les  représentations  artisti- 
ques (vitrail  de  Chartres,  xme  siècle,  clôture  du  chœur  de  Notre- 
Dame  de  Paris,  xive  siècle),  etc.,  ont  été  récemment  décrites  par 
M.  Emile  Mâle  (LArt  religieux,  etc.,  p.  29,5).  Quant  aux  textes 
des  théologiens  du  moyen-àge,  on  les  trouvera  à  peu  près  tous  réu- 
nis par  Suarès(éd.  Vives,  t.  19,  p.  8^5).  Ils  dérivent  en  majorité 
d'un  contre-sens  sur  un  passage  célèbre  de  saint  Ambi'oise,  De 
Virginitate  (1.  I,  ch.  3,  Patr.  Migne,  t.  16,  col.  283).  Les  textes 
français  sont  plus  rares.  On  peut  rappeler  cependant  la  Passion 
des  Jongleurs  et  le  Ci  nous  dit  déjà  reproduit  in  extenso,  et  sur- 
tout le  poème  inédit  de  Jean  de  Venelle  (i35;)  sur  les  trois  Maries, 
dont  suit  un  extrait  largement  suffisant  (Bib.  Nat.  ms.  fr.  12,4^8). 

F.  86  v°,  col.  1.  «  Comment  nostre  sire  Jesu  Christ  s'apparu  ressuscité 
a  la  Vierge  Marie,  sa  mère  doulce,  et  tout  premièrement,  selon  les  doc- 
teurs, combien  que  l'evangille  n'en  face  nulle  mencion  et  pour  cause 

Mieulx  deûst  estre  premeraine  Et  saint  Ambroise  s'i  acorde 

Que  ne  feûst  la  Magdalaine,  Qui  bien  le  dit  et  si  accorde 

Mais  qui  a  droit  y  pensera  Qu'elle  le  vit  premièrement 

Ja  de  ce  ne  se  doubtera  Ressusciter  nouvellement, 

Qu'a  li  ne  soit  sans  arester  Mais  l'euvangille  si  s'en  taist 

Premier  venu  manifester  :  Car  tesmoignaige  de  la  mère 

Devant  doit  estre  confortée  Envers  son  fils  n'envers  son  père 

Celle  qui  tant  desconfortee  N'est  pas  reçeu  communément. 

Fu  pour  son  fils  l'autre  sepmaine,       


D ARNOUL    GREBAN  245 

87  r°,  col.  2  :  «  Comment  la  Vierge  prie  Dieu  le  Père  qu'il  lui  doint 
aucune  revelacion  de  son  fils  Jesu  Crist,  et  lors,  comme  en  la  fin  de  son 
oroison  J.  Crist  lui  apparu  resuscité  a  grant  joie  et  a  grant  clarté,  ende- 
mentiers  que  les  deux  suers  et  la  Magdeleine  estoient  aleez  au  sépul- 
cre. » 

87  v°  et  88  r°  :  Interminable  prière  de  la  Vierge  à  Dieu  le  Père. 

88  v°,  col.  2  :  Jésus  apparait  a  sa  mère  et  retourne  ensuite  vers  la 
Madeleine. 

Avec  le  texte  très  connu  de  Saint  Ambroise  et  surtout  avec  l'ou- 
vrage extrêmement  répandu  de  Jean  de  Venette  on  peut  déjà 
expliquer  les  mentions  rapides  de  l'apparition  chez  les  sermon- 
naires  de  la  fin  du  xive  siècle  (Ex.:  Gerson  éd.  Ellies  Du  Pin,  t.  III, 
p.  1206,  Sermo  in  Festo  Paschae,  Pax  vobis  :  Nec  etiam  dubium 
est  quin  apparuerit  gloriosae  Mariae.  Et  hoc  modo  dicit  sanctus 
Ambrosius...).  La  même  explication  vaut  pour  les  brèves  allu- 
sions à  la  légende  de  l'apparition  dans  la  Résurrection  de  la  B. 
Sainte  Geneviève  (éd.  Jubinal,  t.  2,  p.  3^8),  dans  la  Passion  de 
Semur  (v.  8825),  et  même  pour  l'apparition  longuement  dévelop- 
pée, mais  banale,  sans  citations  latines,  de  la  Résurrection  d'An- 
gers, i456,  (Bib.  Nat.  Réserve  Yf  i5,  cahier  fiiii,  fol.  4  v°.  —  Ex- 
traits dans  Frères  Parfait,  t.  II,  5i2),  si  longtemps  attribuée  par 
erreur  à  Jean  Michel,  et  qui  est  probablement  de  Jehan  de  Prier, 
dit  le  Prieur  (Romania,  1898,  p.G23)'.  Mais  on  n'expliquera  nulle- 
ment de  cette  façon  les  détails  précis  de  la  même  scène  dansla  Pas- 
sion de  Greban,  p.  882,  où  la  Vierge  non  seulement  prie,  mais  récite 
des  versets  des  psaumes  faciles  à  identifier  :  Essurg-e,  gloria 
mea...  psalterium  et  cithara.  —  Exsurg-am  diluculo,  v.  2<j,i55. 

Nulle  part,  à  ma  connaissance,  dans  aucun  des  commentateurs 
des  psaumes  imprimés  dans  les  Patrologies  latine  et  grecque  de 
Migne,  ces  deux  versets  ne  sont  mis  dans  la  bouche  de  la  Vierge. 
Celte  adaptation  je  ne  l'ai  pas  rencontrée  avant  les  Meditationes 
du  pseudo-Bonaventure,  tandis  qu'il  est  relativement  facile  de  la 
retrouver  plus  lard.  Je  me  bornerai  à  citer  in  extenso,  en  raison 


1.  (tu  peut  ajouter  L'apparition  «lu  Christ  à  sa  mère  dans  la  Résurrection  comique. 
>\  Norris,  The  ancient  cornish  Drama,  Oxford,  iSSg,  t.  II,  i>.  35.)  11  <'st  possible  et 
même  probable  que  le9  drames  comiques  sont  imites  plus  ou  moins  directement  des 
m\  stères  français. 


246  LA    PASSION 

de  la  rareté  de  cet  imprimé,  un  passage  d'un  sermon  de  Saint  Vin- 
cent Ferrer  qui  fut  prononcé  à  Toulouse,  le  jour  de  Pâques  1^16, 
et  qui  fit  grand  bruit,  suivant  la  curieuse  déposition  de  Jean  de 
Saxis  dans  le  procès  de  canonisation  —  «J'assistais  à  ce  sermon. .. 
Le  soir  il  me  prit  fantaisie  d'aller  entendre  un  autre  sermon  prê- 
ché par  un  Religieux  d'un  autre  Ordre.  Il  prononça  d'abord  son 
texte  sur  un  ton  plein  de  suffisance,  puis  dès  le  début  rappelant 
certaines  paroles  dites  par  Maître  Vincent,  mais  sans  le  nommer, 
il  dit  que  ce  qui  avait  été  prêché  le  matin  même  par  quelqu'un 
était  apocryphe  et  devait  s'entendre  différemment,  comme  il  se 
faisait  fort  de  le  démontrer  sans  plus  tarder,..». —  Usera  très  facile 
de  voir  que  ce  sermon  «  apocryphe  »  de  Saint  Vincent  Ferrer 
est  composé  avec  les  chapitres  87  et  9-  des  Meditationes  '  ;  plus 
facile  encore  de  constater  que  le  passage  correspondant  du  sermon 
de  Barelette  ~  sur  la  Résurrection  est  copié  littéralement  dans  celui 
de  saint  Vincent. 

Sermones  H.  Vincentii,  elc.  Estivales,  etc.  (Lugduni,  Trechsel,  1493, 
in-4°,  f.  aa  ij,  r°,  col.  2);  sermo  :  «  Surrexit,  non  est  hic.  Marc  XVI,  6  ». 

«  Virgo...  Maria  certissima  erat  quod  Filius  suus  resurgeret  die  tertia 
ut  ipse  praedixerat  ;  sed  forte  nesciebat  horam  suae  resurrectionis,  quia 
non  legitur  quod  Christus  dixerit  horam  suae  resurrectionis,  si  hora 
prima,  etc.  Ideo  Virgo  Maria  in  nocte  praesenti,  quae  sibi  fuit  longa  nox, 
expectabat  resurrectionem  Filii  sui  ;   et  coepit  cogitare  qua  hora  surge- 


1.  Ch.  8;.  De  Resurrectione  Domini  et  quomodo  primo  apparuit  Matri,  Dominica  die. 
Veniens  Dorainus  Jésus  cum  honorabili  multitudine  Angeloruni,  ad  monuraentum, 
die  Dominica,  suramo  mane,  et  reaccipiens  corpus  istud  sanctissiinum,  ex  ipso  mo- 
numento  clauso  processit,  propria  virtute  resurgendo.  Eadera  auteni  hora,  scilicet 
sumino  mane,  Maria  Magdalene  et  Jacobi  et  Salome,  licentia  petita  prius  a  Domina 
coeperunt  ire  cum  unguentis  ad  monumentum.  Domina  autem  domi  remansit  et  ora- 
bat  dicens  :  «  Pater  clementissime...  rogo  m  aj  es  ta  te  m  vestram  ut  lilium  mihi  redda- 
tis...  O  tîli  mi  dulcissime,  quid  est  de  te,  quid  agis?...  Est  hodie  tertia  dies  :  Exsnrge 
ergo  gloria  mea  et  omne  bonum  meum  ». 

Ch.  07  :  «  Et  etiam  forte  ipsi  sancti  Patres,  maxime  Abraham  et  David  veniebant 
cum  [Christel]  ad  videndum  illam  suam  excellentissimam  filiam  niatrem  Domini  y. 

2.  Les  éditions  de  Barelette  sont  nombreuses  et  communes,  donc  inutiles  à  repro- 
duire. —  Sermones  fr.  G.  Barelete. . .  tam  quadragesimales  quam  de  sanctis. . .  Lyon, 
Jacques  Myt.,  1024:  Feria,  I  Resurrectionis.. .  p.  ig5  r°col.  1:  Contemplari  possumus 
quod  [VirgoJ  expectabat  resurrectionem  sed  ignorabat  horam...  Invenit  psalmum 
LXl.. ..Exsurge  gloria  mea,  etc.  »  —  Barelette  a  souvent  pillé  S.  Vincent  Ferrer, 
après  avoir  prononcé  son  panégyrique. 


d'arnoul  greban  247 

ret  et  iiescivit.  Et  sciens  quod  inter  alios  Prophetas  David  plus  locutus 
fuit  de  Christi  passione  et  resurrectione,  posuit  se  ad  legendum  psalte- 

rium,  ut  inveniret  si  aliquid  dixisset  de  hora Tandem  legendo  fuit  in 

psalrao  56,  ubi  loquitur  David  in  persona  Patris  ad  filium  dicens  :  Exurge 
gloria  mea,  exurge  psalterium  et  cithara.  Et  responsio  Filii  ad  Patrem  : 
Exurgam  diluculo.  Nota  quod  Pater  vocat  Filium  tripliciter,  scilicet 
gloriam,  psalterium  et  citharam  propter  tria  quae  Christus  habuit  in 
hac  vita.  1°  Deus  Pater  vocat  Christum  gloriam  suam,  et  hoc  quia  Chris- 
tus in  sua  vita  in  omnibus  quae  fecit  et  dixit  diligebat  et  proeurabat 
honorem  Patris.  Ideo  dicebat  :  Ego  gloriam  meam  non  quaero,  sed  hono- 
rifico  Patrem  meum.  Joan  ,  8.  Ideo   Pater  dixit  :  Exurge  gloria  mea. 

Respondit  Filius  Patri  :  Exurgam  diluculo 

Cogitate,   quando  Virgo  Maria  scivit  horam  resurrectionis,  quomodo 

surrexit  de  oratione  ad  visendum  si  erat  aurora  et  vidit  quod  non Et 

perfecit  psalterium.  Deinde  voluit  videre  si  aliquis  aliorum  prophetaruin 
aliquid  dixisset  de  hora  resurrectionis  ;  et  invenit  in  Osée,  6  ;  qui  loqui- 
tur in  persona  apostolorum  :  Vivijîcabit  nos  post  duos  dies,  et  tertia  die 

suscitabit  nos Tune  Virgo  Maria  surrexit  dicens  :  sufficit  mihi  habere 

très  testes  de  hora  resurrectionis  et  paravit  cameram  et  cathedram  pro 

Filio  dicens  :  hic  sedebit  Filius  meus  et  hic  loquar  ei Et  respexit  per 

fenestram  et  vidit  incipere  auroram  et  gavisa  est Et   Christus  misit 

statim  Virgini  Mariae  Gabiielem  nuntium Etstatim  post  venitad  eam 

Filius   benedictus   cum   omnibus  sanctis    Patribus Christus    autem 

dixit  matri  ea  quae  egit  in  inferno,  quomodo  ligaverunt  diabolum,  et  os- 
tendit  sibi  sanctos  Patres  quos  inde  extraxerat  qui  fecerunt  Virgini 
Mariae  magnam  reverentiam.  Cogitate  quomodo  Adam  et  Eva  dixerunt 
Virgini  Mariae  :  Benedicta  vos  estis  filia  nostra  et  Domina,  etc.  » 

Que  conclure  de  ces  textes?  Si  Saint  Vincent  Ferrer  a  certaine- 
ment imité  les  chapitres  87  et  97  des  Meditationes,  il  est  beaucoup 
moins  certain  que  Greban  ait  imité  directement  le  seul  chapitre  87, 
et,  en  tout  cas,  les  deux  imitations  ne  se  ressemblent  guère.  Le 
grand  prédicateur  Valencien  prodigue  le  merveilleux  ;  le  drama- 
turge le  restreint,  le  prépare  et,  à  force  d'art  et  d'ingéniosité,  le 
rend  presque  vraisemblable.  Dans  la  douleur  et  dans  l'espérance, 
la  Vierge  attend  la  Résurrection  de  son  fds  en  récitant  des  versets 
du  Psautier  : 

Exsurge,  gloria  mea. 

Et  voici  qu'aux  premières  clartés  du  jour,   le  Christ  apparaît, 

seul  :  le  dialogue  ne  dure  qu'un  instant;   c'est  un  rêve,   c'esl   une 


248  LA    PASSION 

ombre  qui  brille  et  qui  s'évanouit.  Ainsi  conduite  la  scène  est  très 
supérieure  au  chapitre  87  des  Meditationes ,  long,  traînant,  et  il 
semble  bien  que  Greban  n'ait  emprunté  en  somme  qu'une  in- 
terprétation ou  glose  des  psaumes  qui  paraît  avoir  été  ima- 
ginée par  le  pseudo-Bonaventure.  Rien  ne  prouve  d'ailleurs  que 
ledit  Greban  l'ait  empruntée  directement  aux  Meditationes,  le  con- 
texte très  différent  de  ces  Meditationes  et  du  mystère  indiquerait 
plutôt  le  contraire.  La  glose  était  sans  doute  devenue  populaire, 
et  il  a  pu  la  recueillir  dans  renseignement  de  l'école.  Nous  allons 
proposer  une  explication  analogue  pour  la  scène  suivante,  qui, 
elle  non  plus,  ne  vient  pas  directement  des  Meditationes  ;  mais  ici 
limitation  plus  longue  et  mieux  caractérisée  permettra  d'arriver  à 
plus  de  précision. 


LA    PASSION 

COMPOSÉE    POUR    ISABEAU     DE    BAVIÈRE    EN     1 398 

ET   LA 

GRANDE  SCÈNE  D'ARNOUL  GREBAN 


Le  texte  latin  des  Meditationes  n'a  été  utilisé  directement  à 
notre  connaissance  que  dans  le  mystère  de  V Incarnacion  et  Nati- 
vité, '  joué  à  Rouen  en  1474  '•  mais  deux  des  nombreuses  imitations 
françaises  des  Meditationes,  la  Passion  de  1398  et  la  Vie  de 
Jésus  Christ  imprimée  en  i486,  ont  influé  directement  ou  indirec- 
tement sur  la  Passion  de  Greban  et  sur  les  mystères  méridionaux 
de  Rouergue. 

Avant  d'aborder  la  Passion  de  i3o,8etla  Vie  de  Jésus  Christ. 
le  plus  simple,  pour  prévenir  toute  confusion,  c'est  de  décrire 
sommairement  le  petit  groupe  d'imitations  dont  elles  font  partie. 
Ces  imitations  se  distinguent  très  nettement  :  i°  des  traductions 
pures  et  simples5,  complètes  ou  partielles  des  Meditationes  dont 
les  manuscrits  sont  si  nombreux  ;  20  des  traductions  3  et  des  para- 


1.  L'auteur  eu  cite  des  chapitres  entiers  dans  ses  notes. 

a.  «  Le  livre  doré  des  Méditations..  »,  traduct.  française  de  Jehan  Galopes  dit  le 
Galoys,  dédiée  «  a  très  hault,  1res  fort  et  très  victorieux  prince  Henri  quint  de  ce 
nom  »  roi  de  France  et  d'Angleterre  (Bib.  Nat.  fr.  g23;  id.  921  et  93a;  n.  a.  fr.  6,539). 

Viennent  ensuite  les  traductions  anonymes,  faciles  à  reconnaître  parce  qu'elles 
commencent  toutes  par  la  première  phrase  du  Prologue,  où  la  première  phrase  du 
premier  chapitre  des  Meditationes  :  Bibl.  Nat.  fr.  980  et  98i  :  fr.  99a  :  IV.  9,589;  fr. 
17.11(1  toi.  70:  Mazarine,  y-t>:  Arsenal  2, 0*36  f.  33o  (traduction  et  non  sermon,  titre 
inexact  1  ;  Rennes,  2O2. 

Enfin  L'ouvrage  non  identifié  et  intit  nié  «  Le  Mistere  de  lu  Résurrection  ••  n'est  encore 
autre  chose  qu'une  traduction  partielle  des  derniers  chapitres  des  Meditationes 
à  partir  du chap.  84  «  Mane  autem  sabbati  ■<  :  Rome.  Vat.,  Christ.  [328,  1.  a4;  Paris, 
B.  N.  fr,  968  f.  102;  fr,  [918,  f.  61  :  Besançon,  a5j  f.  \s- 

$.  Traductions  françaises  anonymes  :  n.  X.  fr.  133-139  (id.  Cambrai,  858  :  B.  X.  fr. 
(03-408;  Cambrai, 8i3. 
Traduct.  signées  :  i"  par  Jehan  Aubert  i<:r.  Romania  1883,  p.  169):  a*  B.  X.  fr,  30,096- 


250  LA   PASSION 

phrases  de  la  Vita  Christi  composée  sur  le  modèle  des  Medita- 
tiones,  par  Lupold  le  Chartreux,  prieur  de  la  Chartreuse  de 
Strasbourg,  vers  i33o. 

Les  seuls  ouvrages  semblables  que  nous  ayons  à  classer  et  à 
discerner  sont  donc  les  suivants,  du  xive  au  xve  siècle  : 

Imitations  françaises  des  «  Meditationes  » 

i°  Année  i38o,  —  Traduction  abrégée  faite  par  Tordre  du  duc 
de  Berry.  —  Le  manuscrit  original  est  à  la  Bibliothèque  de  Darin- 
stadt,  n°  18  ;  un  autre  ms.  à  la  B.  de  Carpentras,  n°  28. 

L'ouvrage  a  été  imprimé  sous  ce  titre  : 

Cy  commence  une  ||  moult  belle  et  ||  moult  notable  ||  deuote  matière 
qui  est  ||  moult  prof'fitable  a  tou  ||  te  créature  hu  ||  maine  ||  C'est  la  vie  de 
nostre  benoît  sauueur  ihesuscrist  ordonnée  en  brief  langaige,  etc 

In-fol.  de  63  f.  non  chiffrés,  sig.  ai-hv.  Car.  goth.,  a  2  col.  — 
Edition  imprimée  d'après  Brunet,  avec  les  gros  caractères  de  Guil. 
Leroy  à  Lyon.  —  Exemplaire  à  la  B.  Nat.  Béserve,  H  i55  (1). 

Cet  exemplaire  contient  en  tète  une  table  des  chapitres  écrite 
par  l'ancien  propriétaire,  le  bibliophile  de  Cangé.  —  Le  Ier  chapi- 
tre correspond  au  chap.  I  des  Meditationes  : 

Nature  humaine  par  l'espace  de  cinq  mille  ans  demoura  en  grand 
misère,  tant  que  pour  le  pechié  d'Adam  nul  ne  pouoit  monter  en  paradis, 
dont  les  benoîts  anges  en  eurent  grand  pitié,  et  si  furent  desirans  de 
veoir  Nature  bumaine  empivs  eulx,  es  sièges  de  Paradis. 

Le  récit  poursuit  jusqu'à  la  fuite  en  Egypte,  Ch.  10,  p.  43  (jolie 
légende  du  semeur).  —  Suivent  dans  le  Chap.  11,  p.  45  à  58,  les 


12  1.1»);;,  traduction  de  fr.  Guil.  Le  Menand,  imprimée  à  Lyon  par  J.  Buyer  et  Mathis 
Husz,  1487.  et  souvent  réimprimée. 
La  Vita  Christi  a  inspiré  deux  paraphrases  ou  imitations  libres: 
1°  Une  traduction  abrégée,  intéressante,  qui  contient  à  la  fin  quelques  légendes 
anciennes  sur  Judas,  Pilate,  et  la  destruction  de  Jérusalem  :  B.  N.  fr.  181,  (exemplaire 
de  Louis  de  Bruges,  sgr.,  de  la  Gruthuyse),  publié,  mais  écourté  et  rajeuni  par  A.  Lecoy 
de  la  Marche,  Paris,  G.  Hurtrel,  1830. 

2°  Une  longue  paraphrase  par  Jehan  Mansel  de  Hesdin  (cf.  Journal  des  Savans, 
1903,  p.  13),  conservée  à  l'Arsenal,  n°  52o5-52o6.  Ces  manuscrits,  aussi  beaux  qu'en- 
nuyeux ne  valent  que  par  les  miniatures. 


d'arxoul  greban  25i 

Miracles  de  N.  S.,  qui  suivant  la  remarque  de  Cangé,  sonl  une 
traduction  libre  de  l'apocryphe  Evangélium  Infantiae (Tischen- 
dorll'.  Ev.  dpocrjypha,  1876,  p.  5o  et  suiv.).  —  Les  Chap.  12  à  43, 
p.  118,  depuis  le  retour  de  la  sainte  famille  à  Bethléem  jusqu'à  la 
Cène,  sont  de  nouveau  une  imitation  libre  des  Meditationes.  Ce 
petit  livre  est  d'une  naïveté  charmante  comme  l'original. 

20  Année  i3o8.  —  La  Passion  translatée  par  ordre  d'Isabeau  de 
Bavière,  qui  sera  étudiée  plus  loin  avec  ses  trois  suites  : 

a)  La  Passion  «  selon  la  sentence  du  philosophe  Aristote  », 
vers  1 4  •")»). 

b)  La  Passion  moult  piteuse etc.  (1490). 

c)  La  Passion  «  Secundu/n  legem  débet  niori  ».  imprimée  par 
Denis  Roce. 

3°  Année  1462.  —  Bib.  Nat.  fr.,  9,  58-  : 

S'ensieult  la  Vie  de  N.  S.  J.  Christ  abrégée  et  compilée  par  ung 
Religieux  Celestin.  l'an  1462. 

Au  texte  des  Meditationes  le  R.  Celestin  a  ajouté  divers  souve- 
nirs de  ses  lectures:  fol.  3  r°,  allusion  au  livre  de  Planctu  Xaturae 
du  grand  Alain  [de  Lille];  fol.  i5i,  une  traduction  en  méchants 
vers  français  de  la  plainte  connue  de  la  Vierge  au  pied  de  la  Croix 
[Quis  dabit  capiti  rneo  aquani)  ';  fol.  2o3,  résumé  de  la  légende  de 
Joseph  d'Arimathie.  —  L'ouvrage  médiocre  se  termine  par  un 
«  notable  dictier  des  louenges  et  privilèges  de  Mgr.  Saint  Joseph  » 
par  maistre  Jehan  Ramesson,  qui  est  probablement  distinct  du 
Celestin. 

4°  Année  i4#5.  —  La  Vie  de  Jesu  crist.  imprimée  par  Robin 
Foucquet. 

Cette  compilation  se  compose  essentiellement  :  i°  de  l'Enfance 
et  de  la  vie  publique  de  Jésus,  composées  à  l'aide  de  chapitres 
détachés  de  Meditationes;  ■>  d'une  légende  de  Judas;  ']  d'une 
version  en  prose  (xivc  siècle)  d'un  ancien  poème  français  tiré  de 
l'Evangile  de  Nicodème,  version  qui  a  reçu  ici  diverses  interpola- 
tions empruntées  elles-mêmes  à  la  Passion  de  1398.  Les  diverses 


1.  Sur  «r  petit  traité  apocryphe,  attribué  tantôt  à  saint  Augustin,  tantôt  à  saint 
Anselme  <>n  à  saint  Bernard,  voir  P.  Meyer.  Bulletin  de  lu  Soc.  des  une  textes  fran- 
çais, i,s-.">.  p.  iii    —  Il  y  en  a  uni' autre  traduction  dans  la  Passion  de  i3q8 


252  LA    PASSION 

parties  de  cette  compilation  ont  paru  à  part  plus  ou  moins  rema- 
niées sous  des  titres  divers,  et  l'ensemble  a  été  réimprimé  jusqu'au 
dix-neuvième  siècle.  —  Ce  livre  sera  étudié  à  pai*t  avec  les  mys- 
tères rouergats  auxquels  il  se  rattache  étroitement. 

5°  Année  i499-  —  Bib.  Nat.  n.  a.  fi.*.,  4,164  : 

La  vraye  fleur  et  myolle  de  la  vie  très  saincte  de  nostre  très  doulx 
sauveur  Dieu  Jhesucrist  et  de  sa  Virge  Mère. 

Compilation  insipide  de  691  f.  qui  remplace  les  légendes  par 
d'interminables  dialogues  entre  les  personnes  de  la  Trinité. 

Toutes  ces  imitations  des  Meditationes  classées,  nous  pouvons 
reprendre  en  détail  la  Passion  composée  pour  Isabeau  de  Bavièi^e, 
et  montrer  son  influence  sur  les  mystères  du  Nord  et  du  Midi. 

La  scène  la  plus  célèbre  de  la  Passion  de  Greban  (et  de  tout  le 
théâtre  religieux  du  moyen  âge)  a  été  tirée,  comme  on  va  le  voir, 
d'un  long  récit  en  prose  de  la  Passion,  composé  en  i3o,8,  qui  com- 
mence ainsi  : 

«  A  la  loenge  de  Dieu  et  de  la  Vierge  souveraine  et  de  tous  sains  et 
et  saintes  de  Paradis,  a  la  requeste  de  très  excellente  et  redoubtee  dame 
et  puissante  princesse,  dame  Isabel  de  Bavière,  parla  grâce  de  Dieu 
royne  de  France,  j'ay  translaté  ceste  passion  de  Ihesu  Crist  nostre  sau- 
veur, de  latin  en  français,  sans  y  ajouster  moralité/,  hystoires,  exemples 
ou  figures,  l'an  mil  CCC.  IIIIXU  et  dix-huit,  prenant  mon  commence- 
ment de  la  suscitation  du  ladre,  pour  ce  que  icellui  miracle  avecques  les 
autres  par  avant  faits  par  Ihesus,  furent  occasion  aux  Juifs  de  machiner 
et  traitt.ier  la  mort  et  passion  de  Ihesu  », 

et  qui  finit  ainsi,  après  l'ensevelissement,  quand  la  Vierge  est 
retournée  avec  ses  amis  à  Jérusalem  : 

«  Et  lors  restraigny  ses  doulleurs  en  espérance  certaine  d'estre  prou- 
chainement  consolée  de  la  résurrection  de  son  filz  de  laquelle  résurrec- 
tion nous  veulle  faire  participer  le  Père  et  le  Fils  et  le  Saint  Esperit, 
ung  Dieu  en  Trinité.  Amen.  » 

L'ouvrage  n'a  pas  été  imprimé  à  ma  connaissance,  mais  les  ma- 
nuscrits en  sont  extrêmement  nombreux  en  France  et  à  l'étranger. 

B.  de  Besançon  n°  257,  f.  77-185  ;  Bouen,  n°  1430  ;  Troyesi  Ane.  Catal. 
gr.  in-4\  Coll.  des  Doc.  inédits  sur  l'Hist.  de  France,  n»  1257  et  1311); 
Bib.  Mazarine,  949;  Arsenal,  2038,  2075,  2386;  B.  Nation.,  966,  978, 
1917,  1918.  2454,  13095.   24438,  fol.  1  à  82  r";   n.   a.  fr.   10059,   p.  145   r°  ; 


li  AKNOUI.    GUE BAN 


M.  de  Chantilly,  n°  860  et  654;  —  Bruxelles,  ms.  de  la  B.  de  Bour- 
gogne, 9303;  Munich  (cf.  Hennin.  Mon.  de  l'Hist.  de  France,  17);  British 
Muséum,  Ms.  addit.  9288,  etc. 

L'ouvrage  est  attribué  tantôt  et  par  erreur  à  Jean  Gerson.  tantôt 
(B.  de  Besançon,  n°  25;)  au  P.  Henri  de  la  Balme,  cordelier,  con- 
fesseur  de  Ste  Colette,  lequel  en  a  peut-être  simplement  pris  copie; 
le  plus   souvent  il   est  anonyme    et.   en    réalité,  L'auteur   en   est 
inconnu.  Quoi  qu'il  en  soit,  cet  auteur  ne  tient  nullement  les  pro- 
messes de  son  titre,  et  il  s'est  inspiré  de  son  imagination  ou   de 
légendaires  connus  beaucoup  plus  que  des  évangiles  canoniques. 
Nous  nous  bornerons  à  analyser  en  détail  la  ire  partie  de  l'ouvrage. 
Aussitôt  après  la  «  suscitation  du  Ladre  »,  c'est-à-dire  quinze 
jours  avant  la  Passion.  Jésus  se  dérobe  à  ses  ennemis  et  s'en  va 
prêcher  en  Galilée.  Le  samedi  de  Pâques  fleuries,  il  est  de  retour 
à  Béthanie  auprès  de  sa  mère,  et  il  s'assied  à  la  table  de  Simon  le 
lépreux,  où  Lazare  décrit  longuement  les  peines  d'enfer,  au  dire 
de  saint  Augustin.  Le  lendemain,  Jésus  fait  son  entrée  à  Jérusalem, 
renverse  les  tables  des  changeurs,  et  prêche  toute  la  journée  sans 
que  personne  ne  songe  à  le  recevoir.  Il  rentre  à  jeun  chez  ses  amis 
de  Béthanie,  et  à  sa  mère  qui  le  conjure  de  ne  plus  retourner  au 
milieu  d'un  peuple  indifférent  ou  ennemi,  il  objecte  sa  mission 
divine  et  le  verset  d'Isaïe  :  Hosfilios  ennlriin,  ipsi  autem  spreve- 
runt  me.   Le  lundi,  il  retourne  à  Jérusalem,   délivre  la   femme 
adultère  et  prêche  au  temple  jusqu'à  ce  que  les  prêtres  se  mettent 
en  devoir  de  le  lapider  ;  alors  il  disparait,  guérit  sur  son  chemin 
l'Avcugle-Xé  qu'il  envoie  à  la  fontaine  de  Siloé,  et  revient  à  Bé- 
thanie consoler  sa  mère  qui   s'étonne  de   le   retrouver  toujours 
«  disetteux  et  affamé  ».  Le  mardi,  nouvelle  prédication  à  Jérusa- 
lem (le  tribut  de  César,  la  femme  aux  sept  maris,   le  plus  grand 
commandement,  parabole  du  banquet  de  noces  et  des  ouvriers  de 
la  vigne,  annonce  la  destruction  de  Jérusalem).   Quand  il  repart 
à  la  nuit,  les  prêtres  veulent  le  saisir,  mais  il  se  rend  invisible. 
«  Et  veullent  dire  aucuns  que  une  grant  pierre  apeilee  1<-  saut  de 
David  se  ouvri  par  le  milieu  et  se  parti  en  pièces...  »  et  protégea 
la  retraite  de  Jésus,  «  de  laquelle  pierre  restent  encore  les  ensein- 
gnes  ».  En  revenant  vers  le  mont  d'Olivet,  il  annonce  à  ses  dis- 
ciples  les   signes    de   la   lin   du  monde   «  l    du  jugement  dernier. 
La  Vierge  impatiente  vient  à  leur  rencontre  et  «  cheoit  comme 


LA    PASSION 


morte  »  quand  les  disciples  lui  apprennent  les  dangers  que  son 
fils  a  courus.  Celui-ci  la  réconforte  en  lui  promettant  que  le  len- 
demain il  ne  la  quittera  pas.  et  tous  regagnent  Béthanie  où  Judas, 
le  traître  futur,  reçoit  la  place  d'honneur  au  souper.  Le  lende- 
main, mercredi,  la  Vierge  supplie  vainement  Jésus  d'éviter  la 
Passion  (c'est  le  dialogue  célèbre  que  nous  avons  reproduit  in 
extenso),  et  le  jeudi,  Jésus  envoie  Pierre,  Jacques  et  Jehan1, 
«  ses  plus  espéciaulx  secrétaires  »  à  Jérusalem  préparer  la  Cène. 
La  suite  n'est  plus  guère  que  la  traduction  libre  ou  la  paraphrase 
du  récit  de  la  Passion  tel  qu'il  se  trouve  dans  les  Meditationes 
(chapitres  73-83),  avec  l'addition  de  quelques  anecdotes,  et  de  la 
traduction  d'un  apoci'yphe  déjà  vu  (Quis  dabit  capiti  meo  aquam) 
attribué  ici  à  Saint  Augustin.  Malgré  ces  additions,  les  Medita- 
tiones restent  la  source  principale  de  la  Passion  de  i3g8,  et  cette 
source  était  si  bien  connue  jadis  que  dans  quelques  copies  de  cette 
Passion,  à  la  suite  de  Yexplicit  primitif  indiqué  précédemment 
p.  202,  on  a  ajouté  sous  le  titre  de  «  Mystère  de  la  Résurrection  » 
la  traduction  d'un  nouveau  chapitre  des  Meditationes  (chap.  84, 
Mane  au  te/11,  etc.). 

De  ce  qui  précède  on  conclura  que  la  Passion  de  i3q8  ne  res- 
semble que  de  loin  au  mystère  de  Greban  ;  l'ordre  et  le  choix  des 
épisodes  y  sont  très  différents.  Le  dramaturge  ne  s'en  est  pas 
moins  souvenu  des  entretiens  de  Jésus  avec  sa  mère,  plusieurs 
détails,  en  particulier  la  citation  commune  d'Isaïe  :  <(  Hos  filins 
enutriçi  »  i  le  prouvent.  Seulement.  Greban  a  su  dégager  la  scène 
principale  des  redites,  et  il  lui  a  donné  toute  sa  valeur.  A  vrai  dire, 
cette  scène  principale  ou  cet  épisode  de  la  Passion  de  i3o,8  était 
lui-même  inspiré  par  le  72e  chapitre  des  Meditationes  ;  l'idée 
n'était  pas  neuve,  mais  le  développement  en  est  original  et  ajoute 
beaucoup  au  modèle.  C'est,  somme  toute,  ce  qu'il  y  a  de  mieux 
dans  le  récit.  Aussi  Greban  a-t-il  reproduit  le  passage  souvent 
littéralement 3. 

Le  récit  de  i3o,8,  inspiré  en  grande  partie  par  les  Meditationes 
Vitae  Christi  a  été  lui-même  souvent  mis  à  contribution  : 

i°  Dans  la  compilation  intitulée  La  Vie  de  Iesucrist....  impri- 

1.  Cf.  Greban,  p.  228,  v.  i-,6i3-5. 

2.  Cf.  Greban,  p.  214,  v.  16,430.  —  3.  It.  p.  214,  v.  16,019. 


I)  ARNOUI.    GREBAX  1'.',.", 

mée  par  Robin  Foucquet,  etc.,  i485  (H.  Nationale  Réserve  II.  .">o<> 
(i)  qui  sera  décrite  et  «  extraite  0  plus  loin. 

•2°  Dans  une  autre  Passion  en  prose  de  la  première  moitié  du  x\° 
siècle  qui  commence  ainsi  :  «  Selon  la  sentence  du  philosophe 
Aristote  mi  son  premier  livre,  de  physique  ».  et  dont  les  manus- 
crits sont  également  nombreux:  B.  Nat.  g()S,  969,  <)~3.  gj5,  loi.  26; 
B.  de  l'Arsenal,  20-6,  6869,  fol.  ni  à  192;  B.  municip.  de  Lyon, 
864  (exemplaire  copié  en  1400). 

La  citation  d' Aristote  est  suivie  de  beaucoup  d'autres  du  même 
goût,  détachées  en  belles  lettres  rondes.  C'est  à  peu  près  tout  ce 
que  le  nouveau  compilateur  a  ajouté  à  la  compilation  de  1398, 
et  son  imitation  est  si  servile  qu'elle  ne  mérite  pas  d'être  analysée 
à  part  :  la  précédente  analyse  peut  servir  pour  les  deux  ouvrages. 
Ajoutez  de  nouvelles  citations  et  force  anecdotes  et  historiettes 
(par  exemple,  fol.  d  recto  de  l'imprimé,  le  vieux  conte  des  Fem- 
mes et  du  secret  à  propos  de  la  Cène  et  de  la  trahison  de  Judas!), 
et  vous  aurez  l'incunable  suivant  qui  n'a  pas  encore  été  identifié, 
à  notre  connaissance  : 

La  Passion  de  notre  saulueur  et  redem\\pteur  ihesucrist  moult  piteuse 
moralisee  Jîgu\\ree  et  hystoriee  par  auctoritez  et  exemples,  \\  laquelle 
il  souffrit  pour  l'umain  lignaige  ».  —  Au  verso  du  dernier  feuillet  : 
«  Cy  finist  la  passion  de  nostre  seigneur  ihesu  crit  (sic)  imprimé  l'an  de 
grâce  mil.  cccc.lxxxx  (1490),  le  xvi"  d'aoust,  —  (S.  1..;  in-fol.  car.  goth. 
de  89  ff.  non  chiffrés  a  longues  lignes,  au  nombre  de  35  sur  la  page, 
signât,  a  —  o  iiij,  avec  fig.  sur  bois  (B.  Nat.  Réserve,  H  1106,  exemplaire 
bien  complet,  et  B.  de  l'Arsenal,  Théologie,  1445  A,  ex.  incomplet  du 
titre  et  de  quelques  feuillets);  Brunet  (5e  édit.),  t.  IV,  p.  423. 

Même  ouvrage  imprimé  à  Lyon  le  vic  jour  de  janvier,  l'an  M.CCCC. 
XCIX  (1499),  in-4°  goth.,  tig.  sur  bois  {Brunet,  t.  IV,  p.  424). 

Le  troisième  rédacteur  ou  compilateur  ne  cherche  pas.  du  reste. 
à  donner  le  change,  pas  plus  que  ne  l'avait  l'ait  son  prédécesseur; 
la  phrase  finale  de  l'imprimé  le  prouve  : 

«  Et  pourtant  celluy  qui  ceste  euvre  si  a  acomplie  de  divers  livres 
e.xtraictz  prie  a  eeulx  qui  ceste  présente  passion  liront  qu'il/,  ayenl  mé- 
moire des  choses  qui  dedens  sont  contenues  a  l'honni'in  île  Dieu  qui 
sans  fin  règne  et  régnera  in  secula  seculorum,  Amen.  manus- 

crits conse»  vée).  Item  celluy  qui  ceste  présente  passion  si  a  en  ce  poinl 
reduicte  a  l'instance  du  noble    roy  de  France  prie  a  tous  et  a   imites  qui 


256  LA    PASSION 

ceste  présente  passion  verront  et  lire  orront  si  prient  Dieu  pour  les 
âmes  des  dictz  roys  et  extracteurs  en  disant  Pater  noster,  Ave  Maria 
(ajouté  par  l'imprimé). 

Les  manuscrits  et  les  éditions  imprimées  de  la  Passion  «  selon 
la  sentence  du  philosophe  Aristote  »  furent  plus  d'une  fois  mis  à 
contribution  parles  prédicateurs  français  du  xve  siècle  :  plus  d'un, 
notamment  Olivier  Maillard  ',  vint  y  copier  en  les  abrégeant  les 
«  requêtes  de  Notre  Dame  à  son  fds  ».  Cependant  le  texte  primitif 
ou  la  Passion  composée  en  i3o,8  pour  Isabeau  de  Bavière  ne  fut 
pas  oublié,  et  les  manuscrits  s'en  multiplièrent  jusque  dans  la  pre- 
mière moitié  du  seizième  siècle  (exemple  :  B.  Nationale,  ms.  1918). 
11  vaut  la  peine  de  le  noter  dès  à  présent,  car  c'est  la  Passion 
de  1398  et  non  la  Passion  «  selon  la  sentence  du  philosophe  Aris- 
tote »  que  nous  retrouverons  librement  imitée  (et  quelquefois 
copiée)  dans  un  sermon  sur  la  Passion,  imprimé  par  Denis  Roce  *, 
lequel  a  inspiré  lui-même  un  des  mystères  rouergats.  le  Jutga- 
men  de  Jésus. 

Pour  qu'on  puisse  suivre  la  filière  de  tous  ces  emprunts,  nous 
allons  reproduire  : 

i°  Le  chapitre  LXXII  des  Meditationes  Vitae  Christi  du  pseudo- 
Bonaventure.  On  verra  combien  il  diffère  du  texte  français  de 
1398.  L'auteur  français  a  laissé  Notre  Dame  et  son  fds  seuls  en 
présence  dans  cette  entrevue  suprême,  et  il  a  supprimé  avec  rai- 
son Marie-Madeleine  vraiment  faite  pour  gêner  toute  effusion. 
Greban  et  plus  tard  Jean  Michel  ont  fait  de  même. 

2"  Le  texte  des  quatre  requêtes  de  Notre  Dame,  dans  la  Passion 
de  i3g8.  Pour  ce  texte,  on  a  suivi  les  manuscrits  2o38,  fol.  16  r°  ; 
2o;5,  fol.  28  v°,  et  2386.  fol.  6  r°,  de  l'Arsenal,  comparés  avec  les 
ms.  1917,  fol.  22  v°  à  24  v°  ;  1918,  fol.  11  r°  à  12  r°  ;  26,438, 
fol.  1  3  r"  ;  n.  a.  fr.,  10,069,  fol.  100  v°,  de  la  Bibl.  Nationale,  et  le 
ms.  949,  fol.  20  r',  de  la  Mazarine.  Au  reste  les  différences  des 


1.  (Jtiadragcsimale  opus,  Paris,  Phil.  Pigouchct.  juin  i.">26  (B.  >»*at.,  Réserve,  D.  42, 
606;.  —  Feria  1 1 1 1  ebdomade  sancte,  Sermo  LXI  fol.  CX  recto  :  Post  rnultos  fletus  bea- 
tissima  virgo  fecit  sibi  très  sic)  requestas.  Prima  quod  si  reparatio  generis  humani  pos- 
set  fieri  sine  morte,  etc.  ». 

3.  Ce  sermon  sera  réimprime  plus  loin  comme  une  des  sources  des  Mystères 
Rouergats. 


d'arnoui.  gheban  257 

manuscrits  pour  ce  passage  important  sont  insignifiantes  et  ne 
portent  guère  que  sur  L'orthographe. 

3°  Le  texte  différent  des  mêmes  requêtes  dans  la  Passion  «  selon 
la  sentence  du  philosophe  Aristote  »,  d'après  les  manuscrits  de  la 
Bibl.  Nationale  IV.  968,  fol.  10  r°  ;  969,  fol.  12  v°  ;  97*3.  14  r°;  9?5, 
fol.  38  v°,  comparés  à  L'imprimé  :  La  Passion  de  notre  saulueur.... 
moult  piteuse,  moralisee,  figurée  et  hystoriee  (i49°)5  (13.  Nat: 
Réserve,  H.  1106). 

Si  cet  imprimé  est  souvent  différent  des  manuscrits  et  s'il  y  fait, 
comme  nous  l'avons  dit,  de  notables  additions,  il  n'ajoute  absolu- 
ment rien  au  texte  des  requêtes  et  le  reproduit  tel  quel.  La  citation 
in  extenso  est  assez  longue  pour  permettre  à  tous  de  juger  que 
l'auteur  du  sermon  imprimé  par  Denis  Roce  a  bien  copié  non 
cette  Passion  «  selon  la  sentence  du  philosophe  Aristote  »,  mais 
la  Passion  de  1398,  et  cette  distinction  a  son  importance. 


MEDITATIONES  VITAE  ClIMSTI 

(Cap.  lxxii). 

Quando  cominus  Jésus  mortem  suam  praedixit  matri. 

Hic  potest  intei-poni  nieditatio  valde  pulchra,  de  qua  tamen  scriptura 
non  loquitur.  Coenante  namque  Domino  Iesu  die  Mercurii  cum  discipu- 
lis  suis  in  domo  Marie  et  Marthe,  et  eliam  matre  ejus  cum  mulieribus 
in  alia  parte  domus  :  Magdalena  ministrans  rogavit  Dominum,  dicens  : 
Magister  sitis  memor,  quod  facietis  pascha  nobiscum,  rogo  vos  ut  hoc 
non  denegetis  mihi.  »  (Juo  nullalenus  acquiescente,  sed  dicenle  quod  in 
Hierusalem  faceret  pascha:  illo  recedens  miro  cum  fletu  et  lacrymis. 
vadit  ad  Dominam  et  liis  ci  narratis  rogat,  ut  ipsa  eum  ibi  in  pascha 
teneat.  Coena  igitur  i'acta,  vadit  Dominus  Iesus  ad  matrem,  et  sedet 
cum  ea  seorsum  colloiiuens  cum  ea,  et  copiam  ei  suae  praesentiae  pi 
bens  quam  in  brevi  subtracturus  erat  ab  ea.  Conspice  nunc  bene  ipsos 
sedentes,  et  ([uomodo  Domina  reverenter  eum  suscipit,  el  cum  eo  ai 
tuose  moratur,  et  similiter  quomodo  Dominus  reverenter  se  babet  ad 
eum.  Ipsis  igitur  sic  colloquentihus,  Magdalena  vadit  ad  eus,  el  ad  pedea 

17 


258  LA    PASSION 

eorum  sedens,  dicit  :  Domina,  ego  invitabam  magistrum  ut  hic  faceret 
pascha,  ipse  vero  videtur  voile  ire  Hierusalem  ad  paschandum,  ut  capia- 
tur  ibi  ;  rogo  vos  ut  non  permittatis  eum  ire.  Ad  quem  mater  :  Fili  mi, 
rogo  te  ut  non  sic  fiât,  sed  faciamus  hic  pascha.  Scis  enim  quod  insidiae 
ad  te  capiendum  ordinatae  sunt.  Et  Dominus  ad  eam  :  Mater  charissima, 
voluntas  patris  est,  ut  ibi  faciam  pascha,  quia  tempus  redemptionis 
advenit.  modo  implebuntur  omnia  quae  de  me  scripta  sunt,  et  facient  in 
me  quidquid  volent  ».  At  illae  cum  ingenti  doloie  haec  audierunt,  quia 
bene  inteJlexerunt  quod  de  morte  sua  dicebat.  Dicit  igitur  mater  vix 
valens  verba  formata  proferre  :  Fili  mi,  tota  concussa  sum  ad  vocem 
istam  et  cor  meum  dereliquit  me.  Provideat  pater  quia  nescio  quid 
dicam.  Nolo  sibi  contradicere,  sed,  si  ipsi  placeret,  roga  eum  ut  différât 
ad  praesens,  et  faciamus  hic  pascha  cum  istis  amicis  noslris.  Ipse  vero, 
si  tibi  placebit,  poterit  de  alio  modo  redemptionis  sine  morte  tua  provi- 
dere  quia  omnia  possibilia  sunt  ei  ». 

O  si  videres  inter  haec  verba  Dominam  plorantem  modeste  tamen  et 
placide,  et  Magdalenam,  tanquam  ebriam,  de  magistro  suo  largiter  et 
magnis  singultihus  flentem,  forte  nec  tu  posses  lacrymas  continere. 
Considéra  in  quo  statu  esse  poterant,  quando  haec  tractabantur.  Dixit 
enim  Dominus  bîande  consolans  eas  :  Xolite  flere,  scitis  quod  obedien- 
tiam  Patris  me  implere  oportet,  sed  pro  certo  confidite,  quia  cito  re- 
vertar  ad  vos,  et  tertia  die  resurgam  incolumis.  In  monte  igitur  Sion 
secundum  voluntatem  Patris  faciam  pascha  ».  Dixit  autem  Magdalena  : 
Ex  quo  non  possumus  eum  hic  tenere,  siinus  et  nos  in  domo  nostra  in 
Hierusalem,  sed  credo  quod  nunquam  habuit  pascha  sic  amarum  ».  Ac- 
quievit  Dominus,  quod  et  ipsae  in  dicta  domo  facerent  pascha'. 


i.  Ce  chapitre  du  pseudo-Bonaventure  a  naturellement  été  très  souvent  imité  en 
Italie,  et  il  est  devenu  un  lieu  commun  du  théâtre  et  de  la  chaire,  cf.  notamment 
Al.  d'Ancona,  Sacre  rappresentazione  (délia  Cena  e  Passione.  di  Mess.  Castellano  Cas- 
tellani,  i5i9,  t.  I,  p.  3o6)  et  Barelette  (Sermones  Jratris  Gabrielis  Barelete :  In  die  paras- 
seeves,  Sermo  de  passione  (dans  Tédition  commune,  p.  180  col.  i  recto  à  191,  col  2  recto  : 
Cena  facta  vadit  Jésus  ad  matrem,  etc.  —  Les  premières  lignes  du  pseudo-Bonaven- 
ture sont  copiées  littéralement  par  Barelette,  puis  Jésus  et  sa  mère  argumentent  en 
citant  le  Digeste  et  Aristote. 


D'ARNOUL    OKEBAN  259 

PASSION    FRANÇAISE    l)K    1398 

(B.  de  l'Arsenal,  2038,  fol.  16,  r°,  etc..  voir  p.  256). 
Les  quatre  requestes  de  Nostre  Dame  a  Jésus. f 

Cf.  Greban,  p.  213-215,  v.  16423-16638. 

Mercredi  demoura  Jhesus  en  Bethanie  en  celle  maison  de  Marthe 
avecque  sa  tendre  mère,  si  comme  le  jour  devant  promis  lui  avoit  en  la 
consolant  et  reconfortant  snr  le  mistere  de  sa  glorieuse  passion.  Et 
croiez  que  celui  jour  ilz  dirent  l'un  a  l'autre  moult  de  douces  et  piteuses 
paroles  que  l'en  ne  treuve  pas  escriptes.  Touttesfois  entre  les  autres  l'en 
trouve  escriptes  aucunes  parolles  et  requestes  que  la  Vierge  Marie  dist 
celui  jour  a  son  tresdoulz  et  amé  tilz,  disant  en  ceste  manière  : 

a  Beau  filz,  je  sçay  que  la  fin  pour  quoy  tu  as  en  moy  prins  char  hu- 
mainne  ce  a  esté  pour  racheter  humainne  lignée,  et  je  ne  vueil  pas  ce  em- 
pescher,  comme  autresfois  je  l'a  y  dit  et  aussi  tu  le  scés  bien,  qui  le  secret 
de  tous  cueurs  congnois  clerement.  Mais  considère  que  vecy  le  ventre 
qui  t'a  porté;  vecy  la  poitrine  dont  tu  as  esté  alaicté.  Vecy  la  mère  quy 
pour  toy  garder,  tant  en  l'aler  et  retourner  d'Egipte  pour  le  temps  que 
l'ange  me  commanda  de  fuir  la  fureur  de  Herode  comme  depuis,  a  souffert 
tant  de  labours,  de  paours  et  de  doullours  qu'il  te  plaise  de  moy  octroier 
à  tout  le  moins  l'une  des  quatre  choses  que  ie  te  vueil  humblement 
requerre. 

La  première  chose  est  que  ce  rachat  qu'ijl]  te  plaist  a  faire  de  L'umain 
lignage  tu  le  faces  sans  mort  souffrir  et  endurer,  considéré  que  tu  le 
peulx  faire.  La  seconde  chose  que  je  te  requier  si  est,  se  autrement  ne 
peult  estre  qu'il  ne  te  eonviengne  mort  et  passion  souffrir,  au  moins  que 
celle  mort  soit  sans  doulleur  el  affliction.  La  tierce  chose  si  est,  se  tu  ne 
veulx  ce  fere.  que  ne  seuffres  mort  douloureuse,  fay  moy  ceste  grâce 
que  je  meure  avant  que  je  voye  ta  mort.  La  quarte  si  est,  se  tout  [ce]  ne 
me  veulx  octroyer,  ne  aucune  des  choses  dessus  dictes,  a  tout  le  moins 
fay  pour  celui  temps  que  je  soye  insensible  comme  une  pierre,  et  que  je 
n'aye  connaissance  ne  aucun  sentiment  de  ta  mort  et  passion.  Ile!  mon 
tresdoulx  enflant,  je  n'ay  pas  desservi, s'il  te  plcsl,  que  au  moings  je  n'aye 
par  ta  bonne  grâce  et  pitié  l'une  de  ces  quatre  choses  ou  demandes  qui 
toutes  te  sont  possibles  ». 

Rcspondit  son  doulx  Slz  Jhesu  très  humblement  et  lui  dist  :  «  Ma  1res 

i.  'lit re  ajouté  par  l'éditeur. 


260  LA    PASSION 

doulce  et  tendre  mère,  il  est  vray  que  chascune  des  quatre  demandes 
m'est  possible,  mais  ne  te  doyt  troubler  se  ne  te  les  vueil  octroyer,  car  il 
n'y  a  aucunes  d'icelles  qui  n'enclouent1  en  leur  octroy  aucun  inconvé- 
nient, ou, a  tout  le  moins,  ce  n'est  pas  chose  convenable. Ma  doulce  mère, 
tu  scés  bien  que,  toutes  les  escriptures  escriptes  parlans  de  la  mort  de 
l'Aignel  et  [de]  autres  choses  qui  ont  esté  dictes  de  moy,  que  il  fault 
qu'elles  soient  en  moy  acomplies.  C'est  aussi  chose  convenable  que 
moy  qui  suis  vraye  vye  doye  souffrir  une  mort,affin  que  humainne  lignée 
soit  de  -moy  rachetée.  Le  second  n'affiert-  a  octroyer,  car  ainssi  comme 
depuis  Adam  ont  tous  péché,  aussi  appartient  il  que  moy,  qui  dois  porter 
la  peine  du  péché  pour  homme  saulver,  soye  pugnis  en  tous  mes  mem-- 
bres  et  tous  mes  os,  et,  autant  comme  il  y  a  des  os  en  mon  corps  d'omme, 
autant  me  convient  il  souffrir  de  playes  principalles  pour  faire  satisfa- 
cion.  Le  tiers  ne  loist3-a  octroier,  car,  ma  tendre  mère,  je  ne  te  garderoye 
pas  Tonneui*  naturelle  4,  car  si  tu  mouroies  avant  ma  mort,  il  fauldroit  ton 
ame  desscndre  ou  limbe  avec  les  âmes  des  patriarches  et  sains  pères 
pour  atendre  mon  assension  ou  ciel,  avant  que  tu  peusses  entrer  ou 
royaume  de  paradis,  ce  que  je  ne  vueil  souffrir;  ains,  ma  tresdoulce 
mère,  quant  l'eure  de  ton  trespas  sera  venue,  je  vienderay  prendre  ton 
ame  et  la  remecteray  en  ton  précieux  corps  et,  ainsy  ressuscitee,  je  t'em- 
porterai avec  grant  multitude  de  mes  angelz  laissus  en  mon  royaume  et 
te  mecteray  a  ma  dextre,  royne  pardurablement  couronnée. 

Ne  le  quart  ne  doy  [ge]  octroyer,  car  que  toy  qui  es  mère  tant  amou- 
reuse et  sur  moi  piteuse,  ne  doyes  partir  a  mes  doulleurs,  ce  ne  seroit  pas 
droicture  de  nature,  mais,  en  ce  prens  reconfort,  car  ceste  doulleur  que 
tu  avras  de  ma  mort  et  passion  te  sera  récompensée  en  la  tienne,  tu  ne 
sentiras  ne  mal  ne  doulleur,  néant  plus  que  une  personne  qui  s'endort 
paisiblement.  » 

Et  en  icelles  semblables  parolles  occupperent  celuy  mercredy.  car 
celuy  mercredi  Jhesu  se  tint  avec  sa  mère  douleureuse,  comme  promis 
lui  avoit  et  ne  ala  point  ou  temple  de  Iherusalem,  comme  il  avoit  fait  les 
autres  jours  de  par  avant.  Les  princes  des  faulx  prestres  doubterent  que 
Ihesus  ne  s'en  voulsist  aller  en  autres  contrées;  par  la  doubte  d'iceulx, 
Juifs  s'en  assemblèrent  celui  mercredi  et  firent  le  tiers  conseil  qui  fut 
moult  grant  et  gênerai. 


i .  Ne  renferment. 
2.  convient. 

'5.  est  permis. 

4.  Variante.  (15.  Nat.  IV. ,  içii;,  I'.  11  v  ,  maternelle;  1918,  I'.  'i\  r,  maternelle 


d'arnoul  greban  261 

LA    PASSION 

«    SELON    LA    SENTENCE    DU    PHILOSOPHE    ARISTOTE    )) 


Les  quatre  requestes  de  Nostre  Dame  a  Jésus. 

(Bib.  Nat.  Ms.  fr.  968  f.  10  r.  à  11  r°;  969  f.  12  V  à  1320.—  Nous  repro- 
duirons le  texte  de  la  Passion...  hystoriée,  1490  (B.  Xat.  Réserve,  H 
1106  fol.  b.  iu  r°)  entièrement  conforme  pour  ce  passage  aux  manus- 
crits précités). 

i  Mon  tresdoulz  filz,  tu  scèz  '  que  tu  as  prins  chair  huinainne  en  moy 
pour  racheter  l'umain  lignaige,  et  ce  ne  vueil  je  pas  empescher.  Mais  je 
te  prie  que  une  petite  demande  me  vueilles  octroyer.  Tu  scèz  que  veez 
cy  le  ventre  qui  t'a  porté,  veez  cy  les  mamelles  qui  t'ont  alaicté.  Veez  cy 
la  femme  qui  t'a  en  ton  enfance  si  soigneusement  gardé  et  a  toy  gardera 
moult  labouré.  Tu  scèz  que  corporellement  -  avec  toy  m'en  fuys  en 
Egypte.  Et  pour  la  paour  du  roy  Ilerode.  nous  nous  despartismes,  et  que 
j'ay  tousjours  esté  participante  de  ta  joye  et  de  ta  tristesse.  Et  pourtant 
doncques,  je  te  requier,  mon  très  doulx  enfant,  que  tu  me  octroyés  l'une 
de  ces  demandes.  C'est  assavoir  que  tu  faces  tant  que  sans  mourir  tu 
rachetés  l'umain  lignaige.  Ou,  s'il  est  ainsi  que  tu  vueilles  mourir,  que 
ta  mort  ne  soit  si  cruelle  ne  de  si  grant  peine.  Ou  que  tu  me  faces  mou- 
rir devant  que  je  te  voye  ainsi  mourir.  Ou,  s'il  est  ainsi  qu'il  conviengne 
que  je  te  voye  mourir,  que  je  n'aye  ne  sens  ne  entendement  non  plus  que 
une  pierre,  atlin  que  je  ne  puisse  sentir  ta  grande  et  inestimable  dou- 
leur, ou  aultrement  je  mourray  a  grant  martire.  » 

L'enfant  en  très  grande  révérence  respondii  a  sa  très  doulce  mère  en 
ceste  manière  :  «  Mère  très  chiere,  ge  concède  très  bien  que  toutes  ces 
choses  cy  que  tu  m'as  demandées,  si  elles  m'estoyent  possibles,  très 
voulentiers  et  de  bon  cueur  le  feroye.  Mais  pour  certain,  ce  ne  seroit 
chose  convenable  a  moy  de  le  te  octroyer.  Et  tant  que  a  la  première  de- 
mande, c'est  certain  que  je  dois  souffrir  mort.  Car  ainsi  estoit  ordonné 
avant  que  je  devenisse  homme.  Après  tous  les  prophètes  ont  dit  que  je 
devoye  mort  souffrir;  et  ce  n'est  pas  chose  raisonnable  que  je  voys 


i.  Les  Ms.  et  l'imprimé  donnent  tous  :  fu  scèz,  au  lieu  de  je  scay,  comme  la  Passion 
de  i3g8 

■•.  Ms.  g68,  fol  to  v,  a  que  corporellement  avec  toy  je  fu  en  Egypte  quand  pour  la 
paour  du  roy  Herode  ...» 


262  LA    PASSION 

rencontre  des  escriptures.  Car  Isaye  '  si  a  dit  que  je  dois  estre  mené  au 
maiscau  pour  estre  occis  et  estre  mis  a  mort  comme  une  brebis  et  que 
je  ne  dois  dire  mot  non  plus  que  ung  aignel.  Et  en  après,  tant  que  a  la 
seconde  demande,  c'est  chose  convenable  que  je  souffre  mort  très  an- 
goisseuse.  Car,  comme  qu'il  soit  ainsi  que  ung  chascun  par  son  péché 
aye  desservi  peyne  et  mort,  moy  qui  vueil  souffrir  mort  non  pas  pour  le 
péché  d'ung,  ne  de  deux,  mais  pour  le  péché  de  tous,  c'est  chose  conve- 
nable que  ma  mort  pardessus  toutes  les  aultres  mors  soit  douloureuse 
et  de  grant  peyne.  En  après,  quant  a  la  tierce  demande,  saches,  dame, 
que  ce  n'est  pas  raison  que  tu  meures  devant  moy.  Mais  je  doy  entrer 
le  premier  en  ma  gloire  pour  l'Escripture  acomplir.  Et,  tantost  que  je 
seray  venu  avec  mon  père,  je  appareilleray  ton  lieu  a  ma  dextre,  et  seras 
eslpvee  au  trosne  de  Dieu.  Et  tant  comme  a  la  quarte  demande,  dame, 
ce  n'est  pas  raison  que  une  si  digne  créature  comme  vous  estes,  que  je 
luy  oste  les  perfections  de  son  ame,  c'est  assavoir  son  sens  et  son  en- 
tendement. Mais  sachez,  mère,  que  se  en  ma  mort  vous  souffres  aucune 
douleur  et  peyne,  que  a  la  vostre,  elle  vous  sera  rémunérée,  car  vous  n'y 
souffrerés  pas  douleur  comme  les  aultres.   » 

Et  ainsi  le  benoist  Ihesus  saulveur  de  tout  le  monde  reconforta  sa  be- 
noiste  et  doulce  mère. 

Comment  les  Juifz  cuydoient  que  Ihesus  s'en  fust  fouy,  pour  tant  que 
il  ne  alla  peu  le  mercredi  a  lherusalem. 


i.  Cette  citation  d'Isaye,  lui,  7:  Sicut  ovis  ad  occisioncm  ducetar,  manque  clans  le 
texte  de  i3g8  et  esl  pourtant  donnée  par  Greban,  p.  210,  v.  16554.  mais  elle  est  extrê- 
mement commune,  et  il  a  pu  la  trouver  partout,  à  la  différence  de  la  première  cita- 
tion, Ilos  Jilios  enutriei,  expliquée  plus  haut,  p.  25i. 


LE  DEVELOPPEMENT  DU  MYSTERE  DELA  PASSION 

AU    XVe    SIÈCLE 


LA  PASSION  DARRAS.  —  LA  PASSION  DE  GREIJAN 


LA  PASSION  DE  JEAN  MICHEL 


LES  DEUX  PASSIONS  INEDITES  DE  VALENGIENNES 

ETC. 


LE 

DÉVELOPPEMENT  DU  MYSTÈRE  DE  LA  PASSION 

Ai      XVe     SIÈCLE 


La  Passion  d'Arras.  -  La  Passion  d  Arnoul  Greban.  —  La  Passion  de 
Jean  Michel  et  ses  suites.  —  La  Passion  bretonne.  —  Les  deux 
Passions  inédites  de  Valenciennes.  —  La  Passion  dAmboise  et  de 
Chàteaudun,  etc. 

Les  principaux  textes,  théologiques  ou  autres,  utiles  à  cette 
étude,  ont  été  énumérés.  Avant  d'analyser  des  ouvrages  aussi  sou- 
vent étudiés  que  les  Passions  du  quinzième  siècle,  on  a  essayé 
d'apporter  à  la  discussion  quelques  faits  nouveaux.  Ces  faits 
exposés,  il  faut  maintenant  les  reprendre,  les  classer,  et  montrer 
dans  quelle  mesure  la  Passion  la  plus  importante,  celle  d'Arnoul 
Greban.  dépend  de  la  tradition  antérieure,  de  même  quelle  a 
influé  sur  les  Passions  qui  l'ont  suivie. 

Les  .Mystères  Sainte-Geneviève  et  la  Passion  de  Semur  étaient, 
nous  l'avons  vu.  de-  compilations  factices  de  pièces  isolées  :  la 
première  grande  Passion  du  xv  siècle  ou  la  Passion  d'Arras  est 
l'œuvre  d'un  auteur  unique  qui  a  représenté  d'un  trait  toute  l'his- 
toire de  la  Rédemption,  depuis  l'Incarnation  du  Fils  jusqu'à  son 
Ascension.  L'unité  de  composition  qui  semblait  perdue  ou  mor- 
celée depuis  |r  Paaschpel  de  Maestricht  est  donc-  retrouvée,  mais 
c'est  une  unité  plu-  savante,  plus  complexe,  et  le  drame  a  pris  un 
développement  inusité.  La  Passion  d'Arras  comprend  24,943  vers, 
el  cette  longueur  est  certainement  une  nouveauté  puisque  le  poète 
-'eu  excuse  à  diverses   reprises.  G'esl  la  première  fois  (pie  nous 

\  o\  ons  développer  avec  celte  profusion  les  diableries  et  le-  berge- 
ries, les  scène-  de  mœurs  populaires  cl  les  délibérations  «le  la 
Synagogue,  les  facéties  des  bourreaux  et  les  interminables  tor- 
tures du    Christ.    La  pièce  elle-même  e-t   la  parapli  ra-e  a--e/.  terne 

des  Evangiles  canoniques  et  apocryphes,  des  hymnes  liturgiques 
et  des  légendes  populaires  plus  ou  moins  anciennes.  A  ces  sources 


266  LA  passion 

faciles  à  reconnaître,  il  convient  d'ajouter  divers  commentaires 
théologiques  plus  malaisés  à  discerner,  parce  que  le  dramaturge 
en  a  suivi  plusieurs  et  qu'il  passe  de  l'un  à  l'autre  capricieusement. 
Mais,  si  complexe  que  soit  ici  l'influence  des  livres  scolastiques, 
elle  nous  parait  pourtant  plus  facile  à  déterminer  avec  précision  ' 
que  celle  des  pièces  de  théâtre  antérieures,  et  elle  se  manifeste  dés 
le  déhut. 

Si  le  poète  d'Arras  a  trouvé  chez  ses  prédécesseurs  le  célèbre 
Procès  de  Justice  et  de  Miséricorde,  il  ne  lui  a  certainement  pas 
laissé  la  forme  simple  qu'il  avait  jadis  2.  Il  l'a  modifié  et  amplifié 
en  s'inspirant  de  la  IIIe  partie  de  la  Somme  de  saint  Thomas 
d'Aquin,  laquelle  établit  comme  la  pièce  une  très  longue  distinc- 
tion entre  le  péché  de  l'homme  et  celui  des  démons,  complices  de 
Lucifer.  Les  réminiscences  de  la  Somme  sont  ici  d'autant  plus 
faciles  à  identifier  que  d'autres  dramaturges.  Grehan  et  l'auteur  de 
la  Nativité  de  Rouen  (i4"4)  sont  venus  l'un  après  l'autre,  pour 
développer  ce  Procès,  consulter  le  même  texte  latin,  et  nous  y  ont 
expressément  renvoyés3.  De  plus,  dans  la  Passion  d'Arras  nous 
voyons  les  Anges  se  joindre  aux  Vertus  pour  demander  à  Dieu  la 
rédemption  de  l'homme.  Cette  addition  est  encore  si  l'on  veut  un 
lieu  commun,  mais  elle  provient  probablement  du  sermon  de  saint 
Bernard  De  Annuntiatione,  copié  dans  le  prologue  des  Meclita- 
tiones  Vitae  Christi  du  pseudo-Bonaventure,  et  d'ailleurs  connu 
partout.  Toute  l'histoire  cîc  la  Nativité  et  des  Rois  Mages,  avec 
tous  les  traits  ajoutés  aux  Evangiles  (proclamation  de  l'Empereur, 
légende  de  Salomé  et  Zebel.  voyage  des  Mages  en  treize  jours, 
présents  symboliques,  meurtre  du  fils  d'Hérode  enveloppé  dans  le 
massacre  des  Innocents,  fuite  en  Egypte,  miracle  du  palmier  et  de 
la  chute  des  Idoles),  toutes  ces  histoires  sont  prises  directement 
dans  la  Légende  dorée  de  Jacques  de  Yaraggio,  comme  le  prouve 


i.  Les  sources  de  la  Passion  d'Arras  et  ses  différences  avec  celle  de  Greban  ont  été 
indiquées  en  détail  dans  le  chapitre  précédent  :  Les  Postilles  de  Nicolas  de  Lire.  p.  207, 
auquel  on  es!  prié  de  se  reporter,  une  h>is  pour  toutes.  Nous  ne  reprendrons  ici  que 
quelques  particularités. 

2.  Cf.  ce  procès  dans  le  Paaschspet  de  Maastricht,  éd.  Haupt  (1842),  p.  3o6  à  3o8. 

3.  Les  sources  de  La  Passion  d'Arras  sont  ici  les  mêmes  que  celles  de  Greban  indi- 
quées p.207,  <■!  de  l'auteur  de  la  Nativité  de  Rouen,  éd  1".  Le  Verdier,  qui  a  copié,  t. 
I,  p.  i33,  la  Somme,  in  extenso. 


H  A.RRAS 


267 


la  longue  traduction  littérale  de  l'édil  impérial1,  Le  même  qui  a 
déjà  été  traduit  par  le  même  procédé  dans  la  Passion  de  Semur. 
A  peine  si  l'on  peut  ajouter  un  chiffre  légendaire,  bien  connu,  dans 
l'épisode  «les  Innocents  \  et  une  réminiscence  1res  probable  et 
importante  du  commentaire  classique  de  Bède  sur  l'Evangile  de 
saint  Mathieu  '.  Quant  à  la  longue  scène  de  la  circoncision,  elle  a 
été  tirée  de  la  Somme  de  saint  Thomas  avec  une  naïveté'  qui  écarte 
tous  les  doutes  :  le  dramaturge  s'est  contenté  de  répartir  entre  ses 
personnages  les  arguments  du  théologien,  il  n'y  a  l'ait  que  quelques 
additions,  pour  la  description  même  de  la  cérémonie  au  temple'. 


Summae  Theologiae.  P.  III. 
Quaestio  XXX VU  (éd.  Migne, 
t.  IV,  p.  337)  De  legalibus  eirca 
puerum  Jesum  ser isatis  : 

Art.  I.  —  Atl  primum  sic  proce- 
ditur.  1°  Videtur  quod  Christus 
non  debuerit  circumeidi 


Passion  cl'Arras,  p.  29  : 

.lltSEPH 

Dame  de  grant  auctorité, 
Vous  me  dites  une  merveille 
Par  laquelle  je  m'esmerveille, 
De  dire  que  vostre  enfançon 
Reçoive  circoncision. 
Je  ne  sçay  pus  raison  pour  quoy, 
Car  vous  sçavez  que  nostre  loy 


Estably  ce  fait  gênerai 

Praeterea  circumeisio    est      Pour  le  pechiet  original. 


i.  Passion  d'Arras,  \>.  i-.  v.  i r« i < > - 1 r>  —  i . 

2   Il>i<l..  p.  5g,  v.  5ii2:  «Cent  quarante-q 

i.  Beda  in  Matth.  (Patr.  Migne,  t.  92, 
col.  ip  :  Tune  Herodes:  Verisimile  est 
quod  postquam  Magi  nihil  renuntiave- 
rimt  Herodi,  eum  putasse  Lllos,  fallacis 
stellae  visione  deceptos,  ad  se,  non  in- 
vente rege  nato.  erubuisse  revertere,  et 
ita  timoré  depulso,  aliquod  temporis 
quievisse  de  persequendo  puero,  etc  »  — 
Cette  longue  glose  <lc  Bède,  <l<<ni  nous 
ne  donnons  que  le  début,  n'a  pas  été  co- 
piée dans  la  Glossa  Ordinaria,  elle  ex- 
plique tout  le  développement  de  laPas- 
sion  d'Arras,  |>.  {g,  la  place  de  l'épisode 

de  Sym t  d'Anne,  et   la  réplique  de 

Galoppin,  p.  •  >> 

\.  Dana  la  Buite  de  la  scène  de  la  / 
femme  qui  s'appelle  Sephora,  comme  celle 
la  relique  singulière  conservée  à  Invei 
(Patr.  Migne,  t.   198,  p,  i54i,  cap,  vi,  addit 


uatre  milliers  [d'Innocents   <>nt  recupl  mort. 
Passion  d'Arras,  p.  {9,  \  .  !■>!::  Herode  : 

Seigneurs,  je  suis  tous  esbahis 

Que  ers  rois  ne  viennent   vers  moy. 

Ils  ne  m'ont  pas  tenu  leur  foy. 

Science  les  a  abusés, 

Ou  ils  ont  tout  leur  t<-m|>s  usé, 

Car  ils  n'ont  sceu  trouver  cellui 

Dont  ils  me  parlèrent  droit  <\ 

(  '.c  n'a  esté  qu'a"busion, 

De  leur  imagination, 

Pour  quoy  ils  n'onl  osé  tenir 

(  Ihemin  vers  moy  ne  iv\  enir 


'assion    d'Arras,  noter   l'emploi  de  la 
de  VExode,  <•!  p  •;(,,,.  l'allusion  à 

>  et   mentionnée   dans  i'Hist.  scholastiquc . 


268 


LA   PASSION 


ordinata  in  remedium  originalis 
peccati. 

Sed  Christus  non  contraxit  ori- 
ginale peccatum  ut  ex  supra  dictis 
patet,  quaest.  16.  art.  1  et  2. 

Ergo  Christus  non  debuit  cir- 
cumcidi. 

Respondeo  dicendum  quod  plu- 
ribus  de  causis  Christus  debuit 
circumcidi 

Secundo  ut  approbaret  circum- 
eisionem  quam  olim  Deus  insti- 
tuerai 

Tertio  ut  comprobaret  se  esse 
de  génère  Abrahae  qui  circumci- 
sionis  mandatum  acceperat  in  sig- 
num  fidei  quam  de  ipso  habuerat. 

Quarto  ut  Judaeis  excusationem 
tolleret,  ne  eum  reciperent.  si 
esset  incircumcisus. 


Or  est  ordonné  de  long  temps 
Qu'on  doit  circoncire  ses  enfans, 
Mais  c'est  pour  estre  despechié 
Dudit  original  pechié 
Qui  ton  fil  oncques  n'empêcha. 
Est  il  doncques  nécessité 
Que  l'enfant  plain  de  dignité 
De  quoy  nous  faisons  mention 
Reçoive  circoncision  ? 
Xennil.  en  mon  entendement, 
Car  il  est  nez  très  parement. 

MARIE 

Mais  je  respons  que  non  obstant 

Toutes  les  choses  devant  dittes, 

Je  dis  ainsi  que  mon  enfant, 

Que  sur  tous  humains   est   puis- 
sant, 

N'est  pas  venu  ça  jus  au  monde, 

Ou  toute  pestilence  habonde, 

Pour  la  loy  Moyse  amenrir, 

Mais  pour  le  du  tout  acomplir. 

Que  diroyent  ja  les  Juys 

Se  mon  fils  n'estoit  circoncis  '? 

(v.  2527.) 


Cet  emprunt  bien  établi  permettait  de  supposer  que  le  poète 
d'Arras  consulterait  assidûment  un  autre  ouvrage  de  Saint  Tho- 
mas aussi  célèbre  au  moyen  âge,  la  Catena  Aurea  ou  le  commen- 
taire perpétuel  des  quatre  Evangiles.  En  réalité  rien  ne  prouve 
qu'il  ait  pris  cette  peine  ;  il  n'a  pas  même  utilisé  régulièrement  les 
explications  beaucoup  moins  longues  de  Bède,  il  en  a  négligé  de 
très  importantes  '   ou,  ce  qui  revient  au  même,  il  a  quelquefois 


i.  Exemples  :  i°  pour  L'histoire  d'Hérode  et  d'Hérodiade  ;  a0  pour  l'histoire  de  la 
femme  adultère.  3°  pour  la  Cène  où  le  Lavement  des  pieds  qui  est  placé  par  lui  après 
et  non  avant  la  Communion,  c'est  l'ancienne  tradition  d'Arnould  de  Chartres,  telle 
qu'on  la  voit  encore  aujourd'hui  sculptée  sur  la  clôture  du  chœur  (xiv«  siècle)  de  Notre- 
Dame  de  Paris,  et  dans  la  Passion  comique  (Edw.  Norris,  The  ancient  Comish  Draina, 
t.  I,  p.  287).  î" (-'  principalement  pour  l'histoire  de  la  Madeleine  et   du  banquet  chez 


d'aruas  269 

suivi  des  indications  manifestement  opposées.  En  général,  il  n'a 
reproduit  que  les  gloses  de  Bède  qui  avaient  déjà  passé  dans  la 
Glose  ordinaire  de  Walafried  le  Louche.  Malgré  ces  réserves1, 
c'est  bien  le  commentaire  de  Bède  qui  semble  avoir  fourni  directe- 
ment ou  indirectement  nombre  de  détails  du  draine,  par  exemple 
les  particularités  de  la  tentation  au  désert,  l'explication  de  la  para- 
bole des  douze  heures-,  et  les  allées  <i  venues  de  Jésus  qui  de  Jé- 
rusalem revient  demander  l'hospitalité  à  ses  amis  de  Béthanie^. 
C'est  avec  Bède  que  le  porte  d'Arras  nous  a  montré  Jésus  gardé  et 
interrogé  uniquement  par  Caiphe  ',  et  qu'il  a  placé  les  trois  renie- 
ments de  Pierre  dans  la  cour  du  même  pontife  '. 

Pour  les  interrogatoires  dirigés  par  Pilate  et  par  Hérode  et  pour 
la  suite  du  drame,  il  a  de  plus  utilisé  (certains  noms  propres  de 
son  texte.  Othiarius,  Sîminiele  prouvent),  une  ancienne  traduction 
française  de  l'Evangile  de  Nicodème6,  et  diverses  légendes  populai- 
res, mais  les  réminiscences  de  Bède  sont  toujours  visibles  et  se  con- 
tinuent jusqu'à  la  fin  notamment  dans  le  tableau  de  la  mort  de  Jésus, 
l'explication  des  mots  Helj'.  Hely  par  les  soldats  romains7,  les  der- 
nières paroles  :  Consummâtum  est8,  la  résurrection  caractéristi- 


SiiiKin.  L'explication  spéciale  suivie  par  le  poète  d'Arras  reparaît  dans  les  Mystères 
rouergats.  C'est  dune  là  que  nous  L'étudierous,  avec  quelques  autres  communs  à  la 
Passion  d'Arras  el  à  ces  mystères. 

i.  A  cause  de  la  longue  glose  de  Bède  sur  Hérode  el  les  Mages  (voir  plus  haut,  p. 
it\-.  note  3),  qui  n'est  pas  reproduite  dans  la  Glose  ordinaire,  et  de  divers  détails, 
nous  pensons  que  le  poète  d'Arras  a  consulte  directement  Bède,  mais  nous  n'oserions 
rien  affirmer  sur  ce  point,  el  nous  avons  cite  la  Glose  ordinaire  quand  il  y  avait  lieu, 

2  On  a  vu  p.  318,  n  a4,  de  ce  livre,  que  le  poète  d'Arras  avait  réuni  ici  deux  expli- 
cations distinctes  dont  l'une  esl  citée  par  N.  de  Lire  Malheureusement  elle  l'est  aussi 
par  beaucoup  d'autres,  el  cet  exemple  unique  ne  prouve  pas  que  les  Postilles aient  été 
utilisées  pour  la  Passion  d'Arras. 

i  P.  d'Arras,  p.  126,  v.  toïio  el  suiv.  Cf,  Beda  in  Marc,  XI,  ri,  p.  244;  manque  dans 
la  Glose. 

î  et  5.  /'.  d'Arras,  p.  r!!i-<i">  Cf.  Beda  in  Math.,  WV1.  p,  ns,  n9;  et  surtout  in 
Marc,  XIV. v.  53,  p  279-280:  »  Summum  sacerdotem  Caipham  significal  etc.;  il.  in 
Luc,  p.  606.  Ces  détails  ont  passé  dans  la  Glose  ordinaire.—  Le  poète  d'Arras  a  laissé 
de  côté  les  gloses  complémentaires  de  Bède  in  Joann.,  XVIII. 

ti.  Ces  noms  des  membres  de  la  Synagogue  viennent  d'une  traductiou  Française 
déterminée  (B.  N.  ms  fr  6447,  fol.  113)  sur  laquelle  on  reviendra  en  étudiant  dans  le 
chapitre  de  la  Passion  d'Auvergne  les  diverses  versions  de  l'Evangile  de  Nicodème. 

-.  I'.  2'i2.  n"  56  de  ce  livre;  /'  d'Arras,  p  200.  —  Cf.  Beda  m  Marc.  (Patr,  Migne, 
1.  92,  p    291  :  1/.  Glossa  ordinaria,  I     11  j.  p.  23g. 

s.   /'.  d'Arras,  p    201     *  Or  est  t'ait  l'accomplissement  ».  v .  1 7 , " >  1  < >  » •  t  suiv.  —  Les  ver- 


2~0  LA   PASSION 

que  des  Corps  Saints1.  Pour  toute  cette  partie  la  Légende  dorée 
n*a  guère  fourni  que  les  scènes  classiques  de  l'Eclipsé  de  soleil  ob- 
servée par  Saint  Denis  et  le  miracle  de  l'aveugle  Longis. 

De  toutes  les  additions  au  texte  des  Evangiles  canoniques  et 
apocryphes  les  plus  importantes  sont  celles  qui  concernent  le  sup- 
plice même  de  la  crucifixion.  Ee  Christ  dépouillé  violemment  de 
ses  vêtements  et  étendu  sur  une  croix  de  quinze  pieds,  la  Vierge 
couvrant  la  nudité  de  son  fils  avec  son  voile  et  repoussée  par  les 
soldats,  le  détail  atroce  des  cordes  employées  pour  le  supplice, 
enfin  l'érection  même  de  la  croix  que  les  bourreaux  soulèvent  à 
grand" peine  avec  force  invectives,  tous  ces  détails  qui  modifient 
profondément  l'aspect  de  la  Passion  viennent,  on  le  sait,  d'un 
livre  ancien  2,  le  Dialogue  apocryphe  de  Saint-Anselme  (de  pas- 
sione  Domîni) ,  mais  n'ont  été  transportés  au  théâtre  qu'au 
commencement  du  xv  siècle.  Nous  en  avons  déjà  vu  un  premier 
exemple  moins  complet,  moins  caractéristique  dans  la  Passion  de 
Semur,  et  le  poète  d'Arras  a  pu  trouver  ces  scènes  toutes  faites 
dans  la  tradition  dramatique.  Il  est  probable  cependant  que  cet 
homme  instruit  a  relu  directement  le  texte  apocryphe  de  S.  An- 
selme qui  est  cité  sans  cesse  par  Menot,  Maillard  et  tous  les  prédi- 
cateurs du  xve  siècle. 

C'est  la  quatrième  journée  de  la  Passion  d'Arras  qui  offre  le 
plus  de  différences  avec  les  Passions  antérieures.  L'Evangile  de 
Nicodème  qui  a  déjà  fourni  le  miracle  des  bannières  est  employé  à 
peu  près  tout  entier  ;  outre  la  traduction  française,  le  poète  con- 
sulte un  texte  latin  \  L'ordre  des  diverses  apparitions  du  Christ 
est  celui  du  Lucidaire*  d'Honorius  d'Autuii  (ou  d'Augsbourg) 
avec  quelques  additions.  Certains  épisodes  particulièrement  soi- 
gnés ont  été  visiblement  étudiés  dans  les  livres.  C'est  ainsi  que  la 
résurrection  même  du  Christ  et  les  apparitions  à  Marie-Made- 
leine, puis  aux  saintes  Femmes,  qui  offrent  tant  de  divergences 

sets  de  saint  Luc,  XXIII,  4*J.  et  de  saint  Jean,  XIX,  'io.  sont  réunis  dans  cette  réplique 
exactement  comme  dans  Bède,  in  Mur,-.  XV,  î;,  p.  291,  copié  dans  la  Glose,  p.  aiy. 

1.  P.  d'Arras.  p.  201.  Cf.   Beda  in  Molli.,  p.  125.  et  Glossa  ord.,  p.  1711. 

2.  Cité  p.  a3i,  n   52  de  ce  livre 

'3.  /'.  d'Arras,  p.  "242,  v.  21006.  Benedictus  qui  eenit  et  p.  24'i  v.  21092.  Advenisti 
redemptor.  —  Citations  de  PEv.  de  Nicodème^  éd.  Tischendorff,  1836,  P.  II.  ch.  vin, 
p.  $o3  et   Jo4 . 

1    Voir]).  2J4.  n"  6i  de  ce  livre. 


d'arras  271 

dans  les  Evangiles  sont  exposées  ici  d'après  un  commentaire  sub- 
til, analogue  à  celui  qui  figure  dans  le  Miroir  historique  (1.  VII. 
ch.  LIV),  de  Vincent  de  Beauvais,  sinon  d'après  ce  commentaire1 
lui-même.  L'interprétation'  dn  Xoli  me  tan  gère,  l'apparition  à 
l'apôtre  Saint  Thomas1,  les  discours  du  matin  de  l'Ascension*, 
viennent  encore  du  commentaire  de  Bède.  Enfin  la  rédaction  du 
Credo  et  l'attribution  de  ses  divers  articles  aux  différents  Apô- 
tres, est  encore  une  tradition  fort  ancienne  que  le  dramaturge  n'a 
pas  inventée,  mais  qu'il  a  copiée  toute  faite  dans  un  manuscrit '. 
comme  devait  le  faire  encore  une  fois  plus  tard  fauteur  de  la  Ré- 
surrection d'Angers  (i456),  inexactement  attribuée  à  J.  Michel. 
En  résumé  les  livres  liturgiques,  les  Evangiles  canoniques,  deux 
textes  de  l'Evangile  de  Nicodème,  la  Somme  de  Saint  Thomas 
d'Aquin,  les  commentaires  de  Bède  et  la  Légende  dorée,  tels  sont 
les  livres  que  le  poète  d'Arras  a  certainement  consultés.  11  en  a 
connu  d'autres,  mais  rien  ne  nous  a  prouvé  qu'il  ait  utilisé  la  Cate- 
na  Aurea.  pas  plus  que  les  commentaires  moins  connus d'Albert-le- 
Grand  et  de  Saint-Bonaventure  ;  les  célèbres  Postilles  de  Nicolas 
de  Lire  en  particulier  n'ont  laissé  aucune  trace  dans  son  œuvre. 

A  côte  de  ces  souvenirs  livresques  très  précis,  on  remarque,  dis- 
séminées dans  tout  le  cours  de  la  pièce,  un  grand  nombre  de  tradi- 
tions savantes  ou  populaires,  mais  la  plupart  de  ces  légendes,  no- 
tamment celles  qui  dérivent  du  vieux  poème  des  bateleurs  sur  la 
Passion  (apparition  du  diable  et  songe  de  la  femme  de  Pilate,  lé- 
gende du  bois  de  la  croix     et  de  la  tèvresse)  la  plupart,  dis-je,  ont 


i.  /'•  d'Arras,  25oet  suiv.  -  Vinc  Bell.  (éd.  de  Douai,  |>.  241).  De  diversitate  adoen- 
lus  Malierum  «■/  numéro  Angelorum  ».—  ('.<•  commentaire  parait  venir  de  saint  Augus- 
tin. De  consensu  Evangelistarum,  III.  >.\  (Patr    Migne,  t.  \\  p.  ini.'.i 

a.  P.  d'Arras, p.  253,  v  21,985 :  Cf.  //>■</</  in  .l<><u>n.  XX,  1;.  p   920   Manque  dans  la  Glose. 

3.  /'.  d'Arras,  p.  269-231.  —  Cf.  Oeda  in  Lui-,  XXIV,  36,  p.  628.       Glose,  p.  353. 

\.    Voir  p.  2'5S  de  ce  livre,   n"  69. 

.">.  H.  Nat.j  n.  a  IV  i",'>ïî  et  IV.  1 3,5o8  f.  27.  Ci  enseigne  que  li  douze  Apostre  tirent  la 
Credo  el  combien  chascun  en  ili-i  <!<•  sa  partie.  ><  —  Les  Ms.  <\r  cette  espèce  ue  sont 
pas  rares,  mais  l'attribution  d<-s  divers  articles  aux  divers  apôtres,  y  varie,  <-t  je  n'en 
connais  pas  où  cette  attribution  soil  exactement  la  même  que  dans  la  Passion  d'Arras 
et  dans  la  Résurrection  d'Angers,  où  elle  n'est  d'ailleurs  pas  identique.  —  Sur  les  ori- 
gines <ln  Symbole  des  Apôtres,  cf.  Reçue  des  deux  historiques,  [899,  p.  3ag. 

n.  Pour  l'origine  «lu  bois  <!<•  la  croix,  \  i.">.j  i;,  l'emploi  des  m<>i>  latins  la  probalica 
piscina  indique  plutôt  que  le  poète  d"  V.rras  a  dil  tirer  cette  légende  d'un  texte  latin 
comme  la  Légende  dorée. 


LA   PASSION 


déjà  été  vulgarisées  par  tant  de  récits  intermédiaires  qu'il  parait 
impossible  de  dire  au  juste  où  le  dramaturge  les  a  prises.  Il  faut 
en  dire  autant  de  l'invention  du  jeu  de  dés  par  le  diable,  qui  se 
trouve  dans  un  ancien  fabliau  publié  par  Jubinal.  mais  avant  dans 
le  Cy  nous  dit  ou  la  Composition  de  Sainte  Ecriture1,  plus  tard 
dans  les  sermons  de  l'Italien Barelette i  et  ailleurs:  autant  de  la 
légende  qui  identifie  Simon  le  Lépreux  et  Simon  de  Cyrène3,  autant 
encore  de  la  dispute  du  Bon  et  du  Mauvais  ange  pour  les  âmes  du 
Bon  et  du  Mauvais  Larron,  laquelle  apparaît  plus  d'une  fois  sur 
les  tombeaux  du  xive  siècle4,  et  de  maintes  autres  particularités  \ 
On  perdrait  son  temps  à  raisonner  sur  de  pareils  lieux  communs, 
et  d'autres  recherches  sur  les  sources  dramatiques  proprement 
dites  ne  seraient  pas  plus  utiles.  Sans  doute  il  est  évident  que  le 
poète  d'Arras  a  connu  des  pièces  antérieures.  D'aussi  vastes  com- 
positions sont  toujours  en  quelque  sorte  un  travail  de  fusion  où 
beaucoup  de  drames  ou  d'épisodes  particuliers  sont  venus  se  per- 


i.  B.  N'ai.  l'r.  425,  p.  38  i".  s  Cy  nous  dist  comment  uns  ennemis  bailla  à  unj;  cheva- 
lier de  Rome  deux  dez  d'or  pour  aprendre  li  et  ses  compaignons  a  joer,  et  li  devisa 
les  pointures,  le  premier  point  en  despit  de  Dieu. ..  ». 

2.  Feria  II.  quarte  hebdomade  quadragesime.  de  ludis  fortune,  Sermo  XXXIIII. . . . 
«  Sicut  Deus  invenit  xxj.  literas  alphabeti;  alic  autem  postea  sunt  superaddite  ad 
componendum  Bibliam  ubi  est  omnis  sapientia  revelata,  ita  diabolus  invenit  Bibliam 
scu  datos  iihi  posuit  xxj.  puncta  tanquam  literas  nigras...  ». 

3.  P.  d'Arras,  p.  186,  v.  i5.9'3S  :  même  identification  dans  la  Passion  comique 
(Edw.  Norris,  Theancient  Cornish  Drama,  t.  I.  p.  429)- 

4  Voir  notamment  la  tombe  en  cuivre  doré  de  Philippe  Adam,  chancelier  des 
Célestins  (xive  s.)  reproduite  par  A.  Lenoir,  Statistique  monumentale  de  Paris,,  p.  181 
et  planche  IX. 

5.  a)  P.  d'Arras.  p.  .V3  :  .Joseph  mettant  «  V  pieches  d'argent  sur  l'autel  entre  les 
tourterelles  lors  de  la  présentation  au  temple.  Usage  également  cité  d'après  Josèphe 
dans  la   Yita  Christi  de  Ludolphe  le  Chartreux,  I,  ia. 

b)  P.  d'Arras,  v.  7310.  Hérodiadc  frappant  d'un  coutel  le  chef  de  saint  Jean-Baptiste. 
Allusion  à  la  célèbre  relique  d'Amiens. 

c)  P.  irArrns.  p.  lis.  Les  soldats  trois  fois  renversés  avant  d'arrêter  Jésus.  Cf.  la 
Passion  Romane  de  Clermont-Ferrand,  p.  43o,  v.  34;  item  la  Passion  de  Francfort, 
i493,  éd.  Froning,  t.  II.  p.  460. 

d)  P.  d'Arras,  p.  164,  v.  14.060-G.").  L'usage  de  délivrer  un  prisonnier  à  Pâques  «  en 
souvenir  de  la  défaite  de  Pharaon  et  de  la  sortie  d'Egypte  ».  Egalement  mentionné 
pa.r  l'Hist.  scholasiirjuc.  Patr.  M  igné,  t.  198,  p.  162;,  cap.  166)  par  Vincent  de  Beau- 
vais.  etc. 

c)  /'.  il'.lrras.  p.  265,  v.  23,o55,  le  huisson  ardent  de  Moïse,  note  par  l'éditeur  p.  xvi, 
figure  déjà  appliquée  à  la  Vierge  dans  Raban  Maur,  De  Unirerso  1.  XXIII  (Patr. 
Mignc,  t.  III,  col.  îi'ii.  Etc..  etc. 


i'Ait  ras  -i~:  ; 

dre  et  s'absorber.  Mais  Le  moyen  de  reconstituer  ces  drames  ou 
ces  «  prototypes  »  ignorés,  et  comment  mesurer  la  pari  des  em- 
prunts à  ce  que  nous  ignorons?  En  fait,  toutes  les  recherches  sur 

«  les  Passions  allemandes  du  Rhin  »  n'ont  guère  éclairci  les  ori- 
gines de  la  Passion  d'Arras,  et  elles  ne  pouvaient  y  réussir, 
parce  que  comparaison  n'est  pas  raison.  Ces  origines,  on  ne  les 
trouvera  pas  davantage  en  imaginant  une  ancienne  Passion  fran- 
çaise du  Nord  qui  aurait  servi  de  modèle  commun  à  la  Passion 
Didot.  à  la  Passion  d'Arras  et  aux  mystères  Rouergats.  Pour  écar- 
ter cette  autre  hypothèse,  il  suffira  encore  de  déterminer  les  véri- 
tables sources  des  mystères  Rouergats. 

A  des  théories  très  savante-,  mais  sans  résultats  pratiques, 
nous  avons  préféré  des  recherches  de  détail  qui  n'expliquent  pas 
tout,  il  s'en  faut,  mais  qui  ne  laissent  pas  d'expliquer  quelques 
faits  précis.  La  même  méthode  nous  aidera  à  déterminer  les  rela- 
tions entre  la  Passion  d'Arras  et  celle  de  Greban.  Du  jour  où  la 
Passion  d'Arras  a  été  imprimée  in  extenso,  tout  le  monde  a  re- 
connu sans  peine  que  par  le  style  et  la  versification  elle  était 
antérieure  à  celle  de  Greban  ;  mais  Greban  a-t-il  connu  l'œuvre 
de  son  prédécesseur,  c'est  toute  la  question  que  l'éditeur  de  la 
Passion  d'Arras  a  discutée  avec  soin,  sans  se  prononcer1.  Les 
divers  critiques  qui  ont  analysé  cette  édition  \  les  éditeurs  même 
de  Greban  qui  en  ont  parlé  à  deux  reprises  '  ne  se  sont  pas  pro- 
noncés davantage,  el  la  question  ne  [tarait  pas  résolue  par  une 
affirmation  isolée4  qui  d'ailleurs  n'a  pas  donné  ses  preuves.  Et  sur 
quelles  preuves  en  enel  raisonner?  Sur  la  ressemblance  de- plans 
ou  des  cadres,  des  situations  ou  des  développements  ?  Mais  ces 
ressemblances  peuvent  tenir  à  l'identité  des  sujets  ou  des  source-. 
et  les  différences  sont  encore  plus  toiles.  Sur  l'analogie  plus  ou 
moins  curieuse  de  quelques  expressions,  «le  quelques  vers  isoles 
communs  aux  deux  pièces?  Indice  bien  faillie,  d'autant  [dus  trom- 
peur qu'il   ne   trompe  pas  toujours,  signal»''  el  écarté  avec  raison 

i    Introduction,  \>    su,  xih. 

2.  Ex.  :  M    Sepet,  /'    de  l'Ecole  des  Chartes,   1894,  p.  536;  \\  .  Creizenach,  Geschichte 
des   Veuerens  Dramas,   r8Q3,  p.  aô^ 
';.  Romania,  189a  p.  ij':  Journal  des  Savants,  [90a,  p,  ;84,  noie  i. 
J    M    Stcrgel    Zeitschrifl  fur franzôsische  spraehe  etc  .  1  s  ;.  i    XVII,  a   p.,p 

18 


LA    PASSION 


par  l'éditeur  de  la  Passion  d'Arras.  Admettons  même  que  ces  rap- 
prochements soient  un  peu  plus  nombreux  qu'il  ne  l'ait  dit1, 
qu'est-ce  qu'ils  prouvent  pour  une  masse  de  2^94^  vers  d'un 
côté  el  34,57Z|  de  l'autre,  sur  le  même  sujet  ?  C'est  pour  d'autres 
raisons  apparemment  qu'il  faut  prendre  parti. 

Ouvrons  la  Passion  inédite  de  la  Bibliothèque  de  Yalenciennes. 
Elle  contient  à  la  fin  de  la  neuvième  Journée  une  scène  fort 
curieuse.  Trois  brigands  en  disponibilité.  Barrabas,  Dismas  et 
(icsia^  se  rencontrent  sur  le  pavé  de  Jérusalem  et  font  assaut  de 
fanfaronnades.  Passe  une  pauvre  femme  qui  vient  offrir  au  temple 
de-  pigeons,  et,  la  tentation  est  trop  forte.  Barrabas  n'y  résiste 
pas.  il  a  vite  fait  d'arracher  à  la  pauvresse  son  panier  et  son 
argent,  elle  a  beau  crier  «  a  gueule  bee  »  : 

Ahors!  on  m'a  bien  desrobé! 
Je  l'iray  coûter  b  Pilate. 

Le  bon  larron  Dismas  trouve  les  pigeons  trop  «  maigres  »  et. 
peut-être  déjà  pris  de  remords  salutaires,  il  y  renonce,  mais  Bar- 
rabas et  (lestas  se  les  disputent  ;  ils  sont  «  bons  pour  souper  ». 
Pendant  la  dispute,  le  guet  arrive  et  Emilion,  le  chevalier  de 
Pilate.  emmène  nos  trois  bandits  en  prison.  Ils  y  resteront  à  l'om- 
bre, à  la  disposition  du  poète  qui  veut  évidemment  justifier  leur 
présence  dans  les  scènes  du  prétoire  et  de  la  Passion. 

Cette  jolie  scène  de  la  Passion  inédite  de  Yalenciennes  n'est  pas 
originale,  elle  a  été  copiée  textuellement  '-  dans  la  Passion  d'Arras 
(p.  89-90,  v.  7618-7712),  mais  pour  une  raison  ou  une  autre,  elle  ne 
figure  [tas  dans  la  Passion  de  Greban.  Est-ce  à  dire  qu'elle  n'a  pas 
attiré  son  attention  aussi  bien  que  l'épisode  fameux  du  Jeu  de  dés, 
ou  bien  trouvait-il  lui  aussi  ces  pigeons  «  trop  maigres  »  trop  indi- 
gnes  de  la   gravité  de   son  mystère  ?  Il  y  a  plus  d'apparence,  et 


1.  Ibidem  —  M.  Stenjrel  l'assure,  niais  il  n'en  cite  pas  de  nouveaux,  et  il  use  du 
même  indice  mi  des  analogies  d'expressions  pour  conclure  à  «  l'étroite  parenté  »  de 
la  Passion  d'Arras  el  de  la  Passion  Didot  qui  n'est  nullement  démontrée.  Cet  indice 

ne  suffit  d •  pas  plus  dan-    un    cas  que    dans    l'autre,    mais  il    convient   de  noter 

toutes  tes  heureuses  corrections  laites  par  M.  Stengel  au  texte  d'Arras. 

2.  Avec  plusieurs  autres,  ce  qui  prouve  que  la  Passion  d'Arras  a  été  aussi  con- 
nue, aussi  répandue  que  la  Vengeance  contenue  dans  le  même  manuscrit  de  la  Biblio- 
thèque d'Arras.  Nous  y  reviendrons  plus  loin. 


voici  pourquoi.  On  a  remarqué  que  le  ehevalier  de  Pilate  qui 
arrête  les  voleurs  de  pigeons  s'appelle  Emilion,  el  par  une  coïnci- 
dence singulière  un  des  marchands  <lu  temple  de  Greban  s'appelle 
aussi  Emilius*  :  c'est  précisément  un  marchand  d'oiseaux  ou  de 
pigeons.  Le  même  nom  dUEmilion  reparaît  dans  la  Passion  de 
Greban,  porté  par  un  autre  personnage  qui  est  bien  cette  t'ois  che- 
valier de  Pilate  -,  et  un  second  chevalier  de  Pilate  dans  la  même 
Passion  s'appelle  encore  Marc  Antoine 3,  comme  dans  la  pièce 
d'Arras.  Comment  donc  ces  coïncidences  seraient-elles  fortuites  et 
le  moyen  d'admettre  que  Greban  ait  retrouve  par  hasard  juste  les 
mêmes  noms  que  son  prédécesseur  pour  de-  rôles  aussi  nettement 
déterminés?  Il  n'y  a  pas  ici  un  simple  hasard,  il  y  a  une  réminis- 
cence directe  qui  prouve  que  Greban  a  bien  connu  la  Passion 
d'Arras,  et  ce  petit  t'ait  certain  entraine  ou  confirme  d'autres  pro- 
babilités. 

La  Passion  d'Arras  n'est  pas  signée,  et  la  Vengeance  qui  la 
suit  dans  le  manuscrit  d'Arras  est  seule  expressément  attribuée  à 
Eustache  Mercadé.  Comment  expliquer  pourtant  que  dans  deux 
pièces  consécutives  aussi  longues,  il  n'y  ait  aucune  disparate  dans 
les  rôles  et  les  emplois  de  personnages  si  variés,  et  qu'où  retrouve 
clans  la  seconde  les  noms  les  plus  insignifiants  el  les  [dus  signifi- 
catifs de  la  première,  tels  que  Maitre  Antitus  et  Metelle4  ?  Si  la 
Passion  et  la  Vengeance  n'étaient  pas  parties  de  la  même  main. 
n'y  aurait-il  pas  entre  elles  des  discordances  analogues  à  celles 
qui  ont  été  relevées  dans  la  Passion  composite  de  Semur  ?  Mais 
de  plus  et  surtout  pourquoi  Greban  aurait-il  pris  la  peine  délire 


i.  Greban,  p.  ijn.  v.  11,35g,  Emilius  vendeur  d'oiseaux. 

i  et  3.  Greban,  p.  3i4,  Marc  Anthoine,  deuxième  chevalier,  Emilion,  troisième  che- 
valier. 

j.  Sur  le  sobriquet  <•(  le  personnage  grotesque  de  Maitre  Antitus  voir  Romania, 
e88i,  i>.  284. 

Ce  sobriquet  grotesque  est  appliqué  a  Jésus  dans  un  vers  altéré  de  la  /'<issi<m 
d'Arras,  |>.  [ja,  vers  14,317,  qu'il  faut  rétablir  ainsi  : 

Et  ravisez,  maistre  Antitus       (et  noi aistre,  a  Titus, 

Le  même  sobriquet  est  donné  dans  la  Vengeance  a  un  médecin  ridicule  —  Le  clic 
valier  Metelle  qui  gagne  aux  dés  la  robe  de  Jésus  dans  la  Passion  d'Arras,  p.  n,r>. 
reparaît  dans  la  Vengeance  pour  céder  ladite  robe  a  Pilate.  On  pourrait  multiplier 
ces  rapprochements. 


276  I^A.    PASSION 

cette  Passion d'Arras  plutôtquetelleautrePassion  de  Nevers,  d'Or- 
léans, de  Semur,  de  Metz.  d'Angers  ou  d'ailleurs?  Apparemment 
la  pièce  d'Arras  était  connue,  attribuée  à  un  «  facteur  »  réputé.  Et 
en  réalité  la  réputation  et  les  œuvres  du  «  grand  facteur  »,  Eusta- 
che  Mercadé,  arrivèrent  d'autant  plus  facilement  à  Paris  que 
ce  Mercadé  ne  fut  pas  seulement  officiai  de  Corbie  et  de  Ham, 
comme  on  le  savait  déjà,  mais  qu'il  joua  un  rôle  important 
dans  l'Université,  et  qu'à  sa  mort,  en  i44°>  ^  était  doyen  de  la 
Faculté  de  décret  de  Paris,  comme  on  Fa  démontré  ailleurs1. 
Quel  que  soit  l'auteur  de  la  Passion  d'Arras,  il  est  certain  que 
Greban  l'a  lue.  Avant  de  se  mettre  à  l'œuvre,  «  à  la  requête  d'au- 
cuns de  Paris  »  c'est-à-dire  vraisemblablement  des  Confrères  delà 
Passion,  il  a  voulu  consulter  la  pièce  la  plus  célèbre  de  son  temps, 
et  il  lui  a  emprunté  son  cadre  qu'il  a  rempli  autrement.  Ce  que  le 
style  a  gagné  et  comment  les  scènes  et  même  les  journées  sont  à  la 
fois  mieux  liées  et  mieux  coupées^  c'est  ce  qui  n'a  pas  besoin  de 
démonstration.  Les  changements  matériels  sont  si  nombreux 
qu'ils  ont  abouti  à  une  refonte  complet-  de  l'œuvre  primitive,  et 
qu'il  a  fallu  en  somme  démontrer  l'imitation.  Quels  sont  donc  ces 
changements?  Suffirait-il  de  constater  que  Greban  rejette  ou  res- 
treint certaines  légendes  apocryphes  (mais  pourquoi  celles-ci  plu- 
tôt que  celles-là,  et  pourquoi  en  ajoute-t-il  de  nouvelles?)2.  Les 
suppressions  ou  les  additions  matérielles  de  ce  genre,  les  inser- 
tions de  nouvelles  scènes  tirées  des  Evangiles8,  sont  beaucoup 
moins  intéressantes  que  les  scènes  mêmes  de  la  Passion  d'Arras  que 
Greban  a  refaites  de  toutes  pièces  et  la  manière  dont  il  les  a  refaites. 
Si  l'on  entre  dans  le  détail,  on  s'aperçoit  bien  vile  qu'il  n'est  pas 
seulement  guidé  par  des  raisons  littéraires  de  vraisemblance  ou 


i.  Voir  notre  édition  de  la  Comédie  sans  litre,  p.  r.xxxin. 

a.  Nouveaux  détails  sur  la  mort  d'Hérode,  histoire  d'Hérodiade,  récit  des  peines 
d'enfer  par  le  Lazare,  légende  «lu  sommeil  de  saint  Jean.  Désespérance  et  Judas, 
apparition  de  Jésus   a  la    Vierge,  etc..  ete 

■j.  Ces  insertions  ou  additions  sont  surtout  nombreuses  dans  la  deuxième  Journée 
de  Greban  :  noces  de  Cana,  entrevue  de  Jésus  et  de  Nicodème,  la  Samaritaine,  résur- 
rections delà  tille  dlsmahel  (Jairus)  et  de  l'enfant  de  la  veuve  de  Naim,  nombreux 
sermons  et  paraboles,  etc.  Eu  revanche  il  supprime  nombre  de  scènes  de  la  Passion 
d'Arras  qui  auraient  gêné  ou  ralenti  sa  marche,  qu'elles  soient  tirées  ou  non  des 
Evangiles  canoniques,  exemples  :  la  guérison  des  dix  ladres.  Zaehée  a  Jéricho.,  etc. 
Col  une  refonte  complète. 


1)  AHNOl'I.    (JKEBAN 


d'intérêt.  A  la  différence  du  poète  d'Arras  dont  l'érudition  capri- 
cieuse est  si  pénible  à  suivre  (et  elle  l'esl  plus  encore  qu'on  ne  l'a 
dit),  Greban  n'a  qu'un  maître,  toujours  le  même.  Ce  maître  n'est 
autre  que  Nicolas  de  Lire,  dont  les  réminiscences  ou  les  traduc- 
tions littérales  se  retrouvenl  chez  lui  ù  chaque  page,  si  bien  que 
les  célèbres  Postilles  sont  toutes  ou  presque  toutes  l'explication 
de  la  nouvelle  Passion.  Il  sullil  d'en  rappeler  brièvement  les 
preuves  matérielles. 

dette  influence  ne  se  montre  pas  encore  au  début.  Dans  son  Pro- 
logue ou  sa  «  Gréacion  abrégée  »  qui  n'était  pas  destinée  à  la  re- 
présentation, Greban  parait  avoir  résumé  une  de  ss  anciennes 
pièces  qui  nous  est  conservée  aujourd'hui  en  tête  du  Mystère  du 
ciel  Testament1.  Les  lamentations  des  Pères  dans  les  limbes,  qui 
ouvrent  l'action  proprement  dite,  paraissent  avoir  été  imitées  de  la 
Nativité  Sainte-<  î-eneviève.  Le  Procès  de  Justice  et  de  Miséricorde 
qui  suit  diffère  encore  de  la  Passion  d'Arras  parce  que  dan-  ce 
Procès,  Greban,  il  nous  le  dit  lui-même  *,  a  traduit  [dus  longue- 
ment (pie  son  prédécesseur  la  Somme  de  Saint  Thomas.  Mais,  ces 
prémisses  une  Ibis  posées,  Greban  prend  en  main  Nicolas  de  Lire 
et  ne  le  quitte  plus.  Le  mariage  de  la  Vierge  et  le  vœu  de  virginité 
des  deux  époux,  le  voyage  a  Bethléem  et  la  naissance  miraculeuse 
du  Christ,  les  raisonnements  des  mages  sur  l'étoile  mystérieuse 
qui  n'est  ni  une  comète  ni  une  planète,  et  le  retour  de  ces  Mages 
pai-  mer  sur  l'invitation  de  l'Ange,  la  manière  dont  Hérode  ap- 
prend la  Présentation  au  Temple,  le  voyage  de  cet  Hérode  lui- 
même  à  Home  où  il  reste  deux  ans  ci  d'où  il  revient  juste  pour 
massacrer  les  Innocents  qui  auront  cet  âge  (a  bimatu),  son  testa- 
ment et  le  règlement  de  sa  succession,  tous  ces  détails  nouveaux 
ajoutés  à  la  Passion  d'Arras  viennent  non  certes  d'un  «  prototype 
perdu  h.  mais  des  Postilles  bien  conservées,  (/est  avec  ces  Pos- 
tilles que  Greban  a  rejeté  l'épisode  apocryphe  de  Salomé  et  de 

Zehel  et  plus  lard  le  miracle  du  palmier,   tandis  qu'il  a  conservé  la 

chute  de-  idoles,  lors  de  l'entrée  de  la  Sainte   Famille  en   Egypte. 


i     l  .ut  signalé  par  les  «-<lii»-ii i—  de  Greban,  |>    \\\  . 

9    Greban,  p.  5.  ï     i8|  : 

<  lomme  sain)  Thomas  l'a  i  raid  ié 
Soubtillemenl  en  bi  »n  i  raicl  ié 
Sur  le  i iei  -  livre  'l    sentences 


278  I.A    PASSION 

C'est  que  de  ces  deux  premiers  épisodes  l'un  est  expressément  re- 
jeté, et  l'autre  omis  par  N.  de  Lire,  tandis  que  le  troisième  passe 
pour  annoncé  par  un  verset  d'Isaïe.  Le  même  Nicolas  de  Lire  lui 
indiquera  dans  tous  les  détails  comment  Joseph  et  Marie  perdent 
Jésus  au  temple  et  lui  fournira  presque  toute  l'argumentation  des 
docteurs  de  la  Synagogue  sur  la  question  de  savoir  si  le  Christ  est 
né.  comme  en  général  l'interprétation  de  tous  les  versets  de  l'Ecri- 
ture si  souvent  cités  dans  la  pièce.  Dans  le  cas  particulier,  c'est-à- 
dire  de  l'argumentation  au  Temple,  il  a  suffi  à  Greban  de  réunir 
deux  passages  des  Postilles,  le  premier,  en  tète,  contenant  toutes 
les  prophéties  sur  la  naissance  du  Christ  et  l'état  de  la  Judée  au 
moment  de  son  apparition  ',  le  second  d'un  caractère  encore  plus 
spécial.  Il  s'agit  de  savoir  comment  si  le  Christ,  le  roi  divin,  est 
né.  il  a  pu  naître  dans  l'obscurité,  des  parents  les  plus  humbles. 
Comme  exemple  de  ces  naissances  princières  mystérieuses,  N.  de 
Lire  cite  Moïse  et  le  petit-fils  d'Astyage.  Cyrus.  Greban  rem- 
place ces  noms  par  d'autres  qu'il  trouve  plus  expressifs  et  dont  il 
a  pu  trouver  l'histoire  dans  Vincent  de  Beauvais,  Alexandre,  Ro- 
mulus  et  Remus,  mais  il  conserve  identiquement  le  raisonne- 
ment, et  la  juxtaposition  des  Postilles  est  facile  à  suivre. 

Les  réminiscences  ne  sont  ni  moins  nombreuses  ni  moins  frap- 
pantes dans  la  seconde  journée.  Après  avoir  fixé  «  avec  son  guide 
ordinaire  1  "âge  parfait  »  et  l'entrée  du  Christ  dans  la  vie  publique, 
Greban  développe  d'une  manière  très  curieuse  l'histoire  de  saint 
Jean-Baptiste  et  celle  du  roi  Hérode  Antipas.  Tandis  que  dans  les 
Evangiles  et  dans  la  Passion  d'Arras,  le  roi  Hérode  est  réellement 
attristé  «  contristatus  »  de  sacrifier  sa  victime,  et  qu'il  regrette 
sincèrement  sa  cruauté,  dans  la  nouvelle  Passion  il  joint  l'hypo- 
crisie à  la  lâcheté,  et  il  se  concerte  avec  sa  femme  pour  perdre  le 
prophète,  sans  crainte  des  séditions  populaires.  C'est  l'explication 
compliquée  empruntée  par  Nicolas  de  Lire  à  Bède  et  négligée  par 
le  poète  d'Arras,  mais  soigneusement  reprise  et  développée  par 
Greban.  Nous  retrouvons  encore  l'influence  de  Nicolas  de  Lire 
dans  certains  traits  de  la  résurrection  du  Lazare  comme  dans  le 
tableau  des  deux  repas  offerts  l'un  par  Simon  le  Pharisien,  l'autre 

i.  Greban,  p.  m—  Dans  ce  livre,  p.214,  n°  i5.  Il  est  possible  que  Greban  ait  encore 
consulté,  par  surcroît,  un  ouvrage  bien  connu,  YHist.  ecclésiastique  d'Eusèbe,  I,  5,  6. 


d'arnoul  greban  279 

par  Simon  le  Lépreux,  et  qui  sont  soigneusemenl  séparés  au  lieu 
d'être  confondus  comme  dans  la  Passion  d'Arras.  L'épisode  de  la 
femme  adultère  est  traduil  Littéralement  des  Postilles  '.  >-ans 
compter  maints  détails  des  épisodes  suivants,  les  deux  scènes  du 
figuier,  le  Cénacle,  la  Crue  et  le  Lavement  des  pieds,  les  instruc- 
tions de  Judas  à  ses  complices,  l'histoire  »  1  «  -  l'apôtre  saint  Jacques 
ou  «  du  jeune  homme  au  manteau  »,  et  celle  de  saint  Jean  reconnu 
par  la  servante  du  pontife,  parce  qu'il  avait  L'habitude  de  lui  ven- 
dre du  poisson. 

Il  suffit  de  noter  à  la  lin  de  cette  journée  deux  particularités  bien 
précises.  Si  le  premier  interrogatoire  de  Jésus  a  lieu  tout  entier 
chez  Anne  qui  le  l'ait  garder  et  outrager  toute  la  nuit,  si  les  trois 
reniements  de  Pierre  sont  clairement  expliqués  et  placés  tous  les 
trois  dans  la  cour  du  même  pontife  Anne,  à  la  différence  de  la 
Passion  d'Arras,  c'est  toujours  X.  de  Lire  que  Greban  a  consulté. 

L'histoire  de  la  Passion  est  si  connue  dans  le  détail  et  si  Longue- 
ment développée  dans  la  Passion  d'Arras  qu'on  ne  voit  pas  de 
[•rime  abord  la  place  de  nouvelles  additions  ou  modifications.  Et 
pourtant  Greban  prend  encore  dans  les  Postilles  tout  le  détail  de 
l'interrogatoire  chez  Pilate  et  de  la  présentation  à  Hérode  :  il 
explique  de  même  leur  brouille  à  la  suite  du  massacre  des  Gali- 
Léens*,  puis  leur  réconciliation.  Il  conserve  de  même  les  réflexions 
aussi  justes  (pie  naïves  de  N.  de  Lire  sur  le  songe  de  la  femme  de 
Pilate  qui  se  lève  tard  comme  une  grande  dame.  La  condamnation 
même,  la  honte  de  la  crucifixion,  les  sentiments  de  Simon  de 
Gyrène,  l'explication  de  L'écriteau  trilingue.  Le  grand  cri  de  Jésus 
mourant  recueilli  par  le  Centurion,  le  sort  du  bon  larron  que  (ire- 
ban  n'a  garde  d'envoyer  au  Paradis  terrestre  connue  le  poète 
d'Arras  L'avait  l'ail  d'après  l'Evangile  de  Nicodème,  tous  ces  détails 
et  bien  d'autres  viennent  toujours  des  Postilles. 

Celle  imitation  se  poursuit  dans  la  quatrième  journée  qui  pré- 
sente tant  de  différences  avec  la  Passion  d'Arras,  pour  les  mêmes 
raisons.  Tout  l'ordre  des  apparitions  de  Jésus  est  modifié  suivant 


i  Voir  p  ai j  de  ce  livre.  L'exactitude  de  cette  traduction  esl  particulièrement 
curieuse. 

9  L'explication  des  Postilles  citée  p  aaS,  n  }j  de  ce  livre,  el  résumée  par  Greban 
sera  reprise  a  la  même  source  el  longuement  développée  par  J.  Michel 


iNO  LA    PASSION 

N.  de  Lire,  et  les  traductions  des  Postilles  se  succèdent  pour  les 
moindres  détails,  tandis  que  les  emprunts  à  l'Evangile  de  Nicodè- 
me1  qui  n*est  pas  autorise  par  N.  de  Lire  sont  réduits  à  leur  plus 
simple  expression. 

Est-ce  à  dire  que  Greban  a  utilisé  toutes  les  Postilles  sans 
exception  et  qu'il  n*a  jamais  recueilli  ailleurs  tel  ou  tel  détail 
de  sa  pièce?  Evidemment  non,  et  la  Somme  de  Saint  Thomas, 
l'Histoire  schot 'astique,  la  Légende  dorée,  les  Distiques  de 
Caton,  YEthique  d'Aristote,  les  Meditationes  Vitae  Christi,  les 
traditions  populaires  ou  dramatiques  lui  ont  fourni  de-ci  de-là 
plusieurs  indications  que  nous  avons  relevées  en  partie.  La  Pas- 
sion française  composée  en  i3t)8  pour  Isabeau  de  Bavière  lui  a 
même  donné  plus  qu'une  indication,  puisqu'il  y  a  trouvé,  comme 
nous  l'avons  vu,  la  scène  la  plus  belle  de  son  drame,  et  même  de 
tout  l'ancien  théâtre  français,  le  dialogue  célèbre  où  la  Vierge 
supplie  son  fds  d'éloigner  d'elle  el  de  lui  les  souffrances  de  la  Pas- 
sion. Mais  si  intéressantes  que  soient  ces  additions  à  la  pièce 
d'Arras,  que  sont-elles  en  comparaison  de  l'influence  prolongée, 
constante,  d'un  livre  de  chevet  que  le  dramaturge  a  feuilleté  page 
par  page,  et  qui  a  réglé  tous  ses  développements?  Quand  on  a 
pris  la  peine,  comme  lui,  de  réunir  toutes  les  indications  disper- 
sées dans  le  vieil  in-folio  et  d'en  faire  la  somme,  on  est  bien 
tenté  de  dire  que  la  Passion  de  Greban.  c'est  la  Passion  d'Arras 
refaite  par  Nicolas  de  Lire. 

Si  Greban  a  bien  emprunté  le  cadre  de  la  Passion  d'Arras,  il 
n'en  a  reproduit  littéralement  que  quelques  hémistiches,  quelques 
vers  isolés  de-ci  de-là  et  par  hasard,  jamais  deux  vers  entiers  con- 
sécutifs2. 11  n'en  est  pas  de  même  de  Jean  Michel  qui  dans  sa  nou- 
velle Passion  en  quatre  journées  jouée  à  Angers  à  la  fin  d'août 


i.  Il  a  cependant  ((insulté  de  nouveau  le  texte  latin  (Evang.  Xicod  ,  p.  II,  ch.  i,  3,  5), 
et  en  a  tin',  p.    >'('j,  34'},  des  citations  latines  qui  ne  sont  pas  dans  la  Passion  d'Arras. 

2.  Voici  peut -etic  le  rapprochement  le  plus  significatif  à  signaler;  il  est  singulier 
qu'il  n'y  eu  ait  pas  davantage,  ou  plutôt  le  fait  s'explique  très  bien,  Greban  lit  la 
Passion  d'Arras,  il  ne  la  copie  pas  comme  un  écolier. 

Passion  d'Arras,  p.  79,  v.  6754.  S.  Jehan.  Greban,  p.  i^o,  v.  io,;38.  —  Abras. 

Tu  tiens  la  femme  de  ton  frère  La  chose  est  clere 

Philippe  qui  esj  vitupère.  Qu'il  tient  la  femme  de  son  frère. 


DE    JEAN    MICHEL  281 

i486,  a  amplifié  deux  journées  de  la  Passion  de  Greban1.  Il  a  con- 
servé, lui.  presque  tous  1rs  vers  de  son  prédécesseur  et  s"est  con- 
tenté d'y  interpoler  les  siens.  Si  Greban  avait  des  scrupules  d'or- 
thodoxie et  se  vantait  «  de  poursuivre  l'Evangile,  sans  apocryphe 
recevoir  ».  J.  Michel  n'a  pas  cette  prétention.  Sa  pièce,   il  nous  le 

dit 

N'est  seulement  qu'un  motif 

Non  répugnant  a  vérité, 

Qui  sera  escript  et  dicté 

Pour  esmouvoir  les  simples  gens, 

Les  ignorans,  les  negligens. 

C'est-à-dire  que  les  développements  de  pure  imagination  et  les 
légendes  populaires  reprennent  chez  lui  la  première  place.  Mais 
ces  légendes,  ces  «  addicions  et  corrections  faictes  par  très  élo- 
quent et  scientifique  docteur  maistre  Jehan  Michel  »  comme  dit 
l'édition  d'Ant.  Verard  en  r',<)o.  d'où  viennent-elles?  Des  livres 
ou  du  théâtre,  de  traités  historiques  et  théologiques  ou  de  pièces 
antérieures?  Les  deux  opinions  ont  été  successivement  soutenues 
à  un  long  intervalle.  Suivant  Louis  Paris4  qui  se  rencontre  ici  avec 
Peignot,  la  source  principale  de  J.  Michel  ne  serait  autre  que  la 
Vie  de  Jesu  Crist  imprimée  en  i 'tS5  '  à  laquelle  il  conviendrait 
d'ajouter  un  ouvrage  très  répandu  au  moyen  âge.  {'Histoire  du 
combat  apostolique  d'Abdias,  plus  les  commentaires  de  Nonnus 
et  de  quelques  autres  sur  les  Evangiles,  cités  d'après  Toynard  et 
doin  Calmet*.  Suivant  d'autres,  J.  Michel  n'aurait  l'ail  que  repren- 


1.  Plus  exactement,  la  Passion  >\<-  .1  Michel  commence  avec  la  prédication  de  saint 
Jean-Baptiste  (2«  Journée  il'-  Greban,  p  i32),  suivie  d'un  conseil  des  Juifs  emprunté 
à  la  lin  de  la  i"  Journée  «le  Greban,  p.  i-.>»  el  suiv.,  et  finii  au  même  poinl  que  la  tierce 
•Iniiriin-  di-  Greban,  |>.  '5às. 

a.  !..  Paris,  Toiles  peintes  et  tapisseries  de  la  ville  de  Reims,  i843,  t.  I,  cite  tantôt,  p. 
i  wwi.  [48,  (5r,  la  Vita  Xpristi  (qui  es!  sous  un  autre  titre  la  réimpression  de  la  Vie 
de  lésa  Crist  de  i485),  tantôt  et  plus  souvent,  p.  3o4,  i'."-  >si-  i1"-  ti7- ,',('  "  l'Evangile 
apocryphe  du  bon  maistre  Gamaliel,  de  Nycodemus  son  nepoeux  et  du  l'on  chevalier 
Joseph  d'Abarimathie,  etc  »  qui  est  inséré  dans  cette  Vita  Kpristi.  Peignot,  (Praedi- 
eatoriana,  1841,  p.  396  et  suiv.),  cite  el  réimprime  en  partie  la  légende  de  Judas  qui 
aurait  été  imitée  par  J.  Michel  d'après  cette  même  Vita   Ypristi, 

;    Le  rapport  du  texte  de  J.  Michel  à  L'œuvre  d'A    Greban  n'a  pu  être  établi  avec 

précision  que  par  La   publicati lu  texte  intégral  de  Greban,  éd.  G,  Paris  et  <• 

Raynaud,  i8j8 

1  es  inciens  critiques  tels  que  L,  Paris  el  Peignot  n'ont  naturellement  pu  <i<'\  iner  ce 


282  LA    PASSION 

dre  son  bien  clans  les  pièces  antérieures  et  son  «  addition  »  la  plus 
connue  en  particulier.  «  la  mondanité  de  la  Madeleine  »  serait  em- 
pruntée à  d'anciennes  Passions  françaises  déjà  imitées  antérieu- 
rement dans  les  Passions  allemandes.  L'une  et  l'autre  de  ces  asser- 
tions est  également  gratuite.  Il  est  facile  de  démontrer  que  J.  Mi- 
chel n'a  consulté  aucun  des  ouvrages  précités,  en  particulier  la 
Vie  de  Jesu  Crist  signalée  précédemment,  mais  qu'en  revanche  il 
a  relu  exactement  les  livres  déjà  utilisés  par  Greban,  à  savoir 
L'Evangile  de  Nicodème,  Y  Histoire  scholastique,  les  Postilles  de 
N.  de  Lire,  l'abrégé  latin  de  Josèphe  mis  sous  le  nom  d'Hége- 
sippe.  et  la  Légende  dorée.  Son  seul  livre  vraiment  nouveau  est 
un  sermon  célèbre  de  Jean  Gerson,  la  Passion  «  ad  Deurn  vadit  », 
à  laquelle  il  a  ajouté  quelques  fables  ou  légendes  tantôt  très  rares, 
le  plus  souvent  très  connues,  et  quelques  scènes  nouvelles  tirées 
directement  ou  des  Evangiles,  ou  de  son  imagination.  Telles  sont 
les  conclusions  auxquelles  on  arrive  forcément  si  l'on  recherche 
les  sources  de  J.  Michel  en  comparant  son  œuvre  à  celle  de  Gre- 
ban, comme  les  éditeurs  de  Greban  l'ont  depuis  longtemps  de- 
mandé'. Si  la  liste  des  emprunts  se  trouve  ainsi  épuisée,  comme 
on  va  le  voir  en  suivant  le  drame  journée  par  journée,  il  est  clair 
qu'il  sera  inutile  de  chercher  plus  loin  ni  ailleurs. 

Le  premier  fait  qui  frappe  clans  cette  révision,  c'est  que  J.  Mi- 
chel n"a  guère  modifié  les  rôles  des  protagonistes,  de  Jésus  et  de  la 
Vierge,  mais  qu'il  s'est  efforcé  de  compléter  par  tous  les  moyens 


rapport,  mais  ils  n'ont  pas  laissé  de  donner  des  indications  utiles  qui  conduisent  à  la 
vérité,  et  au  surplus,  leurs  recherches  sur  les  sources  de  J.  Michel  sont  restées  les 
seules  jusqu'à  celles  de  MM.  G.  Maçon  (i&/<>.  et  Vilmotte  n8<>8i.  lesquels  ont  proposé 
comme  mod  les  de  la  Passion  de  i486,  le  premier,  une  Passion  perdue,  jouée  à  Angers 
en  i4Ji':  '<'  second,  d'anciens  mystères  français  également  perdus,  mais  qui  auraient 
laissé  des  traces  dans  les  Passions  allemandes. 

Les  i5  éditions  connues  de  la  Passion  de  J.  Michel  étant  plus  rares  les  unes  que 
les  autres,  j'éviterai  autant  que  possible  de  renvoyer  à  l'exemplaire  dont  je  me  suis 
servi  [Bib.  Nat.,  réserve,  Vf.  i3).  Sauf  exception,  tous  les  renvois  se  rapporteront  à 
l'excellente  analyse,  très  détaillée,  donnée  par  les  frères  Parfait  (t.  I,  p.  -'■•>  a  4^6)  et 
reproduite  in  extenso  dans  le  Dictionnaire  des  Mystères  du  comte  de  Douhet,  p.  663- 
819  Pour  se  servir  de  cette  analyse  en  toute  sécurité,  il  suffit  d'en  retrancher  les  par- 
ties i|ui  ne  sont  pas  de  J.  Michel,  c'est-à-dire  p  66'3  à  ;o3,  le  Mystère  de  la  Conception 
(auteur  inconnu)  suivi  de  la  i«  journée  de  Greban,  et  p.  798  à  819,  la  Résurrection  pu 
la   1  Journée  de  Greban. 

1.  Introduction,  p.   xx. 


DE    .JEAN    MICHEL  283 

l'histoire  des  personnages  secondaires  et  qu'il  a  réuni  sur  eux  une 
foule  de  détails  nouveaux,  jamais  assez  pour  la  curiosité  de  son 
auditoire.  Voici  (1rs  le  début  un  exemple  de  ces  allongements  faci- 
les dans  les  scènes  de  la  Vocation  ou  de  l'Evocation  des  Apôtres. 
Greban  ne  nous  avait  montré  à  l'œuvre  que  les  pêcheurs  avec 
leurs  filets1,  et  s'était  contenté  pour  les  autres  d'une  rapide  énumé- 
ration.  .T.  Michel  complète  le  défilé*,  il  les  reprend  tous  successi- 
vement avec  leurs  attributs  légendaires,  Saint  Thomas  avec  ses 
instruments  d'architecte  ou  de  «  charpentier  »,  Saint  Barthélémy 
«  en  habit  de  prince  »,  égyptien  ou  syrien,  peu  importe,  Saint  Jac- 
ques Alphey.  le  cousin  du  Christ  auquel  il  ressemble  par  les  traits 
et  le  costume,  le  publicain  Saint  Mathieu,  d'abord  à  son  comptoir 
chargé  de  gros  sacs  d'argent3,  puis  à  table,  offrant  un  grand  ban- 
quet '  à  ses  amis  les  changeurs  et  les  marchands,  lesquels  seront 
bientôt  après  terrifiés  et  chassés  du  temple  par  le  fouet  de  Jésus5. 
Il  n'était  guère  besoin  de  livres  pour  les  additions  de  ce  genre  :  il 
suffisait  de  se  rappeler  l'Evangile  et  de  regarder  les  vitraux  des 
vieilles  cathédrales  ou  les  processions  de  la  Fête-Dieu.  Jusqu'à  la 
fin  du  xvne  siècle  et  même  bien  plus  tard,  à  Angers,  à  Paris',  à 
Reims,  partout,  les  Apôtres  défilaient  tous  les  ans.  en  bel  ordre, 
avec  ces  attributs  de  leur  profession.  De  même  il  n'était  pas  besoin 
de  lire  ['Histoire  apostolique  d'Abdias  pour  connaître  la  légende  si 
répandue  de  l'apôtre  Saint  Jean  devenu  dans  le  drame  l'époux  des 

i.  Greban,  p.  i4aetsuiv. 

2.  Dict.  des  M.,  p.  721.  —  La  Passion  de  .1.  Michel  (B.  Nat.  réserve,  Yf.  [3,  cahier 
dii  et   BUÏV.), 
'}.   Dict.  (/es  M  ,  p.  721 . 
4.  Ihiil-.  p,  - ■.'.:>.   addition  tirée  par  .1.  Michel  de  L'Evangile  de  sainl  Mathieu,  [X,  gel 

sllj\ 

.">.  Tbid,,  p.  -•!-. —  Tonte  la  scène  «le  Greban,  p.  [4g.  est  refaite  et  surchargée  de  détails 
nouveaux.  Les  détails  sur  l'éclat  terrifiant  du  visage  de  Jésus  et  sur  le  fouet,  sont 
pris  aux  Postules  de  Nicolas  <lr  Lire,  in  Joann,  II.  17.  p,  io5i.  •  Ex  oculis  quidam  ful- 
gur  exibat  virtute  divina  eos  deterrens.  Solel  etiam  quaeri  ab  aliquibus  quomodo 
t'ecii  Qagellum  de  funiculis,  quia  non  vendebantur  ibi  funiculi.  sed  solum  illa  quae 
debebanl  in  templo  offerri.  El  dicunt  aliqui  quod  ipse  Christus  utebatur  funiculo 
pro  cingulo,  et  illuin  funiculum  accepit  de  quo  eral  praecinctus  el  ipsura  duplicando 
iccit  quasi  Qagellum  ».  —  Les  mê s  Postules, ont  inspire  directement  la  Passion  alle- 
mande de  Francfort,  1  (g3  (éd.  Froning,  1  11,  p  (o5),  surtout  la  Passion  d'Alsfeld 
[éd  Froning,  t.  III.  p.  682),  où  on  lit  :  »  Salvator  vadil  ad  templum  in  quo  invenil 
ementes  et  vendentes  et  fàcil  Qagellum  de  sona,  cum  qua  precinctus  est  ». 

6.  Sauvai,  Antiquités  de  Paris,  t    II,  p.  <;•/{. 


284  LA    PASSION 

noces  de  Cana.  Elle  est  rapportée  non  seulement  par  Abdias1 ,  mais 
par  Rède,  par  Jacques  de  Varaggio,  par  Nicolas  de  Lire  et  par 
vingt  autres,  et  la  citation  d' Abdias  repose  sur  un  rapprochement 
aussi  ingénieux  qu'inutile.  Ce  n'est  pas  non  plus  la  Vie  de  Jesu 
Crist  imprimée  pour  la  première  fois  par  Robin  Foucquet  en  i486, 
ou  la  Vita  Xpristi,  qui  ont  fourni  la  légende  de  Judas,  l'Œdipe 
chrétien,  dont  l'enfance,  la  jeunesse  et  tout  le  passé  criminel  sont 
longuement  représentés  sur  la  scène,  au  lieu  d'être  rappelés  dans 
un  simple  monologue  comme  chez  Greban.  Un  épisode  suffira  pour 
constater  l'origine  de  tous  ces  développements. 

Judas  a  été  exposé  dès  sa  naissance  sur  les  flots  par  ses  parents 
Ruben  et  Cyborée  et.  après  maintes  aventures,  il  est  devenu  le  ser- 
viteur de  Pilate.  Le  vieux  Ruben  vient  de  quitter  sa  femme,  tou- 
jours triste  depuis  la  perte  de  leur  enfant,  et  se  rend  vers  son  petit 
jardin  «  où  il  y  a  un  pommier  fort  chargé  de  belles  pomes  ».  Juste 
à  ce  moment  Pilate  passant  près  de  la  haie,  aperçoit  ce  beau  pom- 
mier et  désire  en  avoir  des  fruits.  Il  charge  son  intendant  Judas 
d'aller  lui  en  acheter,  et  s'éloigne,  mais  pour  aller  plus  vite,  et  par 
un  raffinement  de  scélératesse,  Judas  abat  les  branches  de  l'arbre 
avec  son  épèe  : 

Si  je  ne  l'ay  de  ce  revers, 

Si  l'aurai -je  de  ceste  tranche  ! 

C'est  un  massacre.  Ruben  accourt. 

ruben  -'  Vie  de  Jesu  Crist  fol.  lxiiii  V. 

Et  qui  est  ce  la  qui  esbranche  Comment  Judaz  tua  son  père. 

Mon  arbre,  et  qui  le  veult  coupper?  y-,.,   ,  ,,     T    ,         ,  ,   .  ,.   . 

1  _        ,  Pilate  appella  Judas  et  lui  dist  : 

Sire,  c'est  bien  mal  faict  d'abatre  T    ,  ,  ,> 

«  Judas,   mon  bon  amy,  va  t  en 
Mon  arbre  par  si   grant  oultrage  !  ,     D    ,  ,       ,  '  -    , 

1  au   vergier  de  Ruben  et   m  aporte 

JUDAS  des    pommes  qui    sont  en  ung  bel 

Taystoy,tays  toi.  S'il  y  a  dommage,       pommier  qu'il  y  a,  car  je  meurs  si 

Tu  en  seras  desdommagé.  je   n'en   ay.  »    —   Et  adonc    Judas 


i .  L.  Paris,  p.  ;3,  notes  :  «  Abdias  que  l'auteur  du  mystère  nous  semble  avoir  voulu 
mettre  en  scène  sous  le  nom  d*Abias  ».  —  Abias  est  tout  simplement  le  premier  Juif 
converti  par  Jehan-Baptiste  dans  la  Passion  de  Greban,  p.  i33.  J.  Michel  l*a  employé 
dans  la  même  scène  (Diet.  des  Myst.,  p.  708),  et  substitue  plus  tard  à  TAgrestin  de 
de  Greban  dans  les  noces  de  Cana  (lbid.,  p.  724). 

•2.  Dict.  des  M.,  p.  ;hi<B    Nat.  Y  f.  i3,  cahier  c.iiii,  fol.  4  v°)- 


DE    JEAN    MICHEL 


28J 


RUBEN  prit  son  espee  et   s'en  ala  au  ver- 

Quand  vostre  saoul  eussiez  mangé  gier  de  Ruben   son  père,  et  com- 

Ou  tout  le  fruit  de  l'arbre  prins,  mença  de  couper  les  branches  du 

De  moy  n'eussiez  esté  reprins  pommier  avecques   son  espee.  Et 

Mais  pensez  que  trop  me  desplait  Ruben  qui  estoit  en  son  hostel  oyt 

De  rompre  l'arbre  tel  qu'il  est,  les   cops   ferir  quant  Judas  copoit 


Sans  besoing  qu'il  en  soit  ! 
JUDAS 

Villain, 

S'il  faultqueje  mette  la  main 
Sur  ta  teste,  il  y  aura  bruit. 

RUBEN 

Rompre  l'arbre  et  embler  le  fruit 
N'est  pas  t'ait  d'uug  homme  de  bien. 

Icy  s'entrebatent  et  enfin  Judas 


les  branches  du  pommier  et  vint 
acourant  celle  part  pour  cuider 
garder  de  gasler  son  pommier,  et 
se  courrouça  moult  fort  a  Judas 
pour  ce  qu'il  rompoit  le  pommier, 
car  Ruben  voloit  bien  que  Judas 
print  des  pommes,  mais  il  estoit 
mal  content  et  fort  triste  de  ce 
qu'il  copoit  les  branches  de  l'arbre. 
Si  se  dirent  de  moult  grans  outrai- 
ges   l'ung  a   l'autre   tellement  que 


frappe  si  grand  coup  sur  la  teste  Judas  se  desfendit  et  se  bâtirent 
de  Ruben  qu'il  l'abat  a  terre  et  le  moult  si  que  Judas  tua  son  père  de 
tue  ».  son  espee  ». 

Il  le  tue,  et  Pilate  lui  fait  épouser  sa  veuve,  la  riche  Cyborée1. 

Sans  doute  un  détail  précis  (celui  de  l'arbre  rompu  ou  des 
branches  coupées)  permet,  semble-t-il,  de  penser  que  J.  Michel  a 
consulté  non  telle  ou  telle  des  nombreuses  versions  latines  ou 
françaises  de  la  Légende  de  Judas,  mais  exactement  la  version 
française  développée  qui  est  imprimée  dans  les  diverses  éditions 
de  la  Vie  <lc  Jesu  Crist  et  signalée  par  Peignot\  Mais  il  est  clair 
qu'avant  d'être  imprimée,   celte  légende  circulait   manuscrite  et. 

i.  Cette  particularité  qui  esl  déjà  dans  la  Légende  dorée  (art.  saint  Matin.--  n< 
devait  pas  surpendre  outre  mesure  les  spectateurs  du  xv»  siècle  L'historien  J,  du 
Clercq  c<l  Michaud  et  Poujoulat,  ]»  620)  nous  a  montré  une  veuve  qui  vient  d'en- 
terrer son  mari,  Bançant  H  épousant  le  lendemain  un  jeune  homme  de  vingt  ans. 
et  il  rappelle  que  le  duc  de  Bourgogne,  Philippe  le  l!<>n.  forçait  souvent  les  riches 
veuves  d'épouser  les  officiers  de  sa  cour  et  de  leur  assurer  leur  fortune 

■■    Praedicatoriana   \<    3g6. 

La  Légende  dorée  (art  sainl  Mathias)  d'où  dérivent  toutes  les  versions  en  prose 
ei  en  vers  de  cette  légende  de  Judas  (cf.  <;.  Paris,  Revue  criVque,  1869,  I.  ji3),  «lit  sim- 
plement In  pomoerium  insiiiii  et  velocius  mala  carpil  «.  La  légende  en  prose  de 
Judas  qui  ligure  à  la  lin  du  manuscrit  fr.  [81  delà  Bibl.  Nat.  déjà  décrit,  p.  a5o,  n.  1. 
n'est  elle-même  qu'un  abrégé  de  la  version  imprimée  pour  la  première  fois  dans  la 
l  ie  de  Jesu  Crisi  de  1  {83 


2S6  LA    PASSION 

comme  tous  les  autres  rapprochements  avec  la  Vie  de  Jesu  Crist 
vont  être  éliminés,  il  n'y  a  pas  de  raison  de  conserver  celui-là. 
Il  n'y  a  pas  à  s'inquiéter  non  plus  pourquoi  ce  Judas  recevra  plus 
tard  des  mains  du  pontife  Anne  : 

Trente  deniers  d'argent 

Qui  ont  nasse  par  mainte  gent 

Dont  Joseph  fut  jadis  vendu.... 

La  légende  des  trente  deniers  et  de  leurs  pérégrinations  est 
racontée  partout  depuis  Godefroy  de  Viterbe  qui  ne  l'avait  pas 
inventée. 

Des  observations  analogues  s'imposent  pour  l'histoire  du  pro- 
tecteur de  Judas,  Pilate,  dont  les  sévices  et  les  dissensions  avec 
Hérode  Antipas,  brièvement  indiqués  par  Greban,  sont  longue- 
ment développés  dans  la  nouvelle  pièce.  Le  gouverneur  Pilate,  à 
son  arrivée  en  Judée,  disserte  sur  le  caractère  des  princes  qui  se 
partagent  la  province,  il  rappelle  la  mauvaise  «  justice  »  de  son 
prédécesseur  Yalère  qui  a  fait  mettre  aux  enchères  «  l'évesché  de 
Judée  »,  et  dont  l'administration  a  été  faible1.  La  sienne  sera  forte. 
Il  commence  par  lancer  deux  édits  pour  obliger  tous  les  Juifs  à 
venir  saluer  l'image  de  l'empereur,  et  pour  augmenter  les  impôts2. 
Lorsque  les  Juifs  se  réunissent  à  Jérusalem  pour  «  sacrifier  des 
bêtes3  »  malgré  ses  ordres,  il  les  fait  envelopper  par  ses  soudards, 
il  les  massacre,  et  les  survivants  vont  se  plaindre  au  roi  Hérode 
qui  devient  dès  lors  l'ennemi  mortel  d'un  si  grossier  personnage 
et  de  si  basse  extraction,  de  cet  intrus  : 

Fils  de  la  fille  d'ung  Monnier, 

comme  il  dit  dédaigneusement.  Hérode  a  emprunté  ce  trait  aux 
légendes  populaires   sur  Pilate  4,    et    Pilate   lui-même   a   appris 


i  et  2.  Dict.  des  M..  p.  712714-  Origine:  ['Histoire  schoïastique  (Patr .  Mignc,  t.  19S, 
j>.  i55i)chap.  2;  et  2S  légèrement  modifiés. 

3.  Dict.  des  M.  (a*  Journée),  p.  ;4"-  Ie'  'a  version  de  VHist.  schoïastique,  ch.  xciv, 
p.  i585.  diffère  du  texte  de  J.  Michel  qui  a  suivi  une  Postille  de  X.  de  Lire  imprimée 
in  extenso  dans  ce  livre  11°  4T-  p.  228. 

4.  lue  des  nombreuses  légendes  latines  de  Pilate  a  été  reproduite  par  L.  Paris, 
t.  II,  p.  7(i5.—  Ed.  du  Meril,  Poésies  pop.  latines  du  M.  âge.  1847,  p.  35g  (Cf.  P.  Meyer, 
II.  île  ht  S.  des  anciens  textes  />■.,  i8;r>,  p.  02,  et  S.  Berger,  La  Bible  française  au  Moyen 


DE    JEAN    MICHEL 

tous  les  détails  de  son  rôle  dans  VHistoire  scholastique,  dans  1rs 
Postilles  de  N.  de  Lire,  et  dans  l'abrégé  latin  de  Josèphe  m i >  sous 
lcjnom  d'Hégésippe,  mais  qui  est  probablement  de  St.  Ambroise. 
Il  n'a  certainement  pus  pris  la  peine  de  lire  les  ouvrages  de 
Josèphe  lui-même,  bien  que  les  traductions  latines  et  même  fran- 
çaises n'en  lussent  pas  rares  «lès  le  commencement  du  quinzième 
siècle  '. 

Ce  qui  le  prouve,  ce  ne  sont  pas  seulement  tous  les  détails  qui 
concordent  dans  les  ouvrages  précités  et  dans  le  drame  de  J.  Mi- 
chel, taudis  qu'ils  diffèrent  quelque  peu  dans  Josèphe  \  mais 
encore  le  début  de  l'histoire  «le  cet  Hérode  Antipas.  «Fier  comme 
le  roi  Hérode  »  disait  un  vieux  proverbe  qui  faisait  allusion  soit 
au  massacre  des  Innocents  par  le  premier  Hérode  (férus,  crudelis), 
soit  à  une  étymologie  fantastique  des  anciens  commentateurs  '. 
Hérode  Antipas  a  hérité  de  la  fierté  de  son  homonyme,  mais  ce 
matamore  tremble  devant  sa  maîtresse  Hérodias  qui  l'a  séduit 
dans  un  de  ses  voyages  à  Rome  et  qui  a  évincé  la  femme  légitime, 
laquelle  s'est  réfugiée  clandestinement  dans  les  états  de  son  père, 
Arethe.  le  roy  d'Arabie.  De  cette  histoire  longuement  déduite  par 
Hégésippe,  J,  Michel  n'a  pas  manqué  de  tirer  toute  une  scène 
d'explications  conjugales  entre  Hérode  et  Hérodias  menacée  par 
St  Jean-Baptiste  : 

BÉRODIADE  »  S.  Ambrosh 

De  exeidio  urbis  Hierosol,  lib.  II, 
Ha  !  monseigneur,  ne  luy  desplaise,  X.II    (Patr.    Migne,    t.    15,    col. 

Je  suis  aussi  bonne  et  bonneste  *15i  i. 

Que  la  fille  du  roy  Arethe  

Qui  fut  vostre  première  femme  !  Cujus  causa  necis  libertas,  quod 

âge,  p.  i85),  a  imprimé  une  ancienne  version  française  :  «  si  ci  un  un-  PyJates  fu  engen- 
rés  en  le  lill«'  un  mannier  »  -  Pilate,  soi-disant  originaire  du  diocèse  de  Mayence  el 
gouverneur  de  l'île  de  Pons  ou  Pontos,  n'étail  pas  moins  connu  en  Allemagne  :  et  la 
Passion  de  Francfort  (éd.  Proning,  t .  II.  p.  fao),  n'a  pas  manqué  de  faire  allusion  aux 
mêmes  fables  populaires 

i.  Sur  ces  traductions  de  Josèphe  et  les  manuscrits,  voir  Coquillart,  éd.  d'Héri- 
cault,  Bibl    elzé>  irienne,  t .  II.  p.  398. 

2.  En  particulier  pour  l'histoire  des  sacrifices  el  du  massacre  des  Galiléens 

3  Cornélius  à  Lapide  in  Luc  1.  p.  63  :  «  Uebraice  Herodes  idem  esl  quod  pelliceus 
vel  gloriosus,  art.  s.  Isidorus  1>I>    ~  Elymol  cap.  io   >. 

;.  B.  N.  Y  1    ri.  cahier  fiiii,  fol.  .">  \  . 


288 


LA    PASslON 


Et  suis  aussi  puissante  dame  perpeti  nequivit  ab  Herode  fraterni 

Et  d'aussi  notable  lignie  violata  connubii  jura,  germanoque 

Que  Arelhe,  le  roy  d'Arabie,  abductam     conjugem.    Nam    cum 

Dont  vous  espousates  la  fille.  idem    Herodes    Romam    pergeret, 

Faut-il  donc  qu'ung  fol  me  exille  hospitii   causa,     fratris     ingressus 

D'unhonneur  qui  bien  m'appartient'.'  domum,   cui   erat   uxor    Herodias, 

Je  ne  sçay  pas  dont  il  luy  vient  Arislobuli     filia     régis,    Agrippae 

D'entretenir  si  longue  riole,  soror,  ausus  est  eam,  naturae  im- 

Et,  si  fault  déclarer  la  note  memor,  sollicitare  ut,  relicto  fratre, 

Du  départ  de  vostre  aultre  femme,  sibi  nuberet  :   cum  de   urbe  Roma 

Cbose  seroit  laide  et  infâme  revertisset,  ex  consensu   mulieris 

A  vous,  de  la  reprendre,  en  somme!  inita  incesti  pactio  est.  Cujus  indi- 

Cependant  que  vous  fustes  a  Rom-  cium  rei  pervenit  ad  Aretae  filiam, 

[me,  in  conjugio  adhuc  Herodis  manen- 

Ou  vostre  frère  et  moy  estions  tem.    Ea  rivalem   indigna[ta],    re- 

Et  que  nous  ensemble  traictions  deunti  marito  insinuavit  ut  ad  Ma- 

De  nos  affaires,  de  par  delà,  cherunla2oppidumdirigereturquod 

Vostre  aultre  femme  '  s'en  alla,  erat   in   confinio    Petraei   régis   et 

Pleine  de  reproche  et  de  honte,  Heris  ;    ille  qui  nihil  suspicaretur, 

Faignant  aller  en  Macheronte,  simul  quia  omnem  jam  circa  eam- 

Vostre  chasteau,  mais  par  cautelles  dem     imminuerat    affectum,     quo 

Fist  escripre  de  ses  nouvelles  facilius  Herodiadi  pactionis  fidem 

A  son  père  Arethe  qui  tost  praestaret,  si  ablegaret  conjugem, 

Luy  envoya  de3  gens  grand  ost  acquievit  ejus   suggestioni.   At  il  la 

Pour  la  '  mener  en  Arabie  ;  ubi    patris    regno    appropinquavit, 

Touttefois  vous  ne  sçaviez  mie  cognita  patri   Aretae  prodidit,  qui 

Sa  malicieuse  entreprinse.  per     insidias     omnem     exercitum 

Si  doncques  présent  m'avez  prinse  Herodis   bello    lacessitum  delevit, 

Pour  vivre  o  vous  sans  reprocbe,  proditione   facta    per    eos,    qui   ex 

Et  vostre  frère  a  qui  il  touche  Pbilippi  Tetrarchae  populo  Herodi 

Le  toleie,  que  a  Jeban  a  faire  sese  associaverant 

Ne  de  moy,  ne  de  vostre  frère  .'  

L'imitation  est  évidente,  et  si  Hérodiade  sait  par  cœur  Hégesippe, 

son  époux  ne  connaît  pas  moins  bien  la  Légende  dorée  et  l'His- 


i.  L'imprimé  contient  une  erreur  évidente  :  Jrere  pour  femme. 

i.  Remarquons  que  le  texte  correspondant  de  Jbsèphe  (Anliquit.  judaïc,  xvm,  5(7), 
ne  mentionne  pas  Jehan  Baptiste  tout  au  début,  comme  Hégesippe  ;  c'est  donc  bien 
Hégesippe  qui  est  suivi  par  J.  Michel 

j.  Ip  :  de  ses,  —  4-  Ip  :  '<'• 


DE   JEAN    MICHEL 

toire  scholastique  (chap.  lxxiii).  C'est  là  <[u'ils  ont  appris  tous 
deux  comment  ils  se  débarrasseronl  do  saint  Jean-Baptiste,  après 
son  exécution,  et  l'empêcheront  bieu  de  recommencer  ses  sermons. 
Hérode  le  dit  : 

Pour quoy,  ma  mve,  Chronica et undecimus  liber His- 

La  teste  nr*is  séparerons  tor,af  eeeleêùuHeae  tradunt  Joan- 

'  nem  in  castello  Arabiae  trans  Jor- 

Bienloing  du  corps  et  l'envoyrons  dannem,   dicto  Macherunta,    vinc- 

Eu  terre  en  Hierusalem.  tum  pt   truncatum.  Corpus  vero  in 

.-.         i.i  ,-•     i       t  i  Sebaste    urbe    Palaestinae     inter 

Quand  est  du  corps  d  iceluy  Jehan.  E|jseum  et  Alllliam  sepuItam,  ca_ 

En  Macheronte  demourra,  put  autem  Jérusalem  humatum  est 

Ainsi  susciter  ne  pourra  '.  .JuxUl  Herodis  habitaculum. 

Restent  dans  la  première  journée  déjà  si  chargée  plusieurs  épi- 
sodes nouveaux  ou  qui  diffèrent  entièrement  de  la  version  de  (ire- 
ban.  J.  Michel  a  rétabli,  d'après  l'Evangile  de  Saint  Lue  le  nom 
de  Farchysynagogue  Jairusque  Greban  semble  avoir  mal  à  propos 
identifié  avec  un  des  anciens  pontifes.  Tsmahel.  nommé  dans  l'His- 
toire ecclésiastique  d'Eusèbes,  et  il  a  développé  en  vers  touchants 
la  maladie,  la  mort,  puis  la  résurrection  delà  petite  fille  de  douze 
ans  rendue  à  l'affection  de  son  père.  Si  les  critiques  -accordent 
pour  louer  la  grâce  et  le  naturel  de  cet  épisode,  la  plupart  aussi, 
depuis  les  frères  Parfaict,  constatent  avec  satisfaction  que  J.  Mi- 
chel ignorait  le  syriaque  (-i  rép  indu  de  notre  temps),  et  qu'il  a  fait 
un  gros  contre-sens  en  voyant  dans  le  verset  de  l'Evangile  :  Tabita 
CUmy,  un  nom  de  jeune  fille  : 

i.  Suivent  encore  (voir  Dict.  des  Myst.,  i>.  -">\i  des  additions  au  texte  'le  Greban, 
p.  i5g:  Chant  «les  anges  après  la  décolacion  —  Descente  de  saini  Jean-Baptiste  aux 
enfers.  —  Joie  des  Pères;  craintes  des  diables.  —  inhumation  du  corps  de  saint 
Jean-Baptiste  par  ses  disciples  —  Ces  banalités  faciles  à  imaginer  se  retrouvent  par- 
tout, notamment  dans  la  Passion  d'Auvergne  analysée  plus  loin. 

2.  Hist.  ecelèsiasi  .  I.  1.  chap  à  :  «  Valerius  Gratus  ôta  la  grande  sacrificature  à 
Anne  et  la  donna  a  [smael,  Ml-  de  Pabus  qui  fut  bientôt  après  déposé  pour  mettre  en 
Ba  place  Eleazar,  Qls  d'  Inné  ».  —  Les  évangiles  de  saint  Marc,  V,  ■•■•.  et  de  saint  Luc, 
VIII,  Ji.  nomment  tous  deux  Jairus  dans  la  Vulgate ;  mais  K  de  Lire  ne  lisait  pas 
encore  ce  nom  dan-  -.uni  Marc  (Cf.  la  Postille  in  Luc,  VIII,  41,  p.  806.  Istud  nomen 
unii  cxprimitur  Mat.  g  et  Muni.  :>,  et  ideo  lue  suppletur)  :  saint  Mathieu.  IV  18. 
l'appelle  simplement  princeps  anus. 

Greban,   suivant    saint    Mathieu,    aura    identifié    ce  prince   de    la    synagi  - 
Capharnaum avec  l'ancien  pontife  Ismahel    .1.  Michel  a  fait  lui  même  nu.'  confusion 
Bemblable  en   nous   montrant*   le  maistrc  archisynagogue  »  Jairus   prenant   part  a 
toute-  le-  délibérations  de  la  synagogue  de  Jérusalem  .■  il  l'a  identifié  uvec  le  Jairus 
qui  ligure  dan-  le  chap    [«■  île  l'Evangile  de  Nie  idèmc. 

19 


290  LA    PASSION 

TABITA    CL'MÏ 
Entends  ma  parolle  divine, 
Tabita,  fille  très  bénigne  ; 
Je  vueil  que  mon  vouloir  achevés, 
Je  commande  que  tu  te  lieves1. 

La  critique  s'est  trompée  d'adresse  et  doit  être  renvoyée  en  réa- 
lité à  Nicolas  de  Lire2. 

Mais  les  parties  les  plus  originales  de  la  recension  de  J.  Michel, 
celles  «pic  tout  le  monde  connaît,  ce  sont  l'histoire  de  Lazare,  le  beau 

chasseur,  et  surtout  «  la  mondanité  de  la  Magdaleine  »,  la  con- 
temporaine d'Agnès  Sorel  et  de  la  «  Dame  des  belles  cousines  ».  la 
grande  coquette  du  xve  siècle  qui  reçoit  si  allègrement  les  repro- 
ches de  sa  sœur,  la  sérieuse  Marthe.  —  Tous  ces  personnages 
savent  leur  généalogie  sur  le  bout  des  doigts.  Ecoutons  Made- 
leine : 

Si  rus  mon  père  tut  yssu  de  noblesse, 

Aussi  fut  bien  ma  mère  Eucharie, 

D'eulx  laissée  suis  en  ma  fleur  de  jeunesse, 

Descendue  de  regalle  lignie 

J'ay  mon  chasteau  de  Magdelon 
Dont  l'on  m'appelle  Magdeleine, 
Ou  le  plus  souvent  nous  allon 
Guaudir  en  toute  joye  mondaine :i. 

Elle  y  tient  à  son  «  beau  château  »,  elle  ne  cesse  d'en  parler  : 

Le  beau  chasteau  Magdelon  je  possède 
Dedans  lequel  nous  menons  gave  vie. 
Nommée  je  suis  d'aucunes  pécheresse, 
Mais  peu  me  chault  s'ils  ont  sur  moy  envie  ; 
Ma  saiur  Marthe  possède  Béthanie, 
Mon  frère  a  eu,  ainsi  le  fault  entendre. 
Pour  son  partage,  ou  rien  ne  veulx  prétendre, 


i.   Dict.  des  M  .  ]>.  729. 

2.  M.xr.c ...  V.  ji.  Tfîabita  cumi.  — X.  I...  p.  .VS7  :  Duae  *unt  dictiones  Ilehraicae  :  qua- 
rmii  prima  est  nomen  <'t  secunda  verbum,  ut  patet  per  interpretationem.  Sciendum 
autem  quod  Thabita  non  est  nomen  commune,  sed  est  proprium  nomen  illius  puel- 
la<-  quae  fuit  suscitata,  et  hoc  patet  per  si  mile  Act.  9,  ul>i  dicitur  :  «  In  Ioppe  fuit 
quaedam  discipula  nomine  Thabita,  el  ideo  Marcus  pr<>  nomine  proprio  posuit 
commune  interpretando  scilicet  puella,  ct<-, 

i.   Dict.  des  M.,  p.  j37(début  <lr  la  2   Journée). 


DE   JEAN    MICHEL  291 

Tout  ce  qu'avions  en  la  noble  cilé 
Hierusalem,  ou  tant  suis  renommée. 

Décidément,  comme  dil  Molière,  .1.  Michel  connaît  toute  la  pa- 
renté, et  ii  n'est  pas  inoins  bien  renseigné  sur  les  faits  el  gestes  de 
Lazare.  —  «  Icy,  nous  dit-il,  se  approche  Lazare  devers  la  cité  de 
Naïm  [tour  veoir  le  miracle  que  Jésus  fera,  et  commence  le  miracle 
comme  Jésus  ressuscita  l'adolescent,  seul  filz  de  la  veufve,  ainsi 
comme  il  est  escript  en  l'Evangile  Saint  Luc  en  son  septième  cha- 
pitre, et  y  esloit  Lazare  présent,  par  quoy  il  se  convertist  a  Nostre 
Seigneur,  comme  nous  lisons  en  la  légende  (le  saine t  Lazare1)). — 
Saint  Luc  ne  dit  rien  de  pareil,  mais  a-t-il  existé  véritablement  une 
légende  de  cette  sorte  qui  amenait  Lazare  à  Naïm  et  qui  dévelop- 
pait un  de  ces  contrastes  si  chers  au  moyen  âge.  la  jeunesse,  la 
force,  la  beauté  frappées  par  la  vision  subite  de  la  mort?  (le  n  est 
l>as  impossible  et  bon  conçoit  très  bien  comment  elle  a  pu  être 
écrite.  Les  commentateurs  ont  si  souvent  rapproché  les  trois  résur- 
rections de  la  tille  de  Jairus.  du  fils  de  la  veuve  de  Naïm  et  de 
Lazare  lui-même'  qu'un  jour  ou  l'autre  quelqu'un  devait  imaginer 
de  nouveaux  liens  entre  ces  personnages  similaires.  El  au  sur- 
plus, cette  légende  d'invention  très  récente,  la  voici,  conservée 
peut-être  dans  un  manuscrit  unique3. 

«  Au  temps  de  la  passion  nostro  saulveur  et  rédempteur  Ihesus,  es 
toit  vivant  uns  homme  nommé  Lazaron  de  noble  et  royalle  extraction, 
frère  de  Marthe  et  Marie  Magdalene,  tous  trois  enffans  de  Sirus  el  Eu- 
charie.  Icellui  Lazaron  et  ses  deux  sœurs  ouïrent  par  succession  mater- 
nelle trois  grandes  signouries.  C'est  assavoir,  partage  entre  eulx  l'ail, 
Lazaron  possedoit  tout  ce  qui  leur  appartenoit  en  la  cité  de  Iherusalem, 
Marie  Magdalene  ung  château  nommé  Magdalon  avec  les  appendences 
tenoit,  duquel  chasteau  fut  dénommée  Magdaleine,  et  Marthe  pour  sa 
porciori  la  ville  de  Bethanie  occupoit.  Et  pourtant  que  Marthe  estoil  la 
plus  active  en  la  temporalité,  toutes  les  seignouries  dessus  dictes  es- 
taient de  par  elle  principallement  maintenues.  Car  Marie  Magdalene 
son  temps  demenoit  en  ambicion  el  delectacion  corporelle,  et  Lazaron  en 
t'ait  de  chevalerie  et  de  venuion. 


i     Dici    desM.,y    j3i.  —  B.  Nut.  Y  f.  i3,  cahier  f   iiii,  fol    a  v<    col.  1 
■•.  Exemple  :  Glossa  ordinaria  (Patr,  Migne,  t.  n4,  p.  169-270). 

i.  I?i lit.  Nation. i!<-,  IV.  '.r>.  fol.   ni  recto.  (Ms    non  .laïc,  de  la  lin  du  xv«  siècle 


292  LA.   PASSION 

Et,  comme  ledit  Lazaron  alloit  à  la  chasse,  passant  par  emprès  la  porte 
de  la  cité  de  Naym,  advint  que  nostre  seigneur  Ihesucrist  accompaigné 
de  ses  disciples  et  amis  rencontra  a  la  ditte  porte  une  vefve  et  pluseurs 
gens  de  la  ville,  qui  moult  pleuroit  pour  le  trespas  de  son  seul  filz,  le- 
quel on  portoit  pour  ensevelir,  et,  nieu  de  pitié  et  compassion,  dist  a 
icelle  vefve  «  Ne  pleure  plus  »  ;  et,  incontinent  après  qu'il  eult  touché  la 
placette  ou  le  corps  estoit  et  que  ceulx  qui  le  portoient  se  feussent  ar- 
restez,  dist  a  l'enfant  mort  «  Enffant,  lieve  toy!  ».  Icelluy  obéissant  a  la 
voix  de  Dieu  se  leva  et  parla, et  ainssi  fu  resuscité  de  mort  a  vie  et  rendu 
a  sa  mère. 

Voyant  ledit  Lazaron  la  puissance  et  vertu  de  Ihesus  tant  en  ce  mira- 
cle qu'en  plusieurs  dont  il  avoit  esté  informé  aultrefois,  regardant  nos- 
tre Seigneur  de  l'œil  corporel  et  espirituel,  il  creut  en  luy  et  eult  ferme 
foy  et  espérance,  moyennant  la  grâce  de  Dieu,  et  en  grande  amour  et 
fervente  devocion  se  getta  aux  piez  de'  Nostre  Seigneur,  et  humblement 
les  baisa  et  luy  pria  qu'il  luy  pleust  venir  prendre  refeccion  et  repos  a 
l'ostel  de  Marthe  sa  sœur.  Alors  Nostre  Seigneur  voyant  la  bonne 
devocion  et  voulenté  luy  accorda  sa  peticion  et  le  receut  a  diciple  et 
a  m  y. 

Et  de  ce  très  joyeulx  s'en  vint  par  devers  sa  sœur,  qui  l'atteudoit  es- 
pérant avoir  de  la  venoison1.  Luy  dist  :  «  Ma  cbiere  sœur,  je  vous  salue, 
et  sachiez  que  j'ay  prinse  la  plus  belle  et  précieuse  venoison  qui  oneques 
fut  ne  qui  jamais  sera,  car  j'ay  prins  en  la  suscitacion  du  seul  fils  d'une 
vefve  citoyenne  de  Naym.  nostre  saulveur  et  rédempteur  Ihesus,  lequel 
l'a  ressuscité  de  mort  a  vie,  et  fait  plusieurs  aultres  miracles,  et  par  ce 
j'ay  creu  et  croy  fermement  qu'il  est  le  vray  Messias  et  la  précieuse 
venoison  qui  sera  pour  nous  et  pour  nostre  rodempeion  chassée  jusques 
a  la  mort-.    Et  m'a  promis  de  venir  prendre  sa  réfection  en  nostre  mai- 


i.  Dicl .  des  M .,  \>.  j32.  —  B.  X.  V  f.  i3,  cahier  fiiii.  toi.  3  et  suiv. 

MARTHE  MARTHE 

Et  avez  vous   rien  prius  V  Et  que  avez  vous  prins? 

■   »7ARF  LAZARE 

'•A/Am-  .,    .  Le  lion, 

Oui 

Ma  sœur  Marthe  la  débonnaire,  Lp  lion  fIue  ses  laons  susci,e' 

J'ay  prins  venavson  salutaire,  Le  Hon  <*ni  tout  cuer  incite  : 

Venayson  moult  délicieuse. ...  Lc  lio"  'I"1  subjuguera 

Le  dragon  un  jour  qui  viendra,  etc. 

2.  Folio    n5  r".    On  reconnaît  ici    une  allégorie   familière  aux  prédicateurs  «lu  xv 

siècle.  Plusieurs,  notamment  le  prédicateur  du  roi  René,  Pierre  Marini,  et  un  autre 

plus  connu,  Mcnot.  oui    longuement  décrit  et  développé  la  Passion  du  Christ  sous  la 

forme  et  dans  le  cadre  d'une  chasse  au  cerf. 


DE    JEAN    MICHEL 

son  ».  Et  incontinent  Marthe,  ouyant  les  bonnes  nouvelles  et  doulces 
paroles  que  son  frère  lui  disoit,  toutes  aultres  choses  délaissées,  (il  pré- 
paration a  son  pouoir  pertinente  a  la  réception  de  si  granl  seigneur, 
priant  a  sa  sœur  Magdaleine  que  pour  icelluy  recepvoir  plus  dignement 
elle  amendas!  sa  conscience,  et,  sans  dilaeion,  obéissant  à  Marthe, 
moyennant  la  grâce  de  Dieu  prévenante  et  gratifiante,  ici  Ile  Magdaleine 
eult  de  ses  péchiez  contrition,  confessant  de  cœur  et  de  bouche  avoir 
grandement  offensé  son  Créateur,  proposant  de  jamais  plus  retourner  a 
son  pechïé  el  île  l'aire  satisfaction  au  plaisir  de  Ibesu.  Et  en  icellefoyet 
bonne  voulenté  luy  fut  donnée  grâce  par  vertu  de  laquelle  fut  faite  gra- 
cieuse, plaisante  et  amie  a  Ihesu  Christ  et  linablement    tresglorieuse  au 

reaulme  de  Paradis ». 

Gomment  donc?  Une  conversion  aussi  brusque,  sans  retard, 
a  sans  dilaeion  »?  Quelle  invraisemblance!  Et  que  deviendrait  la 
pièce?  .1.  Michel  abandonne  sans  regret  la  légende  qui  l'a  inspiré 
jusqu'ici  '.  11  trouvera  le  reste  dans  son  imagination  et  n'aura  pas 
de  peine  à  nous  décrire  la  vie  brillante  d'une  femme  à  la  mode, 
de  ses  soubrettes  et  de  son  soupirant,  jusqu'au  jour  où  la  parole 
sainte  entrera  comme  un  trait  dans  cette  âme  mobile  et  légère. 
Mais  d'autre  part,  on  l'a  déjà  reconnu,  la  légende  française  qu'il  a 
suivie  n'était,  sauf  quelques  additions,  qu'un  simple  développe- 
ment d'un  ouvrage  connu  et  pillé  dans  toute  l'Europe,  de  la 
Légende  dorée  de  Jacques  de  Varaggio,  lequel  avait  pillé  lui- 
même  la  biographie  fantaisiste  de  Marie-Madeleine  par  l'évêque 
allemand.  Rabanus  Maurus.  el  y  avait  introduit  un  amusant 
contre-sens  *  (d'ailleurs  fidèlement  reproduit  par.).  Michel).  Cette 
biographie  une  lois  donnée,  toute  «  la  mondanité  de  la  Madeleine 

i.  La  Légende  continue  par  un  récit  de  la  visite  tic  Jésus  chez  Marthe,  puis  par  une 
intéressante  description  des   peines  (renier  par  le  Lazare  dans  le  banque!   de  Simon 

'<•  Lépreux  i s  y  ve\  iendr.uo  dans  la  Passion  bretonne).  Enfin,  le  narrateur  pour 

suit  rhistoire  de  ses  personnages  el  les  conduit  tous,  Lazare,  ses  sœurs,  Madeleine. 
Marthe,  sa  servante  Marcelle  el  l'Aveugle  ne  appelé  Cedonius  eu  Gelidonius,  jusqu'à 
Marseille.  —  A  pari  quelques  traits,  cette  légende  très  moderne  esl  donc  une  simple 
compilation  des  récits   détachés  de  la    Légende  dorée  (Lazare,    Marie-Madeleine  el 

Marthe,. 

•-  Rabanus  Waurus  d'air.  M  igné,  i  tia,  p  [ia)  cap.  I.  «  Mater  ejus  Magdalenae] 
nobilissima  nomine  Bûchai  la,  ex  gentis  Esraeliticae  regali  prosapia  inclytum  genus 
duxit,    Pater  ejus  Theophilus,  natione  Syrus,   non  solum  génère  illustrem,  ver  uni 

elium  titulO  speetahileui  et  ad  mi  nist  rai  h  me  elari-^imam  QobilitatiS  lineani   dUXÏI      ■ 

la-  mut  Theophilus  étant  supprimé  ou  perdu,  Syrus  esl  devenu  un  m, m  propre  dans 
la  Légende  dorée,  ses  dérivés  ci  la  Passion  de  .1    Michel, 


294  LA    PASSION 

s'en  suit  nécessairement  et  peut  être  développée  avec  plus  ou 
moins  de  talent  par  les  auteurs  les  plus  divers,  sans  qu'ils  soient 
le  moins  du  monde  obligés  de  s'emprunter  les  uns  aux  autres  les 
moindres  détails.  Qu'importe  en  effet  que  la  Madeleine  de  J. 
Michel  dise  une  chanson  comme  dans  la  Passion  de  Maestricht, 
ou  qu'elle  ait  une  suivante  comme  dans  la  Passion  de  Francfort, 
un  miroir  comme  dans  la  Passion  d'Alsfeld,  un  amant  comme 
dans  la  Passion  de  Vienne1,  qu'importe  tout  cela,  si  de  tradition 
elle  est  jeune  et  coquette?  Aucun  de  ces  rapprochements  ne 
prouve  donc  ce  qu'on  a  voulu  lui  faire  dire  ;  les  étymologics2  et 
les  expressions  communes  signalées  sont  encore  plus  discutables, 
et  l'on  trouverait  sans  peine  ailleurs  des  coïncidences  plus  cu- 
rieuses. Dans  la  pièce  de  J.  Michel.  Madeleine,  lorsqu'elle  entend 
parler  de  Jésus  et  de  ses  miracles  s'informe  avec  curiosité  de 
l'apparence  du  prophète  et  de  ses  avantages  physiques3  :  quel 
visage,  quel  âge.  quelle  couleur  de  cheveux,  quel  teint?  —  Et  les 
yeux?  —  «  Clairs  comme  une  belle  lune  ».  —  Et  les  mains?  — 
«  Belles,   droites  et  longues  »  4.  —  Que  si  elle  se  décide  à  aller 

i.  Wilmotte,  Les  Passions  allemandes  des  bords  du  Rhin,  p.  85,  81. 

2.  Les  Passions  allemandes,  etc.,  p.  88:  P.  de  .Maestricht,  v.  8;6-8;8:  Marie-Made- 
leine appelée  Maria  qui  signifierait  «  Mar  i  a,  malheur  à  toi  »  et  ne  pourrait  s'expli- 
quer que  par  une  source  française.  —  Etymologie  déjà  écartée  avec  Bède  :  Maria, 
amarum  mare. 

P.  Si.  «  Madeleine  et  la  suivante  (Xareilla  déjà  dans  Francfort)  :  item,  p.  92,  note  1, 
Narcilla,  Heidelberg, a33;,  etc  :  Francfort,  i49"3,  v.  1066  sq.)  qui  est  la  servante  de  Marthe 
et  qui  rappelle  Marcelle,  la  servante  de  Cayphe  dans  Greban,  i9,38o  ».  —  Aucun  rap- 
port. Le  nom  de  Narcilla  vient  simplement  de  la  Légende  dorée. 

P.  89.  L'Invocation  de  Madeleine  à  Jésus  «  fontaine  de  grâce  »  dans  la  Passion 
d'Arras,  «  rivière  «le  miséricorde  »  dans  Greban,  «  brunnen  aller  gnadv  dans  la  Passion 
de  Donaueschingen.  -  Analogie  insignifiante,  car  les  expressions  /"on.s  misericordiae} 
pietatis,  etc  .  reviennent  à  peu  prés  invariablement  dans  tous  les  serinons  sur  la 
Madeleine  au  moins  depuis  Grégoire-le-Grand  (Patr.  Migne,  t.  ;6.  p.  ioio.  Hom.  VIII  ; 
it.  ]).  i2'3i).  Hom.  XXIII). 

P.  (|3.  Marie-Madeleine  allant  se  lamenter  sur  le  tombeau  de  son  frère.  La  scène 
prouverait  absolument  l'étroite  parente  des  Passions  françaises  et  des  Passions  de 
Maestricht  et  Heidelberg,  M.  Stengel  (Zeitschrift  fur  Jranzôs.  Sprache*  1900,  p.  i3o), 
adopte  et  confirme  cette  argumentation.  —  La  scène  se  trouve  partout,  notamment 
dans  la  Sascitatio  Lazari  de  St-Benoit-sur-Loire  (éd.  Ed.  du  Meril,  p.  *>3).  dans  laPas- 
sion  d'Arras,  p.  108,  v  9230.  dans  la  Rappresentazibne  délia  conversione  di  .S'.  Maria 
Maddalena  (éd.  A.  d'Ancona,  1832,  t.  I,  p.  au;,,  etc  .et  vient  tout  simplement  de  l'Evan- 
gile de  St.  Jean,  XI.  3i  :  Qui  1  vadit  ad  monumentum. 

3.  J.  Michel.  13.  X.  VI'.  i3  cahier  i.iiii.    fol.  3  verso. 

4.  Tous  ces  détails  sur  la  personne  de  Jésus  sont  tirés  d'une  lettre  apocryphe  d'un 


DE    JEAN    MIGHEL  295 

entendre  son  sermon  c'est  qu'elle  veut,  dit-elle,  «  contempler  sa 
beaulté  »  et  «  veoir  s'il  la  regardera  de  quelque  regard  amyable  ». 
C'est  donc  la  coquetterie  qui  la  conduit  vers  Jésus-Christ,  e1  la 
même  situation'  se  retrouve  dans  diverses  Passions  françaises  el 
italiennes,  elle  se  retrouve  également  dans  un  ancien  sermon 
français  pour  le  jour  de  sainte  Madeleine.  Lorsque  la  grande 
dame  pécheresse  est  allée  écouter  Jésus  par  désœuvrement,  elle 
se  dit  en  elle-même  :   «  Ses  regards  tendres  et  divins  m'ont  mille 

t'ois  démêlée  dans  la  foule il  n'a,  ee  me  semble,  parlé  que  pour 

moi  seule  ».  Et  la  voilà,  elle  aussi  à  demi  gagnée,  sa  coquetterie 
même  sert  à  sa  conversion.  Serait-ce  donc  l'ancien  sermon  fran- 
çais (cité  par  Sainte-Beuve)  qui  serait  le  «  prototype  »  de  toutes 
les  pièces  précédentes?  Mais  il  est  de  Massillon  qui.  heureuse- 
ment pour  lui.  ne  lisait  pas  les  mystères. 

Les  additions  que  l'ont  vient  de  signaler  sont  les  plus  importan- 
tes et  il  n'importe  guère  de  savoir  pourquoi  l'Aveugle-Né  est  con- 
fondu avec  l'aveugle  de  Jéricho.  Bartimée,  ni  encore  pourquoi  le 
père  de  famille,  chez  lequel  on  célèbre  la  Cène  à  Jérusalem,  est 
identifié  avec  le  publicain  Zachée,  qui  a  trouvé  dans  le  paralytique 
guéri  à  «  la  fontaine  probatique*  »  un  valet  fort  actif.  Toutes  ces 
retouches  au  texte  de  Greban  n'ont  évidemment  pas  d'autre  but  que 
de  suppléer  au  silence  des  Lvangiles  et  de  compléter  la  biographie 
trop  sommaire  de  personnages  inconnus.  Sur  deux  ou  trois  points 
-eu Ici nent  les  modifications  du  texte  primitif  sont  plus  raisonnées, 
parlant  plus  instructives.  Dans  la  Passion  de  Greban  les  apôtres 
chargés  d'amener  l'ânesse  et  l'ânon  sont  trois  :  Saint  Lierre.  Saint 
Jean.  Saint  Jacques  Zebedey  :.  et.  lors  de  l'arrestation  de  Jésus,  le 
jeune  homme  au  manteau.  «  adolescens  cum  syndone  »,  esl  l'apôtre 
Saint  Jacques  Alphey.   Ces  détails  sont  un  peu  modifiés  par  Jean 


certain  Lentulus,  vice-consul  romain  au  pays  de  Judée,  lettre  célèbre  qu'on  retrouve 

également  traduite  ri   pil] lans  les  traductions  françaises  de  la    Vita  Christi  de 

Lupold  ri  encore  réimprimée  in  extenso  par  le  prédicateur  «  »li\  ici-  Maillard  (cf.  Dict. 
des  Apocryphes,  col.  Migne,  l    II.  p.   i">j> 

i     Passion  d'Auvergne,  1 177  :  -.<ti le  Menol  sur  la  Madeleine;  délia  conversi 

ili  .s     Maria   \faddalena  déjà  citée  (d'Ancona,  S.  B    1     [,  p.  aj3),  etc. 

9  Lcdil  paralytique  n'étanl  nomme  ni  par  les  Evangiles,  ni  par  Greban,  •'  Michel 
lui  a  donné  le  nom  d'un  personnage  quelconque  de  Greban,  p.  164,  Tubal. 

5.  Ces  noms  viennent  comme  on  l'a  vu  de  la  Passion  de  [SgS,  II-  seronl  expliqués 
dans  !'•-  Mj  stères  pi  iuerg  ats. 


296  LA    PASSION 

Michel  qui  supprime  Saint  Jacques  Zebedey  dans  la  première 
scène  et  substitue  Saint  Jean  dans  la  seconde.  Pourquoi?  Tout  sim- 
plement parce  qu*il  vient  de  voir  ces  modifications  et  d'autres  dans 
la  célèbre  Passion  de  Gerson  «  Ad  Deum  vadit.  Joann.  XIII,  3  ». 
C'est  là  qu'il  les  a  prises1,  c'est  là  qu'il  a  vu  la  Vierge,  au  moment 
du  départ  pour  Jérusalem,  recommander  Jésus  au  traître  Judas  *  ; 
c'est  là  qu'il  a  vu  encore  Saint  Jean,  le  disciple  bien  aimé,  dé- 
pouillé de  sou  manteau  et  accourant,  transi  de  froid,  auprès  de  la 
Vierge,  de  Marthe  et  de  Marie  pour  leur  annoncer  l'arrestation  de 
Jésus.  Marthe  toujours  prévoyante  le  revêt  d'une  nouvelle  «  robe 
de  Damas  »,  mais  la  Vierge  éperdue  ne  songe  qu'à  aller  chercher 
son  fils  au  milieu  des  bourreaux.  Saint  Jean  ne  parvient  à  l'arrêter 
qu'en  lui  remontrant  l'inutilité  et  l'inconvenance  d'une  telle  dé- 
marche : 

Pas  n'est  licite  ne  honneste 

A  preudes  femmes  de  renom 

D'aller  de  nuyt. 

Marie  ne  se  rend  qu'avec  peine  à  ces  raisons,  et  à  la  seule  condi- 
tion que  son   neveu  retournera  voir  de  ses  yeux  ce  que  devient 


i.  Les  manuscrits  de  la  Passion  française  «  ad  Deum  vadit  »,  sont  très  communs. 
(Ex.  :  Bib.  Nat.  fr.  44s.  9;;.  990,  245'L  etc.)  Elle  a  même  été  imprimée,  d'après  un  ms. 
médiocre,  sous  le  titre  de  :  «  Contemplations  hystoriez  sur  la  Passion,  composées 
par  maistre  Jehan  Gerson,  etc.  »  à  Paris,  le  20  mars  iSoj,  pour  Antoine  Verard 
(13.  Nat.  Réserve,  vélins  949).  Mais  le  plus  simple  est  de  renvoyer  à  la  traduction 
latine  publiée  dans  l'édition  commune  de  Gerson.  par  Ellies-Dupin,  t.  III,  p.  11 53  et 
suiv.  —  Ce  qui  prome  que  .1.  Michel  s'est  bien  inspiré  de  cette  Passion,  c'est  que 
presque  tous  les  détails  ici  signalés  reparaîtront  dans  le  sermon  sur  la  Passion  de  N. 
S.  Jhesucrist  prêché  en  1490,  à  Laval,  par  Olivier  Maillard,  lequel  renvoie  bien  direc- 
tement et  expressément  a  Gerson. 

Les  coïncidences  ou  concordances  de  Gerson  dans  l'Expositio  in  passionem  Domi- 
nicam  :  Ad  deum  vadit,  du  théologien  allemand,  Nicolas  de  Dinkelsbûhl  (Concordaniia 
dominical-  passionù  1  et  des  mystères  allemands  .«•ur  la  Passion  ont  été  relevées  depuis 
longtemps  par  Keppler,  Histor.  Iahrb.  de  Gôrresgesellsch,  III.  2S9  et  suiv. 

2.  Gerson,  éd.  Ellies-Dupin,  t.  III.  p.  1 1 54  "  Audebas  ne,  [Juda],  intueri  ac  salutare 
optimam  tua  m  Bdissimam  et  benignissimam  Magistram  !  Erat  ne  tanta  tibi  audacia, 
ut  ei  valediceres,  cum  tibi  eouipertuni  esset  quod  spécial)  proditione  tua  Filii  sui 
amissura  erat  conspectum  !  Eras  profecto,  Juda,  potius  commendandus  diabolo,  etc.». 

Passion  de  ,1.  Michel  (I!.  \ .  Yf.  [3,  cahier  I.iii,  loi.   1  r°  : 

.MUAS  NOSTRE-DAME 

Adieu,  ma  maistresse  et  ma  dame  Or  adieu,  Judas,  mon  amy, 
Sers  ton  maistre.  etc. 


DE    JEAN    Mh'.HF.I.  297 

Jésus  et  qu'il  reviendra  lui  en  rendre  compte1. — «Icy  s'en  retourne 
sainct  .Jehan  en  Hierusalem  »  dit  le  texte  de  J.  Michel  qui  se 
raccorde  avec  celui  de  Greban,  mais  toujours  en  observant  les 
inclines  différences  du  sermon  de  Gerson  et  de  l'Histoire  scholas- 
tique  (Cap.  CLVIIIet  CLIX).  L'interrogatoire  de  Jésus  commencé 
chez  le  pontife  Anne  est  repris  chez  Caïphe,  les  deux  premières 
négations  de  Pierre  sont  placées  dans  la  cour  du  pontife  Anne  et 
la  troisième  seulement  dans  la  cour  de  Caïphe.  D'autre  part  la 
vieille  '  servante  du  pontife  Anne  qui  a  ouvert  en  maugréant  la 
porte  aux  apôtres  et  provoqué  le  premier  reniement  de  Pierre, 
cette  vieille  servante  Hedroit  sera  chargée  un  peu  plus  tard  de  for- 
ger les  trois  clous  de  la  croix  à  défaut  du  forgeron  Mascheclou  *. 
Jean  Michel  a  tenu  absolument  à  réintroduire  l'ancienne  légende 
populaire  de  la  fevresse  qui  venait  d'être  consacrée  par  le  pinceau 
du  giand  peintre  de  miniatures.  Jean  Fouequet.  et  il  l'a  ramenée, 
comme  il  a  pu.  avec  une  de  ces  identifications  faciles  de  person- 
nages qui  abondent  dans  sa  pièce. 

(Test  dans  la  quatrième  journée  ou  dans  le  jugement  de  Pilate 
que  Jean  Michel  a  ajouté  ses  plus  longues  additions,  lesquelles 
ont  semblé  aux  anciens  critiques  tirées  de  la  Vie  de  Jesu  Crist  de 
/ 485,  et  qui  ont  été  en  réalité  empruntées  directement  à  l'Evan- 
gile de  Nicodème,  d'après  une  indication  de  Gerson5.  Ces  addi- 
tions sont  si  nombreuses  qu'elles  recouvrent  pour  ainsi  dire  l'an- 
cien texte  de  Greban,  mais  toutes,  ou  peu  s'en  faut,  viennent  delà 
même  source,  du  vieil  évangile  apocryphe.  C'est  d'abord  le  servi- 
teur ou  le  courrier  de  Pilate,  Barraquin,  qui  fait  à  Jésus  un  tapis 


i  et  ■!.  Dut    des  M.,  |>    369,  .1.  Michel,  B.  N.  Vt    ri.  cahier  E  iiii  loi.  2  \    à  '> 

Cf.  Gerson,  t  III.  p.  uns  Joannes  :  »  . .  Vos  vero  diem  expectabitis,  quoniam  nec 
securum  est,  nec  decens  lilù.  bona  Magistra  h  tuae  societati,  noctu  per  urbem  ince- 
dere. 

Cf    Maillard,  éd    Peignot,  Paris,  Crapelet,  1828,  p    36. 

'5    Pourquoi  vieille  ?  Encore  une  ancienne  tradition  populaire  déjà  consignée  dans 
un  sermon  apocryphe  de  SI  Augustin:  De  l'assione  Domini  sermo  CL  (Patr.  Vligni 
t    'i<.(.  ci>1    ao3j)  :  [Petrus]  negat  territus  Christ um  :  Prostravit  eum  anicula  decrepita, 
quasi  grai  is  rebricula  ». 

4.  Dict    des  1/..  [■    -x-  (  J  journée). 

'1.  Gerson,  1.  [II,  |>.  1  i8a.  Eranl  .h ni. ici  aliqui  sicut  Nicodemus  e<  ;ilii  quos  cura>  eral 

Jésus  ijiii  desiderassenl  Jesu   liberationem   neque  consenseranl  ii irtem  ejus,  sed 

major  pars  adeo  inclamabal  ut  victoriam  obtinerent. 


298  LA    PASSION 

de  son  manteau,  à  la  grande  colère  de  Caïphe.  Le  grand  pontife 
ne  désarme  ni  devant  le  miracle  des  lances  ou  des  étendards  qui 
par  deux  fois  s'inclinent  devant  l'Homme-Dieu,  ni  devant  les  plai- 
doyers passionnés  de  Lazare  et  de  Nicodème,  et  il  ne  cesse  d'exci- 
ter contre  l'accusé  ses  faux  témoins.  Mais  Pilate  veut  interroger 
les  autres.  Et  Lazare,  et  l' Aveugle-né,  et  Simon  le  Lépreux,  et 
Jayrus,  et  le  démoniacle,  et  la  femme  courbe,  et  Yéronne,  jadis 
guérie  d'un  flux  de  sang,  tous  ceux  que  Jésus  a  sauvés  ou  comblés 
de  bienfaits,  prennent  tour  à  tour  sa  défense1.  L'interrogatoire  se 
prolonge  indéfiniment,  et  les  détails  prouvent  qu'il  est  fourni  à 
peu  près  tout  entier  directement  par  l'Evangile  de  Nicodème  que 
J.  Michel  s'est  borné  à  mettre  en  vers,  et  où  il  a  trouvé  un  peu  plus 
loin  le  nom  de  la  femme  de  Pilate,  Progilla  ou  Procula.  Il  a  encore 
développé  les  remords  et  le  supplice  de  Judas,  multiplié  les  appa- 
ritions des  archanges  Gabriel  et  Michel  qui  viennent  réconforter 
la  Vierge  et  le  Christ2,  ajouté  quelques  intermèdes  burlesques  de 
«  tyrans  »,  ramené  sur  le  chemin  du  Calvaire  tous  les  personnages 
de  la  pièce  qui  viennent  saluer  Une  dernière  fois  leur  maître  bien 
aimé,  transformé  de  son  autorité  privée  la  veuve  de  Xaïm  en  mar- 
chande de  suaires  :  mais  toutes  ces  additions  n'ont  guère  d'impor- 
tance et  toute  la  fin  de  cette  quatrième  journée  est  empruntée  pres- 


i.  Ce  défilé  a  trompe  L.  Paris  (Toiles  peintes,  1.  p.  {5i)  qui  a  cru  qu'il  était  emprunté 
à  la  Vita  Xpristi  ou  à  la  Passion  selon  Gamaliel,  etc.  Cette  Passion  inspirée  par  l'Evan- 
gile de  Nicodème  ne  donne  pas  de  nom  à  la  femme  de  Pilate,  Progilla  on  Procula. 

L'Evang-ile  de  Nicodème  a  été  également  consulté  directement  par  les  dramaturges 
allemands  chez  qui  nous  retrouvons  les  mêmes  scènes  (.Miracle  des  bannières,  défilé 
des  témoins,  etc  »  Ce  qui  le  prouve,  c'est  dans  la  Passion  de  Francfort  (iïo'3)  éd.  Fro- 
ning,  t  II,  p.  \-6,  la  traduction  littérale  de  cet  évangile  (cf.  éd.  Tischendorff,  1876, 
p.  %ç)  cap    IV). 

Pu. mis.  —  Nu  sage  mir,  was  ist  die  wahrheit? 

Salvatoi!  dioit.  —  Die  wahrheit  ist  vom  himinel  gegeben,  etc..  etc. 

Les  Passions  françaises  n'ont  encore  rien  a  taire  ici. 

2.  Les  apparitions  de  l'archange  Gabriel  a  la  Vierge  pendant  la  Passion  de  son  tils 
ont  ete  imaginées  par  les  Contemplatifs, Jet  sont  extrêment  communes  dans  la  litté- 
rature religieuse  du  \i\  siècle.  Révélations  de  Ste  Brigide,  Passion  française  de  i3i»s, 
Gerson,  111.  ci6i,  etc.j  etc.)  —  C'est  encore  un  lieu  commun  des  Passions  françaises 
et  allemandes  qui  ne  prouve  rien  pour  la  parente  des  deux  théâtres,  pas  plus  que 
d'autres  scènes  communes:  détails  de  la  crucifixion  (Origine,  le  dialogue  apocryphe 
de  St  Anselme,  Vita  Christi,  de  Lupold  le  Chartreux,  etc).  l'apparition  du  diable 
guettant  l'âme  de  Jésus  (Histoire  schol.  et  Glose  ordinaire),  l'éclipsé,  le  miracle  de 
Longis,  et  même  le  jeu  de  dés    Passion  de  Francfort,  i{i|3>. 


DE   JEAN    MICHEL  299 

que  textuellement  à  Greban.  Si  nous  ne  retrouvons  plus  l'éclipsé 
de  soleil  observée  par  Saint  Denys,  c'est  une  raison  de  plus  pour 
croire  que  cette  scène  légendaire  qui  manque  dans  le  meilleur 
manuscrit  de  Greban  n'était  en  réalité  pas  de  sa  main,  et  qu'elle 
manquait  également  dans  le  manuscrit  de  J.  Michel,  lui  somme 
son  procède'-  est  des  plus  simples  :  il  ajoute  toujours  et  n'efface 
jamais. 

Telles  sont  les  additions  et  corrections  principales  de  «  très  clo- 
quent et  scientifique  docteur  »  J.  Michel  :  inutile  de  compter  au 
juste  combien  d'anges,  de  diables,  de  truands  et  de  soudards  il  a 
ajoutés  au  personnel  déjà  si  nombreux  de  son  prédécesseur. 
Il  vaudrait  mieux,  si  l'on  en  avait  le  loisir,  noter  les  indications 
si  curieuses  de  la  mise  en  scène,  les  essais  de  couleur  locale  et  les 
allusions  hébraïques  '  pour  la  plupart  empruntées  aux  Postilles  de 
N.  de  Lire,  et,  inversement,  les  anachronisines  voulus,  le  tableau 
pittoresque  et  incessamment  renouvelé  de  toutes  les  conditions. 
Les  exemples  abondent.  Telle  scène  de  pêche  insignifiante  dans  le 
modèle4,  est  allongée  du  double  ou  du  triple  et  hérissée  de  termes 
techniques  : 

SAINT  PIERRE 

Or  sus,  sus,  André,  hardiment, 
Besongnons,  jectons  a  senestre 
Car  a  ce  que  je  puis  cognoistre 


i.  Bornons-nous  à  deux  traits.  Pour  la  Cène  de  Jésus  (Dict.  des  M.,  p.  761)  «SI  Pierre 
et  St  Jehan  dressent  la  table  et  la  touaille  et  des  fouasses  dessus,  avecques  des  lai- 
tues vertes  en  «les  plats  turquins,  et  abillent  L'Aigneau  Pascal.  »  —  Comparer  la 
description  <!<•  ces  »  1  »  1  ;> t ~.  turquins  »  dans  1rs  Postilles,  in  Marc  XI  et  in  Joann. .  \l\  . 
20:  in  catino,  p.  63o  :  0  Vas  esl  fictile  ad  refrigerandum  vinum  et  in  ill<>  eral  ju^  lactu- 
carum  agrestium  cum  q arnes  agni  debebant  coraedi  ut  dicitur  Exodi,  ta  ». 

La  didascalie  ou  La  description  <ln  prétoire  «  parquet  tout  dos  en  carré  »  n'en  Bnil 
l>;is,  et  Pilate  Lui-même  décrit  une  seconde  lois  son  siège  en  s'j  asseyant  : 
(  >r  suis-je  assis  en  majesté 
An  siège  dit  l.\ cnsi ratos, 
< ralbata  ilii  en  d'aull res  mots. 

Cf.  N.  de  Lire  in  Joann.,  \I\.  i'i.  «  In  loco  qui  dicitur  Lithostratos,  Uebraice  aulera 
gabatha  »,  p.  1393  —  i.  lapidum  stratura  <-i  dicitur  a  lithos  quod  esl  lapis  el  stratos 
quod  esl  pavimentura  Bive  stratura  el  esl  m  mien  graecum  ;  Hebraice  autem  Gabatha... 
llle  locus  erat  ante  domum  Pilati  .  Ante  enira  domos  magna torum  solet  esse  locus 
de  lapidibus  praeparatus  ». 

a.  Greba n.  ]>    1  i 3 


30(3  LA    PASSION 

Le  poisson  s'approche  du  bort, 

Et  a  stribort  et  a  babort  *  ! 


Quelle  science,  quel  vocabulaire  pillé  à  la  hâte  dans  un  Glos- 
saire naval  du  xve  siècle  !  mais  c'est  l'auditoire  qui  doit  être  con- 
tent, les  bons  «  terriens  »  d'Anjou  qui  n'ont  jamais  vu  la  mer,  et 
aussi  le  «  rhétoricien  »  qui,  dans  le  Jardin  de  plaisance,  fait  si 
bien  la  leçon  aux  compositeurs  d'  «  histoires  »  ou  de  mystères  : 

Se  mariniers  viennent  en  jeu 
Propre  est  a  leur  faire  nommer 
Maint  pays  d'eaue,  aussi  maint  lieu, 
Les  ostanculet[s]  renommer. 

Même  procédé  dans  la  scène  de  la  folle  ou  de  la  Chananée  que 
sa  femme  de  chambre,  sa  garde,  bat  comme  plâtre  pendant  l'accès 
(percutit).  Ici  le  médecin  J.  Michel  n'a  eu  qu'à  se  souvenir  de  sa 
pratique  ou  du  traitement  qu'il  appliquait  aux  fous  de  sa  clientèle, 
et  l'on  pourrait  multiplier  ces  exemples.  Il  serait  injuste  d'ailleurs 
de  trop  insister  sur  ces  détails  matériels,  et,  ce  qu'il  y  a  de  plus 
intéressant  au  point  de  vue  littéraire,  toutes  les  retouches  de  la 
composition  et  du  style  ne  peuvent  naturellement  être  indiquées 
avec  cette  minutie.  Tel  déplacement  ou  telle  modification  met 
mieux  en  relief  une  situation,  un  personnage;  telle  autre  rend  une 
réplique  plus  nette,  un  dialogue  plus  expressif.  Nulle  part  ce  tra- 
vail délicat  n'apparaît  mieux  que  dans  l'entretien  suprême  du 
Christ  et  de  sa  mère  qui  reçoit  ici  sa  forme  définitive.  Ce  morceau 
suffirait  pour  prouver  que  J.  Michel  est  un  habile  écrivain,  quand 
il  veut  s'en  donner  la  peine.  Somme  toute,  pourtant,  c'est  avant 
tout  un  habile  metteur  en  scène.  La  foi  du  peuple  est  toujours 
vivace,  toujours  profonde,  et  la  seule  histoire  vraiment  intéres- 
sante pour  tous,  c'est  l'histoire  du  Christ.  Mais  le  vieux  drame 
tant  de  fois  joué  ne  réunirait  plus  un  tel  public  sans  de  nouvelles 
attractions.  Ces  attractions  et  «  additions  »,  J.  Michel  s'est  chargé 
de  les  lui  donner.  Entre  ses  mains,  le  mystère  de  la  Passion  est 
devenu  ce  qu'il  restera,  un  grand  spectacle  forain  où  la  curiosité 
trouve  son  compte  autant  et  plus  que  la  piété. 

i.   Dict.  des  M.,  p.  720.  —  J.  Michel.  B.  >',  Yf  13,  cahier  dii,  v. 


DE   JEAN    MICHEL  301 

Complication  du  décor  et  complication  des  légendes,  telle  est 
l'impression  que  nous  ;i  laissée  la  dernière  grande  Passion  du 
c|iii ii>^i«"'iii<*  siècle.  Si  singulières  que  nous  paraissent  les  amplifica- 
tions, les  broderies  de  J.  Michel,  elles  ne  tranchenl  pas.  au  con- 
traire, avec  l'esprit  contemporain,  avec  l'érudition  des  prédicateurs 
qui  devient,  elle  aussi,  de  plus  en  plus  toullïïe.  Tout  de  même  au 
théâtre  où  les  commentaires  théologiques  se  sont  ajoutés  les  uns 
aux  autres,  où  Bède  a  été  complété  par  Nicolas  de  Lire  renforcé 
lui-même  par  Gerson.  sans  compter  tous  les  légendaires.  Ce  sont 
là  les  sources,  de  plus  en  plus  abondantes  et  plus  mêlées,  des 
Passions  dramatiques.  L'érudition  de  Jean  Michel  en  particulier 
a  été  examinée  d'assez  près  pourrendre  d'autres  recherches  super- 
flues. Si  Ton  ne  voit  pas  ce  qu'il  aurait  pu  tirer  de  la  Passion 
perdue,  jouée  à  Angers  en  i44^,  à  fortiori  ne  doit-il  rien  à  des 
prédécesseurs  encore  plus  lointains  et  plus  problématiques.  Il  se 
rattache  directement  à  Greban,  comme  celui-ci  se  rattachait  lui- 
même  au  poète  d'Arras. 

Les  trois  grands  dramaturges  du  xve  siècle  ainsi  reliés  entre  eux 
vont  inspirer  à  leur  tour  la  plupart  des  pièces  qui  suivront,  et  la 
part  de  Greban  restera  la  plus  forte,  on  le  sait  d'avance,  dans  ces 
imitations  partielles  ou  totales,  libres  ou  serviles.  Mais  aussi  et 
jusqu'au  bout,  il  est  bon  de  le  noter,  le  poète  d'Arras  conservera 
ses  fidèles  au  moins  dans  la  région  du  Nord.  C'est  ce  qui  reste  à 
démontrer  dans  une  récapitulation  rapide. 

El  d'abord  les  imitations  de  Greban  et,  en  particulier,  celles  du 
célèbre  Procès  de  Justice  et  de  Miséricorde,  Vérité,  Paix  et 
Sapience,  qui  ouvre  sa  pièce.  Non  seulement  la  vieille  allégorie 
inspira  jusqu'au  dix-septième  siècle  des  pièces  françaises  particu- 
lières, mais  elle  fut  introduite  dans  le  Mislrrr  du  Y  ici  Testament* 
où  Justice  et  Miséricorde  sont  sans  cesse  aux  prises,  à  chaque  faute 

nouvelle  que  commettent  les  hommes.  Dans  les  éditions  impri- 
mées du  1  ici  Testament,  le  débat  est  réduit  invariablement  aux  deux 
premiers  personnages,  mais  il  est  probable  que  l'on  a  représenté 


i     Voir  l.i  pièce  bien  connue,  /.<■  procès  '/"<'  n  fait  Miséricorde  contre  Justice,  citée  el 
analysée  par  P.  de  Jullevillc  ;  Les  Mystères,  II,  p.   i aa        Pour  les  autres  imitations, 
le  Mistère  du  Viel  Testament,  I    I,  p.  txij,  et  >ui\ .—  Le  Proc  -  est  encore  imité 
dans  la  tragi-comédie  de  l'Amour  divin  par  Jean  Gaulché  de  Troyes. 


302 


LA    PASSION 


des  pièces  où  l'imitation  de  Greban  était  plus  complète.  La  perte 
complète  de  ces  pièces  donne  quelque  valeur  aux  fragments  infor- 
mes d'un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  Nationale  qui  nous  a  con- 
servé par  hasard  un  de  ces  procès1.  Si  l'on  examine  ces  pages  déta- 


i.  B.  N.  11.  a.  fr.  <)34,  fragments  retires  d'anciennes  reliures.—  Le  Fragment  fol.  33, 
commence  par  la  lin  d'une  tirade  de  Justice  dont  le  nom  est  facile  à  suppléer.  Suit 
une  tirade  de  Patx,  plaignant  le  sort  futur  de  Jérusalem.  (Le  texte  est  fort  abîmé,  on 
n"a  reproduit  que  les  débris  de  vers  suffisants  pour  indiquer  le   sens  général).  Enfin 

de  nouvelles  répliques  de  Justice  (le  début  manque),  de  Vérité  (complète),  et  de  Misé- 
ricorde (coupée  par  la  fin  du  feuillet).—  L'écriture  paraît  de  la  2*  moitié  du  xv  siècle, 

comme  celle  des  fragments  qui  suivent  et  qui   sont    tirés  du   Chevalier  délibéré  d'O. 
de  la  Marche. 

[JUSTICE]  PAIX 

O  Jherusalem,  cité  saincte, 

Bouster  hors  de  son  héritage  Cilè  d'onneur  especiale, 

A  tousjours  en  payne  et  ahan  ?  Hostel  de  paix,  ebambre  reial 

Vous  promistes  a  Abraham  Réceptacle  de  prophecie 

Que  toutes  gens  de  sa  servance  Maison  de. ! 

Aroyent  des  biens  et  finance  Le  chois  du 

Et  bénédiction  ne     ...     .      ,     .     .  Te  veult-on  ad  ce  .     .     .     . 

Helas  !  et  vecy  dure  entrée  Que  tu  demeures    .... 

Quant  Justice  a  leur  destourbier  Et  comme  maison  .... 

Leur  procure  tel  enconbrier  ! 

Quant  la  loy  premier  leur  donnastes,  O  cité  de  Dieu  visitée 

Moult  long  temps  vous  les  governastes  Qui  as  fait  de 

Sans  roy  qui  sur  eulx  eust  maistrise.  De  haultes  bénédictions 

Pour  demonstrer  les  grans  franchises  Plus  que  cité  qui     .... 

Ou  les  vouliez  pous[sjer  et  mectre;  Jadis  David  de  toy  [chanta?] 

Or  les  veult  Justice  soubzmectre  Lauda  Iherusalem  Dominum 

A  tous  leurs  plus  fors  adversaires  Lauda  Deum  tuuiii. 

A  jamais  serfs  et  tributaires.  

Quelz  crudelitez  non  pareilles  !  

O  pasteur,  se  sont  vos  cailles: 

Les  habandonrés   vous  aux  champ[s]  L«     -       ■   J 

En  la  main  des  loups  ravissans?  

C'est  vostre  gendre  bien  amé,  En  leur  maulvaistié  bastissent. 

Vostre  cher  peuple  renommé.  Pour  quoy,  hault  juge  tout  puissant, 

Vostre  vigne,  vostre  facture,  ....     sen  tin  dure, 

A  qui  la  divine  Escripture  Je  demende  vengence  dure: 

A  tribué  tant  de  beaux  noms  Sans  remission  et  sans  grâce 

Et  de  haulx  biens  en  ses  sermons  :  Je  vueil  que  vengence  s'en  face, 

Souffrerés  vous  esclandre  tel  Car  les  faulx  chiens  au  droit  venir 

En  vostre  maison  d'Israël,  Sont  indignes  de  l'obtenir, 

Ou  vous  avez  passé  maynt  jour,  Et  selon  les  drois  costumiers, 

Monstre  si  grand  signe  d'amour,  Je  requiers  mes  trois  poins  premiers, 

Par  dileclion  bien  emprainetc  ?  Comme  ma  requeste  le  perte. 


I)E    JEAN    MICHEL 


303 


chées,  en  grande  partit-  effacées,  ou  coupées  par  Le  couteau  «lu 
relieur,  il  semblera  l>i<'ii  difficile  de  les  attribuer  à  un  mystère 
perdu  de  la  Passion  :  au  contraire  elle  s'expliqueront  facilement  si 
l'on  place  le  débat  dans  un  mystère  perdu  du  Viel  T-estament, 
avant  la  destruction  de  Jérusalem  et  la  captivité  de  Babylone  (??). 

Suivant  une  hypothèse  extrêmement  vraisemblable  déjà  citée1, 
Greban  aurait  lui-même  collaboré  au  Viel  Testament  et  composé 
la  Creacion  ou  la  première  pièce  qui  ouvre  celle  compilai  ion. 
La  Creacion  abrégée  qu'il  plaça  plue  tard  en  tête  de  sa  Passion 
ne  devait  pas  être  représentée  sur  le  théâtre  :  elle  n'était  dans  sa 
pensée  qu'un  prologue  ou  une  explication  théologique  de  la 
Rédemption  à  l'adresse  des  lecteurs.  Il  est  curieux  de  noter  que 
sur  ce  point  la  province  résista  à  l'exemple  imposé  par  Greban 
aux  Parisiens.  L'idée  de  donner  comme  prologue  au  drame  de  la 
rédemption  celui  de  la  chute  était  si  ancienne,  si  fortement  enraci- 
née que  la  plupart  des  Passions  provinciales  continuèrent  de 
s'ouvrir  par  une  Création,  mais  le  plus  souvent  cette  Création  fut 
empruntée  telle  quelle  au  Viel  Testament,  c'est-à-dire  à  Greban. 

La  Nativité  qui  suit  fut  elle-même  souvent  jouée,  et  il  nous 
semble  bien  qu'elle  est  encore  visiblement  imitée  dans  la  jolie 
petite  pièce  -,  sur  le  même  sujet,  réimprimée  de  nos  jours  dans  la 
collection  Silvéstre  (n°  7). 


VERITE 

Miséricorde  s'est  fuit  forte 
Que  1rs  impugner  el  espondre 
Sera  merveille  de  respondre  : 
Mais  je  la  voj  toute  confuse  : 
Je  croy  aussi  qu'elle  s'abuse. 
et  salvacion . 

MISERICORDE 
Si  esse  bien  mon  intencion 
Que  ces  trois  poins  soienl  espons. 
Et  quanl  au  premier  je  respons 
Que  trop  forl  les  voulez  pugnir 
Que  requérez  de  1rs  bannir 
1.  La  Passion  de  Greban  éd.  ('•    Paris 
1.  I.  |>.  XIV.  Cette  création  est  en   pai 
d'  Vdam    Cf    Revue  critique,  1866,  p.  233. 
•2.  Nativité  de  Nostre  Seigneur  lesus  t 
l.  I,  p.  \i.i\.  imprimée  vers  1" —  Il  a 


De  leur  terre  et  leur  nacion, 

La  terre  de  promission, 

Qui  es1  le  droict  milieu  du  monde, 

El  esl  terre  doulce  et  féconde 

lui  qui  tous  biens  humains  son!  mis, 

Qu'ordonna  Dieu  pour  ses  amis  : 

A  Abraham  sou  hou  servant 

La  promis!  il  long  temps  devant 

Pour  luy  el  toute  sa  lignée, 

\  \  .mi  qu'il  j  ssisl  île  Caldée, 

Tant  ost  a  luy  grant  amvlie  ! 

<  t  1  resbon  juge,  quel  pitié 

Seroil  <le  si  noble  ligna ig< 

el  1;    Raynaud,  p.  \w  :  M.  <lu   V.   Testament, 
lie  tirée  „du    récit    fabuleux   de   la   Pénitence 

'hrisl  par  personnages  avci    la  digne  accu 
utiii  «le  comparer  les  chant  s  des  bergi 


304  LA    PASSION 

Vers  la  fin  du  xv  siècle  un  auteur  inconnu  eut  encore  l"idée 
d'amplifier  celle  Nativité  de  Greban  en  insérant,  avant  le  mariage 
de  la  Vierge,  celui  de  ses  parents.  Joachim  et  Anne.  Ainsi  dans 
les  vieilles  chansons  de  geste,  et  même  dans  certains  romans  très 
modernes  on  remonte  des  fds  aux  pères  ou  inversement,  La  pre- 
mière partie  de  la  nouvelle  pièce,  imprimée  sous  le  titre  de  Mys- 
tère de  la  Conception*...,  est  empruntée  tout  entière  aux  ouvrages 
que  nous  avons  déjà  si  souvent  rencontrés,  aux  Meditationes 
Vitae  Ghristi  (chap.  I)  2,  à  l'abrégé  d'Hégésippe  et  à  l'Histoire 
scholastique 3 ,  et  surtout  à  l'Evangile  apocryphe  de  la  Nativité  de 
Marie  et  de  l'Enfance  du  Sauveur  4  ;  la  seconde  est  la  reproduction 
du  texte  de  Greban  additionné  de  bergeries  très  libres.  Cette  Con- 
ception n'est  donc  qu'un  développement  de  la  première  Journée 
de  Greban,  de  même  que  la  Passion  de  J.  Michel  est  un  dévelop- 
pement des  deux  suivantes,  et  la  Résurrection  inédite  d'Eloi  du 
Mont :'  une  imitation  libre  de  la  quatrième. 

Si  cette  quatrième  Journée  ou  la  Résurrection  de  Greban  fut  la 
seule  imprimée  au  xvie  siècle,  l'œuvre  entière,  depuis  longtemps 
divulguée,  était  utilisée  couramment  dans  les  régions  les  plus  di- 
verses. Dès  i^vi.  un  bourgeois  d'Abbeville,  Guillaume  deBonneuil 
avait  acheté  à  Greban  lui-même,  pour  dix  écus  d'or,  un  texte  au- 
thentique qui  lui  fut  racheté  par  la  ville  et  servit,  suivant  toute 
apparence,  aux  représentations  locales  depuis  i455fi.  Un  manus- 
crit analogue,  conservé  encore  aujourd'hui  dans  la  bibliothèque 
municipale  du  Mans  \   la  patrie  des  Greban,  y  rendit  les  mêmes 

Greban,  p.  60.  NATIVITÉ 

Bergier  qui  ha  pennetiere  Pasteur  qui  a  six  tournoys, 

Bien  cloant,  ferme  et  entière  Sa  gaule  a  abatre  noN. 

C'est  ung  petit  roy  ;  etc.  Et  ses  gros  sabotz  de  boys 

C'est  ung-  capitaine,  etc. 

1.  Voir  l'analyse  détaillée  du  Dict.  des  Mystères,  p.  G64. 

2.  Imite  dans  la  Supplicacion  pour  la  rédemption  humaine,  p.  664.  fil». 

3    Ces  livres  ont  fourni  tous  les  détails  sur  Herode  Ascalonite,  p.  6653  1Î71,  636. 

4-  L'histoire  d'Anne  et  de  Joachin,  de  Marie,  etc.  vient  de  cet  Evangile  apocryphe  du 
pseudo-Mathieu  qui  a  déjà  élé  imite  dans  la  Passion  de  Semur  et  le  sera  encore  dans 
la  Nativité  de  Rouen  f  1 4 r ï  ■ 

.').  Emprunt  signalé  par  I'.  de  Julleville,  les  Mystères,  t.  II,  p.  4"!),  6<w. 

ii.  Item.  Les  Mystères,  II.  p.  aô. 

-.  Ms.  n°  6. —  Ce  manuscrit  oublie  du  w  s.,  qui  provient  de  l'abbaye  bénédictine  de 
Saint-Vincent,  ne  comprend  que  la  i"  journée  de  Greban,   mais  avec  de  nombreuses 


11E   JEAN    MICHEL  305 

services.  La  ville  de  Troyes  possède  également  encore  le  manus- 
crit qui  lui  servit  pour  les  représentations  de  la  Passion  en  i/j;)" 
et  1497  '■  G'esl  L'œuvre  de  Greban  quelque  peu  modifiée  et  rajeu- 
nie, augmentée  en  tête  de  la  Création  et  des  premières  histoires 
du  17c/  Testament  et  munie  plus  tard  d'un  rôle  de  fou,  d'ailleurs 
insignifiant.  Une  partie  au  moins  de  ces  remaniements  a  été  attri- 
buée avec  vraisemblance  à  un  fécond  compilateur  Iroyen.  qui  avait 
pour  spécialité  de  rajeunir  les  vieilles  éditions,  Pierre  Desrey. 
lui  i4'.)7-  il  joua  le  rôle  du  Père  éternel,  et  sa  devise  authentique 
«  Tout  par  honneur  »  se  lit  encore  à  la  fin  du  troisième  volume 
manuscrit i  de  la  Passion  troyenne. 

L'œuvre  de  Greban  était  encore  jouée  en  province  qu'elle  était 
déjà  supplantée  à  Paris  par  la  Passion  de  J.  Michel,  jouée  à  An- 
gers «  moult  triumphamment  et  sumptueusement  en  l'an  mil 
quatre  cens  quatre  vingtz  et  six,  en  la  fin  daouSt  ».  et  attirée  dans 
la  capitale  par  son  succès  même.  En  réunissant  le  mystère  de  la 
Conception,  la  Passion  de  J.  Michel  et  la  Résurrection  de  Gre- 
ban, les  Confrères  Parisiens  fabriquèrent  une  volumineuse  compi- 
lation qui  fut  imprimée  dès  l'an  i5o",  et  qui  servit  à  leurs  repré- 
sentations jusqu'à  l'interdiction  du  Parlement,  le  i5  novembre 
i548.  L'histoire  de  cette  compilation,  des  manuscrits  et  éditions 
séparées  de  J.  Michel  a  été  faite  si  souvent  qu'il  ne  reste  plus 
guère  à  y  glaner1.  Comme  celle  de  Greban,  la  Passion  de  J.  Mi- 
chel fit  son  tour  de  France  et  fut  jouée  dans  les  villes  du  Nord,  à 


indications  scéniques.    Il  a  été  signalé  et   décrit  par  .M.  II.   Chardon,  Ree.  hist.  et 
archéol.  du  Maine,  V.  iS;'i.  p.  \:>\. 

1  Greban,  éd.  ('..  Paris,  etc.,  p.  xxv,  x.wi.  —  Peut-être  déjà  pour  celle  de  i;s> 
(ei    Romania,  1890,  p.  261). 

2.  Cette  remarque  est  de  M.  II.  Monceaux,  Les  Le  Rouge  de  Chablis,  is«,:».  p.  241 
(II.  île  la  s.  des.  .sv.  hist.  de  l'Yonne). 

'5.  M.  !..  Delisle  a  pourtant  publié  (.1/.  de  lu  s.  de  VHist.  de  Paris,  1.  XXIII  (i8g6), 
p.  •  I7,  de  curieux  extraits  du  livre  de  raison  d'un  bourgeois  parisien,  Jacques  Legros, 
dont  h-  lils  avait  joué  trois  rôles  dans  les  représentations  <\>-  la  Passion  par  les 
Confrères  en  i5  lg 

In  manuscrit  de  .1  Michel,  vendu  a  la  salle  Sj  Ivestrc  vers  i^>"  (la  date  précise  m'é. 
chappe)  et  intitulé  «  Comédie  de  la  Passion  ".a  du  passer  jadis  sous  les  yeux  des  frères 
Parfait  et  leur  inspirer  une  partie  de  leur--  réflexions  sur  celle  expression  «  Comédie 
de  1.1  i'a, -i, m  „  qUj  subsistait  encore  île  leur  temps. 

2d 


306  LA   PASSION 

Bourges1,  à  Grenoble2,  à  Saint-Jean-cle-Maurienne  ',  en  Breta- 
gne, dans  les  régions  les  plus  diverses,  avec  plus  ou  moins  de  mo- 
difications. 

La  plus  curieuse  de  ces  «  refaçons  »  est  certainement  le 
Grand  mystère  de  Jésus  ou  la  Passion  bretonne  qui,  bien 
qu'imprimée  en  i53o\fut  longtemps  attribuée  au  xive  siècle,  «  aux 
environs  de  l'an  i365  »  pour  le  moins,  jusqu'au  jour  où  M.  P.  Meyer 
démontra  que  la  petite  pièce  bretonne,  fort  courte  malgré  son 
titre,  n'était  qu'une  traduction  abrégée  de  la  grande  pièce  de  J. 
Michel5.  Ainsi  déchue  de  son  antique  origine,  la  Passion  bre. 
tonne  n'en  conserve  pas  moins  de  curieuses  particularités.  Rappe- 
lons-nous la  légende  manuscrite  de  Lazare  que,  pour  diverses  rai- 
sons, le  docteur  J.  Michel  avait  abandonnée  au  milieu  de  son  récit. 
S'il  en  avait  continué  la  lecture,  il  n'aurait  pas  manqué  d'y  trouver 
une  nouvelle  version  du  banquet  de  Simon  le  Lépreux,  et  des  pei- 
nes d'enfer,  celle  même  qui  est  restée  populaire  jusqu'à  nos  jours, 
mais  dont  les  origines  et  la  date  étaient  restées  insuffisamment 
éclaircies6.  Simon  doute  que  le  Lazare,  assis  à  sa  table,  soit  réelle_ 
ment  [ressuscité  de  l'autre  monde.  Sur  l'ordre  de  Jésus,  Lazare  se 
lève  et  énumère  aux  convives  tous  les  tourments  des  damnés  aux- 
quels il  vient  d'assister7.  L'idée  n'est  pas  neuve,  on  le  sait,  les  tour- 
ments ou  les  supplices  ne  le  sont  guère  non  plus.  Ce  qui  est  nouveau, 
c'est  le  nombre  même  de  ces  supplices  (sept),  exactement  appropriés 


i.  Bibl.  de  Bourges.  —  Ms.  n°  328:  Table  et  sommaire  de  la  représentation  de  la 
Passation  (sic)  faicte  à  la  fosse  des  arènes  par  les  bourgeois  de  Bourges  en  l'an  i53o, 
(16e  siècle,  parchemin,  5o  t.,  archiv.  de  Bourges  ancien  n°  346).—  Ce  Ms.  que  je  n'ai  pu 
vérifier  serait  aussi  curieux,  à  ce  que  l'on  m'assure,  que  la  relation  si  souvent  com- 
mentée de  la  représentation  des  Actes  des  Apôtres  à  Bourges,  en  i536. 

2-3.  Romania,  1890,  p.  261,  n°  5. 

4.  Antérieurement,  la  Passion  avait  été  représentée  à  Bennes,  en  i43o  (cf.  P.  de  Julie- 
ville,  t.  11.  p.  in,  et  encore  en  1 456  et  1492.  —  De  même  à  Nantes,  en  1460,  1462,  i4;o, 
1492  (Voir  les  Archives  communales  de  la  V.  de  Xantes  par  M.  S.  de  la  Nicollière- 
Teyero).  Les  textes  employés  dans  ces  représentations  étaient  vraisemblablement 
français. 

J'ai  déjà  cité  une  confrérie  de  la  Passion  fondée  à  Xantes  bien  antérieurement, 
en  1 3;i,  mais  elle  ne  paraît  dans  aucun  de  ces  spectacles. 

5.  Revue  critique,  1866,  p.  219. 

6.  Cf.  G.  Paris.  Journal  des  Savants,  1S8S,  p.  5i6,  note  4- 
;.  Légende  de  Lazare,  B.  Nat.  fr.  923,  fol.  116  r"  et  suiv. 


BRETONNE  307 

aux  Sept  Péchés  Capitaux.  La  légende  de  Lazare  paraît  être  le  plus 
ancien  texte  qui  nous  ait  conservé  cette  description.  De  là  elle  passe 
dans  divers  manuscrits1,  puis  dans  un  poème  bien  oublié,  le  Ba- 
ratre  Infernal  (1480)  de  Regnauld  le  Queux2,  ensuite  dans  le 
Traité  des  peines  d 'enfer  et  de  purgatoire  *,  imprimé  pour  An- 
toine Verard  en  1492,  et  plus  tard  seulement  dans  les  diverses  édi- 
tions du  fameux  Calendrier  des  Bergers  qui  la  consacrent  et  la 
popularisent  à  l'aide  de  gravures  aussi  naïves  qu'effrayantes.  Cette 
nouvelle  description  inaugurée  par  la  légende  de  Lazare,  le  doc- 
teur J.  Michel  n'avait  pas  jugé  à  propos  de  l'utiliser.  Il  ménageait 
sa  peine  et  il  s'était  borné  à  copier  textuellement  l'Enfer  à  quatre 
étages  des  Scolastiques.  tel  que  le  théologien  Greban  l'avait  repré- 
senté en  vers  excellents  : 


Au  plus  bas  est  le  hideux  gouffre 
Tout  de  désespérance  teint, 
Ou  sans  fin  art  l'éternel  souffre 
De  feu  qui  jamès  n'est  estaint  '. 

Mais  le  poêle  breton  ne  fut  pas  de  cet  avis,  et  à  la  description 
de  Greban  copiée  par  J.  Michel,  il  substitua  "  le  récit  plus  moderne 
popularisé  par  le  Calendrier  des  Bergers. 

Du  docteur  J.  Michel  et  du  poète  breton,  il  nous  faut  revenir 
maintenant  au  porte  d'Arras  que  nous  avons  essayé  d'identifier 
avec  Eustache   Mercadé.   Le  texte  de  la  Passion   et   de   la  Ycn- 

1.  B.  Nat.  n.  a.  fr.  io.o32  (fin  du  xv'  s.i  fol.  i<>  «  (Premièrement,  disl  le  Lazare,  j'ay 
vni  des  rocs  <'n  énfér  1res  haultes  en  une  montaigne,  etc  (Supplice  des  orgueilleux). 
—  Ici.  ibidem,  IV.  20,103  ' x  Vl   s.),  fol.  11  à  18,  miniatures. 

2.  Musée  de  Chantilly.  n'ÔoSet  B.  Nat.  fr.  \->».  fol.  cxxi  v  el  suiv.  «  La  révélation 
du  Ladre  ».  -  Cette  méchante  compilation  moitié  en  vers,  moitié  en  prose,  d'un  poète 
ami  de  Meschinol  cite,  fol,  ag  v*,  «  Dante  le  tusque  »  ce  qui  est  très  rare  à  cette  date. 

3.  Texte  signalé  el  reproduil  par  H.  Monceaux,  Les  Le  Rouge  de  Chablis  (B.  de  la 
S.  <le^  Se.  hist .  de  i'Yonne,  1895,  p.  i5o  el  suiv.), 

J.  Greban,  p.  ao4,  v.  15,83?  el  p.  220,  n  28  de  ce  livre.  —  Cf.  la  Passion  de  J.  Michel, 
M.  N.,  réserve  Yr.  r>.  cahier  n.iii,  recto. 

5.  Le  grand  Mystère  de  Jésus,  éd.  de  la  Villemarqué  (i865),  |>.  10.  —  Il  est  probable 
qne  le  même  Calendrier  des  Bergers  a  inspiré  la  moralité  perdue  ■  Les  Paynes 
d'Enfer*,  jouée  à  Andouiller  dans  le  Maine,  en  i53o,  suivant  la  chronique  versifiée 
iln  notaire  Le  Doyen. 


308  LA    PASSION 

geance  conservé  dans  la  Bibliothèque  d'Arras  et  qui  provient  de 
l'ancienne  abbaye  de  Saint- Vaast  a  dû  vraisemblablement  servir 
dans  des  représentations  locales,  mais  on  n'en  a  pas  encore 
signalé1.  Peut-être  serons-nous  plus  heureux  dans  d'autres  villes 
du  Nord. 

Rappelons-nous  l'importante  mention  déjà  signalée  précédem- 
ment dans  les  Registres  de  l'échevinage  d'Amiens  au  mois  de 
mai  1/401. 

«  CC  19  fol.  58  (Ip.  fol.  38)  :  «  As  compaignons  qui  a  voient  joué 
le  jeu  de  Dieu  )>. 

Les  compaignons  qui  avoient  joué  «  le  jeu  de  Dieu  »  ou  la  Pas- 
sion étaient  probablement  les  Confrères  du  Saint-Sacrement,  les 
mêmes  qui  organisèrent  les  représentations  depuis  longtemps 
connues  2  de  la  Passion  et  Résurrection  en  i4i3  et  1427  et  la  plu- 
part des  suivantes.  Quel  était  le  texte  suivi  dans  ces  jeux,  nous 
l'ignorons.  Une  mention  nouvelle  nous  apprend  seulement  que  les 
jeux  de  1427  étaient  précédés  d'une  Création'  et  vraisemblable- 
ment d'un  Déluge  comme  l'étaient  encore  les  jeux  de  i5oo4,  et,  sui- 
vant toute  vraisemblance,  tous  les  jeux  intermédiaires. 

En  l'an  1429,  nous  trouvons  dans  les  mêmes  comptes  municipaux 
une  mention  nouvelle  à  ajouter  à  la  biographie  d'Kustache  Mer- 
cadé. 

On  savait  déjà  5  qu'en  1427,  E.  Mercadé,  alors  officiai  de  Corbye, 

1.  Ce  l'ait  tient  sans  doute  à  ce  que  les  comptes  municipaux  d'Arras  ne  sont  pas 
encore  publiés  in  extenso  :  on  ne  possède  qu'une  médiocre  histoire  du  théâtre  à 
Arras,  par  A.  de  Carde vacque. 

2.  Par  les  notices  de  Dusevel.  reproduites  par  P.  de  Jullcville,  les  Mystères,  t.  II, 
p.  9  et  suiv.  :  mais  toutes  ces  notices  sont  à  compléter  depuis  la  publication  intégrale 
en  une  dizaine  de  gros  volumes  in-4°  des  comptes  de  la  V.  d Amiens  qui,  non  seule- 
ment ajoutent  trois  ou  quatre  textes  nouveaux  en  moyenne  pour  les  représentations 
connues  de  la  Passion,  mais  en  signalent  d'autres  de  cette  même  Passion  en  1401,  i458, 
146),  1469,  1498,  i5o6,  j.Yïi.  i54o,  i.">49,  iT)5o. 

3.  CC.  ai,  fol.  (>(>  v "(]>•  1 10,  col.  2).  «  Pour  paier  le  pain,  vin,  char  et  autres  vivres 
despencés  par  pluiséurs  dudit  esclicvinagc,  conseilliers  et  officiers  de  la  dicte  ville, 
les  lundi  et  mardi  lestes  de  Pcntecouste  deerrain  passés  (142;))  qui  furent  veir  es 
fourbourgs  d'icelle  ville  les  misteres  de  la  Création  du  Monde,  la  Nativité  et  l'assion 
de  Jhesucrist.  » 

4.  BB.  19,  fol.6  (]).jS;,col.  1).  Echcvinage  du  3  sept.  «  Pour  achever  de  payer  les  frais 
du  jeu  de  Dieu,  délibéré  qu'on  vendra  les  matères  de  bos  et  autres  estaux  du  paradis, 
infer.  le  déluge  et  des  hours  du  Roy  et  de  la  ville  ».  —  Ibid.  BB.  19,  fol.  Ci  v»  et  63  v°. 

5.  Signalé  par  L.  Delisle,  B.  de  l'Ecole  des  Cfiartes,  iS(io,  p  42°. 


DE    VAI.ENCIENNES  309 

fut  dénoncé  aux  Anglais  comme  criminel  de  lèse-majesté,  empri- 
sonné au  beffroi  d'Amiens  par  ordre  du  bailli,  et  dépouillé  de  su 
charge,  qu'il  unit  par  récupérer  après  un  long  procès.  Le  texte  sui- 
vant prouve  que  les  Amiénois  ne  lui  tenaient  nullement  rigueur. 

CG  a3,  fol.  74-ia5,  col.  '2  (juillet)  :  «  A  dampt  Witasse  Marcadé, 
religieux  de  Gorbye,  quivenoit  de  court  de  Rome,  et  qui  avoit  esté 
traveillié  au  dit  lieu  de  Rome,  pour  proches  que  le  ville  d'Amiens 
a  contre  Messieurs  de  chapitre.  » 

Si  les  services  d'Eustache  Mercadé  étaient  ainsi  appréciés  dans 
la  ville  d'Amiens,  n'esl-il  pas  à  croire  que  ses  œuvres  y  jouissaient 
de  la  même  laveur  et  n'est-il  pas  permis  de  supposer  que  le  texte 
de  la  Passion  d'Arras.  plus  ou  moins  augmenté  et  remanié,  a  pu 
servir  pour  les  représentations  d'Amiens  qui  se  sont  succédé  beau- 
coup plus  nombreuses  qu'on  ne  pouvait  le  supposer  d'après  les 
anciennes  notices  de  Dusevel ?  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que 
c'est  bien  la  Vengeance  de  Mercadé  qui  fut  jouée  à  Amiens  en 
i446.  Pour  s'en  assurer,  il  suffît  de  comparer  les  personnages  de  la 
pièce  qui  figurent  dans  les  comptes  d'Amiens  '  à  ceux  du  texte  de 
Mercadé.  La  même  pièce  y  fut  encore  reprise  en  i5oi  \  soit  d'a- 
près l'ancien  texte  manuscrit,  soit  d'après  le  texte  imprimé  en 
1  '(<|i  par  Antoine  Yérard  :  mais  cet  imprimé  lui-même,  le  fait  est 
aujourd'hui   démontré  ',    n'est    qu'une    simple    amplification    de 


1 .  BB.  <i  fol .  5  (  roi  <■<>!    n.  Echevinage  du  2  juin  14+'* : 

Quant  au  fait  < l<-s  jeux  de  la  Vengance  qui  doivenl  estre  faix  es  festes  de  Pente- 
coustes  prochain  venans,  ung  hourt  sera  fait  des  deniers  de  la  villr,  comme  L'année 

passée  queonjua  la   Passion  Nostre  Seigneur Pour  le  Vengance....   Sur  ce  que 

Thite,  Néron,  Othe,  Vaspasien,  pareillement  Caypbas,  Zorobabel,. ..  generalment  tous 
les  aliez  et...  (lacune  du  texte) a  intention  de  juer  avoient  présenté  en  l'eschevinage 
une  supplicacion  contenant  que  on  leur  voulsist  donner  des  deniers  de  la  ville 
aucune  chose  pour  supporter  les  Irais  qu'ilz  aroient  au  dit  jeu  »  délibère  qu'on  s'en- 
tendra avec  l'évêque  et  le  chapitre....  Il  leur  est  alloué  cent  livres. 

■j.  BB.  n.i  fol.  23(2&S,  col.  n.  Keliev.  du  12  janvier  [5oi.  «  Pour  jouer  la  Vengeance  de 
X.  s.  ,1  C.  qui,  des  longtemps  ne  fut  jouée  en  ceste  ville  d'Amiens,  crédit  pour  ce 
de  aoo  1.  »  Les  kayers  des  î  journées  du mistère  copiés  par  Jehan  le  Tonnelier,  prestre, 
moyennant  xx  escus  furent  ensuite  mis  en  garde  en  la  trésorerie  de  l'Hôtel  de  ville 
(BB.  19  toi.  3a,  I.  288). 

'{.  Par  M.  J.  M.  Richard,  éditeur  de  la  Passion  d'Arras,  p.  xxr,  xxir,  qui  énumère 
el  complète  les  représentations  connues  de  '"  Vengeance.  11  est  donc  probable  que 
c'est  l'œuvre  de  Mercadé  qui  a  seivi.  plus  ou  moins  modifiée,  dans  toutes  ces  repré- 
sentations. Il  m-  reste  guère  à  pari  que  la  Vengeance  jouée  a  Nevers  en  i3g6.  Vous  j 
re\  tendrons  à  propos  de  la  Vie  de  Jesu  Crisi  de  1  [85. 


310  LA    PASSION 

l'œuvre  de  Mercadë,  et  reste  toujours  en  quelque  sorte  sa  pro- 
priété. 

Si  l'on  a  proposé,  sous  toutes  réserves,  quelques  conjectures 
sur  les  Passions  d'Amiens,  c'est  en  raison  non  seulement  des  faits 
précités,  mais  d'autres  analogues.  Le  texte  de  la  Passion  d'Arras 
a  été  certainement  mis  à  contribution,  comme  on  va  le  démontrer, 
dans  les  deux  Passions  inédites  très  différentes,  toutes  deux  dites 
de  Valenciennes,  dont  l'une  est  conservée  à  la  Bibliothèque  de  la 
ville  de  Valenciennes  et  l'autre  à  Paris,  à  la  Bibliothèque  Natio- 
nale. 

La  première  de  ces  Passions  a  été  décrite  dès  1816  dans  une 
analyse  extrêmement  détaillée,  qui  est  un  modèle1.  Elle  comprend 
en  vingt  journées  toute  l'histoire  sainte  depuis  la  création  du 
monde  jusqu'à  l'Assomption  de  la  Vierge.  Ce  n'est  au  fond  qu'un 
remaniement  du  mystère  de  la  Conception  combiné  avec  la  Pas- 
sion d'Arras  et  celle  de  Jean  Michel,  et  renforcé  de  diverses  addi- 
tions dont  un  petit  nombre  est  vraiment  original.  Ainsi  la  première 
journée  qui  va  de  la  Création  au  Déluge  est  visiblement  imitée  des 
premières  histoires  du  Viel  Testament  \  La  deuxième  journée, 
inspirée,  comme  la  troisième,  du  mystère  de  la  Conception,  a  été 
munie  en  outre  d'une  petite  farce  2  qui  d'ailleurs  ne  manque  pas 
d'esprit.  Dans  les  journée  suivantes,  à  coté  des  emprunts  directs  à 
la  Légende  dorée,  et  à  d'autres  textes  sur  les  Sybilles 3,  la  Passion 
d'Arras  fournit  entre  autres  les  scènes  de  la  Circoncision  et  du 
massacre  des  Innocents  ordonné  par  Hérode  sur  le  rapport  de 
Galoppin  (5e  journée)  *. 

Si  la  longue  série  des  journées  qui  suivent  (6  à  i5),  ou  des 
tableaux  de  la  Passion  proprement  dits  est  empruntée  en  grande 
partie  à  la  Passion  de  J.  Michel  \  l'ancienne  Passion  d'Arras 
n'est  pourtant  pas  oubliée  et  elle  a  fourni  en  particulier  (dans  la 


1.  Hécart,  Recherches  sur  le  théâtre  de  Valenciennes,  jsi6,  p.  i65.  —  Le  résumé  de 
cette  analyse  de  Hécart  est  beaucoup  trop  écourté  dans  Les  Mystères  de  P.  de  Julie- 
ville,  t.  II,  p.  4'2i,  de  telle  sorte  que  les  emprunts  faits  a  la  Passion  d'Arras  ont  passé 
complètement  inaperçus. 

2.  Cf.  Misteredu   Viel  Testament,  t.  I,  p.  lxxvnj 

3.  Ibid.,  t.    VI,  p.  lxix. 

4-  Cf.  Passion  d'Arras,  v  Journée,  p.  53. 

5.  Avec  des  développements  ou  plutôt  des  allongements. 


DE    VALENCIENNES  311 

9e  journée)  la  scène  des  voleurs  de  pigeons  précédemment  décrite  '. 
La  seizième  journée  ou  la  Résurrection  est  encore  tirée  presque 
totalement  de  la  Passion  d'Arras,  en  particulier  l'interminable 
discussion  des  docteurs  juifs  avec  Joseph  d"Ariiuatliie  que  le  pon- 
tife Caïphe  exhorte  «  a  ne  pas  entrer  en  hérésie  »  \  Le  reste  (ou  la 
fin)  n'est  guère  plus  original  et  provient  encore  d'emprunts  à  des 
textes  connus,  qui  n'apppartiennent  plus  à  notre  sujet. 

Ladite  «  Passion  de  Jesu-Crist  en  rime  franchoise  »  de  la  Biblio- 
thèque de  Valenciennes  (n°  \^),  ancien  421)  appartenait  vers  le 
milieu  du  xvie  siècle  à  «  Baudin  de  Vermelle,  marchand  demeurant 
en  la  Ricque,  rue  au  Laingnies,  en  la  ville  de  Douay  »,  lecpiel 
Bauduin  le  transmit  à  l'abbaye  de  Saint-Amand,  dont  les  livres 
ne  furent  versés  dans  la  Bibliothèque  de  Valenciennes  qu'à  la  Ré- 
volution. Si  donc  il  a  été  utilisé  quelque  part,  c'est  tout  d'abord 
à  Douai,  et  s'il  a  jamais  servi  ailleurs,  c'est  à  titre  de  prêt.  Il  n'est 
nullement  certain  qu'il  ait  jamais  passé  sous  les  yeux  des  trois 
«  originateurs  »  de  Valenciennes,  lesquels  se  chargèrent  en  i.Vj;  de 
compiler  une  nouvelle  pièce,  en  a5  journées,  très  différente  de  la 
précédente,  et  actuellement  conservée  au  Cabinet  des  manuscrits3 
de  la  Bibliothèque  Nationale  (fr.  12.536).  La  pièce,  qui  com- 
mence avec  l'histoire  de  Joachim  et  Anne  pour  finir  à  la  Descente 
du  Saint-Esprit  sur  les  Apôtres,  est  faite  d'après  les  mêmes  pro- 
cédés que  la  précédente.  Les  deux  premières  journées  sont  tirées 
du  Mystère  de  la  Conception,  les  suivantes,  ou  la  Nativité  de 
Jésus,  de  la  Passion  d'Arras,  le  corps  de  la  pièce,  depuis  la 
sixième  journée,  est  pris  dans  la  Passion  de  ,1.  Michel.  Les  em- 
prunts à  la  Passion  d'Arras  en  particulier  se  succéder.!  pendant 
des  pages,  ou  «les  cahiers  entiers,  et  la  copie  est  si  fidèle  qu'elle 
aurait  pu  être  reconnue  depuis  longtemps,  même  avant  la  publi- 
cation intégrale  du  manuscrit  d'Arras  '.  Ces  divers  emprunts  sont 


i.  I'.  -r\  île  ce  livre. 

■_>    Cf.  Passion  il  Axras,  fil.  .1  M.  Richard,  p.  aa5,  v.  m.ï::- 

'5  Sur  ce  Ms.  de  la  15.  Nat.,  et  un  autre  Ms.  analogue  d'une  Bibliothèque  particu- 
lière, voir  P.  de  Julie  ville,  t.  II,  p.  .[•■■.  et  Romania,  1890,  p.  a63,  note  i 

\  \\<-i-  l'analyse  détaillée,  munie  d'extraits,  publiée  par  Vallel  <!<■  Viriville  dès 
is;:>.  B.  de  VE.  des  Chartes,  i843,  t.  V,  p.  3j.  —  Les  compilateurs  du  Ms.  [3,536  se  sonl 
bornés  a  appeler  l'Empereur  Octovien  el  a  ajouter  la  légende  classique  de  la  Sibylle; 
toutes  les  scènes  suivantes,  tous  les  noms,  Bondésir,  les  bergers  Robechon,  • 


312  LA    PASSION 

d'ailleurs  entremêlés,  capricieusement  répartis,  et  les  «  origina- 
teurs  »  n'ont  pas  toujours  été  heureux  dans  leur  choix.  C'est 
ainsi,  pour  n'en  donner  qu'un  exemple,  qu'ils  ont  dédaigné  la 
jolie  scène  des  voleurs  de  pigeons  du  poète  d'Arras,  et  reproduit1 
une  scène  analogue,  très  inférieure,  où  J.  Michel  a  représenté 
l'arrestation  des  trois  larrons  Dismas,  Gestas  et  Barraban  par 
les  «  tyrans  »  d'Anne  et  de  Caiphe.  Il  est  donc  probable  que  si 
l'on  retrouvait  d'autres  manuscrits  de  la  région  du  Nord  %  on  y 
constaterait  la  même  bigarrure,  et  que  jusqu'au  bout  le  poète 
d'Arras  a  dû  être  mis  à  contribution,  concurremment  avec  ses 
deux  successeurs  plus  connus.  Ainsi,  du  xive  siècle  au  xvie  siècle, 
les  quatre  Passions  françaises  les  plus  connues,  la  Passion  Sainte- 
Geneviève,  la  Passion  d'Arras,  la  Passion  de  Greban  et  celle  de 
J.  Michel  ont  suffi  avec  plus  ou  moins  de  modifications  aux  repré- 
sentations de  toute  la  France.  Les  remaniements  ou  les  combi- 
naisons abondent,  mais,  nous  l'avons  vu.  c'est  moins  une  analyse 
littéraire  qui  leur  convient  qu'une  analyse  quantitative. 

En  a-t-il  toujours  été  ainsi  et  cette  règle  serait-elle  absolue  ?  Evi- 
demment non.  Sur  tous  les  sujets  énumérés  on  trouverait  des  tex- 
tes indépendants,  manuscrits  ou  imprimés,  plus  ou  moins  curieux. 
Ainsi  la  longue  Nativité  de  Bouen  imprimée  en  i474  ne  d°it  rien 
ni   au   mystère   de    la   Conception  3  ni  à  celui  de  Greban  :  l'au- 


rois  mages,  maistre  Galien  et  M.  Alphonse,  Galoppin,  Basacq,  Cadoc,  Sabaoth, 
Osanna,  tout  cela  est  copié  littéralement  (p.  48  à  69  du  Ms.)  dans  la  1"  journée  de  la 
Passion  d'Arras.  —  La  Nativité  de  Judas  d'après  J.  Michel  est  fol.  ;4  v°- 

1.  B.  N.  fr.  12,536  loi.  126  r».  —  Cf.  J.  Michel,  Dict.  des  Mystères,  p.  744,  La  Prinse  des 
Larrons. 

2.  En  particulier  et  en  première  ligne,  le  Ms.  signalé  par  M.  E.  Picot,  Romania,  1890, 
11°  -,  où  la  Passion  du  xvc  siècle  en  sept  journées  qui  faisait  partie  en  1840  de  la 
collection  de  M.  Vander  Cruisse  de  Waziers  à  Lille.  Il  serait  curieux  de  vérifier  ce 
qu'en  a  dit  Le  Glay  trop  succinctement  :  «  Ce  volume  contient  évidemment  une 
notable  partie  du  Mystère  de  la  Passion  en  vingt  journées  dont  il  existe  un  manus- 
crit à  la  Bibliothèque  de  Valenciennes  et  sur  lequel  M.  O.  Leroy  a  donné  de  précieux 
détails  dans  son  Essai  sur  les  Mystères.  » 

2°  Le  Mystère  de  la  Passion  arrangé  par  un  «  rhétoricien  »  nommé  Cuvelier  et  joué 
par  la  chambre  de  rhétorique  de  Bergues,  concurremment  avec  une  tragédie  ou 
moralité  la  Mort  de  Boèce  jusqu'à  la  lin  du  xvn"  siècle  (B.  du  Comité  historique  1891, 

p.  i4U- 

3.  Les  frères  Parfait  en  ont  pensé  autrement;  ils  croyaient  que  l'auteur  de  la  Nati- 
vité de  Rouen  avait  imite  l'auteur  de  la  Conception  à  cause  du  Procès  du  Paradis  ou 
des  Vertus  qu'ils  ont  développé  tous  les  deux.  Mais  ce  Procès,  l'auteur  de  la  Nativité 


d'amboise  343 

teur  s'est  inspiré  directement  «les  livres  latins  qu'il  cite  en  notes, 
notamment  des  Meditationes  Vitae  Christi,  et  des  pièces  loca- 
les. Les  Jeux  des  Trois  Rois  ne  sont  pas  rares1.  En  i456,  un 
poète  inconnu  (probablement  Jean  du  Perier  ou  le  Prieur,  valet 
de  chambre  du  roi  René),  fit  jouer  à  Angers  une  longue  Résurrec- 
tion* en  trois  journées,  copiée  en  grande  partie  dans  l'Evangile  Le 
Nicodème.  Cette  pièce  très  faible  obtint  jusqu'à  six  éditions3, 
grâce  à  la  supercherie  de  l'imprimeur  Antoine  Verard  qui  la  pu- 
blia avant  l'année  1 1<)9,  sous  le  nom  populaire  de  Jean  Michel. 
auquel  d'autres  libraires  avisés,  les  Angeliers,  attribuaient  encore 
en  1 54 ï  11,u>  édition  des  Actes  des  Apôtres''.  Si  nous  n'avons  pas 
conservé  une  seule  de  ces  courtes  Passions  que  les  «  beaux  Pères  » 
ou  les  prédicateurs  du  Carême  emportaient  dans  leur  valise  et 
qu'ils  faisaient  représenter  après  leur  sermon,  le  Vendredi  Saint, 
par  les  jeunes  gens  de  la  localité  '.  en  revanche  il  nous  est  resté  un 
mystère  représenté  à  Amboise  vers  la  fin  du  xv  'siècle,  qui  diffère 

de  Rouen  l'a  pris,  il  le  dit  lui-même  en  note,  dans  les  Meditationes  Vitae  Christi  ;  il  est 
même  le  seul  dramaturge  français  qui  cite  directement  le  texte  latin  des  Meditationes 
(Cf.  p  249  de  ce  livre);  les  autres  dramaturges,  celui  delà  Conception  en  particulier, 
peuvent  connaître  les  Meditationes  par  des  traductions  françaises  et  des  imitations, 
comme  on  l'a  déjà  expliqué,  ou  les  citer  de  mémoire. 

1.  Musée  de  Chantilly  N°  517,  w  s.  :  Jeu  des  trois  rois  de  Neufchatel  (Suisse) 
xvr  s.  et  de  Dijon  xvi«-xvii'  s.  tous  deux  imprimés,  etc. 

2.  Déjà  citée  p.  245  de  ce  livre  et  longuement  analysée  dans  le  Dict.  des  Mystères, 
p.  869  à  870  (20,000  vers).  Le  même  Du  Périer  est  probablement  aussi  L'auteur  de  la 
Passion  perdue,  jouée  a  Angers,  en  ijjfi.  —  Sur  les  manuscrits  de  la  Résurrection  voir 
l'intéressante  description  de  M.  (i  Maçon,  Cat.  du  Musée  tic  Chantilly,  t.  1,  n  i>'5'.>. 
p.  'iti'J.  —  Sur  le  texte  i-\'.  ('•■  Paris,  Romania,  1898,  p.  <'>•.>■;,  qui  a  le  premier  signalé  la 
supercherie  de  Verard  et  retiré  définitivement  la  Résurrection  à  .1.  Michel. 

L'emploi  du  nom  latin  de  Senephus  (3'  chevalier)  qui  correspond  au  Siminie  de  la 
Passion  d'Arras  semble  indiquer  que  l'auteur  de  la  Résurrection  a  consulté  un  texte 
latin  de-  l'Ei  angile  de  Nicodème. 

Comme  l'auteur  des  mystères  rouergats  il  a  insère  dans  sa  pièce  i\n<-  traduction 
complète  des  lettres  de  Leucius  et  Carinus,  et  les  deux  traductions  sont  curieuses 
à  comparer. 

'5.  Enumérées  par  M.  Denais,  Bull,  du  Bibliophile,  1872,  p.  367-8. 

4.  Exemplaire  de  la  bibliothèque  d'Angers  signalé,  ibidem,  p.  38S,  S.  J. 

à.  Exemples  :  Arch.  mun.  de  Bourg,  BB  ij  p  ">■■.«  Le  Vendredi  saint  1479,  la  Pas- 
su  m  esi  p  r,i- her  par  le  P.  Chapon  et  ensuite  jouée  sur  un  théâtre  par  plusieurs  jeunes 
gens.  » 

Item.  Ilpinal.  ( ;< '.  Jâ  p.  337,  an  [5a3.  1  livre,  (6 gros  à  ceux  qui  ont  juer  le  misterc 
de  la  passion  le  jour  du  grand  vendredi 


314  LA    PASSION 

complètement  des  textes  connus1.  Le  traître  Judas  compte  ses 
trente  deniers,  pièce  à  pièce,  pour  ne  pas  être  trompé,  détail  naïf 
qui  reparait  dans  la  Passion  allemande  d'Alsfeld,  mais  qui  figurait 
antérieurement  dans  le  vieux  poème  des  bateleurs  d'Autun 
et  dans  la  Passion  de  Semur2,  ce  qui  prouve  qu'il  a  pu  être 
plusieurs  fois  réinventé.  D'autre  part  la  scène  capitale  de  la 
crucifixion,  telle  que  fa  connue  tout  le  xve  siècle  et  dont  nous 
avons  indiqué  les  origines  relativement  modernes,  cette  scène  est 
sensiblement  modifiée1.  Jésus  n'est  plus  couché  et  cloué  sur  la 
croix  posée  à  terre  ;  la  croix  est  dressée,  il  y  monte  et  s'adosse 
docilement  à  l'instrument  de  son  supplice,  ce  qui  est  plus  conforme 
à  ce  que  les  historiens  anciens  nous  ont  rapporté  de  la  crucifixion, 
à  ce  que  savaient  les  plus  anciens  auteurs  du  moyen  âge,  et  à  ce 
que  réapprendront  les  auteurs  de  certaines  Passions  de  la  Renais- 
sance. 

A  ces  divers  titres,  la  pièce  d'Amboise  est  précieuse  comme 
œuvre  de  transition,  et  nous  savons  qu'elle  obtint  un  grand  succès 
dans  toute  la  région.  Le  duc  de  Longueville.  François,  écrivit  de  sa 
main  au  bailli  de  la  ville  au  mois  d'octobre  i5o8,  pou1*  emprunter 
«  le  livre  du  mistère  de  la  passion  qui  a  esté  jouée  à  Amboise  qui 
est  comme  on  dit  le  plus  beau  qu'on  puisse  trouver  »  ;  il  le  fit  reco- 
pier et  jouer  à  grands  frais  dans  sa  ville  de  Chàteaudun  le  26  mai 
i5io4;et  les  représentations  répétées  se  prolongèrent  près  d'un 
mois.  Le  mystère  en  8  journées,  comprenait  en  effet  non  seule- 
ment les  fragments  de  la  Passion  qui  nous  sont  parvenus,  mais 
une  Création  et  un  Trébuchement  des  Anges  qui  furent  corrigés 
par  le  fatiste  «  Maistre  Aignen  »  mandé  spécialement  d'Evreux, 
une  Nativité  de  Jésus,  une  Résurrection  et  une  Ascension.   Détail 


1.  Publié  et  identifié  dans  la  Romania,  1890,  p.  264-2S2,  p.  M.  Era.  Picot. 

•1.  Avec  une  petite  différence,  puisque  dans  ces  pièces,  un  Juif  compte  Tardent  à 
Judas,  mais  l'idée  est  la  même. 

Noter  aussi  dans  la  Pasaion  d'Amboise  un  intermède  déjà  signalé  et  plus  déve- 
loppe dans  la  Passion  de  Semur  et  les  mystères  rouergats,  la  dispute  des  apôtres 
avec  le  paysan  dont  ils  emmènent  l'ànesse. 

3.  Romania,  1890,  p.  275.  C'est  ce  qui  ressort  du  vers  5;5  où  le  bourreau  Jarpin 
u  descend  »  de  la  croix  après  avoir  t'ait  son  office. 

4-  Les  comptes  de  Chàteaudun   ont  été  retrouvés  et  signalés  dans  le  B.  de  la  Soc 
archéol.  de  Touraine,  1900(1).  I4U  et  1901. 


DE    TOURS  315 

curieux  et  qui  prouve  bien  la  persistance  «les  vieilles  traditions,  la 
Création  figurait  encore  en  tète  des  Passions  et  des  pièces  analo- 
gues une  cinquantaine  d'années  plus  tard.  Dans  la  Décoration  du 
pays  de  Touraine,  Maître  Thibaut  Lépleigney  nous  apprend  qu'à 
l'occasion  de  l'Entrée  du  Roi  et  du  Dauphin  à  Tours  en  novembre 
i.V,3,  on  joua  encore  «  le  Mystère  de  la  création  de  l'homme  et  de 
la  femme,  semblablement  la  Conception.  Nativité,  Mariage  et 
Annonciation  de  la  Bienheureuse  Vierge  Marie  ».  Ces  mystères 
déjà  discrédités  furent  les  derniers  représentés  à  Tours',  car,  sui- 
vant la  remarque  de  Lépleigney,  «  aucuns  fous  prennent  plus- 
tôt  plaisir  a  regarder  les  fautes  ou  erreurs,  plustôt  que  goûter  et 
savourer  en  bonne  dévotion,  les  faits  et  miracles  du  benoît  Sau- 
veur ».  L'avis  de  ces  fous  était  déjà  partagé  par  beaucoup  de 
sages  2,  et  nous  touchons  à  la  fin  d'un  genre  :  la  Passion,  devenue 
objet  de  dérision  et  de  scandale,  allait  quitter  définitivement  les 
grandes  villes,  pour  se  réfugier  dans  les  villages  et  les  provinces 
éloignées. 


i.  Pour  les  autres  représentations  de  la  Passion  a  Tours,  i4i><>.  ii~>~.  [4S"J>  lffl> 
(Résurrection),  voir  Guiraudet  Hist.  de  Tours,  et  l'abbé  Métais,  B.  de  la  S.  d'archéol. 
de  Touraine  (1S89). 

1.  Le  témoignage  peu  connu  et  peu  suspect  du  pieux  L.  Vives  vaut  pour  la  France, 
comme  pour  l'étranger  ;  le  voici.  —  Saint  Augustin,  De  In  Cité  de  Dieu,  illustrée  des 
Ciimra.  de  Jean  Loys  Vives  de  Valence  m  dit.  de  Gentian  Hervet,  i584)  livre  VIII, chap. 
zxvii,  p.  254.  Scandale  grand  </<•  représenter  la  passion  de  nostre  Seigneur  par  person- 
nages... C'est  maintenant  la  coustume.au  temps  qu'on  célèbre  la  sainte  l'esté  de  Jésus- 
Christ,  qui  a  délivré  le  genre  humain  par  sa  mort,  d'exhiber  au  peuple  des  jeux  qui  in- 
diffèrent presque  rien  de  ces  vieux  jeux  scéniques  des  païens  Ht  quand  je  ne  dirais 
autre  chose,  quiconques  orra  dire  qu'on  l'ait  des  jeux  en  une  chose  tort  sérieuse, 
il  estimera  que  c'esl  une  chose  assez  laide  el  deshonneste.  Là  on  se  rit  de  Judas,  qui 
>c  vante  des  choses  1rs  plus  ineptes  du  monde,  cependant  qu'il  trahit  Jésus-Christ  : 
laies  disciples  s'enfuyenl  les  gensdarmes,  les  poursuyvans,  non  pas  sans  une  grande 
risée  des  joueurs,  et  des  spectateurs.  Là  s.  Pierre  coupe  l'oreille  à  Malchus  :  le  peuple 
habillé  de  noir  luy  applaudissant,  comme  si  la  captivité  de  Jésus-Christ  estoit  ainsi 
vangée.  Et  un  peu  après  luy  qui  avait  combattu  si  vaillamment,  estant  espouventé  à 
la  demande  d'une  simple  chambrière,  renie  son  maistre,  la  multitude  se  riant  de  la 
chambrière  qui  luy  demande,  et  sifflant  Sainct  Pierre  qui  le  nie  Entre  tant  de  gens 
qui  jouent,  entre  tant  de  risées  tan!  de  folies,  il  n'y  a  que  Jésus-Chrisl  seul  qui  soil 
sérieux,  et  qui  tienne  aucune  sévérité  ;  et  la  ou  il  s'efforce  d'esmouvoir  les  passions 
de  douleur  et  de  tristesse,  je  ue  scaj  comment  il  refroidit,  non  pas  seulement  la, 
mais  aussi  aux  choses  sacrées  el  saintes,  avec  une  grande  meschanceté  et  impiété, 
non  pas  tanl  de  ceux  qui  regardent  ou  qui  jouent,  comme  de  ceux  qui  l'ont  fain 
choses.  Nous  parlerons  par  aventure  de  ceci  en  un  lien  plus  commode.  » 


316  LA    PASSION   DE   TOURS 

Si  l'on  réfléchit  à  tous  ces  textes  et  à  tous  ceux  qui  vont  suivre 
pour  le  Centre  et  le  Midi  de  la  France,  si  l'on  se  rappelle  toutes 
les  représentations  connues  par  de  simples  mentions  —  dont  on 
peut  d'ailleurs  augmenter  indéfiniment  le  nombre  —  on  se  con- 
vainct  facilement  que  les  Passions  françaises  sont  trop  multipliées 
pour  être  réduites  à  une  unité  systématique,  mais  plus  facilement 
encore  que  les  exceptions  confirment  la  règle.  Les  pièces  les  plus 
importantes  sont  celles  qui  nous  étaient  depuis  le  plus  longtemps 
connues  :  Passion  Sainte-Geneviève,  Passion  d'Arras,  Passion  de 
Greban,  Passion  de  J.  Michel.  Et,  comme  il  arrive  toujours,  c'est 
sur  les  pièces  les  plus  connues  et  les  plus  étudiées  qu'il  restait  et 
qu'il  reste  le  plus  à  dire. 


III 


LES 


MYSTÈRES  DU  CENTRE  ET  DU  MIDI 


LES 

MYSTÈRES  DU  CENTRE  ET  DU  MIDI 

LES   IMITATIONS  DE   L'ÉVANGILE   DE  NICODÈME 

LA  PASSION  SELON  GAMALIEL 
ET    LA    VIE   DE   JÉSUS-CHRIST   DE    i  r,s:> 


Entre  les  mystères  du  Nord  et  ceux  du  Midi,  il  y  a  une  transi- 
tion toute  naturelle,  les  mystères  du  Centre,  peu  nombreux,  de  date 
assez  récente,  et  qui  semblent  au  premier  abord  peu  instructifs. 
Le  plus  long  et  le  plus  soigné  est  un  Mystère  encore  inédit  «  de  la 
Conception.  Nativité.  .Mariage  et  Annonciation  de  la  Vierge  »'  qui 
fut  représenté  entre  1481  et  1496  devant  la  comtesse  et  le  comte  de 
Montpensier,  daupbin  d'Auvergne,  et  qui,  de  la  «  librairie  »  «le 
Moulins,  a  passé  au  Musée  de  Chantilly.  Il  est  divisé  en  trois  jour- 
nées et  comprend  environ  douze  mille  vers.  Cbaque  journée  com- 
mence et  se  termine  par  une  allocution  du  messager,  qui  se 
présente  d'abord  pour  saluer  rassemblée  et  annoncer  le  jeu  : 

Messagier  courtoix  venu  suis 
De  la  boue  cité  de  Pai  i-. 

Assize  en  France  la  jolie 

Salut  a  la  noblesse 

Laquelle  icy  est  assamblée  ; 

Premier,  a  la  personne  très  redouptée, 

Et  en  noblesse  haut  belevée 

De  Monpansier  trespuissant  conle 

1.  Catal  du  Musée  (I:-  Chantilly,  t.  I.  p.  îi>;.  Man.  n  65^  —  r  journée  Histoire  de 
Joachin  et  d'Anne;  naissance  de  la  Vierge;  3  journée  (la  plus  longue)  enfance  et 
éducation  de  la  Vierge  an  temple,  son  mariage;  >  journée.  •  Non-  voyons  d'abord  en 
scène  les  personnages  qui  figurent  au  début  du  Mystère  </<■  lu  Passion  d'Arnoul 
Greban  :  Adam,  Eve,  Abel,  Abraham,  Isaac,  Jacob,  Sarah,  \. ><■.  David,  Isaïe,  Jérémie, 
Dieu,  .lu-iicc.  Vérité,  Miséricorde,  Paix  Là  cesse  la  ressemblance  :  le  texte  est  entiè- 
rement différent  :  aucun  emprunt  n'a  été  l'ait  aux  autres  mystères  connus,  dil  la  notice 
du  Ms.  que  r«ui  B'esl  borné  a  résumer. 


320  LES    MYSTÈRES 

Et  a  Madame 

Bel  mistere  ycy  vous  voyrrés 
Et  silence  vous  nous  donrez 

Afin  que  le  jeu  se  parface 

Joachin,  sa,  de  par  Dieu, 
Comaneez  nostre  saint  mistere. 

Ce  début  suffit.  Ce  n'est  pas  seulement  le  messager,  mais  le  texte 
lui-même,  qui  est  venu  de  Paris  en  droite  ligne,  et  si  le  mystère, 
comme  on  nous  le  dit,  diffère  des  «  autres  mystères  connus  »,  il 
est  taillé  absolument  sur  le  même  patron.  D'autres  pièces  plus  an- 
ciennes et  plus  intéressantes  ne  nous  sont  connues  que  par  la 
simple  mention  de  leur  représentation.  Nous  ne  savons  rien  par 
exemple  de  la  Passion  jouée  à  Saint-Flour,  les  10,  n,  12  juin  i^q.5, 
rien,  sinon  qu'elle  durait  trois  jours  '.  Il  nous  reste  beureusement 
une  Passion  française  inédite,  jouée  en  Auvergne  avant  1^77,  qui 
se  rattacbe  tout  naturellement  au  théâtre  du  Midi,  puisque,  nous 
le  verrons,  elle  est  prise  aux  mêmes  sources  que  les  mystères 
rouergats. 

Si  nous  n'avons  conservé  qu'un  très  petit  nombre  de  pièces  mé- 
ridionales, elles  ont  suffi  pourtant,  grâce  à  une  ingénieuse  inter- 
prétation2, pour  retracer  l'évolution  du  genre  dramatique.  A  ses 
débuts,  le  théâtre  méridional  était  loin  d'être  asservi  à  celui  du 
Nord,  et  il  s'en  distinguait  notamment  par  une  grande  variété  de 
rythmes  3  ;  graduellement  il  s'est  laissé  dominer  par  les  modèles 
français,  si  bien  qu'il  a  fini  par  perdre  sa  versification  et  sa  langue 
propres.  Toutes  les  œuvres  que  nous  avons  à  énumérer,  ou  peu 
s'en  faut,  se  ressentent  déjà  plus  ou  moins  de  cette  influence  fran- 
çaise, et  ce  n'est  certainement  pas  dans  les  mystères  consacrés  a 
l'histoire  du  Christ  que  l'on  trouvera  grande  originalité.  Voici  ceux 
qui  nous  sont  parvenus. 

i°  L'Esposalizi  de  Nostra  Dona,  de  la  fin  du  xme  ou  du  com- 
mencement du  xive  siècle,   inspirée  par  un  poème  de  bateleurs 

1.  Signalée  par  A.  Thomas,  Bomania,  1892,  p.  420. 

2.  Romania,  1894,  p.  5a5j  A .  Jeanroy,  Observations  sur  le  théâtre  méridional  du  x\" 
siècle. 

3.  Il  serait  intéressant  de  comparer  à  la  Ste  Agnès  provençale  la  pièee  lorraine  sur 
le  même  sujet,  jouée  le  21  mai  1409,  et  signalée  par  M.  Jacquot  dans  les  comptes  des 
ducs  :  «  Et  celuy  jour  on  fit  le  jeu  de  Madame  sainte  Agnel.  » 


DU    MIM  321 

français,  le  même,  qui  a  été  copié  plus  tard  dans  la  Nativité 
Sainte-Geneviève.  La  légende  d'Anastayse  qui  figure  dan-  ces 
deux  pièces  reparaîtra  encore  dans  la  Nativité  provençale  perdue, 

jouée  à  Toulon  en  i33'3,  et  dans  un  petit  jeu  dos  Trois  Rois,  en 
Vers  français,  composé  eu  Provence  vers  la  fin  du  w  siècle  '  ;  elle 
a  complètement  disparu  dans  ieJoieulx*  mistere  des  Trois  Rois, 
rimé  en  i.V,o  par  le  basochien  Jean  d'Abondance,  notaire  royal  à 
Pont-Saint-Esprit.  Un  «  Rustique  ))  ou  un  Vilain  est  le  seul  per- 
sonnage «le  la  pièce  qui  parle  encore  ou  plutôt  qui  écorche  là 
langue  du  pays. 

2°  La  Passion  gasconne  ou  catalane  du  manuscrit  Didot  '  daté 
de  i345, qui  nous  offre  la  première  réunion  en  une*  seule  pièce  de  la 
Passion  et  de  la  Résurrection.  La  pièce,  très  courte  et  presque  tou- 
jours grave  de  ton.  s'ouvre  par  la  guérison  de  l' Aveugle-Né  ;  elle 
se  continue  par  la  résurrection  du  Ladre,  l'expulsion  des  Vendeurs 
du  temple,  le  pardon  accordé  à  la  femme  adultère.  l'Entrée  triom- 
phale à  Jérusalem,  le  Repas  chez  Simon  où  la  profusion  des  par- 
fums par  la  pécheresse  Madeleine  provoque  la  trahison  de  Judas. 
l'envoi  des  apôtres  Pierre  et  Jean  vers  l'homme  au  pot  d'eau  ou  à 
la  canne  pour  préparer  la  Cène,  L'institution  de  l'Eucharistie,  la 
veillée  au  Jardin  des  Oliviers,  l'arrestation  du  Christ  et  ses  divers 
interrogatoires,  la  condamnation  et  la  crucifixion  (sommairement 
représentée), la  plainte  de  la  Vierge  au  pied  de  la  croix,  la  guérison 


1.  Publié  par  M.  Isnard,  Coin,  des  trav,  hist.,  Hist.  et  phil.,  [896,  p.  ;nj  a  jaa. — 
L'attribution  snib  réserves  de  ce  petit  mystère  anonyme  ;i  un  auteur  connu.  Jean  de 
Perier,  dit  le  Prieur,  qui,  suivant  Lecoy  de  la  Marche,  </<■  Roi  René,  t. II,  p.  i44)j  aurait 
composé  ou  retouché  au  goût  de  9on  patron,  le  Roi  René,  deux  mystères,  les  Trois 
/{ois  et  In  Nativité,  cette  attribution  parait  bien  douteuse.  Far  la  facture,  la  langue, 
la  versification,  ces  Trois  /lois  ne  ressemblent  guère  a  une  œuvre  authentique  de 
.1.  du  l'erirr,  li-  mystère  inédit,  mais  souvent  et  longuement  analysé,  avec  extraits, 
.lu  Roy  Advenir  (et.  1'.  de  Julleville,  les  Mystères,  p  i;*>  On  ne  parle  pas  de  la  Résur- 
rection anonyme  d'Angers  1 1  {56)  puisqulci  l'attribution  n'esl  que  probable  ou  possible. 

■1.  Bib  N'at  .  Ms.  (réserve),  n.  a  iv.  {,oaa.  —  Epithète  caractéristique,  qui  parait  mal 
Interprétée  par  I*.  de  Julleville  (Les  Mystères,  t  I.  p.  378);  il  y  voit  une  «exception  >> 
Unique,  tardive,  et  l'explique  par  «  les  folies  »  du  Vilain  qui  n'j  -ont  pour  rien. 
L'Adoration  des  Rois  Mages  a  toujours  été  un  «  joieux  mystère  «dans  le-  deux  sens 
.lu  mot  mystère,  et  elle  Bgure  a  ce  titre  dans  les  Quinze  joies  de  Notre-Dame  qui  sont 
du  mu  siècle  (6   joie). 

;  aujourd'hui  Bibl.  Nat.  Ms.  n.  a.  iv  ;.•■;••  -  Pour  abréger,  nous  la  désignons 
■sou-  le  nom  de  Passion  Didot. 

21 


322  LES    MYSTERES 

deLongin,laDescente  aux  enfers,  la  Résurrection  du  tombeau  gardé 
par  les  chevaliers  de  Centurion,  et  les  apparitions  du  Christ  jus- 
ques  et  y  compris  l'incrédulité  et  la  conviction  de  Thomas.  Le  drame 
finit  avec  les  Evangiles,  et  tous  les  acteurs  entonnent  le  Te  Deum. 
La  première  partie  de  la  pièce  n'est  guère  qu'une  paraphrase  des 
Evangiles  canoniques,  complétée  par  une  longue  légende  de 
Judas  ;  la  seconde  offre  des  rapports  manifestes  avec  les  derniers 
drames  liturgiques  de  la  Résurrection,  notamment  celui  de  Tours1, 
mais  s'inspire  principalement  de  l'Evangile  de  Nicodème.  Cette 
Passion  si  simple  serait-elle  originale,  c'est-à-dire  tirée  directement 
des  textes  précités,  ou  bien  celte  simplicité  même  serait-elle  déjà 
une  imitation,  un  écho  plus  ou  moins  fidèle  de  Passions  françaises 
perdues?  C'est  très  possible, mais  cette  question,  une  des  plus  im- 
portantes que  soulève  le  texte  méridional,  ne  sera  résolue  que  par  la 
publication  intégrale  du  manuscrit  par  le  savant  de  notre  temps 
le  plus  versé  dans  les  études  romanes.  Ici  comme  précédemment, 
on  n'a  parlé  de  la  Passion  Didot  que  pour  mémoire,  uniquement 
parce  qu'il  était  impossible  d'étudier  sans  elle  le  développement 
du  mystère  de  la  Passion  en  France,  et  plus  spécialement  les  mys- 
tères ronergats.  Ce  qu'on  se  propose  de  démontrer,  c'est  que  ni 
cette  Passion  Didot,  ni  ces  mystères  rouergats  ne  présentent  avec 
la  Passion  française  d'Arras  les  «  rapports  étroits  de  parenté  »  ou 
de  dérivation  qui  ont  été  signalés. 

3°  De  l'année  i345  au  commencement  du  seizième  siècle,  nous 
ne  rencontrerons  plus  que  de  brèves  mentions  de  spectacles2,  et  de 


i.  Rapports  signalés  par  M.  Sepet  dès  18S0  (art.  reprod.  dans  les  Origines  catholiques 
du  théâtre  moderne,  190a,  p.  23g). 

2.  Parmi  ces  mentions  qu'il  est  si  facile  «le  réunir  et  d'augmenter  avec  les  inventaires 
d'archives  imprimés,  rappelons-en  seulement  deux,  dont  la  seconde  est  intéressante 
parce  qu'elle  montre  nettement  comment  les  prédicateurs  du  Midi  comme  ceux  du 
Nord,  fournissaient  souvent  les  courtes  Passions  jouées  le  Vendredi-Saint: 

a.  Arch.  delà  Drôme,  t.  VI,  p.  170.  Compte  des  syndics  de  Livron;  Année  1484. 
«  4  llorins,  38  gros  pour  la  despens  «  don  joc  de  la  Passion  et  de  la  Resurrexion  :  16 
gros  «  per  la  despensa  dou  predicayre  »  —  1  gros  a  Escolenc  «  per  certans  abilhamens 
de  diebles  »  —  1  gros  «  per  una  eyponge  que  se  perde  ».  —  3  gros  a  Aspais  «  per  un 
chapel  per  lo  joc  que  fazia  Nicodemus  a  la  Passion  ».  —  5  gros  à  Danteville  pour  les 
rôles  écrits. 

Item.  Drôme,  t.  VI,  Délib.  consul,  de  Romans.  Le  3o  mai  i4">3,  le  prédicateur  Jean 
Alamaud,  après  son  sermon  du  Vendredi  saint,  fait  jouer  la  Passion  sous  les  ormes  du 


DU    MIDI 

rares  fragments,  tantôt  français,  tantôt  dialectaux  :  un  feuillet  <lc 
la  3'  journée  d'une  Passion  française  de  la  fin  du  \v  siècle,  trouvé  ' 
dans  les  archives  de  Reillanc  (B. -Alpes),  lequel  contient  la  fin  du 
rôle  de  l'apôtre  Saint  Simon  et  nous  conduit  jusqu'aux  dernières 
apparitions  du  Chris!  après  la  Résurrection;  neuf  vers  d'une  Pas- 
sion languedocienne  jouée  en  i5io  à  Caylux*  (Tarn-et-Garonne)  ; 
entre  les  deux  l'importante  compilation  des  mystères  rouergats, 
véritable  cours  d'histoire  sainte  qui  va  de  la  Création  du  monde 
au  Jugement  dernier  et  qui  est  l'objet  principal  de  cette  étude. 

Les  sources  de  cette  compilation  sont  très  variées.  La  première 
de  ces  sources,  signalée  par  M.  A.  Jeanroy,  n'est  autre  que  la  Pas- 
sion Didot,  qui  reparait  inopinément  après  deux  siècles  '.  La  se- 
conde peut  être  retrouvée  par  voie  d'induction  et  d'élimination. 
En  effet,  les  ouvrages  ou  les  chapitres  d'ouvrages  méridionaux  qui 
nous  sont  parvenus  sur  la  vie  de  Jésus-Christ  paraissent  peu 
nombreux  *,  et  ils  n'ont  rien  de  commun  que  le  sujet  avec  la 
compilation  roucrgale.  Celle-ci  parait  inspirée  en  grande  partie 
par  l'Evangile  de  Nicodème.  C'est  donc  à  cet  Evangile,  à  ses 
traductions  et  imitations  qu'il  faut  nous  attacher.  Le  problème 
des  mystères  rouergats  n'est  qu'un  cas  particulier  d'un  problème 
plus  général  et  plus  étendu. 

Dans  tous  les  poèmes  de  jongleurs  et  tous  les  mystères  du  Nord 
sur  la  Passion,  depuis  les  plus  anciens  jusqu'aux  plus  récents  nous 
avons  déjà  reconnu  des  souvenirs  plus  ou  moins  prolongés  du 
plus  célèbre  des  apocryphes  ou  de  l'Evangile  de  Nicodème. 
Tantôt,  comme  on  l'a  vu,  ces  poètes  du  Nord  consultent  directe- 
ment un  texte  latin,  tantôt,  c'est  le  cas  du  poète  d' An-as  ou  d'Eus- 


cimetière  des  Frères  Mineurs.  Nombreuses  mentions  analogues  jusqu'au  \\i  siècle  : 
Ex.  t.  VI,  3io.  Don  de  20  florins  «  aux  personnages  qui  l'ont  le  mistere  (pic  le  pres- 
cheura  baillié  pour  faire joyer  If  vendredi  saint,  [3 avril  [53o  ». 

i.  Par-. M.  I*.  Meyer,  Eomania,  1902,  p.  io5-ioG. 
a.  P.  dr  Juileville,  les  Mystères,  1 .  II.  p    pg 

3.  Mystères  provençaux  du  quinzième  siècle  publiés  par    \.  Jeanroy  <•!  II.  Teulié, 
Toulouse,  Privai,  îs.ji,  [ntrod    p.  xvj. 

\.  Exemples:  Bibl.  Nationale,  f.  espagnol,  m-    636    Vie  de  Jésus  légendaire;  ibidem 
11,  ci  mis    fr.  2g.  Vie  de  Jésus  de  Fr     E  xi  menez,  surtout   théologique,      pour  les  frag 
ments  ou  chapitres  détachés,  B.    N.  n.  a.  Fr.,    j ■"»•"'.  roi.  [-8,  ci  Hist.  littéraii 
France,  t.  32,  p.  3j,  É5S  cl  10;. 


324  LES  MYSTÈRES 

tache  Mercadé,  à  ce  texte  latin  ils  joignent  une  ancienne  tra- 
duction en  prose  française  reconnaissable  à  des  noms  propres 
détermines  '  (Othiarius,  Simine,  etc.).  Le  même  fait  a  pu  se  repro- 
duire au  Midi  de  la  France  et  peut-être  y  retrouverons-nous  une 
double  imitation  analogue  du  texte  latin  et  de  ses  traductions  et 
paraphrases. 

Un  des  ouvrages  méridionaux  les  plus  populaires  est  justement 
un  Evangile  de  Nicodème  en  vers  provençaux' ,  lequel  a  reçu  au 
xive  siècle  une  traduction  partielle  en  vers  français  dans  un  poème 
manuscrit3  de  la  Bibliothèque  de  Turin  qui  avait  pour  explieit  : 
Liber  de  morte  Christi.  L'auteur  français  anonyme  dont  nous 
allons  parler  a-t-il  eu  à  sa  disposition  une  traduction  en  vers  fran- 
çais analogue  à  celle  de  Turin,  mais  plus  complète  et  correspon- 
dant non  plus  seulement  «  aux  mille  premiers  vers4  »,  à  la  pre- 
mière moitié  de  l'Evangile  provençal,  mais  à  son  texte  tout  en- 
tier? Et  se  serait-il  contenté,  suivant  un  usage  bien  connu,  de  lui 
enlever  ses  rimes  ?  Cette  hypothèse  n'est  pas  impossible,  elle  sé- 
duit au  premier  abord,  tant  le  style  de  cette  composition  en  prose 
française  du  xive  siècle  est  poétique.  Cependant  la  collation  atten- 
tive des  textes  et  le  relevé  des  chiffres  et  des  contre-sens  communs 
nous  inclinent  plutôt  à  penser  que  cet  arrangeur  a  dû  travailler 
sans  intermédiaire,  directement'  sur  \Evan  gile  de  Nicodème  en 
vers  provençaux.  Au  reste,  il  ne  s'est  nullement  borné  à  le  tra- 
duire en  prose  française  ;  il  en  a  plus  d'une  fois  interverti  les  cha- 


i.  Simine  et  Othiarius,  noms  qui  ne  se  retrouvent  tels  quels  clans  aucun  des  Ms 
latins  collationnés  par  Tischendorff  (Eeang.  apocrypha,  éd.  de  iS;6,  p.  336,  note  du 
chap.  I),  mais  qui  se  retrouvent  dans  la  Passion  d'Arras.  comme  on  l'a  noté  p.  269, 
note  (>  de  ce  livre.  —  Les  Ms.  de  cette  traduction  française  de  l'Ev.  de  Nicodème  ont 
été  signalés  par  .M.  P.  Meyer,  B.  de  la  S.  des  anciens  textes  fr.  i8S5,  p.  49-  —  Ajouter 
Dijon,  ms.  11°  298,  f.  178  r°. 

2.  Imprimé  en  partie  par  Raynouard  {Lexique  Roman,  t.  I,  p.  5;;,  et  in  extenso  par 
Herm.  Suchier,  Denkmâler  provenzalischer  Lileratur,  etc.  Halle,  i883,  t.  I,  p.  i-y3. 

Cf.  YHist.  littéraire  de  la  France,  t.  32,  p.  102-10O. 

3.  L.  VI.  36  du  Catalogue  de  Pasini,  t.  II,  p.  499-  Cette  traduction  aujourd'hui  brûlée 
a  été  signalée  par  M.  Herm.  Suchier,  Zcilsehrijt.  fur  roman.  Philologie,  1884,  p-  429- 

4.  Fait  signale  par  M.  Herm.  Suchier,  l.  e. 

5.  C'est  ce  que  l'on  essaiera  de  démontrer  en  étudiant  dans  le  détail  la  composi- 
tion de  celte  Passion  selon  Gamaliel  comparée  à  celle  des  .Mystères  rouergats,  p.  3g5 
et  suiv.  de  ce  livre. 


DU    MIDI 

pitres  et  doublé  le  lexte  en  y  insérant  divers  récits  tire'--  des  Evan- 
giles canoniques,  et  diverses  légendes  qu'on  retrouve  dans  dis 
poèmes  connus.  C'est  donc  un  véritable  roman  ou  mieux  encore, 
qu'on  nous  [tasse  cette  expression,  un  véritable  poème  en  prose, 
l'auteur  est  un  pauvre  poète,  mais  un  poète  plutôt  qu'un  roman- 
cier. En  tout  cas  le  nouvel  ouvrage  a  été  extrêmement  populaire, 
à  en  juger  par  le  nombre  des  manuscrits  qui  nous  l'ont  conservé 
et  des  transformations  qu'il  a  subies  jusqu'au  xix  siècle. 

Le  dit  poème  en  prose  française  du  xiv"  siècle  est  intitulé  dans 
les  manuscrits1  soit  :  Le  Procès  de  la  Passion  et  de  la  résurrec- 
tion de  le  su  Crist.  soit  :  Le  Procès  et  Romain  (sic)  de  la  mort  et 
Passion  de  Xostre  Seigneur  Ihesus  Crist;  soit  encore  :  Cj' 
s'ensuit  la  Passion  de  Nostre  Seigneur  Ihesus  Crist  selon  Nicho- 
demus  et  Gamaliel  son  oncle.  D'autres  manuscrits  n'ont  pas  de 
titre  particulier.  Pour  abréger  et  éviter  les  confusions  nous  appel- 
lerons l'ouvrage  :  la  Passion  selon  Gamaliel.  Cette  Passion  selon 
Gamaliel  a  été  elle-même  traduite  vers  la  fin  du  XIVe  siècle  en 
prose  provençale,  comme  l'a  signalé  M.  Paul  Meyer*.  D'autre 
paît,  l'original  français  ou  la  Passion  selon  Gamaliel  manus- 
crite a  fini  par  être  imprimée  en  Bretagne  par  Robin  Fouequet. 
au  beau  milieu  d'une  compilation  déjà  plusieurs  fois  signalée, 
la  Vie  de  Jesu  Crist  de  i485.  Elle  y  a  reçu  diverses  additions 
ou  interpolations  empruntées  en  grande  partie  à  la  Passion 
française  composée  en  i'iijH  pour  Isabeau  de  Bavière.  Le  vieux 
poème  en  prose  française  se  présente  donc  à  nous  sous  trois  for- 
mes ou  versions  diverses,  et,  s'il  a  inspiré  successivement  la  Pas- 
sion d'Auvergne  et  les  Mystères  rouergats,  c'est  dans  «les  condi- 
tions différentes  qui  doivent  être  examinées  séparément. 


i.  [.es  principaux  manuscrits  onl  été  indiqués  par  M.  P.  Meyer  {Romani 
p,  .m,,  :  Bibliothèque  de  Grenoble,  ms.  5o  (xn  siècle)  :  Rome,  Y.it.,  Chrisl 
l'arN.  Arsenai  5,366;  Bib.  Didot.  Catal.  des  mss    vendus  en  juin  issi .  n 

Ajouter  encore  Besançon,  ms.  588,  fol  tàa5i  ;  Valenciennes,  54i  ;  Paris,  B.  N.  iv. 
<i7'.i:  ibid.  IV.  •!(  [38,  lui.  i  jn  v*  el  suiv.  ;  n.  a.  IV.  i,o85,  fol.  83  à  iji  w\  Musée  de 
Chantilly,  898. 

2.  B.  N.  fr.  34,945,  f.  9a  à  106,  traduction  signalée  par  M.  P  Meyer  (Romania  1898, 
p.  1  ».!.  -  Une  autre  traduction  (B  V  ms.  IV.  1,919  (xv«  siècle)  est  incomplète  au  com- 
mencement et  .1  la  lin.  m;ii>  illustrée  <!<■  curieux  dessins  <'t  diffère  très  sensiblement 
de  la  précédente. 


326  LES    MYSTÈRES    DU    MIDI 

Le  manuscrit  unique  de  la  Passion  d'Auvergne  est  daté  de  i4", 
mais  la  pièce  même  est  antérieure.  Il  s'en  suit  que  Fauteur  auver- 
gnat a  connu  la  Passion  selon  Gamaliel  par  un  manuscrit.  Ses 
emprunts  sont  assez  nombreux  et  assez  marqués  pour  qu'on  puisse 
affirmer  le  fait.  Rien  ne  montre  qu'il  ait  profité  des  additions  et 
interpolations  de  l'imprimé,  lesquelles  d'ailleurs  ne  sont  peut  être 
pas  antérieures  à  l'impression  (i485). 

Le  problème  est  plus  compliqué  pour  les  Mystères  rouergats 
qui,  nous  le  savons  par  d'autres  indices,  sont  au  plus  tôt  des  der- 
nières années  du  xve  siècle.  Où  l'auteur  rouergat  a-t-il  lu  la  Pas- 
sion selon  Gamaliel?  Dans  un  manuscrit  français,  dans  un  manus- 
crit provençal,  dans  l'imprimé  français  de  i485  ou  dans  l'une  de 
ses  nombreuses  réimpi^essions?  Pour  le  savoir,  on  est  d'abord 
obligé  de  mesurer  exactement  les  interpolations  faites  dans  la 
Passion  selon  Gamaliel,  telle  qu'elle  a  été  imprimée  en  i4H5.  Non 
seulement  il  faut  comparer  cette  Passion  dans  les  manuscrits  et 
dans  l'imprimé,  mais  il  faut  examiner  la  Vie  de  lesu  Crist  ou  la 
compilation  imprimée  tout  entière,  parce  que  la  première  partie 
de  cette  compilation  développe  déjà  souvent  les  mêmes  scènes  que 
les  Mystères  rouergats.  C'est  après  cette  enquête  seulement  qu'on 
pourra  reconnaître  le  véritable  modèle  de  l'auteur  rouergat.  En 
réalité  il  a  suivi  un  manuscrit,  mais  qui  ne  ressemble  exactement 
à  aucun  des  deux  manuscrits  provençaux  qui  nous  sont  parvenus 
et  qui  devait  se  rapprocber  du  manuscrit  français  employé  par 
Robin  Foucquet,  abstraction  faite  des  interpolations.  De  plus,  par 
un  singulier  hasard,  il  semble  bien  que  l'auteur  rouergat  ait  en 
outre  consulté  Y  Evangile  de  Nicodème  en  vers  provençaux  lui- 
même. 

Ces  faits  compliqués,  mais  que  nous  croyons  certains,  détermi- 
neront la  marche  de  cette  discussion.  On  examinera  d'abord  la 
Vie  de  Iesucrist  de  i485  tout  entière  et  dans  cette  compilation  on 
analysera  en  particulier  la  Passion  selon  Gamaliel.  de  telle  sorte 
qu'il  soit  possible  de  discerner  les  interpolations  et  de  voir  ce  que 
l'imprimé  ajoute  aux  manuscrits  français  et  provençaux.  Comme 
pièces  justificatives  on  donnera  ensuite  quelques  extraits  textuels 
de  cette  Vie  de  lesu  Crist  rapprochés  des  manuscrits,  et  qui  per- 
mettront de  suivre  la  série  des  emprunts  signales  pour  l'Evangile 
de  Nicodème  en  vers  provençaux,  la  Passion  d' Auvergne  et  les 


LA    VIE    DE    JESU    CRIST    DE    1485  327 

Mystères  rouergats.  Le  modèle  bien  connu,  il  ne  restera  plus  qu'à 
reprendre  en  détail  les  imitations  qui  nous  intéressent  spéciale- 
ment, c'est-à-dire  la  Passion  d'Auvergne  précitée  el  Les  Mystères 
rouergats  avec  leurs  sources  diverses. 

Voyons  d'abord  la  Vie  de  Jesu  Crist  de  i^S5.  L'ouvrage  a  été 
maintes  fois  décrit  par  les  bibliographes1,  au  point  de  vue  des 
caractères,  de  la  signature  des  cahiers,  des  erreurs  dans  la  numé- 
rotation des  feuillets,  niais  il  ne  semble  pas  qu'on  en  ait  encore 
déterminé  les  sources  et  les  manuscrits.  En  voici  d'abord  le  titre  : 

Fo!  1.  sign.  Aii.    l'o)  U  nom  de  la  benoiste  et  saincte  trinite  ||  Amen. 

A    tous    bons  et    vraiz    crestiens   ||    — A  la  fin  :)  Cy  finist  le  liure 

nomme  la  rie  de  iesuerist  ou  ||  quel  est  comprinse  la  création  de  Adam 
de  eue  et  ||  du  mon  ||  -do  iusques  a  la  passion  et  resurrectiou  (s>ej  ||  La 
vie  nostre  dame.  La  vie  saint  iehan  baptiste.  La  vie  de  iudas  et  pluseurs 
aukres  beaulx  ||  histoires.  Imprimé  par-  Robin  Foucquet  ||  et  Iebau  fsic) 
Cres.  Le  derrenier  iour  dapuril.  Lan  ||  mil  iiih'  iiii^x  et  cincq  (1485).  Deo 
giatias.  ||  Robin  Foucquet.  ||  —  S.  1.  [Biehant-Loudeac  ?]  1485. 

In-4°  de  i5a  feuillets  chiffrés,  plus  i  f.  préliminaire.  Car.  gothi- 
ques a  longues  lignes.  (Bib.  Nat.  Réserve,  H  5o6  (i)  ;  manque  le 
frontispice.) 

Ce  long  titre  donne  déjà  une  idée  du  livre  qui  commence,  en 
effet,  après  un  court  prologue,  par  la  Création  des  Anges  et  la 
révolte  de  Lucifer,  suivie  de  la  création  du  monde  et  de  nos  pre- 
miers parents  destinés  à  remplir  les  sièges  vides  du  Paradis.  La 
chute,  l'origine  de  la  pomme  d'Adam  qui  se  serre  à  la  gorge  dès 
qu'il  a  avalé  un  morceau  «lu  fruit  fatal,  l'expulsion  du  Paradis,  le 
labeur  d'Adam  et  d'Eve,  le  meurtre  d'Abel  el  la  malédiction  de 
Caïn  sont  L'objet  de  récits  aussi  clairs  que  naïfs  .  Adam  meurt  à 
son  tour  non  sans  avoir  envoyé  son  lils  Setli  demandera  l'archange 


i .  Voir  en  particulier  la  dernière  description  extrêmement  détaillée,  p.  i'i  à  55,  dans 
l'Imprimerie  en  Bretagne  au  w  s  ècle,  publiée  [par  \  de  ta  Borderie]  pour  la  Société 
des  Bibliophiles  bretons.  Nantes,  1838 

a.  Cette   «   histoire   sainte   ».  entremêlée    de  citations   latines  de  la  Genèse  el  de 
Légendes  populaires,  ressemble  à  beaucoup  d'autres,  notamment  au  débul  de 
abrégée  de  Robert  d'Argenteuil,   mais  je  n'ai   i>u   l'identifier  et   n'en  connais 
manuscrits. 


328  LA   VIE    DE   JESU    CRIST    DE    1485 

du  Paradis  l'huile  de  miséricorde,  c'est-à-dire  trois  pépins  d'un 
arbre  merveilleux  qui  seront  plantés  sur  sa  tombe  et  donneront 
plus  tard  naissance  à  l'arbre  de  la  Croix  '.  Vient  ensuite  l'histoire 
du  patriarche  Xoé  qui  planta  la  vigne,  et  de  ses  trois  fils  qui  fon- 
dèrent les  trois  ordres  de  l'Etat  %  de  Moïse  qui  promulgue  la  loi 
écrite  ou  le  Décalogue,  de  David  qui  fait  le  Psautier  et  commence 
le  temple,  de  Salomon  qui  l'achève  et  fait  recouvrir  de  lames 
d'argent  la  poutre  merveilleuse  destinée  à  la  crucifixion  du 
Christ,  etc. 

De  ces  récits  merveilleux  qui  sont  évidemment  destinés  à  figu- 
rer le  Nouveau  Testament,  l'auteur  passe  brusquement  au  Christ 
lui-même  et  à  sa  famille.  Il  raconte  successivement  l'histoire 
d'Anne  et  de  Joachim3,  les  parents  de  Marie,  le  mariage  de  la 
Vierge  et  la  légende  de  la  verge  desséchée  qui  fleurit  aux  mains 
de  Joseph,  et  il  indique  la  nécessité  de  ce  mariage,  pour  tromper 
la  vigilance  du  diable,  ut  partus  diabolo  celaretur 4  ;  il  nous 
montre  les  anges  suppliant  Dieu  en  faveur  du  genre  humain',  et  il 
se  réjouit  avec  eux  de  l'Annonciation.  Puis  c'est  le  voyage  à  Beth- 
léem, la  détresse  de  Joseph  et  de  la  Vierge  dans  la  nuit  noire,  le 


i.  Fol.  ix  recto  (sign.  Biii)  et  suiv.,  traduction  abrégée  de  l'apocryphe  déjà  souvent 
cité  de  la  Pénitence  d'Adam;  le  l'ait  a  été  signalé  par  l'éditeur  du  Mistere  du  Viel  Tes- 
tament, t.  I,  p.  lxxij,  lequel  renvoie  à  l'analyse  donnée  par  M.  P.  Meyer  (Revue  cri- 
tique, I,  i,  p.  221). 

2.  Fol.  xiiii  r*.  Comment  noblesse  iint. —  Légende  populaire  déjà  étudiée  dans  la 
Passion  de  Semur. 

3.  Fol.  xviii  v"  à  xxvi  r*.  Traduction  libre  et  abrégée  du  Pseudo-Matthaei  Evange- 
liurn  ou  liber  de  ortu  B.  Mariae  (éd.  Tischendorff,  i8;(>,  p.  5i  à  112).  —  L'emprunt  est 
encore  marque  p.  xxv  r'  du  texte  français  par  la  citation  d'une  phrase  latine  altérée 
du  chap.  VIII  sur  le  mariage  de  la  Vierge  :  Ex  ea  virga  ex  qua  de  cacumine  egreditur 
Jlosipsi  trade  Mariam.  —  Cf.  Tischendorff,  p.  67,  note  2,  variantes. 

4.  Fol.  xxx.  «  Ut  diabolo  partus  filii  Dei  occultaretur  »  disent  les  Meditatione.s 
Yitae  Cltristi,  ch.  VI.  —  La  phrase  qui  remonte  à  St.  Jérôme  (in  Maith.  I,  18)  a  été 
souvent  copiée  et  citée  plus  ou  moins  exactement. 

5.  Fol.  xxxvi  r-.  a  Comment  les  anges  supplièrent  a  Dieu  qu'il  rachaptast  Iumain 
lignaige  »,  commence  une  traduction  abrégée  mais  suivie  des  Meditationes  Yitae 
Christi  du  pseudo-Bonaventure,  et  non  de  la  Vita  Christi  de  Lupold.  Si.  en  effet, 
ces  deux  ouvrages  se  ressemblent  fort,  et  si  Lupold  a  souvent  copié  textuellement 
les  Meditationes,  la  phrase  latine  que  le  compilateur  français  a  insérée  dans  son 
texte,  fol.  xxxiii  r°  :  «  Ex  ubere  de  celo  pleno  [Yirgo]  edocta  Spiritu  Sancto  Jesum 
lactauit  et  sub  lacté  per  lotam  corpus  liniait,  celte  phrase  se  retrouve  seulement 
dans  les  Meditationes  (ch.  VII,  De  nativitate  Christi  »  et  non  dans  la  Vita  Christi  de 
Lupold. 


LA    PASSION    SELON    GAMALIFI.  329 

prodige  «les  charbons  ardents  transformés  en  roses  ',  la  naissance 
du  Christ  et  La  Légende  connue  d'Anastasie  qui  recouvre  à  point 
nommé  ses  mains-.  L'ado  ration  des  Mages,  La  colère  d'Hérode  el 
Le  massacre  des  «  cent  quarante-quatre  mille  Innocents  ».  la  fuite 
en  Egypte  el  Le  retour  en  Judée,  la  première  prédication  de  Jésus 
au  temple  et  son  baptême  dans  Le  Jourdain  par  saint  Jean-Baptiste 
lequel  sera  bientôt  après  «  décolé  »  sur  l'ordre  du  fourbe  Hérode 
d'intelligence  avec  sa  femme  \  la  tentation  au  désert4,  Les  noces  de 
Gana  ou  de  St.  Jean  l'Evangéliste,  enfin  toute  la  vie  publique  du 
Christ  et  la  suite  de  ses  miracles  depuis  son  entretien  avec  la  Sa- 
maritaine jusqu'à  son  entrée  triomphale  à  Jérusalem.  Si  l'on  entre 
dans  le  détail,  on  reconnaît  que  cette  singulière  histoire  sainte  est 
une  mosaïque  compliquée  de  récits  très  divers  :  nous  y  retrouvons 
jusqu'à  des  légendes  du  vieux  poème  de  bateleurs  qui  a  inspiré 
YEsposalizi  de  Nostra  Dona  et  la  Nativité  Sainte-Geneviève.  Le 
fonds  ou  l'ouvrage  le  plus  souvent  mis  à  contribution,  c'est  le 
livre  des  Meditationes  Vitae  Christi,  dont  le  compilateur  trans- 
crit des  chapitres  entiers  et  qu'il  complète  finalement  par  une 
longue  légende  connue  du  traître  Judas,  fils  de  Ruben  et  de 
Gy borée  '.  Malgré  quelques  traits  analogues,  cette  première  par- 
tie, disons-le  tout  de  suite,  n'a  rien  de  commun  ni  avec  la  Passion 
d'Auvergne,  ni  avec  les  Mystères  Llouergats.  Il  n'en  sera  plus  de 
même  de  la  suite. 

La  seconde  partie  de  la  Vie  de  Jesu  Crist  de  i  £85  est  intitulée 
(p,  LXV1I  —  68  r°)  : 

Cy  commence  la  mort  et  la  passion  de  Iesucrist  laquelle  fut  faicte  et 
traictee  par  le  bon  maistre  Gamaliel  et  Nycodemus  son  nepveu  et  le  bon 

i  et  •.!  Fol.  \wii  r*.  «  Comment  Joseph  apporta  le  feu  au  diversoire  el  se  trouvèrent 
roses».  —  Fol.  xxxm  v«.  «  Comment  Joseph  alla  quérir  Anastasie  ».  Légendes 
venues  du  Itnunin  de  l'Annonciation  Nostre-Dame,  etc.,  el  déjà  étudiées  précédemment 
dans  le  chapitre  des  \fystères  Sainte-Geneviève. 

ï.  Fol.  lu  verso.  C'est  l'explication  <• pliquée  de  Bède  déjà  étudiée  dans  la  Passion 

de  Greban,  p,  -jUi,  n«  ao  el  p.  278  de  ce  livre.  Il  est  possible  que  le  compilateur  l'ail 
prise  Mans  le  livre  populaire  <ln  Ci  nous  dist  (B.  N.  ms  iv.  ja5)  où  elle  est  reproduite 
fol .  [58  v»,  col.  a. 

\.  Tous  ces  chapitres  de  la  vie  publique  de  Jésus  sont  de  nouveau  abrégés  'les 
Meditationes  Vitae  Christi.  Cf  notamment  fol.  xlviii  r*.  «  Comment  les  angea  de 
paradis  ministroienl  à  Jesucristnet  fol.  lxi,  épisode  de  la  Samaritaine  aux  chap. 
Wll  el  \\\l  de,  Meditationes. 

.">.  Légende  citée  et  étudiée  dans  la  Passion  <!<•  .1    Michel,  p.  a8B  de  ce  livre. 


330  LA.   PASSION    SELON   GAMALIEL 

chevalier  Joseph  d'Abarimathie,  disciples   secretz   de   nostre  seigneur, 
laquelle  s'ensuyt.  » 

Ce  récit  n'est  pas  autre  chose  que  la  version  en  prose  de  l'ancien 
poème  français  inspiré  par  l'Evangile  de  Nicodème  ].  L'auteur 
nous  présente  d'abord  ses  personnages  «  Pylate  qui  estoit  senes- 
chal  de  Hierusalem  pour  Julius  César  empereur  de  Homme  »  ; 
puis  les  conseillers  de  Pilate,  «  Nicodemus,  ung  gentilhomme  che- 
valier, lequel  avoit  cent  chevaliers  souhz  soi  qui  estoient  aux  gages 
de  l'empereur  »  ;  puis  l'oncle  de  Nicodemus  «  Gamaliel,  un  maistre 
a  Hierusalem  qui  lisoit  les  loys  de  Moyse  et  qui  estoit  moult 
saige  »  ;  enfin  «  ung  prudhomme  qui  avoit  nom  Joseph  Dabarima- 
thie  qui  estoit  né  naturellement  à  Barimathie  et  estoit  Juif  et  dis- 
ciple de  Ihesucrist  secrètement  ».  La  noblesse,  la  magistrature,  le 
tiers  état,  voilà  des  témoins  sérieux,  il  n'y  a  plus  qu'à  leur  céder  la 
parole  et  à  écouter  ce  que  «  racontent  Gamaliel  »  et  ses  amis  qui 
ont  suivi  Jésus  pas  à  pas. 

Jésus  est  parti  de  Betphagé  un  samedi,  la  veille  de  Pâques  fleu- 
ries, pour  aller  «  sermonner  en  Jérusalem  ».  Arrivé  aux  portes  de 
la  ville,  il  dit  à  ses  apôtres  saint  Pierre  et  saint  Philippe  de  lui 
amener  une  ànesse  et  son  poulain  que  le  propriétaire  ne  leur  refu- 
sera pas.  Les  apôtres  remplissent  leur  mission,  et  Jésus  reçu  en 
triomphe  par  les  Juifs  de  Jérusalem  se  rend  tout  droit  au  temple 
de  Salomon  «  ou  il  prêche  moult  amplement  de  la  loy  ».  Les  assis- 
tants sont  émerveillés  mais  aucun  ne  lui  ofl're  l'hospitalité,  si  bien 
que  Jésus  est  obligé  d'aller  loger  «  en  la  maison  de  Jacob,  père  de 
Marie  Jacobi,  et  là  menga  et  demeura  celle  journée  ».  Mais  cette 
entrée  triomphale  a  porté  à  son  comble  la  colère  de  la  Synagogue. 
Les  évèques  Anne  et  Cayphas  convoquent  leur  conseil  des 
«  XII  plus  grans  »  prudhommes  (Abderon,  Neptalin,  Boboan, 
Abraham,  Benjamin,  Jabes.  Sentabay,  Salubret,  Manimilat,  Leta- 
bitur,  Daniazelot  et  Selomissabart) 2,  et  la  perte  de  Jésus  est  déci- 


i.  Pour  cette  analyse,  le  plus  court  est  encore  de  suivre  la  Vie  de  Jésu  Crist  ou 
l'imprimé  de  i485  (B.  Nat.  réserve,  H.  5o6(i),  en  notant  chemin  faisant  les  principales 
modifications  et  additions  qu'il  fait  subir  aux  manuscrits  français  et  provençaux. 
Nous  renverrons  dune  aux  folios  de  Timprimé,  et  ne  citerons  les  manuscrits  que 
lorsqu'il  y  aura  utilité,  pour  des  variantes  qui  en  vaillent  la  peine 

2.  Vie  de  Jesu  Crist  de  i485,  fol.  lxix  ;  item,  édit.  de  Trepperel,  14O7  (B.  N.  réserve 
U,  5,692,  fol.  A  nu  v").  —  On  a  reproduit  le  passage  in  extenso  dans  les  Extraits  de  la 


LA    PASSION   SELON    GAMALIEL  331 

dée.  En  vain  Gamaliel  et  Nicodèmc  tentenl-ils  sa  défense  .  '  m  les 
injurie;  Gayphas  les  traite  de-faux  excommuniés  «  qui  ont  le  dia- 
ble au  corps  »  :  finalement  on  les  expulse,  et  Abderon  et  Benjamin 
vont  de  la  pari  de  l'assemblée  prier  Pilate  de  citer  l'enchanteur  à 
son  prétoire.  Pilate  lui  l'ait  porter  en  effet  une  citation  dans  la 
maison  de  Jacob  par  son  sergent  «  qui  avoit  nom  Jlomain  2  ».  et  le 
lundi  au  matin.  Jésus,  prenant  avec  lui  saint  Pierre,  saint  Bar- 
nabe et  saint  Mathieu,  se  rend  au  palais  du  gouverneur  où  il 
attend  «  dans  une  chambre  à  part  »  qu'on  l'appelle.  Déjà  Pilate  est 
installe''  à  son  tribunal,  entouré  de  ses  chevaliers  porte-étendards 
et  de  ses  conseillers  Gamaliel,  Nicodemus,  Joseph  d'Abarimathie 
et  «  plusieurs  autres  saiges  hommes».  Sur  un  ordre,  le  sergent 
Romain  va  chercher  Jésus  et  jette  par  respect  son  manteau  sous 
ses  pieds  :  par  deux  l'ois  les  étendards,  les  aigles  impériales  s'in- 
clinent devant  lui.  Ce  miracle,  le  songe  de  «  sa  femme  »  '.  qui  bien 
qu'appartenant  à  «  la  loy  juive  ».  lui  fait  mander  d'épargner  ce 
juste,  les  longs  plaidoyers  de  ses  conseillers  Gamaliel  et  Nicode- 


Vie  itr  Jesu  Crist,  plus  loin.  —  De  ces  noms  rébarbatifs,  1rs  cinq  premiers  sont  le^ 
mêmes  à  peu  près  dans  tous  les  manuscrits;  tous  les  autres  varient  suivant  [e  m>.  : 
Bornons-nous  à  citer  le  Ms  provençal  de  la  Bib.  Nat.  IV.  29.94s,  fol.  8a  r»  col.  i. 
■  Abderon,  e  Neptalim,  Roboam,  Abraam,  Benjamin,  .lalies.  [zacpar,  Salubet,  Mani- 
lat,  Jacoburt,  Dampsel  mu  Danipsel),  Zeromilasbal  » 

L'énumération  est  très  différente  dans  lems.  provençal  IV,  1,919,  fol  J,  où  Zeromi- 
lasbat  a  cédé  la  place  à  Josep. 

1 .  Vie  de  1  {85,  fol.  lxxii  (r°). 

2.  Le  nom  propre  très  important  de  Humain  est  donné  par  l'imprimé  de  i485 
(fol.  Lxxm  r'  bas,  i't  lxxiiii  r  milieu  «le  la  page),  el  par  les  réimpressions. 

Les  manuscrits  français  donnent  presque  tous  Borna  (Besançon  588  f.  à  r»  ;  Paris, 
H.  X.  IV.  979  r.  r,  i-  ri  \ 0;  f  24,438  l'.  1  i'i  \  r\  r,:  r>;  n.  a.  (r.  {,o85  f.  s:  v  et  88  r"  : 
Arsenal,  5,366  r.  6  v  et  ;  v»,  item). 

I.a  version  provençale  B.  X.  fr.  24. 945,  fol.  96  r,  col.  1.  dit  «  Pilai  apelel  .1.  servent 
que  a  via  nom  /lu/nu  »  ci  au  v  •  col .  i  [Pilât]  sona  I  ii  m  h  1  (sic  1  ioi  il-  Roma)  lo  servent  ».  — 
I.a  version  prov    du  Ms    fr    1919  donne  f.  9  r-  bas  et  [0  r  (haut)  Romas. 

Quanl  à  l'ancienne  traduction  française  en  prose  de  l'Evangile  de  Nicodème  (B.  N, 
IV.  6,447  etc  I,  citée  p.  269  n.  6  de  ce  livre,  elle  ne  donne  p.i>  de  nom  au  sergent  qui  est 
Bimplemenl  un  courrier,  et  il  en  est  de  même  dans  la  traduction  fr.  de  l'Evangile  de 
Nicodème,  insérée  dans  le  sixième  livre  du  Perceforest. 

De  ions  1rs  .Ms.  latins  collationnéa  par  Tischendorff  (Ev.  apocrypha,  éd.  de  isy\, 
p. 338,  note  a  du  ch,  I),  an  seul,  le  Florentinas  contient  «  cursorem  Ananiam  »,  mot 
qui,  même  défiguré,  ne  peut  guère  donner  Roma.  C'est  donc  très  vraisemblablement 
une  invention  de  l'auteur  français  de  la  Passion  seh  n  Gamaliel. 

">.  Cette  «  femme  »  n'est  nommée  ni  dans  l'imprimé  de  1  (85,  ni  dans  les  Ms. 


332  LA    PASSION    SELON    GAMALIEL 

mus,  ses  propres  sympathies,  tout  décide  Pilate  à  absoudre  l'ac- 
cusé des  crimes  qu'on  lui  reproche,  et  à  débouter  les  Juifs  «  crou- 
lant le  chief  et  estraignant  les  dents  comme  forcenez  ». 

Sur  le  conseil  de  son  juge  Pilate,  Jésus  se  hâte  de  rentrer  chez  son 
hôte  de  Jérusalem.  Jacob,  où  il  retrouve  sa  mère  et  ses  apôtres  ; 
puis  le  lendemain,  pour  plus  de  sûreté,  tous  se  rendent  secrète- 
ment en  Béthanie  dans  la  maison  de  Lazare  et  de  ses  sœurs,  mais 
ils  sont  suivis  par  le  bon  Gamaliel  qui  s'est  déguisé  de  robes 
pour  tout  observer  :  —  «  Et  atant  furent  les  tables  mises  et  alerent 
menger.  Et  le  ladre  se  assist  a  table,  et  Marthe  servoit  et  adminis- 
troit  les  viandes.  Et  Marie-Madeleine  prit  une  boiste  plaine  de 
oignement  moult  précieux  et  en  oignit  les  piez  de  Jesucrist  '  »,  à  la 
grande  colère  de  Judas  Scarioth  que  Jésus  a  grand  peine  à  calmer. 
Cependant  les  Juifs  de  Jérusalem  sont  venus  en  grand  nombre 
pour  voir  le  Ladre  ressuscité  ;  les  uns  songent  à  le  tuer  pour  arrê- 
ter les  progrès  de  la  nouvelle  doctrine  ;  les  autres,  au  contraire, 
bénissent  Jésus  qu'une  voix  du  ciel  a  glorifié  au  milieu  de  ses  dis- 
ciples. Il  annonce  son  jugement  et  sa  passion  prochaine,  puis 
brusquement  il  disparaît,  au  grand  regret  du  bon  Gamaliel,  lequel 
«  s'avise  pourtant  qu'il  s'est  musse  »  par  crainte  de  ses  ennemis  et 
ne  reparaîtra  plus  avant  que,  de  guerre  lasse,  ils  ne  soient 
repartis. 

Revenons  donc  à  Jérusalem.  Le  départ  de  Jésus,  absous  par 
Pilate,  a  déconcerté  un  instant  la  Synagogue.  Mais  Annas  et  Caï- 
phas  envoient  un  message  à  Hérode,  le  fils  de  Archilaus2,  celui 
qui  fit  jadis  égorger  les  Innocents.  Us  le  prient  de  faire  arrêter 
Jésus  s'il  se  trouve  sur  ses  Etats  et  d'intervenir  auprès  de  Pilate. 
Le  roi  Hérode  renvoie  le  messager  avec  une  réponse  favorable  et 
commande  aussitôt  «  à  ses  sénéchaux  »  de  se  mettre  en  campagne. 
Le  cercle  se  resserre  ;  «  l'enchanteur  »  ne  peut  plus  échapper. 

Il  se  dérobe  pourtant,  le  plus  simplement  du  monde  et,  le  terme 
de  Pâque  venu,  il  rentra  inaperçu  à  Jérusalem  avec  sa  mère,  Marie- 
Madeleine,  ses  apôtres  et  tous  ses  disciples,  excepté  Lazare  pour 


i.  Imprimé  de  i48.">,  loi.  mix*  b.  (85)  r°. 

2.  Irupr.  de  i485,  fol.  mixx  xn  (92,  en  réalité  8j  r°)  ;  ibidem,  f.  nnx*  vm  r>.  —  Cet 
Hérode  dit  au  Messagier  :  «  Amis,  les  evesques  me  mandent  que  celluy  pour  qui  mon 
père  list  tuer  les  enfans  que  ilz  lont  mené  et  cité  devant  Pilate  etc.  ». 


•  LA    PASSION    SELON    GAMALIEL 

lequel  il  a  crainl  la  vengeance  des  Juifs  et  qu'il  a  fait  rester  à 
Béthanie.  Tous  vont  prendre  logis,  près  du  palais  de  David,  dans 

ta  maison  de  Rutli.  qui  donne  sur  un  petit  jardin  bordé  par  le 
Cédron.  Judas  l'économe  est  envoyé  au  marché  pour  acheter  un 
agneau  blanc  et  un  poisson  '.  Mais,  si  secrète  que  soit  cette  rentrée 
des  proscrits,  elle  n'a  pas  échappé  à  l'attention  de  Gamaliel  qui 
«  se  déguise  »  encore  une  fois  «  de  robes  »,  si  bien  (pie  Judas  en  le 
rencontrant  le  prend  pour  un  pauvre,  le  prie  de  l'aider  à  trans- 
porter ses  provisions  et  l'emmène  avec  lui  mettre  les  tables  et 
l'assister  dan-  le  service. 

Bientôt  après.  Jésus  laissant  sa  mère  et  Marie-Madeleine  avec 
Ruth  son  hôte,  monte  au  palais  de  David,  se  met  à  table  avec  ses 
apôtres, fait  apporter  l'agneau  rôti  pour  la  Cène  et  dit  :  «  Mon  père 
commanda  a  Abraham  et  a  Moïse  qu'ils  fissent  sacrifice  d'ai- 
gneaulz  :  or  est  le  temps  qu'on  sacrifiera  le  Fils  de  l'homme.  »  — 
Et  tous  les  apôtres  reçoivent  une  part  de  l'agneau,  excepté  Judas 
qui  servait  et  qui  reçoit  l'ordre  d'aller  chercher  le  poisson.  A  ce 
moment.  Jésus  annonce  qu'il  est  sur  le  point  d'être  trahi  par  l'un 
des  siens.  Saint  Pierre  le  presse  en  vain  de  questions,  mais  à 
saint  Jean  incliné  «  sur  son  giron  »,  il  indique  un  moyen  de  recon- 
naître le  traître1:  c'est  celui  qui  le  premier  recevra  un  morceau  de 
sa  main  et  qui  lui  essuiera  la  poitrine2.  Presque  aussitôt  Judas  se 
livre  lui-même  si  naïvement  que  saint  Jean  propose  de  «  le  bou- 
ter »  sur-le-champ  de  la  compagnie,  de  peur  qu'il  ne  surprenne 


i.  Iinp.  de  i  Js.". .  fol.  im      x  (90  r",  en  réalité 

2.  L'imprimé  de  i485,  fol.  1111  \i  (en  réalité  96»)  écourte  et  modifie  ce  ; 
important  qui  est  une  réminiscence  de  la  Passion  «les  bateleurs  du  sein*  s. .  et  qui  \  arie 
également  dans  les  Ms.  Ainsi,  dans  le  Ms.  de  l'Arsenal,  5,366,  fol. 23  v  ,«  celui  que  je 
appariera  y,  etc.  »  <->i  tronqué  el  à  peine  intelligible  ;  la  version  provençale,  B.  V. 
04945,  fol.  '  \  r»  esl  (hure  mais  incomplète.  Le  texte  le  meilleur  et  le  plus  détaillé 
parait  être  ici  celui  d'un  manuscrit  écrit  à  Autun  en  1470 (B.  N.  n.  a,  l'r.  [,o85,  p.  nu  r*) 
que  imiis  reproduirons  : 

«  Et  Jesucrist  luy  disl  :     Celuy  que  premier  je  pestray  el  a  moy  uectoyra  la  p«>i- 

trine,  celuy  la   me  trayra.»  —  El   Jesu   Christ  appella  Judas  corne  s'il  luy  vouloil 

donner  [de]  raignelel  Judas  Tint  el  se  agenoilla,  et  J.  Christ  prinl  ung  morceaulx  «le 

n.  el  ly  mis!  en  la  bouche,  et  Judas  mil  la  main  au  tailloir  de  Jeshucrist  et  luy 

embla  ung  poisson  ;  el  Jhesucrisl  pi  isl  uneqouppe  el  list  sémillant  de  boyre.el  .lui  la  s 

un  drap  el  luynectoya  la  poitrine,  et  luj  embla  ung  poisson,  el  puis  - 
pour  administrer,  etc.  ■ 

On  a  reconnu  la  Passion  du  xin   s.  (copiée  par  G   de  Paris)  déjà  citée  1 


334  LA    PASSION   SELON    GAMALIEL  • 

ses  secrets,  mais  Jésus  l'arrête  en  disant  «  qu'il  est  juste  qu'un 
homme  meure  pour  le  peuple  »  et  rachète  le  péché  d'Adam  :  la 
Gène  continue.  «  Adonc  saint  Jehan  s'endormit  au  giron  de  Jésus 
et  en  son  dormant  Jésus  lui  révéla  les  secrets  du  ciel  »  :  puis  à  son 
réveil  il  institue  «  le  sacrement  de  l'autel  et  fait  nouveau  testa- 
ment ». 

La  Cène  achevée,  et  la  nuit  déjà  «  moult  obscure  »,  tous  retour- 
nent à  la  maison  de  Ruth  ainsi  que  Judas  qui,  poussé  par  le  diable, 
s'en  va  bientôt  à  la  Synagogue  perpétrer  sa  trahison.  Jésus 
demande  à  son  hôte  «  une  plaine  ydre  d'eau  et  ung  vaisseau  »  et 
lave  les  pieds  des  Apôtres  en  commençant  par  saint  Pierre.  Et 
quand  il  eut  fini,  «  il  vit  Gamaliel  ester  derrière  la  porte.  Molt 
simplement  il  y  ala  et  luy  dist  :  «  Es  tu  le  mien  amy  ?  Bien  me  plaist 
que  tu  as  voulu  veoir  et  ouyr  ce  que  j'ay  faict,  je  te  eslis  de  ma 
partie,  et  saiches  que,  quant  je  transmectray  et  envoieray  le  sainct 
esperit  a  mes  apostres,  je  le  te  envoieray  aussi,  lequel  te  illumi- 
nera et  te  fera  saige  et  te  gardera  de  tout  mal.  —  «  Sire,  se  dist 
Gamaliel,  soies  de  moi  remembrant  »  ' ,  et  il  en  reçoit  l'assurance  de 
son  nouveau  maître,  lequel  descend  bientôt  après  avec  ses  apôtres 
au  verger  et  se  retire  à  part  en  prières. 

Déjà  Judas  a  fait  marché  avec  la  Synagogue  qui,  sur  la  proposi- 
tion de  Benjamin,  lui  a  donné  trente  deniers  d'argent.  Il  revient 
avec  une  bande  de  soldats  qui  fouillent  en  vain  la  maison  de  Ruth, 
puis  descendent  à  grand  bruit  au  jardin.  Trois  fois  ils  veulent 
arrêter  Jésus,  mais  trois  fois  une  force  mystérieuse  les  renverse  ' 
jusqu'à  ce  que  la  victime  les  laisse  faire.  D'un  coup  d'épée  Pierre  a 
tranché  l'oreille  du  valet  Malchus,  mais  Jésus  le  guérit  et  se  laisse 
docilement  emmener  dans  la  maison  d'Annas.  Là  les  sergents  le 
dépouillent  de  ses  vêtements,  le  lient  à  un  pilier  au  milieu  d'une 

dans  le  chapitre  I  des  Mystères  Sainte  Geneviève  (Ms.  de  l'Arsenal  0021,  fol.  109  V"  et 

110  r°,  col.  1). 

Judas  ne  s'essist  pas  derrier.  Totans  quant  li  sires  bevoit, 

Car  nostre  sires  moult  lamoit  :  Il  li  ambloit  corne  gloton 

Toz  jors  avoecques  lui  maingoit,  Le  plus  beau  morsel  du  pois[s]on. 

Et  li  traïctes  que  façoit  ?  Ja  Dex  n'un  feïst  nul  samblant. . . . 

1.  Imprimé  de  i4855  lui.  ini**xn  r"  (en  réalité  9;). 

2.  On  a  déjà  relevé  cette  triple  chute  dans  la  Passion  romane  de  Clermont-Ferrand, 
v.  34     ;  dans  la  Passion  d"Arras  et  ailleurs,  p.  272,  note  4,  c,  de  ce  livre. 


LA    PASSION    SELON    GAMALIEL 

salle,  et  le  frappent  et  l'outragent  pendant  toute  la  nuit  :  Malens 
e>t  le  plus  acharné  de  ses  bourreaux.  Au  matin,  l'évêque  Ca\phas 
propose  de  ramener  le  prisonnier  au  gouverneur  île  la  province 
qui,  cette  fois,  n'osera  plus  le  sauver.  Pilate  se  proposait  justement 
d'aller  avec  ses  conseillers  Gamaliel,  Nicodemus  et  Joseph  d'Aba- 
rimathie  saluer  le  roi  Hérode,  arrivé  de  la  veille  à  Jérusalem, 
quand  les  Juifs  lui  amènent  Jésus  «  tout  lié  et  sanglant  »*.  —  «  Je 
vous  avoye  dit  et  deffendu  que  vous  ne  luy  feissiez  nul  mal  ne  vil- 
lennie,  vous  en  serez  tous  bien  pugniz.  »  —  Et  il  s'indigne  de  cet 
acharnement,  il  repousse  les  faux  témoins  produits  par  Cayphas, 
il  les  récuse  tous  avec  l'aide  de  Gamaliel,  il  l'ait  défiler  devant  son 
tribunal  le  long  cortège  de  ceux  que  l'enchanteur  divin  a  guéris  ou 
qui  ont  vu,  comme  les  douze  prudhommes,  la  résurrection  de 
Lazare  à  Béthanie1,  mais  il  n'en  finit  pas  moins  par  céder  à  la 
foule  menaçante. 

Sur  un  ordre.  Centurion  conduit  l'accusé  au  roi  Hérode  au  tem- 
ple «  où  il  estoit  venu  pour  adorer  avecques  Bardine  sa  femme  »  '. 
Mais  Hérode,  bien  que  touché  de  la  déférence  de  Pilate.  s'excuse 
et  refuse  de  juger  l'affaire  :  «  il  ne  prendroit  nul  honneur  en  la 
mort  de  cest  homme  qui  ne  lui  a  de  rien  niellait  »  :  il  se  rappelle 
combien  le  supplice  d'un  autre  prophète,  saint  Jean-Baptiste,  exé- 
cuté naguère  dans  son  hôtel,  lui  a  coûté  cher,  à  lui  et  à  sa  famille. 
Aussi  fait-il  revêtir  Jésus  «  honorablement  de  pourpre  »,  et  il  le 
renvoie  à  Pilate,  Lequel  demande  encore  une  fois  conseil  à  Gama- 


i     Imprimé  de  i485  fol.  iiiix*x  b  i  r»  (toi). 

2.  Imprimé  de  i  J85  Col.  imx*xix  (eu  réalité  io4),  réimprimé  dans  les  Extraits  de  la 
Vie  il''  Jesa  Crist. 

'i.  «  Bardine  sa  femme  qu'il  avait  prinse  après  la  mort  de  Herodes  ». 

Cette  leçon  de  l'imprimé  de  i485  (fol.  ci  r*),  est  absurde,  mais  elle  est  donnée  par 
divers  Ms.,  donl  quelques-uns  seulement  cherchent  à  l'expliquer  par  l'addition  finale 
<lu  mot  «  son  frère  » 

B.  N.  fr.  979,  fol.  a3  r°  «  Herodes,  lequel  estoit  venuz  veillier  au  temple  avec  sa 
Femme  Gardiane,  Laquelle  il  avoit  prinse  après  la  mort  «  1  »  -  Herodes».—  Arsenal  5,366 
p.  5a  i-    même  Ire. m,  mais  Gardiane. 

li.  N.  IV   ••  j  [>•,  fol.  is;  r  «  Hérode  qui  estoit  venu  veiller  avec  sa  femme,  gardienne 

au  temple  qu'il  avoit  priuse  après   la   i i   de  Herodes  son  frère.  »  —  B.  N.  n.  a.  ir. 

J,ns;>  fol.  nia  Bardiane...,  Herodes  son  frère  ». 

La  leçon  la  |p1m>  simple  cl  la  meilleure  est  donnée  ici  par  la  version  pro>  en< 

I'.  N.  fr.  39,9{5  ï  cm  r-  «  Herodes  que  era  vengut  velhar  al  temple  ara  sa  molher 
Gardian  que  avia  preza  après  la  mort  de  Erodias.  » 


336  LA    PASSION    SELON*    GAMALIEL 

liel,  mais  de  guerre  lasse  est  bien  obligé  de  procéder,  malgré  lui, 
à  la  condamnation.  Le  bon  Gamaliel  proteste  en  pleurant  que  le 
condamné  est  vrai  fils  de  Dieu,  et  que  les  prophéties  sont  accom- 
plies. 

Déjà  le  cortège  est  en  route.  Les  Juifs  vont  prendre  «  ung  grant 
tref  qui  ne  pouvoit  entrer  en  la  place  du  temple  de  Salomon  »,  le 
mettent  sur  le  cou  de  Jésus  et  lui  font  porter  ou  traîner  jusqu'au 
Golgotha  où  les  deux  larrons  Gestas  et  Dismas  l'ont  précédé  4.  Là 
les  sergents  l'étendent  sur  la  croix  fabriquée  à  la  hâte,  en  forme 
de  T  ou  «  de  marteau  ».  et  il  y  accomplit  encore  des  miracles.  La 
Véronique  2  baille  à  Notre  Dame  son  «  couvre-chef  »  ou  une  bande 
de  sa  coiffure,  dont  elle  essuie  le  visage  défiguré  de  son  fils,  et 
«  après  Véronique  fut  guérie  de  mesellerie  »  ;  mais  Nicodemus  a 
grand'peine  à  la  protéger  des  violences  des  bourreaux.  Lorsque 
Jésus  a  été  élevé  sur  «  la  croix  la  plus  haute  »  en  forme  de  mar- 
teau, le  bon  Nicodemus  s'aperçoit  encore  qu'il  ne  peut  soutenir  sa 
tète,  faute  d'appui.  Il  retourne  à  Jérusalem  chercher  un  ais3ouune 
planchette  qu'il  rapporte  bientôt  avec  une  inscription  en  grec, 
hébreu  et  latin,  que  Pilate  lui  a  remise  à  son  passage,  et  qui, 
clouée  au-dessus  de  l'ais,  provoque  une  nouvelle  colère  de  l'assem- 
blée. Le  lugubre  supplice  se  prolonge  interminablement  :  enfin 
Jésus  recommande  sa  mère  à  saint  Jean  et  expire  au  milieu  des 
prodiges.  Centurion  le  reconnaît  pour  le  fils  de  Dieu  et  refuse  aux 
pontifes  Annas  et  Cayphas  de  l'outrager  après  sa  mort  et  de  lui 


i.  L'imprimé  de  14SÔ  donne  tantôt  Drainas,  tantôt  Dismas  :  on  retrouve  les  mêmes 
variantes  d"orthographe  dans  eertains  manuscrits. 

2.  Imprimé  de  i485,  fol.  cv  r'  (m).  Identique  dans  les  Ms.  :  Arsenal,  .">,366  p.  34  v°  : 
B.  IS*.  fr.  n.  a.  fr.  4"'»'J  f-  Ilf>  v°-  244^8  p.  18;  r'.  —  Ms.  provençal  24,9^0  fol. 
cxii  r°. 

On  lit  dans  le  Roman  d'Arles  (4^5)  [Revue  des  langues  romanes,  i838,  p.  $2]  :  «  Vezona, 
qui  aportet  la  benda  de  Nostra  Dona,  que  s'appella  veroriea.  de  que  l'on  torcada  la 
cara  de  Crist  e  esformat  lo  menton  e  tota  la  fazia  de  la  profela  Jésus  ».  «  Je  ne  sais, 
dit  M.  Chabaneau,  p.  ai-,  n.  4""4>  si  un  autre  texte  que  le  nôtre  donne  cette  origine 
au  linge  miraculeux.  »  —  Les  textes  précités  répondent  à  cette  question. 

3.  Même  trait  dans  la  Passion  des  bateleurs  d'Autim  (Bib.  Nat.  na.  fr.  4j°85,  v.  1014. 
p.  160  r'. 

Et  la  un  prudomme  il  avoit  Et  ilec  Pilate  encontrit 

Qui  en  Ilierusalem  aloit,  Qui  diligemment  demandit 

Oui  une  ais  aloit  chercher  Que  de  cela  fere  vouloit 

Pour  la  teste  Ihcsu  pouser, 


LA  PASSION  SELON  GAMA.L1EL  337 

rompre  Les  jambes1.  .Mais,  à  défaut  de  Centurion,  un  vieux  cheva- 
lier aveugle,  Longis,  perce  le  côté  du  Christ  d'une  lance  et  recou- 
vre aussitôt  la  vue.  Joseph  d'Arimathie  recueille  le  sang  précieux 
dans  un  grand  vaisseau  et  garde  avec  soin  la  lance-,  puis  ému  par 
les  longues  plaintes  de  la  Vierge3,  il  se  rend  auprès  de  Pilate 
pour  lui  demander  le  corps  de  son  maître  et  l'ensevelir  honorable- 
ment. 

Joseph  se  rencontre  avec  le  sergent  Malcus  qui  venait  se  plain- 
dre au  gouverneur  de  ce  que  ses  compagnons  voulaient  partager 
en  pièces  «  la  belle  gonelle  »  ou  la  tunique  sans  couture  de  Jésus, 
au  lieu  de  la  tirer  au  sort.  Pilate  lui  donne  raison,  et  Malcus.  favo- 
risé par  le  sort,  vend  la  précieuse  tunique  à  Pilate4,  à  la  grande 
joie  de  Gamaliel  qui  rappelle  à  ce  propos  un  verset  du  psautier  de 
David. 

Cependant  la  Vierge  qui  est  restée  seule  avec  saint  Jean  et  les 
saintes  femmes  au  pied  de  la  croix  poursuit  ses  tristes  plaintes. 
Elle  obtient  à  force  de  larmes  et  de  prières  que  les  soldats  envoyés 
pour  briser  les  jambes  des  condamnés,  et  les  jeter  dans  la  fosse, 
respectent  le  corps  de  son  fils.  La  nuit  s'avance  et  les  saintes  fem- 


i.  L'imprimé  de  i4<S5  dit,  fol.  cvn  r  «  qu'il  lui  meist  la  lance  au  coté  »  et  n'amène 
les  soldats  chargés  de  rompre  les  jambes  des  condamnés  que  bien  plus  loin,  après  de 
Longues  interpolations. 

a.  Imprimé  de  i4S5.  fol  cvn  :  item  Ms.  :  Arsenal  5.3G6,  f.  3;  v  :  B.  N.  n.  a.  fr.  4.oS;>. 
I'.    i  [8  v-  :  34,945  loi. 

on  reconnaîl  ici  une  variante  de  la  célèbre  légende  du  Saint  Graal(èd.  Fr.  Michel). 
Nostres  sires  ba  treit  avant  Que  Joseph  requeillu  avoit, 

Le  veissel  precieus  et  grant  Quant  il  jus  de  la  crouiz  l'osta 

Ou  li  saintimi ;s  sans  estoit  Et  il  ses  plaies  li  lava. 

3.  Cette  plainte  est  relativement  courte  dans  les  manuscrits  français  et  dans  la 
version  provençale  24,945  fol.  cxm  v  col.  1  ;  dans  l'imprimé  de  1  (85  elle  est  allongée 
d'un  >  [ncidenl     décrit  plus  loin  ou  de  la  requête  de  si  Augustin. 

J  Imprimé  de  i485  fol.  exi  (115);  item.  Ms..  B.  N.  fr.  939,  fol.  29  v  ;  IV.  •.>.;.  ;;s.  fol, 
[55  v:  provençal    H.  .N.  IV.  24,945  fol.  cxim  r-  etc. 

Voilà  enininent  Pilate  se  procure  le  talisman  qui  le  protégera  plus  tard  contre  la 
colère  de  Tibère  Nous  avons  déjà  cite  p.  335,  n.  j  de  ce  livre  une  variante  de  la 
même  légende  dans  la  Passion  d  Irras  et  la  Vengeance  de  Mercadé  L'origine  com- 
mune de  ces  légendes  est  l'apocryphe:  Mors  Pilati  Tischendorff,  Evang.  apocrypha, 
1875,  p.  j">;  :  Pilatus  autera  tunicam  Jesu  inconsutilem  secum  detulit),  lequel  apo- 
cryphe a  inspiré  en  partie  la  chanson  du  Vespasien  ou  de  la  Prise  de  Jérusalem, 
c'est-à  dire  1.1  Vengeance  mise  au  théâtre  par  Mercadé  (çf  I'  Meyer,  />'.  delà  s.  des 
Anciens  textes Jr.  i^;">.  1 


338  LA    PASSION    SELON   GAMALIEL 

mes  ont  une  nouvelle  angoisse  quand  elles  voient  arriver  Joseph 
d'Arimathie  et  Nieodemus,  auxquels  une  femme  de  Galilée,  l'Hé- 
morrohoïsse  guérie,  a  donné  gratuitement  un  beau  suaire  blanc  * 
pour  ensevelir  le  Christ,  et  qui  viennent  remplir  leur  pieuse  mis- 
sion. Saint  Jean  va  au  devant  d'eux,  les  reconnaît  et  les  aide  à 
détacher  de  la  croix  le  corps  de  Jésus  qu'ils  déposent  d'abord  dans 
le  giron  de  sa  mère,  et  qu'ils  vont  ensuite  ensevelir  dans  un  sépul- 
cre neuf.  Puis  les  fidèles  désolés  retournent  à  Jérusalem,  et  la 
Vierge  suit  docilement  l'apôtre  saint  Jean  2. 

Ainsi  s'arrête  une  première  fois  le  vieux  poème  français  mis  en 
prose  dont  il  n'était  pas  besoin  de  souligner  la  naïveté  archaïque, 
et  dont  on  s'est  borné  à  résumer  la  marche  en  saciùfiant  le  moins 
de  détails  possible.  On  a  dû  pourtant  écourter  la  fin,  où  l'imprimé 
diffère  le  plus  sensiblement  des  manuscrits.  Si  l'ancien  poète  fran- 
çais a  réuni  de  nombreuses  légendes  de  l'Evangile  deNicodème,  de 
la  Passion  romane  de  Glermont-Ferrand,  de  la  Passion  française 
des  bateleurs  du  xme  siècle  et  de  la  Passion  d'Autun,  du  Saint 
Graal,  du  Roman  d'Arles  et  de  la  Vengeance,  le  compilateur  de 
i485  y  a  encore  ajouté  de  nouvelles  légendes  qu'il  a  insérées  et  en- 
chevêtrées au  milieu  des  précédentes.  Ainsi  la  plainte  de  la 
Vierge  au    pied  de  la  Croix3,    assez   courte  dans  les  Manuscrits 

i.  Ms.  B.  N.  24438,  fol.  100  r°  «  de  Gallillée,  etc.  »  ;  provençal  24,945  f-  cxmi  v.—  Le 
Ms.  de  l'Arsenal  5,366,  fol.  39  v°  contient  une  grosse  faute  :  une  femme  qui  estoit  de 
Galice  (sic). 

2.  Toute  cette  lin  est  très  allongée  dans  l'imprimé  de  i485  à  l'aide  d'emprunts  aux 
Meditationes  Vitae  Christi.  Les  Ms.  français  et  le  Ms.  provençal  (B.  N.  fr.  24,940  fol. 
«xiiii  v  )  disent  brièvement  «  qu'elle  s'en  va  avec  les  autres  dames  et  St  Jean 
l'Evangéliste  en  Galilée  ». 

3.  Prenons  la  première  «  plainte  »  de  l'imprimé  de  i485,  p.  cvm  r  0  Ha  !  le  mien  cher 
filzje  te  eu  de  la  bouche  du  Saint  Esperit  et  te  enfantay  a  grant  joye.  Et  je  te  voy 
maintenant  pendu  et  clavelé  en  l'arbre  de  la  croix,  etc.  »  Non  seulement  cette  plainte 
se  retrouve  dans  tous  les  Ms.  français  et  provençaux  de  la  version  en  prose,  mais 
elle  est  très  reconnaissable  dans  Y  Evangile  de  Nicodème  en  vers  provençaux,  éd. 
Suchier,  p.  2-,  v.  913  : 

Vos  mi  trames  lo  rey  del  cel  Del  frugz  santz  esperitz  vos  aye, 

Per  la  boea  san  Gabriel,  Car  sol  la  vos  de  dieu  mi  plac,  etc. 

Suit  dans  l'imprimé  de  i485  f.  cvm  v  et  suiv.  ce  qui  n'est  naturellement  plus  dans 
les  Ms.  français  et  provençaux  :  «  Comment  la  Vierge  Marie  s'apparut  à  sainct  Augus- 
tin et  lui  monstra  toutes  les  grans  douleurs  et  les  grans  gemissemens  qu'elle  eut  a  la 
passion  de  son  filz  ». 
«  Comment  sainct  Augustin  fist  sa  requeste  ». 


LA    PASSION    SELON    GAMALIEL  339 

français  et  provençaux,  a  été  doublée  par  «  un  incident  »  ou 
une  nouvelle  Lamentation  :  c'est  la  reproduction  textuelle  de 
l'apocryphe  attribué  tantôt  à  saint  Bernard ,  tantôt  à  saint 
Augustin,  et  que  le  bon  moine  Jean  de  Venette,  [tour  tran- 
cher la  difficulté,  attribuait  à  tous  les  deux1.  De  même  le  der- 
nier épisode,  un  peu  développé  dans  le  poème  français  et  dans  les 
manuscrits,  était  celui  de  la  tunique  gagnée  par  Malcus,  et  l'im- 
primé ajoute  ici  des  pages,  îles  chapitres  entiers  d'ailleurs  intéres- 
sants. La  descente  de  croix  notamment  et  la  sépulture  du  Christ 
sont  vraiment  belles  dans  leur  naïveté  colorée  :  on  dirait  des  frag- 
ments d'un  vieux  vitrail.  Mais,  au  fait,  ces  pages,  nous  les  connais- 
sons déjà:  elles  sont  empruntées  telles  quelles  aux  Méditationes 
Vitac  Ghristi.  Non.  pas  même  aux  Méditationes,  puisque  ce  livre 
latin,  il  aurait  fallu  prendre  la  peine  de  le  traduire.  A  quoi  bon. 
puisque  le  traité  apocryphe  de  saint  Augustin  et  les  chapitres  des 
Méditationes  visés  étaient  déjà  traduits  dans  la  Passion  française 
composée  en  i3p,8  pour  la  reine  Isabeau  de  Bavière.  C'est  dans 
cette  Passion  de  i3()8  que  le  compilateur  de  la  Vie  de  Jesu  Crist 
de  i485  est  allé  les  chercher2,   et  ce  sont  à  peu  près  les  seules 


i.  B.  N.  ms.  fr.  13,468,  fol.  7Î  i"  col.  1  : 
Les  complaintes  et  les  faustins,  Elle  depuis  leur  révéla 

Ainsi  com[me]  saint  Augustin  Ci-  qu'el  souffri  leur  recompta, 

Et  saint  Bernard  le  nous  recontent  I.i  dit  en  sont  bien  véritable 

<jui  le  plaint  (ms.  complaint)  de  la  Vierge  Et  la  matière  bien  pitable. 

[comptent. 

a.  Sur  la  Passion  de  i'ijS.  9e  reporter  aux  pages  252.  253  de  ce  volume. 

Exactement,  le  compilateur  a  ajoute  dans  l'imprime  de  i485  tous  les  chapitres 
depuis  le  t'ol.  cxn  r°.  Comment  la  Vierge  Marie  estoit  demourree  a  la  croix,  laquelle 
ploroit  etc.,  jusqu'à  et  y  compris  fol.  cxviv*  a  vi^v  «Coin  ment  Joseph  dabarimathie 
et  Nicodemus  descendirent  notre  seigneur  de  la  croix.— Ces  chapitres  correspondent 
rigoureusement  au  chap.  jg  lin.  s...  81,  8a,  83  des  Méditationes, 

Pour  la  vérification  des  emprunts  on  n'a  qu'à  prendre  un  bon  manuscrit  de  la 
Passion  de  [3g8,  par  exemple  H.  de  l'Arsenal  9,038.   La  requeste  de  Si  Augustin  s'y 

trouve  fol     53  r  et  suiv   .  la  descente  de  croix,  fol.  68  V  <c   Kl    lors  Se  vont    ordonner  a 

despendre  le  corps  de  la  croiz  et  vont  drecier  amont  les  eschelles,  l'une  sur  le  bras 
destre  de  la  croix  et  sur  ceste  cy  monta  Joseph  atout  1111-  marteau  ».  Cf.  Méditationes, 
ch.  81  :  c  Ponuntur  duae  scalae  a    lateribus  crucis  oppositae,  Joseph  ascendil  super 

scalam  laleris  dextri   » 

Il  est  encore  plus  Simple  de  prendre   le  mauvais  manuscrit  non  identifié  de  la  bililio- 

thèque  Nationale  fr.  j î . "[  >s  qui   a    l'avantage  de  contenir  dans  le   même  volume  la 

Passion  .ii-  |-;.|.s  eu  teie  (incomplète  des  premiers  feuillets)  ci  plus  loin(f.  1  i<>  v)la  Pas- 


340  LA    PASSION    SELON   GAMALIEL 

additions  qu'il  ait  faites  au  manuscrit,  mais  elles  sont  longues  !  Il 
est  vrai  qu'il  a  pris  moins  de  peine  pour  la  suite. 

Dans  les  manuscrits,  le  récit  reprend  immédiatement  après  le 
retour  à  Jérusalem  et  continue  sans  interruption  par  l'histoire  de 
Joseph  d'Arimathie.  Cette  partie  du  vieux  poème  français  n'a 
presque  pas  été  remaniée  dans  l'imprimé  (fol.  vixx  verso),  et,  pour 
diverses  raisons,  peut  être  résumée  beaucoup  plus  vite. 

La  Synagogue  s'est  réunie  en  grande  rumeur  ' .  Les  princes  effrayés 
par  les  menaces  de  Gamaliel  et  de  Nicodemus,  ont  confié  la  garde  du 
sépulchre  de  Jésus  à  Centurion,  et  ils  ont  fait  mettre  en  prison 
le  traître  Joseph  dAbarimathie.  Ils  sont  fort  effrayés  le  lendemain 
matin  de  ne  plus  retrouver  leur  prisonnier  :  déjà  le  Christ  ressuscité 
l'a  délivré.  Centurion  lui  même  qui  a  vu  la  résurrection  du  Christ 
serait  fort  embarrassé  de  faire  son  rapport  à  la  Synagogue,  si 
Gamaliel  qu'il  est  allé  consulter  ne  lui  donnait  un  bon  conseil  : 
«  Centurio,  saichez  que  annuyt,  environ  le  point  du  jour,  Jesucrist 
vint  a  moy  et  me  dist  cpie  je  ne  doubtasse  de  rien.  Si  les  evesques 
vous  demandent  Jesucrist,  vous  leur  direz  qu'ilz  vous  rendent 
Joseph  qu'ilz  misdrent  vendredi  au  soir  en  la  tour2.  » 

Cet  argument  désarme  en  effet  la  Synagogue  qui  n'a  plus  qu'à 
acheter  le  silence  de  Centurion  et  des  gardes  à  prix  d'argent. 
Argent  perdu  d'ailleurs,  car  les  témoignages  se  multiplient.  Le 
chapelain  Abraham  vient  prévenir  l'assemblée  consternée  que  la 
courtine  du  temple  de  Salomon  est  déchirée  et  qu'il  a  trouvé  sous 
ses  plis  les  fils  de  Ruben  morts  depuis  si  longtemps,  Carioth  et 
Elion3,  «  avec  leurs  suaves  blancs  affublés  ».  Quand  tous  «  les  eves- 


sion  selon  Gamaliel  qui  nous  occupe  :  Requête  de  St  Augustin  f.  58  v  ;   descente  de 
croix  fol.  j5  r-  ;  item  i56  v  la  descente  de  croix  sommaire  du  vieux  poème  français, 
avant  les  additions  de  l'imprimé  de  i4S5. 
i.  Imprimé  de  i485,  fol.  vix*  (en  réalité  12;)  v. 

2.  Imprimé  de  1480  f.  vi*><vi  v. 

3.  Ibidem,  fol.  vi^vii.  —  L'orthographe  de  ces  noms  varie  dans  les  Ms.  français 
et  provençaux.  —  Arsenal  5,366  44  v"  et  45  v  Carios  ;  B.  N.  fr.  959,  fol.  Sj  r'  Carios 
et  Liseos,  Cariotz  et  Lizeos  ;  24,438  fol.  162  1"  Carios  et  Lesios. 

Version  provençale:  lî.  N.  24,945  fol.  117,  Carias  et  Lezios. 

Cariotz,  Cariot,  Catios  sont  dos  altérations  anciennes  du  nom  de  Carinus  dans  le 
texte  latin  de  l'Evangile  de  Nicodènie  (éd.  Tischendorff,  1876,  P.  II,  eh.  I  (XVII)  p.  390). 

L'Histoire  scholastique,  cap.  clxxviii  (Patr.  Migne),  t.  198,  p.  i653  dit  :  «  Quod  autem 
aliqui  eoruin   itcnim   mortui  sunt.  postquam   Dominuni  surrexisse  testiticati   sunt, 


LA   PASSION   SELON    GAMALIEL  Ml 

ques  »  effrayés  sonl  venus  constater  avec  précaution  i;i  présence 
des  revenants,  Carioth  l'ait  signe  «  qu'on  lui  apporte  de  l'encre  et 
du  papier  pour  escripre  pourquoy  il  estoit  venu  avec  Elion  ».  tous 
deux  ('ciivcnl  en  même  temps  une  longue  déposition  sur  la  des- 
cente de  Jésus  aux  enfers,  puis  ils  remettent  aux  assistants  leurs 
chartes  qui  se  trouvent  être  identiques, et  disparaissent.  Seul  alors. 
Cayphas  persiste  encore  à  reconnaître  dans  tout  ceci  la  main  du 
diable,  mais  les  Juifs  déconcertés  «  plorant.  ferant  des  pieds  »  se 
décident  à  envoyer  un  messager  en  Galilée  pour  ramener  Josepb 
dÀbarimatbie.  Quand  celui-ci,  de  retour  à  Jérusalem,  a  raconté  à 
la  Synagogue  et  à  Pilate  convoqués  tous  les  détails  de  sa  déli- 
vrance, et  déclaré  comment  le  Christ  vengerait  bientôt  «  sa  mort 
et  passion'  »,  l'assemblée  se  sépare,  stupéfaite,  et  le  conseil  ne 
reprend  que  le  lendemain  au  milieu  des  lamentations.  L'affliction 
redouble  quand  trois  pèlerins  de  Galilée  viennent  déclarer  qu'ils 
ont  vu  Jésus  Christ  sur  un  puy,  «  séant  sur  une  pierre  de  marbre 
et  prêchant  ses  disciples  ».  Cette  fois  les  Juifs  chargent  d'impréca- 
tions leurs  évêques  qui  les  ont  trahis  et  qui  se  défendent  très  mal 
contre  Nicodème.  Pourtant  il  est  décidé  qu'on  enverra  un  dernier 
messager  à  .billet,  en  Galilée,  pour  qu'il  dépèche  trois  témoins 
irrécusables  et  qu'on  soit  enfin  fixé.  Les  témoins  arrivent,  Abra- 
ham, Jacob  et  Hubeu.  Abraham  ne  peut  que  confirmer  l'Ascension 
du  Christ  et  la  descente  du  Saint  Esprit  sur  les  Apôtres  auxquels 
il  a  donné  le  don  des  langues,  et  Gamaliel  exhorte  la  Synagogue 
confuse  à  la  pénitence  *. 


scimus  quia  corpora  quorumdam  adhuc  quiescunl  in  Jérusalem  el  sanctus  tscarioth, 
iinn-  eorum  fuisse  a  quibusdam  perhibetur.  •  Ce  saint  Tscarioth,  dont  on  a  l'ait  plus 
tard  un  abbé,  esl  une  altération  analogue  du  mol  de  Carinus  ;  il  est  cité  comme  té- 
moin d<>  peines  d'enfer  dans  le  Traité  des  peines  d'enfer  et  de  Purgatoire  imprimé 
I »< » 1 1 1-  Aiii .  Verard  en  i  [9a    Ch.  I.  lin. 

1.  Voici  le  texte  exact    de  l'imprimé  de  l'imprimé  de  1  ;sr>  «  [  u  i  ajoute  aus  manus- 
crits et   provençaux   la  dernière  phrase   mise  entre  |     I.  —  -  Et  puis  Jesu  Crisl   me 

dist  que  ung  li un-  .le  estrange   terre  vengeroit  sa  mort  cl  passion.  l'A  puis  il  me 

•  list  qu'il  s'en  aloit  en  Galilée  a  ses  apostres  pour  les  visiter  et  conforter,  pour  la 
grant  douleur  qu'ils  ont  eu  de  ma  mort  cl  de  ma  passion.  [Cestes  choses  me  dist 
Jésus  Crisl  après  sa  résurrection  et  me  dist  qu'il  aloit  reconforter  sa  mère,  laquelle 
m ■  l'avoit  veu  depuis  qu'elle  le  tenoit  en  son  giron]  —  après  la  descente  de  croix. 

a.  Fin  allongée  d'une  phrase  dans  l'imprimé  de  i485,  fol.  vu     6  verso    —  Cf   la  Un 
des  M-    français  et  provençaux,  Romania  1898,  p.  tSo. 


342  LA   PASSION    SELON   GAMALIEL 

Ici  finit  la  version  en  prose  du  poème  français  dans  les  manus- 
crits. La  Vie  de  Jesu  Crist  de  i485,  a  reproduit  cette  fin  à  peu  près 
sans  changements.  Elle  se  contente  d'y  ajouter  deux  morceaux  dé- 
tachés qui  sont  en  dehors  de  notre  sujet. 

i°  (fol.  VIIXX  VI  r°)  Un  court  récit  de  la  Mort  et  de  l'Assomp- 
tion de  la  Vierge.  Les  citations  latines  insérées  dans  le  texte  per- 
mettent de  reconnaître  une  traduction  du  petit  traité  de  Meliton 
inséré  dans  la  Légende  dorée,  qui  a  inspiré  tous  les  mystères 
français  et  étrangers  sur  l'Assomption. 

2°  (fol.  VIIXX  r°)  Des  fragments  décousus  d'une  légende  d'ail- 
leurs connue  des  miracles  de  l'apôtre  saint  Jean. 

Tels  sont  les  divers  éléments  de  la  compilation  la  plus  compli- 
quée et  la  plus  populaire  du  xve  siècle,  laquelle  n'a  cessé  d'être 
remaniée,  corrigée,  diminuée,  augmentée,  traduite,  résumée  et 
réimprimée  sous  des  formes  si  variées  qu'elles  ont  souvent  dérouté 
les  bibliographes.  Il  suffira  de  rappeler  les  principales. 

a)  La  première  partie  de  la  Vie  de  Jesu  Crist  (depuis  la  Créa- 
tion jusqu'à  la  légende  de  Judas)  parut  à  part  quelque  peu  rajeunie 
et  corrigée  par  les  soins  du  «  simple  orateur  natif  de  Troyes  en 
Champaigne  »  ou  de  Pierre  Desrey,  coutumier  d'opérations  de  ce 
arenre  ' . 


i.  Sous  un  titre  différent  :  fol.  i  r-  (S)'Ensuyt  la  vie  de  Jesuchrist  en  fran\\coys 
Imprimée  ||  a  Paris  nouuellement .  A  la  vérité  de  la  sainl|cte  escripture.  Concordee  et 
assemblée  au  texte  ||  des  quatre  Euangelistes  Postillee  et  exposée  ||  selon  les  gloses 
et  concordances  des  excellens  ||  et  souuerains  Docteurs  de  nostre  mère  saincte  Eglise. 
||  On  les  vend  a  Paris  en  la  rue  neufue  nostre  Dame  a  l'ensei||gne  de  l'escu  de  France. 

Par  Alain  Lotrian  ||. (A  la  fin)  Gy  linist  i'ita  Christi  ||  en  Francoys  Nouuellement 

Impri-mé  a  Paris,  s.  d. 

In-4'  de  54  f.  non  chiffrés,  sign.  Aii — Miii,  Car.  goth.  à  longues  lignes,  grav.  sur 
bois.  Titre  en  car.  rouges  et  noirs  (B.  Nat.,  réserve  H.  953). 

Le  même  ouvrage,  A  Paris  H  chez  Simon  Caluarin  rue  Sainct  Jacques. . .  Paris,  s.  d. 
in-4-  de  44  ff.  non  chiffrés,  sign.  Aii— Liii,  car.  goth.  à  2  col.,  grav.  sur  bois  (B.  Nat. 
Réserve,  H.  606). 

Id.  Paris,  Bonfons,  (B.  de  l'Arsenal,  Théol.  3o;,  Aï. 

Dans  d'autres  éditions,  notamment  dans  la  Yita  Christi  en  francoys  historié  etc., 
imprimé  à  Troyes  chez  Jehan  Lecoq.  S.  d.  (1027.  in-4-  goth.  35  1.  à  la  p.,  fig.  en  bois, 
(B.  de  Troyes  n-  I2,3S5)  on  a  ajouté  la  légende  de  Judas. 

Toutes  ces  éditions  sont  omises  par  Brunet,  et  dans  le  relevé  récent  des  publica- 
tions de  Pierre  Desrey  par  II.  .Monceaux  (Les  Le  Rouge  de  Chablis,  1895,  p.  246). 

L'identification  que  l'on  propose  est  d'ailleurs  assurée  puisque  P.  Desrey  a  signé, 
dans   les   mêmes    termes,   mais    plus    complets,  le  prologue   d'un   ouvrage   connu  : 


LA    PASSION    SELON    GAMALIEL  313 

h)  La  seconde  partie,  ou  «  la  benoiste  passios  et  résurrection  par 
Le  bon  maistre  Gamaliel,  Nicodemus,  etc.  »,  fut  également  réim- 
primée ii  part  sans  changements  par  Le  libraire  Jehan  Treperel,  à 
Paris,  en  r  J92  et  i4<V~  '• 

c)  Cette  Passion  selon  Gamaliel,  version  en  prose  d'un  ancien 
poème,  est  souvent  suivie  dans  les  manuscrits-  de  la  version 
analogue  du  poème  de  la  Vengeance  de  N.  S.  ou  de  la  destruc- 
tion de  Hierusalem3,  qui  fut  mis  au  théâtre  par  Mercadé.  Il  n'est 
pas  impossible  qu'un  manuscrit  de  ce  genre  (c'est-à-dire  con- 
tenant la  Passion  suivie  de  la  Vengeance)  ait  inspiré  les  «  compa- 
gnons »  qui  dès  i'3<,G  jouaient  à  Nevers  la  Passion  et  la  Ven- 
geance \  Quoi  qu'il  en  soit,  la  Vengeance  en  prose  ne  tarda  pas  à 
être  insérée  dans  les  éditions  nouvelles  de  la  Vie  de  Jesu  Crist, 
qui  avait  changé  de  nom  et  pris  le  titre  équivoque  île  Vita  Christi, 
dans  le  langage  courant. 

Cette  Vita  Christi.  augmentée  île  la  Vengeance,  obtint  elle- 
même  à  Paris,  à  Lyon,  à  Poitiers,  à  Troyes.  jusqu'au  xvme  siècle, 
de  nombreuses  éditions  b  dont  la  nomenclature  très  incomplète 
remplit  plusieurs  colonnes  de  Brunet  ".  Au  xvie  siècle  (i544)-  die 
fut  de  nouveau  traduite  en  languedocien  «  al  lengaget  de  Tholosa  » 
et  publiée  chez  le  libraire  J.  Colomiès  ;  au  xixe  siècle,  elle  fournit 


Les  Postules  d  expositions  des  Evangiles,  etc.,  Troyes.  G.  Le  Rouge,  3i  mars  i(«ia 
1 1  i'i  l  n.  9.  Je,  Pierre  Desrey,  simple  orateur  natif/,  de  Troyes  en  Champagne  et  bon 
françoys... 

1.  Brunet,  -V  édition,  t.  5,  p.    (■->;  (Passion  de  Jésus-Christ).  —  La  Bib.  Nat.  poss  de 
l'édition  de  i493  :  Réserve  I).  5,692. 

•2.  Besançon,  588,  f.  a.">  v.   Paris,   l>.   N.   ms.  fr.  93g  f.  5o  r  :  IV.  24.)?*  f.  -2112.  Arsenal 
5,366.  L64. 

i.  Sur  ce  poème  voir  la  notice  de  I'.  Meyer,  II.  delà  Soc.  des  anciens  textes  fr.  1830, 
p,  53-55. 

j.  Cf.  I'.  de  Julleville,  Les  Mystères,  t.  II.  p.  i;;; 

La  mention  dans  les  comptes  originaux  île  la  v.  de  Nevers  u'esl  pas  assez  explicite 
pour  rien  décider  D'autre  part,  on  trouve  des  M-  où  la  Passion  des  bateleurs  du 
xiu*  s.  esl  égalemenl  suivie  à  plus  on  moins  de  distance  de  la  Vengeance  en  vers 
Exemples,  Arsenal,  N  5aoi,  et  le  Ms.  de  Turin  actuellement  détruit,  mais  heureuse- 
ment décrit  par  M  Stengel.  (fr  36  (LIL  14.)  Chi  faut  li  roumans  de  nostre  dame  et  la 
sonffranche  Jhesucrist,  si  comraenche  sa  uenganche  ». 

.">.  Le9  dernières  éditions  populaires,  notamment  celle  de   1706,  vue  et  corrigée  par 
C.  Mallemans  de  de  Soi-  sonl  .1  la  lîil>.  de  Troyes 

il.  Brunet,  5*édit.  t.  V.  p.  1184  .1  1188,  Vies  de  Jesu  Crist. 


344  LA   PASSION    SELON   GAMALIEL 

de  longs  extraits  à  plusieurs  Dictionnaires  de  l'Encyclopédie 
Migne,  et  l'érudit  Peignot  en  publia  un  résumé  dans  la  Praedica- 
toj*iana(i8fî).  Le  vieux  livre  n'a  donc  cessé  d"ètre  réimprimé  jus- 
qu'au xixc  siècle,  et  il  y  a  peu  d'exemples  d'une  aussi  longue 
popularité  ;  mais  malheureusement  ces  réimpressions  sont  rares, 
et  l'édition  originale  de  I480  qui  peut  seule  entrer  en  ligne  de 
compte  avec  les  manuscrits,  est  rarissime.  Ce  sera  peut-être  l'ex- 
cuse de  cette  longue  analyse,  sur  laquelle  reposent  toutes  les  dis- 
cussions qui  suivront. 

Les  faits  établis,  et  la  comparaison  de  l'imprimé  de  i485  et  des 
manuscrits  terminée,  nous  n'avons  plus  qu'à  justifier  brièvement 
nos  assertions  précédentes  et  à  démontrer  par  des  indices  très  sim- 
ples comment,  malgré  des  contradictions  apparentes,  la  Passion 
d'Auvergne  et  les  mystères  rouergats  sont  tous  deux  tirés  non 
d'imprimés,  mais  de  manuscrits  que  nous  ne  connaissons  plus. 

i°  La  Passion  d'Auvergne  est  antérieure  à  i4~7-  et  le  courrier 
de  Pilate  s'y  appelle  Romain.  Or  tous  les  manuscrits  français  et 
provençaux  de  la  version  en  prose  du  poème  français  que  nous 
avons  consultés  donnent  Roma,  un  seul  Ronias.  Romain  n'appa- 
raît que  dans  l'imprimé  de  i485  et  ses  réimpressions.  Cela  prouve 
simplement  que  le  compilateur  de  i485  a  copié  Romain  dans  un 
manuscrit  analogue  à  celui  qu'avait  employé  le  poète  d'Auvergne. 

20  Dans  les  mystères  rouergats,  le  courrier  de  Pilate  s'appelle 
Roma  comme  dans  les  manuscrits,  et  il  est  nommé  ailleurs  Roman 
(sic.  non  pas  Romain)  dans  une  table  des  matières  l.  Cela  prouve  : 

i°  Que  ladite  table  des  matières  est  probablement  d'un  autre 
auteur  que  le  reste  de  la  compilation  (??). 

2°  Que  toute  la  compilation  a  été  prise  dans  un  manuscrit. 
Ce  manuscrit  ressemblait  d'ailleurs  à  celui  qui  a  été  reproduit 
dans  l'imprimé  de  i485.  En  effet,  le  commencement  de  la  déposi- 
tion de  Cariot  et  d'Elion.  traduit  dans  les  mystères  rouergats, 
contient  des  additions  qui  ne  se  trouvent  dans  aucun  des  manus- 
crits français  et  provençaux,  et  cette  première  phi*ase  du  texte 
rouergat  coïncide  au  contraire  avec  le  texte  de  l'imprimé  de  i485. 
Il  est  d'ailleurs  facile  de  distinguer  dans  cette  traduction  rouergate 


1.  H.  X.  11.  a.  fr.  6.252  fol.  3o  v. 


LA    PASSION    SELON    (1AMALIEL 

textuelle  un  ou  deux  détails  parasites  qui  ne  sont  ni  dans  l'im- 
primé, ni  dans  les  manuscrits,  et  que  l'auteur  rouergat  a  ajoutés 
de  son  chef.  Donc  il  était  bon,  nécessaire  de  comparer  l'imprimé 
aux  manuscrits,  d'autant  plus  <[ue.  par  hasard,  la  première  partie 
de  la  Vie  de  Jesu  Crist  contient  des  épisodes  de  la  vie  publique  du 
Christ  '  qui  reparaissent  dans  les  mystères  rouergats  et  qui  au- 
raient pu  faire  confusion  en  donnant  à  penser  que  le  compila- 
teur aurait  également  imité  cette  première  partie. 

Quant  à  ce  fait  qu'outre  la  version  en  prose  du  poème  français 
tiré  de  Y  Evangile  de  Nicodème,  le  compilateur  ou  les  compilateurs 
rouergats  ont  connu  par  surcroit  Y  Evangile  de  Nicodème  en  vers 
provençaux,  il  s'établira  tout  seul  puisqu'un  mystère  rouergat.  celui 
de  la  Résurrection, contient  des  vers  dudit  Evangile  de  Nicodème 
rimé  qui.  naturellement,  ne  se  retrouvent  pas  dans  les  versions  en 
prose  provençale  du  poème  français.  Si  compliquée  que  soit  la 
filière  des  emprunts  que  nous  avons  indiquée,  elle  sera  matériel- 
lement établie  quant  on  aura  lu  les  mystères  d'Auvergne  et  de 
Rouergue  qui  suivent.  Avant,  nous  avons  simplement  placé  quel- 
ques extraits  de  la  Vie  de  Jesu  Crist  de  1480,  à  feuilleter  comme 
pièces  justificatives,  et  qui  sont  à  rapprocher  du  texte  des  mys- 
tères rouergats. 


1.  Voir  plus  loin  cette  déposition  ou  lettre  réimprimée  dans  les  Extraits  de  la   Vie 
de  Jésu  Crist  de  i4H5  et  noter  l'expression  «  le  limbe  du  sein  d'Abraham  »,  p.  35a. 

2.  Exemple  :  le  chapitre  de   la  Samaritaine  reproduit  in  extenso  dans  les  Extraits  de 
la  Vie  de  Jesu  Crisi  de  i485. 


EXTRAITS  DE  LA  VIE  DE  JESU  CRIST  DE  1485 

(B.  N.  Réserve  H.  506). 


PREMIERE  PARTIE 
VIE  PUBLIQUE  DE  JÉSUS 

FIN    DE    LA    TABLE    DES    CHAPITRES 

Come  Jesucrist  plora  sainct  Jehan  Baptiste.  (Fol.  LIIII,  verso). 

Corne  Jesucrist  retourna  a  Nazareth  o  ses  disciples.  (Ibid.). 

Comment  Jesucrist  guérit  le  leppreux.  (F.  LV). 

Comment  Jesucrist  guérit  l'enfant  du  chevalier  Senturion.  (V°). 

Comment  Jesucrist  guarit   l'aveugle.  (Fol.  LVI). 

Comment  l'aveugle  fut  mené  devant  les  princes  de  la  loy.  (V°). 

Comment  Jesucrist  guérit  la  famé  du  flux  de  sang.  (Fol.  LVII  V). 

Comment  Jesucrist  guérit  le  sourd.  (F.  LVIII  r*). 

Comment  Jesucrist  demanda  à  ses  disciples  que  les  Juifs  disoient  de  luy.               (V°). 

Comment  Jesucrist  ressuscita  ung  mort  [à  Navm].  (Ibid.  ). 
Comment  Jesucrist  dict  a  ses  disciples  que  Jérusalem  seroit  destruict.      (F.  LIX,  r"). 

Comment  Jesucrist  guarit  le  demoniacle.  (Ihid.). 

Comment  Jesucrist  fut  interrogé  des  Juifs  f.Matth.  XXII.]  (VJ). 

Comment  les  Juifs  voulurent  prendre  Jesucrist.  (F.  LX  r°). 

Comment  nostre  Seigneur  Iesu  Crist  lessa  Ierusalem.  (F.  LXI  r). 

Comment  les  apostres  de  nostre  Seigneur  mengcoient  les  espies  du  blé.  (V-). 

Comment  Judas  le  traistre  fut  nez.  (Fol.  LXII). 


Comment  nostre  seigneur  Iesucrist  lessa  Ierusalem  (fol.  LXI  r°.  — 

Cf.  Mystères  rouergats,  p.  12  à  19). 

Relinquit  Jésus  Judeam  et  abiit  in  Galileam  (Johannis,  IIII). 

Jesucrist  lessa  Judée,  c'est  assavoir  Jérusalem,  et  s'en  ala  en  Galilée, 
et  passa  par  une  cité  qui  s'appelle  Samarie,  et  si  avoit  près  de  la  cité  une 
belle  fontaine,  et  Jesuscrist  estoit  las  de  cheminer,  et  se  assist  atouchant 
de  la  fontaine  environ  l'eure  de  VIe,  et  ses  disciples  alerent  en  la  cité 
quérir  a  menger.  Et  entretant  que  les  disciples  de  Jesucrist  estoient  en 
la  cité  quérir  a  menger,  une  famé  de  la  ville  vint  a  la  fontaine.  Et  la  famé 
luy  dit  :  Domine  scio  quod  Messias  venit  qui  dieitur  Cristus.  Sire,  j'ay 
entendu  que  le  Messias  vient  qui  est  appelle  Jesucrist,  et  quant  il  sera 
venu,  i!  nous  dira  beaucoup  de  choses.  Et  Jesucrist  lui  dist  :  Ego  sum 
qui  loquor.  Je  suis  celui  qui  parle  a  toy.  Et  quant  les  disciples  de  Jesu- 
crist eurent  apresté  les  viandes,  ilz  yindrent  a  Jesucrist  et  quant  ilz  virent 


VIE    DE   JESU   CRIST   DE   1485  347 

qu'il  pnrloit  a  la  famé,  ilz  se  merveillerent  moult  entre  eulx.  Et  la  famé 
laissa  le  pot  et  s'en  ala  en  la  cité  et  dit  es  gens  qu'elle  avoit  trouvé  Jesu- 
crist  :  «  Venite  et  videte  hominem  qui  dicit  michi  omnia  que  Jeci.  Venez 
voir  ung  homme  lequel  m'a  dit  tout  quanque  j'ay  fait.  »  Et  ceulx  de  la 
cité  dirent  :  «  Ce  doit  estre  Jesucrist.  »  Et  adonc  tous  saillirent  de  la 
cité  et  vindrent  voir,  et  entretant  les  disciples  luy  disoient  qu'il  mengeast, 
et  il  leur  disoit  :  «  Ego  eibum  habeo  manducare  que  m  vos  nescitis.  »  Et 
adonc  nostre  seigneur  dit  a  ses  apostres  :  «  J'ay  a  nienger  d'une  viande, 
laquelle  vous  ne  scavés  point.  »  Et  les  apostres  dirent  entre  eulxque  l'on 
luy  aportast  a  menger,  et  Jesucrist  nostre  seigneur  leur  dit  :  «  Meus 
cibus  est  ut  faeiam  roluntatem  ejus  qui  misit  me.  Ma  viande  est  que  je 
face  la  volenté  de  Dieu  mon  père,  lequel  m'a  envoie  en  terre.  »  Et  après 
ces  choses  dictes  veult  menger  avecques  ses  disciples  sur  la  terre  en 
moult  grant  humilité  '.  Et  après  qu'ilz  eurent  mengé,  il  entra  dedens  la 
cité  et  ala  prescher,  et  creurent  en  luy  plusieurs  gens  pour  la  parole  de 
la  famé  qu'elle  leur  avoit  dit  quant  elle  eut  parlé  a  nostre  seigneur  en  la 
fontaine,  et  Jesucrist  demeura  dedens  celle  cité  deux  jours.  Pone  supe- 
rius  ah  angono  dirige  ut  in  Jîgitrihus  sanctorum  inverties  in  vita  apos- 
tolorum  Symonis  et  Jude2. 

Comment  les  apostres  de  nostre  seigneur  mengoient  les  espies   du  blé. 

Comment  Judas  le  traistre  fut  nez.  (Suit  la  légende,  fol.  LXII 

à  LXVII  r°.) 


SECONDE  PARTIE 

Comment  au  partir  de  Betffagie  Jesucrist  manda  Sainct  Pierre  et  Sainct 
Phelippe  en  Jérusalem  pour  aler  quérir  i'anesse  et  le  polain  | et]  des- 
sus l'anesse  entra  en  Jérusalem  !,  fol.  lxvii  v°.  (Cf.  Mgst.  H.,  p.  95  96.) 

El  quant  ilz  furent  près  de  l'entrée  de  la  porte  de  la  rite  de  Jérusalem, 
Jesucjist  dist  a  Sainct  Pierre  et  a  Sainct  Phelipe  qu'ilz  entrassent  en  la 

i.  «  Menger  sur  la  terre  en  grant  humilité  »,  ce  trait  vient  «1rs  Meditationes  Vitae 

Christi  Gh.  XXXI. —  Le  mystère  i ergat  de  la  Samaritaine  présente  un  trait  analogue 

p.  is:  «  Aras  Be  asieto  los  disipols  en  terra,  etc.  »,  mais  Jésus  ne  partage  pas  l«'«ir 
repas,  ce  n'est  donc  qu'une  fausse  analogie  el  le  compilateur  rouergat  n'a  pas  utilisé 
ce  cha  pil  re 

2.  Renvoi  suit  à  la  Légende  dorée, soit  aux  Vies  des  Saints  ou  aux  Evangiles fériaux. 

i.  Texte  a  peu  près  identique  dans  la  plupart  '1rs  manuscrits,  Dans  |(-  manuscrit 
de  la  Bib  Nation,  n.  a.  IV.  },o85,  le  \<-\U-  est  encore  semblable,  mais  les  titres  <•!  les 
divisions  des  chapitres  diffèrent  très  légèrement. 


348  VIE  DE  JESU  CRIST  DE  1485 

cité,  et  qu'ilz  luy  amenassent  une  anesse  qu'ilz  trouveroient  liée  avecques 
son  polain,  et  Sainct  Pierre  dist  :  «  Et  que  ferons  nous  si  les  gens  la 
nous  ostent?  »  Et  Jesucrist  leur  dist  :  «  Vous  ne  trouverez  la1  homme 
qui  la  vous  hoste.  »  Et  Sainct  Pierre  et  Sainct  Phelippe  entrèrent  de- 
dens  la  ville,  et  tantost  trouvèrent  l'anesse  liée  avecques  son  polain,  et 
la  deslierent  et  l'en  amenèrent  a  Jesucrist,  et  tantost  les  apostres  si  des- 
pouillerent  leurs  robes  et  les  misrent  dessus  l'anesse.  Et  puis  assirent 
Jesucrist  dessus,  et  commencèrent  a  aler  droit  a  la  porte  de  la  cité  de 
Jérusalem,  et  quant  furent  près  de  la  porte,  Jesucrist  commença  forment 
sa  coleur  à  muer  et  dist  a  ses  apostres  :  «  Forment  s'aproche  la  des- 
trucion  de  Jérusalem.  »  Et  Sainct  Jehan  l'evangeliste  luy  demanda  que  il 
voloit  dire.  Et  Jesucrist  luy  dist  que  le  .VIII.  an  après  icelluy  ou  ilz  es- 
toient,  seroit  tel  fain  en  Jérusalem  que  les  mères  y  mengeroient  leurs 
enfants,  et  toute  la  cité  seroit  destruicte. 

Comment  le  peuple  de  Jérusalem  et  les  enfans  receurent  honorablement 
Jesucrist  a  l'entrée  de  la  ville.  (Cf.  Myst.  Rouergaés,  p.  99.) 

Et  quant  les  Juifz  sçeurent  la  venue  de  Jesucrist,  tout  le  peuple  grant 
et  menu  et  les  enfans  issirent  hors  de  la  cité  pour  faire  honneur  a  Jesu- 
crist. Et  chantoient  les  enfans  des  Ebrieux,  et  disoient  :  «  Gloire  et  hon- 
neur soit  a  nostre  seigneur  Jesucrist.  Benoist  soit  le  filz  de  David  qui 
vient  au  nom  de  nostre  souverain  seigneur  Adonay  *  pour  nous  saulver 
ainsi  comme  il  est  escript.  »  Les  ungs  se  montoient  sur  les  arbres  et 
jectoient  les  rames  de  fleurs  par  le  chemin  ou  debvoit  passer  nostre  sei- 
gneur Jesucrist.  Et  se  despoulloient  leurs  robes  et  les  estendoient  par 
le  chemin.  Et  Jesucrist  se  entra  en  la  cité  a  grant  honneur,  et  ala  tout 
droit  au  temple  de  Salomon  que  on  clame  le  mont  d'Olivet,  et  la  prescha, 
et  en  son  sermon  parla  moult  amplement  de  la  loy,  et  sy  furent  moult 
esmerveillez  les  Juifz  des  motz  qu'il  disoit,  car  jamais  ne  les  avoient  ouy 
itieulx.  Et  quant  il  eut  presché,  nul  ne  le  [ur]  parla  de  menger,  mais 
s'en  tourna  en  la  maison  de  Jacob,  père  de  Marie  Jacobi,  et  la  menga  et 
demeura  celle  journée. 

Comment  pour  l'envie  que  les  Juifz  eurent  de  l'oneur  qu'on  avoit  fait  a 
nostre  seigneur  Jesucrist,  Annas  et  Caiphas  mandèrent  les  .XII.  plus 
grans  et  tindrent  leur  conseil  pour  le  faire  citer  devant  Pylate. 

i.  Imprimé  :  ja. 


VIE    DE    JESL"    CR1ST    DE    14S5 


LE  LAZARE. 

Comme  quant  les  Juifs  eurent  assez  blasmé  Jésus,  XII  bons  preudom- 
mes  le  deffendirent  et  comptèrent  à  Pilate  tous  les  grants  biens  qu'il 
avoit  faict  en  Bethanie.  p.  uir  xix  r°.  (Cf.  Gesta  Pilati,  éd.  Tischen- 
dorff,  1876,  cap.  VIII,  p.  357)1. 

:  a  Et  adonc  les  XII  prudomraes  se  tyrerent  avant  qui  estoient  de 
Bethanie,  et  dissirent  :  «  Syre  Pilate.  escoutés  que  nous  vous  dirons. 
Nous  avons  veuz  que  Jhesus  a  moult  fréquenté  en  la  maison  de  Marthe, 
et  sy  a  fait  de  grands  miracles  que  nous  sçavons  bien  et,  entre  les 
aultres,  nous  veïsmes  que  le  ladre,  frère  de  la  Marthe  morut,  et  les 
dames  le  sevellyrent,  et  quant  vint  au  quart  jor  que  fut  sevelly,  Jhesus 
vint  en  l'ostel  de  la  Marthe,  et  Marthe  luy  dit  :  «  Sire,  se  tu  fusse[s]icy, 
mon  frère  le  Ladre  ne  fusse  pas  mort,  quar  je  croy  certainement  que  ce 
que  tu  recite  [s]  a  Dieu  t'est  oulctroyer.  »  Et  Jhesus  luy  dist  :  «  Ton 
frère  resuscitera  »,  et  elle  luy  dit  :  Je  sçay  bien  qd'i  resuscitera  au  jour 
du  jugement  quant  nous  ressusciterons  »,  et  Jhesus  luy  dist  :  «  Je  suis 
résurrection  et  vie,  et  quy  croira  en  moy  ania  vie  perdurable.  Groys  tu 
ceci?  —  «  Sires,  dit  elle,  je  croy  que  tu  est  (sic)  filz  de  Dieu  vif,  qui  est 
venus  en  cestuy  monde.  »  Et  quant  Jhesus  vit  la  foy  de  Marthe,  il  luy 
dit  qu'il  allassent  avec  ly  et  il  s'en  alla  ou  monument  du  Ladre.  Et  Mar- 
the et  Mario  Magdeleine  et  grand  foyson  d'autres  gens  allèrent  avec  luy. 
et  puis  il  fit  lever  la  pierre  du  monument,  et  le  Ladre  puoit  moult  fort. 
Et  Jhesus  se  pry  a  plorer  et  dist  ses  paroles  :  «  Ou  non  de  mon  Père 
qui  est  tout  puissant,  lyeve  toi  »  et  incontinaiat  le  Ladre  se  leva,  et  Jesu- 
crist  luy  retourna  l'ame  ou  corps,  et  quant  le  Ladre  fut  dehors  du  monu- 
ment, il  se  agenoilla  devant  Jesucrist  et  luy  dist  :  «  Syre,  vray  Dieu, 
garde  moy  de  retourner  au  lieu  d'où  je  suis  parti,  vray  ment  tu  es  ma 
rédemption.  »  —  Et  nous  vouldryons  veoir,  sire  Pilate,  que  vous  voul- 
sissiez  scavoir  la  veritey.  »  Et  adonc  Pilate  regarda  Gamaliel.  et  luy  dit: 
«  Dictes,  Gamaliel,  sçeutez  vous  onques  de  cecy  rien'.'  —  Certes.  .->>  res, 
dii  Gamaliel,  ouyr  (sicj  encoyres  plus  que  ne  vous  dient. 

i.  Episode  correspondant,  dans  le9  Mystères  rouergats,  p  65-88,  p  383-288  Pource 
chapitre,   M    pouvait  j  avoir  un  petit  avantage   à   montrer,  m  besoin  éiait,  combien 

l'imprimé   il.-  1480  diffère  peu  des  manuscrits.  J'ai  <l :  reproduit    i<i    If  texte  d'un 

manuscrit  très  moderne,  copié  à  Autun  en  1  "i  r«  ».  N  a.  rr  Ï"K."j  i"l  ni  >".  L'imprimé 
de  1  J.s.s  ne  diffère  guère  que  par  l'ortographe,  mais  ajoute  ;i  ta  lin  cette  phrase: 
«  El  vouldrions  bien  que  vous  vousissiés  veoir  le  ladre  |><>ur  bien  scavoir  la  vérité  <l<' 
de  iesucrisl  <•(  qui!  est,  car  -i  lu  le  cognoissoies  bien,  tu  m-  croyroyes  nulles  parollcs 
mensongiers  (sic)  cont ri    lui  n, 


350  VIE  DE  JESU  CRIST  DE  1485 

JOSEPH  D'ARIMATHIE  ;  CARIOT  ET  ELION  » 

Comment  les  evesques  envoyèrent  guérir  Gamaliel  et  Nicodemus  et  alerent 
veoir  la  courtine  du  temple  qui  estoit  rompue  dont  -  pour  ses  choses 
plorerent  moult  fort  et  menèrent  grant  tourment.  —  Cf.  Mystères 
rouergats,  Joseph  d'Arimathie,  p.  164,  v.  4541  et  suivants. 

P.  vixvvi  r°  :  «  Et  tantost  ilz  envoyèrent  quérir  Gamaliel  et  Nicodemus 
et  plusieurs  aultres.  Et  quant  tous  furent  venuz,  ilz  s'en  alerent  au 
temple  de  Salomon  et  virent  la  courtine  rompue  et  partie.  Et  inconti- 
nent commencèrent  a  plorer  moult  fort  tant  que  c'estoit  grant  pitié. 
Et  Joseph  d'Abarimathie  et  Nicodemus  alerent  plus  avant  et  virent  les 
deux  créatures  qui  avoient  nom  l'un  Garioth  et  l'autre  Elion  avecques 
leurs  suaires  affublés,  et  eurent  tous  grant  peur.  Et  Cayphas  si  les  com- 
mença à  conjurer  de  par  le  hault  seigneur  Adonay  que,  se  ils  estoient 
bonnes  choses,  que  ilz  parlassent  a  eulx  et  si  maulvaises  estoient,  qu'ilz 
s'en  alassent  du  temple  et  sans  nul  mal  faire  a  homme.  Et  Carioth  leur 
fist  signe  qu'ilz  apportasseni  encre  et  plumes  et  parchemin,  et  il  escrip- 
roit  tout  quanqu'il  leur  voulolt  dire.  Et  tantost  Annas  les  cogneut  bien, 
car  il  s'approucha  et  si  dist  aux  Juifz  :  Saichez  que  cestes  créatures  sont 
Carioth  et  Elion,  filz  de  Ruben,  qui  estoit  moult  saige  homme  en  nostre 
loy,  qui  mourut  n'a  pas  troys  ans.  Et  tous  les  regardèrent  et  dirent: 
t  Sire  Annas  vous  dictes  vray  ».  Et  Gamaliel  dist  aux  Juifs;  «  Pour  cer- 
tain ils  sont  de  ceulx  qui  sont  ressuscitez  par  la  mort  de  Jesu  Crist.  — 
Et  Cayphas  dit  :  «  Et  comment  scavez  vous  que  par  la  mort  de  celuy 
homme  Jésus  gens  ressusciteroient  ?  »  —  Et  Gamaliel  lui  dist  :  «  Et  ne 
veistes  vous  pas  que,  quant  Jésus  mourut  en  la  croix,  que  grant  tremeur 
fut  sur  la  terre,  et  le  souleil  et  la  lune  se  obscurcirent,  et  adonc  la  cour- 
tine du  temple  de  Salomon  se  fendist  et  partit,  et  les  mors  qui  estoient 
es  monuinens  ensepveliz  se  levèrent  et  ressuscitèrent  et  aloient  par  sur 
la  terre?  Et  aussi  les  tours  partirent  et  fendirent,  car  la  tour  de  David 
fendit.  Et  puis  les  evesques  dirent   à  Gamaliel  :  «   Voyons  si  en  nule 


i.  Titre  ajouté  par  l'éditeur. 

2.  Tout  ce  chapitre  présente  de  sensibles  différences  avec  VEvangelium  Nicodemi 
éd.  Tischendorff,  P.  II,  cap.  i,  p.  3go,  et  l'Evangile  de  Nicodème  en  vers  provençaux, 
éd  Suchicr,  p.  49-  v.  i(33o  et  suivants  ;  tandis  qu'il  est  reproduit  littéralement  dans  le 
Mystère  rouerg-at. 

La  correspondance  entre  la  Passion  de  Gamaliel,  dont  nous  avons  ici  la  version  en 
prose  française,  et  YEvangile  de  Nicodème  en  vers  provençaux  ne  s'établira  guère  qu'à 
partir  de  la  lettre  Cariot  et  d'Elion,  mais  elle  subsistera  jusqu'à  la  lin  de  cette  lettre, 
malgré  quelques  interversions  dans  les  chapitres. 


VIE    DE   JESU   CRIST    DE    1 485  '.\')\ 

manière  pourront  tant  faire  que  celles  créatures  parlent  a  nous  et  aussi 
a  vous  ». 

Et  Cayphas  s'en  ala  vers  eulx  et  leur  dist:  Je  vous  commande  de  par 
le  seigneur  Adonay  que  vous  me  dictes  pourquoy  vous  estes  cy  venuz  ». 
Et  Carioth  lui  fist  signe  aultrefois  que  on  lui  apportast  de  l'encre  et  du 
papier  pour  escripre  pourquoy  ilz  estoient  la  venus.  Et  Gamaliel  ala 
vers  eulx  et  leur  dist  :  «  Se  vous  aultres  osez  parler  a  homme  vivant. 
parlez  a  moy.  »  Et  ilz  respondirent  :  «  Nous  osons  bien  parler  a  vous, 
mais  que  cesles  gens  n'y  fussent.  Car  Dieu  nous  a  deffendu  que  nous  ne 
parlons  a  nulz  d'eulx,  mais  vous  sçavez  bien  que,  par  la  révélation  de 
Jesucrist,  il  est  ressuscité.  Et  nous  sommes  icy  venus  pour  manifester 
et  faire  assavoir  a  tout  le  peuple  la  vérité.  Nous  faictes  apport'1!'  de 
l'encre  et  du  papier  et  nous  le  vous  meclrons  en  escript  ».  Et  tantost 
Gamaliel  ala  aux  evesques  et  leur  dist  :  «  Seigneurs  baillons  leur  encre, 
plume  et  parchemin,  et  verront  qu'ilz  veulent  escrire  ».  Et  les  Juifs  com- 
mencèrent a  estraindre  les  dens  contre  Gamaliel  et  le  menacèrent  fort. 
Et  Carioth  et  Elion  esciïprent  en  leur  ebreu  chascun  a  sa  partie  une 
chartre,  et  eut  en  l'une  comme  en  l'autre.  Et  a  une  heure  ilz  commencè- 
rent et  a  une  heure  affinèrent.  Et  quant  Carioth  eut  escript,  il  la  bailla  a 
Annas  et  Elion  a  Cayphas 

Et  disoient  ainsi  les  Chartres. 


Comment  Carioth  qui  estoit  ressuscité  a  l'eure  de  la  mort  de  nostre 
seigneur  Jasu  Crist  compta  aux  Jnifz  de  ce  qu'il  estoit  descendu  au 
limbe  après  sa  mort  '. 

Moy  Carioth,  ou  non  de  Dieu  Jesucrist  qui  fut  levé  en  croix,  crucifié, 
clavellé,  escopi  et  flagellé  et  do  la  lance  son  cousté  percié  par  vous  aul- 
tres Juifz,  je  commence  a    dire   merveilles   telles    que  oneques   mais 

i .  Comparer;  v  Evangeliam  Nicodemi  (éd.  Tischendorff,  i8j6(  P.  11.  cap.  1  et  n  (xvii, 
xviii,.  p.  3go. 
2°  L'Evangile  </-■  Nicodème  en  vers  provençaux,  éd.  Suchicr,  p.  5o,  \     17"  >: 
[eu  < larinus  e  nom  de  <li'-n 
Que  \<-\  ero  en  cros  Juzieu, 
Gomensi  a  dir  ma  razo,  etc. 
3*  !.;>  traduction  provençale  de  la  Passion  selon  Gamaliel,  i-[c.  Itil>.  Nut.  ms.  fi 
fol    cxvn  \  .  «  [eu  Carios,  yeu  Carios  (répété,  sic)  en  non  de  Ihcsu  ('.ri>t  <| iif  foc  levai 

en  cros comensi  ■>  dire  meravilhas.. ■..-..• • . 

Quant  ii<^  eram  |n^  en  iffern  en  .1.  !<"■  que  a  nom  I"  linbe  <>n  aviam  gran  dolor  c 
cran  marlir,  m.i^  non  pas   tant  coma  los  autres  que  eram  dedins  n">     E.    1.  qui 


352  VIE    DE   JESU    CRIST    DE    1485 

homme  ne  ouyt  dire  telles  ne  si  grans,  et  sans  nulle  mensonge,  mais 
est  pure  vérité.  Et  est  faict  si  comme  les  prophètes  ont  prophetizé.  C'est 
assavoir  qne  nous  estions  en  enfer  en  ung  lieu  qui  avoit  nom  limbe,  ou 
nous  estions  en  grant  douleur,  mais  non  pas  en  si  grant  comme  ceulx 
qui  estoient  dessoubz  nous.  Si  vint  ung  homme  en  enfer  qui  avoit  esté 
crucifié  et  si  avoit  nom  Dymas  (sic)  et  estoit  larron  et  fut  crucifié  avec- 
ques  Jésus  et  luy  requist  mercy.  Et  après  vint  une  grant  resplandeur  en 
enfer  dessus  nous  de  quoy  les  diables  furent  moult  espouentez.  Et  tan- 
tost  nous  ouysmes  la  voix  de  Jesucrist  qui  disoit  :  «  Ouvrez  vos  portes, 
les  miens  ennemis,  car  je  vueil  liens  entrer.  » 

Comment  les  diables  d'enfer  eurent  grant  peur  et  menèrent  grant  tour- 
ment quant  nostre  Seigneur  vint  a  la  porte  d'enfer. 

N .  B. —  Suivent  dix  chapitres  comprenant  la  querelle  des  diables  Luci- 
fer, Enfer.  Satban,  l'entrée  de  Dymas  ou  Dyamas  le  bon  larron,  les  discours 

estât  crucificat  vent  c  intret  en  iffern,  que  avia  nom  Gestas  que  era  layre  e  era  estât 
cruciticat  ara  Ihesu » 

4°  La  2«  traduction  provençale  B.  Nat.  ms.  fr.  1919.  fol.  ",  -S  et  suiv.,  plus  abrégée; 
une  citation  d'une  phrase  suffira  :  «  Eran  en  enfern  en  .i.  luoch  que  hom  apelhava 
limbe  que  .i.  home  que  es  estât  crucitiat  vent  he  entret  en  infer  :  he  aquest  avia  a 
nom  Gestas » 

5°  Les  manuscrits  français  ou  versions  en  prose  française  de  la  Passion  selon  Ganta- 
liel  comme  les  manuscrits  provençaux  précités,  n'ajoutent  qu'une  seule  épithète  au 
nom  de  Jésus  Christ  «  mis  en  croix  »  «  crucifié  à  la  croix  ».  Exemples  :  B.  >'at.  ms.  fr. 
979.  fol.  36  v»  ;  it.  fr.  24,4'3S.  fol.  162  r"  etc. 

La  traduction  du  mystère  rouerpat  Joseph  d'Arimathie.  p.  169,  v.  466S  et  suiv.  cor- 
respond seule  exactement,  à  ma  connaissance,  au  manuscrit  français  reproduit  dans 
la  Vie  de  Jesu  Crist  de  i485,  réimprimée  ici 

Ieu  Chariot,  en  lo  nom  de  Ihesu  Crist,             He  anb  una  lansa  lo  costat  ubrit 
Lo  quai  forec  mes  en  crotz,                                 Per  vos  autres  malvatz  Juzieus. 
Batut,  clavelat  he  en  la  cara  escupit,  Ieu  vos  diriey  grandas  meravilhas 


Plus  loin  : 
So  es  a  saber  que  nos  erem  en  inféra  Lo  linbe  de  Sinn  Abrae 

lien  hun  loc  que  ha  amon,  —  (a  nom  ?)  Hont  nos  estavem  en  gran  dolor. 

Au  mot  «  limbe  »  du  texte  qu'il  avait  sous  les  yeux,  le  compilateur  rouergat  a 
ajouté  «  de  sinu  Abrae  »,  et  a  fabriqué  ainsi  une  expression  très  bizarre,  relevée  par 
M.  Jeanroy  (Introduction,  p.  xxx,  note  1.  3),  mais  qui  n'est  pas  sans  analogue  dans  la 
littérature  religieuse  du  xv<?  siècle.  Comparer  cette  description  de  l'enfer  dans  la  'Vie 
Nostre  S.  Ihesu  Crist  compilée  par  un  religieux  Célestin  l'an  i4<i2,  B.  >Tat.  ms.  fr.  9587 
fol.  i65r*:  «  Le  quart  lieu  se  nomme  sinus  abrahe,  le  sain  c'est-à-dire  le  repos  de 
Abraham  et  a  la  fois  se  nomme  le  limbe  combien  que  improprement  ouquel  lieu 
estoient  les  sains  pères  qui  oneques  furent  depuis  Abel  jusques  a  la  Passion  nostre 
seigneur  Ihesu  Crist.  » 


VIE    DE    IESD    C.niST    DE    1  IS5 

d'Adam  et  de  son  fils  Seph,  puis  des  prophètes  Zacharie,  Jehan  Baptiste, 
David,  Jérémie,  les  exclamations  joyeuses  des  saints,  la  terreur  des  dé- 
mons qui  veulent  fuir,  mais  sont  retenus  prisonniers  par  Enfer,  et 
l'arrivée  de  Jésus-Christ  aux  portes  d'Enfer,  etc. 

Toute  cette  partie  de  la  Passion  selon  Gamaliel  est  encore  tirée  à  peu 
prés  textuellement  de  Y  Evangile  île  Nicodème  en  '-ers  provençaux. 
Tandis  que  ladite  paraphrase  provençale  s'écarte,  comme  on  le  sait,  plus 
d'une  fois  de  la  version  latine  de  l'Evangile  de  Nicodème,  au  contraire 
la  Passion  selon  Gamaliel,  le  roman  ou  poème  en  prose  français  suit 
pas  à  pas  le  provençal.  Ailleurs,  l'auteur  français  a  fait  à  son  modèle  de 
notables  changements  ou  additions,  ici  il  ne  lui  ajoute  rien,,  il  le  repro- 
duit fidèlement  pendant  des  pages  entières  qui  ont  été  à  leur  tour  impri- 
mées sans  modifications  dans  la  Vie  de  Jésus  Crist  de  1485.  On  s'est 
borné  à  quelques  extraits  suffisants  pour  l'étude  des  mystères  rouergats. 

Ainsi  l'on  a  réimprimé  toute  la  fin  de  la  lettre  de  Cariot  etd'Elion  parce 
que  les  répliques  d'Adam  et  d'Eve  contenues  dans  ce  texte  sont  faciles 
à  retrouver  : 

1°  Dans  YEcangile  de  Nicodème  en  vers  provençaux,  page  60,  vers 
2015-2065. 

2°  Dans  la  scène  de  la  Descente  aux  Limbes  qui  fait  partie  de  la  Résur- 
rection rouergate  conservée,  p.  104-105.  Les  répliques  d'Adam  et  d'Eve 
visées  y  sont  insérées  au  milieu  de  développements  tirés  de  la  Passion 
du  manuscrit  Didot  (cf.  p.  404-405  de  ce  livre). 

D'autre  part,  la  version  latine  de  l'Evangile  de  Nicodème  (éd.  Tischen- 
dorff,  1876,  P.  II,  Cap.  vin  (XXIV),  p.  403,  ne  contient  pas  la  fin  de  la 
lettre  de  Cariot  et  d'Elion  avec  les  détails  sur  l'Alleluva  et  le  signe  de  la 
Croix,  tels  qu'on  les  trouve  dans  YEcangile  en  vers  provençaux,  y.  62, 
v.  2068-2100.  Cette  fin  est  traduite  dans  la  Passion  selon  Gamaliel  avec 
une  telle  fidélité  que  ce  passage  suffirait,  semble-t-il,  pour  démontrer 
que  l'auteur  français  a  dû  travailler  directement  sur  le  texte  provençal, 
comme  on  l'a  déjà  dit  et  comme  on  en  relèvera  encore  d'autres  indices. 

Jésus  aux  portes  de  l'Enfer.  (Fin  des  lettres  de  Carioth  et  d'Elion  dans  la 
Vie  de  Jésus  Crist  de  1485,  fol.  vixxxi  verso.  —  Cf.  Mijst.  rouergats, 
p.  101  à  105,  répliques  d'Adam  et  d'Eve. 

Et  tantost  Jesucrist  cria  plus  haultement  qu'il  n'avoii  fait  les  aultres 
fois  et  dist  :  Ouvrés  les  portes,  princes  d'Enfer,  car  je  le  vous  commau 
Et  Sathan  dist  :  Qui  est  celluy  qui  veult  entier  céans  .'  —  :    «  Dieu  ! 
Dieu  tout  puissant  en  toutes  choses  qui  tout  vostre  pouvoir  vous  veult 

23 


354  VIE  DE  jesu  cmsT  DE  1485 

oster.  »  —  Et  tantost  les  portes  d'enfer  se  ouvrirent  tout  par  elles  et  les 
barres  et  les  chaysnes  se  rompirent  toutes. 

Comment  Jesucrist,  après  qu'il  eut  crié  la  seconde  fois,  il  entra 
en  enfer  et  lya  Sathan  ' . 

Et  Jesucrist  s'en  entra  leans  ou  meillieu  d'enfer,  et  print  Sathan  et  le 
lya  par  sa  vertu  et  puissance  tellement  qu'il  n'avoit  pouoir  de  faire  mal 
ne  bien.  Et  Jesucrist  dist  a  Sathan  :  «  Tu  es  celui  qui  engignas  Adam 
et  Eve.  Et  pour  ce  qu'ilz  te  creurent,  je  les  jectay  de  paradis  terrestre, 
car  ilz  passèrent  mes  commandemenz.  Et  depuis  en  ça,  tu  les  a  tenuz 
en  grandes  paynes  et  en  grans  tourmens,  et  tous  ceulx  de  leur  nature. 
Et  pour  ce  que  grant  mal  as  faict,  et  grant  mal  en  prendras,  et  seras  en 
enfer  a  tousjours  mais,  et  y  demeureras,  sans  point  de  mercy.  »  Et  puis 
Jesucrist  dist  a  Enfer  :  «  Je  te  commande  que  tu  le  tiegnes  a  tousjours 
mais  en  tes  prisons  prins.  »  Et  puis  après,  Jesucrist  regarda  Adam  et 
luy  dist  :  «  Adam,  je  te  donne  ma  paix  et  a  tous  ceulx  qui  ont  fait  le 
commandement  de  mon  Père.  » 

Comment  Adam  s'agenoilla  aux  piez  de  nostre  Seigneur  en  luy  rendant 

grâces  et  mercy  -. 

Et  tantost  Adam  s'agenoilla  et  baissa  (sic)  les  piez  de  Jesucrist  et  les 
mains,  et  regarda  les  anges  en  plorant,  et  puis  il  leur  dist:  «  Ce  sont  les 
mains  de  celuy  qui  me  fist  et  forma  et  aussi  forma  tout  le  monde  et  or- 
donna toutes  choses.  Et  fist  le  firmament  et  les  estoilles,  le  souleil  et  la 
lune,  et  leur  donna  clarté  pardurable.  Et  est  celuy  qui  nous  jugera  au 
dernier  jour.  Ha  !  sire,  roy  tout  puissant,  humble  et  plain  de  toute  doul- 
ceur  et  de  miséricorde,  comment  as  tu  peu  souffrir  mort  et  martire,  tant 
est  le  tien  povoir  grant?  Mais  sire,  tu  es  droicturier,  car  si,  comme  je 
fis  le  grant  defaillement  et  trespassay  ton  commandement  par  ma  grant 
glotonnie,  aussi,  sire,  il  a  convenu  que  tu  soyes  venu  au  monde  pour 
confondre  et  destruire  le  diable  d'enfer  qui  longuement  m'a  tenu  es  ses 
prisons  pour  le  péché  que  je  commis.  Par  arbre  je  [ay]  péché  et  par 
arbre  tu  es  mort,  et  par  ta  mort  je  suis  rachapté  et  mis  hors  de  prison. 

i.  Cf.  Evang.  Xicodemi  (éd.  Tischendorff),  Cap.  XXIV,  p.  4o3-4o4. 
Item  Evang.  de  Nicodème  en  vers  provençaux,  p.  60,  v.  igg5-2oio. 

2.  Evang.  Xicodemi.  Cap.  XXIV,  p.  4o3.  —  Ev.  en  vers  provençaux,  p.  60-62,  v.  20i5- 
ao65. 


VIE   DR   JESU   CRIST   DE    1485  355 

Et  puis  Eve  commença  a  plorer  devanl  Jesucrist ',  et  eul  grant  joye  quant 
Jesucrist  lui  eut  pardonné  le  péché  qu'elle  avoit  faict,  et  puis  vindrent 
tous  les  saincts  et  adorèrent  Jesucrist  et  chantèrent  ting  chant  de  grant 
doulceur,  c'est  assavoir  alleluya,  alléluia,  alléluia,  et  vault  autant  a  (lire 
comme  gloire  et  honneur  soient  a  nostre  seigneur  Dieu  Jesucrist2.  Et 
tantost  Jesucrist  despouilla  enfer  et  en  jecta  tous  les  siens  amys. 

Comment  après  plusieurs  murmurations  Jesucrist  jecta  ses  amys 

d'enfer. 

Et  tantost  Jesucrist  se  commença  a  yssir  d'enfer.  Et  les  sainctz  luy 
prièrent  qu'il  laissast  en  enfer  le  signe  de  la  croix  affin  que  les  diables 
en  eussent  tousjours  peur,  et  que  n'eussent  pouoir  de  mal  faire  a  nul 
home  qui  veille  Dieu  amer  et  croire  et  qui  d'icy  en  avant  face  le 
signe  de  la  croix  sur  soy.  Et  Jesucrist  avecques  ses  amis  qu'il  jecta 
d'enfer  s'en  ala  en  Paradis  terrestre.  Et  illecques  les  mit  jusques  a  ce 
qu'il  montast  en  la  gloire  de  Paradis  a  la  dextre  de  son  père.  Et  aux 
aultres  il  commenda  qu'ilz  demeurassent  vivans  ou  monde  pour  qu'ilz 
en  portassent  tesmoignaige.  Et  cy  finissent  tous  les  escriptz  de  Carioth 
et  Elion. 

i.  Los  Ms.  français  el  les  Ms.  provençaux  sont  ici  plus  développés  que    le  Ms.    IV. 
reproduit  dnns  la  Vie  de  Jesu  Crist  </<■  i485  que  nous  réimprimons,  et  se  rapprochent 
plus  de  V  Evangile  de  Nicodème  en  vers  provençaux,  p.  62,  v.  2o58  : 
So  sun  las  mas  que  eni  paradis 
Mi  formera  d'un  petitz  hos 
Aytant  leu  co  fero  d*un  gros. 
Vers  imités  dans  la  Résurrection  rouergate,  p.  104.  v.  2792  : 
Que  me  formiest  en  paradis 
He  que  me  fesis  (!<•  hun  petit  os. 
Comparez  par  ex.  le  manuscrit  français,  B.  Nat.  979,  p.  39  \\  «  Et  atant   Eve,  nostre 
première  mère,  vint  es  pies  de  Jhesu  Crist  et  dist  :  «  Ce  sont  les  pies  et  les  mains  qui 

en  paradis  terrestre  me  formaient  d'une  petite  couste etc.  » 

2.  Cf.  Tout  le  passage  correspondant  dans  VEvangite  de  Nicodème  en  vers  proven- 
çaux, p    Sa,  v.  2070-2100: 

l  h  cantz  cantero  d'alegror,  Que  es  vengutz  de]  ce!  d'amon 

Alleluya,  que  dis  aytan  :  Per  nos  gitar  difern  prion 

Honor  ->i.i  d  aqui  en. m  (Ces  deux  derniers  >  ers  copies  dans  la 

A  nostre  senhor  Jhesu  Cristz  Résurrection  rouergate,  p.  i"">.  v. 

Que  en  ifern  ayssins  a  \  i-tz.  \\>  t. m  Jhesus  ifern  mordet,  etc. 


LA 


PASSION  DAUVERGNE 


LA 

PASSION  D'AUVERGNE 

B.  Nat.  Ms  ii.  a.  fr.  462. 


La  Passion  d'Auvergne  a  été  signalée  dès  les  premières  années 
du  xixe  siècle  par  l'érudit  Dulaure,  mais  il  n'en  avait  copié  qu'un 
intermède  comique  en  patois  de  la  Limagne.  Cette  copie  de  Dulaure 
actuellement  conservée  à  la  Bibliothèque  de  Clermont-Ferrand 
(Ms.  6a3,  f.  3Go-3G8)  a  été  deux  fois  imprimée  avec  traduction  et 
commentaire  (V Ancienne  Auvergne  et  le  Velq/y  par  Adolphe 
Michel,  Moulins,  1847,  in-8,  t.  III,  p.  5a  ;  Les  Patois  de  la  Basse 
Auvergne,  leur  grammaire  et  leur  littérature  par  H.  Doniol, 
Paris,  Maisonneuve,  1877,  in-8°,  p.  73-78).  Ces  commentaires  sont 
cités  dans  les  Mystères,  t.  II,  p.  4°>  °44'  et  ^e  Répertoire  du 
théâtre  comique  au  moj-en  âge,  p.    i3a,  de  M.  Petit  de  Julleville. 

Avec  ces  ressources  il  devenait  facile  d'étudier  le  manuscrit  qui 
porte  depuis  longtemps  à  la  Bibliothèque  nationale  le  n°  4°'^  des 
nouvelles  acq.  françaises.  L'intermède  comique  précité  y  occupe 
les  feuillets  26  à  29.  M.  Petit  de  Julleville  a  tenu  en  mains  ces  frag- 
ments, mais  il  s'est  contenté  de  résumer  en  trois  lignes  la  courte 
notice  insérée  en  tète  du  manuscrit  par  un  de  ses  anciens  posses- 
seurs, J.  de  Gaulle,  Lequel,  après  avoir  examiné  le  manuscrit  avec 
Magnin  et  Guichard,  avait  constaté  que  ce  mystère  auvergnat  ne 
ressemblait  à  aucun  des  mystères  manuscrits  ou  imprimés  de  la 
Bibliothèque  nationale.  On  jugera  peut-être  que  la  pièce  vaut, 
sinon  une  reproduction  in  extenso,  du  moins  une  analyse  détaillée 
avec  citations.  Elle  constitue,  en  effet,  la  transition  entre  les  tliéà- 
tres  du  Nord  et  du  Midi,  et  se  rattache  étroitement  aux  mystères 
rouergats. 

Dans  SOI!  état  actuel,  le  Manuscrit  n.  a.  IV.  J6a  contient  X]  feuil- 
lets en  papier  tort  ci  comprend  >\i~u\  fragments  très  étendus,   tous 

deux   sans   interruption,  soil  environ  7.000  vers  en    tout.    Ires  iné- 
galement répartis.  Ci'  manuscril  est  une  copie  souvenl  remaniée. 


360  LA   PASSION 

Le  texte  primitif  du  premier  fragment  a  reçu  de  nombreuses  in- 
terpolations de  deux  mains  différentes.  C'est  la  seconde  de  ces 
mains  qui  a  écrit  et  daté  de  1477  (fol.  3o  r°)  l'intermède  comique 
mentionné  plus  haut.  Toutes  les  scènes  de  cette  première  partie 
sont  séparées  par  des  blancs,  et  les  indications  de  mise  en  scène 
contenues  dans  les  marges  ont  été  multipliées  à  diverses  reprises. 
Le  second  fragment,  au  contraire,  n'offre  aucune  séparation  ;  il 
est  écrit  tout  entier,  très  serré,  avec  une  encre  beaucoup  plus  pâle, 
par  la  main  qui  a  tracé  les  premières  interpolations  et  qui  a  signé 
(p.  i3  v°)  M.  Phanuer  ou  Pharuier.  Les  feuillets  des  deux  fragments 
sont  numérotés  au  bas  du  verso,  mais  cette  numérotation  ancienne 
du  xve  ou  du  xvie  siècle  ne  permet  pas  de  supputer  exactement  les 
lacunes  du  Manuscrit.  En  effet,  celui  qui  a  écrit  ces  numéros  au 
bas  des  pages  comptait  simplement  les  feuillets  qu'il  avait  entre 
les  mains  :  il  a  inscrit  I,  II,  III,  etc.  sur  ceux  de  la  première  partie, 
puis  il  a  recommencé  pour  la  seconde.  C'est-à-dire  qu'il  avait  exac- 
tement le  texte  que  nous  possédons,  rien  de  plus,  rien  de  moins, 
et  dès  lors  nous  en  sommes  réduits  aux  conjectures.  Cette  Passion 
était-elle  précédée  d'une  Création,  d'une  Nativité,  d'un  Jeu  des 
trois  rois  et  suivie  d'une  Résurrection?  impossible  de  le  savoir. 
Ce  qui  est  certain  c'est  que  la  journée  dont  nous  avons  conservé 
le  premier  fragment  commençait  à  peu  près  comme  la  seconde 
journée  de  Greban  et  comme  la  première  de  Jean  Michel.  En  effet, 
p.  34  r°,  en  marge  du  repas  de  Simon  le  Pharisien  on  lit  :  «  Dicat 
sicut  in  nupciis  Architriclini  dixit  gracias  dicat  (sic)  Jhesus  ». 
La  journée  commençait  donc  vraisemblablement  par  le  baptême 
de  Jésus  et  par  les  noces  de  Cana.  Si  l'on  en  juge  par  le  dévelop- 
pement des  épisodes  conservés,  cette  Passion  contenait  à  elle  seule 
3o,ooo  vers  pour  le  moins.  En  voici  l'analyse  détaillée  : 

Le  premier  fragment  commence  ainsi  (fol.  3  r°)  :  Saint  Jean-Baptiste 
s'entretient  avec  ses  disciples  de  Jésus-Christ  : 

Gens  le  suivent  en  toute  place  SAMUEL 

Pour  ce  qu'il  presche  plaisamment.       Certes?  nostre  maistre,  oy, 


S.  JEHAN 


Et  selon  la  loy  voulons  vivre. 

S.  JEHAN 


Or  dictes  asseûrement  Mes  amis,  il  le  vous  fault  suivre, 

Vouldriés  vous  pas  croyre  a  luy?        Mettes  vous  en  sa  companie... 


D 'AUVERGNE  361 

Le  Précurseur  annonce  à  ses  disciples  qu'il  sera  mis  à  mort  à  la 
fin  de  la  journée,  et  il  les  engage  à  suivre  Jésus-Christ  (fol.  3  V).  — 
Aussitôt  après,  le  roi  Ilérode  commande  une  grande  fête  dans  son 
palais.  Les  valets  Tourehefauveau  et  Pinselardon  apprêtent  les  viandes 
et  mettent  la  table,  non  sans  goûter  les  vins.  De  son  côté,  la  reine 
Ilérodias  recommande  à  sa  fille  de  se  parer  pour  danser  une  morisque. 
et  celle-ci  va  inviter  ses  danseurs,  l'écuyer  Tropsavance  et  «  l'amoreux 
Mitoart  •  qui  se  retirent  à  l'écart  in  parte  sécréta,  pour  changer  leurs 
costumes  de  cour  contre  des  habits  moresques  ("fol.  4  r°). —  Le  roi  Ilérode 
prie  «  le  duc  »  son  «  beau  frère  »  et  ses  chevaliers  de  l'accompagner  a 
table,  où  Torchefauveau  et  Pinselardon  leur  versent  force  rasades. 
Quand  ils  sont  à  point,  les  danseurs  et  la  jeune  fille  font  leur  entrée  et 
commencent  leurs  entrechats  :  le  vieux  roi  est  charmé  (fol.  5  r°).  —  Aus- 
sitôt le  diable  Belzébuth,  qui  a  son  idée,  vienl  exciter  Hérodias  contre 
Saint  Jean-Baptiste  qui  l'a  diffamée,  puis  il  part  se  concerter  avec  Luci- 
fer.  —  Longue  diablerie  où  la  mort  du  prophète  est  décidée.  Sathan, 
Belzébuth  et  Asmodée  se  mettent  en  campagne,  non  sans  avoir  obtenu 
de  Lucifer  une  mission  officielle  ou  une  a  lettre  procuratoire  '  »  (triolets 
fol.  6  r°).  Satan  se  charge  du  roi,  Belzébuth  de  la  reine,  et  le  lascif  Asmo- 
dée de  la  fille  qui  continue  toujours  sa  morisque  au  milieu  d'un  cercle 
ébahi.  Le  roi,  transporté  d'admiration,  lui  promet  tout  ce  qu'elle  voudra, 
et  la  jeune  fille,  sur  le  conseil  d'Hérodias  exige  la  tète  de  saint  Jean- 
Baptiste.  —  Aussitôt  Belzébuth  enchanté'  va  porter  la  bonne  nouvelle 
aux  enfers  (fol.  7  r°).  —  Hérode  regrette  sa  promesse,  mais  le  duc  et  les 
chevaliers  lui  rappellent  «  qu'il  a  juré  »,  et,  bien  malgré  lui,  il  envoie  le 
bourreau  Malferas  à  la  prison.  Dieu  le  Père  y  envoie  en  même  temps 
l'archange  Gabriel  pour  recueillir  l'ame  qui  va  partir,  et  la  conduire  aux 
limbes  parmi  les  saints  Pères. 

Malferas  demande  longuement  pardon  au  prophète  de  la  liberté  grande 
(addition  marginale  de  la  première  main),  et  fait  voler  sa  tèle  d'un  seul 
coup  de  doloire  (fol.  S  v°).  —  Aussitôt  Gabriel  remplit  sa  mission,  et  les 
anges  entonnent  un  chant  d'allégresse,  tandis  que  les  disciples  Nacor  et 
Samuel  enterrent  le  tronc  mutilé  de  leur  maître  et  le  pleurent  amère- 
ment (ad.  de  la  2e  main,  fol.  9). 

La  jeune  fille  a  emporté'  la  tête  en  triomphe,  mais  cette  tète,  placée 
au  milieu  de  la  table,  coupe  l'appétit  de  tous  les  convives  et  inspiie  à 
Ilérode  et  au  duc  les  réflexions  les  plus  lugubres.  Hérode  finit  par  dire 


i.  Ces»  lettres  procuratoires  »  viennent  du  Procès  de  Bartole  et  du  Processus  Belial 
citée  fins  li  >in  dan>  le  jugement  général  rouergat  :  t>n  en  retrouve  une  dans  le  mys- 
tère français  de  ['Assomption. 


362  LA   PASSION 

à  Malferas  de  l'enterrer,  ce  qu'il  fait,  mais  la  tristesse  persiste,  et  les 
convives  se  lèvent  l'un  après  l'autre  (ad.  de  la  lre  main,  fol.  11  r°  à  13  v°). 
—  Sur  un  autre  côté  de  la  scène,  Gabriel  dispute  l'àme  du  prophète 
aux  griffes  de  Belzébuth,  Asmodée,  Satan  [Feu  Griset]  *  Lucifer,  et 
l'amène  à  grand  peine  aux  limbes  où  elle  réjouit  les  patriarches  Adam, 
Abraam,  Zacarie,  Isaac,  en  leur  annonçant  la  venue  prochaine  du  Mes- 
sie (fol.  14  v°).  —  Cependant  Samuel  et  Nacor  sont  allés  annoncer  la 
mort  de  leur  maître  à  Jésus  qui  leur  dit  qu'ils  verront  cette  année  plus 
grand  martire.  Il  les  reçoit  parmi  ses  disciples  et  les  emmène  tous  au 
temple  de  Nazareth.  Déjà  l'office  est  commencé.  Le  premier  et  le  second 
prêtre  y  chantent  en  latin  sicut  in  secundo,  Dominiea  [Quadragesimae'?] 
Jésus  demande  à  lire  les  prophètes.  Après  avoir  feuilleté  sur  les  rayons 
de  la  bibliothèque  «  Pentathecon,  Esdras,  le  livre  des  Rois,  le  Psaltier  », 
il  s'arrête  à  Isaïe  dont  il  lit  un  long  texte  en  latin  (Isai.  XLVI,  1,  cité  par 
Luc,  IV,  18,  19),  puis  après  une  courte  méditation  il  s'assied  en  chaire 
et  déclare  qu'il  est  venu  réaliser  toutes  les  promesses  des  prophètes; 
il  donne  la  santé  aux  malades  et  même  le  pardon  aux  pécheurs,  ajouie-t-  il 
en  se  tournant  vers  Zéras,  Lazay2  et  les  autres  assistants  (fol.  15  v°). 
Sur  quoi  S.  Simon  commence  une  longue  diatribe  sur  les  débauches 
de  la  jeunesse  d'Auvergne  : 

Quant  jeunesse  a  remply  sa  pance, 

Il  n'est  Godeffroy  ne  Hector 

Oui  fist  oncques  si  grand  vaillance 

Que  le  jeune,  tant  s'est  fait  fort  ; 

A  chacun  menasse  la  mort, 

Et  s'en  va  courant  d'uys  en  huys  ; 

Que  l'ung  l'assomme  comme  ung  porc. 

Jeune  fait  mal  et  prend  du  pys  (fol.  16  v°). 

S.  Thadée  censure  à  son  tour  les  vices  du  siècle,  l'avarice  commune  à 
tous  les  états,  et  tous  deux  se  félicitent  d'avoir  été  appelés  par  Jésus 
(ad.  de  la  première  main  fol.  16  r°  à  18  r°). 

Lazay.  de  son  côté,  reconnaît  en  lui  le  Messie  prédit  par  Isaïe  (fol.  18 
r°),  mais  Nacor  et  Béric  exigent  qu'il  leur  fasse  des  miracles.  Jésus 
refuse  :  nul  n'est  prophète  dans  son  pays  (fol.  18  v0).  —  Aussitôt  les  deux 
Juifs    l'entraînent   hors  du   temple    sur    des    rochers    à    pic3,    le  noble 

i.  Rôle  intercalé. 

2.  C'est  évidemment  Lazare  qui  est  appelé  plus  loin  le  Lazer  dans  l'épisode  de 
Marie-Madeleine  et  qui  reprend  le  nom  de  Lazay  dans  la  Passion. 

3.  Cf.  l'Histoire  schohistique  (Patr.  Migne,  cap.  lxxii,  p.  i5^4>  adhuc  ostenditur  ibi 
locus,  qui  dicitur  Sait  us  Domini. 


d'au  VERONE  363 

Alexandre  le  lance  dans  le  vide  d'un  coup  de  pied  (pede  percuciat),  mais 
Janu.s  constate  qu'il  a  disparu  par  enchantement.  Devant  les  menaces  de 
la  foule,  les  apôtres  S.  Simon,  Thadée,  Jehan,  Pierre,  etc.  s'enfuient;  ils 
se  demandent  où  ils  retrouveront  leur  Maître.  —  A  Capharnaon,  dit 
S.  Jaques  Mineur;  ce  n'est  pas  la  première  fois  qu'il  s'est  rendu  invi- 
sible, remarque  S.  Bartholomy,  et  S.  Philippe  ajoute  qu'il  a  fait  plus 
grande  merveille,  lorsqu'il  a  ressuscité  la  fille  du  prince  de  la  Syna- 
gogue, peu  avant  la  conversion  de  S.  Mathieu  (fol.  19  v3).  —  A  la  scène 
suivante,  nous  retrouvons  tous  les  apôtres  qui  jettent  vainement  leurs 
filets  dans  la  mer.  Mais  Jésus  survient,  monte  auprès  de  Pierre,  com- 
mande la  maniruvre,  et  bientôt  les  apôtres  ramènent  deux  barques 
pleines  de  poissons  pour  les  vendre  à  la  ville  (fol.  21  r°).  —  Arrive  un 
serviteur  Agrippe,  qui  prie  Jésus  de  sauver  le  fils  de  son  maître,  Centu- 
rion. Jésus  se  rend  dans  la  maison,  admire  la  foi  du  père,  et  guérit  l'en- 
fant qui  le  bénit  (fol.  22  r°).  —  Aussitôt  après,  il  part  pour  Naïm  où  il 
ressuscite  le  fils  de  la  veuve,  à  la  grande  admiration  des  «  Porteurs  »  et 
des  femmes  du  peuple,  puis  il  se  rend  à  Béthanie  (fol.  23  v°).—  La  Marte 
et  le  Lazer  déplorent  le  scandale  donné  par  leur  sœur  Madeleine1.  Tous 
deux  décident  la  pécheresse  à  aller  entendre  le  sermon  de  Jésus  dont  elle 
revient  convertie.  Sur  le  conseil  de  Marthe,  elle  ira  demander  son  pardon 
au  prophète  qui  vient  d'accepter  à  dîner  chez  Simon  le  Pharisien.  Ici  la 
troisième  main  a  intercalé  en  1477  (fol.  30  r°)  l'intermède  go  inique  (fol. 
26  à  30)  mentionné  plus  haut. 

Simon  le  Pharisien  a  ordonné  à  ses  valets  Maulbec  et  Mallegorge  de 
si'  procurer  «  friture  et  venaison  »  pour  le  dîner.  Ils  se  mettent  en 
chasse  et  prennent  dans  leurs  rets  une  bête  étrange,  Malegeype,  qui  se 
moque  en  patois  d'Auvergne  de  tous  ses  compatriotes,  des  grands  qui 
sont  rapaces  et  des  petits  qui  sont  lâches.  La  scène  du  banquet  qui  suit 
n'est  que  la  paraphrase  ordinaire  de  la  parabole  des  deux  créanciers 
(Luc.  VII,  39-50).  —  Les  apôtres  échangent  des  réflexions  naïves  sur  la 
suavité  des  parfume  répandus  parla  Madeleine.  Jésus  lui  pardonne  ses 
péchés, dit  les  grâces, sicut  dixit  in  nupciis  Architriclini  (fol.  :>  i  r°),  prend 
congé  de  son  hôte  et  se  retire  avec  ses  disciples  qu'il  quille  peu  après 
sur  le  rivage  pour  «  orer  son  Père  »  (fol.  34  V).  -  Voici  qu'un  «  sourd- 
muet  demoniacle  »  s'échappe  des  mains  de  ses  parents  el  se  jette  à  la 
mer.  Les  apôtres  l'en  retirent  à  grand'peine  et  tentent  vainement  l'un 
après  l'autre  de  l'exorciser  :  leur  Maître,  disent-ils,  sciait  plus  heureux, 
mais  les  prêtres  se  moquent  du  Maître  el  des  disciples  (fol.  36  r°).  — 
Jésus  arrive  cependant  el  se  met  en   prières.  Le  demoniacle  écume   el 

i.  Nous  avons  reproduit  in  extenso  cet  épisode,  |>.  369. 


364  LA   PASSION 

tombe  comme  mort,  à  la  joie  des  prêtres  qui  félicitent  ironiquement  les 
parents,  mais,  bientôt  relevé  par  Jésus,  il  rend  grâces  à  Dieu.  En  vain 
Nacor  et  Béric  essaient  d'attribuer  ce  miracle  au  diable  Belzébut.  Le 
peuple  ne  les  croit  pas  ;  une  femme  du  peuple,  Marcelle,  bénit  le  pro- 
phète (fol.  38  r")  qui  se  retire  au  milieu  des  acclamations  et  se  rend  en 
Galilée  pour  visiter  sa  mère  (fol.  38  v°).  Marie  reçoit  son  fils  avec  effu- 
sion. Les  vers  qu'elle  prononce.... 

Jésus  mes  cris  il  me  fault  taire, 
Jésus,  amis,  a  vous  soit  cher, 

étaient  les  derniers  de  cette  scène  comme  l'indique  le  blanc  laissé  au 
bas  de  la  page,  mais  non  très  probablement  de  cette  journée. 

Une  longue  lacune  du  manuscrit  nous  dérobe  les  scènes  suivantes  : 
la  Résurrection  du  Lazer,  l'entrée  à  Jérusalem,  la  Cène,  le  commence- 
ment de  la  Passion  et  la  plus  grande  partie  du  jugement  de  Jésus  qui 
suivant  toute  apparence,  devait  être  développée  selon  l'Evangile  deNico- 
dème  et  comprendre  un  long  défilé  de  témoins  à  décharge  et  à  charge, 
rappelé  (fol.  43  r°  du  Ms.).  Le  second  fragment  du  Ms.  reprend  fol.  40  r°, 
avec  le  songe  de  la  femme  de  Pilate,  Percula  '. 

Effrayée  par  ses  visions.  Percula  envoie  son  serviteur  Romain  con- 
jurer son  mari  d'absoudre  Jésus,  et  Pilate  s'empresse  d'annoncer  le 
songe  de  sa  femme  à  la  foule  qui  entoure  son  tribunal  (fol.  40  v°).  Mais 
Annas  attribue  ce  songe  à  la  magie  de  l'enchanteur  Jésus  ;  les  clameurs 
redoublent  :  toile,  toile;  à  la  croix,  à  la  croix!  Cayphas,  Annas,  Alexandre, 
Soiiipna,  Abderon,  ne  cessent  de  réclamer  leur  victime  (triolets  fol.  41  v°). 
—  De  guerre  lasse,  Pilate  envoie  Romain  chercher  les  larrons  Gestas, 
Dismas  et  Barraban  qui  quittent  leur  prison  «  sans  nul  refus  •.  Sur 
l'ordre  du  gouverneur,  Barraban  fait  le  premier  sa  confession  publique, 
fort  peu  édifiante,  mais  «  d'une  voix  trestous  les  Juifs  »  n'en  réclament 
pas  moins  l'acquittement  du  bandit,  lequel  leur  rend  grâces  ainsi  qu'au 
grand  Adonay  (fol.  42  v").  —  Dismas  et  Gestas,  moins  heureux,  sont 
condamnés  à  être  pendus  au  Calvaire.  Reste  Jésus  sur  qui  Pilate  ne 
trouve  toujours  rien  à  reprendre.  Il  dit  à  Romain  de  lui  ôter  doucement 
la  pourpre  qu'on  lui  a  «  bailhée  »  par  dérision,  de  lui  remettre  ses  vête- 
ments, et  il  somme  une  dernière  fois  les  faux  témoins  de  confirmer  par 
serment  leurs  déclarations  antérieures  (fol.  43  r°).  —  Sirus  répète  que 
Jésus  s'est  fait  appeler  «  fils  de  Dieu  et  roy  des  Juifs  »  et,  sur  la  somma- 
tion de  Ca'rphe.  Pilate  prononce  la  sentence  de  mort.—  Aussitôt  Caiphas 
ordonne  m  Sirus  d'aller  avec  ses  compagnons  fabriquer  la  croix,  et  Annas 

i.  Songe  reproduit  in  extenso,  p.  3^3. 


d'auvergne 

envoie  Janus  chez  le  forgeron  Grimance  (fol.  43  v).  —  La  scène  bien 
connue  n'offre  ici  que  des  variantes  insigsifiantes.  Sur  le  refus  du  forge- 
ron, sa  femme  Malembouchée  s'installe  à  la  forge  avec  sa  servante 
Michaulde,  et  fabrique  allègrement  les  trois  clous  demandés,  tout  en 
chantant  la  dive  bouteille  et  le  goubelet  ou  elle  puise  des  forces  (fol.  i 

O  goubellet,  tu  m'as  la  mort  donnée, 
Tant  t'ay  aymé  que  m'en  suis  enyvrée,  etc. 

C'est  fait.  Janus  emporte  les   clous  que  les  princes  paieront plus 

tard,  et  va  rejoindre  les  a  tyrans  »  Prunelle,  Cinelle,  Maulbec  etSirus  qui 
apportent  une  lourde  croix  (fol.  44  v°).  —  Alexandre  envoie  Malque  pro- 
clamer la  sentence  de  Pilate  à  tous  les  carrefours.  Tous  «  les  chefs  de 
maisons  »  ou  de  familles  sont  tenus  d'assister  à  l'exécution  sous  peine 
d'amende  '.  Aussitôt  «  les  bons  »  et  «  les  mauvais  Juifs  »  se  mettent  en 
route.  Pilate  s'enferme  chez  lui  (fol.  45  r°).  —  L'apôtre  S.  Jean  a  entendu 
la  proclamation  du  héraut:  comment  l'annoncer  à  «  salante  Marie  .'  » 
La  Magdaleine,  Maria  Jacobi.  Maria  Salomé,  la  Marte,  se  posaient  la 
même  question,  lorsque  S.  Jean  vient  se  concerter  avec  elles  (fol.  46 v°). 
—  Il  se  présente  à  la  Vierge  et  lui  annonce  la  trahison  de  Judas,  la  dis- 
persion des  apôtres  et  la  condamnation  de  Jésus  dans  un  dialogue  naï- 
vement entrecoupé,  et  s'offre  à  la  conduire  dans  la  foule  (fol.  48  v°).  — 
Voici  venir  en  effet  le  triste  cortège.  A  l'instigation  d'Alexandre,  les 
tyrans  Malque,  Sirus,  Prunelle,  Cinelle,  Malbec,  Mallegorge  ont  accablé 
Jésus  de  tels  coups  qu'il  est  devenu  méconnaissable  même  pour  sa  mère, 
dont  la  douleur  fait  pitié  à  la  Véronique  (fol.  49  r°).  —  Jésus  apostrophe 
les  femmes  de  Jérusalem  et  tombe  bientôt  après,  épuisé.  Sur  la  demande 
des  tyrans,  Cayphas  fait  arrêter  un  passant,  Simon  Sirenéen,  qui  leur 
prêtera  main  forte,  et  dans  l'intervalle,  la  Véronique  vient  essuyer  la 
sainte  Face  qui  s'imprime  sur  sa  toile  (fol.  00  v°).  —  Enfin  l'on  arrive  au 
Calvaire;  Annas  commande  halte,  et  Sirus  prend  les  mesures  de  Jésus 
pour  marquer  la  place  des  clous.  Les  tyrans  redoublent  de  facéties  (trio- 
lets .  Ils  l'ont  boire  à  Jésus  du  vin  mirré  pour  a  resserrer  ses  esprits  n 
et  prolonger  sa  vie,  le  couchent  sur  la  croix  et  l'y  fixent  à  grands  coups 
de  marteaux,  sous  les  yeux  de  sa  mère  f.  52  i  ). —  Puis  ils  se  partagent 
ses    vêtements   et  jouent  «  à   trois   des  >,  sa  robe,  laquelle,  ap 


i.  Sur  ce  vieil  usage,  voir  la  lettre  de  rémission  accordée  à  Jehan  David,  de  Limoges, 
iijni)  citée  dans  mon  édition  de  la  Comédie  sans  tttre,  Paris,  Bouillon,  igoi,  p.  i  xxix 

Dans   les  c |>les   muiiiei  |ia  u  \  de  la  \  ille  d'Amiens,  on  voit   qu'il  a  persisté  an  inoins 

jusque  vers  i55o,  et  qu'au   retour   des  exécutions   capitales,    les  magistrats  ne  man- 
quaient pas  de  s'accorder  une  indemnité  cl  un  banquet. 


366  LA    PASSION 

longues  disputes,  échoit  à  Malbec  qui  a  amené  «  six  partout  »  (f.  55  r°).~ 
Sur  l'ordre  d'Alexandre,  les  larrons  Dismas  et  Gestas  sont  expédiés 
plus  rapidement:  une  gorgée  de  vin,  «  deux  tours  de  corde  à  chacun,  et 
les  voilà  «  de  pointe  ».  Puis  Caiphas  fait  dresser  à  grand  effort  la  croix 
de  Jésus,  au  milieu  des  lamentations  des  saintes  femmes  (f.  56  v°). 

Le  «  premier  prestre  »,  le  «  second  prestre  »,  Cayphas,  Annas,  le 
«  tiers  prestre  »,  tous  les  «  mauvais  Juifs  »,  Dyatam,  Sompna,  Janua 
(sic  pour  Janus),  Abderon,  insultent  à  tour  de  rôle  le  «  dieu  Hemanuel  », 
et,  à  l'instigation  d'Alexandre,  «  tous  les  tyrans  »  lui  «  montrent  leur 
lune  »  (sic  f.  67  v°).  —  C'est  un  débordement  d'obscénités  jusqu'à  ce  que 
Cayphas  se  décide  à  envoyer  Janus  réclamer  à  Pilale  des  écriteaux  pour 
les  croix  (f.  58  r°).  —  Sur  l'ordre  de  son  maître,  Romain  rapporte  lui- 
même  trois  inscriptions  qu'il  doit  attacher  l'un  au-dessus  de  la  tète  de 
Jésus,  les  deux  autres  aux  pieds  des  larrons,  et  il  remplit  sa  consigne, 
malgré  les  protestations  d' Annas  et  Cayphas  f.  58  v°).  —  Jésus  prie 
pour  ses  bourreaux.  —  Lamentations  de  la  Vierge,  de  saint  Jean,  des 
Maries  et  de  la  Marte  (f.  59  r").  —  Plaintes  de  Gestas  et  de  Dismas  qui 
disent  chacun  une  ballade  (f.  60  r°).  Jésus  promet  à  Dismas  le  paradis. 
—  Nouvelle  ballade  de  la  Vierge  qui  supplie  son  fils  de  ne  pas  l'aban- 
donner. Celui-ci  la  donne  pour  mère  à  l'apôtre  saint  Jean,  mais  elle  re- 
fuse de  «  changer  le  Roy  en  ung  page  »  (f.  61  r°).  —  Les  dernières  paroles 
de  Jésus  :  Sitio.  —  Janus  lui  donne  à  boire  du  vin  qu'il  a  goûté  avec 
Cinelle  et  Malferas  (f.  61  v").  —  Hely,  hely,  lama  sabathan.  —  Alexan- 
dre et  ses  amis  se  moquent  du  «  folastre  »  qui  appelle  Elie.  — 

Vila,  halaa  hole  occachey. 
Mon  père,  prens  mon  esperit, 
Entre  tes  mains  le  recommande  ; 
Tout  ce  qu'estoit  de  moy  escript, 
Tout  est  consommé,  car  l'esmende 
Du  premier  péché  est  payée. 

Et  il  expire  (f.  61  v").  —  Douleur  de  Marie  (f.  62  r°).  —  Dieu  le  Père, 
irrité,  envoie  son  archange  saint  Michel  fracasser  le  temple  «  de  son  es- 
pee  sans  fausser  s  (f.  62  r°).  —  L'Archange  s'acquitte  de  sa  mission, 
assiste  à  la  résurrection  des  Morts,  et  se  hâte  de  rejoindre  Gabriel  et 
les  autres  anges  qui  accompagnent  l'Ame  de  Jésus  vers  les  Limbes  en 
chantant  «  Ung  seul  Dieu  en  trinité,  etc.  »  (f.  62  v°).  —  Lucifer,  averti 
par  Satan  et  par  Asmodée,  a  fait  verrouiller  les  portes,  mais  le  «  Roy  de 
gloire  »  les  brise  sans  effort  et  pénètre  dans  les  enfers  bouleversés 
(f.  63  r°).  —  Sur  le  Calvaire,  Annas  et  Cayphas  s'avisent  qu'il  serait  temps 
d'enfouir  les  condamnés  pour  ne  pas   souiller  la  grande  fête  du  lende- 


d'auvergne  .'567 

main,  et  ils  vont  demander  à  Pilate  la  permission  de  les  achever  (T.  63  v°). 

—  Pilate  l'accorde,  et  Alexandre  dépêche  aussitôt  les  tyrans  à  la  beso- 
gne. C'est  d'abord  le  tour  de  Gestas  auquel  ils  «  rompent  les  os  »  à  coups 
de  bâtons,  en  marquant  les  coups  jusqu'à  douze  (7.  64  r°). —  Puis  on  re- 
commence pour  Dismas  (f.  64  v°).  —  Quant  à  Jésus,  c'est  peine  inutile  ; 
mais  l'aveugle  Longin  ne  l'en  frappe  pas  moins  de  sa  lance,  et  recouvre 
miraculeusement  la  vue  (f.  65  r°).  —  La  Vierge  maudit  les  bourreaux  qui 
s'en  vont  boire  à  la  taverne,  et  Centurion  part  de  son  côté  avec  ses  gen- 
darmes «  Premier,  Second  Armé  »  qui  disent  leur  mea  culpa  [f.  60  v0).— 
Restent  au  pied  de  la  croix  les  douze  «  bons  Juifs  »  et  Josep  d'Arima- 
thie  qui  voudrait  bien  détacher  le  corps  de  Jésus  et  l'ensevelir  honora- 
blement (f.  66  r0).—  «  Demandez  d'abord  congé  à  Pilate  »  dit  Nicodemus, 
et  Josep  part  avec  Samuel,  Lazay,  Finees,  Zeras  et  Jamnés.  —  Nicode- 
mus s'en  va  lui  aussi,  avec  Jacob,  Asleus,  Accantus,  Crispus,  Agrippe, 
acheter  chez  l'apothicaire  cent  livres  de  myrrhe  et  d'aloès  pour  l'enseve- 
lissement (f.  66  r°).  —  Au  sortir  «la  palais  de  Pilate.  Josep  a  rencontré 
«  l'Emorroïsse  guarie  »  qui  l'oblige  à  accepter  pour  rien  '  la  toile  du 
suaire  (f.  67  r°),  et  il  rejoint  bientôt  avec  ses  compagnons  Nicodemus; 
tous  deux  assistés  d'Accantus  montent  aux  échelles  et  se  mettent  en 
devoir  de  «  dépendre  »  Jésus.  A  quelques  pas  la  Vierge,  au  milieu  des 
saintes  femmes,   se  lamente  éperdùment  et   tombe  évanouie  (f.  6<S  r"). 

—  Quand  elle  se  relève,  elle  s'aperçoit  que  la  croix  n'a  plus  son  divin 
fardeau,  et  Jean  la  conduit  par  la  main  devant  le  corps  de  son  fils, 
déjà  enveloppé  du  suaire,  qu'elle  prend  dans  son  giron  (f.  69  r°).  —  A  ce 
moment  les  tyrans  reviennent  de  la  taverne  et  constatent  qu'on  a  enlevé 
Jésus,  mais  ils  s'en  consolent  facilement  et  se  hâtent  de  détacher  et 
d'enterrer  les  larrons  (f.  71  r").  —  D'abord  Gestas,  encore  tout  chaud. 
Satan  emporte  son  Aine  aux  enfers,  et  le  grand  Lucifer,  Asmodée,  Bel- 
zebuth,  Astaroth,  Feu  Grisel  lui  donnent  chacun  un  coup  de  dents  (trio- 
lets; (f.  72  r°).  —  Puis  les  tyrans  jettent  dans  la  fosse  le  bon  larron  Dis- 
mas. Malgré  tous  les  diables  (triolets),  l'ange  Raphaël  finit  par  conduire 
son  Ame  aux  Limbes,  où  Jésus  la  reçoit  avec  bonté  et  promet  aux  Pères 
«  mervelles  pour  demain  »  (f.  72  v0).—  Cependant  la  Vierge  s'abandonne 
au  désespoir  et  perd  une  seconde  fois  connaissance  (f.  75  r).  —  Nicode- 
mus et  Josep  en  profitent  pour  emporter  le  corps  de  Jésus  au  tombeau, 
l'enduire  d'aromates  et  rouler  une  grande  pierre  à  l'entrée  du  monu- 
ment; ils  se  bâtent,  car,  comme  l'observe  Agrippe  (f.  76  r°),  il  est  heure 
d'aler  au  temple  ouyr  complies  ».  —  La  Vierge  a  repris  ses  esprits  et 


i.  Episode  lire,  comme  <<n  l'a  vu  plus  haut,  de  la  Passion  m-i<>h  Gamaliel  e(  repu 
duit  in  extenso,  p.  3j5. 


368  r,A  passion 

voudrait  revoir  son  fils,  mais  sur  les  instances  de  ses  compagnes  et  de 
saint  Jean,  elle  domine  sa  douleur,  remercie  Josepet  Nicodemus  de  leur 
dévouement,  et  s'éloigne  en  disant  «  qu'elle  s'en  va  reculhir  »  (f.  77  v°). 
—  Tous  les  Juifs  se  rendent  au  temple  pour  la  prière.  Cayphas  demande 
aux  tyrans  si  les  suppliciés  sont  «  dépendus  »  et  enterrés.—  Oui,  excepté 
Jésus  que  Josep  a  enseveli.—  Comment  donc  a-t-il  le  front  de  se  présen- 
ter ici,  s'écrie  Gamaliel.  Mais  Josep  se  vante  hautement  de  son  action. 
Une  dispute  éclate.  Neptalin  l'insulte,  Cayphas  ne  se  possède  plus  : 

Alexandre  diligemment, 
Sornpna,  Diatan,  vous,  Janua, 
Prenés  moi  ce  foulastre  la 
Et  l'aies  mectre  en  prison  (f.  78  v°). 

Quand  ils  sont  partis,  Gamaliel  juge  la  peine  trop  forte,  car  le  coupa- 
ble était  autorisé  par  Pilate;  Nicodemus  appuie  son  oncle,  s'indigne  et 
finit  par  quitter  la  Synagogue  avec  Jacob,  Lazay,  Zeras,  Finees,  Accan- 
tus,  Asteus,  Samuel.  Jannés,  Crispe  et  Agrippe  qui  maudissent  le  crime 
de  leur  nation  (f.  89  v°).  —  L'assemblée  se  dissout.  Sur  l'avis  de  Gama- 
liel, Sompna,  Dyatam,  Annas  et  Cayphas  vont  demander  à  Pilate  des 
gardes  pour  entourer  le  tombeau  de  Jésus.  Le  gouverneur  refuse,  la 
Synagogue  a  les  siens.  —  Centurion  acceptera  peut-être,  insinue  Abde- 
ron.  —  Non,  réplique  Pilate,  il  est  «  trop  escandalisé  »  (sic,  f.  80  v°).  — 
Et  Centurion  de  répéter  tous  les  prodiges  qui  ont  alarmé  sa  conscience, 
le  tremblement  de  terre,  l'éclipsé,  la  chute  du  temple,  la  résurrection  des 
morts.  —  Gamaliel  essaie  d'abord  d'expliquer  que  «  tout  [cela]  est  natu- 
rel »  (f.  81  r°);  il  réussit  mieux  à  persuader  Centurion  qu'il  est  le  premier 
intéressé  à  constater  la  Résurrection  promise  pour  en  avertir  le  peuple. 
Centurion  se  met  donc  en  route  avec  ses  soldats,  et  Cayphas  et  les  siens 
rentrent  chez  eux.  —  Après  leur  départ  (f.  81  v°),  Pilate  a  une  crise  de 
désespoir,  il  ne  veut  plus  prendre  de  nourriture,  il  repousse  les  consola- 
tions du  fidèle  Romain  et  celles  de  Percula,  qui  ne  peut  s'empêcher  de 
rappeler  qu'elle  l'avait  bien  dit,  et  que  conseil  «  de  famme  bien  souvent 
—  A  sages  gens  porte  profit  ».  —  Le  manuscrit  (et  vraisemblablement 
la  pièce)  se  termine  par  une  scène  originale1,  une  extase  de  la  Vierge 
qui  est  ravie  en  paradis  et  qui  demande  à  Dieu  le  Père  de  bénir  ceux  qui 
ont  vu  jouer  la  Passion  (f.  83  v°). 

i.  Reproduite  p.  3;5. 


1)  AUVERGNE 


LA  CONVERSION  DE  LA  MADELEINE 
(Extrait  du  premier  fragment). 


LA  MARTE 

Lazer,  mon  ami,  mon  bon  frère,  * 
Com  '  scavés,  nous  devons  ayder 
Es  grans  pécheurs  pour  les  retraire 
De  mal  et  a  bien  les  tirer, 
Fin  que  puissions  admeriter 
Le  saulvement  de  nostre  ame. 
Doncques  nous  deussions  exciter 
Magdaleine  qui  vit  en  blasme. 

LE  LAZER 

Marte,  ma  seur,  elle  est  infâme  ** 
Et  oslinee  en  ses  maulx. 
Oncques  ne  vis  plus  foie  femme, 
Elle  est  au  plus  fort  de  ses  saulx. 
Se  non  que  par2  lenguaiges  caultz 
Nous  luy  parlons  de  longue  main, 
Ja  ne  congnoistra  ses  deffaulx. 
De  cella  je  suis  tout  certain. 

MARTE 

Je  sçey  qu'elle  a  le  cuer  autain, 
Et  qu'elle  est  bien  de  mal  affaire, 
Bien  seay  aussi  qu'elle  a  grant  faim 
De  veoir  quelque  miracle  faire 
A  ce  propbt'te  debonaire 
Que  le  cuer  des  gens  admollist, 
Et  pour  ce  ne  fault  que  l'atraire 
A  aler  ouyr  ce  qu'il  dit. 

LE  LAZER 

Ce  n'est   que    bien  dist,    se   Dieu 

[m'eïst, 
Besoignons  sans  plus  aloigner, 
Le  prince  des  cieulx  qui  tout  fisl 

Nous  doint  grâce  de  besoingner. 


I.A  MAGDALEINE 

Veezcy    bon   temps  pour  soy  bai- 
Et  pour  mener  joieuse  vie.     [gner, 

Je  m'en  lie, 
Quelqu'un  me  viendra  appeller 

Pour  y  aler  ; 
Je  suis  coinde  et  jolie, 

Pour  sa  amie 
Doulcement  me  viendra  acouler,"* 
De  plaisance  me  veulx  soûler 

Pour  consouler 
Mon  corps  a  tout  son  beau  plaisir. 
Il  n'est  pas  temps  de  reculer 

Ad  soy  gualer, 
Quand  on  peut  plaisance  choisir. 

LE  LAZER 

Vous  ne  pences  pas  a  morir, 
Ma  seur,  se  cuide  par  mon  arme. 
Vous  n'en  porrés  prendre  loisir, 
Car  trop  estes  joyeuse  femme. 

I.A  MAGDALEINE 

Mon  frère,  c'est  tout  ce  que  j'ame 
Que  de  mener  vie  joyeuse, 

Amoreuse, 
Sans  faire  dommage  a  asme 

Nul|le :,  ne  blasme, 
Je  ne  charche  qu'estre  gracieuse 

Et  sans  neuse. 
Certes,  je  suis  d'amour  la  dame. 
Je  sçay  [très]  bien  qu'on  me  diffame 

Et  infâme, 
Mes  point] certes  il  ne  m'en  chault, 
Pour  cf.  ledieu  d'amours  je]  clame 


•  Ma.  toi.  si  v°.  — 


i.  Ms.  comme,  —  j.  Ms.  pour. 


370 


LA    PASSION 


Et  reclame 
Que  me  doint  [a]venir  plus  hault. 

LA   MARTE 

Il  est  tart,  frère.  11  nous  fault 
[En]  aler  vers  ce  bon  Jhesus. 

LE  LAZER 

C'est   ung   homme   qui   beaucoup 

I  vault, 

Plain  de  miracles  et  vertus 
LA  MAGDALEINE 

On  dit  que  ladres  et  bossus  * 
Il  guarit  et  sussite  mortz  ; 

Boiteux  et  tors 
Il  adresse  encorres  plus, 

On  lui  cuert  sus, 
Que  des  péchés,  tant  soient  ilz  ors, 

Donne  remors 
Es  pécheurs,  sans  estre  confus, 
Et  qu'a  nul  il  ne  fait  reffus, 

Mes,  sans  abus, 
Il  veult  a  [ung]  chascun  complaire. 
Pour  ce  queiquez  foiz  vouloir  heus 
Et  conclus 
De  le  veoir  miracles  faire. 

LL"  LAZER 

Ma  seur,  se  vous  me  voulés  croire, 
Vous  y ié s  oyr  son  sermon. 

LA  MAGDALAINE 

Et  se  j'y1  vaiz,  que  dire  (sic)  l'on? 
Les  gens  se  trufferont  de  moy. 

LE  LAZER 

Ne  faront,  seur,  en  bonne  foy 
Plus  tost  vous  nommerontcurieuse. 

LA  MARTE 

Si  vous  en  oués  nulle  greuse, 
Maintenant  n'y  retournés  plus. 


LA  MAGDALEINE 

Vous  dictes  bien,  or  sa,  sans  plus, 
Par  mon  arme,  je  m'en  y  vaiz. 
Pausa  cum  silete. 


JHESUS 

Pécheurs,  pécheurs,  oués  ma  voix. 
Mes  pa[ra]boules  ont  scmblance 
D'un  homme  sèment 2.  Sa  semence 
Tunbent  sur  chemin  est  gatee, 
Car  des  bestes  tost  est  mangée,** 
Sur  roche  n'a  jamais  racine, 
Et  se  tumbe  entre  l'espine, 
L'espine  semence  destruit 
Qu'en  bonne  terre  porte  fruit. 
Oués  tous  qui  avés  oureilhes. 

S.  MATHIEU 

Nostremaistre,  tudyfs]  merveilhes, 

Fay  moi  la  parabole  entendre. 

JHESLS 

Vous  advés  grâce  de  comprendre 

Le  reaulme  de  paradis. 
J'ay  ailleurs  pa[ra]boles  mis 
Lesqueulx  voyans  aveugles  font, 
Et  en  ouyant  sourtz  deviendront. 
La  semence  est  la  parole  Dieu 3 
Qui  es  durs  cueurs  n'a  point  de  lieu, 
Si  peu  que  semence  sur  piarre, 
Mes  le  doulx  cuer  s'est  bonne  terre, 
Laboree  par  devocion, 
Arosee  par  contriction, 
Le  doulx  cuer  en  m'oyant  fructiffie, 
Et  de  ses  péchés  mercy  crie. 
A  eely  mon  Père  pardonne 
Et  d'abondant  grâce  luy  donne. 
O  pécheurs,  laissés  vanités 
Et  voz  puans  charnalités 


*  20  i  •  —  '*  2o  \o.  i.  Ms.  :  je  y.  —  i.  Ms.  semaient.  —  3.  Vers  trop  longs. 


I)    \CVEHGNE 


371 


Qu'empeschent  fruit  de  pénitence. 
Mectés  en  Dieu  vostre  espérance, 
Car  tant   plus  sera  grant  pécheur, 
Si  de  tes  péchés  ayes  doleur, 
Tant  plus  tost  auras  de  Dieu  graee. 

I.A  MAGDALEINE 

Helas,  que  farey  de  moy.  hisse!    ' 

Palharde,  infâme  pecharresse", 

Comment   puis   mes  yeulx  ne   ma 

[face 

Lever  es  cieulx.  n'avoir  liesse  ? 

Je  deusse  morir  de  destresse, 

Veu  les  grans  péchés  ou  je  suis. 

Marthe,    ma    sœur,    a   vous    m'a- 
dresse, 

Conseillés  moy,  donnés  m'advis. 

LA  MARTE 

Loué  soit  Dieu  que  vous  a  pris  ! 
Ma  sœur,  se  a  moy  voulés  croire, 
Vous  muarés  tous  voz  abis. 

LA  MAGDALEINE 
Et  puis  ? 

LA   MARTE 

Sçavés  vous  qu'il  l'ault  faire1? 
Au  prophète  vous  fault  atraire, 
Pour  demander  grâce  et  pardon, 
Car  il  est  bien  de  si  bon  aire, 
Pas  ne  vous  reffusera  ce  don. 

LA  MAGDALEINE 

Or  alons  donc  a  no2  maison 
Et  tous  mes  abis  muarey  : 
Vadant  et  mntet  Magdalena 
Habitum  jocunditatis    in    habita 
Pausa  eum  sllete  i  fletûs. 

Hic  est  addicio\  I  iTTi  de  Maulbec 
Malegorge  et  Malegeppe 
Et  tali  tignoante  monstratur.* 


SIMON  PHARISEI  - 
Ace  Raby. 

JHESUS 

Amys,  raie. 

SIMON  PHARISEI  S 

Voulentiers  a  manger  vous  donrey3, 

A  ma  maison  se  venir  vous  plait  -, 

Et  ong  tresgrant  plaisir  avrey 

Si  par   vous  celle   honneur   m'est 

[fait, 

Car    tous    mes    biens   certes   sont 
I  vos très. 


Alon- 


JHESUS 


SIMON 


Or  sus,  a  peu  de  plait, 
Menés  avant  tous  voz  apostres. 
Vadant. 


JUDAS 

Puisque    tes    biens,    Simon,    sont 
[nostres, 

Trestous  nous  t'en  devons  louer 

SIMON 

Venés  tous,  je  vaiz  aprester, 
La  maison  est  cy  prés  de  nous. 

Pausa. 
Maulbec,  Malgorge,  advancés  vous 
Aprestés  tout,  veez  cy  Jhesus. 

M  LULREC 

.la,  n'y  ferons,  sire,  reffus. 
Malegorge  mectons  la  table. 
M ILEGORGE 

Ce  mestier  m'est  Lresbien  agréable, 
Maintenenl  remplirons  la  pance 
Il  n'esl  or,  argent,  ne  cheval 
Que  ne  laissasse  pour  gualer. 


«,  v  —  " -n\  r\—  ■••  36  v».   -  i.  Ms.  vous  fault.—  a    Ma   nostre.     5-4.  Vers  trop  lo 


372 


LA   PASSION 


SIMON 

Raby,  vous  plairoit  il  aler 

Vous  mectre  a  table  maintenent  ? 

JHESUS 

Je  le  veulx  bien. 

SIMON 

Diligemment, 
Maulbec,  accop  de  l'eau  es  mains. 

(Tradat  aquam.; 

Je  croy  que  vous  estes  bien  vains 
De  tant  juner,  mes  bons  amis. 

Pausa. 
Je  vouldroyz  que  fussiés  assis. 

Pausa. 

Raby,  seés  vous  en  bonne  heure. 

I'ausa  (Ponantur  panes). 

Malegorge,  sa  la  friture, 
Et  puis  balhés  la  venaizon. 
MALEGORGE 

Veezcy  de  quoy. 

SIMON 

Quel  vin  boit-on  ? 
Sus,  Malbec,  accop  mect  a  boire. 

Pausa  cum  silele. 

LA  MAGDALEINE 

Je  n'ay  pas  perdu  ma  mémoire,      * 
Encore  suis  en  bon  propoux, 
Jamay  (sicj  plus  n'arey   sur  mon 
Vestimente  si  précieuse.  [dos 

O  palharde  cher  venimeuse, 
Vous  m'avés  '  trop  en  voz  aneaulx. 
Laisés  vous  atours  et  aneaulx, 
Chaines,  camailz,  bagues,  tourés, 
Veloux  et  soyes  osterôs, 
Pour  faire  de  vous  péchés  deul. 
Plus  n'accomplirey  vostre  veul, 
Palbarde  cber  pugnaise  et  orde, 


Puisque  Dieu  m'a  pris  en  s'acorde, 
Je  veux  servir  a  l'esperit 
Lequel,  mon  Dieu,  esioit  périt 
Se  ne  m'eussiés  ad  vous  tirée. 
Las  !  mon  Dieu,  j'estoye  dampnee, 
Se  ne  fust  vostre  bonne  grâce. 
Corps  pugnais,  il  fault  muer  plasse, 
Va  t'an  chercher  le  bon  prophète. 

LA  MARTE 

Ma   seur,  vous    n'estes   pas    hon- 
Pour  aler  ainsi  toute  nue.      [neste 

LA  MAGDALEINE 

J[eJ  ay  trop  estee  vestue 
Jusques  cy.  la  pouvre  dolente. 

LA  MARTE 

Ma  seur,    puis    qu'avés   telle    en- 
tente ** 

D'aler  au  prophète  Jhesus, 

Vestes  vous,  et  n'actendés  plus, 

De  draps  humbles  en  pénitence. 

LA  MAGDALEINE 

Je  le  veulx,  il  faut  que  m'advance. 
Or  me  balhés  ces  draps  de  brun. 

Pausa  (vestiatur). 
Avec  moy  je  ne  veulx  nés  ung, 
Seule  veulx  aler  mon  chemin. 

LE  LAZER 

Je  croy  qu'estes  yvre  de  vin, 
Ma  seur  et  que  devenés  vous? 

LA  MAGDALEINE 

A!  mon  frère,  mon  amy  doulx, 
Je  vaiz  a  Jhesus  le  saulveur, 
Ses  beaulxdilz  m'ontnavrélecueur, 
Je  suis  du  tout  de  s'amour  prise, 
En  pénitence  me  suis  mise 
Affin  qu'aye  plus  tost  sa  grâce. 


3i  r°.  —  **  3i  v*.  —  i.  Ms.  advès. 


LK  .MAh.VI.KI.M-; 


d'auvergxe  373 

LE  LAZER  Dont  j'ay  grant  blasme. 

Vous  fêtes  bien  Je  suis  infâme 

Plus  qu'autre  femme 
Devant  le  monde, 

Las  !  en  quelle  plasse  Chacun  me  clame 

Frère,  le  porrey  [ge]  trover?  Et  me  reclame 

LE  LAZER  Putain  immonde, 

,,                   ,,                     ,  Tant  suis  parfonde 

Ma  seur,  je  1  en  ay  veu  aler  ^ 

„     .,    ,       0.          i       u     •  •  En  toute  onle 
Droit  chez  Simon  le  pharisien. 

Que  riens  ne  vaulx, 

LA   MAGDALEINE  pour  es||t,  mon(je 

Mon  frère,  adieu,  Vaiz  rendre  compte 

Droit  en  ce  lieu  De  tous  mes  maiilx; 

Je  vaiz  chercher,  De  mes  deffaulx 

J'en  ay  le  veu,  *  Laiz,  desleaux, 

Car  par  son  feu  Vaiz  querre  grâce. 

Ma  fait  lâcher  Donnés  des  eaulx. 

M'a  meschant  cher,  Yeux,  en  seaulx! 

Que  trabucher  En  toute  place 

En  mal  m'a  fait;  Il  fault  que  j'abaisse  ma  face 

Mon  amy  cher  Puisque  je  voy  mon  bon  Seigneur, 

Vouldroiz  toucher,  Celluy  qui  les  peebés  efface 

Tant  est  parfait  Je  croyque  c'est  mon  Rédempteur. 

Puisqu'il  lui  plait  Desoubz  la  table,  mon  Saulveur, 

Que  soit  deffuit  Ad  voz  pies  gecter  je  me  vaiz. 

Le  mal  de  m'ame  Ilelas  !  je  vous  donne  mon  cuer, 

Qui  est  tant  lait,  Pardonnes  moy  tous  mes  meffaiz. 

Tant  contrefait.  Vadat  ad  pedes.  —  Pausa. 


LE  SONGE  DE  PERCULA 

(Extraits  du  second  fragment). 

PERCULA,  femme  de  l'ilate.  Pour  les  choses  que  j'ay  songé, 

Ib'las.  Adonay,  bêlas!  **  Car  on  m'est  venu  menasser 

Romain,  viens  t'en  a  moy  parler,  Que  Pilate  sera  dampné 

Car  je  n'ay  plus  jambes  oe  bras  Tantost  qu'il  ara  coudempné 

De  ijuoy  je  me  puisse  ayder.  Jésus  a  mort,  coin  il  veult  faire  ; 

De  peur  je  ne  faiz  que  trembler  11  sera  après  accusé 

*  'il  v°.  —  **  i<>  r". 


374 


LA    PASSION 


Es  empereurs  pour  le  deffaire  ; 
Lors  arey  de  doleur  amere, 
Je  ne  pourroye  avoir  pis, 
Je  ne  sçay  a  qui  me  retraire, 
Maulditz  soyent  les  palhars  Juifz  ! 

ROMAIN 

Qu'avez  vous  veu  ? 

PERCULA 

Onc  ne  vis  pis. 

En  songe  je  veis  liompars. 

Chiens,  [et]  chatz,  [et]  loups  et  re- 

[nars 

Ourshons,  colovres,   [et]  sanglers, 

Noirs  hommes  et  fort  estrangiers, 

Trestous  a  l'environ  d'un  jucge 

Qui  disoyent:  se  Pilate  jucge 

Jhesus  le  prophète  tresgrand, 

A  tous  vous  faiz  commandement 

Que  l'estranglés  luy  et  sa  femme, 

Car  Jhesus  est  homme  sansblasme, 

Très  parfait,  et  juste  personne. 

.Las  !  se  la  sentence  se  donne 

Contre  Jhesus  par  mon  marit, 

Il  en  sera  premier  marrit, 

Et  je  serey  femme  deffaiete. 


ROMAIN 

Il  n'y  fault  que  remède  mectre 
Ma  dame,  fectes  le  advertir1 
Fin  qu'il  ne  jucge  a  morir  * 
Le  tresbon  2  prophète  Jhesus. 

PERCULA 

Va  t'en,  Romain,  n'arreste  plus, 
Va  t'en  parler  a  mon  mary 

Sire  Pilate,  et  lui  dy 
Mon  songe  que  t'ay  raconté. 

ROMAIN 

Voulentiers,  dame,  en  vérité, 
Dieu  me  doint  faire  bon  messaige  ! 

Yadat  (Pausa). 
Seigneur,  devant  qu'alliés  au  siège, 
Il  fault  qu'ad  vous  je  parle  a  part. 

pilati<; 
Sur  quoy? 

ROMAIN 

Mes  qu'en  escart 
Nous  soyons,  je  le  vous  direy. 

Pausa. 
Percula  ma  dame  a  songé  :i 


*  40  v«.  —  i.  Ris.  :  l'adverii.  —  2.  Ms.  bon. 

3.  Cf.  le  livre  cité  précédemment  p.  255,  la  Passion...  moralisée,  figurée  etc.  :  «  Selon 
la  sentence  du  philosophe  Aristote...  »  1490,  (B.  Nat.  Réserve  II.  1106)  cahier  m.  11. 
fol.  1,  r*. 

Ifystoirc,  —  Nous  lisons  en  ung  livre  de  la  supplication  des  cvangilles  que  en  celle 
nuyt  la  femme  de  Pylate  fut  ravye  et  vit  en  sa  vision  en  l'appareil  du  palays  ou 
devoit  estre  jugé  le  doulx  saulveur  Jhesucrist  une  ymage  pendue  en  croix.  Et  de  la 
bouche  d'icelle  ymage  partoit  une  telle  escripture  :  «  Juge,  si  tu  ne  faitz  selon  vérité, 
pardurablement  tu  seras  tourmenté  en  enfer.  »  Et  a  l'environ  d'icelle  ymage  estoyent 
grant  multitude  de  gens  qui  l'aisoiciit  reverance  a  l'ymage  et  la  saluoyent  d'une  voix 
moult  joyeuse  en  disant  :  «  Dieu  te  saidt,  divine  majesté,  pour  toy  servir  sommes 
nous  tous  aprestez  :  Et  au  dessoulz  de  l'ymage  estoit  ung  dragon,  lequel  disoit  en 
telle  manière  :  Celluy  qui  en  ta  mort  se  consentira  en  enfer  pardurablement  dampné 
sera  ».  Quant  doneques  elle  eut  veu  celle  vision,  elle  pensa  qu'il  signitioit  la  mort  de 
Jhesucrist.  Et  ceey  l'ennemy  lui  mist  en  vision  en  son  dormant,  et  dient  les  docteurs 
que  c'estoit  pour  empeseher  l'œuvre  de  la  rédemption  et  par  ainsi  la  femme  Pilate 
luy  manda  qu'il  se  gardast  bien  de  condempner  Jhesucrist.  » 


D  AUVERGNE 


375 


L  EMORROISSE  DONNE  LE  SUAIRE  A  JOSEPH  D'ARIMATHIA 


JOSEP 

Adieu,  seigneur, estre  songnheux  * 
Me  fault  pour  avoir  de  la  telle 
Qui  soit  blanche,  doulcete  et  belle  ; 
J'en  vaiz  querre  je  ne  sçay  ou. 

L'EMORROISSE  GARIE 

J'ay  cy  de  toile  a  foison 

Pour  vendre,  se  venoit  marchant. 

Bon  marché  farey,  c'est  raison, 
Pour  ce  que  j'ay  besoin  d'argent. 

JOSEP 

Ma  mie,  tu  as  trouve  marchant 
Qui  ta  toile  veult  achapter 
Pour  faire  l'enseveliinent 
De  Jhesus  que  vai/.  destacher. 

L'EMOROISSE  GARIE 

Pour  luy,  seigneur,  rien   ne    m'est 
[cher  **. 


De  bon  cuer  certes  la  luy  donne, 
Voir  tout  le  mien  luy  habandonne, 
Car  tresfort  luy  suis  obligée, 
Pour  luy  santé  me  fut  donnée 
Du  flux  de  sang. 

JOSEP 

Prend  cel  argent, 
Aultrement  ne  prendrey  la  toele. 

L'EMORROISSE 

Mon  seigneur,  je  suis  son  ancelle 
Et  sa  servante  a  le  servir  ; 
Pour  ce  amaroys  mieulx  morir 
Que  si  en  prenoye  ung  denier, 
Et,  si  ne  l'en  voulés  porter. 
Je  l'apporteray  après  vous. 

SAMUEL 

Or  sa,  doncques  balhe  la  nous, 
Dieu  te  veulhe  rémunérer1  ! 


EXTASE  DE  LA  VIERGE 


Très    hault     Dieu,     bonté    souve- 
j  rainne,*** 
Ou  j'ay  mon  cuer  et  ma  fiance, 
Car  tues  la  doulce  fontaine 
De  amoreuse  joyssance, 
Veulhe  moy  donner  alegeance, 


Esleve  ung  peu  mes  esperis, 
Donne  moy  fruer  de  ton  essence. 
Et  varrey  avec  toy  mon  lilz. 

Très  Hault,  bonté  de  gloire  plaine, 
<  »u  j'ay  mis  toute  m'esperance, 
Ta  charité  a  toy  m'amaine. 


i  Cf.  la  /'fission  selon  Gamaliel,  etc.  I!.  de  l'Arsenal  Ms.  5,366  fol.  3g  \  .  B.  Nat. 
-.•i.jisi.  [56  r  :  «  Adoncques  Joseph  et  Nicodemus  se  partirent  de  là  et  trouvèrent 
une  femme  qui  <-~t •  >i t  de  Galillée,  et  leur  demanda  ou  il/,  alloient,  et  il/  lui  dirent 
«mil/  alloient  ensevelir  ensevelir  ensemble  le  corps  de  Jhesu  Crist.  —  Tenez  ce 
drap  d'avecque  quoy  vous  le  ensepvclirez,  car  il  me  guérit  d'une  maladie  dont 
moult  estoie  honteuse  entre  les  autres  dames  tant  seullement  de  toucher  .i  sa 
robbe.  » 

■  66  v.  —  •'  •'.;  r».  -  •••  si  r\ 


376 


LA    PASSION 


Veulhe  avoir  de  moy  souvenance. 

A  la  deité  ce  jour  pence 

Pour  avoir  de  joye  le  pris. 

Se  en  toy,  Père,  plus  fort  pence, 

Je  varrey  avec  toy  mon  filz. 

Très  Hault,  charité,  doulceur  saine, 
Qui  sur  tous  advés  excellence, 
Eslevés  ma  vertut  humaine, 
Que  je  voye  votre  substance  ; 
C'est   tout   mon   bien  et  ma  che- 
Avec  les  anges  mes  amis,     [vance 
Vous  veoir  en  divine  assistance  : 
Je  varray  avec  vous  mon  filz. 

Prince,  qui  a  fort  doulce  alaine, 


Baiser  te  veulx  par  ung  doulz  vis, 
Embrasse    moy   pour    bonne    es- 
[trainne, 
Et  varrey  avec  toy  mon  filz. 
Elevetur  Maria  in  haltum. 

DIEU  LE  PERE 

M'amour,  Marie,  mon  doulx  lis, 
Ma  beauté,  colombe  amoreuse, 
Remplés  de  moy  voz  espeiïs, 
Eslevés  vous,  ma  gracieuse  ! 
Vo  '  pascience  précieuse 
Me  plait  fort,  ma  doulcete  amie. 
Or  sus,  companie  glorieuse, 
Resjoyssés  un  peu  Marie. 
Cantent  Angrelî  : 

«  Glorieuse  Marie.  » 


MARIA 


En  ceste  joyeuse  estampie 
Et  en  ce  chant  mélodieux, 
Doleurs  pers,  plus  ne  suis  marrie, 
Pour  ce  que  voy  Dieu  glorieux, 
Je  voy  aussi  mon  amoreux 
Jhesus  en  ame  et  deité, 
Qui  es  limbes  fait  tant  joyeux 
Ceulx  qu'en  ce  monde  ont  Dieu  amé. 


O  essenciale  unité, 

Ung  dieu,  une  essence  et  subtance, 

Requer  vous  voy[e]  en  trinité, 

Père,  Filz,  sainct  Esperit,  en  se 

Veyent,  je  prens  plaisance 

Si  très  grant  que  plus  ne  veux  mie. 


Maintenent,  Dieu,  j'ay  suffisance, 
Doleur  en  joye  est  convertie. 

Souverain  Dieu  de  cuer  vous  prie 
Pour  ceulx  qui  sont  mes  amoreux, 
Qu'i  vous  plaise  garder  leur  vie 
De  perilz  et  maulx  dangereux, 
Et  les  faictes  si  -  vertueux 
Qu'ilz  admeritent  paradis, 
Et  especielment  tous  ceulx 
Qu'ont  veu  la  passion  vostre  fils. 

Prince  qui  es  es  cieulx  assis,  * 
Tous  nous  jours  te  remercions, 
Et  ceulx  qu'ont  regardé  ;  prions 
Qu'il  soit  tout  jour  noz  bons  amis. 


84  v".  —  i.  Ms.  rostre.  —  2.  Ms.  si  ires. 


d'auvergne  377 

Nous  avons  analysé  minutieusement  scène  par  scène  la  Passion 
d'Auvergne.  En  dépit  de  son  méchant  style,  elle  est  fort  instruc- 
tive puisqu'elle  permet  de  relier  le  théâtre  du  Nord  à  celui  du  Midi, 
et  qu'elle  est  la  véritable  transition  si  longtemps  cherchée  des 
mystères  français  aux  mystères  rouergats. 

La  versification  (triolets,  ballades,  etc.)  suffirait  à  prouver  que 
l'auteur  auvergnat  a  connu  des  pièces  françaises  actuellement  per- 
dues ou  inconnues.  Outre  ces  pièces  et  les  Evangiles  canoniques, 
cet  auteur  a  connu  un  ouvrage  intitulé  la  Supplication  (supplé- 
ment) des  Evangiles  dont  nous  n'avons  retrouvé  la  trace  et  la 
mention  que  dan-  la  Passion  movalisée\  «  Selon  la  sentence  du  phi- 
losophe Arislote  ».  imprimée  en  1490.  Le  nom  de  Marcelle,  donné 
à  la  femme  du  peuple  qui  bénit  Jésus,  suivant  l'Evangile  de  S.  Luc, 
XI,  27.  «  Beatus  venter  (/ni  le  portavit,  etc.  »,  vient,  soit  des  Pos- 
tules de  Nicolas  de  Lire,  soit  d'une  légende  de  la  Madeleine  signa- 
lée par  M.  P.  Meyer,  [Notes  et  Extr.  des  Ms.  de  la  B.  Nat.,  t. 
\.\XY,  2e  p.,  p.  492).  D'autres  noms  (Alexandre.  Phinees,Sampna, 
Diatan,  etc.)  prouvent  que  le  dramaturge  a  mis  à  contribution 
l'Evangile  de  Nicodème  latin  (ou  de  ses  traductions  françaises), 
autant  et  plus  que  celui  de  S.  Luc.  Cet  Evangile  de  Nicodème 
est  d'ailleurs  le  seul  texte  qui  donne  le  nom  de  la  femme  de  Pilate, 
Percula  ou  Procula*.  Est-ce  tout?  pas  encore,  car  l'épisode  de 
l'Hémorroïsse  devenue  marchande  de  toile,  le  nom  d'Abdéron  et 
surtout  celui  de  Romain,  le  fidèle  serviteur  de  Pilate,  et  bien  d'au- 
tres  détails  n'ont  pu  être  pris  que  dans  la  Passion  selon  Gamaliel, 
qui  nous  a  si  longuement  occupé.  L'imitation  de  cet  ouvrage  est 
donc  ici  certaine,  mais  elle  est  moins  fidèle  et  moins  suivie  que 
dans  les  Mystères  rouergats,  connue  on  va  le  voir.  Là.  celle 
imitation  deviendra  souvent  une  véritable  copie. 


1.  Voir  page  355  de  ce  livre. 

a.  Elle  n'est  pas  nommée  dans  ?  Evangile  de  Nicodème  ru  vers  provençaux  <■(  dans 
la  Passion  selon  Gamaliel,  qui  disenl  simplement  «  la  femme  1  de  Pilate,  comme  un 

l'a  note  plus  haut. 


LES 


MYSTERES   ROUERGATS   ET   LEURS   SOURCES 


LES 

MYSTÈRES  ROUERGATS  ET  LEURS  SOURCES 

LA   PASSION  DIDOT 

L'ÉVANGILE  DE  NICODÈME  EN  VERS  PROVENÇAUX 

LA  PASSION  SELON  GAMALIEL 


Les  Mystères  rouergats,  déjà  si  souvent  étudiés  par  la  critique  '. 

forment,  comme  on  Ta  dit,  un  drame  cyclique  ou  un  véritable 
cours  d'histoire  sainte  allant  de  la  Création  au  Jugement  dernier. 
On  a  représenté  très  anciennement  des  mystères  cycliques  dans  le 
Midi  à  la  Fête-Dieu  *  ;  mais  nous  savons  peu  de  choses  sur  ces 
représentations,  et  il  n'est  pas  certain  que  les  mystères  rouergats 
se  rattachent  à  cette  fête.  C'est  plutôt  une  collection  de  pièces 
détachées  qui  pouvaient  se  réunir  ou  se  séparer  à  volonté. 
Cette  histoire  dramatique  de  la  Rédemption  était  certainement 
très  longue  et  disposée  suivant  un  certain  plan,  mais  ce  plan 
n'avait  pas  été  arrêté  d'avance,  dans  tous  ses  détails,  le  compila- 
teur rouergat  travaillait  très  irrégulièrement  et.  grâce  à  sa 
méthode  ou  à  son  absence  de  méthode,  nous  n'avons  conservé  de 
son  œuvre  qu'une  série  d'épisodes  plus  ou  moins  décousus.  En 


i.  Notice   <1<'    M.    A.   Thomas,  Annales  <ln  Midi,   1890,  p.  38.  Ed.  complète  i>    p 
M.  A.  Jeanroy  el  II.  Teulié  sous  le  titre  de  Mystères  provençaux  du  quinzième  siècle, 
is;>'i. 

Mentions,  analyses  el  comptes  rendus  critiques  :  M.  Creizenach,  Gesch.  <l.  n.  Dra- 
mas,  169S,  I,  i>.  i:i  ;  Groeber,  Grundriss,  etc.,  1897,  II.  |>.  56;  A.  d'Ancona,  Origini  del 
Teatro  ital  .  t.  I.  p.  863. 

Revue  des  langues  romanes,  i8gj  (A.  Chabaneau),  p.  {78.—  H.  d'Hist.  lili.  </-•  la  France, 
is.ii  'I'.  «le  Julie  ville.,  p.  369.—  Revue  </<•  Provence,  i.s»h>  (L.  Constans),  p.  94.—  Zeitschrijl 
fur  roman.  Phil.  [894 (A.  Stimming),  p.  '<\~-  —   Zeitsch.  Jûr  frans   Sprache,  eti 
(E.  Stengel),  p.  ^m,  etc.,  etc. 
A    Draguignan,  dû  1  l'J;. 


382  LES  MYSTÈRES  ROUERGATS 

effet,  comme  l'a  démontré  M.  Jeanroy',  ce  compilateur  écrivait 
ses  mystères  dans  deux  volumes,  en  passant  de  l'un  à  l'autre 
alternativement,  ou  en  compilant  deux  recueils  simultanément,  et 
un  seul  de  ces  volumes  nous  est  parvenu.  Dans  ce  volume  con- 
servé, il  a  écrit  ses  pièces  non  dans  l'ordre  que  parait  indiquer 
celui  où  nous  les  trouvons,  mais  «  au  fur  et  à  mesure  que  se  pré- 
sentaient les  originaux  qu'il  entendait  reproduire  ou  imiter  ;  il  en 
commençait  alors  la  transcription  à  tel  ou  tel  endroit  de  son 
volume,  selon  la  place  que  leur  assignaient  les  événements  mis  en 
scène,  se  réservant  l'espace  qu'il  jugeait  nécessaire  pour  les  mor- 
ceaux qui  devaient  précéder  ».  Plusieurs  fois  ses  calculs  l'ont 
trompé,  et  des  feuillets  sont  restés  blancs  dans  les  intervalles.  Il  a 
utilisé  ces  blancs  en  y  insérant  des  morceaux  détachés  et  deux 
tables  qui  permettent  de  deviner  les  lacunes  et  l'ensemble.  Ces 
deux  tables  contiennent  en  effet  avec  de  légères  différences  les 
titres  et  l'ordre  des  mystères  contenus  dans  les  deux  volumes,  et 
la  première  ajoute  aux  titres  la  liste  des  personnages.  Le  manus- 
crit a  été  exécuté  en  Rouergue  vers  le  troisième  tiers  du  quinzième 
siècle,  mais  la  date  même  des  textes  qu'il  contient  n'a  pu  encore 
être  déterminée  exactement.  Une  première  fois,  ils  ont  été  jugés 
antérieurs  à  i44°  '■>  puis,  ils  ©nt  été  reportés,  avec  plus  de  vraisem- 
blance, à  la  date  approximative  du  manuscrit  qui  serait,  d'après 
certains  indices,  la  minute  de  l'auteur.  Ainsi  une  compilation  non 
datée  et  dont  la  moitié  la  plus  importante  ou  la  Passion  propre- 
ment dite  est  perdue,  une  série  d'oeuvres  disparates,  rédigées  au 
petit  bonheur,  et  dont  il  faut  retrouver  les  originaux  très  divers, 
tour  à  tour  très  simples  ou  très  compliqués,  tel  est  le  problème  qui 
reste  à  résoudre  en  partie.  Comment  reconstituer  la  bibliothèque 
ou  les  sources  du  compilateur  rouergat  ? 

Dans  une  enquête  compliquée,  l'essentiel  est  d'abord  de  ne  lais- 
ser place  à  aucune  équivoque,  même  au  prix  de  redites.  Rappelons 
donc  que  trois  de  ces  sources  nous  sont  déjà  en  partie  connues  : 
la  Passion  Didot  signalée  par  M.  Jeanroy,  et  d'autre  part,  XEvan- 


i.  Toute  cette  description  du  manuscrit  est  empruntée  a  Y  Introduction  de  M.  A. 
Jeanroy  qui  a  le  premier  signalé  les  emprunts  faits  par  le  dramaturge  rouergat  à  la 
J'assion  Didot,  et  dont  les  indications  aussi  ingénieuses  que  précises  vont  nous  aider 
à  retrouver  les  autres  sources  de  la  compilation. 


LES   MYSTÈRES   ROUERGATS  383 

gile  de  Nicodème  en  vers  provençaux  ainsi  que  le  vieux  roman  ou 
poème  en  prose,  inspiré  par  cet  Evangile  provençal,  la  Passion 
selon  Gamaliel.  Il  n'y  aura  qu'à  montrer  par  des  citations  précises 
comment  ces  trois  textes  sont  associés  et  combinés  l'un  avec 
l'autre  clans  les  mystères  rouergats.  Des  citations  précises  et  détail- 
lées, car  les  relations  de  tous  ces  textes  entre  eux  sont  complexes 
et  multiples.  Pour  les  emprunts  directs  faits  par  le  compilateur 
rouergat  à  l' Eçangile  de  NicQflème  en  vers  provençaux,  ils  s'éta- 
bliront, comme  on  l'a  dit.  sans  difficulté.  Ce  sont  des  emprunts 
presque  textuels  ou  même  textuels,  analogues  à  ceux  qui  ont  été 
faits  à  la  Passion  Didot'.  Pour  la  Passion  selon  Gamaliel,  il  nous 
est  déjà  prouvé  par  certains  indices  1  que  le  compilateur  rouergat. 
a  consulté,  comme  le  nqète  d'Auvergne,  cette  Passion  dans  un 
manuscrit.  Reste  à  voir  comment  il  a  transformé  ce  texte  en  le 
transportant  au  théâtre.  En  somme,  pour  tirer  de  cette  Passion  un 
drame,  l'auteur  rouergat  va  la  remanier  et  l'amplifier  exactement 
comme  l'auteur  de  la  Passion  selon  Gamaliel  avait  remanié 
Y  Evangile  de  Nicodème  en  vers  provençaux  pour  en  tirer  son 
roman.  C'est  ce  qu'il  sera  possible  d'établir  en  nous  appuyant  sur 
l'analyse  précédemment  donnée  de  la  Passion  selon  Gamaliel. 
sur  les  longs  extraits  de  la  Vie  de  Iesu  Crist  de  i4<">5  ',  et  sur  les 
citations  partielles  qui  suivront.  Ainsi  les  origines  d'une  bonne 
partie  de  la  compilation  rouergate  seront  déjà  déterminées. 

Viennent  ensuite  un  assez  grand  nombre  de  mystères  rouergats 
qui  ne  dérivent  pas  des  sources  précitées.  D'où  viennent-ils  ? 
D'une  ancienne  Passion  du  Nord,  laquelle  aurait  inspiré  la  Pas- 
sion Didot  et  plus  lard  la  Passion  d'Arras,  et  par  surcroît  n'aurait 
pas  laissé  d'inspirer  d'anciens  mystères  allemands*?  C'est  l'iiy- 


i.  lit  pur  surcroît,  ils  sont  enchevêtrés,  comme  on  le  verra  à  la  lin  <!<•  ce  chapitre, 
dans  les  emprunta  faits  à  cette  Passion  Didot 

a.  Se  rappeler  les  remarques  Faites  |>.  >ii  de  ce  livre  sur  remploi  des  noms  Roma 
e1  Roman  dans  les  mystères  rouergats.  Pour  ne  pas  multiplier  les  difficultés,  nous 
admettrons  pur  hypothèse,  comme  M  Jeanroy,  que  toute  lu  compilation  rouergate 
«•si  d'un  même  auteur,  bien  que  le  luit  m-  soil  pas  absolument  certain. 

;.  ()n  m-  reviendra  plus  naturellement  aux  manuscrits  et,  pour  lu  facilité  des  véri- 
Bcations,  on  renverra  directement  à  l'imprimé  de  1  {85.  Les  citations  choisies  seront 
d'ailleurs  conformes  un  texte  des  manuscrits. 

\.  Wilmotte,  L<s  Passions  allemandes  du  Rhin,  p.  gi,  98,  noie  i.  n>">.  noie  5,  1 1  ■  ». 
1  »<  •  t  <•  1. 


384  LES  MYSTÈRES  ROUERGATS 

potlièseque  nous  avons  déjà  si  souvent  rencontrée  et  qui  se  repré- 
sente ici  une  dernière  fois  avec  des  tables  de  concordances  extrê- 
mement minutieuses  entre  les  passages  imprimés  de  la  Passion 
Didot  et  les  passages  correspondants  de  la  Passion  d'Arras  et  des 
mystères  rouergats1.  Quand  les  fragments  imprimés  de  la  Passion 
Didot,  les  mystères  rouergats  et  la  Passion  d'Arras  s'accordent, 
l'existence  du  modèle  commun  ou  de  la  Passion  française  du  Nord 
semble  s'imposer  :  quand  la  Passion  Didot  manque,  parce  qu'elle 
reste  en  partie  inédite,  rien  de  plus  simple  que  de  suppléer  à  ses 
lacunes  à  l'aide  des  mystères  rouergats  et  de  la  Passion  d'Arras, 
et  le  modèle  commun  s'impose  encore  avec  la  même  facilité.  Pour 
répondre  à  cette  argumentation  très  précise,  mais  peut-être  trop 
aventureuse,  il  n'y  a  évidemment  qu'un  moyen,  interroger  la 
Passion  Didot  elle-même,  montrer  que  le  manuscrit  dans  son  inté- 
gralité ne  dit  nullement  ce  qu'on  a  voulu  lui  faire  dire  d'après  des 
extraits  tronqués,  et  d'autre  part  indiquer  les  véritables  sources 
des  mystères  rouergats.  Ainsi  les  rapprochements  de  passages 
<(  presque  identiques  »  qui  ont  été  relevés  se  réduiront  à  de  sim- 
ples analogies,  inévitables  dans  un  pareil  sujet,  et  susceptibles 
d'explications  très  différentes.  Ces  analogies  plus  ou  moins  spé- 
cieuses auront  l'inconvénient  de  retarder  de  ci  de  là  la  solution  du 
problème,  mais  en  définitive  ne  l'empêcheront  pas. 

Resteront  enfin  un  certain  nombre  de  mystères  rouergats  d'ori- 
gines très  diverses  qui  ne  rentrent  dans  aucune  des  catégories 
précédentes,  et  qui  nécessitent  encore  d'autres  explications. 
Les  derniers  en  date  et  aussi  les  plus  compliqués  seront  analysés 
à  part  et  nous  donneront,  à  peu  de  chose  près,  la  date  extrême  de 
la  compilation  rouergate  tout  entière.  Ils  sont  en  effet  tirés  d'ou- 
vrages français,  imprimés  pour  la  première  fois  à  des  dates  déter- 
minées, ou  peu  s'en  faut.  Cette  expression  n'a  rien  qui  doive  sur- 
prendre, puisqu'il  s'agit  d'incunables  dont  l'histoire  n'est  pas 
encore  faite,  et  ne  peut  être  tentée  qu'avec  une  approximation 
relative. 

Pour  la  commodité  de  ces  recherches,  nous  allons  donc  exami- 
ner tous  les  mystères  rouergats  dans  l'ordre  même  où  le  compila  - 


i.  E.   Stengel,  ZeitschriJÎ  /tir  franzôsische    sprache  und    Lîtteratur,   t.    XVII.    i 
2e  partie,  p.  210,  note  i. 


l.KS    MYSTERES    ROUERGATS 


tour  rouergat  les  a  placés,  à  peu  de  chose  (très,  et  ikmis  réser- 
verons pour  la  fin  les  plus  modernes. 

i    Mystères  placés  au  frontispice  de  la  collection  et  lui  servant 

de  prologues  :  Creatio,  Abraham  ' . 

a  Mystères  placés  avant  la  Passion  proprement  dite  :  la  Sama- 
ritaine, la  Femme  Adultère,  Miracles,  Vendeurs,  Résurrection 
de  Lazare.  Repas  chez  Simon  le  lépreux. 

3°  Groupe  de  la  Passion  et  de  la  Résurrection  .'  Entrée  à  Jérusa- 
lem. Cène,  Passion  proprement  dite.  Résurrection  des  Morts, 
Résurrection  du  Christ.  Pèlerins  d'Emmaùs,  la  Juioerie  ou  Jo- 
seph d'Arimathie.  * 

4°  Mystères  divers,  Ascension.  Jugement  général  ou  dernier. 
Jugement  de  Je  sa  s. 

La  compilation  rouergate  s'ouvre  par  une  Création,  et  cette  Créa- 


I.  CA\  les 

deux  tables  «lu  Ms.  reproduites 

par  A.  Jeanroy,  Introduction,  p.  vii.i  : 

Fol.  ag  du  ms. 

Fol.  35. 

I 

Creatio. 

Creatio. 

2 

Abram. 

Sinagoga. 

3 

Synagoga 

Abram. 

4 

Samaritana. 

Samaritana. 

5 

Addulteyrix. 

Adulterix. 

6 

.Miracles. 

Mil' actes. 

; 

Vendedors, 

\  encleilus. 

S 

Jutgamen  de  Jésus. 

Jutgamen  de  Jésus. 

«I 

Laze. 

Lazer. 

10 

Covit  de  Simon  Leprosus. 

— 

il 

[ntrada  de  Jérusalem. 

[ntrada  de  Jérusalem. 

12 

— 

Sena. 

i3 

Passio. 

Passio. 

■i 

.1  iis.it, iria. 

— 

Ili 

- 

— 

l- 

- 

Limbes. 

IS 

— 

Resurecl  i" 

19 

- 

Ema  ii>. 

19 

— 

\  ssentio. 

i.  (les  deux  titres  paraissent  bien  désigner  la  même  pièce.  Quanl  à  la  Sync 
ce  devatl    être,   suivant  la  conjecture  de  M.  Jeanroy,    une  délibération  de  la  Syna- 
gogue sur  les  moyens  de  perdre  Jésus.  Cette  scène  étail   facile  à  imaginer,  et  la 
Passion  selon   Gamaliel  offre,   dès   le   début,   de   nombreux   exemples  de    conseils 
analogues   Le  Jugement  gênerai  absent  de  ces  deux  listes  se  relie,  comm i  le  \  erra. 

.i  Y Assrntio. 


3S6  LES    MYSTERES    ROUERGATS 

tion  n'est  «  que  la  mise  en  œuvre  d'une  légende  d'après  laquelle  le 
nom  du  premier  homme  aurait  été  formé  des  initiales  du  nom  des 
quatre  étoiles  correspondant  aux  quatre  points  cardinaux  »  '.  Cette 
légende  n'est  pas  d'origine  hébraïque,  comme  on  l'a  pensé,  elle 
parait  même  complètement  impossible  en  hébreu,  où  les  diverses 
combinaisons  des  lettres  constituant  le  nom  d'Adam  produisent  des 
légendes  très  différentes*;  elle  n'est  en  réalité  possible  qu'avec  les 
lettres  de  l'alphabet  grec,  et  ce  sont  en  ellèt  les  Grecs  qui  l'ont  in- 
ventée, puis  donnée  aux  Pères  de  l'Eglise  latine,  notamment  à 
Saint  Augustin  \  lequel  l'a  enseignée  à  son  tour  à  toutes  les  ency- 
clopédies du  moyen  âge.  Nous  la  retrouvons  au  xme  siècle  dans  le 
roman  populaire  d'Adam  et  d'Eve  : 

Par  grant  signorie 

Nostres  sires  le  nom  li  inist, 
Car  des  .1111.  parties  prist 
Du  monde  la  première  latre, 
Et  qui  les  sét  ensamble  matre. 
Le  non  savra  legierement 
'Jueles  sont  a  mien  escient  ; 
Artos,  dysis,  anastolé, 
Missibuon  en  greu  nommé; 
Qui  bien  essembler  les  sevrai 
Cest  non  tôt  droit  Adam  avrai  ;. 

La  légende  reparait  au  xive  siècle  dans  les  histoires  universelles 
comme  celles  de  Jean  d'Outremeuse 5  :  au  xve  et  au  xvr  siècle,   on 


i.  A.  Jeanroy.  Introduction,  p.  x. 

a  Voir  Bartolocci,  Bibliotheca  rabbinica  citée  dans  le  Dici.  des  Apocryphes,  col. 
Migne,  t.  II,  p.  $6:  Kabbalistae  insulsi  clicunt  très  Litteras  in  Adam  signiiieare  Adam, 
David.  Messiam,  etc. 

3.  In  Joann.  tract.  X,  c.  i  (Patr.  Migne,  t.  36,  col.  i403)-  De  illo  [Adam]  exortae  sunt 
omnes  gentes  et  in  ejus  vocabulo  quatuor  litteris  quatuor  orbis  terrarum  partes  per 
graecas  appellationes  demonstrantur.  Si  enim  gtaece  dicantur  Oriens,  Oecidens, 
Aquilo,  Meridies...  in  capitibus  verborum  invenies  Adam...  »  :  item.  t.  3;,  col.  1236. 

Liber  de  duobus  montibus  (Patr.  .Migne.  t.  4,  col.  çi'j'îi  cite  par  Vinc.  de  Beauvais 
Spec.  Natur.  liu.  XXX.  cap.  xv,  p.  2224.  —  Amateure,  (Patr.  Migne,  t.  io5,  col.  1004), 
cite  par  A.  Jeanroy.  —  Blon.  d'Autun,  Elùcidar.  t.  172,  cul.  m;,  etc. 

\    li.  de  L'Arsenal,  ins.  5aoi,  p.  (i->  V  col.  2.  et  B.  Nat.  fr.  24.301  loi.  022,  col.  1. 

5.  Cuil.  des  Chroniques  belges,  in-4°,  t.  I,  p.  309. 


LES   MYSTÈRES   ROUERGA  I  S 

la  retrouve  souvent  soit  dans  les  recueils  factices1,  soil  dans  les 
traités  d'astrologie,  notamment  dans  le  «  sottisier  »  manuscrit  de 
l'astrologue    bourguignon,    Jean    Tabourot  \   l'oncle  de  Et.  des 

Accords.  Il  esi  donc  bien  probable  que  le  compilateur  rouergat  l'a 
prise  lui-même,  non  dans  un  mystère,  niais  plutôt  dans  un  alma- 
nach,  dans  une  compilation  d'histoire  sainte,  et  les  deux  pièces 
suivantes  ont  peut-être  une  origine  analogue. 

A  la  Création  succédait  un  second  Prologue  aujourd'hui  perdu. 
Le  sacrifice  du  Fils  de  Dieu  était  précédé  et  annoncé  par  le  sacii- 
fice  d'Isaac  lequel  apparaît  si  souvenl  associé  à  la  Passion  dansles 
mystères  mimés3  ou  dramatiques,  les  spectacles  de  la  Fête-Dieu, 
les  livrets  *\r  théologie.  Ce  sacrifice  ou  cette  «  figure  »  de  la  Pas- 
sion devait.il  est  vrai,  être  rappelé  plus  loin  dans  l'épisode  allégo- 
rique du  Jugement  de  Jésus  qui  explique  la  nécessité  de  la  Pas- 
sion, mais,  ou  bien  quand  il  rédigeait  son  petit  mystère  d'Abra- 
ham, l'auteur  rouergat  n'avait  [tas  encore  en  mains  le  modèle  du 
Jugement  de  Jésus,  ou,  ce  <pii  est  plus  probable,  il  n'était  pas 
homme  à  reculer  devant  un  double  emploi.  Il  aura  cru  bon  de  dé- 
velopper ;i  part  «  la  figure  »  la  plus  ancienne  et  la  plus  impor- 
tante, ce  sacrifice  d'Isaac  auquel  le  Christ  devait  son  surnom  mys- 
tique d'Innocent*,  comme  on  le  voit  dans  divers  textes  théologi- 
que-, et  encore  par  les  curieuses  représentations  consécutives  de 
Laval  en  i5o;  : 

D'Abraham  le  sacrifice 

Fut  joué,  qui  fut  moût  propice. 

Sur  le  grand  pavé  de  Laval 


i.  Rome,  Vat .,  Ottob.  25o3  (  w  siècle),  P>  :»>.  oité  par  E.  Langlois. 

a.  15.  Mazarine,  m-.  3636(xvi   siècle),  fol.  a65. 

'!  Exemple  :  ette  sorte  de  diptyque  qui  résumait  toul  L'enseignement  des  Confrères 
de  la  Passion,  a  I  entrée  de  Louis  XII  a  Paris,  le  a  juillet  i  î;iS.  d'après  Godefroj  .  Céré- 
monial Jrançois,  t  1.  238.  «  Devant  L'église  de  la  Trinité  avoient  l'ait  les  gouverneurs 
et  confrères  de  la  G.  île  la  Passion  un  eschaffaul  ou  estoit  Abraham  qui  sacrifient  a 
Dieu  le  père  son  fils  Esaac,  et  a  l'autre  costé  de  Peschaffaut  le  crucifiement  de  Jésus- 
Christ  »  —  Le  sacrifice  d'Isaac  figure  encore  aujourd  nui  dans  la  Passion  d'Oberam- 
mergau 

i  st  Thomas  d'Aquin,  Somme,  I'.  III.  Q.  i;.  art.  i.  Ad  lertium  sic  proceditur.  i.  Vi- 
detur  quod  Deus  Pater  non  tradideril  Christum  passioni.  (niquumenim  et  crudele 
videtur  esse  quod  innocens  passioni  el  morti  tradatur....  It.  Q,   {6.  art.  >>■ 

I.e  surnom  d'Innocent  repaiaitra  dans  la  Moralité  Secundum  legem  débet  mori,  tirée, 
comme  on  le  verra  plus  loin,  du  même  texte  que  le  Jugement  de  Jésus  rouergat. 


388  1>ES    MYSTÈRES    ROUERGATS 

Par  le  clergé  de  Saint  Thugal; 
Aussi  fut  joué  l'Ignoscent 
Celluy  an,  qui  est  moult  décent1. 

Quant  au  développement  succinct  de  son  petit  mystère  d'Abra- 
ham, où  l'auteur  rouergat  l'a-t-il  pris?  Il  est  difficile  de  le  dire. 
Peut-être  dans  quelque  histoire  sainte,  la  même  qui  lui  aura  fourni 
la  Création  et  plus  tard  la  pièce  de  la  Samaritaine  qui  commence 
la  vie  publique  de  Jésus.  L'abondance  des  noms  propres  ou  des 
souvenirs  historiques  au  début  de  cette  Samaritaine  semble  bien 
indiquer  que  la  pièce  est  tirée  de  quelque  compilation  d'histoire  \ 
D'autre  part  les  théologiens  associent  volontiers  la  Samaritaine  et 
la  Femme  adultère,  les  deux  femmes  auxquelles  Jésus  a  pardonné; 
elles  se  font  quelquefois  vis-à-vis  sur  les  vitraux  ;'  ou  les  œuvres 
d'art.  Il  est  donc  possible  qu'entre  ces  deux  pièces  de  la  Samari- 
taine et  de  la  Femme  adultère  qui  se  suivent  sans  transition 
l'auteur  rouergat  ait  voulu  mettre  un  certain  lien,  et  que  cette  par- 
tie de  la  compilation  était  en  réalité  moins  décousue  qu'elle  ne 
nous  le  parait. 

Des  courtes  scènes  qui  suivent  {Femme  adultère,  Miracles  (le 
Boiteux.  l'Aveugle,  le  Paralytique).  Expulsion  des  vendeurs),  nous 
ne  connaissons  également  que  les  titres  et  les  personnages.  Les 
sources  qui  nous  échappent  encore,  paraissent  avoir  été  diverses. 
Pour  les  Miracles,  l'auteur  rouergat  s'est  probablement  inspiré 
d'un  verset  de  l'Evangile  4  de  saint  Mathieu,  XXI.  14  :  mais  où  a- 
t-il  pris  ses  développements?  Bien  que  l'ordre  de  ces  scènes  et 
diverses  particularités  diffèrent  dans  la  Passion  Didot ',  il  ne 
serait  pas  impossible  qu'elle  ait  été  mise  à  contribution  au  moins 
en  partie  pour  le  Miracle  de  l'Aveugle.  Cette  Passion  donne,  il  est 
vrai,  un  assez  long  rôle  au  Père  et  à  la  Mère  de  l'Aveugle,  et  dans 
la  compilation  rouergate,  ils  ne  reparaissent  ni  sur  la  liste  des  per- 

1.  Chronique  rimée  de  G.  le  Doyen,  (B.  de  L'E.  des  Chartes,  i852,  p.  389).  On  a  pro- 
posé diverses  explieations  pour  cette  pièce  perdue  de  {'Innocent  (cf.  P.  de  Julleville, 
Rcp.  du  théâtre  comique,  p.  35g),  mais  le  sens  nous  parait  maintenant  bien  lixé. 

1.  La  Samaritaine,  p.  12,  v.  3o3-3o4- 

3.  Notamment  sur  un  vitrail  de  l'église  de  Caudebec  (xvi*  siècle),  signalé  par 
M    Km.  .Mâle. 

4.  «  Et  accesserunt  ad  eum  caeci  et  claudi  in  templo  et  sanavit  eos  ». 
ô,   .Note  par  A.  Jeanroy,  Introduction,  p.  xvi.i. 


LES  MYSTÈRES  ROUERGATS  389 

sonnages  de  la  Passion,  ni  avant,  sur  celle  des  Miracles1.  Mais  il 
c^t  remarquable  que  l'auteur  rouergat  a  fait  reparaître  «  l'Orb, 
son  payre,  sa  mayre  »  dans  un  passage  du  Jugement  gênerai  ou 
dernier  (le  Réquisitoire  contre  les  Rois)  \  alors  que  le  modèle 
copié  dans  ce  Jugement  général  ne  fournissait  pas  cette  indica- 
tion, et  que  tons  ces  personnages  ont  dû  être  ajoutés  après  coup. 
(Icttc  addition  nous  donne  à  penser  que  le  compilateur  se  rappe- 
lait bien  la  scène  de  l'Aveugle  dans  la  Passion Didot,  et  qu'il  avait 
pu  en  imiter  au  moins  la  première  partie,  tandis  que  nous  sommes 
certains  qu'il  a  remanié  complètement  l'épisode  de  la  Femme  adul- 
tère, tel  qu'il  est  traite-  dans  cette  menu1  Passion  (fol.  a5  r  ).  et  qu'il 
lui  avait  donne  un  développement  très  différent. 

lui  effet,  dans  l'épisode  rouergat.  à  côté  de  la  femme  adultère. 
on  voyait  figurer  son  «  companbo  »  ou  son  complice,  et  nous 
savons  que  les  sermonnaires  du  xve  siècle  avaient  imaginé  cette 
ingénieuse  addition,  avec  beaucoup  d'autres  dont  se  moque  Henri 
Estienne  3. 

Voici  enfin  intacts  des  épisodes  plus  longs  où  la  critique  a  plus 
de  prise,  la  Résurrection  de  Lazare  et  le  Repas  <■/>(■:■  Simon.  Dans 
une  première  rédaction  très  courte  qui  nous  est  parvenue,  le  com- 
pilateur rouergat  s'était  borné  à  imiter  l'épisode  correspondant  de 
la  Passion  Didot .  aujourd'hui  tronqué  dans  le  manuscrit  '  :  puis  il 
s'est  ravisé,  il  a  voulu  faire  œuvre  personnelle,  et  il  a  développé 
assez  longuement  la   maladie,  la  mort,  l'enterrement  et  la  résur- 


i.  Voici  cette  liste  qui  peut  d'ailleurs  être  incomplète:  Ensec  se  la  estoria  dels 
Miracles:  1<>  boytos,  lo  paralatic.  lo  orb.  -  Le  paralytique  étail  peut-être  celui  qui 
figure  dans  la  Passion  selon  (iiniinlii-l  (voir  plus  loin,  la  Résurrection  du  Lazare,  i>.  3gi 
de  ce  livre,  note  a),  mais  cria  n'esl  pas  certain, 

a,  Le  jugement  gênerai,  p,  aai,  \  61^8-6200. —  Cf.  la  unira  la  fin  de  la  table  des  cha- 
pitres du  l'rnr,  .s  (/,•  Belial  reproduite  plus  loin  dans  ce  li\  re  p.  |a6, 

'i.  Apologie  p.  Hérodote,  éd.  Ristelhuber,  1.  II.  chap,  \\\  \ ,  p.  aa5  :  "  Mais  s.  Jean  leur 
a  bien  taillé  de  la  besongne  quand  il  ne  leur  a  point  voulu  dire  qu'escrivil  nostre 
Seigneur  alors  qu'on  luy  eul  amené  la  femme  qui  avoil  esté  surprise  en  adultère. 
Or  de  plusieurs  opinions  touchant  cela,   Menol   en  amène  quelques-unes  au  Cueille! 

i"s,  col.  i   !sl  ilii  aussi  que  l'homme  -im-,-  lequel  elle  avoit  esté  surprise  se  cachoil 

derrière   les  autres  p.   Le   passage  allégué  9e   trouve    en  effet    dans   Menot, 
Qùadrag.,  Paris,  Chevallon,  tSatf,  goth.  in-8":  Sabbato  posl  III     Dominica,  xl  fol    i38 

v°  col.  a.  «  Sicul  dicit    Chrysosl s,  adulter  enim   cum   quo  inventa  fucral   rétro 

alios  3e  cachoit,  quando  Domino  praesentaverunl  eam.  » 

i.  Signalé  par  A    Jeanroy,  Introduction,  p.  \\,  n    Sel  p. 


390  LES  MYSTÈRES  ROUERGATS 

rection  de  Lazare  qui  ne  manque  pas  de  raconter  ce  qu'il  a  vu  dans 
l'autre  monde.  Cette  seconde  rédaction  a  paru  des  plus  impor- 
tantes en  raison  des  ressemblances  qu'elle  présente  avec  l'épisode 
correspondant  de  la  Passion  d'Arras.  Partant  de  là,  on  supplée  la 
lacune  du  manuscrit  Didot  à  l'aide  delà  Passion  d'Arras, puis  l'on 
conclut  à  l'existence  d'une  Passion  française  du  Nord  qui  aurait 
été  imitée  successivement  par  les  auteurs  de  la  Passion  Didot  et 
delà  Passion  d'Arras,  auxquels  les  mystères  rouergats  serviraient 
de  trait  d'union  !.  Il  est  vrai  qu'à  un  autre  critique  le  même  épi- 
sode rouergat  rappelle  de  plus  près  encore  la  scène  correspon- 
dante de  la  Passion  allemande  de  Donaueschingen,  et  là  encore 
les  analogies  ont  paru  significatives2.  Il  n'y  a,  ce  semble,  qu'à  rap- 
procher l'une  de  l'autre  ces  deux  hypothèses  pour  qu'elles  se 
détruisent  l'une  par  l'autre. 

Relisons  en  effet  tous  les  textes  allégués,  la  Résurrection  de 
Lazare  tronquée  de  la  Passion  Didot,  la  Passion  d'Arras  et  celle 
de  Donaueschingen  3  et  le  mystère  rouergat  ;  comparons  un  à 
un  dans  toutes  ces  versions  similaires  les  noms  des  interlocuteurs, 
l'ordre  et  les  détails  de  l'exposition,  le  style,  nous  n'aurons  pas  de 
peine  à  voir  que  cet  ordre  et  ces  interlocuteurs  diffèrent  sensible- 
ment et  que  les  coïncidences  (envoi  d'un  messager  par  Marthe  et 
Marie  à  Jésus,  consolations  de  circonstance  prodiguées  aux  sœurs 
de  Lazare  par  les  amis  de  la  famille,  ou  les  Juifs  qui  accompagnent 
ensuite  Marie-Madeleine  toute  en  pleurs  au  tombeau  de  son  frère, 
remerciments  de  Lazare  ressuscité  à  son  Sauveur),  que  ces  coïnci- 
dences sont  ou  bien  de  celles  que  suggère  naturellement  la  lecture 
de  l'Evangile  aux  écrivains  les  plus  divers,  ou  bien  purement  for- 
tuites. La  meilleure  preuve  en  est  que  la  plupart  de  ces  développe- 
ments sont  déjà  dans  les  drames  scolastiques  de  Lazare  i  et  dans 


i.  Stengel.  Zeitschrift fàr  franzôs.  Sprache,  etc.,  iS;)5,  table  de  concordance  citée 
plus  haut. 

2.  Wilmotte.  Les  Passions  allemandes  des  bords  du  Rhin,  p.  91  et  ;suiv,,  déjà  citée 
p.  294  de  ce  livre,  note  2. 

3.  Mone,  Schauspiele  des  Mittelalters,  t.  II,  p.  i54  et  suiv. 

4.  Reproduits  dans  Ed.  du  Méril,  Origines  latines  du  théâtre  inoderne,  1849,  p.  2i3 
et  suiv.  :  Mystère  anonyme  d'Orléans  et  drame  d'Hilarius  ;  voir  notamment,  p.  aa3, 
l'épisode  des  Juifs  suivant  Marie-Madeleine  au  tombeau. 

Que  si  dans  la  Passion  de  Donaueschingen,  comme  dans  le  mystère  rouergat,  ces 


LES    MYSTÈBES    ROUERii.VTS  391 

la  Passion  française  de  Seraur  qui  n'ont  pas  le  moindre  rapport. 

Mais,  dira-t-on,  comment  expliquer  dans  la  Passion  d'Arras  et 
dans  Le  mystère  rouergat  du  Lazare  les  concordances  mi  les  iden- 
tités  d'expressions?  Sur  quoi  portent-elles  en  réalité?  Toujours 
sur  des  versets  traduits  à  peu  près  littéralement  de  l'Evangile  de 
saint  Jean.  Tantôt  les  deux  traductions  (française  et  rouergate) 
du  même  verset  latin  se  valent:  tantôt  même  le  compilateur  rouer- 
gat serre  de  plus  près  le  texte  latin  que  son  devancier.  Donc  ce 
compilateur  n'a  dû  avoir  affaire  qu'à  l'Evangile  de  saint  Jean,  à  la 
Passion  Didot  et,  nous  y  venons,  à  YEvangile  de  Nicodème  qu'il 
connaissait  surabondamment  puisqu'il  avait  à  sa  disposition  très 
probablement  le  texte  latin  de  cet  Rvangile,  certainement  la  tra- 
duction en  vers  provençaux  et  par  surcroît  et  surtout  la  Passion 
selon  Gamaliel. 

Qu'on  jette  les  yeux  en  effet  sur  le  récit  de  la  résurrection  de 
Lazare  fait  dans  cette  Passion  selon  Gamaliel  par  les  «  douze  pru- 
d'hommes de  Béthanie  devant  le  tribunal  de  Pilate  *.  Avec  ce 
récit-  et  les  textes  précités  l'imagination  la  plus  faible,  la  plus 
vulgaire  retrouvera  sans  peine  tous  les  détails  du  mystère  rouer- 
rôles  de  Juifs  sont  remplis  par  Centurion,  Nicodemus  et  Joseph  d'Arimathie,  c'esl 
simplement,  dans  les  deux  cas,  pour  ne  pas  multiplier  les  acteurs,  rien  de  plus. 

i.  Il  suffira  de  citer  un  s. -ni  de  ces  passages  qui  oni  paru  à  M.  Stengel,  fast  vortiich 
identisch  »  dans  la  Passion  d'Arras  H  le  mystère  rouergat,  <'t  de  le  comparer  avec  le 
verset  »  1» •  l'Ev.  de  St  Jean  XI  i>.  Maria  dicit  ei  :  «  Domine,  >i  fuissses  hic,  aon  essel 
i ■  i •  > i-i  h  h-  Ira  ter  meus  ». 


M  ]  -.     rouergat  de  Lazare,  p.  39. 

llr  se  \  os  fosetz  aj  sj  estât, 

El  ii"  fora  pas  trespassat     \.  2103  8. 


Passion  d'Arras,  p.   n>s 
Sire,  se  t'eusses  cj  esté, 
Mon  frère  ne  fusl  trespassé   v.  9201-a 
Toul  le  contexte  diffère  el  la  coïncidence  des  rimes  n'est  qu'un  accident  isole. 
2.  On  l'a  transcrit  en  entier  dans  les  Extrait-  de  la  Vie  Jesa  Crist,  p.  349. 
Il  est  facile-  de  voir  que  l'auteur  de  la  Passion  selon  Gamaliel  a  simplement  déve- 
loppé V Evangile  <h-  Nicodème  '•//  vers  provençaux,  p.  ao,  \    680,  à  l'aide  <!<•  V Evangile  de 
st  Jean.  XI.  Si  au  lieu  de  l'expression  vague  de  l'Evangile  provençal  (alcus  dizia,  qui 
correspond  au  latin  :  alii  autem  dixerunt)  il  a  mis  le  chiffre  de  douze,  c'est  simplement 
parce  qu'il  a  vu  ce.  chiffre  \11  nu  pin   plus  loin,  vers  686  :  a  los  AT/guirens  sonatz.  n 
D'autres  chiffres  vont  confirmer  cette  assertion  dans  la  même  scène.  Le  paralytique 
qui  parle  !<•   premier  était,  d'après  V Evangile  de  Nicodème  latin,  couché  depuis  35  ans 
l  cap.  VI,  p    354). 


Cf   V Evangile  provençal,  p.  is,  v.  6a3 
\  17//  mis 
Malautes  d'una  efermetal /. 
Nom  po  lia  de  liegz  3  ssir,  «  - 1«- 


et  la  Passion  selon  Gamaliel  ou  la   Vie  </<• 
lésa  Crist  de  1  i^-V  p    1111     viip. 

«    Sire    Pilate,  dix-huit  an 
malade  sans  mouvoir  <!<■  mon  lit  n<  lever 
etc.  • 


392  LES  MYSTÈRES  ROUERGATS 

gat,  même  les  plus  singuliers,  le  grand  cri  poussé  par  Jésus  qui 
arrache  à  l'Enfer  sa  proie  ',  la  prière  de  Lazare  suppliant  son  Sau- 
veur de  ne  «  plus  le  laisser  retourner  dans  l'autre  monde  2  »,  mais 
d'y  aller  lui-même  en  personne,  comme  nous  le  savons  par  la 
lettre  de  Garioth  et  d'Elion,  et  de  délivrer  les  âmes  des  Pères  qui 
l'attendent,  avec  «  saint  Jean-Baptiste  et  les  Innocens  »  que  la 
Passion  selon  Gamaliel  rappelle  et  réunit  dans  un  autre  épisode3. 
Que  maintenant  ce  Lazare,  au  sortir  de  l'Enfer,  ait  l'idée  de  racon- 
ter ce  qu'il  a  vu  aux  assistants,  et  de  conclure  la  pièce  par  une 
sorte  de  sermon  sur  ce  thème,  c'est  encore  là  un  développement 
banal,  un  lieu  commun  du  théâtre,  mais  aussi  delà  chaire,  comme 
nous  l'avons  vu  ailleurs4.  Les  éléments  de  cette  description  d'Enfer 
traînent  partout,  notamment  dans  le  Miroir  moral  de  Vincent  de 
Beauvais,  lequel  était  connu,  nous  le  verrons,  par  le  compilateur 
rouergat  et  ses  amis".  A-t-on  noté  d'ailleurs  que  ni  cette  descrip- 
tion des  peines  d'Enfer,  ni  les  détails  immédiatement  précédents 
ne  figurent  ni  dans  la  Passion  d'Arras,  ni  dans  celle  de  Donaues- 
chingen  ?  Donc  ces  pièces  n'ont  rien  à  voir  avec  le  mystère  rouer- 
gat, tandis  que  les  sources  que  l'on  a  indiquées  sont  nécessaires  et 
suffisantes. 

Que  le  mystère  suivant,  le  Repas  chez  Simon,  soit  emprunté  en 
partie  à  la  Passion  Didot  comme  l'a  signalé  M.  Jeanroy,  le  fait  est 
certain.  En  est-il  de  même  des  additions  proposées  par  la  critique? 

Dans  la  Passion  Didot,  modèle  du  mystère  rouergat,  et  dans  la 
Passion  d'Arras,  le  repas  chez  Simon  le  Pharisien  est  identifié 
avec  le  repas  chez  Simon  le  Lépreux  à  Béthanie,  ou,  si  l'on  pré- 
fère, il  y  a  «  contamination  »  des  Evangiles  de  saint  Luc  (VII,  3y), 
de  saint  Matthieu  (XXVI,  j),  et  de  saint  Jean  (XII,  i-io).  Dans  les 
deux  pièces,  lorsque  la  Madeleine  a  répandu  sur  les  pieds  de  Jésus 


i.  Lazare  rouergat,  p.  85,  v.  23oo  et  23i8.  —  L'auteur  de  la  Passion  de  Semur, 
v.  52i5,  p.  10G,  en  s'inspirant  de  l'Evangile  de  Nicodèmc  latin,  a  eu  la  même  idée. 

2.  Lazare,  p.  85,  v.  2323.  —  Cf.  la  fin  du  récit  de  la    Passion  selon  Gamaliel. 

3.  Lazare  rouergat,  p.  86,  v.  2325  et  suiv.  —  Cf.  Passion  selon  Gamaliel  et  Vie  de 
Jésu  Crist  de  i485,  p.  c  verso  =  ioS.  «  Comment  Pilate  envoya  Jesucrist  à  Hérodes  »  et 
le  chap.  suivant,  p.  106. 

4-  Chapitre  des  Mystères  Sainte-Geneviève ,  et  p.  307  de  ce  livre. 

5.  Voir  dans  le  Jugement  général  rouergat,  p.  282,  note  de  vers  8024.  la  légende  de 
l'usurier  et  de  son  lils  qui  est  prise  dans  ce  Miroir  moral,  comme  on  le  constatera 
plus  loin. 


I  ES    MYSTÈRES    ROUERGATS  393 

un  parfum  précieux,  que  l'on  aurait  pu  vendre  trois  cents  deniers, 
Simon  s'indigne  de  l'audace  de  la  pécheresse,  et  Jésus  raconte  la 
parabole  îles  deux  débiteurs  :  Judas,  l'économe  de  Jésus,  s'indigne 
surtout  de  cette  profusion,  où  il  perd  ce  qu'il  n'a  pas  gagné,  c'est- 
à-dire  la  dîme  de  trente  deniers  qui  lui  serait  revenue  sur  la  vente. 
A  ce  propos  il  rappelle  son  histoire  légendaire  et  celle  de  sa 
famille,  et  il  court  s'indemniser  de  sa  perte  en  allant  vendre  son 
son  Maître  à  la  synagogue.  De  ces  rapprochements  l'on  conclut 
encore  une  fois  à  l'emploi  d'un  modèle  commun  ou  d'une  même 
Passion  du  Nord  qui  aurait  inspiré  la  Passion  Didot  d'abord,  et 
plus  tard,  la  Passion  d'Arras  l.  En  réalité,  qui  le  prouve'.' 

L'identification  des  scènes  racontées  par  les  Evangélistes  a  été 
proposée  couramment  par  les  théologiens  d'autrefois,  au  moins 
jusqu'au  xvr  siècle  et  plus  tard5.  Afortioii  a-t-elle  pu  tenter  les 
dramaturges  du  moyen-âge  toujours  disposés  à  réunir  des  scènes 
analogues.  Elle  les  a  tentés,  en  effet,  puisqu'on  trouve  des  confu- 
sions du  même  genre  dans  la  Passion  comique*,  dans  la  Passion 
Sainte-Geneviève ,  dans  la  Passion  de  Seinur  ;  et  probablement 
ailleurs. 

Le  petit  calcul  de  Judas  sur  les  trente  deniers  ou  sur  le  juste 
prix  auquel  il  vendra  son  maître  Jésus  pour  retrouver  son  compte, 
ce  calcul  reparaît  dans  la  Légende  dorée,  dans  les  Postilles  de 
Nicolas  de  Lire  .  dans  la  Vita  Christi  de  Lupold  le  Chartreux, 
dans   vingt   drames    analogues,   partout;    donc,  en    l'espèce,    il  ne 


i.  Stengel,  /    c,  p.  210,  note  t. 

2.  Ou  m-  citera  qu'an  seul  texte  donnant  à  la  fois  L'exemple  et    la  réfutation,  cl  on 
le  prendra  chez  un  auteur  relativement  moderne,  .Iran  Glerée,  qui  prêcha  le  Carême 
a  Saiiii  Eustache  de  Paris,  en  ifa$—  Sermones.  Qaadragesimales,  Paris.  Fr.Regnault, 
i524,  in-8°  (B.  Nat.  réserve  1».  lâ.jjp.  Sabbato  in  Passione  :   Loci  passionis  appropin 
quatis  :  in  Bethania  ejus  benigna  receptio,  Joann    \ll 

Hystoria  hujus  evangelii  videlicel  quando  luerit  facta  sunt  diversae  opiniones  quia 
quidam  dicunl  eam  esse  eamdem  cum  illa  quae  habetur  Luc.  7.  in  qua  habetur  de 
Magdalena  quae  effundil  unguentum  in  domo  Simonis  teprosi, 

Alii  autcin.  ut  magister  Hugo  cardinalis  volunt  quia  ista  hystoria  facta  sit  in  hac 
die  vel  heri,  sero,  ne-  est  eadem  cum  predicta,  immo  sunl  différentes,  ul  palet  per 
M'ilia  in  eis  posita.  lît  haec  opinio  verior  mihi  videlur,  et  est  eadem  historia  quae 
habetur  Matthaeo.  26,  ut  dicil  idem  Hug 

'ici  \.  The  ancient  cornish  Drama.  éd.  Norris,  t.  1.  p    25g  ;  Passion  de  Seinur,  v.  5ooo, 

p.    lui   et    |>.   268,    note    1    île  ce    li\  re  . 

à.  I'.  2i9,  note  ■>'  de  ce  livre. 


)59i  LES    MYSTÈRES    ROUERGATS 

prouve  absolument  rien.  Ce  qui  prouverait  quelque  chose  c'est 
L'histoire  ou  la  légende  de  Judas  et,  par  malheur,  cette  légende  dif- 
fère très  sensiblement  par  les  détails,  dans  la  Passion  Didot  et 
dans  celle  d'Arras.  Si  le  Judas  de  la  Passion  Didot  a  été,  comme 
il  nous  le  raconte,  «  marqué  d'un  fer  chaud  '  »  par  sa  mère,  dans 
son  enfance,  c'était  apparemment  pour  qu'on  pût  le  reconnaître  à 
ce  signe  particulier  et  éviter  les  confusions  dans  le  genre  de  celles 
qu'on  nous  propose.  Avec  ces  nouveaux  rapprochements  on  n'a 
donc  rien  expliqué  de  nouveau  et,  en  particulier,  on  n'a  pas  ex- 
pliqué pourquoi  le  dénoùment  du  banquet  chez  Simon  varie  dans 
les  pièces  précitées,  Passion  d'Arras.  Passion  Didot,  et  dans  le 
mystère  rouergat. 

C'est  ici  que  nous  allons  profiter  de  la  longue  analyse  qui  a  été 
faite  précédemment  de  la  Passion  selon  Gamaliel,  inspirée  par 
YEvangile  de  Nicodème  en  vers  provençaux.  Cette  Passion  selon 
Gamaliel  va  nous  permettre  de  constater  une  série  d'emprunts 
aussi  manifestes  que  prolongés,  lesquels  achèveront  de  nous  ren- 
seigner tout  à  la  fois  sur  sa  propre  structure  et  sur  celle  de  la  com- 
pilation rouergate.  Si,  en  effet,  comme  nous  l'avons  annoncé,  la 
Passion  selon  Gamaliel  a  été  composée  exactement  de  la  même 
manière  que  cette  compilation,  si  les  procédés  de  fabrication  et 
d'amplification  du  romancier  et  du  dramaturge  sont  les  mômes, 
ils  gagneront  évidemment  à  être  rapprochés  et  se  prêteront  une 
mutuelle  lumière.  Et  c'est  uniquement  pour  cette  raison  que  nous 
avons  préféré  réunir  et  grouper  des  explications  détaillées  dont 
une  partie  seulement  aurait  déjà  pu  trouver  sa  place  ailleurs. 

ha  première  scène  que  le  romancier  français  avait  trouvée  bonne 
à  prendre  dans  YEvangile  de  Nicodème  provençal,  c'était  l'entrée 
de  Jésus  à  Jérusalem  décrite  par  le  courrier  de  Pilate  ~.  Il  s'est 

i.  Passion  Didot  (B.  Nat.  n.  a.  i'r.  4,232,  fol.  3o  et  suiv.  C'est  avant  de  l'exposer  sur 
les  Ilots  pour  le  soustraire  au  massacre  des  Innocents,  que  la  mère  de  Judas  lui  t'ait 
cette  marque,  à  laquelle  elle  le  reconnaît  plus  tard. 

2.   AV.  de  Xiciid.  en  vers  provençaux,  p.  6,  v.  190-206. 

Tota  la  g-en  de  la  ciutatz, 

e  li  menor  e  li  annatz, 

li  fazian  motz  gran  honor,  etc. 
Ces    expressions    sont    encore    reconnaissables  dans   le   récit   de  la  Passion  selon 
Gamaliel  et  de  la  Vie  de  lesu  Crist,  reproduit  in  extenso  dans  les  Extraits,  p.   348  de 


LES   MYSTÈRES   ROUERGATS  '.','■)'> 

contenté  de  paraphraser  ce  texte  à  l'aide  des  Evangiles  canoniques 
qui  ajoutent  les  préliminaires,  c'est-à-dire  la  mission  des  apôtres 
chargés  d'amener  l'ànesse  et  son  poulain.  Mais  les  évangélistes 
qui  font  mention  de  la  scène  n'en  nomment  point  les  acteurs.  Les 
théologiens  se  sont  chargés  de  ce  soin  et,  pour  îles  raisons  déter- 
minées, ils  ont  proposé  divers  noms.  Pierre  et  Philippe,  ou  Pierre 
et  Jean,  ou  d'autres1.  Notre  romancier  n'avait  qu'à  choisir,  il  choi- 
sit Pierre  et  Philippe,  et  voilà  les  deux  premiers  épisodes  de  son 
ouvrage  faits.  Toute  la  suite  a  été  arrangée  de  la  même  façon. 
Avec  le  jugement  unique  de  Pilate  il  a  l'ait  deux  longs  jugements 
différents,  séparés  par  de  longues  additions  telles  (pie  le  voyage 
de  Jésus  à  Béthanie  et  la  Cène.  Tantôt  il  ne  prend  pas  la  peine  de 
nommer  des  personnages  qui  n'ont  pas  de  nom  dans  le  texte  pro- 
vençal (et  qui  en  ont  un  dans  le  texte  latin),  ainsi  pour  la  femme 
de  Pilate:2  tantôt,  suivant  un  autre  procédé  déjà  vu.  il  donne  un 
nom  (Roma)  au  sergent  anonyme  de  ce  même  Pilate.  et  il  complète 
La  liste  des  conseillers  de  la  Synagogue1.  Ici,  il  a  amplifié,  avec- 
ce  livre  :  «Tout  le  peuple  grant  et  menu  et  les  enfants  issirenl  hors  delà  cité  pour 
faire  honneur  à  Jesucrist,  etc.  » 

i.  D'un  apocryphe  de  SI  Chrysostôme  (nom.  ">-  Op.  imper/.)  ces  noms  onl  passe 
dans  le  Comm.  de  Bède,  dans  la  Glose  ordinaire  (in  Math.,  XXI,  1.  p. 254),  dans  VHist. 
scolast.  (Patr.  Migne,  t.  198,  p.  iâuu,  eli.  117:  lli  autem  duo  mis>i  fuisse  creduntur 
Petrus  et  Philippus,  ad  signiiicandum,  quia  ipsi  primum  adduxerunt  gentes  ad 
Jesum,  Petrus  Gornelium  et  domum  ejus,  Philippus  Samariam  ».  —  Item,  Vitae 
Christi,  de  I.upold.  P.  11.  cap.  xxvi.    -  Connue  on  lit  dans  Math.  IV,  iS  :  «  Simonem 

qui  vocatur  Petrus  ».  on  a  conf lu  facilement  Si  Pierre  el  si  Simon,  si  bien  que  les 

deux  disciples  chargés  de  cette   mission  dans  la   Passion  d'Arras,  p.  iu'5.  v.  io,5 
—«•lit  s.  Simon  el  S.  Philippe, 

Ailleurs,  c'est  Pierre  et  S.  .Jean.  CI'.  Cornélius  a  Lapide,  in  Matth.,  XXI  :  «  Verisi- 
similius  Jansenius  opinatur  hos  duo-,  fuisse  Petrum  et  Joannera  quia  paulo  post  hos 
praemi-.il  Christus  ad  parandum  agnum   Paschalem  (Lac,   XXII,  8);  ni]  tamen   certi 

hic  deliniri  potest 

Inutile  de  continuer.  Ces  textes  suffisent  pour  écarter  le  raisonnement  de  M.  Wil- 
inotte  qui  n'est  pas  plus  juste  ici  pour  les  apôtres  que  précédemment  pour  les  pro- 
phètes :  Les  Passions  allemandes,  p.  i;.  noie  1.  «  Maestricht  a  Pierre  et  .Jean:  Alsfcld 
ci  Heidelberg  onl  Pierre  el  Philippe,  legs  du  livret  de  Francfort  conservé  dans  le 
texte  de  1  ïu'S  1 17,17  -q  1,  An  contraire,  Donaueschingen a  Pierre  et  Jean  qu'on  retrouve 
dan-  les  Passions  françaises  (Greban  el  fragment  d'Amboise,  Romania,  XIX.  264,  et 
qui  était  \  raisemblablemenl  dans  l'original  commun  de  tons  ces  textes  ». 

•1.  Evangile  <!<■  Nicodème  en  vers  provençaux,  a  s,  \  .  aôg  :  Mandai  sa  molher.  — 
Passion  selon  Gamaliel  et    1  ie  de  lesucrist  de  1  J85,  item,  p.  lxxvi  p» 

'5.  Ev  de  Nicod  en  v.  [>rm-  .  p.  ;,  v.  (oi-ioa.  Passion  selon  Gamaliel  et  Vie  ((•■  lesu 
Crisi  d<-  1  js.-,,  p.  1  w  1  m  v»  et  p.  33o  de  ce  livre  :  Abderon,  Neptalin,  etc. 


396  LES  MYSTÈRES  ROUERGATS 

de  nouvelles  légendes  le  rôle  des  personnages  secondaires,  tels 
que  l'Hémorroïsse *  identifiée  avec  la  Véronique;  là,  il  a  créé  des 
rôles  entiers  pour  des  personnages  simplement  mentionnés  comme 
le  roi  Hérode 2  ;  il  a  même  introduit  force  personnages  nouveaux 
tels  que  Malcus,  le  gagnant  de  la  «  gonelle  »  ou  tunique  sans  cou- 
ture. En  un  mot.  c'est  un  développement,  une  amplification  pro- 
longée de  l'original,  telle  pourtant  qu'en  comparant  de  près  les 
textes  on  retrouve  toujours  les  traits  primitifs  de  Y  Evangile  de 
Nicodème  en  vers  provençaux,  et  non  ceux  de  Y  Evangile  de  Nico- 
dème  latin.  Les  expressions  mêmes  et  les  détails  abondent  que  ce 
texte  latin  serait  incapable  d'expliquer,  et  qui  ne  peuvent  pourtant 
«  se  réduire  à  néant,  comme  la  fumée  devant  le  vent  »,  pour  em- 
ployer une  de  ces  expressions  du  texte  provençal 3  et  du  dévelop- 
pement français,  qui  ne  figurent  pas  dans  le  latin. 

La  méthode  du  dramaturge  rouergat  est  sensiblement  la  même. 
Lui  aussi  il  copie,  il  paraphrase,  il  développe,  il  intervertit,  il 
ajoute  des  noms  nouveaux  et  même  des  rôles  nouveaux,  mais  dans 
la  copie  ou  dans  le  développement  on  reconnaîtra  toujours  ou 
presque  toujours  la  Passion  selon  Gamaliel. 

Elle  ne  sera  pas  difficile  à  reconnaître  en  tout  cas  cette  Passion 
dès  la  fin  du  Repas  chez  Simon,  où  Jésus  envoie  les  apôtres  Pierre 
et  Philippe  à  Jérusalem.  La  traduction  du  roman  est  littérale  dans 
le  mystère  rouergat4.  Si  chemin  faisant,  les  apôtres  se  disputent 
avec  «  le  Rustique  »  ou  le  paysan  qui  refuse  de  livrer  sa  bête,  c'est 
un  incident,  une  «  ânerie  »  facile  à  ajouter  ou  simplement  à  repro- 
duire, puisque  nous  l'avons  déjà  rencontrée  dans  les  mystères 
français  à  Semur  et  à  Amboise  '.  L' Entrée  à  Jérusalem  a  dû  être 


i.  Ev.  de  Nicod    en  p.  proé.,  p.  20,  v.  665. 
2.  AV.  de  Nicod.  en  v.  prov.,  p.  23,  v.  7-8. 

Es  doues  so  cell,  per  quels  efans 
Auci  Hero  eni  Besleem  ? 

'!.   /.V  de  Nicod    en  P.  prov.,  p.  17,  v.  5yi. 
si  so  que  fa  non  es  de  dieu, 
totz  tornara  en  dreg  nien 
co  l'ay  lo  tiim  davan  lo  ven. 


Passion  selon  Gamaliel  et  Vie  de  Iesucrisi 
de  1 485 .  p.  C.  \". 

«  Et  Jésus  est-il  celui  pour  qui  Hcrodes 
tist  tuer  les  enfans  »? 

Passion  selon  Gamaliel  et  Vie  de  lesacrisi 

de  i485j  p.  lxxi  r°. 

«  Et  s'il  est  de  mal,  tout  s'en  ira  comme 

la  fumée  devant  le  vent  ». 


4.  Dans  Le  Repas  chez  Simon,  voir  surtout  la  p.  99  et  la  note  du  vers  2668,  et  com- 
parer les  deux  premiers  chapitres  de  la  Passion  selon  Gamaliel  reproduits  dans  les 
Extraits  de  la  Vie  de  Jésus  Crist  (i4S5). 

5.  P.  112  et  p.  3i{  de  ce  livre. 


LES    MYSTÈRES    ROUERG  \  1  - 

développée  ou  amplifiée  avec  les  mêmes  procédés,  nous  pouvons 
en  être  certains,  malgré  la  perte  du  manuscrit  qui  la  renfermait. 
Ed  effet,  la  Passion  selon  Gamaliel  nous  avertit  qu'à  son  arrivée 
à  Jérusalem  Jésus  prononce  un  sermon  sur  la  l<>i  ...  et  la  phrase 
se  retrouve  textuellement  dans  l'épilogue  du  mystère  rouergat  qui 
précédait  Y  Entrée  à  Jérusalem  perdue,  c'est-à-dire  toujours  à  la 
lin  du  Repas  chez  Simon.  Le  dramaturge  rouergat  avait  donc  sim- 
plement développé  ce  sermon  dans  son  manuscrit,  et  la  perte  de 
relie  homélie  n'est  certes  pas  regrettable, au  contraire.  Plus  regret- 
table serait  la  disparition  de  «  la  partie  la  plus  importante  de  la 
compilation  ».  c'e-t-à-dire  de  la  Cène  et  de  la  Passion  proprement 
dite,  si  la  Passion  selon  Gamaliel  ne  venait  encore  nue  lois  à 
notre  aide. 

La  Cène  et  la  Passion  rouergates  sont  entièrement  perdues,  mais 
n'avons-nous  pas  conservé  la  liste  des  personnages1,  et  tous  ces 
personnages  ne  les  avons-nous  pas  vus  à  l'œuvre  dans  la  Passion 
selon  Gamaliel,  ne  connaissons-nous  pas  toutes  leurs  attribu- 
tions? Dès  lors  nous  nous  expliquons  facilement  toutes  les  parti- 
cularités de  celte  liste  singulière,  et  nom-  n'avons  pas  grand 
mérite  à  deviner  quel  était  le  rôle  des  étendards,  de  Pilate  et  de 
sa  femme,  du  sénéchal  et  du  roi  Hérode,  très  différent  de  son 
homonyme  dans  la  Passion  Didot,  lequel  n'avait  lui-même  rien  de 
commun,  quoiqu'on  ait  dit,  avec  le  roi  Hérode  de  la  Passion  d'Ar- 
ras.  Tons  ces  rôles  non-  sont  connus  en  détail  ainsi  que  ceux  de 
Gamaliel  et  de  ses  amis,  de  Longis,  de  Centurion,  de  la  Véronique, 

i.  Liste  publiée  par  M.  A.  Thomas,  Annales  du  Midi,  in«»>.  p.  3n» (  Ensec  se  la 
Passio  :  Jésus,  Nostra  Dama,  Judas.  Saut  Peyre,  et  t"t/  los  apostols,  la  Martha,  la 
Magdalena,  lo  Lazer,  las  Marias,  la  Veronica  Anna-.  Caiphas,  Pilât,  sa  molher,  son 
seqretari,  lonotari,  Melea,  Roman,  Abderon,  Oliffart,  PiquauseJ,  Talhafer,  Barissaut, 
Malcus,   Botadiea,   Corbet,   la  tr<>  m  peta;  -"n  estendarl  :   Berodes  rey,  son  lilh.   >im 

senesqualc,   la   trompeta,   s< stendart.  Centurio   he  -'>n   estendart,    sa   trompeta, 

Galiot,  Perseval,  Gamaliel,  Nicodemus,  Joseph  Abarimathia  ». 

2.  Passion  1  > i * I •  » t  (fragment  imprimé  dan-  la  R,  des  I.  romanes,  1888,  p.  543.  — 
Passion  d'Arras,  |>.  i6o,  v.  [3,^o5-i3,78o,  cités  par  M    Stengel,  l.  c. 

Les  deux  textes  n'ont  guère  de  commun  qu'une  expression  banale.  Au  début,  dans 
la  /'.  Didot,  Hérode  constate  que  Pilate  lui  «  a  fâcha  gran  honor  ■•  en  lui  envoyant 
Jésus  a  juger,  el  il  dit  dans  la  /'  d'Arras,  |».  i6o,  v.  iS.jio  ■  Pilate]  m'a  porté  hon- 
neur». -  Cette  banalité  se  retrouve  partout  même  dans  les  Passions  ail  en 
Ilist.  scolasi  .  P.  Migne',  i  198,  p.  1826:  Pilatus  volens  deferri  <i  honorent  ».  —  II-  l>i<' 
Francfurter  Dirigierrolle  (i35o)  éd.  Froning,  1  II,  p.  Sà;i  :  «  Uerodes  vidons  honorem 
a  Pj  lato  Bibi  impensum  ». 


398  LES   MYSTÈRES   ROUERGATS 

de  Malcus,  d'Abderon  et  de  bien  d'autres.  Si  le  moindre  doute 
pouvait  subsister,  il  serait  levé  par  la  présence  dans  cette  liste  du 
sergent  de  Pilate.  Roma  ou  Roman,  qui  reparaîtra  dans  une  autre 
pièce  de  la  collection  rouergate1. 

Comme  nous  connaissons  les  noms,  nous  connaissons  aussi  les 
modifications  ou  suppressions  que  le  compilateur  rouergat  a  fait 
subir  à  son  texte.  Des  deux  Jugements  de  la  Passion  de  Gamaliel, 
il  n'a  gardé  que  le  second  avec  la  Cène.  Dans  ce  Jugement  con- 
servé, le  roi  Hérode  a  perdu  sa  femme  pour  retrouver  «  un  filh  ». 
Les  «  douze  prud'hommes  de  Béthanie  »  avaient  disparu,  mais 
Lazare  devait  venir  en  personne  raconter  à  Pilate  sa  résurrection 
et  témoigner  en  faveur  de  son  Sauveur.  Les  cavaliers  ou  les  gen- 
darmes de  Centurion  avaient  reçu  des  noms  de  romans  français, 
Galiot,  Perseval,  Talhafer.  Enfin  le  compilateur  rouergat  avait 
ajouté  de  toutes  pièces  le  rôle  de  Botadieu  ou  du  Juif  errant  dont 
la  mention  a  paru  à  bon  droit  si  curieuse,  et  qui  ne  figure  ni  dans 
les  manuscrits  de  la  Passion  selon  Gamaliel,  ni  dans  l'imprimé  ou 
la  seconde  partie  de  la  Vie  de  Jesu  Crist  de  i485.  La  légende  de 
Botadieu  si  populaire  en  Espagne  et  en  Italie  ne  s'est-elle  donc  ré- 
pandue en  France  qu'après  la  fameuse  complainte  ?  Il  est  certain 
que  non,  et  il  est  extrêmement  probable  que  longtemps  avant  il 
s'était  trouvé  des  Français  pour  l'exploiter,  de  même,  nous  l'avons 
vu,  qu'on  exploitait  la  légende  de  Malcus  le  maudit  \  Dans  les 
comptes  municipaux  de  la  ville  de  Màcon  3,  on  lit  en  i5i4  la  men- 
tion suivante  qui  semble  avoir  passé  inaperçue  et  qui  est  en  tout 
cas  bien  singulière  : 

t  Donné  vingt  sols  en  aumône  à  «  l'homme  qui,  par  pugnicion  divine, 
comme  il  dit,  ne  se  peut  tenir  ferme  sur  terre,  et.  quant  il  faut  qu'il 
aille  par  terre,  il  court,  à  cause  que  la  terre  ne  le  peust  soustenir.  — 
1514.  » 

La  Passion  selon  Gamaliel  a  inspiré  en  très  grande  partie 
comme  on  vient  de  le  voir  le  mystère  de  la  Passion  rouergate  et 

i.  La  Moralité  ou  le  Jugement  allégorique  de  Jésus,  p.  26,  v.  629. 

2.  Voir  en  tète  de  ce  livre  la  légende  de  Malcus  dans  la  Passion  Sainte-Geneviève, 
et  le  Malcus  inventé  par  le  renégat  bourguignon  de  Màcon. 

3  Archives  communales  de  Màcon,  [Registre  CC  ;5.  p.  1-  de  l'imprimé,  comptes  de 
i5o6  à  iùi4- 


I.F.s    MYSTÈRES    ROUERGA.TS  399 

Inspirera  encore  la  plupart  «les  mystères  suivants.  Mais  ici  l'auteur 
rouergal  a  hésité  entre  divers  modèles,  et  le  manuscrit  qui  nous 
est  parvenu  porte  encore  La  trace  de  ses  hésitations  et  corrections, 
connue  on  le  verra  plus  loin.  Commençons  d'abord  par  noter  la 
disposition  du  manuscrit  conservé,  e1  voyons  comment  et  pourquoi 
le  compilateur  a  imité  alternativement  ou  simultanément  la  Pas- 
sion Didot,  la  Passion  selon  Gamaliel  et  enfin  VEvangile  de 
Nicodème  en  vers  provençaux,  le  modèle  en  même  temps  que 
L'imitation. 

Les  mystères  rouergats  se  succèdent  dans  eei  ordre  :  Passion, 
Résurrection  des  Morts.  Résurrection  de  Jésus,  Joseph  d'Arima- 
thie,  Ascension. Toutes  ces  pièces  se  rattachent  à  la  Passion  selon 
Gamaliel  par  des  liens  plus  ou  moins  compliqués.  Tout  d'abord  il 
est  clair  que  le  dialogue  des  Morts  «  qui  se  réveillent  quand  Jésus 
a  expiré  sur  la  croix1  »  n'est  que  le  résumé  de  chapitres  détachés 
de  la  Passion  selon  Gamaliel.  laquelle  diffère  d'ailleurs  radicale- 
ment sur  ce  point  de  la  Passion  d'Arras  qui  a  encore  une  t'ois 
trompé  ses  critiques.  Les  Mort-  rouergats  sont  en  marche,  les  uns 
s'en  vont  en  Galilée,  les  autres  au  temple  de  Salomon  J  :  les  Morts 
de  la  Passion  d'Arras3  se  dressent  dans  leur  poussière  et  se  hâtent 
d'y  rentrer,  comme  le  leur  impose  la  théologie  de  Bède  et  de  la 
Glose  ordinaire.  Ils  ne  sortiront  pas  de  leurs  monuments,  avant 
que  la  résurrection  du  Christ  ne  soit  accomplie.  Entre  la  scène  de 
la  Passion  d'Arras  et  celle  du  mystère  rouergat,  il  n'y  a  donc  au- 
cune analogie,  et  elles  ne  viennent  nullement,  comme  on  le  croyait, 
d'une  source  commune. 

Voici   maintenant    la  longue  pièce  de  Joseph  d'Arimathie  et  de 

1-2.  La  Résurrection  des  Morts,  p.  20.  -  Comparer  la  Passion  selon  Gamaliel  el  la 
Vie  de  Jesa  Crist  de  i483,  p.  r.vi  verso,  \i  v  verso,  et  surtout  vu  \i  recto,  récit 
d'Abraham.  «  Nous  alions  par  La  rive  du  Jourdain  el  si  encontrasmes  une  grant  com- 
paignie  de  gens  ei  entre  les  aultres  y  estoienl  Carioth  et  II  cl  nui  no/  \c>i>ins  et  les 
baisasmes  sains  el  vifs.,  lit  puis  leur  demandas  mes  commenl  il>  estoienl  illecques 
venus  <'t  qui  estoienl  celles  gens  qui  estoienl  ion-  ressuscitez  de  mort  a  \  i<-  avee 
Jesacrist,  etc.  »  Ce  long  passageesl  la  traduction  Lidèle  de  l'Evangile  de  Nicodème  en 
vers  provençaux,  |>.  J5,  v.  i5So  <-t  suiv. 

;  Passion  d'Arras,  p.  aoi,  v.  i;.;v>-j  Le  u*  corps.  Je  m'en  revois  incontinent.  En 
ma crevace  remucier.— Cf  Bède,  in  \faith  .\\l..v>  (Pat.Migne, t.  94  Glossa 

ordinaria    it    Patr.  Migne,  t     1 1  «.  p.  [36:»  El   tamen,  cum  monumenta  aperta  sunt, 

non  ante  surrexerunt,  quam  I) inus  resurgcret,   ul   essel    primogenitus  ex  niultis 

fratribus  »    le,  N    de  Lire,  Postules,  \>.  \6i. 


400 


LES   MYSTERES    ROUERGATS 


ses  démêlés  avec  la  Synagogue  qui.  dans  la  compilation  rouergate 
compte  près  de  deux  mille  vers.  C*est  ce  texte  surtout  qui  nous 
permettrait  de  constater,  non  plus  sur  des  extraits  détachés,  mais 
sur  des  séries  de  pages  entières,  consécutives,  la  filière  des  em- 
prunts, et  de  démontrer  comment  la  Passion  selon  Gamaliel  a 
refondu  Y  Evangile  de  Nicodème  en  vers  provençaux1,  puis  a 
été  remaniée  à  son  tour  par  le  compilateur  rouergat.  Prenons 
au  hasard  une  seule  de  ces  scènes  si  souvent  remaniées,  la  pre- 
mière réunion  de  la  Synagogue  après  l'ensevelissement  du  Christ. 

«  Quant  ilz  furent  en  la  sinagogue  devant  les  evesques,  Nicodemus 
leur  dist  :  «  Et  comment  estes  vous  entre  vous  aultres  si  hardi/,  de  entrer 
en  la  Sinagogue  ?  —  Pourquoy,  dist  Annas,  le  dictes  vous  ?  »  —  «  Car 
vous  estez  excommuniez,  dist  Nicodemus,  pour  ce  que  vous  avez  livré  à 


i.  Cf.  Evang.  Nicodemi,  éd.  Tischendorff.  iS-0,  cap.  xn,  p.  3(35.  Et  [Nicodemus]  dicit 
eis  :  Quomodo  ingressi  estis  Synagogam  ?  Dicunt  ci  Judaci  :  Et  tu  quomodo  ingressus 
es  synagogam  quia  consentiens  illi  es.  Pars  illius   sit  tecum  in  future,   seculo.  Dixit 
Nicodemus  Amen  amen  amen,  etc. 
Ev.  de  Nicodème  en  vers  provençaux,  p.  29.    |  Joseph  d'Arimathie,  p.  139. 


Donc  Nicodemus  près  a  dir  : 
Baros,  vos  co  ausetz  intrar 

a  sinagoga  per  horar? 
Que  vos  tugz  es  escumergatz. 
que  aves  Cristz  cruciiicatz. 
E  tu  co  say  estz  doncs  intratz 
que  sos  decipol  yestz  proatz? 
La  tua  partz  et  tieu  gazanli 
ajas  ab  cil  co  bos  companh. 

Josep  parla  com  pahoros  : 
Ves  mi  per  que  es  tugz  iratz  ? 
Car  sol  Jhesum  ay  soterratz? 
Se  yeu  l'ay  mes  el  monimen, 

a  vos  que  eosta,  mala  gen  ? 

Si  yeu  ay  fag  be,  e  vos  fays  mal, 

don  aures  tugz  pena  mortal' 

Ar  lo  prendo  a  menassar 

Non  yest  dignes  de  sebelir, 

ta  carn  darem  senes  faillir 

a  lops,  a  cas  o  ad  aucels 

Co  s'eras  feda  o  anhels.  v,  iooii. 


NICODEMUS 
Messenhors,  ieu  vos  die  en  vcrii.it 
Que  totses  vos  autres  excumengatz  ctz 

Per  so  que  avetz  l'ach  morir 
Jhesus  de  Nazareth 
Ha  gran  pecat  lie  a  grau  tort. 
Falsamen  l'avetz  lieurat  a  mort, 
De  que  que  gran  mal  von  venra 
He  a  la  ti  tôt  lo  mon  ho  conoisera. 


CAYPHAS 

Nicodemus,  Nicodemus  vos  parlatz  tot- 
[jorn  mal 

He  cresi  que  seretz  de  la  upiniou 
D'aquel  malvat  truan, 
Sertas  de  vostre  oncle 
De  Joseph  d'Arimathia, 

Que  Dieu  lo  meta  en  mal  an. 

Ile  per  m>.    Nicodemus.    se   vus   no  vos 

[qualatz, 

Nus  vos  farem  mangar 

Sertas  tôt  vieu  als  cas, 

Vesen  de  tota  la  gen.       v.  3;93. 


LEZ    MYSTÈRES    ROUERGATS  iO'l 

mort  Jesucrist  de  Nazareth.  »  —  Se,  dist  Cayphas,  moult  vous  l'avez 
soustenu,  vous  et  votre  oncle,  et  tout  ce  que  vous  avez  peu  faire  ne  luy  a 
riens  valu,  et  tout  ce  que  vous  y  gaignerés  soit  vostre,  car  bien  sçavons 
que  vous  estez  de  ses  disciples,  vous  et  Joseph  dabarimathie.  »  —  :  «  Sire, 
se  dit  Joseph  tout  courtoisement, que  me  voulez  vous?»  —  :  «Se.  dirent  les 
evesques,  tu  te  forfais,  et  encore  te  viendra  mal,  car  sans  nostre  conseil 
tu  as  osté  et  despendu  le  corps  de  cest  homme  Jesucrist  de  la  croix,  et  si 
l'as  ensepveli  en  ton  sépulcre.»  — :  «  Seigneurs,  et  que  vous  en  doit  cha- 
loir, car  Pilate  le  me  donna  a  qui  il  estoit  a  donner,  et,  se  j'ay  bien  faict, 
vous  autres  avés  mal  faict  ;  vous  me  blasmez,  maies  gens  vous  estes' 
encores  vous  en  viendra  mal.  »  Et  tous  commencèrent  a  le  regarder  et 
le  menasserent  fort,  et  Armas  luy  dist  :  «  Scez  tu  que  nous  ferons  '?  Tu 
as  fait  contre  la  loy,  parquoy  tu  doibz  mourir,  tu  ne  seras  pas  ensepveli, 
mais  nous  te  ferons  menger  aux  chiens  et  aulx  pourceaulx  et  aux 
oiseaulx,  ainsi  comme  se  te  fusses  beste.  » 

Inutile  de  prolonger  la  citation  ni  d'insister  sur  toutes  les  pages 
suivantes,  sur  la  longue  déposition  de  Joseph  d'Arimathie  après 
sa  délivrance  ',  sur  la  lettre  plus  longue  encore  de  Garioth  et 
d'Elion  2  et  toute  la  suite.  Pour  toute  cette  partie,  l'auteur  de  la 
Passion  selon  Gamaliel  n'a  fait  que  développer  l'Evangile  pro- 
vençal, en  intervertissant  de  ci  de  là  l'ordre  des  chapitres,  en  chan- 
geant les  interlocuteurs,  mais  non  les  discours  et  les  faits.  Le  com- 
pilateur rouergat  a  recommencé  exactement  la  même  opération 
sur  la  Passion  selon  Gamaliel.  Pour  un  seul  épisode,  une  prière 
de  Joseph  d'Arimathie  dans  sa  prison,  il  parait  avoir  consulté 
directement  (comme  son  confrère  d'Auvergne)  YEvangile  de  Nico- 
dème  latin.  En  effet,  ce  texte  latin  contient  (chapitre  XII.  p.  366) 
une  menace  de  Joseph  d'Arimathie  à  la  Synagogue,  qui  n'est  pas 
reproduite  dans  VEvangile  de  Nicodème  en  vers  provençaux  ni 
par  suite  dans  la  Passion  selon  (iamaiiel .  Voici  le  verset  : 

a  Iste  sermo  superbi  Goliae  est  qui  improperavit  deo  vivo  adversus 
Banctum  David  ». 


i.  Evangile  de  Nicodème  en  vers  provençaux,  \>  3a,  v.  i35i  <•!  suivants.  —  Cf.  Passion 
selon  Gamaliel  ou  Vie  de  Jesa  Crist  de  i  îsr>.  p.  vi**xvi  v. 

"_'  AV.  de  Nie.  prooenç  .  |>  .">i>.  v.  1711';.  etc.  —  Passion  selon  <i<uinilit-l  H  Vie  </••  Irsa 
Crist,  p.  vt**vn  v,  Moi  Carioth,  etc.,  j«'  commence  1  dire  merveilles  ».  texte  repro- 
duit dans  les  /extrait*  dr  lu  Vie  </'■  lesu  Crist, 

26 


402  LES    MYSTÈRES   ROUERGATS 

.11  est  donc  probable  que  le  compilateur  rouergat  se  souvient  de 
ce  verset  latin  quand  il  nous  montre  Joseph  d'Arimathie  invo- 
quant le  Dieu  qui  délivra  : 

Davit,  lo  sant  propheta. 

De  las  mas  del  gean  Golias  (p.  142,  v.  3,863). 

Partout  ailleurs  ce  compilateur  a  copié  directement  la  Passion 
selon  Gamaliel.  en  dérangeant  Tordre  des  faits,  mais  en  les  repro- 
duisant presque  tous,  saut'  des  raccords  d'une  amusante  simplicité. 
Ainsi  l'interrogatoire  deCarioth  et  d'Elion,  les  fils  de  Ruben,  dans 
le  temple  de  Jérusalem  est  reproduit  à  peu  près  textuellement '. 
La  longue  lettre  de  Carioth2,  au  contraire,  est  coupée  dès  le  début', 
parce  que  la  descente  aux  Limbes  qu'elle  raconte  a  déjà  été  mise 
en  scène  précédemment  dans  la  première  partie  du  mystère  de  la 
Résurrection  copiée  ailleurs.  Les  derniers  chapitres  de  la  Passion 
selon  Gamaliel  ont  de  même  été  écourtés  ou  supprimés  de  telle 
sorte  que  la  pièce  rouergate  finisse  par  une  scène  à  effet,  les  impré- 
cations des  Juifs  convaincus  par  le  rapport  de  Joseph  d'Arima- 
thie, et  maudissant  «  les  évèques  »  qui  les  ont  trompés.  Dans  la 
Passion  ces  imprécations  n'éclataient  que  plus  tard  après  un  autre 
rapport,  celui  des  trois  pèlerins  de  Galilée,  Addas,  Gestas  et 
Finees  lesquels  avaient  vu  à  l'Ascension  Jésus-Christ  «  prêcher 
sur  une  pierre  de  marbre  »  suivant  le  contresens  de  l'Evangile 
provençal4  recueilli  par  les  textes  français.  Le  compilateur  rouer- 
gat a  fondu  les  deux  scènes  en  une  seule,  il  n'a  gardé  que  le  rap- 

i.  Ce  morceau  trop  long-  pour  êtrecité  ici  a  été  transcrit  dans  les  Extraits  de  la  Vie 
de  lesu  Crist. 

2-3.  Egalement  transcrite  dans  les  Extraits  de  la  Vie  de  lesu  Crist,  avec  les  variantes 
des  manuscrits  et  l'examen  détaillé  du  texte. 

4.  Evangile  latin,  ch.  xiv,  p.  372  :  «  Jesum  sedentem  et  discipulos  ejus  cura  eo  in 
monte  oliveti  qui  vocatur  Mambre  sive  Malech  ». 

Evangile  provençal,  p.  33,  v.  112;  : 

Nos,  so  dizo,  lo  vim  cezer 
am  los  apostols  ben  c  ver 
sobre  un  marine 

Ce  manne  devient  «  un  albre  »  dans  la  compilation  d'histoire  sainte  catalane  où  est 
recueilli  un  abrégé  en  prose  de  V  Evangile  provençal  (Note  de  M.  Suchier,  t.  I,  p  5ia). 

La  Passion  selon  Gamaliel  et  la  Mette  lesu  Crist  de  i485(p.  vi^xvm  verso)  donnent  : 
Nous  l'avons  veu  en  un  ung  puy  avecques  ses  apostres  et  se  seoit  sur  une  pierre  de 
marbre  où  il  leur  preschoit,  etc. 


I.Ed    MYSTÈRES    ROUERGATS  103 

port  le  jtlus  important,  celui  de  Joseph  d'Arimathie  ',  et  il  y  a  joint 
tout  bonnement  les  malédictions  qui  suivaient2.  Ainsi  le  récit  assez 
bref  de  l'Ascension  a  disparu,  mais  le  compilateur  rouergat  revien- 
dra plus  lard  à  ce  sujet,  et  lui  consacrera  une  pièce  particulière 
quand  il  en  aura  trouvé  un  modèle  plus  développé. 

La  composition  de  la  Résurrection  qui  précède  la  pièce  de 
Joseph  d'Arimathie  s'explique  d'une  manière  analogue.  Primiti- 
vement, suivant  la  remarque  de  M.  Jeanroy',  la  Passion  rouergate 
était  suivie  d'un  récil  «le  la  Résurrection,  ou  du  moins  de  la  Des- 
cente aux  Limbes,  qui  était  transcrit  sur  le  volume  perdu  el  faisail 
double  emploi  avec  la  Résurrection  du  volume  conservé.  Nous 
retrouverons  tout  à  l'heure  cette  première  version  de  la  Résurrec- 
tion, (m  du  moins  nous  constaterons  qu'elle  était  tirée  de  YEvan- 
gile  de  Nicodème  en  vers  provençaux  et  non  pas  du  texte  latin  ou 
d'ailleurs.  Mais  avant  d'arriver  à  ce  l'ait  si  curieux,  il  faut  expli- 
quer d'abord  pourquoi  le  compilateur  rouergal  a  recommencé  son 
travail,  ('/est  que  YEvangile  de  Nicodème  en  vers  provençaux  et 
la  Passion  selon  Gamaliel  elle-même  ne  décrivent  guère  en  détail 
que  la  Descente  aux  Limbes  :  dans  l'un  et  dans  l'autre  texte  la 
résurrection  du  Christ  n'est  rappelée  qu'incidemment  par  le  récit 
de  témoins,  des  gardes  d'une  part  '  et  de  Centurion  de  l'autre 
toute  la  milite  de  l'histoire  de  Jésus  et  de  ses  disciples,  le  dialogue 
de-  trois  Maries  avec  le  marchand  de  parfums,  leur  visite  au  tom- 
beau où  les  anges  leur  apprennent  la  résurrection,  l'apparition  à 
Madeleine  et  le  récit  de  celle-ci  à  la  Vierge  et  aux  Apôtres,  enfin 
L'apparition  à  l'apôtre  Thomas  et  le  contexte,   tous  ces  épisodes 

i.  Vie  de  Jesucrist  de  (485,  \>.  vi**xvi  recto.  —  Joseph  d'Arimathie,  p.  [86,  v.  5i66  el 
Buiv. 

■2  Vie  de  Jesucrist  de  i  J85,  p.  vi**xix  verso.  -  Joseph  d'Arimathie,  i>.  [88,  surtout 
V.  ,Y>77  et  8uiv. 

i.  Introduction,  \>.  w  m,  cote  ">. 

\.  Evangile  de  Nicodème  en  vers  provençaux,  \<.  '»<.  v    i"i;et  suiv. 

."■  Passion  selon  Gamaliel  et  Vie  de  Jesa  Crist  de  [485,  p.  vi*  vi  verso  :  J'ay  veu  ung 
ange  qui  disoil  aux  dunes  .  —  Le  récil  de  Centurion  a  et.-  reproduit  >\-m-  Joseph 
d'Arimathie,  p.  [56  Le  dramaturge  s'esl  borné  •>  introduire  deux  anges  ou  «  dos 
jovensels  .  \.  }3oo.  Il  n'a  pas  supprimé  non  plus,  |>  i6o,  v.  \\'.i>.  une  allusion 
aux  disciples  d'Emmaùs,  que  Centurion  rail  dans  la  Passion  selon  GamalieleA  la 
Vie  de  Jesu  Crist  de  i  [85,  \>  \i  mi  verso:  «  deux  des  disciples  de  Jesucrisl  le  lundi 
quand  il/  aloyenl  en  ung  château  qui  ■>  nom  Bmaulx,  etc.  »  Ce  trail  manque  dans 
['Evangile  de  Nicodème  en  vers  provençaux. 


404  LES    MYSTERES    ROUEHGATS 

manquent  également  dans  les  deux  ouvrages.  Le  compilateur 
rouergat  qui  voulait  développer  tous  ces  épisodes  et  qui  aimait  la 
besogne  toute  faite,  a  donc  été  obligé  de  s'adresser  ailleurs.  Il  n'a 
pas  été  bien  loin,  il  a  trouvé  son  bien  dans  la  Passion  Didot  et  il 
y  a  copié  une  nouvelle  Résurrection  et  Descente  aux  Limbes  qu'il 
a  rattachées  tant  bien  que  mal,  plutôt  mal  que  bien  à  ses  mystères 
de  la  Passion  et  de  Joseph  d'Arimathie,  sans  trop  s'inquiéter  des 
contradictions  et  redites1.  Les  corrections  du  manuscrit  nous 
montrent  qu'après  coup  il  avait  été  médiocrement  satisfait  de  ces 
raccords,  et  qu'il  avait  essayé  de  les  dissimuler  dans  la  mesure  du 
possible.  L'une  de  ces  corrections  ou  ratures  nous  indique  de  plus 
que  même  dans  cette  nouvelle  Résurrection  copiée  dans  la  Passion 
Didot,  il  avait  cherché  à  utiliser  son  travail  précédent  ou  du 
moins  à  ne  pas  le  perdre  complètement.  Cette  rature  va  suffire 
avec  quelques  vers  isolés  que  nous  détacherons  à  démontrer  tous 
les  faits  avancés  et  en  particulier  l'emploi  direct  de  l'Evangile  de 
Nicodème  en  vers  provençaux. 

Soit  donc  dans  la  Résurrection  rouergate  conservée  la  nouvelle 
Descente  aux  Limbes  ou  le  dialogue  de  Jésus  et  des  diables  aux 
portes  de  l'Enfer  ;  tout  ce  dialogue  tiré  à  peu  près  textuellement 
de  la  Passion  Didot  (fol.  5q  v°-Gi  r°)  a  été  couvert  de  lignes  trans- 
versales du  vers  2729  au  vers  2767.  En  marge  on  lit  l'indication 
suivante  : 

Vaquât.  —  Diga  so  que  es  al  libre,  quant  sera  dava  [n]  t  infern,  quar 
aquesta  materia  no  sembla  pas  l'autra2.  » 

En  effet  «  cette  matière  »  ou  ce  dialogue  ne  se  ressemble  pas 
dans  la  Passion  Didot  et  dans  l'Evangile  de  Nicodème  en  vers 
provençaux.  Le  compilateur  rouergat  avait  donc  l'intention  de 
reprendre  tout  ce  développement  dans  sa  première  version  ou 
dans  sa  Descente  aux  Limbes  tirée  de  l'Evangile  de  Nicodème, 
comme  il  nous  le  laisse  entendre  une  seconde  fois  par  une  nou- 
velle note  3  placée  au  vers  2766  : 

1.  L'une  des  plus  maladroites  est  l'apparition  aux  disciples  d'Emmaus  racontée  une 
première  fois  par  Aniquet  dans  Joseph  d'Arimathie,  p.  i'io,  v.  433o  et  suiv.,  d'après  le 
récit  de  Centurion  dans  la  Passion  de  Gamaliel  cité  précédemment  p.  4°3.  note  5  de  ce 
livre,  et  mise  en  scène  dans  la  Résurrection   rouergate,  p.  117,  d'après  la  Passion  Didot. 

2  et  3.  Résurrection  rouergate,  p.  102,  note  des  vers  2729,  et  p.  io3,  note  du  v.  2766. 


LES    MYSTÈRES    ROUERGATS  40-") 

«  Aisi  torn  al  loc  d'aquest  libre  quant  tôt  lo  libre  sera  aquabat,  be  di- 
gua  Jhesus  als  payros  quant  los  tray  de  infern  so  que  s'enseque  : 

«  Amicz,  oenetz  ros  en  an  mi.  » 

Ce  vers  imprimé  en  italiques  est  pris  Littéralement  dans  la  Pas- 
sion Didot  (folio  Gi  recto),  et  les  trois  vers  suivants  ou  la  fin  de  la 
tirade  de  Jésus  interpellant  «  les  Pérès  »  viennent  du  même  texte 
avec  des  changements  insignifiants.  Au  commencement  de  la  répli- 
que suivante,  les  vers  12771  à  1277',  : 

Ay,  senher,  tu  sias  lausat,  etc. 

sont  encore  une  t'ois  copiés  textuellement  dans  la  Passion  Didot, 
où  ils  étaient  prononcés  par  «  les  Pérès  »  ou  les  prophètes  remer- 
ciant Jésus.  Le  compilateur  rouergat  a  simplement  changé  L'attri- 
bution de  ces  vers,  et  les  a  prêtés  a  «  un  Père  »  déterminé,  Adam. 
La  suite  de  cette  tirade  d'Adam  depuis  le  vers  2779  : 

So  so  las  mas  mas  que  me  Jormero 

il  Ta  prise  dans  Y  Evangile  de  Nicodème  en  vers  provençaux 
(vers  2021,  page  61),  ainsi  que  la  réplique  d'Eve  qui  joint  ses  re- 
merciements à  ceux  de  son  mari.  Suit  une  apostrophe  de  Jésus 
à  «  ses  amis  »  qu'il  emmène  en  Paradis  (v.  2798  à  .iSo'j)  : 

.-Iras  me  sequeU.  bonas  gens,  etc. 

Elle  est  de  nouveau  copiée  dans  la  Passion  Didot  (fol.  62  recto), 
mais,  pour  ne  pas  faire  de  jaloux,  la  réponse  d'Adam  (v.  2804- 
2807)  est  à  moitié  copiée  dans  ['Evangile  de  Nicodème  en  vers 
provençaux  (v.  2075-2036)  : 

Adam.  —  Lausem  tôt/.  Dieu  Jhesu  C.rist  ! 
Ile  lo  vulham  grandamen  grasir, 
Que  es  vengut  del  cel  d'amon 
Pei   nos    /'tarde  infern  pruons. 

Puis   l'imitation  «le   la    Passion    Didot    reprend    à    peu  près  sans 
interruption  depuis  le  dialogue  des  trois  Maries  avec  le  marchand 

1.  Résurrection  rouer  gâte,  \>    n>.">.  —  Pour  le  eontexte  des  citations,  voir  la  fin  de  la 
lettre  de  Carioth  dans  les  Extraits  de  la   Vie  de  lésa  Crist,  p.  S55  de  ce  li\r<-. 


406  LES  MYSTÈRES  ROUERGATS 

de  parfums  jusqu'à  et  y  compris  le  Voyage  à  Emmaûs  ;  les  sou- 
dures ont  pu  être  exactement  marquées.  Que  conclure  de  ces  faits? 

D'une  part,  la  Passion  Didot  ne  contient  pas  les  rôles  d'Adam 
et  d'Eve,  et.  dans  ces  rôles,  le  compilateur  rouergat  qui  fait  si  vo- 
lontiers des  vers  faux  pour  son  propre  compte  a  reproduit  plu- 
sieurs verà  justes  de  l'Evangile  de  Nicodème  provençal.  Il  s'en- 
suit donc  matériellement  qu'il  a  dû  les  prendre  dans  cet  Evangile 
en  vers  et  non  dans  son  abrégé  en  prose1,  pas  plus  que  dans  la 
Passion  selon  Gamaliel  en  prose  provençale  ou  française  qui  lui 
aurait  offert  d'ailleurs  les  mêmes  développements.  Que  si  des  vers 
de  cet  Evangile  provençal  subsistent  dans  la  Résurrection  rouer- 
gate  qui  nous  est  conservée,  a  fortiori,  comme  nous  l'avons  sup- 
posé, devait-il  y  en  avoir  davantage  dans  la  Descente  aux  Limbes 
ou  dans  la  première  version  de  la  Résurrection  rouergate  actuel- 
lement perdue.  C'est  le  moyen  le  plus  simple  d'expliquer  la  phrase 
du  compilateur  rouergat  où,  comparant  le  dialogue  de  Jésus  avec 
les  diables  aux  portes  de  l'Enfer  dans  ses  deux  versions,  celle  qui 
est  empruntée  à  la  Passion  Didot  et  qui  nous  reste,  et  l'autre  per- 
due, il  constatait  les  différences  du  développement  :  «  aquesta 
materia  no  sembla  pas  Vautra  ». 

Mais  d'autre  part,  si  nos  souvenirs  sont  exacts,  les  détails  et  les 
expressions  mêmes  de  ces  rôles  d'Adam  et  d'Eve  pris  dans  l'Evan- 
gile de  Nicodème  en  vers  provençaux,  on  avait  cru  les  retrouver 
dans  la  Passion  d'Arras  -,  et,  par  suite,  on  attribuait  tout  ce  déve- 
loppement à  la  Passion  primitive  du  Nord,  «  prototype  »  de  la 
Passion  Didot.  On  voit  maintenant  combien  il  est  difficile  de 
tabler  sur  des  concordances  d'idées  et  d'expressions  dans  les  mys- 
tères de  la  Passion:  elles  y  sont  aussi  inévitables  que  trompeuses, 
puisqu'elles  ne  trompent  pas  toujours.  Dans  l'espèce  elles  étaient 
simplement  trompeuses;  partant  tous  les  raisonnements,  toutes  les 
hypothèses  ou  affirmations  qu'elles  ont  dictées  sur  la  parenté  ou 
les  relations  étroites  d'une  Passion  du  Nord  hypothétique,  de  la 
Passion  Didot,  de  la  Passion  d'Arras,  des  mystères  rouergats 
et  des    mystères    allemands,    tous   ces    raisonnements   tombent. 


i.   Il  s'agit  de  l'abrégé  signalé  par  M.  H.  Suchier  (I,  p.  4y5  et  5;5)  et  inséré  dans  la 
compilation  d'histoire  sacrée  dont  on  a  des  versions  en  catalan,  provençal,  etc. 
2.  Passion  d'Arras.  p.  24'3,  v.  2i,o3o-55;  item,  2i,o;8-9i,  cites  par  M.  Stengel,  l.  c. 


LES    MYSTÈRES   ROUERGATS  4il7 

Si  la  discussion  qui  précède  ;i  été  Laborieuse,  en  raison  même 
de  toutes  ces  hypothèses,  la  conclusion  sera  1res  simple.  Les  sour- 
ces principales  des  mystères  rouergats  sont  bien,  comme  on  l'avait 
annonce,  la  Passion  Didot,  X Evangile  de  Nicodème  en  vers  pro- 
çençaux  et  le  roman  ou  poème  en  prose  lire  de  cet  Evangile  pro- 
vençal, la  Passion  selon  Gamaliel.  De  plus,  quel  qu'ait  été  le 
manuscrit  ou  le  texte  utilisé,  il  est  certain  que  cette  Passion  selon 
Gamaliel  en  prose  est  de  beaucoup  la  source  la  plus  importante, 
ou  la  plus  souvent  consultée.  Non  seulement  elle  nous  a  expliqué 
la  plus  grande  partie  des  pièces  conservées,  mais  elle  a  permis  de 
reconstituer  le  volume  manuscrit  perdu  et  nous  a  indiqué  le  plan 
général  de  la  compilation  rouergate  tout  entière.  C'est  à  cette  Pas- 
sion selon  Gamaliel  que  le  compilateur  s'est  sans  cesse  reporté, 
elle  était  comme  le  centre  de  sa  composition,  le  nœud  autour  du- 
quel il  disposait  sa  trame.  Toutes  les  suppressions,  additions  ou 
modifications  de  son  manuscrit  s'expliquent  par  le  développement 
ou  les  lacunes  «le  ce  modèle  principal,  et  ce  n'est  nullement  le  ha- 
sard qui  a  présidé  à  son  choix.  A  quelques  indices,  tels  que  le  récit 
des  peines  d'Enfer  par  le  Lazare  et  la  dispute  des  apôtres  avec 
le  Husticus,  on  voit  bien  ou  plutôt  on  entrevoit  que  ce  dra- 
maturge devait  connaître  quelques  traditions  dramatiques,  mais 
celte  connaissance  était  chez  lui  des  plus  vagues.  Quelques 
années  plus  tard,  en  i534.  quelques  habitants  d'Auriol  près 
de  Marseille  se  distribuaient  entre  eux  par  contrat  devant  no- 
taire les  rôles  du  «  bon  juec  »  qu'ils  devaient  représenter 
prochainement,  la  Conversion  de  Marie  -  Madeleine  *.  Le  titre 
d'un  de  ces  rôles,  Pasiphaé,  suivante  de  Marie-Madeleine,  suffit 
pour  nous  indiquer  que  la  pièce  provençale  n'était  qu'un  épi- 
sode détaché  de  la  Passion  de  Jean  Michel,  et  qu'on  recourait  à 
un  mystère  français  pour  célébrer  la  sainte  la  plus  populaire  du 
pays.  Si  le  compilateur  rouergat  avait  eu  à  sa  disposition  quelque 
mystère  français  de  ce  genre,  il  est  certain,  ('tant  donnée-  ses  ha- 
bitudes,  qu'il  L'aurait  copié  avec  plaisir.  N'en  ayant  pas.   il  a  fait 


i.  Aux  fêtes  de  l.i  Pentecôte  i.vi;    Cette  représentation  d'Auriol,  signalée  dès  1846 
.1  l  Académie  de  Marseille  (cf.  Revue  des  Soc.  savantes,  i*7Î.  p.  5o6),  a  ri'1  longtemps  la 
plus  ancienne  représentation  méridionale  connue.  Le  contrai  en  tangue  provi 
été  publié  par  M.  Sabatier,  Mi'morial  d'Aix  (i86g,  n"  36). 


408  LES  MYSTÈRES  ROUERGATS 

de  nécessité  vertu  et  il  a  copié  ce  qu'il  avait,  la  Passion  selon 
Gamaliel. 

Ce  n'est  pas  tout,  et  cette  Passion  nous  explique  encore  la  ma- 
nière d'écrire  et  de  versifier  du  compilateur  qui  a  prêté  à  tant 
d'hypothèses.  Ni  l'exemple  de  Galien,  ni  «  l'ystoire...  »  de  Saint 
Genis,  ni  l'hypothèse  si  ingénieuse  et  surtout  si  commode  des 
mystères  français  sténographiés  à  la  représentation  et  traduits 
plus  tard  d'après  des  notes  informes,  ni  la  tradition  méridionale 
elle-même  n'avaient  pu  expliquer  la  versification  bizarre  du  texte 
rouergat.  C'est  qu'en  réalité,  en  fait  d'exemples  et  de  traditions,  il 
n'y  avait  ici,  comme  l'avait  très  bien  supposé  M.  Jeanroy,  que  la 
paresse.  Le  compilateur  rouergat  allait  de  la  Passion  Didot  à  la 
Passion  selon  Gamaliel  et  improvisait  ses  pièces  au  courant  de  la 
plume.  Si  donc,  ayant  le  choix  entre  la  prose  et  les  vers,  il  a 
trouvé  le  moyen  d'écrire  ce  qui  n'est  ni  vers  ni  prose,  c'est  tout 
bonnement  parce  que  son  modèle  principal,  la  Passion  selon 
Gamaliel  était  en  prose,  aussi  bien  d'ailleurs  que  tous  les  modèles 
suivants  qui  achèveront  de  confirmer  cette  démonstration. 


LES 


SOURCES  DIVERSES  DES  MYSTÈRES  ROUERGATS 

LE  PItOCÉS  P-E  BÉLIAL 


LE 

PROCESSUS  BELIAL,  L'ASSENTIO 

LE  JUTGAMEN  GENERAL  ROUERGAT 

KT 

LE  JUGEMENT  DE  DIEU  DE  MODANE 


La  Passion  racontée  par  Gamaliel,  Nicodème,  etc.  est,  nous 
l'avons  vu,  la  source  principale  des  mystères  rouergats  perdus  ou 
conserves;  mais,  comme  l'auteur  de  La  Passion  d'Auvergne  (1477)) 
l'auteur  rouergat  a  lu  cette  Passion  selon  Gamaliel  dans  un  ma- 
nuscrit ;  nous  ignorons  donc  la  date  de  sa  compilation.  Cette  date, 
il  faut  la  demander  à  deux  pièces  détachées  de  la  même  collec- 
tion :  le  Jugement  général  et  le  Jugement  de  Jésus. 

1  La  Bibliothèque  Nationale  possède  un  mystère  français  ma- 
nuscrit, (fr.  i5.o63)  le  Jugement  de  Dieu  attribué  par  M.  Petit  de 
Julleville  (les  Mystères,  t.  IL  p.  460)  au  quinzième  siècle,  mais  en 
réalité  plus  récent  d'une  centaine  d'années.  Ce  mystère  nous  offre 
exactement  le  même  cadre  que  le  Jugement  rouergat.  Si  ce  cadre 
très  particulier (Jugemenl  des  démons,  des  Juifs,  des  païens,  des 
mauvais  chrétiens)  se  retrouve  dans  une  pièce  de  l'extrême  tin  du 
xvie  siècle,  dans  un  canton  perdu  de  la  Savoie, et  si.  après  une  lon- 
gue enquête  sur  toutes  les  pièces  analogues  ' .  il  n'a  pu  être  retrouvé 

1.  A  la  liste  <\r  ces  pièces  énumérées  dans  mon  édition  «lu  mystère  de  la  Bibl.  de 
Besançon,  le  Jour  du  Jugement,  Paris,  Bouillon,  tgoa,  je  ne  puis  ajouter  que  trois 
mentions  : 

La   première,  curieuse  a  cause  de   la  présence  de  Charles  d'Orléans,  est  donnée 
par  Jean  Clerée,  confesseur  de    Louis   \ll.    Sermones  quadragesimales,   Paris    Fr 
Begnault,  i.Vi',  (B.  Nal    I).  là-ii:'  |>    xu  «  Nota  de  ludo  judicil  lu&o  Aurelianis,  quero 
audiebal  dux  Aurelianensis  senior,  in  «iim  magister  Joannes  de  Cenomanis,  Trecensis, 
proferebal  verba  <  ihristi  :  Discedile  a  me  maledicti,  etc.  Ad  que  verba  dux  de  cathedra 


412  LE    PROCÈS   DE   BELIAL 

que  là,  c'est  évidemment  qu'il  provient  d'un  drame  ou  d'un  livre 
à  déterminer. 

Ce  livre  existe  en  effet,  et  s'il  n'a  pas  été  reconnu  plus  tôt,  ne 
serait-ce  pas  peut-être  parce  qu'il  a  été  cité  et  analysé  déjà  trop 
souvent,  lui  et  ses  congénères,  d'après  d'autres  analyses? 

Que  de  fois,  en  effet,  n'a-t-on  pas  résumé  les  explications  de 
Magnin1  sur  ces  curieux  procès  allégoriques  d'autrefois  qui  met- 
taient aux  prises  d'une  part  Dieu,  la  Vierge,  les  Anges,  de  l'autre, 
le  Diable,  l'éternel  «  accusateur  2  du  genre  humain  »  !  Que  de  fois 
n'a-t-on  pas  expliqué  par  l'influence  de  cette  littérature  juridique 
si  cultivée  et  si  appréciée  jadis,  les  débats  qui  remplissent  nos 
anciennes  pièces  de  théâtre  comme  les  Miracles  de  Nostre  Dame 
et  le  Mystère  de  V Assomption  ?  Cette  influence  allait  même 
plus  loin  qu'on  ne  l'a  dit,  et  la  tentation  était  trop  forte  pour  les 
compilateurs  du  moyen-âge,  d'utiliser  à  peu  près  tels  quels  les 
plus  célèbres  de  ces  Procès  allégoriques,  tels  que  le  Procès  attri- 
bué à  Bartole,  et  Y  Avocacie  Nostre-Dame3 ,  tous  deux  dérivés  d'un 
même  débat  latin  encore  plus  ancien.  Les  dialogues  n'y  étaient-ils 
pas  tout  faits  et  les  rôles  déjà  distribués  d'avance  pour  le  théâtre? 
C'est  ainsi  qu'en  1^06,  les  habitants  de  la  petite  ville  de  Mantes 
jouèrent  «  sur  eschaffauds  »  Y  Avocacie  Nostre  Dame  \  Les  mys- 


corruit  semivivus  et  postea  ad  se  reversus  dixit  :  «  O  si  vox  hominis  tantum  me 
terruit,  quid  erit  in  die  judieii  de  vera  voce  Christi  ?  » 

2°  Bibliothèque  de  la  ville  d'Angers,  Ms.  572,  ancien  536,  fragments  tronqués, 
4  feuillets  d'un  Jugement  dernier  du  xve  siècle,  Dialogue  entre  les  démons. 

3°  La  3«  pièce  qui  m'a  été  indiquée  par  M.  Marius  Sépet,  montre  la  persistance  des 
mystères  en  province  :  B.Nat.  fr.  25,444)  Recueil  des  poésies  du  P.  Ch.  François  Barge, 
religieux  de  Grandmont,  de  Thiers  en  Auvergne  M.DGC.  Parabole  des  vierges  de 
l'Evangile  représentée  en  tragédie,  en  trois  actes  en  vers,  précédée  d'un  prologue  en 
prose  adressé  à  des  religieuses,  fol.  25. 

Quant  au  fragment  (xvs.)duMs  fr.  i5,to3,fol.  140  à  141  V  :  Les  Sept  vertus  qui  parlent 
es  sept  Pcchiés  mortels,  Interlocuteurs  :  S.  Michiel,  Humilité,  Orgueil,  Antecrist,  ce 
n'est  pas,  malgré  les  apparences  le  débris  d'un  mystère,  mais  d'un  de  ces  débats  des 
Vices  et  des  Vertus,  très  communs  surtout  depuis  le  Livre  du  Roy  Modus  et  de  Ratio. 

1.  Journal  des  Savants,  i858,  p.  270. 

2.  Apocalypse,  XII,  10. 

3.  Débat  retrouvé  et  signalé  par  Hauréau,  Not.  et  Extr.  des  Ms.  latins  de  la  Bib. 
Xat .,  t.  VI,  p.  io5.  C'est  le  fait  le  plus  curieux  qui  ait  été  signalé  sur  cette  littérature 
si  souvent  décrite  ;  il  avait  encore  échappé  à  Roediger,  Contrasti  antichi,  1887,  et  à 
A.  de  Montaiglon,  éd.  de  Y  Avocacie  Nostre-Dame,  1896. 

4.  Signalé  par  M.  Grave.  Bull,  du  Com.  des  trav.  hist.,  1896,  p.  3i2. 


LE    PROCÈS    DE    BELI4.L  113 

tères  du  midi,  objet  de  ces  recherches,  ont  une  origine  analogue. 
Ils  dérivent  tous  deux  d'une  imitation  du  livret  de  Bartole, 
le  Procès  de  Belial,  achevé  à  Aversa,  près  de  Naples,  «  l'avant 
dernier  jour  de  octobre  i38a  »  par  l'archidiacre  Jacques  Palladini, 
dit  de  Teramo  '.  Ce  nom  qui  ne  nous  dit  plus  rien  était  celui  d'un 
des  hommes  «  les  plus  ingénieux  »  et  «  les  plus  instruits  »  de  son 
temps,  et  ce  fut  ce  livre  si  bizarre  qui  établit  sa  réputation.  Entre 
les  mains  de  l'archidiacre  d'Aversa  la  mince  plaquette  originale  de 
Bartole  était  devenue  une  véritable  encyclopédie,  un  manuel  de 
droit  et  de  piété,  un  guide  du  parfait  notaire  et  une  «  Consolation 
des  pécheurs  »,  un  recueil  de  prophéties  et  un  discours  sur  l'His- 
toire universelle,  depuis  la  création  du  monde  jusques  et  y  com- 
pris l'Ascension  et  le  Jugement  dernier.  Peu  de  livres  ont  eu  une 
vogue  aussi  grande,  aussi  longue  et  aussi  étendue,  car,  comme  le 
remarque  très  bien  un  éditeur  allemand  du  dix-septième  siècle2,  il 
n'y  a  pas  de  pays  de  l'Europe  où  ce  traité  n'ait  été  vulgarisé  par 
de  nombreuses  éditions  et  traductions.  En  Allemagne  notamment 
les  éditions  se  succédèrent  précédées  d'éloges  de  plus  en  plus 
hyperboliques,  et  les  imitations  dramatiques  du  Procès  de  Belial 
furent  si  nombreuses  qu'on  réimprimait  encore  les  principales  il  y 
a  quelques  années  dans  une  collection  classique  élémentaire,  la 
collection  Tittmann  (1SG8).  De  ces  imitations  il  y  en  eut  éga- 
lement en  France,  et  les  bibliographes  ont  déjà  signalé  une 
traduction  partielle  du  Procès  de  Belial  insérée  dans  une  édi- 
tion du  mystère  des  Actes  des  Apôtres  imprimée  par  Nicolas 
Couteau,  en  i.V3~\  Il  conviendra  d'y  joindre  par  ordre  de  dates 
les  deux  mystères  (rouergat  et  savoyard)  indiqués  précédem- 
ment. Si  l'imitation  du  poète  savoyard  est  plus  ou  moins  discrète. 


1.  J.  Palladini  le  dédia  au  pape  Urbain  VI,  et  à  son  ancien  maître,   l'archevêque  de 

la  ville  de  Padoue  OÙ  il  avait  l'ait   ses  éludes  de  droit  (Bib.  Nat.  IUS.  lai.  12,433,  dernière 

page  r*). 

2.  C'est  ce  que  <lii  l'avocal  de  Nuremberg,  Jacques  Vyrer,  dans  le  Processus  Juris 
Joco-serius,  Banoviae,  1611,  in-8°  qui  réunit  le  Procès  de  Bartole,  les  Arrêts  il' A  un  m  r  de 
Martial  d'Auvergne, ei  le  Procès  de  Balial,  p.  s  :  «  Nulla  quippe  Natio  est,  nulla  Lin- 
gua  Europaea,  in  cujus  idiomatc  non  liie  Processus  lectitetur.  Germain,  Galli,  Itali 
Ilispani.  Angli,  Dani,  Belgae,  Hungari,  Poloni  ci  mmodum  atque  idoneum  judicave- 
runt  quem  Popularibus  suis  vernaculo  sern e  propinarent.  » 

■?.  Catalogue  de  Soleinne,  t.  I,  p  oS,  n  ."ijs  signalé  par  ledit,  du  \fistere  du  Viel 
Testament,  t.  I.  p,  lx,  note  i. 


414  LE   JUGEMENT    DE   MODANE 

celle  du  Rouergat  est  encore  une  fois  un  simple  plagiat.  Le  com- 
pilateur s'est  borné  à  transcrire  des  pages  entières  d'un  épisode  du 
Procès  de  Belial  en  abrégeant  quelquefois,  mais  sans  rien  chan- 
ger, en  conservant  toutes  les  citations,  tous  les  épisodes  comme  le 
débat  deux  fois  traité  de  Justice  et  Miséricorde1,  sans  compter 
d'autres  discussions  encore  plus  fastidieuses.  Il  y  a  copié  avec  des 
additions  insignifiantes,  non  seulement  son  Jutgamen  gênerai  in 
extenso,  mais  encore  son  mystère  de  Y Assentio  en  partie. 

3°  Où  et  comment  ce  Rouergat  a-t-il  lu  l'œuvre  de  Palladini, 
dans  le  texte  latin  ou  dans  une  traduction,  dans  un  manuscrit  ou 
dans  un  imprimé?  La  collation  d'un  passage  pris  au  hasard  suffit 
pour  prouver  qu'il  a  copié  la  traduction  française  du  P.  Ferget, 
laquelle  n'a  paru  pour  la  première  fois  qu'en  novembre  1481,  sui- 
vant Brunet,  5e  édit.  t.  V,  p.  81  : 

«  Le  procès  de  belial  a  lencontre  de  ihexus  :  au  r*  du  dernier  feuillet. 
Cy  finit  le  liure  nomme  la  consolacion  des  pouures  pécheurs  nouuelle- 
ment  translaté  de  latin  en  francoyS  par...  frère  pierre  Jerget,  docteur  en 
théologie  de  l'ordre  des  Augustins.  Auquel  liure  est  co[n]tenu  ung  pro- 
cès esmeu  p.  une  manière  de  conte[m]placion  entre  Moyse  procureur  de 
ihucrist  d'une  part,  et  belial  procureur  de[n]fer  de  l'autre  part....  L'an  de 
grâce  mil  cccc  lxxxi  (1481)...  Et  au  VIIIe  jour  de  novembre  a  este  fine  ce 
présent  liure.  »  —  In  folio  gothique  de  164  f.  à  longues  lignes,  —  proba- 
blement imprimé  à  Lyon. 

Partant,  les  mystères  rouergats  sont  postérieurs  à  1481,  et  le 
Jugement  de  Jésus  nous  obligera  à  descendre  probablement  beau- 
coup plus  bas.  Suit  la  démonstration. 


LE  JUGEMENT  DE  DIEU  DE  MODANE 


Le  Jugement  dernier  a  été  représenté  à  Modane  (Savoie)  en  15^2, 
i5y4  et  I^8o  (cf.  F.  Mugnier,  le  Théâtre  en  Savoie,  Paris,  Cham- 
pion, 1887,  in-8°  p.  5).  Le  manuscrit  autographe  qui  a  servi  à  la 

1.  Le  débat  rouergat  ne  venait  donc  pas  d'un  mystère,  comme  le  pensait  M.  Wil- 
motte.  Les  Passions  allemandes  du  Rhin,  page  98,  note  3. 


I.E    JUGEMENT    DE    MODANE  il' 

représentation  de  t58o  et  une  copie  mise  an  net  de  ce  brouillon, 
ont  été  succinctement  analysés  ainsi  par  M.  de  Costa  (Mémoires 
de  V Académie  de  Savoie,  ae  série,  t.  V  (1862),  p.  cxxvi-cxxvii). 
«  Dans  cette  étrange  composition  figurent  ia3  personnages.  On 
y  fait  intervenir  Dieu  lui-même  et  la  Sainte  Vierge,  Satan.  l'An- 
téchrist, Proserpine,  les  Péchés  capitaux,  la  Mort  et  les  Vertus 
théologales,  Balaam,  Holoferne,  les  rois  Gog  et  Magog,  «les  ou- 
vriers, des  cardinaux,  des  moines,  des  nonnains  ('garées.  Après 
l'invocation  suivante  :  Jésus  et  Maria  huic  àdsint principio ,  suit 
le  programme  du  spectacle  exposé  par  un  acteur  qui  prend  le  titre 
de  Messagier.  Voici  les  derniers  vers  de  ce  préambule  : 

Tout  premier,  Dieu  fera  haussier 
La  mer  bien  hault,  et  puis  baysser, 
Et  les  bestes  de  plusieurs  sortes 
Tumberont  sur  la  terre  mortes. 
La  mer  fera  grands  mouvements 
Et  les  poissons  grands  hurlements. 

....  Enfin,  après  avoit  fait  pressantir  au  dévot  et  noble  auditoire 
«  qui  Mec  était  congregié  »  toutes  les  merveilles  qu'il  lui  seroit 
donné  de  voir  et  d'entendre,  le  messagier  s'arrête  en  réclamant 
l'ordre  et  le  silence  : 

Et  je  vous  prie,  grands  et  petits, 
Jeunes  et  vieux,  pleins  de  prudente, 
Que  vous  ayez  tous  patience 
Et  puis  en  paix  soyez  assis.  » 

Ces  indications  sullisent  pour  comparer  le<  textes  perdus  de 
Modane  1  i58o)  au  manuscrit  i5,o63  de  la  B.  X.  dont  l'analyse  reste 
entièrement  à  faire. 

Si  l'on  <>u\  re  ce  manuscrit,  on  constate  d'abord  que  par  la  faute 
du  relieur,  les  feuillets  ont  été  réunis  dans  le  plus  grand  désor- 
dre. Le  Ms.  contient  non  seulement  la  troisième  journée  du  Juge- 
ment, mais  des  fragments  étendus  de  la  seconde  qui  se  trouvent 
actuellement  à  la  lin  du  volume,  après  la  3'  journée. f.68r  agi  \  . 

Ce  Manuscrit  lui-même  esl  un  original  d'une  abominable 
écriture  de  la  lin  du  stvi«  siècle,  le  premier  brouillon  de  l'au- 
teur qui,  après  avoir  griffonné  son  texte,  j   a  intercalé  en  marge 


416  LE   JUGEMENT   DE   MODANE 

de  nombreuses  additions  ou  corrections.  Puis,  non  content  de 
cette  double  rédaction,  il  y  a  incorporé  des  feuillets  séparés 
avec  des  renvois,  triangles,  croix,  losanges,  rectangles,  étoiles, 
grâce  auxquels  on  finit  par  rétablir  la  correspondance  des  rimes. 
Ceci  fait,  on  constate  que  le  Ms.  ne  contient  pas  les  vers  du 
prologue  cités  par  M.  de  Costa,  mais  rigoureusement  tous  les 
personnages  de  son  énumération  et  bien  d'autres,  sauf  les  car- 
dinaux et  les  nonnes  égarées  qu'il  a  été  facile  d'ajouter  à  une  des 
reprises  de  la  pièce.  Il  en  résulte  que  le  Ms.  est  bien  un  des  brouil- 
lons du  mystère  joué  à  Modane  en  i58o,  et  qu'il  n'est  guère  anté- 
rieur à  cette  date  puisqu'il  contient  de  longues  attaques  contre  la 
Réforme  «  et  la  Bible  en  notre  langage  ».  Les  trois  journées  du 
mystère  devaient  comprendre  environ  vingt  mille  vers.  Les  cinq  à 
six  mille  vers  conservés  (environ  70  vers  par  feuillet  r°  et  v°  sans 
compter  les  surcharges)  se  répartissent  ainsi  : 

La  première  journée,  qui  devait  exposer  la  naissance  miraculeuse  et 
les  conquêtes  rapides  de  l'Antéchrist,  a  complètement  disparu.  L'auteur 
y  avait  vraisemblablement  suivi  soit  le  traité  connu  d'Adson,  soit  le 
Traité  de  l'avènement  de  V Antéchrist  imprimé  par  Antoine  Verard  en 
1492,  ou  quelque  autre  livre  populaire  ;  ils  pullulent. 

La  seconde  journée,  en  partie  conservée,  représentait  la  persécution 
de  l'Antéchrist  et  les  fameux  quinze  signes  de  la  fin  du  monde.  —  Frag- 
ments conservés,  fol.  68  r°  à  91  v°.  «  Les  gendarmes  des  rois  Gog  et  Ma- 
gog,  vassaux  d'Antecrist,  ravagent  l'univers,  suivant  la  prédiction  d'Eze- 
chiel  (XXXVIII,  14,  et  XXXIX.  1-6).  Soudain  Dieu  les  extermine  dans  un 
déluge  de  feu(f.  68  r°—  71  r°)  et  les  diables  s'empressent  de  recueillir  leurs 
âmes  (f.  72  \°).  —  Un  trompette  vient  rapporter  le  désastre  à  lAntecrist 
quis'exaspèreetrepousseles  avertissements  des  prophètes Enoc  etHélie. 
Il  les  ferait  arrêter  sur-le-champ,  s'il  n'était  plus  urgent  d'enterrer  les 
cadavres  dévorés  par  les  bêtes  et  les  oiseaux  de  proie.  Une  bande  de 
«  coquins  »  procède  à  cette  opération  '  «  pendant  plus  de  sept  mois  » 
(f.  75  r°).  —  Ce  premier  signe  n'ayant  pas  suffi,  Dieu  le  Père  «  pour 
finer  »  décide  de  changer  la  couleur  du  soleil  et  de  la  lune  et  de  faire 
tomber  les  astres  du  ciel  (f.  75  v°).  —  Les  païens,  c'est-à-dire  Alchoran, 
Japhet,  Ismael,  un  a  philosophe  »,  dissertent  à  ce  sujet  sur  les  éclipses  ; 
quelques  «  chevaliers  »  plus  sages  les  exhortent  à  faire  pénitence,  et  le 


1.  Ces  scènes  de  croque  morts    et   de  fossoyeurs   paraissent  avoir  été  mises  à  la 
mode  par  le  Mistère  du  viei  Testament. 


LE   JUGEMENT   DE   MODA.NE  417 

philosophe  s'y  résout,  car  il  attend  la  fin  du  monde  (f.  77  r°).  —  De  leur 
côté  les  Juifs,  Manassès,  Phares,  les  charpentiers,  les  massons  et  leurs 
serviteurs,  les  «  hourgeois  »  et  les  «  citoyens  »  se  réfugient  dans  les  ca- 
vernes des  montagnes  (f.  79  r°;  où  Enoch  et  Elie  viennent  leur  prêcher 
le  christianisme  (f.  79  v°).  —  Beaucoup  se  convertissent,  malgré  Balaan 
qui  leur  reproche  leur  apostasie  (f.  86  r°),  et  sont  recueillis  par  «  les 
bons  prélats  »  (f.  85  v°).  —  Un  enseigne  et  Anagoras  viennent  prévenir 
l'Antecrist  qui  envoie  aussitôt  le  farouche  Holofernés  massacrer  les 
convertis  dont  les  âmes  sont  recueillies,  suivant  l'usage,  par  les  Anges,  et 
les  corps  enterrés  par  une  nouvelle  bande  «  de  coquins  »  (f.  89  r°).  — 
Holofernés  ramène  cependant  prisonniers  Enoch  et  Elie,  lesquels  de- 
mandent à  l'Antéchrist  de  réunir  devant  lui  tons  les  chrétiens  survivants, 
et  recommencent  une  longue  prédication  entremêlée  de  miracles,  qui 
sont  coupés  court  heureusement  par  la  fin  du  manuscrit  (f.  91  v°). 

La  troisième  journée  ou  le  Jugement  dernier  est  intacte.  Elle  s'ouvre 
par  un  nouveau  prologue  du  Messager  et  continue  par  une  diablerie 
(f.  3  v°).  —  Sathan  dit  à  Lucifer  que  maintenant  que  la  terre  est  détruite 
par  le  feu,  le  jugement  ne  tardera  guère  et  tous  deux  se  promettent  d'es- 
tre  «  sur  ce  fait  attentifs  ».  —  Dieu  le  Père  charge  le  Fils  d'aller  juger 
la  Création  ;  Jésus  descend  du  ciel  avec  la  Vierge  Marie  et  la  Justice,  et 
envoie  les  quatre  Anges  réveiller  les  morts  qui  surgissent  de  leurs  tom- 
beaux, les  bons  déjà  transformés,  glorieux,  les  mauvais  horribles,  dif- 
formes l  (f.  6  r°). 

Mais  c'est  aux  démons  d'ouvrir  le  feu.  Lucifer,  Satan,  Beric,  Belial, 
Mammona,  la  trompette  d'enfer,  Bouflard,  l'Enseigne  d'Enfer,  Belzé- 
buth,  Aslarot,  Malcaron,  toute  l'armée  infernale  tient  conseil.  Satan  ex- 
prime l'espoir  que  le  jugement  dernier  va  finir  leurs  peines  et  les  rame- 
ner tous  en  Paradis  2,  mais  la  Mère  des  diables :i  n'en  croit  rien  (f.  8r°). 
—  La  suite  de  cette  longue  diablerie  a  été  remaniée.  Dans  la  première 
rédaction,  les  diables  se  rendaient  immédiatement  au  jugement  et  étaient 
condamnés  séance  tenante.  —  Dans  la  seconde   rédaction  (f.  8  r"  rac- 

i.  Trait  emprunté  ;i  lu  Vita  Christi  de  Lupold  le  Chartreux,  Part.  II.  cap.  8;  :  iNam 
mali  Burgenl  déformes,  etc.  » 

2.  Lieu  commun  déjà  développé  dane  le  poème  Franco-italien  de  ia5i  (B.  de  l'Arse- 
nal. Ms.  10î:>  —  Il  \it-ni  de  la  Cité  de  Dieu  de  S.  Augustin  1.  XXI,  cap.  vj  (Patr. 
Migne,  t.  XI.I,  col.  j3ï.  «  Origenes  qui  el  Ipsum  diabolum  atqûe  angelos  ejus  posl 
graviora  pro  meritis  supplicia  ex  illi>  cruciatibus  eruendos  atque  sociandos  sanctis 
Angelis  credidit. ..  »  ei  a  été  souvenl  repris  par  les  hérésiarques  du  moyen  âge  (cf. 
Baluze,  Miscellanea,  t.  II.  988),  ei  d'Argentré. 

'}.  La  Mère  des  diables  esl  identique  a  la  Farfara  mater  des  Afyst.  <il[iiris.  expliqi 

par  A.  Jeanroy,  Romania  [8q4j  p-  ",;,i'  r|  '  Mallefin,  mère  des  petits  diables  dans  le 
Mystère  de  Bien  adviséet  Maladvisé.  Voir  l'analyse  des  Fr.  I'. niait. 

27 


418  LE    JUGEMENT   DE   MODA.NE 

cordé  à  f.  25  r"  et  f.  intermédiaires),  Satan  et  Proserpine  entraînent  avec 
eux  les  «  sept  Péchés  dits  malheureux  »,  Orgueil,  Avarice,  Gourman- 
dise, Luxure,  Ire,  Envie.  Paresse,  qui  se  lamentent  l'un  après  l'autre,  et 
sont  accablés  de  reproches  par  les  Vertus  correspondantes.  Jésus  met 
fin  à  ces  invectives  traditionnelles  ]  en  invitant  les  sept  Vertus  à  monter 
auprès  de  lui  sur  son  tribunal  «  sans  séjourner  »,  ce  qui  prend  encore 
deux  bonnes  pages,  et  le  lugubre  défilé  commence. 

C'est  d'abord  Judas  qui  se  promenait  depuis  quelque  temps  au  pied  de 
l'estrade,  en  enviant  le  sort  des  Apôtres,  ses  anciens  compagnons.  In- 
terpellé par  le  Souverain  Juge  sur  sa  trahison,  il  se  défend  fort  mal  et 
est  emmené  par  Sathan  (f.  18  v°).  —  La  même  scène  se  répète  pour 
l'Antéchrist,  qui  après  son  interrogatoire  est  emmené  par  Belial 
(f.  20  v°) 2.  —  Un  double  rectangle  marginal  nous  invite  à  chercher  in 
fine  libri  le  Mauvais  Riche,  Nabal :!,  que  nous  trouvons  f.  66  r°,  et  qui 
comparaît  avec  Caïn  *.  Tous  les  deux  condamnés  sont  entraînés  par  les 
diables  Astaroth  et  Roufflard  (f.  67  r°).  —  En  revanche,  Jésus  fait  mon- 
ter au  Paradis  Adam,  Eve  (f.  25  v°),  Sarra,  Rebecca  et  Zathel  qu'un 
triangle  nous  oblige  à  aller  chercher  f.  67  v°,  et  qui  reçoivent  les  félici- 
tations de  l'archange  saint  Michel  (f.  26  r°). 

Aussitôt  après,   le  premier  Ange  mande  les   Juifs   représentés   par 


i.  Ces  invectives  devaient  être  la  conclusion  ordinaire  de  la  Bataille  des  Vertus  et 
dès  Vices  qui  lut  si  souvent  représentée  dans  les  mystères  mimés  et  autres  (Tours, 
juillet  i3gn:  Paris,  devant  S.  Ladre,  à  l'entrée  de  Charles  VII,  12  nov.  i4'3-  ;  it.  Paris, 
2  juillet  I46S,  entrée  de  Louis  XI). —  Il  est  à  noter  que  ces  moralités  subsistèrent 
dans  le  midi  de  la  France  quand  le  Nord  les  avait  déjà  abandonnées.  En  i58t>,  le  Dau- 
phinois Benoît  Voiron  faisait  encore  jouer  la  rarissime  «  Comédie  françoyse  »  intitu- 
lée Venfer poétique,  sur  les  sept  péchez  mortels,  at  sur  les  sept  vertus  contraires... 
Lyon,  Ben.  Rigaud,  i586,  in-8°  bas.  (B.  de  Besançon,  B.  L.  3,540.  Dans  les  mystères 
mimés  pour  le  3e  centenaire  de  S.  Vincent  Ferrer  à  Valence  (Espagne)  1362,  et  dont  la 
description  remplit  près  de  45o  p.  in-4°,  le  char  des  menuisiers  portait  encore  les  sept 
Vertus  tenant  les  Vices  enchaînés. 

2.  Judas  et  l'Antéchrist  sont  réunis  au  jugement  dernier  d'après  Hincmar  de  Reims 
(Patr.  Migne,  t.  125,  p.  280-281). 

3.  Nabal  est  celui  qui  refusa  des  vivres  à  David  affamé  (Reg.  I,  cap.  a5  v.  4>jn)- 

4.  Pour  ce  nom  et  beaucoup  d'autres  suivants,  comparer  le  curieux  jugement  im- 
primé par  Ant.  Verard  dans  l'Art  de  bien  vivre,  etc.,  1492  (B.  Nat.  Rés.  D.  85^)  f.  n.  iii 
r*  et  v  :  «  La  premièrement  viendra  Adam  avecques  tous  ses  enfants,  postérité  et 
lignée,  lesquelz  auront  creu  en  Dieu  et  qui  l'auront  servi  et  honnoré.  Abraham 
viendra  avec  tous  les  saincts  patriarches,  Ysaïe  avecques  tous  les  sainetz  prophètes. 
David  avecques  tous  les  bons  rois...  Et  Lucifer,  Sathanas,  Asmodeus,  Beelzebuth  et 
autres  capitaines  de  Enfer  vieddront  avecques  tout  l'exercice  de  enfer...  Viendra 
Cayn,  avec  lesditz  Dyables,  lequel  occist  son  frère  Abel  avecques  les  homicides,  et 
Judas  avecques  tous  les  traistres,  Pilate  avec  tous  les  faulx  juges  injustes,  Herodes 
avecques  tous  les  roys  et  princes  iniques  oppresseurs  des  innocens,  Barrabas  viendra 


LE    JUGEMENT    DE   MOOANE  419 

Mariasses,  qui  implore  en  vain  la  justice  divine  (f.  26  r").  Moïse  ',  saint 
Simon,  saint  Judas  Thadée  le  confondent  en  lui  rappelant  les  anciennes 
prophéties.  Jésus  (f.  27  v°)lui  reproche  son  obstination  à  lui  et  à  Phares, 
un  autre  savant  ou  docteur. 

Manassés  réplique  que  rien  ne  prouvait  la  mission  divine  du  Christ  : 

Deceuz  certes  avons  esté; 
Vouz  voyant  boire  et  manger, 
Avec  les  pécheurs  converser  ; 
Nous  vous  pensions  estre  pécheur, 
Et  de  quelque  secte  semeur  (f.  27  v°). 

Les  «  pauvres  gens  »,  c'est-à-dire  les  charpentiers  et  les  massons,  se 
divisent  sur  cette  objection.  Saint  Paul,  saint  Jean-Baptiste,  saint  André, 
saint  Jacques  le  Majeur,  la  Vierge,  saint  Jean  Evangéliste  la  résolvent 
à  grand  renfort  de  textes  théologiques  (f.  29  v°)  :  le  Christ  fait  placer 
«  les  meschans  Juifs  »  à  sa  gauche,  et  «  les  bons  »  à  sa  droite  (f.  30  r"). 
—  Tandis  que  saint  Michel  renouvelle  ses  félicitations  aux  élus,  les 
diables  Belzebuz,  Malcharon,  Belial,  Astaroth,  Satan  redoublent  de  sar- 
casmes (f.  31  r°), 

Le  deuxième  Ange  va  chercher  ensuite  «  Payens,  turcz  et  tous  mes- 
creans  ».  Alchoran  et  Japhet  protestent  d'avance  contre  leur  condamna- 
tion imméritée.  Ismahel  et  «  le  philosophe  »  (f.  32  r")  les  réfutent,  saint 
Thomas  et  saint  Philippe  les  accablent.  Le  Christ  fait  de  nouveau  sépa- 
rer les  bons  et  les  mauvais  païens.  Nouveaux  compliments  de  saint 
Michel  aux  Elus,  et  menaces  des  diables  Béric,  Sathan  et  Mammona 
(f.  34  r°)  aux  damnés. 

Sur  l'ordre  du  troisième  Ange,  les  bons  pasteurs  s'avancent  avec  «  les 
bons  sujets  »  ou  les  ouailes  fidèles  à  qui  saint  Michel  promet  le  Paradis 
(f.  35  v°). —  Le  quatrième  Ange  leur  fait  succéder  «  les  mauvais  prélats  > 
qui  sont  rétorqués  par  saint  Jacques  Mineur,  saint  Philippe,  saint  Bar- 
tholomé,  saint  Mathieu,  saint  Symon,  saint  Jude  Thadee,  la  Vierge,  dont 
le  rôle  a  été  définitivement  effacé  et  rendu  à  saint  Mathieu  (f.  37  v°),  et 


aussi  avecques  tous  les  larrons,  Lameth  arecques  tous  le-  adultères,  Nembroth 
avecques  tous  les  usuriers,  Giesy  avec  tous  les  injustes  et  f.mK  marchands,  Symon 
Magus  avec  ions  Les  simoniacles,  Athalia  la  meurtrière  avec  toutes  les  meurtrières 
des  enfans,  lesabel  avec  toutes  les  ribauldes...  >• 

i.  «  Esl  qui  \os  accusai  Moyses  in  quo  speratis.  Joann.,  V.  v.  (&).  Texte  souvent 
développe,  notamment  dans  L'apocryphe  de  Sulpice  Sévère  mit  Le  Jugement  dernier 
(l'air.  Migne,  XX,  p.  aa3).  el  dans  la  pièce  du  Jugement  dernier  d<-  Hans  Sachs  (éd. 
Ail .  von  Keller,  is-s,  i .  XI)  où  Moïse,  accusateur  public,  m-  consacre  pas  moins  de  3n> 
vers  a  commenter  le  Décalogue. 


420  LE  JUGEMENT  ROUERGAT 

par  les  fidèles,  laboureurs  et  autres,  qu'ils  ont  peu  ou  mal  enseignés.  C'est 
en  vain  que  l'un  de  ces  mauvais  prélats  s'excuse  sur  l'exemple  d'Eve  et 
d'Adam  qui  ont  péri  en'la  garde  de  Dieu  lui-même,  et  un  autre  sur  la 
Réforme  : 

Et  quant  à  moi  certes  je  pense 

Que  la  Bible  en  nostre  langage 

Nous  a  porté  fort  grant  dommage 

Car  nous  n'avons  peu  bien  comprendre 

Le  vray  sens  que  debvions  entendre  (f.  37  r°). 

Les  prélats,  les  moines  apostats  qu'il  faut  aller  chercher  f.  14  v°,  les 
esprits  forts  comme  Anagoras,  les  hérétiques  et  schismatiques  sont  con- 
damnés en  masse,  et  amèrement  raillés  par  Roufflard,  l'Enseigne  et  le 
Tromoette  infernal.  Seul,  saint  Pierre  a  quelque  pitié  des  pauvres  gens 
qui  ont  pensé  que  la  foi  pouvait  justifier  sans  les  œuvres,  mais  Belzébuz, 
Malcharon  et  Astaroth  n'en  ont  aucune  (f.  40  vc). 

Le  premier  ange  appelle  «  en  avant  les  rois,  empereurs,  princes  et 
gouverneurs  ».  Les  bons  rois  remercient  Dieu  par  la  bouche  du  «  2"  Roi 
des  Europpéens  »  (f.40v°)  ;  mais  les  mauvais  roisquileur  succèdent  avec 
les  faux  juges  sont  accablés  par  les  Apôtres  et  livrés  aux  insultes  des 
diables  (f.  44  v°). 

Viennent  ensuite  les  confessions  très  peu  édifiantes  d'Athalia  et  de  Je- 
sabel.  auxquelles  saint  Mathias,  saint  Thomas,  saint  Jude,  saint  Thadée 
imposent  à  grand'peine  silence.  Malcharon,  la  Mère  d'Enfer,  Belial  les 
entraînent  (f.  47  v°),  et  Jésus  annonce  la  condamnation  des  sept  Péchés 
maudits,  qui  prononcent  chacun  leur  couplet  de  lamentations  (f.  50  r°). 
■ —  11  ne  reste  plus  qu'à  décider  du  sort  des  petits  enfants  enfermés  à  ja- 
mais dans  les  limbes1  que  Justice  proscrit  et  que  Miséridorde  console. 
Suit  sncore  la  délivrance  des  âmes  du  Purgatoire  auxquelles  les  Evan- 
gélistes  et  les  Docteurs  rappellent  les  textes  qui  ont  promis  leur  salut, 
bientôt  confirmé  par  Jésus  et  célébré  par  saint  Michel  (f.  55  v°).  —  Jus- 
tice, armée  du  glaive  et  de  la  balance,  invite  alors  Jésus  à  prononcer  la 
sentence  définitive.  Il  appelle  à  lui  les  élus  qui  s'élèvent  avec  lui  dans  les 
airs,  dit  la  didascalie,  au  milieu  des  malédictions  des  damnés  et  des 
chœurs  célestes  (f.  56  v°).  «  Hic  ascendant  omnes  electi  ad  Christum  in 
aéra,  id  est  in  theatrum  médium,  maneant  in  theatro   infimo  daemones 

i.  Question  souvent  reprise  par  les  théologiens  du  xvi«  siècle.  Cf.:  Exacli>sima 
infantium  in  limbo  clausorum  querela  adversus  divinum  judicium...  Autore  Antonio 
Cornelio juris  utriusque  Licenciato  doctus...  Paris,  Chrest.  Wechel,  lô'ii,  in-4°  B.  Nat. 
Invent,  D.  3;8'5.  —  C'est  encore  un  de  ces  procès  analogues  à  celui  de  Belial  et  qui 
prouvent  la  persistance  du  genre. 


LE    JUGEMENT    ROUERGAT  il'l 

cum  damnatis,  canant  angeli.  »  —  Du  haut  du  ciel  les  Anges  montrent  les 
instruments  de  la  Passion  (f.  53  v°).  —Judas.  l'Antéchrist.  Athalia,  Jesa- 
bel,  tous  les  damnés  et  tous  les  démons  de  la  pièce  exhalent  une  der- 
nière  fois  leurs  malédictions  (f.  62  v°).  --  Enfin  Jésus  n-monte  au 
Paradis,  avec  le  cortège  des  bienheureux  qu'il  amène  à  >on  Père 
(f.  63  r°).  —  Les  Apôtres  célèbrent  longuement  la  gloire  des  cieux 
(f.  63  v°  —  65  r°),  et  le  Messagier  conclut  en  souhaitant  le  Paradis  à  i'as- 
sistance  ou  à  la  «  compagnie  benedicte  »  (f.  66  r°). 

Tel  est  le  Jugement  de  Modane,  un  des  derniers  et  des  plus 
faibles  spécimens  des  mystères  qui  résistaient  à  tous  les  arrêts  des 
Parlements  et  des  conciles  provinciaux.  Si  faible  qu'il  soit.il  nous 
a  été  utile  puisqu'il  nous  a  mis  sur  la  voie  du  modèle  consulté  par 
l'auteur  du  Jutgamen  gênerai  rouergat.  Que  l'on  compare  les 
deux  pièces,  on  constatera  d'abord  que  les  noms  des  chefs  de  file 
ou  des  personnages  qui  constituent  les  divers  groupes  amenés  au 
jugement  y  sont  très  différents.  (Test  que  l'auteur  rouergat  s'est 
contenté  d'employer  dans  son  Jugement  les  divers  acteurs  qui 
avaient  figuré  dans  les  pièces  précédentes  de  sa  collection,  notam- 
ment ce  mystérieux  Dalphinas  venu  en  droite  ligne  de  la  Passion 
Didot.  Au  contraire,  l'auteur  savoyard  a  emprunté  en  grande 
partie  ses  noms  aux  traditions  populaires  sur  le  jugement  dernier; 
la  [dupait  se  retrouvent  soit  disséminés  dans  la  Patrologie  latine 
de  Migne  et  ailleurs,  soit  même  réunis  comme  dans  rémunération 
si  curieuse  imprimée  par  Ant.  Verard  en  149a1. Ce  ne  sont  pas  seu- 
lement  les  noms,  mais  les  développements  qui  diffèrent.  Les  dis- 
cours de  Modane  sont  infiniment  plus  longs  et  plus  hérisses  de 
citations  théologiques  ;  à  ce  détail  près,  la  procédure  suivie  esl 
identique,  et  les  quatre  groupes  de  damnés  et  d'élus  défilent  rigou- 
reusement dans  le  même  ordre  que  chez  l'auteur  rouergat. 
Qu'est-ce  à  «lire  sinon  que  les  deux  pièces  ont  un  modèle  commun 
qui  est.  nous  l'avons  dit,  un  épisode  du  long  Procès  tir  Belial? 
Seulement  à  ce  modèle  l'auteur  savoyard  n'a  guère  pris  qu'un 
cadre,  et  ce  cadre,  il  l'a  rempli  à  sa  façon  :  tandis  que  le  lîoiiergat 

s'était  borné  à  copier  servilement  la  traduction  française  du  P. 
l-'erget.  Il  n'y  avait  guère  ajouté  que  quelques  détails  sur  le  sup- 
plice des  Péchés  capitaux  simplement  annoncé  par  Son   modèle,  et 

1.  Voir  précédemment,  p.  [18,  note  i. 


422  LE  JUGEMENT  ROUERGAT 

une  historiette  sur  le  châtiment  d'un  usurier  empruntée  à  Vincent 
de  Beau  vais  \  C'est  peu  et  c'est  tout.  Il  n'y  a  plus  qu'à  donner 
les  preuves  matérielles  de  ces  assertions. 

Le  très  long  Processus  Belial  est  assez  bien  résumé  dans 
Y  Avant-Propos  (reproduit)  d'une  des  premières  éditions  alleman- 
des (i475),  et  dans  un  ouvrage  plus  commun,  le  Dictionnaire  his- 
torique de  Prosper  Marchand,  t.  II,  p.  117  ;  les  innombrables  édi- 
tions et  traductions  dans  toutes  les  langues  de  l'Europe  sont  indi- 
quées par  Panzer,  passim.  notamment  t.  V,  p.  258-259,  et,  pour 
les  éditions  françaises,  Brunet  (5e  édit.  t.  V,  p.  81  et  suiv.)  suffit. 

Nous  nous  bornerons  donc  à  donner  :  i°un  fragment  quelconque 
du  Processus  Belial  latin  de  i382  ;  20  le  fragment  correspondant  de 
la  traduction  française  du  P.  Ferget  (1/481)  ;  3°  les  titres  des  chapi- 
tres de  cette  trad.  du  P.  Ferget  que  l'auteur  rouergat  a  copiés  in 
extenso  dans  le  J  ut  g  amen  gênerai  et  en  partie  dans  son  mystère 
de  l'Ascension. 


1.  Spéculum  morale.,  1.  III,  part.  3.  p.  818  «  De  suppliciis  reproborum  :  Quidam 
vidisse  refertur  quemdam  usurariam  sepultum  in  inferno.  Cum  autem  anima  iilii 
defuncti  dcscenderet  illuc,  pater  hoc  videns  ejulando  clamabat,  maledicta  sit  hora, 
fili,  in  qua  te  genui,  etc...  »  Cf.  Mystères  provençaux  (rouergats)  p.  282,  note: 
«  He,  mon  payre,  maudit  sias  tu  !  »  etc.  Le  passage  semble  avoir  été  ajouté  par  un 
réviseur. 


PROCESSUS  BELIAL 

Jacobi  de  Theramo  (alias  de  Ancharano)  liber  qui  consolatio  peccato- 
rum,  et  vulgo  Belial  appellatur.  (Coloniae,  Is.  Veldener.  circo  1475j, 
in-fol.  m.  r.  goth.),  (catalogue  La  Vallière,  1,  226,  n°  645). 


Geruinus  Cruse  Johanni  Veldener,  artis  impressoriae  magistro, 
salutem.  «  Cum  tibi  suasum  esset  a  nonnullis  ut  pro  tua  ac  ementium 
utilitate  librum  qui  consolatio  peccatorum  et  vulgo  belial  nuncupatus 
imprimeres,  edoceri  a  me  quid  in  se  haberet  postulasti.  Noveris  ergo, 
carissime  mi,  in  illo  totuin  iuditiarii  processus  practicam  cum  allegatio- 
nibus  jurium,  in  quibus  hec  fundatur  in  materia  devota,  puta  redemptio- 
nis  bumani  generis,  compendiose  relucere,  duas  si  quidem  continet  ins- 
tantias.  In  prima  agit  Belial  procurator  infernalis  contra  Moysen,  Jhesu 
Salvatoris  nostri  proc.uratorem,  coram  Salomone  judice,  supra  spolio. 
In  secunda  Joseph,  filius  Jacob  patriarcbae,  vicarius  regni  Egipti  a  sancta 
sede  divina  delegatur,  et  causa  pendente,  partes  ad  requestum  régis 
David  in  arbitros,  puta  in  Octavianum,  Jeremiam  et  Ysaiam  conpromit- 
tunt  et  fertur  sententia  arbilralis.  Sane  qui  processus  hune  diligenter 
noverit  uberrimum  inde  fructum  reportabit  :  non  enim  solum  quid  in 
singulis  cujuslibet  processus  partibus  fie  ri  debeat,  sed  qualiter  id  ipsum 
fiât  per  formula  m  autenticam  apertissime  cognoscet.  Aude  ergo,  colen- 
dissime  mi,  et  suasum  tibi  opus  forti  animo  aggredere.  Vale.  Seriptum 
Colonie,  mensis  Augusti  die  septima,  anno  lxxiiij  ». 

Processus  Belial  (Lugduni".'  in-4°  (Cat.  des  Incunables  de  la  V.  de  Besan- 
çon, p.  672,  ii°  911.  Supplicatio  pro  salvatione  Luei/eri  '  (fol.  iiii  r°). 

Que  audiens  Lucifer,  incepit  diffidere  de  misericordia  Dei,  cum  aemo 
esset  qui  pi-o  eo  intereedeiet  ad  Dominum.  Illico  quemdam  angeloruni 
suorum  misit  ad  Mariam  virgineno,  matrem  judicis,  ut  ipsa  intercederel 
pro  eo  ad  judicem  filium  suum.  Quo  nuntio  accersito,  judicium  lilii  sui 
nunciavit  eidem,  et  inter  cetera  eam  rogavit  ut  dignaretur  apud  filium 
ejns  judicem  pro  Lucifero  intercedere  et  pro  tota  ruina  angelorum  pre- 
ces  effundere  dignaretur.  AitVirgo  :  Multum  libenter,  et  pro  eo,  et  tota 


i.  Comparer  le  texte  français   reproduit    plus   loin.  «  Comment  se  fera  supplication 
pour  Lucijer  et  l<i  Congrégation  infernàlle.   • 


424  LE   PROCÈS   DE    BELIAL 

ruina,  necnon  et  peccatoribus  altis  exorabo».  Et  petitis  virgineis  vesti- 
bus,  moxincomitiva  multorum  angelorum  ad  ejus  filiumiter  arripuit,  can- 
tando  :  Ave  regina  celorum,  ave  Domina  angelorum,  et  antequam  ibi 
venisset,  Virtutes  ad  hec  altercantabantur  ($ie)  et  dicebat  Justitia  : 
«  Tam  circumsisi  quam  baptisati  peccaverunt  contra  legem  meam.  et 
jurejurando  a  Deo  confirmatam  ;  ergo  non  habitabunt  in  tabernaculo 
Dei  »,  et  dicebat  Misericordia  :  o  Si  peccaverunt,  puniti  fuerunt,  ut 
supra  dictum  est  ». 

His  dictis,  nuntiatum  fuit  Judici  quod  mater  sua  veniebat.  Illico  assur- 
gens  rex  et  judex  ivit  in  occursum  ejus,  adoravitque  eam,  et  sedet 
super  thronum  suum,  positusque  est  tronus  matris  ejus  que  sedet  ad 
dexteram  ejus,  dixitque  ei  mater:  «  Petitionem  unam  parvulam  deprecor 
a  te  ;  ne  confundas  faciem  meam  ».  Dixit  ei  Rex  :  «  Pete,  mater  mea, 
neque  enim  pbas  est  ut  advertas  faciem  meam.  »  Que  ait  :  «  Fili  mi,  te 
Deum  et  bominem.  ego  servula,  pavi  lacté  meo,  ubere  de  celo  pleno  ', 
et  crescens  in  mundo  nunquam ,  fili,  faciem  tuam  a  peccatoribus 
avertisti  ;  comedens  et  bibens  cum  eis  dixisti  hec  tibi  improperantibus  : 
«  Non  veni  vocare  justos,  sed  peccatores.  »  Confitebor  tibi,  Domine  celi 
et  terre,  quod  hi  Christiani  peccatores  pessimi  fuerunt  et  longe  in  te 
peccaverunt,  sed  tamen,  Domine,  longius  Judei,  fratres  tui,  peccaverunt 
qui  crucifixerunt.  et  blasphemaverunt  te,  et  pendens  in  cruce  eis  peper- 
cisti,  dicens  :  a  Pater,  ignosce  eis  quod  nesciunt  quid  faciunt  ;  quanto 
magis  parcere  debes  cbristianis  tuis  qui  semper  de  tua  passione  dolue- 
runt,  et  matrem  tuam  semper  bonoraverunt  in  jejunio,  elemosinis  (sic), 
et  orationibus.  Grandes  fuerunt  misericordie  in  terris,  sicut  placeat  et 
nunc  in  celo.  Item,  Domine,  si  placeat,  restituatur  gratia  patris  tui,  Dei 
vivi,  Lucifero  et  ruine  angelorum,  quoniam  predictam  gratiam  ductus 
penitencia  multum  affectât.  »  Respondebit  Rex  et  dicet  matri  :  «  Quare 
mater,  postulas  gratiam  patris  mei  Lucifero  et  ruine  angelorum?  Pos- 
tula sibi  et  regnum.  Ipse  quesivit  patrem  meum  de  regno  ex  sua  super- 
bia  expoliare,  querit  et  ipse  nunc  humiliter  et  me  de  meo  expellere 
regno 

i.   Souvenir  des  Meditationes  Yiiae  Christi,  ch.  YI1. 


LE    PROCÈS    DE    BELIAL  4'i5 


TRADUCTION  FRANÇAISE 

du  Frère  Pierre  Ferget,  docteur  en  théologie  de  l'ordre 

des  Augustins  du  couvent  de  Lyon. 

Cy  commence  le  procès  Bellia  (sic),  etc.  :  fin.  p.  364  r°.  —  Imprimé  a 
Lyon  sur  le  Rosne  par  honnorable  Mathis  Husz  l'an  de  grâce  mil 
cccclxxxim  (1484).  et  le  XXe  jour  de  Mars  a  esté  finy  ce  présent  livre. 
—  (B.  de  l'Arsenal,  B.  4.  18,  260  in-fol.,  p.  331,  dernière  ligne.)  - 
(Autre  édition,  B.  Nat.  Réserve,  Y2  277.)  —  Comment  la  Vierge  Marie 
prie  pour  tous  pécheurs. 

Comparez  le  texte  du  Jutgamen  gênerai  rouergat,  f.  233. 

La  glorieuse  Vierge  Marie  toute  droicte  se  leva  en  faisant  honneur  a 
celuy  qui  est  son  père  et  son  filz,  son  Dieu  et  son  créateur,  et  lui  dist  : 
«  Mon  filz,  je  te  veulx  demander  une  petite  requeste,  en  toy  priant  que 
tu  ne  faces  confusion  en  moy  refusant  devant  ceste  grande  compagnie.  » 
—  Respondit  le  roy  :  «  Ma  mère,  demandés  ce  qu'il  vous  plaira,  car  il 
n'est  pas  licite  que  je  destourne  ma  face  de  devers  vous.  »  —  Adoncques, 
doulcement  elle  luy  dist  :  «  Mon  chier  filz,  toy  qui  es  Dieu  et  homme,  je, 
ta  povre  servante,  t'ay  alecté  de  ma  mamelle  pleine  de  lait  celestial,  et 
ay  conversé  avecques  toy  croissant  au  monde,  j'ay  veu  que  jamais  tu  ne 
as  destourné  ta  face  des  pécheurs,  mais  as  beu,  mengé  et  conversé  avec- 
ques eulx,  laquelle  chose  les  Juifz  te  ont  împroperé,  et  tu  leur  as  res- 
pondu  que  tu  n'es  pas  venu  appeller  les  justes,  mais  les  pécheurs,  c'est 
a  dire  que  tu  ne  es  pas  venu  au  monde  pour  les  justes,  mais  pour  les 
pécheurs.  Et  iceulx  mauvais  crestiens  grandement  contre  toy  ont 
péché,  mais  encores  plus  grandement  ont  péché  tes  frères,  les  Juifz,  les- 
quels te  ont  crucifié  et  blasphémé.  Toutesfois.  tu  estant  en  l'arbre  de  la 
croix,  tu  leur  pardonnas  et  si  prias  ton  père  en  disant  :  «  Pater  ignosce 
eis  quia  nesciunt  quid  jaciunt.  »  Par  plus  forte  raison,  tu  dois  pardon- 
ner a  tes  povre  s  crestiens,  lesquels  tousjours  ont  eu  douleur  de  ta  pas- 
sion, et  si  me  ont  honnoré  pour  honneur  de  toy,  et  sy  ont  accompli  les 
œuvres  de  miséricorde  en  faisant  jeusnes,  aulmosnes  et  oraisons 
ainsi  comme  îlz  ont  fait  miséricorde  en  terre,  je  te  prye  que  tu  leur  fa 
miséricorde  au  ciel.  Item,  je  te  prie  que,  s'il  te  plaist,  tu  retournes  Luci  - 
fer  et  toute  la  ruyne  des  anges  en  la  grâce  de  ton  père,  car  le  povre 
Lucifer  et  ses  compaignons  grandemenl  desirenl  avoir  grâce  et  miséri- 
corde. »  —  Respondra  le  roy  et  dira  a  sa  mère  :  «  Pourquoy,  mère, 
demande/,  vous  pour  Lucifer  et  la  ruyne  des  auges  la  grâce  de  mon 
père,  lequel  ilz  ont  voulu  defrauder  et  usurper  de  son  royaulme  par  leur 


426  LE   PROCÈS    DE   BELIAL 

orgueil  et  maintenant  quierent  semblablement  de  me  expellir  de  mon 
règne  et  seigneurie  ?  » 


TITRES  DES  CHAPITRES  DU  JUGEMENT  DERNIER 

dans  le  Procès  de  Belial  (trad.  Farget). 
Comparer  le  Jutgamen  gênerai,  p.  193  à  284,  vers  5376  à  8106. 

Cr  en  après  respond  Ysaïe  a  Jheremie.  p.  3^3,  fol.  s.  i.  à  page  33 g. 

Comme  Jhesucrist  fera  la  disposition  du  jugement  et  avra  Lucifer  et  le  saint  Michiel 
a  la  dextre,  et  a  senestre  seront  deux  anges  tenans  chescun  une  trompeté. 

Comment  roys  et  aultres  gens  accusent  Lucifer  (p.  279). 

Comment  les  maulvais  religieux  seront  jugez  de  Dieu. 

Comment  le  jugement  sera  fait  contre  les  empereurs  roys,  ducz  et  princes.  ». 

Comment  devant  le  juge  viendront  les  Juifz  pour  en  faire  jugement. 

Comment  les  payens  sont  appeliez  au  jugement  devant  Dieu  (p.  286). 

Comment  seront  jugez  les  maulvais  crestiens  et  premièrement  les  pasteurs. 

Comme  jugement  sera  fait  contre  les  juges,  advocatz  et  procureurs  et  autres  grans 
pécheurs. 

Comme  tous  ces  gens  responderont  au  souverain  juge. 

Comment  le  juge  respondra  aux  pécheurs. 

Comme  les  povres  pécheurs  mis  à  la  senestre  de  Dieu  griefvement  se  lamenteront 
(p.  3t3). 

Comment  se  fera  supplication  pour  Lucifer  et  la  congrégation  infernalle. 

Comment  la  vierge  Marie  prie  pour  tous  pécheurs  (p.  33i). 

Miséricorde  et  Justice,  p.  335  ;  Débat  de  la  Mort  et  de  la  Vie  (p.  336). 

Fin.  —  Et  en  telle  manière  fie  Juge]  reprendra  tous  les  Vices  mortels,  et  ensemble 
les  dampnera,  et  les  Vertus  exaulcera  sur  les  cuers  des  anges  (p.  339). 

Comment  la  sentence  des  arbitres  sera  gectée  pour  Jhesus  à  rencontre  de  Belial 
(p.  339). 

1.  A  noter  que  les  reproches  de  Dieu  aux  rois  dans  le  Procès  de  Belial  p.  3oo,  sont 
résumés  et  mis  dans  la  bouche  de  ces  sujets  eux-mêmes,  dans  le  Jutgamen  gênerai 
rouergat  p.  221,  et  que  Fauteur  rouergat  emploie  ici  les  acteurs  qui  ont  figuré  dans  ses 
pièces  précédentes  (lo  paralitic,  lo  boytos,  l'orb,  son  payre,  sa  mayre). 


L'ASCENSION    ROUERGATE 


Les  gravures  et  le  texte  du  Belial  nous  représentent  toute  une 
légion  de  diables  aux  noms  bibliques,  babilles  en  sergents,  procu- 
reurs et  avoués  de  la  Cour  de  Lucifer.  Le  compilateur  rouergat 
n'aurait  donc  pas  eu  grand  peine  à  recruter  son  personnel  d"enfer, 
si  d'ailleurs  tous  ces  noms  diaboliques  n'avaient  été  depuis  long- 
temps répandus  par  la  prédication  '  dans  tous  les  pays,  ou  plutôt 
si  tous  ces  diables  n'étaient  les  plus  anciens  et  les  plus  mobiles  des 
cosmopolites.  Dans  le  cas  particulier  il  est  donc  bien  difficile  de 
dire  au  juste  d'où  viennent  les  diables  qui  figurent  dans  le  Juge- 
ment dernier  rouergat,  mais  il  est  relativement  aisé  de  montrer 
que  V Ascension  qui  précède  a  été  inspirée  en  partie  par  le  même 
Procès  de  Belial.  Si  le  compilateur  rouergat  a   eu  l'idée  d'ajouter 


i.  Voici  déjà  tous  ces  noms  de  diables  avec  leurs  attributions  ingénieusement 
expliquées  dans  un  sermon  de  S.  Vincent  Ferrer.  Les  attributions  pourront  varier, 
comme-  L'explique  très  bien  A.  Jeanroy,  Romania,  iScj;.  p  556,  parce  que  sauf  pour 
Mammona,  et  un  peu  pour  Asmodeas,  il  ne  peut  «  y  avoir  en  cette  matière  qu'une 
tradition  extrêmement  Bottante  »  mais  les  noms  sont  les  mêmes  dans  les  théâtres  de 
tous  les  pays. 

«  Dominiid,  XV,  post  trinitatis .  Sermo  I.  «  Querite  primum  regnum Dei,  Math. 

VI.  —  Nos  inveniemus  in  sacra  Scriptura  septem  demones  <|ui  temptanl  de  septem 
peccatis  mortalibus  et  boc  solum  nominat  Christus  Mamonam.  Primus  est  Leviathan 
qui  temptal  de  superbia  <!«■  quo  Job  xli.  «  [pse  es!  rex  super  omnes  Uios  superbiae  . 
Secundus  el  Asmodeus  qui  temptat  de  luxuria  de  quo  TJwb.  III.  «  Demonium  Domine 
Asmodeus  occideral  eos  moi  ni  ingressi  fuissent  .ni  eam  »  scilicel  concupinam.  Icr- 
tius  qui  temptat  de  invidia  dicitur  Beelzebub  de  quo  Lac.  XI.  •  In  Beelzebub  principe 
demoniorum  ejicit  demonia  ».  Hoc  dixerunt  im  idi.  Quartus  qui  temptal  de  gula  dici- 
tur Beelfegor...  de  quo  dicitur  :  [nficiati  sunt  Beelfegor  et  comederunt  sacrificia  mor- 
tuorum.  /'s-  C.V.  Quintus  qui  temptal  de  ira  ci  facit  durare  corda;  dicitur  Baalberith 
de  quo  Judicam  IV  «  !><■  fano  Baalberith  conduxit  sibi  viros  ».  Sextus  qui  temptat  de 
accidia  dicitur  Astaroth  de  quo  in  i  Regum,  -  t  Auferb  deos  alienos  de  medio  vestri 
Baalim  <-t  Astaroth,  et  praeparate  corda  vestra  Domino...  »  SepUmus  qui  temptat  de 
avaricia  dicitur  Mai ta,  i  i  de  i-t"  loquitur  < :iui-tu>  bodle 


428  l'ascension 

une  Ascension  à  son  Jugement  dernier,  c'est  tout  simplement 
parce  qu'il  avait  vu  cette  suite  d'épisodes  dans  son  modèle  ordi- 
naire la  traduction  du  P.  Farget. 

Dans  le  mystère  de  l'Ascension  '  Jésus  vient  partager  le  repas 
de  ses  apôtres,  leur  donne  ses  dernières  instructions  dans  un  long 
sermon,  et  s'élève  au  ciel.  Les  Chérubins  placés  à  la  porte  du  Pa- 
radis s'étonnent  de  voir  apparaître  le  vainqueur  de  la  Mort  et  de 
l'Enfer  avec  les  stigmates  de  la  croix,  et  lui  refusent  d'abord  l'en- 
trée. 

Or  sa,  mesenhors,  qui  est  aquest 

Que  monta  an  vos  autres  tant  prest? 

Senbla  que  de  Eddon  el  vengua  2, 

Tant  es  roga  sa  vestimenta  (p.  91). 

Mais  Dieu  le  Père  accueille  son  fils  avec  transports  et  lui  promet 
d'envoyer  le  Saint-Esprit  aux  Apôtres,  tandis  que  la  cour  céleste 
entonne  des  hymnes  de  triomphe.  Aussitôt  après  la  descente  du 
Saint-Esprit,  Saint  Pierre  se  met  à  prêcher  sur  ce  texte  de  Saint 
Luc,  VII,  «  Qui  habet  aures  aiidiendi  audiat  »,  et  après  qu'il  en  a 
expliqué  le  sens  en  roman,  les  anges  commencent  à  chanter  : 

Revelha  te,  revelha,  fin  cuer  jolhy:!, 
So  que  mon  cuer  désira  no  es  pas  aisy! 


i.   Publié  à  part,  Bévue  de  philologie  française  et  provençale,  1895,  p.  80  à  116. 

1.  Versets  liturgiques  commentés  par  Pierre  de  Blois,  cap.  xx,  Testimonia  de  resur- 
rectione  Christi  (Patr.  Migne,  t.  207,  col.  848):  Resurrectioneni  Christi  Isaias  insinuât 
dicens  :  Quis  est  iste  qui  venit  de  Edom  etc.  Angelicae  potestates  resurrectionis 
Christi  gloriam  admirantes  aliis  angelis  dicunt  A  Itollite  portas,  etc..  Item  in  Isaia  (63) 
Quare  ergo  indumentum  tuum  rubruni  est? —  llieronymus  super  hune  locum  ubi 
dicitur  mine  rubrum  :  in  Hebraico  legitur  Edom,  non  loci  vocabulum  est,  sed  sangui- 
nis  ».  —  Item,  Pierre  Bereuire,  Répertoriant  morale,  t.  II,  p.  343,  Christi  ascensio. 

Tous  ces  versets  appliqués  tantôt  à  la  Résurrection,  tantôt  à  l:Ascension  au  Paradis, 

étaient  déjà  connus  de  Fauteur  de  la  Passion  Didot  copiée  dans  la  Résurrection  rouer- 

gate,  p.  io5,  v.  2812. 

CHERUBIN 

Ay  !  bel  senhor,  lie  don  venetz, 

Cubert  de  sanc 

3.  Cf.  le  Dialogue  nouveau  Jort  joyeul.x,  composé  par  Clément  Marot  vers  i54i  : 
Mon  cueur  est  tout  endormy, 

Resveille  moy  belle, 
Mon  cueur  est  tout  endormy, 
Resveille  le  niy. 


1. 'ascension"  429 

Saint  Pierre,  appliquant  celte  chansoD  française  à  son  auditoire, 
L'exhorte  à  se  réveiller  de  l'état  de  péché  et  à  appeler  le  grand 
médecin  »  qui  seul  peut  le  guérir  et  qui  prescrira  d'abord  un  bon 
Jolep,  puis  une  bonne  medesina,  et  enfin  une  bonne  diète  ou  un 
bon  régime.  Quand  il  a  développé  ces  trois  points.  Melchisedech 
au  nom  des  Romains  admire  sa  science,  et  les  assistants  îles  diver- 
ses nationalités,  dans  un  jargon  grotesque  qui  est  censé  représen- 
ter l'égyptien,  le  crétois,  l'arabe,  etc.,  s'étonnent  d'avoir  si  bien 
compris  un  sermon  rouergat. 

Reprenons  un  à  un  ces  divers  épisodes.  Pour  remplir  son  cadre, 
le  compilateur  rouergat  n'a  eu  qu'à  développer  les  indications  de 
trois  chapitres  '  du  Procès  de  Déliai  auxquels  il  a  emprunté  les 
citations  et  le  plan  du  discours  de  Jésus  et  les  réponses  des  apô- 
tres. —  L'Ascension  elle-même  et  l'entrée  au  Paradis  ont  été  tirés 
moitié  du  Procès  de  Belial,  moitié  des  versets  de  la  liturgie  de 
l'Ascension  si  souvent  commentés  dans  l'Ecole.  Le  sermon  de 
Saint  Pierre  lui-même,  ou  cette  comparaison  prolongée  entre  les 
formules  de  la  vieille  médecine  et  laguérison  du  pécheur,  provient 
suivant  toute  vraisemblance  du  même  enseignement.  En  effet  ce 
sermon  semi-médical,  semi-théologique  n'a  rien  d'original;  depuis 
saint  Augustin  \  il  a  été  refait  vingt  fois  par  les  prédicateurs  du 
moyen  âge3.  Saint  Vincent  Ferrer4  en  particulier  a  plusieurs  fois 
développé  ce  thème  avec  un  luxe  de  métaphores  qui  ressemblent 


i.  P.  341»  v«  à  3*>4  r*  de  la  traduction  citée  du  P.  Farget  :  Gomme  Moyse  présente  1rs 
lectres  de  l'arbitrage  a  son  seigneur.  Gommenl  Lhesucrisl  monta  es  cieulx  en  la  i>ro- 
sence  de  ses  apostres,  etc 

2.  S.  Augustin,  sermo  CLXXV  (Patr.  Migne,  (.  38,  col.  945):  .<  Si  venil  de  coelo 
magnus  medicus,  magnus  per  totum  orbem  terrae  jacebal  aegrotus.  [pse  aegrotus 
genus  humanum  esl  etc.  ». 

i.  Eist.  lin.  de  In  France,  t.XXVI,  |>.  (og  .1.  de  Provins;  \>.  J6a,  Gilles  de  Liège; 
Sermones  l><irmi  secure,  n» 59  de  sancto  Luca  ;  it.  69 ;  it.  Menol.  Feria  IV  post  ramos 
palmarum...  Sanavil   m»  hic  medicus   per  dietam,  Sudorem,  Fleubotomiam,  potio- 

lll'lll 

j.  Sermones.  S.  Yiurriilii  i|>.  hyemalis)  Lyon,  .1  Moylin  1527.  Feria  V  |>>>^I  diem 
cinerum....  Cum  Christus  ^ii  medicus  proprius  el  immédiat  us,  i|>>iu*  anime  peccatri- 
cis,  videamus  quomodo  cure)  animam  iniirmam.  Ista  materia  esl  multum  subtilis. 
[deo  declarabo  vobis  per  similitudinem  medici  corporis  qui  in  curatione  corporis 
r.icit  septem...  primo  faciès  [infirmi  inspicitur...  quarto  dieta  praecipitur,  quinto 
syrupus  Lmmittitur,  sexto  purgatio  tribuitur,  etc.  etc. 


430  l'ascension 

fort  à  celles  du  mystère  rouergat,  et  il  a  fait  école,  il  a  eu  des  dis- 
ciples pai'tout. 

On  croirait  donc  volontiers  que  le  dramaturge  a  traduit  libre- 
ment un  sermon  authentique  provisoirement  perdu.  Ainsi  dans  le 
mystère  de  l'Ascension,  l'invention  serait  encore  une  fois  à  peu 
près  nulle,  et  la  compilation  tout  entière  ne  serait  qu'une  série  de 
plagiats.  En  tout  cas,  c'est  encore  un  plagiat,  ou  une  imitation  ser- 
vile,  qu'il  nous  reste  à  constater,  une  dernière  fois,  dans  le  Juge- 
ment de  Jésus. 


LK 


JUGEMENT  DE  JÉSUS 


CONCLUSION 


LK 


JUGEMENT   DE    JESUS   ROUERGAT 


PUITS  DK  MOÏSE  DK  DIJON 


Les  Sermonnaires  du  xve  siècle  ;  le  Sermon  de  Saint  Vincent  Ferrer  sur 
la  Passion,  et  son  influence.  —  La  Passion  française  du  Cordelier  J.  de 
Lenda  et  le  mystère  italien  de  la  Passion  de  Revello  composé  par  le 
Frère  Simon,  1490.  —  Le  Sermon  français  «  Secundum  legem  débet 
mori  »,  et  le  Sermon  joyeux  de  «  Nemo  »  recueilli  par  Pierre  Bercheur. 
—  Les  diverses  éditions  du  Sermon  français  :  ■  Secundum  legem  débet 
mori  »  et  les  imitations  au  théâtre  :  «  La  Licentia  Christi  a  Matre 
d'Aversa,  le  Jugement  de  Jésus  rouergat  et  la  Moralité  nommée 
a  Secundum  legem  débet  mori  »,  de  Jehan  d'Abundance.  —  La  date 
extrême  des  mystères  rouergats. 


CONCLUSION 


Le  Jugement  de  Jésus  est  de  beaucoup  If  plus  compliqué  des 
mystères  que  nous  avons  examinés  jusqu'ici,  cl  celui  qui  soulève 
le  plus  de  problèmes  chronologiques,  biographiques  et  bibliogra- 
phiques. Os  difficultés  tiennent  à  ce  l'ait  que,  malgré  sou  appa- 
rente singularité,  ci'  mystère  rouergal  n'est  nullement  une  œuvre 
unique,  particulière,  mais  au  contraire  un  résumé  de  toute  une 
série  d'oeuvres  analogues,  un  anneau  détaché  dans  une  Longue 
chaîne  de  pièces  disparates  dont  il  s'agil  de  retrouver  le  lien  et 
L'inspiration  commune.  Pour  le  faire,  nous  serons  obligés  non  seu- 
lement de  rappeler  de--  textes  signalés  précédemment  comme  la 
/'assit m  française  composée  en  r3o,8  pour  [sabeau  de  Bavière, mais 
eucore  de  tenter  de  nouvelle-,  recherches  et  de  donner  l'analyse 


434  LE    JUGEMENT    DE    JÉSUS 

d'œuvres  théologiques  et  dramatiques  mal  connues  ou  inconnues. 

Ce  sera  heureusement  notre  dernière  étape. 

Et  d'abord  quel  est  le  sujet  du  mystère  rouergat,  et  quelle  place 
occupe-t-il  dans  la  compilation  ? 

Le  Jugement  de  Jésus  sert  de  prologue  et  d'explication  aux 
scènes  de  la  Passion  annoncée  par  les  prophètes.  C'est,  si  l'on 
veut,  une  variante  de  l'ancien  Procès  de  Justice  et  de  Miséricorde, 
mais  une  variante  très  compliquée  où  sont  réunies  toutes  les 
«  figures  »  de  la  Passion  dans  l'ancien  Testament. 

Nature  humaine,  représentée  par  un  «  vieil  homme  »  accablé 
d'infirmités,  vient  se  plaindre  à  Dieu  le  Père  de  ce  qu'il  ne  remplit 
pas  assez  vite  les  prophéties  et  de  ce  que  le  Christ  envoyé  sur  la 
terre  tarde  trop  à  accomplir  la  Rédemption.  Dieu  proteste  de  ses 
bonnes  intentions,  mais  «  ne  peut  faire  plus  ».  Nature  humaine 
fait  alors  citer  «  le  fils  de  Marie  »  devant  les  juges  de  la  Loi  de 
Nature  par  le  sergent  Roma.  Au  reçu  de  l'assignation,  Jésus  se 
rend  devant  le  tribunal  en  compagnie  de  sa  Mère  et  de  Résigna- 
tion ou  Bonne  Patience.  Charité  plaide  pour  Nature  humaine, 
Innocence  pour  Jésus  ;  Adam  qui  préside,  sur  l'avis  conforme  des 
patriarches  Joseph,  Abraham.  Noé,  conclut  à  la  mort  du  Christ. 
La  Vierge  fait  appel  et  cite  à  son  tour  Nature  humaine  devant  les 
juges  de  la  Loi  écrite,  c'est-à-dire  Moïse,  Zacharie,  Jérémie,  Salo- 
mon,  David.  Nouveaux  plaidoyers  de  Fidélité  au  nom  de  Jésus  et 
de  Vérité  pour  Nature  humaine,  nouvelle  condamnation  de  Jésus. 
Il  ne  reste  à  la  Vierge  que  la  juridiction  de  la  Loi  de  Grâce,  com- 
posée des  Apôtres  et  des  Evangélistes.  Le  plaidoyer  de  l'avocat 
divin,  Humilité,  est  réfuté  par  Nécessité  ;  la  sentence  de  mort  est 
confirmée  et  la  Vierge  s'évanouit.  Quand  elle  revient  à  elle,  c'est 
pour  rappeler  à  son  fils  tous  les  soins  qu'elle  a  pris  de  lui  dans 
son  enfance  et  le  supplier  de  lui  épargner  la  vue  de  sa  Passion. 
Bonne  Patience  et  Jésus  la  réconfortent,  puis  tous  trois  se  rendent 
à  Béthanie  pour  la  résurrection  de  Lazare.  Cette  dernière  phrase 
n'est  évidemment  faite  que  pour  relier  la  pièce  à  la  suivante  et  la 
l'attacher  à  l'ensemble. 

Tel  est  le  curieux  Procès  rouergat  dont  l'idée,  les  allégories  ou 
les  personnages  allégoriques  figurent  également  dans  d'anciens 
spectacles  parisiens  du  XVe  siècle,  et  plus  lard  dans  deux  morali- 
tés françaises  du  xvic  siècle,  une  moralité  anonyme  intiulée  :  Secun- 


LES    MYS  rÈRES    MIMÉS    DE    1  L3* 

(limi  legem  débet  mori  et  une  moralité  de  Pierre  «lu  Val  '.  N'y 
aurait-il  pas  là  un  thème  traditionnel  transmis  par  les  Confrères 
de  la  Passion  à  la  province? 

«  Le  sujet  traité  dans  le  Jugement  <lc  Jésus  et  le  Jugement 
général  se  retrouve  dans  des  mystères  mimés  représentés  à  Paris 
dès  i  \\-  :  or  ceux-ci  avaient  dû  être  précédés  eux-mêmes  d'œuvres 
écrites,  le  sujet  du  Jugement  de  Jésus  notammenl  eûl  été  inintel- 
ligible aux  spectateurs  dans  le  cas  contraire.  »  —  Telle  est  l'expli- 
cation la  plus  simple  qui  ait  été  proposée  l,  et  qui  nous  met  sur  la 
voie  de  la  vérité,  niais  à  condition  d'être  restreinte  et  précisée. 
Relisons  en  effet  le  texte  principal,  la  description  donnée  par 
Monstrelet  des  l'êtes  célébrées  ;i  Paris  pour  l'entrée  solennelle  de 
Charles  VII,  le  12  novembre  ilV-  Dans  la  longue  suite  «les  écha- 
fauds  dressés  depuis  le  Poncelet  jusqu'au  Grand  l'ont,  un  seul, 
celui  du  Châtelet,  nous  intéresse  : 

«  Item  devant  le  Châtelet  esloil  l'Annonciation  laite  par  l'angle 
aux  pastoureaux  chantant  gloria  in  excelsis  Deo.  VA  au  dessoubz 
de  la  porte  estoit  le  Lit  de  justice.  la  !  oy  divine,  la  Loy  de  nature 
et  la  Loy  humaine.  Kl  a  l'austre  costé  contre  la  Boucherie  cstoienl 
le  Jugement.  Paradis  cl  Enfer.  Et  ou  milieu  estoit  saint  Michiel, 
l'Angle  qui  pesoit  lésâmes1.  » 

Voilà  bien  il  est  vrai  une  des  allégories  qui  figureront  plus  tard 
dans  le  mystère  rouergat,  Loy  de  Nature  ;  mais  les  autres,  les 
personnages  principaux,   les  juges,   la  demanderesse,  l'accusé,  où 

sont-ils?  Dès  lors  le  texte  de  Monslrelel  n'a  plus  le  sens  qu'on   lui 

a  prêté,  il  ne  représente  [dus  un  Jugement  de  Jésus.  Dans  l'es- 
pèce, ces  allégories  judiciaires  empruntées  à  la  Somme  de  saint 
Thomas  d'Aquin  '.  Loi  divine,  Loi  de  Nature,  Loi  humaine,  n'ont 
ètè  placées  au  Châtelel  que  parce  que  le  Châtelel  était  le  siège  de 

la  justice  royale,  et  que  sous  une  forme  ou  une  autre  la  décoration 


1.  El   même   dans   des   ralités   i-ii.iim.ic-.   Ward   [History  of  English  dramatic 

Literalure,  t.  I.  |>.  96)  en  cite  une  de  Bàle  (t4g5-i563)  intitulée:  The  three  Laws  ol 
Nature,  Moses  and  <  Ihrisl . 

'.>.   Romania,  i8g4,  p-  5  18 

;    Monstrelet,  Chronique,  1.  II,  ch.  t:xix,  éd    Douët  d'Arcq,  1    V,  p    lt>3 

{,  p.  prima   secundac,  Q.    Xi'.l:    />.    leguin  diversilatc  (édition  Migne,   1     II.  p  69$) 


436  LES    MYSTERES    MIMES    DE    1437 

de  L'édifice  dans  les  Entrées  rappelait  le  plus  souvent  cette  desti- 
nation '. 

Les  mystères  mimés  de  i4'3;  et  la  moralité  de  Pierre  du  Val 
éliminés  pour  des  raisons  analogues,  restent  des  analogies  ou 
mieux  des  ressemblances  prolongées  entre  le  mystère  rouergat  et 
la  moralité  :  Secundam  legem  débet  mori,  et  ces  ressemblances 
sont  telles  qu'elles  supposent  forcément  un  modèle  commun.  On 
est  seulement  tenté  de  le  chercher  un  peu  plus  haut  ou  plus  loin. 

S'il  ne  s'agit  en  effet  que  de  retrouver  le  Jugement  de  Jésus  dans 
les  anciens  mystères  mimés,  n'y  a-t-il  pas  un  de  ces  mystères  qui 
subsiste  encore  aujourd'hui,  un  mytère  mimé  en  pierre,  le  célèbre 
«  Puits  de  Moïse  »  exécuté  sur  l'ordre  de  Philippe  le  Hardy  par 
Claus  Sluter-  et  son  neveu,  Claus  de  Werve,  de  i3o,5  à  i4<>4?  Ce 
monument  a  été  souvent  décrit  par  les  artistes  et  les  critiques 
d'art9.  A  droite,  aux  pieds  de  la  Croix  où  le  Christ  venait  d'expi- 
rer, se  tenait  debout  la  Vierge,  à  gauche  saint  Jean  l'Evangéliste, 
en  avant  la  Madeleine  embrassant  l'arbre  sacré.  Le  Calvaire  a  été 
abattu  en  i;<)'3.  mais  le  piédestal  subsiste,  et  les  moindres  détails 
de  ce  chef-d'œuvre  mutilé  nous  semblent  bien  avoir  été  réglés  par 
un  théologien.  L'emplacement  même  choisi  pour  ce  Calvaire,  élevé 
au-dessus  d'un  puits  d'eau  vive,  parait  symbolique  et  doit  tra- 
duire aux  yeux  la  régénération  de  l'humanité  lavée  dans  le  sang 
du  Christ  *.  Les  six  anges  aux  ailes  d'or  entrecroisées  qui  bordent  la 

i.  Ainsi  en  parlant  de  ces  mystères  mimés  de  novembre  i^i-,  Jean  Ghartier  dit 
{Cérémonial  françois  de  Godefroy,  I.  658)  :  «  le  Jugement  qui  seoit  très  bien,  car  il  se 
jouoit  devant  le  Chastelet  ou  est  la  Justice  du  Roi  ».  Gf  encore  (Cérémonial  françois 
de  Godefroy,  p.  ;3'i-5)  l'entrée  de  Marie  d'Angleterre,  femme  de  Louis  XII.  le  lundi  <> 
nov.  i5i4  :  «  Item,  au  Ghastelet  de  Paris  avoit  un  grand  Escbafi'aut.  au  milieu  duquel 
estoient  Dames  Justice  et  Vérité,  montans  et  descendans  du  trône  céleste  sur  la  terre, 
et  a  dextre  et  a  senestre  estoient  les  douze  pairs  de  France:  et  au  milieu  dudit 
Eschan'aut  estoit  escril  ce  qui  s'ensuit  :  Veritas  de  terra  orta  est  et  Jastitia  de  caelo 
prospexit,  etc. 

2  Notre  collègue,  M.  Kleinclausz,  prépare  un  livre  spécial  sur  le  grand  sculpteur 
Claus  Sluter. 

3.  A.  Michicls.  l'Art  flamand  dans  l'Est  et  le  Midi  de  la  France,  Paris.  iS;;  :  Cliabeuf. 
Dijon.  Monuments  et  Souvenirs. 

4.  Comparer  les  allégories  théologiques  citées  par  Cornélius  .1  Lapide,  Comment,  in 
Joannem,  V.  p.  3i8,  col.  2,  et  les  curieuses  peintures  murales  (2e  moitié  du  xv«  siècle) 
de  l'église  de  Saint-Mesme  près  Chinon  :  le  Chris!  en  croix  placé  entre  Marie  Magde- 
leineel  Marie  1  Egyptienne  Le  rocher  du  Golgotha  est  devenu  un  bassin  rectangu- 
laire  dans   lequel   le  pied  de   la   croix  baigne  dans  le  sang  du  Christ  s'échappant  di 


LK    PUITS    DE    MOÏSE  i.'^T 

frise  t-t  soutiennent  le  piédestal,  pleurent,  suivant  le  verset  d'Isaïe 
(xxxm,  7)  souvent  cité  par  les  sermonnaires  e1  les  dramaturges  de 
la  Passion  «  Angeli pacis  amare flebunti  ».  Six  prophètes  plus 
grands  que  nature  se  dressent  contre  les  parois.  Ils  ne  sont  pas 
muets,  immobiles,  ils  parlent  ou  ils  viennent  de  parler.  Les  traits 
durs  de  Moïse  expriment  une  résolution  farouche,  implacable  : 
Jérémie  est  accablé  par  la  douleur.  Zacharie  médite,  Daniel  ins- 
piré se  tourne  vers  Isaïe  qui  se  penche  pour  l'écouter;  tous,  y 
compris  David,  tiennent  à  la  main  îles  banderolles  contenant  des 
sentences  empruntées  à  leurs  œuvres,  les  mêmes  qui  reparaîtront 
dans  le  mystère  rouergat  et  la  moralité  française  *.  Ce  sont  bien 
des  Juges  qui  viennent  de  prononcer  un  arrêt,  l'arrêt  qui  s'exécute 
au-dessus  de  leurs  têtes,  et  ce  groupement  parait  significatif  comme 
le  choix  de  ces  sentences  de  mort  :  c'est  bien  une  scène  de  justice 
qui  a  été  inspirée  au  grand  sculpteur  par  un  théologien.  Voilà 
donc  bien  réalisée  dès  la  fin  du  quatorzième  siècle  par  un  artiste 
de  génie  l'idée  que  les  dramaturges  devaient  reprendre  plus  tard 
avec  tant  de  subtilités;  mais,  si  curieuse  que  soit  l'analogie,  elle 
n'est  pas  non  plus  décisive,  elle  ne  nous  explique  pas  les  ressem- 
blances matérielles  des  textes  des  deux  drames.G'est  ailleurs déci- 

chacune  des  plaies  par  quatre  jets  continus.  I  n  second  bassin  plus  grand  reçoit  le 
sang  contenu  dans  le  premier  par  quatre  mascarons  qui  représentent  les  attributs  des 
quatre  évangélistes  (le  lion,  l'aigle,  etc.)  donl  tes  têtes  appliquées  sur  la  face  du  pre- 
mier bassin  complètent  le  symbole.  Les  deux  inscriptions  en  vers  qui  accompagnaient 
les  personnages  (Marie-Madeleine  et  Marie  Egipciace)  ont  été  reproduites  dans  les 
Mémoires  de  fa  Soc  d'archéologie  de  Touraine,  i855;  la  troisième  effacée  et  «  indéchif- 
frable »  se  retrouve  heureusement  avec  les  deux  autres  dans  un  manuscrit  de  la 
Bibliothèque  Nationale,  fr.,  ;.;i'u.  fol.  \r,  r«  et  compli  te  ce  sj  mbolisme. 

FONTAYNE  DE  MISERICORDE 
Fontayne  suis  qui  pour  l'humain  linaige 
Grant  source  fait  (sic)  de  sang  a  habondance, 
A<1  ce  qu'homme  qu'aj  fait  a  mon  j  mage 
Y  puisse  avoir  parfaicte  congnoissance, 
El  les  \  ices  dont  il  est  entachés 
Kectoyés  tous  par  vraye  repentance, 
si  vienne  icj  pour  laver  ses  péchés, 
1    Cf.  Greban,  p.  "ï  ï  1 .  \  .  a6,i55 

•>..  Exactement  les  versets  de  David.  Jérémie,  Zacharie.  Daniel,  Isaïe:  quant  au 
verset  du  Moïse  de  Dijon  :  «  Immolabil  agnum  multitudo  Bliorum  Israël,  Exod.,  XII, 
v  0  1  on  le  retrouve  dan-  la  Moralité  nommée  Secundum  Itgem  débet  mon  qui  sera 
analysée  plu-*  loin  et  dont  on  trouvera  des  extraits  a  ["Appendice 


43S  LA    PASSION    DE    S.    VINCENT    FERRER 

dénient  qu'il  nous  faut  chercher  l'explication,  dans  le  développe- 
ment d'un  genre  littéraire  qui  a  été  souvent  rapproché  du  théâtre, 
la  prédication.  On  connaît  le  mot  de  Henri  Estienne  sur  les  ser- 
monnaires  du  xve  siècle  :  «  Voilà  comment  ce  gentil  prescheur 
deschiffre  cette  histoire,  s'accordant  si  bien  avec  les  joueurs  de 
passion  qu'il  n'est  aisé  à  deviner  s'il  a  emprunté  d'eux  ou  s'ils  ont 
emprunté  de  luy  '.  »  Les  emprunts  qui  nous  occupent  seront  plus 
aisés  à  discerner,  et  nous  n'avons  plus  qu'à  rapprocher  nos  deux 
pièces  des  Passions  réellement  prêchées  au  quinzième  siècle. 

Si  l'on  parcourt  les  nombreux  sermonnaires  du  xvc  siècle,  on  ne 
taille  pas  à  se  convaincre  que  le  plus  original  et  le  plus  souvent 
imité  avec  Gerson,  dans  tous  les  pays,  c'est  saint  Vincent  Ferrer. 
Le  sermon  sur  la  Passion  qu'il  prononça  à  Toulouse,  le  Vendredi 
saint  de  l'année  1 4 1 < > -  n'est  pas  le  plus  caractéristique  île  son  œu- 
vre, mais  c'est  celui  dont  nous  devons  indiquer  le  plan2  et  cons- 
tater l'influence.  Le  texte  emprunté  à  l'Evangile  du  jour  :  Nos 
legem  habemus  cl  secundum  legem  débet  mori  (Joann.  xix)  est 
fort  simple.  A  peine  quelque  recherche  dans  le  développement  ou 
plutôt  dans  la  prétérition  île  YAt>e.  Le  prédicateur  s'excuse  en  ce 
jour  de  deuil  de  ne  pas  saluer  suivant  l'usage  la  mère  du  Christ  : 
on  ne  félicite  pas  les  personnes  allligées  du  bonheur  qu'elles  n'ont 
plus.  11  semble  que  cet  exorde  soit  une  innovation  qui  d'ailleurs 
lit  fortune  et  fut  reproduite  à  satiété  3.  Puis  vient  «  le  thème  »  ou 
«  la  question'*  »  théologique,  divisée  en  deux  «  conclusions  ».  La 
Passion  était-elle  indispensable  pour  racheter  le  genre  humain  ? 
Indispensable,  non.  mais  nécessaire  pour  donner  pleine  satisfac- 
tion à  la  Justice  et  pour  accomplir  les  prophéties  '.  C'est  tout  sim- 


i.  Apologie  pour  Hérodote,  éd.  Ristelhuber,  1S79,  t.  II,  ch.  xxxi.  p.  ioy. 

2.  Cette  analyse  est  faite  d'après  le  sermon  imprimé  en  latin.  La  rédaction  présente 
d'assez  grandes  différences  dans  le  manuscrit  de  l'Université  d'Oxford  signalé  et  ana- 
[ysé  par  M.  I*.  Meyer,  Archives  (/es-  Missions,  Q,  III  (  iSGcSi,  p.  16;  et  266  (cf  Romania,  1881, 
p.  226),  mais  ee>  différences  ne  portent  pas  sur  le  plan,  et  les  deux  textes  contiennent 
également  le  développement  sur  la  nécessité  île  la  Passion.  «  La  sanhta  theologia  fay 
una  questio  se  la  passio,  etc.  » 

3.  Le  prédicateur  Guil.  Pépin  le  dit,  Expositio  Evangel.  Quadrag.,  In  die  parasceves. 

4.  A.  Thomas  d'Aquin,  S  anima  Pars  tertia.  Quaestio  XLVI,  de  Passions  Christi 
ied.  Migne,  t.  IV,  p.  -î  1  •">  1 . 

5.  S.  Vinc.  Ferrer.  In  die  parasceves.  Sermo  unicus.  lin  de  la  2<=  conclusion, 
avant    la    division  :  «  Propter  ergo  quod  absolute  non  erat  necessarium   Christum 


I.A    PASSION    HE    S.    VINCENT    FEHKEH  439 

plemenl  La  thèse  et  L'antithèse  de  la  Somme,  auxquelles  succède  Le 
récit  de  La  Passion  depuis  la  Cène  jusqu'à  l'ensevelissement  du 
Christ. 

Le  plan  de  ce  sermon  paraît  si  simple  qu'on  le  dirait  facile  à 
inventer  ou  à  réinventer.  Que  l'on  parcoure  cependant  les  s<  r 
monnaires  antérieurs l  à  saint  Vincent  Ferrer,  ou  même  de  son 
voisinage  immédiat  *,  que  l'on  feuillette  les  nombreuses  Passions 
anonymes  ou  signées  du  xiv^  ou  du  commencement  du  xv  siècle, 
même  quand  le  texte  est  identique,  le  développement  est  tout 
autre,  tandis  que  les  sermons  composés  sur  h1  même  plan,  avec  la 
même  «  question  ».  abondent  plus  tard  '.  Il  paraît  donc  assez 
naturel  d'expliquer  ce  fait  par  l'influence  du  grand  prédicateur 
\  alencien. 

C'est  dans  un  sermon  de  cette  espèce,  ou  dans  une  Passion  d'un 
Cordelier  français  à  peu  près  inconnu.  Jacques  de  Lenda  (ou  de 
Lens)  '  que  nous  rencontrons  pour  la  première  fois  les  scènes  du 


îiiori,  ut  dicit  prima  conclusio  quanti  H  dal  beatus Thomas  in  .III.  parte,  <|  \1.\1. 
articulo  .1.  ponit  quod  homines  alio  modo  liberasset.  Sed  secundum  suam  prae- 
destinationem,  quam  per  prophetas  expressit  et  in  lege  antiqua  praemonstraverat, 
necesse  erat  Christum  mori  ul  scripturae  implerentur.  El  hoc  est  quod  dicit 
Lucas,  Wll  capitulo :  «  Filius  hominis  secundum  quod  diffinitum  est,  vadit  ».  Et 
Lucas,  XXIV.  •'  Il  ace  sunt  verba  que  Locutus  sum  ad  \  <>>,  cum  adhuc  essem  vobiscum, 
quoniam  necesse  est  impleri  omnia  quae  scripta  sunt  in  lege  Moysi  et  prophetis  el 
psalmis  de  me  et  quoniam  scriptum  est  quod  oportebal  Christum  pati  cl  resurgere 
a  mortuis  ».  —  Haec  Thomas  ilii<l<'in.  Et  ergo  thema  i>t n <1  proponit  non  in  persona 
Judeorura  mortem  Christi  procurantium  injuste,  sed  proponit  in  persona  omnium 
prophetarum  qui  dicunl  «  Nos  legem  habemus  »  etc 

i.  Exemple:  Sermones  Dormi Secure :  De  Passione  Domini  sermo  XXV. 

2.  Ex.  la  Passion  de  Si  Bernardin  de  Sienne.  (Paris,  Denys  Moreau,  i636,  in-lblio), 
p.  3o5. 

ï  Voici  quelques-unes  de  ces  imitations  dans  divers  pays.  La  plus  fidèle  est  celle 
de  Barelette  qui  pronça  le  panégyrique  de  St.  \  incenl  de  Ferrer  et  le  copia  souvent  : 
la  plus  compliquée,  celle  de  Fr.  Léon  de  (Jtino  qui  raffine  sur  toutes  les  espèces  < le 
lois,  pour  se  conformer  au  titre  de  son  recueil. 

Fr.  Leonardi  <l<-  (Jtino,  Sermones  quadrages.  de  legibas,  Venetiis,  ii;>.  Fer.  VI  in 
Parasceve    (B.  de  Besançon,  Incun.  n"  925). 

Fra  Paolo  Roberto  Licio,  Sermones,  Venetiae,  1  J83  (B.  Mazarine,  w  343,  reria  sexto 
i n  Passione,  loi.  ;>;>  r*, 

Barelete,  In  die  parasceves,  sermo  de  passione  domini,  fol,  i;>  v  à  191  r*  (éd.  de 
Lj  on,  Jacob.  M\  1 .  iSaJ) 

Maillant.  Paris,  Ph.  Pigouchet,  1626,  Feria  VJ  de  passione,  fol.  cxv. 

i     Ser n  réimprimé  à  L'appendice. 

On  ne  -..0 1  à  peu  près  rien   de  ce  prédicateur  français,  Jacobus  de  Lenda,  qui  a  prè- 


440  LA    PASSION    DE    JACOBUS    UF    LENDA 

Jugement  de  Jésus  qui  nous  occupent  ou  du  moins  leurs  équiva- 
lents. La  première  partie  du  sermon  est  la  thèse  ordinaire  sur  la 
nécessité  de  la  Passion.  Cette  thèse  est  reproduite  sous  une  autre 
forme  plus  loin,  dans  le  récit  de  la  Passion  proprement  dite.  Les 
docteurs  Juifs  consultés  par  Pilate  sur  le  sort  de  Jésus  décident 
tous  qu'il  doit  mourir,  bien  qu'innocent,  sous  prétexte  que  sa  mort 
a  été  prédite  ou  figurée  dans  diverses  histoires  de  l'ancien  et  du 
nouveau  Testament,  et  qu'il  faut  accomplir  les  prophéties.  C'est 
bien  là  une  véritable  scène  de  théâtre  et.  la  meilleure  preuve,  c'est 
qu'elle  a  en  elfet  été  mise  au  théâtre.  Dès  1490  elle  a  été  jouée,  à 
peu  près  telle  quelle  à  Revello.  en  Piémont,  dans  une  Passion  ita- 
lienne composée  par  un  religieux,  frère  Simon1.  Cette  pièce  a  paru 
d'ailleurs  fortement  empreinte  de  l'esprit  français  et  inspirée  plus 
ou  moins  directement  par  l'exemple  de  nos  grands  mystères.  En- 
tre la  scène  de  la  Passion  de  Revello  analysée  dans  le  Journal  des 
Savants  2  (1888)  et  celle  du  sermon  français  de  J.  de  Lenda.  qui  n'a 
jamais  été  signalée,  il  y  a  un  rapport  certain,  une  source  commune 
qui  sera  découverte  un  jour  ou  l'autre  par  les  bibliographes. 
Quelle  que  soit  cette  source,  dès  1490  ce  Jugement  de  Jésus  était 


clic  en  diverses  provinces  et  à  Paris  vers  la  lin  du  xv  siècle.  Son  nom  ne  paraît  pas 
ligurer  pas  dans  les  Registres  de  la  Faculté  de  déci et  de  l'Université  de  Paris  p.  p. 
Fournier  et  Dorez,  ni  dans  le  Chartulanv  de  l'U.  de  Paris,  éd.  Châtelain  ou  l'appella- 
tion de  Lenda  n'est  pourtant  pas  rare. 

Ses  premiers  sermons  imprimés  se  trouvent  dans  un  recueil  qu'a  bien  voulu  m'in- 
diquer  M.  Em.  Picot  : 

Sermones  brèves  et  perutiles  (amici  dicti)  diversis  ex  doctoribus... 

Exaratum  Basileae  per  Nie.  Kesler,  \\\\~>.  in-4",  1 4 i  1  »  «le  Douai,  Th.  17N.V 

Viennent  ensuite  les  sermons  de  l'A  vent  et  du  Carême  imprimés  a  Paris  par  Félix 
Balligaull  (5  février  i5oo  n.  st.)  et  réimprimés  par  Jean  Petit  eu  i5oi.  Cette  édition  de 
l5oi  nous  apprend  que  l'Avent  a  été  prêché  à  Paris  et  recueilli  de  vive  voix,  fanant  au 
Carême,  une  allusion  aux  guerres  de  Picardie  (éd.  F.  Balliguult,  fol.  xm  v»,  col.  -i  et 
d'autres  détails  (f.  xxvm  V,  col.  2.)  prouvent  qu'il  contient  des  sermons  de  diverses 
dates  Par  suite,  il  est  difficile  de  déterminer  à  quelle  date  a  été  prononcé  le  sermon 
de  la  Passion  qui  nous  intéresse.  L'essentiel  est  de  constater:  i°  que  le  jugement  de 
Jésus  qu'il  contient  est  analogue  a  la  scène  du  mystère  de  Revello  de  i-Juo:  2°  qu'il  dif- 
fère, malgré  les  analogies,  de  la  même  scène  dans  le  Sermon  anonyme  :  Secandum 
legem  débet  mûri. 

1.  Pour  cette  pièce  italienne,  la  Passione  di  Gesa  Cristo,  voir  l'appendice.  Le  sermon 
initial  du  prêcheur,  en  tête  du  mystère,  roule  sur  la  nécessite  de  la  Passion,  p.  2'j  : 
Dire  sancto  Luca  :  Oportuit  Christum  pati,  etc. 

■2.  Journal  des  Savants,  [888,  p.  517,  Analyse  de  G.  Paris. 


LA    PASSION    SECUNDUM    LEGEM  itl 

un  li<Mi  commun  de  la  chaire  et  du  sermon,  voilà  le  fait  à  re- 
tenir, cl  ce  lieu  commun  allait  subir  de  nouvelles  transforma- 
tions. 

Reprenons  en  effet  notre  sermon  de  .1.  de  Lenda.  Le  vice  de  com- 
position est  évident  puisque  la  même  idée  théologique  est  répétée 
sous  deux  formes  différentes,  une  thèse,  [mis  un  récit  ou  scène  dra- 
matique. N'y  aurait-il  pas  moyen  de  supprimer  cette  redite  et  de 
mieux  détacher  la  scène  principale  embarrassée  de  détails  parasites 
et  de  citations?  La  théologie  n'intéresse  que  les  clercs,  les  cita- 
tions fatiguent,  niais  que  tous  ces  docteurs  qui  réclamaient  tout  à 
l'heure  la  mort  du  Christ,  que  tous  ces  prophètes  du  puits  de 
Moïse  s'animent  et  descendent  de  leur  piédestal,  qu'ils  se  consti- 
tuent en  cours  souveraines  ressortissant  lune  de  l'autre  et  qu'ils 
viennent,  juges  et  parties,  prononcer  l'arrêt  de  mort  qui  doit  sau- 
ver l'humanité,  ainsi  toute  la  théologie  sera  réduite  en  tableaux, 
la  thèse  même  ou  la  proposition  pourra  intéresser  comme  la  Pas- 
sion proprement  dite,  et  le  sermon  sera  tout  entier  drame  et  récit, 
c'est-à-dire  partout  accessible  a  tous  même  aux  «  bonnes  gents  » 
ad  bonas  gentes,  comme  dit  notre  sermon.  Telle  est  l'œuvre  du 
prédicateur  anonyme  et  inconnu  qui  a  composé  la  nouvelle  Pas- 
sion :  Secundum  legem  débet  mori*,  imprimée  par  Denis  Roce, 
à  Paris,  dans  les  dernières  années  du  XVe  siècle.  Le  seul  talent  ou 
la  seule  innovation  de  ce  prédicateur  anonyme  c'est  l'ordre  ou  la 
clarté,  il  n'a  littéralement  rien  inventé.  L'exorde  de  son  sermon, 
la  thèse  esl  constituée  par  la  scène  de  la  Passion  de  Revello  et 
du  sermon  de  .1.  de  Lenda  légèrement  modifié.  Pour  la  seconde 
partie,  c'esl  encore  plus  simple.  Il  a  tout  bonnement  copié  et 
abrégé  le  récit  de  la  Passion  composé  en  i'î<)S  pour  la  reine 
Isabeau  de  Bavière  '  et  déjà  mis  à  contribution  par  Greban  et  le 
compilateur  de  la  Vie  de  Jesu  Crist  de  i4&5  :  tout  coïncide  dans 
les  moindres  détails.  Ce  double  emprunt  une  fois  noté,  il  n'y  a 
plu--  qu'à  suivre  la  fortune  et  les  diverses  imitation'-  du  nouveau 
sermon,  mais  toul  d'abord  il  convienl  de  constater  l'origine  fran- 
çaise et  les  nombreuses  éditions  de  cel  incunable  oublié  par  Hain 
et  Panzer,  et  d'autres  bibliographes  connus. 

i     Réimprimée  comme  pièce  justificative  plus  loin 
a    sur  ce  texte  cl     p  ■•  ;-<  de  ce  livre 


itl  LA  PASSION  SECUNDUM  LEGEM 

On  sait  les  transformations  fréquentes1  des  sermons  d'autre- 
fois. Ces  sermons  étaient  composés  en  latin,  prononcés  en  langue 
vulgaire,  puis  de  nouveau  rédigés  en  latin  par  «  des  rappor- 
teurs »  pour  l'impression,  quand  on  ne  retrouvait  pas  les  notes 
latines  du  prédicateur  lui-même.  Ce  latin  est  tel  qu'il  est  souvent 
malaisé  de  discerner  la  nationalité  française,  italienne,  ou  alle- 
mande des  prédicateurs  anonymes  sous  cet  uniforme  badigeon, 
niais  cette  première  difficulté  nous  est  épargnée  dans  le  cas 
présent.  L'emploi  des  mots  français  «  Ile!  lasse  ».  «  Or,  etc.  »  qui 
se  détachent  dans  ce  texte  latin,  la  citation  d'un  vieux  proverbe 
français  connu  sous  diverses  formes  : 

La  pire  roo  de  la  charrette  fait  greigner  noyse  - 

et  d'autres  détails  permettent  d'affirmer  que  nous  avons  sous  les 
yeux  le  sermon  d'un  Français,  très  probablement  écourté  à  l'im- 
pression. Mais  où  et  à  quelle  date  ce  sermon  a-t-il  été  prononcé, 
puis  imprimé  pour  la  première  fois,  cette  question  est  plus  diffi- 
cile à  résoudre. 

Constatons  d'abord  que  malgré  d'assez  longues  recherches 
ce  sermon  anonyme  n'a  pu  être  retrouvé  dans  aucun  des  nom- 
breux recueils  de  sermonnaires  français  signés  et  datés  du  xve  siè- 
cle et  du  commencement  du  xvie  siècle  qu'on  a  pu  consulter3.  La 
première  fois  que  nous  l'avons  rencontrée  c'est  dans  une  mince 
plaquette  gothique  imprimée  et  vendue  à  Paris  par  le  libraire 
écossais,  Denis  Hoce.et  qui  ne  saurait  guère  être  antérieureà  i4<)">- 
puisqu'elle  porte  la  seconde  devise  «  A  V Aventure  »  ;.  adoptée  par 


i.  Fréquentes,  non  pas  constantes,  invariables.  Voir  la  discussiou  de  M.  A.  Piag-et 
dans  VHist.  de  lu  langue  et  de  la  LUI.  françaises,  iS.y».  p.  222.  La  question  est  à 
résoudre  dans  tous  les  cas  particuliers.  Il  nous  paraît  bien  difficile  que  le  sermon 
Secundum  legem  débet  mori  adresse  aux  bonnes  gvnv  ad  bonus  génies,  n'ait  pas  été 
prononcé  en  français. 

•->.  Ser n  Secundum  legem,  etc.,  p.  8  r°.  «  Judas...  murmurabat  : 

Nain  a  pejoi'i  rota  semper  sunt  jurgïa  inota. 

Cf.  Le  Roux  <li-  Lincy,  Le  Li^re  des  Proverbes  français,  1S42,  t.  11.  p.  3go  et  p.  194. 

i  Je  ne  connais  pas  tous  ces  recueils,  mais  j'en  ai  feuilleté  un  très  grand  nombre 
en  allant  immédiatement  a  la  Passion. 

\.  Cf.  Claudin,  Uist.  de  l'Imprimerie,  t.  II,  p.  51»  et  suiv.  Le  [5  juillet  14UÔ  Poulhac 
imprimait  pour  lui  (Roce)  VAntidotariws  animae  de  Nicolas  de  Salicet...  Sur  le  titre  la 
deuxième  devise  :  u  l'Aventure. 


LÀ    LICENTIÀ    CHRIST1    A    MATHK 

ee  libraire  juste  ;i  ce  moment.  La  seconde  éditioD  imprimée  par  te 
même  Libraire  porte  sa  troisième  devise  :  A  VAvanture  l<mt  vient 
ij\ii  peut  attendre,  et  est  attribuée  avec  quelque  vraisemblance  par 
le  Catalogue  des  Incunables  de  la  Bibliothèque  Mazarine  à  l'an- 
née \\\\\\.  Suivent  encore  deux  éditions  Lyonnaises  de  i5o/J  el  de 
i5n,et  une  édition  sans  lieu  ni  date,  qui  ont  été  collationnées 
avec  la  première1,  mais  qui  malheureusement  la  reproduisent 
textuellement,  sauf  d'autres  fautes  d'impression,  et  ne  peuvent 
guère  donner  d'indications  utiles.  Il  est  probable,  comme  on  le 
verra,  qu'il  y  a  eu  encore  au  moins  une  édition  actuellement  per- 
due. En  tout  cas.  le  nombre  des  éditions  connues  à  partirde  i  'i<>"' 
suffit  pour  attester  la  vogue  prolongée  du  sermon,  et  les  imita- 
tions qu'on  en  a  laites  au  théâtre  conduisent  à  la  même  conclu- 
sion. 

Au  commencement  du  xvr  siècle,  il  y  avait  à  Aversa,  dans  la 
ville  où  fut  composé  le  Procès  //<■  Belial,  une  société  d'amateurs 
de  théâtre,  <  j  ni  écrivaient  à  L'en  vi  des  pièces  destinées  à  être  repré- 
sentées dans  la  cathédrale  pendant  la  semaine  sainte.  Le  plus 
célèbre  de  ces  poètes.  Le  docteur  médecin  Luca  de  Calderio,  dit 
Ciarafello,  nous  a  laisse'-  un  mystère  intitule  La  Licentia  Christi  a 
Matre  J,  qui  rappelle  déjà  singulièrement  Le  sermon  :  Secundum 
legem  débet  mori.  Ciarafello  l'a-t-il  connu'.'  On  ne  saurait  Le 
dire,  malgré  les  analogies.  11  a  peut-être  tout  simplement  déve- 
loppé île  son  côté  un  thème  vulgarisé  en  Italie  par  le  mystère  de 
Revello.  Mais,  en  tout  cas.  l'hésitation  n'est  plus  permise  pour  Le 
Jugement  de  Jésus  du  compilateur  rouergat. 

Ouvrons  en  eflet  ce  Jutgamen  de  Jésus  rouergat,  nous  consta- 
terons dès  les  premières  pages  que  le  compilateur  a  traduit  la 
première  partie  du  sermon  :  Secundum  legem  débet  mori,  avec  --a 
servilité  ordinaire.  II  n'a  guère  ajoute  qu'un  personnage  nouveau, 
mais  déjà  employé  ailleurs^  et  bien  facile  a  reconnaître  :  le  sergenl 


i  r. un- ces  éditions,  voir  ['Appendice.  Je  dois  à  l'extrême  obligeance  'le  M.  Em. 
Picot,  l'indication  de  l'édition  de  i."»>i  conservées  au  British  Muséum;  cette  édition, 
la  seule  que  je  n'ai  pas  eue  en  mains,  est  longuement  décrite  et  analysée  dans  le 
Bulletin  du  Bibliophile  et  conforme  aux  autres  d'après  cette  description 

9  Réimprimée  ;i  V  [ppendice,  d'après  l'étude  de  M  Torraca  L'épitaphe  du  docteur 
Ciarafello  dans  l'église  SI  Paul  d'A versa,  est  datée  île  i5n  ;  mais  ses  pièces  oui  con- 
tinué ;t  être  jouées  ■>  Aversa,  longtemps  ai"'1  :a  '■•'  mort. 


44i  LE    JUGEMENT    DE   JÉSUS 

Roma,  chargé  ici  de  porter  les  assignations  de  Nature  humaine, 
vient  tout  bonnement  de  la  Passion  selon  Gamaliel. 

La  seconde  partie  du  sermon  ou  le  récit  de  la  Passion  propre- 
ment dite  ne  pouvait  entrer  dans  le  cadre  du  mystère  rouergat  ;  le 
compilateur  l'a  donc  supprimée,  mais  il  n'a  pas  laissé  d'y  copier 
encore  les  requêtes  de  Notre  Dame  à  son  fils  jadis  utilisées  par 
Grehan1.  L'imitation  ou  la  copie  est  donc  certaine,  mais  il  subsiste 
quelques  difficultés,  car  cette  imitation  a  porté  sur  un  texte  qui 
n'est  pas  exactement  celui  des  éditions  imprimées  du  sermon,  les 
seules  que  nous  connaissions. 

Dans  ces  éditions,  le  procès  de  Jésus  s'ouvre  brusquement  et 
nous  ne  voyons  pas  Nature  humaine  ou  le  «  vieil  homme  »  acca- 
blé  d'infirmités  par  le  péché  implorer  Dieu  pour  sa  guérison. 
Toutes  ces  allégories  sont  très  anciennes,  si  l'on  veut-,  mais  force 
est  bien  de  constater  qu'elles  manquent  dans  le  sermon  imprimé. 

De  plus  certaines  citations  latines  de  l'Ecriture  ou  de  la  Vulgate 
ne  coïncident  pas  rigoureusement  dans  les  deux  textes,  du  sermon 
et  du  mystère  rouergat  '. 

Enfin,  deux  discours  ou  plaidoyers  des  avocats  Nécessité  et 
Humilité,  sont  simplement  indiqués  cm  amorcés  dans  les  diverses 
éditions  de  ce  sermon  :  ils  sont  tous  deux  développés  dans  le  mys- 
tère rouergat  et  munis  de  citations  latines. 


i.  Cl.  p.  aôg  de  ce  livre  et  Les  notes  du  germon  a  V  Appendice  :  item  le  Jugement  de 
Jésus  rouergat,  \>.  58-6o,  v.  i5^s.  i5jo. 

a.  Cf.  Vinrent  de  Beauvais,  Spec.  Xaturale,  lib.  XXX,  cap.  xxm,  col.  a'|i.">  à  241IJ  de 
l'ed.  de  D^u.ii  De  tribus  saeculi  temporibus  :  »  Sunl  autem  humano  generi  tria  tem- 
pora  secundum  triplicem  statum  ejus  distincta,  videlicet  ante  legera,  et  sub  lege,  et 
suh  gratia.  Primo  enim  posi  lapsum  dimissus  est  homo  sibi  usque  ad  tempora  Moy- 
sis  el  utebatur  tantummodo  lege  naturali.  Postea  vero  per  Moysen  data  est  lex 
scripta  qua  humana  illuminaretur  ignorantia...  Qua  data  etiam  morbns  invalnit  et 
infirmitas  est  .meta,  non  legis  sed  naturae  vitio  et  diaboli  instantia. ...  »  —  Même 
développement  dans  Hildebert  du  Mans,  sermon  de  la  Circoncision.  Hist.  littér.  Je  la 
France,  t    XI,  p.  "Siô . 

Quant  a  la  personnification  de  Natnre  humaine,  elle  est  bien  antérieure  à  Greban 
puisque  nous  l'avons  déjà  signalée,  p.  200  de  Ce  livre,  en  i38o.  dans  la  Vie  de  Jésus 
Christ  écrite  pour  le  duc  de  Berry.  et  qu'à  partir  de  cette  date  les  exemples  abondent 
jusqu'au  xvr  siècle.  Exemple:  Bib.  Nat.  ms.  IV.  14.98'}:  Xoels  de  Jehan  de  Vilgontier: 
loi.  65  v,  Noël  ou  Dialogue  entre  Nature  humaine  et  Adam. 

'i.  Pour  ces  citations  voir  ies  notes  de  la  Passion  de  Denis  Roce  reimprimée  plus 
loin  in  extenso  a  l'Appendice. 


HOGHENIN    DE    BREGILLES  i  t5 

Ces  différences  ou  ces  particularités  retiendront  d'autant  plus 
notre  attention  que  nous  retrouverons  les  principales  (notamment 
la  requête  initiale  île  Nature  humaine)  dans  une  moralité  française 
très  mal  connue,  dont  il  ne  subsiste  plus  que  deux  exemplaires,  un 
manuscrit  et  un  imprime,  et  dont  il  faut  d'abord  établir  e1  analyser 
le  texte,  puis  déterminer  la  date  et  l'auteur. 

La  Bibliothèque  Nationale  possède  un  beau  manuscrit  de  la 
seconde  moitié  du  seizième  siècle,  ainsi  désigné  dans  le  Catalogue 
imprimé  «le  1902,  page  600  : 

Fr.  25,466.  —  1  Moralité  et  ligure  sur  la  Passion  de  Nostre  Seigneur 
Jhésu-Crist,  pur  personnaiges,  bien  dévote  »,  paxHughenin  de  Dregilles. 

(Cf.  Catalogue  de  La  Vallière,  t.  II,  p.  419,  n»  3365).  —  rvi*  siècle.  Par- 
chemin. 31  feuillets  à  2  col.  265  sur  190  millimètres.  Rel.  maroquin  vert. 
(La  Vallière  70 1. 

D'autre  part,  la  même  Bibliothèque  Nationale  possède  le  même 
ouvrage  anonyme,  ainsi  désigné  dans  le  Catalogue  des  imprimés 
de  \X\)~.  tome  I.  p.  \'i\  : 

Moralité,  mystère  et  ligure  de  la  Passion  de  Nostre  Seigneur  Jésus- 
Christ 

Lyon,  par  Benoist  Rigaud  (s.  d.).  In-l'ol.  (Réserve  Vf.  14.)  Attribué  à 
Jean  d'Abundance.  —  L'ouvrage  est  in-8%  cliaque  feuillet  encadré  dans 
un  cartouche  gravé  de  format  in  fol. 

Entre  les  deux  attributions  (Hughenin  de  Brégilles  et  Jean 
d'Abundance),  il  faut  choisir,  et  d'abord  rejeter  la  première  qui 
pro\  Lent  d'une  confusion  . 

Dans  le  manuscrit  IV.  a5,466,  la  moralité  anonyme  est  suivie 
(fol.  3o)  d'une  pièce  de  vers  sur  la  Sainte  Hostie  ou  l'hostie  mira- 
culeuse, donnée  par  le  pape  Eugène  IV  au  feu  duc  de  Bourgogne, 
Philippe  le  Bon,  et  jadis  vénérée  dans  la  Sainte  Chapelle  de 
Dijon  :  elle  protégera  les  chrétiens  dans  la  croisade  contre  les 
Turcs  : 

Soyes  nous  escu  el  Large  el  avant  garde 
<  lontre  les  Turcs  de  l'infernale  garde  ' 
Sans  la  grâce  nous  sommes  trop  débiles, 
Mes  memenl  moy,  1 1  ugheniti  de  Bregille  , 
Ils  ne  doubtenl  fortune  ne  péril   .  (Fol.  31 


146  t.A    MORALITÉ    SEGUNDUM    LEGEM 

Hughenin  de  Brégilies,  complètement  inconnu,  est  en  réalité  un 
officier  de  Philippe  le  Bon  qui  figure  dans  les  comptes  en  compa- 
gnie d'un  Claude  Bossuet  depuis  1^6  '.  Ce  personnage  du  xve  siè- 
cle a  donc  bien  composé  la  pièce  de  la  Sainte  Hostie,  mais  maté- 
riellement il  ne  peut  être  l'auteur  de  la  Moralité  qui  ouvre  le 
volume.  La  langue  et  la  versification  de  cette  Moralité  dénotent  Le 
seizième  siècle,  lletournon-nous  donc  vers  le  basochicn  Jean 
d'Abondance,  auquel  le  bibliographe  lyonnais  du  Verdier  a  depuis 
longtemps  attribué  la  moralité  anonyme  :  Secundum  legem  débet 
mori,  imprimée  par  Benoit  Rigaud,  et  voyons  si  le  peu  que  nous 
savons  de  ce  poète  confirme  cette  attribution. 

Jehan  d'Abundance  «  basochicn  et  notaire  royal  à  Pont-Saint- 
Esprit  »  a  fait  imprimer  la  plupart  «le  ses  ouvres  entre  i54o  et 
i. *)5o  dans  la  ville  de  Lyon  2.  C'est  là  qu'il  a  pu  connaître  le  sermon 
anonyme  :  Secundum  legem  débet  mori,  et  l'imiter  à  son  tour  :  ces 
adaptations  rentraient  tout  à  fait  dans  ses  goûts.  Nous  savons  qu'il 
s'étail  déjà  exercé  à  traduire  un  sermon  joyeux  de  Nemo  connu 
dès  le  haut  moyen  âge,  et  dont  on  a  signalé  de  nombreuses  ver- 
sions et  imitations  '  auxquelles  on  pourra  joindre  celle  du  grave 
Pierre  Bcrcheur  4.  La  Moralité  sur  la  Passion  '  est  une  œuvre  ana- 
logue dans  un  genre  différent,  la  mise  au  théâtre  d'un  sermon 
sérieux.  Comme  l'auteur  rouergat  qui  l'avait  précédé,  Jehan 
d'Abundance  a  suivi  de  très  près  son  modèle  :  ce  sont  les  mêmes 

i.  Arch.  de  la  Côte-d'Or,  B.  169(1  Compte  «le  Jean  de  Visen  receveur  généra]  de 
Bourgogne  1 44-i"I44*'-  Huguenin  de  Bregilles  acliéle  du  vin  en  détail  pour  le  porter  à 
Messieurs  des  Comptes. 

Archives  Nationales,  Registre  KK  2^8  bis  :  Hughenin  de  Bregilles  à  Bruxelles  avec 
le  duc,  le  dimanche  200  jour  d'avril  \!\&S,  après  Pasques  ». 

2.  Fait  établi  par  M.  Em.  Picot,  Calai,  de  la  Bibliothèque  .1.  de  Rothschild,  t.  1,  p.  3j?. 

3.  Ane.  poésies  franz .  dit  xv  et  du  xvr  siècle  (Bib.  elzévir),  t.  XI  p.  3i3-34a.  Le  plus 
ancien  sermon  de  Xcmo  (xuie  s  )  a  été  signalé  par  M.  P.  Meyer  d'après  un  manuscrit 
de  la  Bibl.  Bodléienne. 

4.  Rcperlorium  morale,  t.  I,  p.  689-690  :  .\cmo  . .  Nota  quod  nemo  est  nomen  negati- 
viiin,  sicut  nullus.  Nam  quicquid  homo  signât  et  ponit,  nemo  tollit  et  deponit. 

Unde  nemo  idem  est  quod  non  homo... 

Quia  tamen  quamdam  truffam  semel  de  nemine  recolo  me  vidîsse  ubï  scilicel 
Xcmo  fuisse  quidam  valens  homo  supponebatur,  ubi  de  ipso  sicut  de  quodam 
solenni  martyre  legenda  notabilis  tractabatur,  hinc  est  quod  truffatorie  de  nemine 
possumus  multa  loqui.  Notemus  igitur  quod  dominus  Xcmo  luit  quidam  Nobilissi- 
mus  imperator. . .  etc. 

5.  Analysée  in  extenso  avec  extraits  à  l'Appendice. 


I.A    MORALITE    SECUNDUM    LEGEM  h, 

personnages,  les  mêmes  noms,  sauf  celui  de  .Ir^us  qui  a  reçu  ici  le 
surnom  mystique  ou  théologique  de  «  l'Innocent  »]  qu'il  portait 
d'ailleurs,  comme  nous  l'avons  vu.  dans  d'autres  moralités  per- 
dues, et  qui  était  une  allusion  au  sacrifice  d'Isaac.  L'ancienne 
allégorie  «le  Nature  humaine,  serve  de  l'Enfer  el  accablée  d'infir- 
mités par  le  péché  a  été  également  un  peu  modifiée,  [ci, quand  elle 
vient  adresser  sa  requête  à  Dieu  le  l'ère.  Nature  est  «  habillée  en 
femme  comme  lépreuse  ».  Le  reste  des  développements  coïncide. 
Jehan  d'Abundance  s'est  contenté  de  multiplier  les  termes  de  pro- 
cédure el  d'introduire  < l;i n -  ses  vers  une  longue  page  de  p  ose,  un 
acte  en  bonne  et  duc  forme,  afin  que  nul  n'ignorai  sa  qualité  de 
parfait  notaire.  C'est  un  nuire  talent  qu'il  ;i  exhibé  dans  la  conclu- 
sion de  sa  pièce,  sa  connaissance  de  l'argot  des  soudards  OU  des 
«  tyrans  ».  Le  compilateur  rouergat  n'avait  traduit  in  extenso  que 
la  première  partie  du  sermon  ou  la  discussion  juridique.  Jehan 
d'Abondance  est  allé  jusqu'au  bout,  et  il  a  également  traduit  en 
l'abrégeant  la  Passion  proprement  dite  OÙ  Ton  voyait  Jésus  livré 
à  la  mort  par  «  l'envie  »  de  la  Synagogue  et  «  la  haine  »  des 
Gentils,  (les  abstractions  du  sermon  ont  été  personnifiées  dans  la 
Moralité  qui  a  été  augmentée  en  outre  d'un  rôle  de  Fou  ou  de  Sot, 
lequel  n'était  pas  écrit,  mais  improvisé.  Si  choquantes  2  qu'aient 
paru  ces  passées  de  Sot  mêlées  aux  scènes  les  plus  pathétiques, 
elles  n'en  sont  pas  moins  motivées,  même  la  dernière,  au  moment 
où  «  l'Innocent  »  le  Christ  vient  d'expirer  sur  la  croix.  Ici  la 
passée  du  Sol  symbolise  soit  l'indifférence  ou  la  joie  stupide  de  la 
foule,  soit  l'allégresse  «le  Nature  humaine  délivrée  :  l'inspiration 
de  la  pièce  n'en  reste  pas  moins  religieuse  comme  celle  d'autres 
moralités  perdues  sur  la  Passion  '.  C'est  «  Dévotion  h  qui  ouvre  le 

spectacle  et  qui  l'achève. 

La  pièce   de    Jean   d'Abundance   a   d'autres   singularité--  dont    il 
faut  donner  au    moins  une  idée,   l'.n  parlant  des  moralités,  le  théo- 


i     Expliqué  précédemment  |>.  38j  de  ce  li\  rr.  note  \. 

•2.  I'.  de  Julleville,  Réperl    du  l/tciir-r  comique,  etc  .  p.  ">. 

:     V  celles  qu'on  a  citées  ajouter  encore  celle-ci  qui  a   passé  inaperçue:    Vrchives 
(!<■  la  mairie  d'Angers  p.  p.  Cél.  Port,  iSBi,  BB   i3,  roi,  i ">~.  année  i5oa    l><>n  de  i"  l    t. 
cl  de  poudre   i    canon   à   M    Loys  Mignon  «  pour  servir  el   ayder  au    '/i.w.  ■ 
Redempcion  de  Nature  humaine  que  l'on  vieilli  jouer  eu  cesle  ville,  pourveu  que   l'on 
ne  prendra  riens  du  peuple  a  l'entrée  dud    jeu  ne  autrement, 


448  LA    MORALITÉ    SECUNDUM    LEGEM 

ricien  du  xvr  siècle,  Thomas  Sibillet.  s'exprime  ainsi  dans  son 
Art  Poétique  de  i548  :  «  Toutes  sortes  de  vers  y  sont  receues  en 
meslange  et  variété,  même  tu  y  trouveras  Balades,  Triolets,  Ron- 
deaux doubles  et  parfais.  Lays,  Virelais  tous  amassés  comme  mor- 
ceaux en  fricassée.  »  —  Telle  est  bien  la  versification  de  la  Moralité 
qui  nous  occupe,  mais  elle  se  recommande  par  des  refrains  très 
particuliers.  On  a  dit  souvent  que  les  anciens  poètes  français  du 
xive  et  du  xv'  siècle  avaient  été  complètement  oubliés  au  lende- 
main de  leur  mort,  ou  même  qu  ils  étaient  morts  tout  entiers, 
apparemment  pour  donner  aux  modernes  le  plaisir  de  les  ressus- 
citer. Si  cette  opinion  '  conservait  encore  des  partisans,  la  «  Mora- 
lité nommée  Secundum  legern  débet  mari  »  suffirait  pour  démon- 
trer le  contraire  :  ces  anciens  poètes  n'ont  cessé  d'être  pillés 
jusqu'au  seizième  siècle,  et  Jean  d'Abondance  en  particulier  les 
connaissait  fort  bien.  Comme  un  artiste  expérimenté  qui  s'amuse 
à  des  variations  sur  des  airs  connus,  il  s'est  amusé  à  introduire 
dans  son  œuvre  des  vers  célèbres,  dont  il  change  le  sens  ou  la  des- 
tination. Ici  il  met  dans  la  bouche  de  Nature  humaine  le  refrain 
mis  au  concours  par  Charles  d'Orléans  : 

Je  meurs  de  soif  auprès  de  la  fontaine, 

ailleurs  il  pille  le  Jardin  de  Plaisance  ou  d'autres  recueils  du  xv 
siècle,  et  il  remonte  même  plus  haut.  On  n'a  pas  signalé  à  notre  con- 
naissance de  citations  de  Froissart  au  xvic  siècle,  avant  les  Recher- 
ches d'Estienne  Pasquier  qui  prit  la  peine  d'aller  lire  le  vieux  poète 
«  en  la  Bibliothèque  du  grand  Roy  François  à  Fontainebleau2  ». 
Avant  lui  Jehan  «  d'Abundance  a  transposé  les  refrains  des  «  Ron- 
delés  amoureux  »  de  Froissart  et  les  a  employés  à  nous  dépeindre 
les  adieux  de  la  Mère  et  du  Fils,  de  la  Vierge  et  de  l'Innocent  : . 

Le  corps  s'en  va,  mais  le  cœur  vous  demeure. 

Mais  ce  beau  vers  est  beaucoup  plus  ancien  que  les  Rondelés 
de    Froissart.    puisqu'il   vient  des    Congés   île    Jean    Bodel 3,   le 

i.  Ce  n'était  pas  celle  de  L'abbé  Goujel  (BM. franc.,  I.   X,  p.  2JJ,  238),  et  diverses 
études  publiées  par  M.  Eni    Picot  et  M.  Piaget  dans  la  Romania  lui  ont  donné  raison. 
•2.  Recherches,  VII,  5,  éd.  d'Amsterdam  in-folio,  t.  I.  col.  699. 
i.  Romania,  IN.  [880,  p.  ^42   Les  Congés  de  .T.  Bodel  : 

Li  corps  s'en  va,  lame  demeure. 


I  A    D  \TI     l'i    -    MYS'l  ÈRE  ■    ROI  ERG  \  1  .-  I  i'.1 

lépreux  d'Arras.  Par  quels  intermédiaires  a-t-il  bien  pu  arriver 
jusqu'à  Froissaii  '.  puis  continuer  sa  route  après  lui'.'  Si  la  mora- 
lité de  Jehan  d'Abundance  nous  oblige  a   poser  in<  idemmenl 
questions,  c'est  assez  pour  démontrer  que   malgré  la  sul>tilit<-  «lu 
sujet,  elle  n'est  pas  sans  intérêt  pour  l'histoire  littéraire. 

Récapitulons  les  faits  acquis  et  les  laits  douteux.  Il  est  matériel- 
lement démontré  que  la  moralité  rouergate  non  datée,  el  la  mora- 
lité française  écrite  par  Jehan  d'Abundance  entre  i54o  et  i55o 
sont  toutes  deux  imitées  d'un  sermon  français  célèbre,  dont  les 
origines,  les  sources  et  le  succès  prolongé  ont  été  exactement  dé- 
terminés. Ces  deux  imitations  tirs  fidèles  présentent  au  début 
une  particularité  commune  (requête  de  Nature  humaine)  laquelle 
ne  se  retrouve  pas  dans  l'édition  incunable  du  sermon  de  Denis 
Roce.  d'où  dérivent  certainement  les  quatre  autres  éditions  pari- 
siennes et  lyonnaises  que  nous  avons  pu  collation ner.  Suivant 
toute  vraisemblance  il  subsiste  donc  encore  un  autre  texte  ou  une 
édition  plus  développée  du  sermon  en  litige,  qui  permettrait  seule 
de  résoudre  toutes  les  difficultés,  mais  ces  difficultés  sont  assez 
étroitement  délimitées. 

En  effet  :  i°  le  Jugement  de  Jésus  rouergat  est  placé  en  tête  de 
la  compilation  sous  le  numéro  8  dans  les  deux  tables  de  matières, 
après  l'Expulsion  des  vendeurs  du  Temple  (n°  ;),  avant  la  Résur- 
rection du  Lazare  (n°  9).  Malgré  sa  place  actuelle  et  son  numéro 
d'ordre,  ledit  Jugement  de  Jésus  n'a  été  rédigé  qu'après  la  Résur- 
rection de  Lazare  et  inséré  postérieurement  dans  la  série,  puisque 
son  insertion  oblige  pour  la  représentation  à  supprimer  la  moitié 
de  la  Résurrection  du  Lazare,  les  raccords  et   les  indication--  de 


1.  Froissart,  Poésies,  éd.  Aug.  Scheler,  t.  II.  p,  \ïi: 

Le  corps  s'en  va,  mes  l<-  coer  vous  demeure, 
Très  chiere  dame,  adieu  jusqu'au  retour  ! 
Mon  doulc  iiini,  adieu  jusqu'au  revoir. 
Le  premier  refrain  emprunté  par  Proissarl  a  dû  rester  populaire,  M.  Emile  Picol 
veut  bien  me  l<-  signaler  sous  une  forme  légèrement  différente  : 

Mon  corps  s'en  va  el  mon  cueur  vous  demeure. 
dan»  un  recueil  de  poésies  du  kvv  siècle,  L'Esperit  trouble,  fol    tëvij  v*. 

La  même  pensée  devait  être  retrouvée  plus  tard  par  Métastase,  comme  l'i i<-  la 

Bibliothèque  du  théâtre  jraneais  (des  secrétaires  du  duc  de  la  Vallière),  I    I,  p    118. 

Partos lt(    1  esta  il  m r. 

29 


450  LA  DATE  DES  MYSTÈRES  ROUERGATS 

mise  en  scène  le  disent  expressément  '.  D'autre  part  ce  .Tu (renient 
de  Jésus  est  tiré,  comme  nous  l'avons  vu.  d'un  sermon  célèbre, 
resté  très  longtemps  populaire,  et  la  première  édition  connue  de 
ce  sermon  :  Secundum  legem  débet  rnori,  avec  la  devise  de  Denis 
Roce.  //  V Aventure,  se  place  aux  environs  de  i49-">-  Le  sermon  lui- 
même  si  souvent  réimprimé  serait-il  de  beaucoup  antérieur  à  la 
première  impression  connue?  Cela  n'est  pas  impossible,  mais  assez 
peu  vraisemblable.  En  tout  cas  la  date  que  l'on  choisira  influera 
forcément  sur  celle  de  la  compilation  rouergate  tout  entière. 
Essayons  de  concilier  cette  indication  avec  celle  de  la  paléogra- 
phie. Si  d'un  commun  accord  l'écriture  du  manuscrit  a  été  fixée 
«  aux  environs  de  i^~o  »,  et  si  matériellement  nous  avons  déjà  pu 
la  reporter  après  I4H1.  il  est  clair  que  ce  déplacement  ne  saurait 
être  indéfiniment  reculé. 

i°  En  tout  état  de  cause2,  la  compilation  rouergate  n'a  pu  être 
achevée  qu'après  1481,  après  la  publication  de  la  traduction  fran- 
çaise du  Belial  si  souvent  réimprimée  à  Paris,  à  Lyon  et  ailleurs. 
Cette  date  de  1481  n'est  elle-même  qu'une  simple  indication. 
Le  compilateur  rouergat  a  pu  lire  la  traduction  de  1481  en  l'une  ou 
l'autre  des  années  suivantes,  il  a  pu  en  lire  une  édition  quelconque 
puisque  les  réimpressions  françaises  ne  diffèrent  que  par  les  fautes 
d'orthographe  et  qu'il  est  impossible  de  choisir  entre  elles. 

3n  Ceci  posé,  la  seule  allusion  historique  de  la  compilation 
rouergate  prête  à  diverses  interprétations,  mais,  comme  on  va  le 
voir,  ces  interprétations  sont  maintenant  restreintes  à  une  période 
d'une  trentaine  d'années  au  maximum.  Voici  cette  allusion  histo- 
rique dans  la  proclamation  finale  3  par  laquelle  le  compilateur 
rouergat  prend  congé  de  son  auditoire,  p.  191  : 


1.  Le  Jugement  de  Jésus,  p.  60  v.  i5;i  (cf.  p.  jg,  v.  2.10;),  fait  déjà  noté  par  M.  Stengel. 

2.  Abstraction  faite  du  sermon  Secundum  legem  débet  mori.  Cf.  le  Procès  de  Belial, 
p.    |i  i  de  ce  livre. 

3.  Il  convient  de  rappeler  la  noie  de  M.  Jeanroy,  Introd.,  p.  xxi.i.  note  1.  «  Dans 
la  pensée  de  l'auteur,  Joseph  d'Arimathie  devait  primitivement  clore  le  cycle,  car  il  se 
termine  par  une  tirade  de  la  crida  qui  devait  marquer  la  fin  de  la  représentation  ». 

Les  mystères  de  Y  Ascension  et  du  Jugement  général  qui  dérivent,  comme  nous 
l'avons  vu,  du  même  Procès  de  Belial,  ont  dû  être  composés  après  les  autres  mor- 
ceaux, quand  le  compilateur  rouergat  a  eu  sous  la  main  une  des  nombreuses  éditions 
françaises  de  la  traduction  française  de  ce  Procès. 


LA  HATE  DES  MYSTÈRES  ROUERGATS  451 

Dieu  he  la  verges  Maria 

Guarde  de  mal  la  companiha 

He  ausi  lo  noble  rey  de  Fransa, 

La  regina  he  tota  sa  poysansa, 

Hoc,  he  mossenhor  lo  dalphy 

Que  puesqua  mantener  la  flor  del  ly 

He  los  vuelha  gardai-  de  trayso  (v.  5327). 

Quel  est  le  dauphin  ici  désigné.  Est-ee  le  fds  de  Louis  XI  et  de 
Charlotte  de  Savoie1,  le  futur  Charles  VIII?  Est-ce  le  tîls  de 
Charles  VIII,  Orland  ou  Roland  pour  lequel  son  père  rêvait  de  si 
hautes  destinées  et  auquel  il  avait  donné  une  «  ystoire  du  très 
sainct  Charlemagne  »?2  Ce  dauphin  là  était  mort  à  l'âge  de  trois 
ans  le  6  décembre  i^çp,  et  son  frère  Charles,  le  nouveau  dauphin, 
mourut  âgé  de  vingt-cinq  jours,  le  20  octobre  i49^-  S'agit-il  de  l'un 
ou  de  l'autre  des  deux  fds  de  Louis  XII  qui  moururent  également 
au  berceau  et  «  qui  firent  si  peu  de  bruit  qu'on  ignore  la  date 
exacte  de  leur  naissance  »  :l  ?  S'agit-il  enfin  du  duc  d'Angoulême, 
le  futur  François  Ier,  dont  la  situation  resta  si  longtemps  équivoque 
puisque,  au  lieu  d'être  fils  du  roi.  il  n'était  que  son  cousin  avec 
droit  immédiat,  il  est  vrai,  à  l'héritage  de  la  couronne,  mais  droit 
bien  précaire,  risquant  toujours  de  lui  être  enlevé  par  une  nais- 
sance imprévue?  Par  suite,  ni  les  amis  les  plus  intimes  du  jeune 
prince,  comme  Fleurange,  ni  sa  mère  elle-même4,  malgré  toute  son 
envie,  ne  l'appelèrent  jamais  le  Dauphin,  mais  celle  appellation 
impropre  ne  larda  pas  à  lui  être  donnée  par  la  voix  publique,  cl 
elle  devin l  naturellement  plus  fréquente  au  fur  et  à  mesure  que  ses 
chances  d'arriver  au  trône  augmentaient.  Dès  [5o3,  dit-on,  Louis 
XII  parait  lui  avoir  donné  ce  titre  de  Dauphin  dans  une  corres- 
pondance   officielle  ',   il   le  porte   encore,    suivant    toute  vraisem- 


1.  Louis  XI  est  mort  le  3o  août  (483  ;  Charlotte  de  Savoie,  le  i'r  déc    r483. 

2.  Conservée  parla  Bibliothèque  Nationale,  ms.  fr.  {,930. 
;    Romania,  1890,  p.  117. 

j.  En  i5oa,  après  la  mort  d'un  Bis  d'Anne  de  Bretagne,  Louise  de  Savoie  écrivait 
encore  dans  son  Journal  :  «  Il  ne  pouvoil  retarder  l'exaltation  de  mon  César,  car  il 
avoit  faute  de  vie.  »  —  Ce  texte  m'a  été  indiqué  par  mon  collègue,  M.  Hauser,  qui 
prépare  une  édition  critique  du  Journal. 

:>    «  Eo  [5o3,  Louis  XII  offrit  au  choix  du  due  de  Ci labre...  ou  sa  propre  nièce,  Mlle 
de  Poix,  nu   Marguerite  d'Angoulême  qu'il  décorait  du   nom  de  sœur  du  Dauphin 
Il  échoua  contre  la  candidature  de   Catherine  d'Aragon.  —   Sanato,  V,  'ny.  Lyon,  n 


452  LA    DATE    DES    MYSTÈRES    ROUERGATS 

blancc,  la  même  année,  dans  le  prologue  du  mystère  briançon- 
nois  de  Saint  Anthoine  de  Viennes  «  achevé  de  copier  le  9  février 
i5o3  »  '  et  c'est  certainement  lui  que  nous  retrouvons  en  i5o4dans 
une  poésie  allégorique  du  Normand  Pierre  Tasserye,  le  Pèlerin 
passant 2.  Sous  prétexte  de  chercher  un  gîte,  notre  pèlerin  passe 
en  revue  toutes  les  grandes  maisons  de  France,  à  commencer  par 
celles  du  Roi  et  de  la  Reine,  en  leur  donnant  pour  enseigne  les 
armoiries  vraies  ou  fictives  qui  les  illustrent  : 

De  là  m'en  alay  au  Daulphin 
En  une  hôtellerie  fort  belle. 
Y  entrai  bauldement  afin 
Que  quelc'un  doulcement  appelle; 
Mais  le  maistre  estoyt  en  tutelle, 
Ainsy  que  je  fus  adverty. 


Arriver  vins  au  Chapeau  Rouge'K 


A  partir  de  i5o4,les  mentions  deviennent  plus  explicites,  témoin 
celle-ci  qui  est  insérée  dans  le  «  rondeau  pour  finablc  envoy  »  du 
Contreblason  '*  de  f attises  amours  écrit  en  i5i2  : 


décembre  i5o'3  ;  cf.  Sandret,  R.  des  Questions  hist.,  i8;3,  p.  2o(i  ».  Cite  par  M.  de  Maulde 
de  la  Clavière,  Louise  de  Savoie  et  François  I,  Paris,  189.Ï,  p.  i5i.  Je   n'ai   pu  contrôler 
la  référence  de  Sanuto. 
1.  Ed.  par  l'abbé  P.  Guillaume,  Paris,  Maisonneuve,  1884,  p.  2. 


Car  nous  nos  en  someten  a  la  ordenanso 
l)al  noble  ecelent  Rey  de  Franso, 
Y  a  nostre  segnor  lo  Dalphin. 


Plaso  a  Diou,  per  sa  marci. 

Que  li  done  longe  vio 

E  li  mantegno  sa  segnorio. 


Ce  texte  est  équivoque,  et  l'on  peut  se  demander  si  le  mot  copiata  désigne  la  mise 
au  net  d'un  mystère  nouveau,  ou  la  copie  d'un  texte  antérieur.  La  première  hypo- 
thèse nous  parait  la  plus  plausible,  mais  en  tout  cas,  il  n'y  a  point  de  doutes  pour  le 
Pèlerin  passant. 

1.  Le  Pèlerin  Passant,  réimprimé  par  Ed.  Fournier  dans  le  Théâtre  français  avant 
In  Renaissance,  p.  2^5.  Le  Pèlerin  fait  allusion  à  la  mort  récente  de  Pierre  II,  duc  de 
Bourbon,  décédé  le  8  octobre  iôo'î  ;  sa  tille  Suzanne  de  Bourbon  n'est  pas  encore 
mariée  au  futur  connétable,  Cbarles  III,  duc  de  Bourbon,  qu'elle  devait  épouser  le 
10  mai  i5o.">.  Le  Pèlerin  Passant  est  donc  très  vraisemblablement  de  l'année  1004. 

3.  Le  cardinal  Georges  d'Amboise  qui  fut  prépose  à  la  tutèle  du  .jeune  duc  d'An- 
goulême,  ou  du  «  dauphin  »  ici  désigné  et  qui  mourut  en  i5io. 

j.  Signalé  par  M.  Em.  Picot,  Romania,  1890,  p.  iij.  et  dans  son  édition  de  Guill. 
Alexis.  i8;i0,  i.  I,  p.  2;G. 

Le  dernier  lils  d'Anne  de  Bretagne  et  de  Louis  XII  est   mort-né  aux  environs  du  21 


LA    DA.TE    DES    MYSTÈRES    ROL'ERG  A.TS 

Vive  Loys  de  Vallois,  roy  de  France, 
Vive  la  reyne  et  vive  le  daulphin  ! 
Vive  Claude,  seule  daulphine  en  France, 
Vive  Loys  de  Valoys,  roy  de  France. 

Dès  lors  les  textes  analogues  deviendront  plus  communs  jus- 
qu'au jour  où  la  reine  Anne  de  Bretagne  meurt  (9  janvier  iôi4),  et 
où  François  Ie'.  roi  de  France,  devient  lui-même  père  d'un  nou- 
veau dauphin,  lequel,  fiancé  peu  après  sa  naissance  (2S  février 
1.Ï17),  ne  prête  plus  aux  confusions.  Voici  d'ailleurs  à  son  sujet  un 
dernier  texte  utile  à  rapprocher  du  mystère  rouergat,  puisqu'il 
contient  les  mêmes  formules  : 

Dieu  doint  bonne  vie  au  bon  roy  François, 

A  la  bonne  royne,  a  son  bon  conseil, 

A  la  compaignie  qui  estes  icy, 

Et  aux  trespassez  Dieu  face  mercy  ' 

Alleluya,  alleluya.  alleluya,  Kyrieleysun. 

Christe  eleyson,  Kyrieleyson,  Christe  audi  nos. 

A  nostre  daulphin.  a  tous  bons  francoys, 

A  son  accordée,  dame  des  Angloys, 

Que  Dieu  par  sa  grâce  leur  doint  tant  régner 

Que  les  voye  en  Fj>]ance  tous  deux  couronnez,  etc. 

On  le  voit  d'après  cette  énumération,  les  probabilités  pour  le 
dauphin  désigné  dans  le  mystère  rouergat  de  Joseph  d'Arimathie 
sont  à  peu  près  égales  pour  le  fils  A*-  Charles  VIII,  Orland  (i/jii.'o. 
et  pour  le  duc  de  Valois  ou  le  futur  François  Ier,  mais  les  noms 
extrêmes  ouïes  intermédiaires  de  la  liste  ne  sont  pas  radicalement 
éliminés.  La  date  extrême  des  mystères  rouergats  ne  sera  plus 
exactement  déterminée  que  si  l'on  retrom  e  soit  le  sermon  anonj  me 


janvier  i5ia,  <•(  désormais  la  situation  >lu  <lu.   .1  Ingoulême,  François    est  assurée. 
[lest  probable  qu'une  traduction  de  Saint  Jérôme  (B.  Nat   fr.   [ai)  a  été  dédi 
mère  Louise  de  Savoie  vers  ce  temps    »'ii   lit   dans  la  dédicace    •    \   mons 
rostre  Riz  qui  esl  aujourd'hui  le  daalfin  de  France,    très   beau,  jeun.'  et  vertueux 
prince      Cité  par  M    de  Maulde. 

1.  S'ensuyt  une  très  belle  salutation  faicte  sur  les  9ept  restes  de  Notre-Dame 
['Alleluya,  du  jour  de  Pasques  el  avec  ce  les  Grâces  .1  Dieu  «mi  François  (Bib    N'a! 
Réserve  Ye  Soi),  signalé  pai   I.    DelisleGfl  d<   l'Ecoh  des  Chartes, 


454  LA  DATE  DE?  MYSTÈRES  ROUERGATS 

Secundum  legem  débet  mori  imprimé  dans  un  recueil  de  sermons 
signé  et  daté.  soit,  ce  qui  est  peut-être  plus  facile,  si  l'on  retrouve 
l'édition  perdue  de  ce  sermon  qui  paraît  avoir  été  copiée  successi- 
vement par  le  compilateur  rouergat  et  le  basochien  Jehan  d'Abun- 
dance.  Il  s'agissait  «  de  reconstituer  la  physionomie  et  de  retrouver 
les  sources  du  livre  rouergat  »  '  :  c'est  fait  :  d'en  fixer  rigoureuse- 
ment la  date  :  ce  n'est  pas  encore  fait.  Notre  enquête  se  terminera 
donc  par  un  point  d'interrogation,  et  c'est  le  cas  de  répéter  la 
devise  du  libraire  Denys  Roce  :  ce  Tout  vient  à  point  qui  peut 
attendre.  » 

i.  Mystères  rouergats.  Introduction,  p.  IX. 


CONCLUSION 


Quelques  mots  suffiront  pour  résumer  le  petit  nombre  de  laits 
qui  ont  pu  être  ajoutés  à  la  masse  commune.  Ce  Livre  n'est  qu'un 
essai  de  classement  des  mystères  de  la  Passion,  un  effort  en  vue 
tle  substituer  l'ordre  logique  à  celui  des  notices  détachées  ou  des 
groupements  artificiels.  Pour  établir  cet  ordre,  il  a  fallu  discuter 
des  méthodes  adverses  qui  supposaient  le  problème  résolu,  et  pro- 
poser d'autres  moyens  de  classement.  De  là  l'étude  des  sources 
Légendaires  et  théologiques,  l'analyse  détaillée  des  mystères  con- 
nus, la  recherche  de  documents  nouveaux  dont  on  s'est  bien  gardé 
d'exagérer  L'intérêt. 

La  dernière  histoire  complète  des  mystères  français1  disait  en 
1880  :  «  Les  textes  dramatiques  sont  en  grande  partie  connus  :  La 
liste  n'en  saurait  être  beaucoup  grossie  désormais  :  la  plupart  des 
bibliothèques  ont  été  explorées  avec  soin  ;  il  n'est  pas  probable 
qu'elles  cachent  encore  beaucoup  de  pièces  inconnues  appartenant 
à  notre  vieux  répertoire.  »  —  Rien  de  plus  juste,  et  comment  ne 
serait-on  pas  tenté  d'ajouter  :  «  Quelques  mystères  inédits  de  plus 
ou  de  moins  que  peuvent-ils  bien  faire  à  l'affaire?  »  —  En  fait  pour- 
tant, n'étaient-ce  pas  précisément  ces  mystères  inédits  ou  anal] 
trop  vite  qui  permettaient  de  relier  entre  elles  les  pièces  connues? 
Et  pour  expliquer  ces  mystères  eux-mêmes  ne  fallait-il  pas 
recourir  bon  gré,  mal  gré.  aux  légendes  et  aux  commentaires  théo- 
logiques très  longs,  très  ennuyeux,  qui  n'ont  le  plus  souvent  d'au- 
tre utilité  apparente  que  d'interpréter  telle  ou  telle  œuvre  d'art, 
mais  qui  en  réalité  ont  supporté  toute  la  Passion  du  moyen-âg 
Le  moyen  d'écarter  ou  de  restreindre  îles  hypothèses  gênantes 
comme  celles  de  MM.  Wilmotte  et  Stengel,  sinon  par  des  textes? 
C'est  toute  l'explication  des  documents  qu'on  a  essaye  d'ajouter  ù 
tous  ceux  qui  ont  été  publiés  depuis  1880. 

1    P.  de  Julleville,  Les  Mystères,  t.  !..  p.   tO 


CONCLUSION 


Grâce  à  eux,  dans  cette  masse  confuse  et  uniforme  des  mystères 
de  la  Passion  si  loin  de  nous  (guère  plus  que  les  tragédies  du 
seizième  ou  du  dix-huitième  siècle),  quelques  groupes  rationnels 
se  sont  dessinés.  La  Résurrection  française  de  la  fin  du  xme  ou  du 
commencement  du  xive  siècle  a  été  réunie  à  la  Passion  d'Autun  : 
elle  recevra  peut-être  une  autre  désignation  ;  mais  en  tout  cas  elle 
est  complétée  et  sera  publiée  in  extenso.  Avant  les  mystères  Sainte- 
Geneviève  est  venue  se  placer  cette  Passion  de  la  bibliothèque  de 
Charles  V  que  tous  les  historiens  des  mystères  avaient  oubliée  et  qui 
se  retrouvera  peut-être  quelque  jour.  La  Passion  Sainte-Geneviève 
elle-même  n'est  plus  restée  isolée  :  elle  a  bien  été  imitée  en  pro- 
vince, comme  on  lavait  conjecturé,  et,  ce  qu'une  première  tenta- 
tive n'avait  pu  établir,  une  seconde  l'a  fait.  La  Passion  bourgui- 
gnonne de  Semur.  imitée  de  la  Passion  Sainte-Geneviève,  nous  a 
montré  sur  le  fait  comment  s'étaient  formées  les  grandes  Passions 
du  quinzième  siècle  qui  succèdent  aux  compilations  de  pièces  déta- 
chées, et  qui  dérivent  toutes  au  premier  ou  au  second  degré,  sauf 
celle  d'Amboise,  de  la  Passion  d'Arras.  La  Passion  d'Auvergne  à 
son  tour  est  venue  s'ajouter  à  la  Passion  Didot  signalée  par 
M.  Jeanroy.  pour  relier  le  théâtre  du  Nord  à  celui  du  Midi  et 
expliquer  les  mystères  rouergats.  Il  s'est  trouvé  enfin  que  les 
sources  de  ces  mystères  méridionaux  cherchées  dans  divers  pays 
étaient  justement  des  œuvres  connues,  admirées  et  imprimées 
jadis  dans  tous  les  pays  de  l'Europe.  Le  principal  de  ces  textes  n'a 
cessé  d'être  réimprimé  jusqu'au  dix-neuvième  siècle  inclusive- 
ment. Ainsi  l'abondance  stérile  des  mystères  de  la  Passion  a  pu 
être  réduite  à  un  petit  nombre  de  types  qui  dérivent  eux-mêmes 
d'un  petit  nombre  de  sources. 

Ces  faits  démontrent  que,  même  sur  un  sujet  rebattu  en  tous 
sens  comme  le  théâtre  du  moyen-àge,  il  conviendra  longtemps  en- 
core  de  chercher  des  textes,  au  risque  des  erreurs  et  des  pertes  de 
temps.  Le  classement  proposé  aurait  été  plus  complet  si  l'on  avait 
pu  y  faire  entrer  un  mystère  daté  du  quatorzième  siècle  se  ratta- 
chant directement  aux  mystères  Sainte-Geneviève.  Ce  mystère  du 
xive  siècle,  le  Jour  du  Jugement  de  la  Bibliothèque  de  Besançon, 
a  été  publié,  mais  avec  une  interprétation  historique  erronée  sur 
laquelle  on  s'est  expliqué.  Cette  erreur  réparée  dans  la  mesure  qui 
m'est  possible,  il  subsiste  entre  le  Jour  du  Jugement  et  les  mys- 


CONCLUSION 

tères  Sainte-Geneviève  des  ressemblances  générales  qui  dénotent 
combien  le  genre  des  mystères  était  déjà  développé  au  \iv  siècle, 
et  ce  développement  a  dû  laisser  d'autres  traces,  d'autres  textes. 

Leur  recherche  pourra  tenter  ceux  qui  reprendront  ce  sujet  et  qui 
essaieront  encore  une  fois  de  compléter  l'histoire  de  la  Passion 
et  celle  de  la  Confrérie  de  la  Passion  avec  des  documents 
nouveaux . 


TEXTES 

LA  PASSION  DE  J.  DE  LENDA 

LA  LICENT1A  CHR1ST1  A  MAIRE 

LA  PASSION  SECUNDUM  LEGEM  DEBET  MOBI 

imprimée  par  Denis  Roce 

LA  MORALITÉ  NOMMÉE 
SECUNDUM  LEGEM  DEBET  MOR1 


LA 

PASSION  DE   I.  DE   LENDA 


Q.  preclari  profundissimiq:r  ||  sacre  pagine  interpfrejtis  necno[n] 
diuini  verbi  preconis  ||  viuacissimi  Magistri  Jacobi  de  Leada  ex  ordine 
mi  ||norum  sermones  quadragesimales  mi  ri  s  et  spécula  ||  bilibus  prati- 
cisq«  materiis  qj  luculenter  inserti  p[re|di  ||  catoribus  o|mn|ibus  non  me- 
diocriter  utiles  et  necessarii  ||  claro  et  ornatissimo  stillo  q.s  féliciter 
exordiuntur. 

Impressi  Parisius  per  magistrii  Felize»  balligault  e  diuerso  Collegii 
t'emensis  comorantem.  Anno  d/ri  quadringentesimo  nonagesimo  nono 
supra  mille  die  vero  quinta  mensis  februarii  (1499-500  n.  st.i  in-4'. 
(B.  de  Besançon.  Cat.  des  Incunables,  p.  487,  n°  636;  item,  Dijon,  2370; 
Douai,  1786;  Paris.  Bib.  Nat.  Réserve,  D.  8,  422  (Edit.  de  Jean  Petit. 
1501). 

Sermo.  Feria  sexta  in  die  passionis  Christi  '. 
(Folio  lxii.j.  verso,  col.  i  a  fol.  lxxij   r°.  col.  a). 

Propter  scolus  populi  mei  percussi  eum,  Ysa.  lu  :  ad  lauoVm  sanctis- 
sirnae  ac  piissimae  passionis  recitantur  haec  verba 

Primo  quaeritur  quaestiotheologalis,  quae  est  in  Tertio  Sententiarum  -, 
distinctione  secunda  :  «  l'trum  necessarium  fuerit  naluram  bumanam 
reparari  per  passionem  Jhesu  Christi  ». 

Sequuntur  quatuor  conclusiones. 

Pio  declaratione  causae  formalis  passionis  Jesu  Cristi  qua  termina tur 
praesens  sermo  qui  dividetur  in  septem  partes  secundum  quod  dicimus 
septem  horas  canonicas  (fol.  i.xmi  v\  col.  I). 

Primo  incipiemus  in  coena.  —  Secundo  in[h|ortu.  —  Tertio  in  domo 
judicum.  —  Ouarto  in  monte  Calvariae. 

;  Tertio  in  domo  judicum]. 
(  Folio  lx\  m  verso) 

Quatuor  facta  sunt  in  domo  Pylati. 

Prniiuni  esl  i|nod  electio  de  duobus  assignatur. 

i.  Ci -joint  un  c.xtr.iil  du  sermon  très  suffisant,  pour  qu'on  puisse  apprécier  le  sens 
et  la  place  de  l'épisode  principal  el  !<■  contexte,  Le  jugement  chez  Pilate  occupe  bien 
ici  In  même  place  que  dans  la  Passion  de  Revello, 

a.  Pet.  Lombard  et  S.  Thomas  d'Aquin,  Somme,  P.  III,  Q    [8,éd    Mlgne,!   IV.p    [i5. 


462  LA    PASSION 

Secundum  est  quod  secundum  legem  debere  raori  judicatur. 

Tertium  est  quod  corona  spinea  capiti  apponitur. 

Quartum  est  quod  a  Judaeis  illuditur  et  cum  arundine  flagellatur  et 
deinde  Judaeis  sic  ostenditur. 

Quantum  ad  primum,  dicit  Pylatus  magna  interrogando.  quamvis  bene 
sciret  quod  Judaei  eum  tradiderant  ex  invidia;  quaesivit  Cristo  :  «  Unde 
es  tu?  esne  rex  Judaeorum  ».  Cristus  non  respondit  ei  verbum  '.  Tune 
dicit  ei  Pylatus  :  «  Nescis  quia  potestatem  habeo  dimittere  te?  »  Tune 
respondit  Cristus  :  «  Non  haberes  potestatem  adversum  me  ullam,  nisi 
datum  esset  tibi  desuper2  ».  Nota  quod  omnis  polestas  a  Domino  Deo 
est.  O  qualis  dignitas  justitiae!  Illi  enim  servatur  jusDei  et  bominum.  et 
propterea  dicit  Cristus  :  «  Qui  me  tradidit  tibi  majus  peccatum  habet;i  », 
et  exinde  quaerebat  Pylatus  dimittere  eum.  sed  Judaei  infestabant  eum, 
dicentes:  «Si  dimittis  hune,  non  eris  amicus  Caesaris,  quod  omnis  qui  se 
regem  facit,  contradicit  Caesari  »  '.  O  quale  peccatum  assignabant  sibi  ! 
Sed  tune  Pylatus  voluit  inquirere  de  causa.  Sed  multi  faciunt  sicut 
equus  Alexandri,  qui  dictus  est  Bucifal.  Vide  hystoriam  supra  ;  credunt 
taies  habere  auctoritatem  a  se  ipsis  et  sunt  ita  superbi  quod  nullus  audet 
eis  dicere  verbum,  sed.  cum  depositi  sunt  de  otficio,  quilibet  loquitur 
cum  eis  ;  unde  Pylatus  volens  eum  eripere  de  inanibus  Judaeorum  et 
remittere  eum,  dicit  eis.  «  Est  consuetudo  quod  unusdimittatur  vobis  in 
pascha  ut  liberetur.  Vultis  ergo  ut  dimittain  vobis  regem  Judaeorum  !  » 
Dixerunt  :  «  Non  hune,  sed  Barrabam  :>  ».  — Erat  autem  Barrabas  latro. 
O  !  innocens  petitur  pro  morte  sustinendo  (sic)  et  reus  dimittitur!  Nec 
mirandum  est  si  hodie  sint  multi  taies  qui  sic  faciant  in  omnibus  curiis. 

Dixerunt  Judaei  :  «  Nos  legem  habemus  et  secundum  legem  débet 
mori''  ».  Nota"  quod  triplex  est  lex.  scilicet  naturae.  scripturae  et  gratiae, 
et  secundum  omnes  istas  leges  débet  mori,  et  primo  in  lege  naturae, 
quamvis  divina  Innocentia  excuset  eum  a  morte,  tamen  Caritas  domina- 
tur,  et  in  ista  curia  qui  dicunt  quod  débet  mori  ;  ideo  très  judices  magni 
eum  condempnant.  Primus  judex  est  Adam  dicens  :  «  ego  çondemno 
eum  ut  moriatur  in  ligno  crucis,  ut  reparatio  fiât  quod  in  ligno  fuit  facta 
offensa;  ideo  in  ligno  débet  reparari  ».  Secundus  judex,  scilicet  Noe, 
dicit  :  «  Ego  judico  cum  mori  in  cruce  et,  cum  hoc,  volo  quod  sit  nudus, 
quia  ego  dormivi  nudus,  et  fui  derisus  a  liliis;  hoc  erat  figura  quod  Chris- 
tus  sic  nudus  debebat  illudi  et  deridi  »  (sic).  Tertius  judex  est  Abraham 


i.  Marc  XV,  ^,  .Y 

2,3,4-  Joahn.,  XIX.  9.  10,  it.  12. 

5.  Matth.,  XXVII,  10-17. 

fi.  Joann.,  XIX.  ;. 

-.  En  manchette  :  7";v.s  sunt  leges  et  secundum  quamlibet  Cristus  judicatur  mon. 


DE    .1.    DE    LKNDA 

qui  dicit  :  «  Judico  eum  ad  portandum  crucem  in  qua  morietur  usque  ad 
monlem,  ut  fecit  filius  meus  qui  portavit  ligna,  ex  quibus  debebal  fieri 
sacrificium  de  eo  Deo,  utpatet  Genesis  vigesimo  secundo.  Quarlus  judex 
est  Joseph,  filius  Jacob,  qui  judicat  eum  mori,  cum  traditur  et  venditur 
a  fratribus  suis.  -  Et  tune  vidons  Judas  quod  judicatus  jarn  esset,  quia 
iu  ore  duorum  vel  trium  stat  omne  verbum,  videns  igitur  quod  lex  natu- 
rae  eondemnat  Cristum  in  eruce  poni  et  nudum.  et  vendi  a  discipulis.  et 
tradi  Pylato  a  fratribus  suis  et  cognatis  ' 

Secundo2  lex  scripturae  adjudicat  eum  mori,  unde  judices  tide  dignos 
dabimus  sibi,  et  primus  est  David.  Dicit  David  :  «  Ego  condemno  eum  ut 
alii  feceruut,  et,  cum  hoc  ad  plus,  scilicet  quod  sit  crucifixus,  etmanus  et 
pedes  sint  perforati  in  cruce  quia  scriptum  est  :  «  Joderunt  m/mus  meas 
et  pertes  meos  et  dinumeranerunt  omnia  ossa  mea:i  ».  Secundus  judex  in 
lege  scripturae  est  sapientissimus  Salomon  :  Saplentiae  secundo,  «  morte 
turpissima  condempnemus  eum  ' '»;  mors  enim  Christi  fuit  turpissima 
inter  omnes.  Tertius  judex  fuit  Jeremias,  sanctificatus  in  utero  matris  : 
ait  enim  :  «  Et  cum  sceleratis  députât  us  (sic)  est'\  non  a  dextris  nec 
sinistris,  sed  in  medio  ».  denotando  quod  est  pejor  istis  duobus  qui  sunt 
la  trônes  mali. 

Tertio  8  lex  gratiae  eondemnat  eum  ut  quattuor  Evangelistae,  nain. . . . 
euntes  in  Hierusalem  dicit  Matheus  "  :  «  Eilius  hominis  tradetur  et  cru- 
citigetur,  et  conspue  tu  r,  et  flagellabitur  ».  Sed  dicit  Pylatus  :  »  Non  euro 
de  illis  legibus,  quae  condempnant  ad  mortem  ;  cori  ipiam  eum  et  dimit- 
tam  eum8».  Inde  Augustinus  ;  «  Quare  si  justus  esj  t|  corripis  eum  '.' 
Si  injustus  est,  quare  d'.mittis  eum  ?  »  Dicit  Pylatus  suis  servitoribus  : 
«  Exuatis  ei  tunicam  ».  Tune  denudaverunt  corpus  sanctissiinuin  Jesu 
Christi  et  ceperunt  funiculos  valde  acres  qui  erant  de  scorpionibus,  et 
sex  magni  ribaldi  fatigaverunt  se  in  verberando  eum,  in  tantum  quod 
sanguis  exibat  ab  onmi  parte  corporis  sui,  et  fuerunt  sibi  dalae  plagae 
tôt  quot  continentur  in  isto  versu  : 

Quindecies  quinque  bis  centum  milia  quinque, 
Tanta  fuit  passus  pro  nobis  vulnera  Cristus. 

i.  La  phrase  est  inachevée  dans  rimprimé, 

a.  En  manchette  :  Lex  scripture. 

S.    l'.sal.,  XXI,    [8 

i    Sap.,  II.  \    Vulg. 

5.  En  réalité  ce  texte  n'est  pas  de  Jérémie  .  les  mots  en  italiques  sont  d'Isaie,  LUI, 
la,  et  encore  cités  inexactement  d'après  Marc,  XV,  i- .  »  El  implela  est  script  ura 
quae  <  i  î  <  -  î  t  :  Et  cum  iniquis  reputatus  est. 

il.  En  manchette  Lex  gratie. 

-    Mviiii  ,  XXVI,  a.,  —  Phrase  tronquée  et  inachevée  dans  l'imprime. 

8.  I. <<-.,  \_\l||    ... 


LA 


PASSION  DE  REVELLO  (1490) 


Au  débat  que  l'on  vient  de  lire,  comparer  la  discussion  ana- 
logue, presque  identique,  des  docteurs  juifs  devant  Pilate  dans  la 
Passion  italienne  de  Revello  (i4(.)°)- 

Texte.  La  Passione  di  Gesù  Cristo,  rappresentazione  sacra  in 
Piemonte  nel  secolo  XV.  édita  da  Vincenzo  Promis,  Torino.  Bocca. 
1888,  in-4°  —  (p.  387,  v.  1810  et  sq.  (Et  dica  Jonathan). 

Paris.  (B.  Nat.  Réserve  Yd  5). 

La  dite  scène  est  :  i°  analysée  avec  de  longs  extraits  par 
M.  Alessandro  d'Ancona,  Origini  del  Teatro  Italiano,  2"  edizione, 
Torino,  Loescher,  1891,  t.  I,  p.  320-327. 

20  Commentée  par  G.  Paris,  Journal  des  Savants,  1888,  p.  5i~. 


LA 

LICENTIA  CHRISÏI  A  MAIRE 


Analyse  de  M.Francesco  Torraca,  Studidi  Storia  Letterana  Xa- 
poletana  (In  Livorno.  coi  tipi  di  Franc.  Vigo,  editore,  1884,  in-8°). 
Id.  Sacre  Rappresentazioni  del  Napoletano,  pp,  3<>- 4 1 . 
Cf.  l'analyse  des  Origini  del  Teatro  italiano,  t.  I.  p.  35i,  353. 

Assai  curiosa  é  la  Licentia  Christi  a  Madré,  del  Ciarratello.  La  Carità 
e  l'Innocenza  dispulano  fra  loro,  perche  quella  vuole  Cristo  compia  la 
sua  missione,  e  l'altra  nega  possa  niorire  un  giusto  senza  colpa.  A  deci- 


I   V    LICENT1  \    CHRIS!  I    A    M  \  I  RE 

dere  chiamano  la  Natura.  Es  sa,  prima  di  sentenziare,  vuole  aver  tempo, 
domanda  consigli  da  Adamo,  da  Noè,  da  Abramo.  Adamo  chiede  che  le 
proprie  pêne  cessino  una  lmona  volta  :  muoia,  quindi,  il  Messia.  Noè 
soggiunge  ch'egli  piantô  la  vigha  solo  corne  figura  del  Messia;  per 
Abramo,  il  sacrificio  del  tigliuolo  fu,  anch'esso,  figura  délia  morte  di 
Cristo  ;  Giaccobbe  afferma  che  la  scala  vista  da  lui 

vuol  notai'»' 
La  Croce  ch'al  morir  devea  portare. 

Doppo  tutto  ciô,  la  Natura  giudica  che,  per  dimostrare  veridiche  le 
Sacre  Carte,  Cristo  debba  morire.  L'Innocenza  si  oppone,  ma  i  suoi 
argomenti  sono  confutati  dalla  Carità.  La  Natura,  impicciata,  si  rivolge 
a  Cristo  medesiuio,  il  quale  afferma  dover  morire  per  pietà  e  per  frenare 
il  crudo  interno.  In  tal  caso,  salta  su  Giuseppe,  sarà  verificata  la  figura 
ruia  che  fui  venduto  dai  t'ralelli  iniei. 

La  Natura  sentenzia  : 

Tu  non  inorirrai  Signor  per  colpa  alcuna 
ma  morrirai  per  noi  salvar.... 

Maria  Vergine  si  Iagna  délia  senten/.a  :  sorda  aile  persuasion]  del 
figliuolo,  cerca  altro  giudice,  e  proprio  la  Scrittura.  Costei  vuole  ris- 
pettate  1»-'  tonne  : 

Giudicarrô,  ma  per  sententiar  bene 

io  mi  protesto  avante  a  questa  gente 

ch'  ad  noi  procurator  aver  convene 

actal  le  parle  siano  ben  contente 

habbi  per  te  Maria  Fidelitate 

la  quai  procura  contro  a  Charitate. 

Tu  Charita  che  cérchi  il  tuo  dovere 

habi  procuratrice  Veritate 

noi  altri  per  servir  et  ben  volere 

»]uest'  anime  daremo  examinate 

lasciando  moite  e  d'infinité  schiere 

chiamerrem  quelli  posti  in  sanctitate 

Salomone  1  >avid  et  Esaia 

Et  faccia  lo  processo  Hieremia. 

Anche  questa  volta  la  sentenza  è  sfavorevole  alla  Vergine,  che  se  ne 
appella  al  Tribunale  délia  Grazia. 

Le  ragioni  sono  sostemute,  pro'  e  i  ontro,  da  due  al  iti,  Equité 


466  LA    LICENTIA    CHRISTI    A    MATRF. 

e  Giustizia.  La  Grazia  conchiude  :  —  Crislo  deve  morire.  Ed  egli,  ora- 
mai,  vorrebbe  accommiatarsi  ;  ma  la  Madré  lo  trattiene,  finchë  non  fugge 
spaventata  ail'  appressarsi  délia  Morte.  Questa  pur  cbiedendo  scusa, 
annunzia  a  Cristo  che  la  fine  di  lui  è  prossiraa.  Egli  le  consiglia  di  non 
esser  poi  tanto  fiera,  le  rimprovera  di  aver  fatto  paura  a  Maria.  La  Morte 
si  allontana  cantando  : 


Jo  paio  secca  scorza 
corpo  squallido  e  macro 
horrendo  e  simulacro 

Sfiaventoso 
Ma  pur  giamai  riposo 
scorrendo  il  stato  humano 
con  questa  falce  in  mano 

aspra  e  adoncha 
Da  me  ciascun  si  tronca 
prencipi  e  gran  Signori 
Monarcha  e  Imperadori, 

ogni  persona 
l'opul  l'orecchie  doua 
a  questo  parlar  mio 
manco  al  figliuol  de  l)io 

io  la  perdono. 


Cristo  manda  Giovanni  a  consolare  la  Madré,  la  quale  rilorna  afflittis- 
sima  ;  il  figliuolo  le  cbiede  il  permesso  di  lasciarsi  uccidere.  Due  fan- 
ciulli  gridano  a  Maria  ;  Miserere,  lascia  che  ci  salvi  !  Ed  ella,  facendo 
t'orza  a  se  stessa,  benedice  Gesù  e  cade  tramortita.  Giunge  la  turba  de 
Giudei,  e  lo  menano  via.  La  Madré  rinviene  ;  vedendosi  sola,  s'abban- 
dona  al  suo  dolore. 


PASSIO  SECUNDUM  LEGEM 


Editions. 


in  Passio  secundum  legem,  Parisiis,  Denis  Roce,  s.  d.  — In-8°. 
F.  i  r°.  Titre  :  Secundum  Legem  débet  mori  io  bannis  decimo- 
nono.  || 

Marque  typograph.  de  «  Denis  Roce  »  A  l'aventure  (Silvestre 
343). 

(Id.  y  °).  Secundum  legem  débet  mori... 

Cum  considero  statum  universu[m]. 

(F.  16,  v".  1.  i5).  Explicit  passio  secundum  legem.  || 

Caract.  gotb.  pet.  16  11'..  3'5  II.  i..  s.  ch.  n.  r.  Sign.  a-b. 

Filigr.  :  Main  ouverte. 

Bibl.  de  Besançon.  Incunables  p.  5j3,  n°  702:  Lyon,  n°  £63;  Paris. 
B.  Nat.  Réserve,  D,  5i,  849. 


•>  Secundum  legem  débet  moisi  (Saint-Jean;  \1\.  -).  Paris. 
Denis  Roce  (1499).  In-8. 

(F.    1.    Il    Titre,  gros  texte).  Secundum  legem   débet  mari 
Iohannis  decimo  nono.  ||  3e  Marque  de  Denis  Roce:  .1  Vavanture 
Tout  vient  a  point  (/ni peu/  atendre. 

(Verso).  Secundum  legem  débet  mori.  Iohannis  decimo  nono. 
Il  (Petit  texte).  Cum  considero  statum  universum  reperio. 

Il  Fin.  Explicit  passio  secundum  legem.  || 

Un  volume  in-8°  sur  papier,  caractères  gothiques,  ■>'  lignes 
Longues  par  page,  sans  rubriques,  i<>  folios,  reliure  du  wi:  siècle 
en  vélin  blanc.  Provenance  de  Sorbonne 

Bibliothèque  Mazarine,  Incunables,  p.  ."><)•>-).  n    m',  1  -  p  (92^ 
Le  catalogue  attribue  cette  édition  non  datée  à  I  année  1  (99. 


3    Secundum  legem  débet  mori  :   Johannis  decimo  uono  (In 
fine  :  Explicil  Passio  secundum  legem.  Impressum  esl  hoc  opuscu- 


468  PASSIO    SECUNDUM    LEGEM 

lum  Lugduni  per  Iohannem  Galli  anno  d[omiJni  mcccciii  (sic)  die 

vero  xvin  januarii  (i5o4). 

«  Un  volume  in-24  de  16  feuillets  à  2  col.  pet.  car.  goth.  (grav. 
sur  bois  représentant  Jésus-Christ  crucifié  et  entouré  des  Saintes- 
Femmes) 

Cette  édition  est  longuement  décrite  dans  le  Bulletin  du  Biblio- 
phile. 1860.  p.  i4o4:  ^e  British  Muséum  en  possède  un  exemplaire 
sous  la  cote  3833  aa. 


4  S  c  d  m  legez  dz  ||  mori  lohannis  decimo  nono.  ||  A  la  fin  : 
E[x]plicit  passio  Scdz  lege[m\.  Impress  =  II  sum  Lugduni  per 
Petrn[m\  Maréchal  :  \\E[t\  Barnabam  Chaussard.  Anno  d[onii\ni 
Il  Millesimo  q[uin\gentesimo  undecimo  II  tertia  die  Decem-bris. 
[i5ii]. 

Un  volume  in-8n  sur  papier,  caractères  gothiques.  1-  lignes 
longues  par  page,  sans  rubriques.  24  feuillets  non  chiffrés.  — 
Folio  1.  bois  représentant  le  Christ  en  croix  entouré  d'un  côté  de 
la  Vierge  et  de  saint  Jean,  de  l'autre,  de  soldats. 

Bibl.  Nationale,  Réserve,  D.  57.882. 


5°  Secundum  legem  débet  mori  (S.  Jean.  XIX,  ").  S.  1.  n.  d. 
In-4°. 

(F0  1)  H  (gros  texte)  Secundum  legem  débet  mori.  lohannis 
XIX.  il  Cum  considero  statu[m]  universu[m]  reperio  q[uod] 
totu[m]  tfem]p[u]s  a  principio  mu[n]di  p[erj  totu[m]  t[em]p[u]s...  || 

(Fin.)  est  p[ro]  nobis  salvandis.  Explicit  passio  s[ecundu]m 
legem.  || 

Un  volume  in-4°  sur  papier,  caract,  gothiques,  29  lignes  longues, 
sans  rubriques,  -j  folios,  reliure  du  xvie  siècle  en  vélin  blanc. 

Bib.  Mazarine,   Incunables,  calai,  p.   ;4r-  n°  'A^  "   p-  (25a  "'  p)> 


PASSIO  SECUNDUM  LEGEM  ' 

DEBET  .1/07?/  (IHOANNIS  DEC1M0  NONO) 


Cum  considero  statum  universum,  reperio  quod  totum  tempus  a  1  v' 
principio  mundi  per  totum  tempus  usque  modo  fuit  servatum  et 
rectum  per  très  leges  *,  scilicet  primo  per  legem  Xaturae  :  et  ista 
lex  duravit  usque  ad  Noe  et  Moysen  :  secundo  per  Legem  Scriptu- 
rae.  et  duravit  usque  ad  adventum  Domini  nostri  Iesu  Cliristi  : 
tertio  per  legem  Gratiae,  et  ista  durabit  ab  adventu  Domini  usque 
ad  judicium  générale.  Unde,  et  si  consideremus  (juac  et  qualia 
l'ucrunt  faeta  tempore  istarum  legum,  poterimus  clare  videre  qua- 
liter  in  qualibus  istarum  trium  legum  facta  est  mentio  de  morte 
Christi  et  Passione  ejus.  Kt  ideo  secundum  quamlibet  potest  dici 
quod  secundum  legem  débet  mori  : 

Primo,  Xaturae.  mors  Christi  fuit  praefigurata. 

Secundo,  In  lege  scripta  mors  Christi  fuit  prophetisata. 

Tertio,  Gratiae.  mors  Christ i  luit  finita. 

Dico  primo  quod  mors  Christi  et  passio  ejus  fuit  in  lege  Xaturae 
figurata  et  ideo  secundum  legem  débet  mori.  Et  quod  hoc  sit  verum 
apparet  ex  eo  quod,  quum  aliquis  secundum  legem  humanam  et 
naturalem  adjudicatus  esi  ad  mortem,  in  sua  defensione  est  assi- 
gnatus  judex  et  advocatus  pro  utraque  parte.  Modo  sunl  hic  plures 
viri  sapientes  ut  cognoscànt  :|  si  lalis  debeat  mori  secundum  rec- 


i  Pour  la  réimpression  de  cet  incunable, on  a  sui\i  naturellement  la  plus  ancienne 
édition,  c'est-à-dire  la  Passion  in-s  imprimée  par  Denis  Roce,  sans  date,  a\  ec  la  devise 
.1  t'Aventure,  el  on  l'a  comparée  aux  éditions  suivantes  <pii  malheureusement  la 
reproduisent  sans  changements  On  a  résolu  les  abréviations  gothiques,  très  péni 
blés  dans  ce  petit  livret  si  serré,  et  de  plus,  on  a  quelquefois  corrigé  l'orthographe 
défectueuse,  suppléé  les  mots  absents  entre  |  |.  enfin  indiqué  les  sources  et  les  cita- 
tions très  nombreuses  quand  on  l'a  pu  Les  citations  à  peu  près  exactes  ont  été  seules 
imprimées  en  italiques.  Il  était  inutile  d'en  faire  autant  pour  tous  les  versets  plus  ou 
moins  tronqués  des  quatre  Evangiles  canoniques,  faciles  à  reconnaître, 

a    Sur  ces  trois  luis,  voir  la  citation  précédemment  donnée,  p,  iij.  n.  a,  de  Vincen' 
de  Beauvais,  Spec.  Natar.,  Iil>.  \\\,  cap.  xxui,  col,  a4i5-a4i6. 

i    Imprimé     cognoscànt. 


4Tl)  PASSIO    RECUNDUM    I.EGEM 

tam  justitiam.  ut  sententia  detur  licita.  Simili  modo  possumus 
videre  quod  secundum  legem  Ihesus  débet  mori.  Assignemus  ergo 
judicem  in  sua  causa,  et  advocatum  in  parte  sua,  et  ex  alia  parte, 
scilicet  humani  generis,  assignemus  sibi  iudicem  et  advocatum,  et 
insuper  assignemus  consiliarios  et  advocatos  et  peritos.  Nunc  autem 
ordinemus  sic  judices  in  causa  ista.  Sunt  quattuor  patriarchae  in 
lege  naturae.  scilicet  Adam,  Noe,  Abraham  et  Iacob.  Gonsiliarii 
autem  sunt  quatuor  filii  Israël  et  fdii  Iacob,  et  loquitur  Ioseph  pro 
omnibus  Ira  tribus  suis.  Item  advoeatus  ex  parte  Christi  est  pura 
Innocentia  :  ex  parte  generis  humani  est  Caritas  '. 
2  r°.  His  sic  ordinatis,  interrogentur  iudices  et  prior  Adam  :  «  Adam, 
quid  dicis  de  Iesus?  »  —  Respondet  :  «  In  ligno  débet  mori.  » 
Secundo.  Noe  :  «  Quid  dicis  de  Iesus?  »  —  Respondet  :  «  Nudus 
débet  mori.  » —  Tertio.  Abraham  :  «  Quid  dicis  de  Christo  ?  »  — 
Respondet  :  «  Quod  in  cruce  débet  mori.  »  —  Quarto,  Jacob  : 
«  Quid  dicis  de  Christo?  » —  Respondet  :  «  Quod  in  monte  Calva- 
riae  débet  mori.  » 

Primo  igitur  respondet  Adam  quod  in  ligno  débet  mori  et  probat 
sic  :  «  Ego  peccavi,et  in  ligno  olïendi  Deum  Patrem  in  ligno  vitae 
per  unicum  peccatum.  Ergo  débet  fieri  satisfactio  in  ligno  ut 
melius  respondeat  culpae.  Unde  Gregorius  in  Praefatione i  «  Qui 
in  ligno  vincebat.  per  lignum  quoque  vincetur  per  Ghristum  Domi- 
num  nostrum  ». 

Noe  autem  respondit  :  «  Pro  toto  mundo  débet  mori,  et  ideo  est 
hujus  figura  quod  ego  lui  figura  Christi,  tempore  quo  plantavi 
vineam  primam,  et  l)ibi  de  eodem  vino,  et  propter  ardorem  vini 
fui  nudatus,  et  spoliatus3,  et  derisus  a  filio  meo  majori.  Cum  ergo 
Christus,  cujus  ego  sum  figura,  sit  ille  qui  nimio  ardore  cordis  et 
caritatis  quam  habet  ad  genus  humanum  sit  complementum  hujus 
figurac  ccrlc  débet  mori  nudus  et  in  cruce  positus. 

Tertio  respondit  Abraham  :  «  Christus  débet  portare  erucem  in 
collo  ad  montem  et  sic  probat  per  illud  Genesis  [XII,  2]  capitulo  : 

1.  Le  Jugement  de  Jésus  rouerg-at.  p.  128,  v.  U90,  place  en  tête  un  long  discours  de 
Charité,  v.  690  à  ;53  qui  manque  dans  le  Sermon,  tout  le  reste  est  semblable  dans 
les  deux  textes. 

•j.   lp  :  Prejactione. 

3.  lp  :  Vinceretur.  —  Cf.  le  Jugement  de  Jésus  rouergat,  p.  %,  v.  S.V),  joù  l'origine 
de  la  citation  n'est  pas  donnée. 


PASSIO    SECUXDUM   LEGEM  i7l 

«  Temptaçit  Deus  Abraham  et  dicit  illi  :  ce  Toile  filium  tuum 
queni  diligis,  Isaac.  »  Goncludit  Abraham  dicens  :  «  Sic  aolui 
(ilio  meo  parcere,  propter  nimium  amoremquemhabeo  cum  génère 
humano,  immo  potius  trader  e  eum  ad  mortem,  et  portare  crucem 
suam  poenitentialem  pro  humano  génère,  et  hoc  est  qnod  heatus 
Paulus  dicit  quod  «  proprio  filio  suo  non  pepercit,  sed  pro  nobis 
omnibus  tradidit  illum  »  '. 

Quarto  respondit  Jacoh  quod  in  monte  Calvariae  débet  mori. 
eu  jus  ratio  est  :  «  Quum  fugiebam  persecutionem  illius  reginae 
lesabelis,  uxorisAgab,  régis  Samariae.  veni  ad  montemSyon  circa 
montem  Calvariae  et  ibi  posui  unum  lapidem  capiti  meo  !  et  vidi 
scalam,  eu  jus  sommitas  (sic)  caelos  tangebat  et  il  >  i  ego  prophetisavi 
de  templo,  et  ibi  edificavi  altare  Domino  Deo.  Haec  enim  scala 
quam  vidi  nihil  est  nisi  crux  Ghristi  uhi  débet  mori  propter  genus 
humanum,  quod.  sicut  per  quamdam  scalam  ascendimus  alte.  ita 
peccatores  omnes  ascendunt  ad  gaudia  Paradisi,  quando  ascen-  2  v 
dunt  scalam  peiiitentiae  ».  et  isla  est  ratio  de  Iacob.  Ex  istis  quat- 
tuor  rationibus  concludunt  isti  quattuor  judices  dicentes  quod 
Christus  débet  mori. 

Nunc  restât  videre  quid  dicat  advocatus  3,  Christus  debeat  mori 
vel  non.  Et  dicit  quod  non,  nec  débet  tantam  irijuriam  pati,  assi- 
gnans  rationem.  Ille  (jui  natus  est  innocens  et  sine  peecato  non 
débet  mori,  nec  ad  mortem  adiudicari.  Christus  est  hujus  modi. 
Ergo,  etc.  [non  débet  mori].  Patet  per  Petrum,  I.  Pétri  (epistola), 
seenndo  capitulo  :  «  Qui  peccatum  non  fecit,  nec  inventus  est 
dolus  in  ore  ejus.  » 

Nunc  autem  respondet  secundus  advocatus.  scilicet  Caritas,  ex 
parte generis  humani  ad  istam  rationem.  sic  dicens:  «  Gerte  Chris- 
tus débet  mori,  probatur  sic.  et  hoc  secundum  legem  charitatis. 
«  Quilibel  débet  facere  proximo  suo  quod  vellet  sibi  ûeri.  Sequitur 
si  Christus  esset  peccator,  quod  est  impossibile,  vellet  subveniri  et 
juvari  et  redimi,  ergo  alteri,  scilicet  humano  generi,  débet  subve- 


i    Rom  ,  VIII,   ;■ 

•    Genesis,  XXVIII,  \>.   La  réponse  de  Jacob,  mal  conservée  dans  le  Mystère  rouer- 

gat*  |>.   i  i.  est  ici  c plète    Mais  j'ignore  commenl  Jezabet  a  été  tnêli  e  au  songe  de  la 

Genèse 

3.  Cet  avocat  est  V Innocence,  Le  Plaidoyer  esl  conforme  dans  le  M,  rouergat, 
p.  Si,  v.  765-381. 


*'-  PASSIO   SECUNDUM    LEGEM 

nire  quoniam  nisi  per  Chvistum  non  poterat  fieri.  Ergo  Christus 
vere  débet  mori.  Secunduru  respondeo,  et  veraciter  ex  alia  parte, 
quod  Christus  de  proprio  peccato  ejus  non  débet  mori,  quod  nul- 
lum  commisit.  ut  supra  amplius,  sed  pro  peccato  alterius,  scilicet 
sui  proximi,  cum  sua  propria  malicia  peccavit,  débet  mori.  Secun- 
dum ergo  istam  legem  débet  mori.  aliter  non.  » 

Post  liaec  inceperunt  loqui  quattuor  judices  Christi,  et  inquiunt 
sic  :  «  Ecce,  Domine  Iesu,  tu  non  debes  mori.  Noveris  quod  advo- 
catus  tuus  venit  ad  nos  qui  sumus  judices.  dicens  quod  tu  non 
debes  mori.  Vis  audire  quid  dicunt  consiliarii?  »,  —  et  loquitur 
unus  pro  omnibus  iiliis]  Iacob.  scilicet  Ioseph  ».  Respondet,  Chris- 
tus :  «  Mihi  placet  ».  —  et  locutus  est  Joseph  :  «  Dimitte,  débet 
mori  et  a  discipulo  suo  pro  triginta  denariis  venumdari.  Ratio  est 
haec  :  Ego  fui  traditus  a  frati'ibus  ineis  Ismaelitis  et  venditus  tri- 
ginta denariis  argenteis,  unde  scribitur  «  Vénditur  in  seroitium 
Joseph  livore  suorum  ».  Cum  igitur  fuerim  figura  mortis  ejus. 
ut  figura  finiatur  et  terminetur,  ipse  capietur.  venumdabitur  et 
morietur,  eo  quod  figura  est  posita.  » 

His  auditis,  vertit  faciem  suam  ad  matrem  dicens  :  «  Ecce  mater 
quae  et  qualia  opponunt  mihi,  et  ea  habeo  sustinere  propter  primos 
parentes.  O  quali  morti  sum  ego  adiudicatus  !  Ecce  Judas  cui 
tanta  bona  feci,  quomodo  me  tradet  in  manus  peccatorum  pretio 
3  r°.  triginta  denariurum  !  »  Tum  Virgo  Maria,  auditis  his  verbis  filii 
sui,  vertitur  versus  filium  suum  coram  '  et  sic  parentibus  suis 
loquitur  :  «  O  Adam,  o  Eva  \  primi  parentes  vos  estis.  Eva  sic 
sprevisti  praeceptum  Domini,  et  transgi'essi  estis.  cum  sit  Deus 
meus,  et  hoc  propter  peccatum  vestrum,  heu  !  tîlius  meus  turpis- 
sima  morte  moritur  !  O  quam  amarus  fuit  fructus  ille  !  Peccastis  et 
filius  meus  dilectus  poenam  sustinet  !  O  arbor  cujus  fructus  mors 
est  et  p[o]ena.  utinam  non  fuisses,  quoniam  vahle  sum  turbata  ! 
O  productio  arboris  dolorosa  !  »  —  Tune  audientes  matri  respon- 
derunt  :  «  O  Regina  misericordiae.  miserere  nostri,  quoniam  quin- 
que  millia  annis  stetimus  in  tenebris  et  in  umbra  mortis  cceci  et 
lumine  privati,  et  hoc  meritis  nostris,  et  nisi  filius  tuus  nos  liberet 
sua  morte,  perimus.  Eva  ergo.  Mater,   nosce  unde  descendisti,  et 

i .  Ip  :  cor. 
q.   [p  :  / 


PASSlo    SECUNDUM    LEGEM 


Qobis  compatieris1.  » —  His  verbis  respondit  Maria,  e1  versus 
Jadam  vertit  faciem  suam  dicens  :  «  0  Juda  proditor,  cur  Regem 
caelorum  vendis,  et  car  ad  me  non  venis?  Procurator  ejus 
maiores  pecunias  dedissem.  O  avaritia,  o  lex  amara  et  misera, 
quae  ita  condamnavit  lilium  meum  morte  turpissima  !  Nunc 
appello  ad  legem  Scripturae,  conquerens  atrum  mori  debeat  vel 
non.  » 

Assignerons  ergo  iterum  unuin  advocatum,  ut  fecimus  supra,  et 
unum  pro  humano  génère.  Avocatus  Christi  erit  Fidelitas  et  hu- 
mano  generi  erit  Veritas,  et  assignentur  quattuor  judices  in  lege 
Scripturae,  scilicet  quattuor  Prophetae,  scilicet  David.  Salomon. 
Isaias  et  Hieremias.  Gonsilarii  erunt  duodecim  prophetae  minores, 
et  loquatur  unus  pro  omnibus,  scilicet  Zacharias  ! 

Interrogatus  autem  advbcatus  Christi,  scilicet  Fidelitas.  atrum 
debeat  mori  an  non.  respondet  quod  non  débet  mori  Christus,  uec 
capi,  Dec  tormentari,  et  ratio  est  :  Qui  est  Creator  caeli  et  terrae 
et  Dominus  universalis  omnium  non  débet  mori.  sed  Christus  es1 
hujus  modi  :  ergo  non  débet  mori.  Minor  patet  Apocalipsis  '  : 
«  Ipse  est  rex  Regum,  Dominas  dominantium  ».  ergo  non  débet 
mori,  et  cetera. 

[Talcs  eniin  proditores  non  servant  domino  fidelitatem]  '.  Kx 
parte  autem  generis  humani  respondel  advocatus,  scilicet  Veritas, 
quod  débet  mori  et  probat  sic  :  «  lesus  promiseral  sic  mori  propter 
l;<-ii h-  humanum,  el  Lpsemet  testatur  quum  non  dicat  nisi  verita- 
tem,  ul  Johannis  XIV,  6:  Ego  sum  pia,  veritas  et  vita.  »  Cum  ipse 
sil  veritas,  sequitur  quod  debel  mori  quod  promiserat  mori  pro 
populo  suo  »  :  el  --il  desinit  loqui. 

Dum  autem  judices  audierunl  rationes  generis  humani,  protule- 
runt  suas  ul  i pse  moriretur  (sic).  VA  primo  David  dixit  :  «  lesu  debel 
mori  crucifixus,  quia  ego  prophetisavi  id  in  persona  sua  :  «  Fode- 


i  Cf  l<-  Jugement  de  Jésus,  \>.  i-.  \.  iij;  ;'i  ic-1  L'auteur  rouergal  ne  donne  p;i>  le 
développement  sur  Judas,  el  il  reprend  au  jugement  de  la  l.«>i  d'Ecriture,  avec  les 
mêmes  acteurs,  el  les  mêmes  citations. 

a.  I|>.  :   Xiuii 

3    Apoc,  m.  i. 

i  Cette  phrase  entre  |  |  n'a  aucun  sens  ici.  Bile  doit  avoir  été  déplacée  par  une 
faute  de  l'imprimeur.  Je  propose  de  la  reporter  à  la  i>-iKr<-  suivante  après  advoeatornm 
où  elle  donne  un  ~--ii>  raisonnable. 


4:7.4  PASSIO    SECUNDUM    LEGEM 

j'iint  manus  et  pedes  meos,  dimimeraverunt  omnia  ossa  mea\  » 

Secundus  judex  est  Salomon  dicens  quod  vili  morte  débet  mori 
et  conspui  quod  scribitur  in  libro  Sapientiae  :  «  Morte  turpissima 
condemnaverunt  eum.  2  » 

Tertius  judex  est  Ysaias  dicens  quod  «  cum  iniquis  deputatur  et 
sceleratis,  et  non  est  ejus  species  neque  décor  »  3. 

Quartus  judex  est  Iheremias  dicens  «  quod  débet  mori,  flagel- 
lari,  et  caedi,  et  a  multis  improperium  pati  ».  Datur  igitur  sententia 
ab  istis  quattuor  judicibus. 

Videamus  quid  dicunt  consiliarii,  et  loquatur  unus  pro  omnibus, 
scilicet  Zacharias,  et  dicit  quod  Christus  cum  multis  insultibus  et 
opprobriis  débet  mori,  et  duci  ad  locum  ubi  malfactores  duci 
soient. 

His  peractis  omnibus,  Virgo  Maria  audivit  omnia  ista  de  lilio 
suo  dici  et  fieri,  videlicet  quod  secundum  duas  leges  debeat  mori, 
secundum  legem  Naturae  et  Scripturae,  nec  poterat  evadere.  Et 
baec  audiens  vertit  faciem  suam  versus  Judaeos  :  «  O  Judaei,  ini- 
mici  filii  mei  !  eur  innocentera  condemnatis,  quid  vobis  maie  fecit, 
an  sitlatro  aut  proditor  ?  Nunc 4  iterum  appello  ad  legem  Gratiae, 
postquam  lex  Naturae  et  Scripturae  condemnant  eum  iniuste  ad 
mortem,  et  hoc  quod  lex  gratiae  est  major  aliis  legibus  ». 

Videamus  ergo  si  secundum  legem  Gratiae  débet  mori  an  non. 
Assignentur  iudices  et  scribae,  videlicet  quattuor  Evangelistae, 
Johannes,  Mathaeus,  Marcus  et  Lucas.  Consiliarii  sunt  undecim 
apostoli.  Et  assignantur  advocati.  scilicet  Humilitas  et  ex  parte 
generis  humani  Nécessitas.  Omnes  congregati  sunt,  una  voce 
simul  concordantes  quod  vere  débet  mori  propter  salutem  generis 
humani.  omnibus  loquentibus  cuni  Christo  his  vocal)ulis  : 
«  Domine,  para  quae  sunt  paranda,  nam  haec  appellatio  Mariae 
nullum  débet  habere  locum  quod  melius  est  quod  unus  moriatur 
pro  populo  et  ne  tanta  gens  pereat.  »   Voces  autem   illae  et  de 


i.  Psal.,  m,  3. 

2.  Sap.  2.  4.  Vulg.  Morte  turpissima  condemuemus  eum  La  citation  exacte  est  don- 
née dans  le  Jugement  de  Jésus,  p.  $6,  v.  1191. 

3.  Isa.,  LUI,  2,  non  est  species  ei  neque  décor.  ;  ibid.,  12,  cum  sceleratis  deputatus  est.  » 
—  Le  Jugement  de  Jésus  cite  la  prophétie  d'après  la  citation  de  Luc,  XXII,  3;,  cum 
iniquis  deputatus  est  ».  et  la  met  dans  la  bouche  de  Zacharie,  p.  47.  v-  l'-^C- 

4.  Ip.  Nam. 


PASSIO    SECUNDUM    LEGEM 

consensu  iudicum,  consiliariorum  et  advocatorum  ' .  [Taies  enim 
proditores  non  servant  domino  fidelitatem],  Auditis  verbis  coepit 
[esus  constristari  dicens  :  «  Ecce  morior  cum  niliil  horum  fece- 
rini.  » 
Sequitur.  In  passione  circa  declarationem  videnda  sunt  plura  '  : 

Primo  :  Per  invidiam  fuit  una  prava  congregatio  contra  Iesum. 
Secundo   :    Per  avaritiam    mit  liberatus  Judaeis  per  unuin  de 
societate  sua. 

Tertio  :  Fuit  captus  per  perversas  et  iniquas  gentes. 
Quarto  :  Fuit  aecusatus  falsiter  et  maledictus. 
Quinto  :  Falsissime3  ad  mortem  liberatus. 
Sexto  :  In  cruce  erubescente  fuit  conclavatus. 

Dico  primo  per  invidiam  Judaeorum *  fuit  etc.  ubi  uotandum  est 
quod  propter  duo  simpliciler  Ghristo  invidebant.  Primo  quod 
opéra  virtuosa  faciebat.  Secundo  quod  populus  eum  honorabat. 
Gontingil  multotiens  quod  illi  qui  niala  faciunt  invident  illis  qui 
bona  faciunt. et  ideo  Judei,  nolentes  bona  facere, invidebant Christo 
bona  facienti  et  opéra  virtuosa,  quia  talibus  operibus  trahebat 
populum   ad  se.  et  doctrina  ejus  convertebat  ad  Deum.  Punitio 


i.  Il  est  très  probable  qu'il  faut  ajouter  ici  la  phrase  Taies  enim  proditores  non  ser- 
vant domino  fidelitatem  qui  aura  été  déplacée  par  l'imprimeur.  Cette  interversion 
coïncide  d'ailleurs  avec  une  lacune  probable  du  sermon  imprimé,  car  en  cet  endroit 
le  Jugement  de  Jésus  contient,  |>  534,  v.  i385  à  l'in.s.  deux  plaidoyers  de  Sècessité  et 
d'Humilité  avec  citations  qui  manquent  dans  le  texte  latin. 

■a.  Ici  commence  La  seconde  partie  du  sermon,  ou  la  Passion  proprement  dite  qui  a 
été  imitée  librement  de  la  Passion  composée  en  i'5y.s  pour  Isabeau  de  Bavière.  Il  serait 
fastidieux  de  prouver  en  détail  que  les  trois  quarts  'les  citations,  légendes,  anec- 
dotes, etc.,  qui  vont  suivre  ont  été  pris  directement  par  le  sen maire  dans  le  texte 

de  t3g8.  Je  me  suis  borné  à  indiquer  pour  quelques  faits  seulement  où  l'auteur  du 
texte  de  1398  avait  lui-même  puise  son  érudition. 

La  seconde  partie  du  sermon  a  été  elle-même  imitée  dans  le  Jugement  </<•  Jésus 
rouergat  ci  dans  la  Moralité  française  :  Secundum  legem  débet  mori,  mais  les  emprunts 
s,, nt  ici  beaucoup  plus  restreints.  L'auteur  rouergat  n'a  plus  copie  que  les  quatre 
requêtes  de  Notre-Dame,  p.  5j-6o,  v.  1  in.,  à  1530,  sans  toucher  à  la  Passion  qui  ne  ren- 
trait pas  .Imiis  le  cadre  de  sa  pièi  e  Jean  d'  UOundance  a  imité  cette  Passion,  mus  très 
librement 

3.  lp  :  falcissime. 

[,  Voilà  l'abstraction  dont  Jean  d'Abundance  a  fait  s,,n  personnage  à'Snvie  judaic- 
que.  Plus  loin  de  l'expression  «  perversas  el  iniquas  pentes  »,  il  1  tiré  son  Gentil  Tru- 
cidateur. 


►  76  PASSIO  SECUNDUM  LEGEM 

malorum  est  videre  bonos.  Dicebant  ergo  :  «  Opprimamus  eum, 
quia  contrarius  est  operibus  nostris.  —  (Hodie  niulti  sunt  taies).  Si 
diniittimus  eum,  sic  omnes  in  eum  crederent,  quod  videntes  mira- 
cula  cœcorum,  leprosorum,  elaudorum  et  mortuorum,  unde  Johan- 
nes  iij.  «  Nemo  potest  facere  haec  signa  quae  tu  facis,  etc.  »  Sed 
inter  alia  miracula  invidebant  cœci  illuminationem  et  Lazari  sus- 
citationem.  et  hoc  fuit  maximum  miraculum  et  evidentissimum, 
taliter  quod  non  poterat  calumniari,  eum  plures  fuerunt  in  illo 
miraculo  :  sane  quattuor  diebus  fuerat  in  tumulo.  Erat  autem  no- 
bilis  génère  et  bene  notus  in  Hierusalem.  ideo  multi  venerunt  ad 
ejus  obitum  in  Bethania.  et,  eum  vidissent  tam  grande  miraculum, 
turbati  sunt  valde  et  commoti  ;  et  sic  patet  quomodo  invidebant 
ei  propter  bona  opéra  virtuosa.  Inviderant  duplici  invidia,  primo 
ex  propria  invidia  quae  est  displicentia  de  bono  alterius  ;  et  hoc 
modo  invidebant  Ghristo  in  corde  eorum,  quod  populus  eum  valde 
diligebat  propter  opéra,  et  reverentiam  portabat,  unde  invide- 
bant. Secundo  alia  invidia  invidebant,  scilicet  cupiditate,  quia 
valde  cupiebant  eum  tenere,  et  ideo  jusserunt  ut.  ubicumque  posset 
inveniri,  duceretur  in  Hierusalem.  et  haec  est  invidia  deceptoria. 
Unde  Magister  sententiarum '.  libro  III.  dist.  I  «  Perte,  invidia, 
tilius  Dei  et  Mariae  nunc  quaeritur  et  condemnatur  ad  mortem  », 
quae  invidia  maledicta  semper  regnavit  et  adhuc  régnât  fortius. 
Crescebat  ejus  fama  inultum  propter  miraculum  ejus  ;  ideo  com- 
moti. fecerunt  consilium  ut  morti  traderent,  nam,  postquam  sus- 
citaverat  Lazarum,  Judaei  assistentes  abierunt  Hierusalem.  et  nar- 
raverunt  principibus  sacerdotum.  qui,  audito  statim  ac  subito. 
sabbato  ante  Doininicam  de  passione  tenuerunt  primum  consi- 
lium. Secundum  consilium  octo  dies  post,  scilicet  sabbato  ante 
Ramos.  Tertium  consilium  fuit  feria  quarta  post  sequenti.  et  sic- 
ter  consilium  tenuerunt,  unde  plus  peccaverunt  quam  si  ex 
abrupto2  interfecissent  eum.  Principes  ergo  pontifices  et  Pharisei 
adversus  Iesum  consilium  fecerunt  dicentes  :  «  Quid  fac-imus  '  ? 
Hic  homo  multa  signa  facit  ;  si  diniittimus  eum,  credent  omnes  in 
eum  »,  Qui  simul  dixerunt  :  «  Videte  quomodo  populus  eum  sequi- 


i.  Pierre  Lombard. 
•->.  ly>.  arrapio. 
i.  Joann.    XI.  \-_. 


PASSll  I    SI  il    MUNI     I  l-.i.EM  l  .  , 

tur  !  Venient  enim  Romani  et  tollent  locum  nostrum  et  gentem  :  .<  : 
timentes  temporalia  perdere,  vitam  aeternam  non  cognoverunt  el 
utramque  perdiderunt.  'l'une  anus,  nomine  Caiphas,  pontifex  anni 
illius,  in  hoc  anno  quid  facerent  docuit  eos  et  ail  :  a  Nescitis  quid 
facitis.  Expedit,  vobis  utunushomo  moriatur  pro  populo  et  non 
tota  gens pereàt l  »  ubi  notandum  est  quod  Caiphas  illa  verba  sic 
intellexerat  :  Expedil  vobis,  scilicet  expediens  ésl  vobis  ut  hic  homo 
occidatur  et  non  tota  gens  pereat,  per  ejus  doctrinam  pereat.  Unde 
aliqaidicebant:«Demus  ci  venenum  in  ciboetpotu,  ut  cito  moria- 
tur. »  Alii  dicebant  :  «  Quaeramus  unum  guerrionem,  cuidabimus  5  r' 
pecuniamut  eum'occidat,  et  quia  expedit  ut  moriatur:  aliter  perde- 
înus  Locum  nostrum  et  gentem.  »  Unde  Chrysostomus  :  «  Iste  Cay- 
phas  prophetisavit  mortem  Christi  utilem  esse  non  quum  intentio 
ejus  esset  ([uod  morte  Christi  genus  humanum  redimeretur,  sed 
intendebat  quod  ipse  occideretur  ne  a  populo  honoraretur  ».  Alii 
autem  dicebant  :  «  Venite,  occidamus  eum,  ubicumque  potuerimus 
invenire,  nec  curemus.  »  Unde  Johannis  X.  «  Tuleruht  lapides  ut 
jacerent  in  Yesum  '  ».  Jésus  autem  abscondit  se.  et  eripuit  de  tem- 
plo,  et  fecit  se  invisibilem  quod  nondum  venerat  hora  ejus.  Unde 
Origenes  ait  quod  ex  verbo  Gàyphae  erant  concitati  ad  iram  et  ab 
illo  die  cogitaverunt  quomodo  interficerent  eum,  quod  erant  in 
maxima  ira  contra  eum  et  Lazarum,  co  quod  plures  converteban- 
tur  ad  Christum,  propter  verba  quae  dicebat  Lazarus  de  poenis 
inferni  quas  viderat,  et  ideo  Christum  interficere  volebant. 

Sciens  autem  lesus  invidiam  illoruin  non  palam  ambulabat,  sed 
abiit  rétro  in  dësertum  juxta  civitatem  quae  dicitur  Effren,  ibique 
praedixil  discipulis  suis  mortem  suam.  VA  stelil  a  sabbatoante  do- 
minicain de  Passione  usque  ad  sabbatum  ante  Ramos,  el  circuivil 
islam  regionem  praedicando,  etmiraculafaciendo;  uii«l«'  initinere, 
in  exitude  Hierico  duos  coecos  illumina  vil.  et  decem  leproscs  sana- 
\it.  Dederanl  pontifices  taie  consilium  et  praeceptum  illis  qui 
veniebant  ad  diem  Cenophegiae  quod  csi  festuni  quod  Judaei  cele- 
brant  in  memoria  expeditionis  P]gyptiorum.  El  taie  praeceptum 
erat,  quod  si  quis  eum  inveniret,  apprehenderet  eum  jugulo  ad 
occi[dendum].    Et   statuerunl    ul    si    ipiis    confiteretur   Christum 

i  pt  2.  Joann. .  \ I.  \B,  5o. 
3.  Joann.,  \ .  >i . 


478  PASSIO    SECUNDUM    I.EOKM 

esse  Deum,  extra  Synagogam  poneretur,  et  sic-  videtur  eorum 
invidia. 

Secundo  dico  quod  hic  notantur  duo.  Primo  magna  avaritia 
Judae  et  cupiditas,  secundo  de  Iesus  facta  conditio  et  maneries. 
De  primo  sciendum  est  quod  in  Sabbato  ante  Ramos  venit  Iesus 
in  Bethania,  ubi  fuerat  Lazarus  suscitatus.  et  fecerunt  ei  cœnam 
magnam  in  domo  Symonis  leprosi  ;  non  quod  tune  esset  leprosus, 
sed  fuerat  a  Christo  curatus.  Ministrabat  autem  Symon,  et  crede- 
bat  quod  iret  pênes  '  [Matrem  Domini  quae  tune  in  Bethania  mora- 
batur.  Lazarus  et  alii  discipuli  Christi  quem  Judaei  qui  vénérant 
5  V-.  Hierusalem  ut  Lazarus  suscitatum  vidèrent,  qui  tune  erat  in  coena. 
etnarrabatdepoenis  inferni  et  de  statu  sanclorum  patrumqui  erant 

in  limbo,  sustinebant ]  Et.  ut  ait  Augustinus.  nunquam  postea 

risit.  cum  supervixerit  decem  annis  post  resurrectionein  Domini. 
Gum  autem  esset  in  coena.  ecce  inulier.  habens  alabastrum  un- 
guenti  preciosi2,  et  efFudit  super  caput  recumbentis  unam  partem, 
et  aliam  supra  pedes  ejus  ;  extersit  capillis  suis  quia  sentiebat 
quod  patiebatur  aliquando  dolorem,  ideo  fecit  ad  confortandum. 

Quaeritur  quare  ungebat  Iesum  Gliristum.Respondeo  quia  quat- 
tuor  de  causis.  Prima,  quia  Ghristus  t'essus  erat  ex  itinere,  in  tan- 


i.   Le  texte  est  tronqué  et  altère  depuis  [pênes  jusqu'à  sustinebant]. 

Inutile  de  proposer  des  corrections  arbitraires,  puisque  le  sens  général  du  passage 
est  clair  et  que  son  origine  nous  est  connue.  Comparer  en  effet  la  Passion  de  i'3y8,  B. 
de  l'Arsenal.  2,o38  et  B.  Nat.  n.  a.  fr.  lo,o5g  fol  i^fi  r°.  «  Et  dit  sainct  Augustin  que  le 
ladre,  frère  de  la  Magdeleine  et  Marthe,  fut  a  ce  souper  l'un  des  seans  et  mengeans  à 
la  table  avec  Jliesu  Crist,  lequel  parla  en  celly  soupper  des  paiues  qu'il  avoit  vehues 
en  enfer  et  en  purgatoire  et  de  Testât  des  sains  pères  qui  estoient  ou  limbes.  .  Pour 
lesquelles  peines  vues  et  aperçues  ledit  Lazarus  n'ot  oneques  puis  qu'il  l'ut  resuscité 
que  tristesse  au  cuer  et  tant  que,  comme  dit  saint  Augustin,  L'orreur  de  la  mort 
estoit  si  emprainte  en  la  mémoire  dudit  ladre  de  la  souvenance  des  paines  qu'il  avoit 
vehues  es  lieux  dessus  dits  que,  en  ix  ans  qu'il  vesquit  puis  qu  il  fut  ressuscité  de 
mort  en  vie.  oneques  ne  monstra  signe  de  joye.  ne  de  liesse.  » 

Nous  remarquons  ici  la  fusion  ou  la  contamination  de  deux  légendes  différentes. 
r  La  survie  de  Lasare  qui  ne  rit  plus  jamais  depuis  son  retour  de  l'enfer,  remonte  a 
a  saint  Epiphane.  advefsiis  Haereses,  lib.  IL  éd.  l'étau,  t.  I,  p.  652.  2°  Dans  le  sermon 
apocryphe  de  saint  Augustin  (Patr.  Migne,  t  Si),  p.  ii)2i),  que  nous  avons  si  souvent 
cité,  Lazare  rappelle  simplement  les  peines  d'enfer. 

Noun  remarquerons  encore  que  tout  cet  épisode  ou  ce  récit  de  Lazare  manque 
dans  la  Passion,  «  selon  la  sentence  du  philosophe  Aristote  »  et  n'est  que  dans  la 
Passion  de  iîgS. 

2    Ip  :  unguentum  preciosum. 


PASSIO   SECUNDUM    LEGEM 

tum  forte  ut  aestimabat  quod  comedere  non  poterat,  quando  \  idens 
Magdalena  unxit  eum.  Secunda  causa  est  quod  terra  erat  calida  et 
sicca,  el  Ldeo  talibus  unguentis  utebantur  pauperes  hommes,  et 
Ghristus  erat  pauper,  et  Magdalena  dives.  Tertia  causa, con  aetudo 
Judaeorum  eral  ungere  capul  et  lavare  pedes  hominis  solennis  de 
longe  venientis  ;Christus  igitur  sicut  rex  et  sacerdos  debebal  ungi. 
Quarta  causa  erat  ut  adversus  discumbentes  excusaretur  qui  nove- 
rant  eampeccatricem.Videns  autem  Judas  quod  ex  odore  unguenti 
doiiiiis  repleta  esset,  turbatus  est  quod  taie  unguentum  non  perve- 
nisset  ad  manus  ejus  ut  ipsum  venderet,  sicul  solitus  erat,  et,  ut 
fur,  decimam  partem  reciperet.  Cogitavit  ex  avaritia  vendere  Ghris- 
tum  ut  recuperaretur  ' .  existimans  in  corde  suo  valorem.  Non  potuit 
se  continere,  sed  sub  specie  charitatis  pauperuxn  dixit  :  «  Ul  quid 
perditio  est  !  haec  poterat  eniin  hoc  unguentum,  etc.  »  O  Judas 
proditor,  fur  et  latro  !  portabat  omnia  uxori  et  liliis  quae  Ghristo 
dabantur  et  murmurabat,  nain 

A  peiori  rota  semper  sunt  jurgia  mota. 

Quaeritur  quare  Ghristus  fecit  Judam  procuratorem  suum,  cum 
ipse  sciret  ipsum  esse  latronein.  Respondet  Augustinus  ul  daret 
exemplum  non  revelandi  peccata  occulta  alioruin.  Nullus  sciebal 
Judam  esse  latronein  nisi  ipse  Ghristus.  Secùnda  ratio,  ut  dard 
occasionem  emendandi  se.  sed  videns  Christus  quod  contra  IVfag- 
dalenam  murmurabat,  excusavit  eam  quattuor  niodis.  Primo  modo 
dixit  :  «  Quid  molesti  estis  huic  mulieri?  Opus  enim  bonum  ope- 
rata  est  in  me  ~.  »  Nota  quod  Magdalena  bis  unxit  corpus  Domini 
nostri  Iesu  Ghristi.  Et  primo  in  domo  Symonis  Pharisaei,  quando  6  r 
liens  accessit  ad  pedes  Domini  et  lavit  ejus  pedes  ex  abundantia 
lacrymarum  et  capillis  suis  tergebat, osculabatur, et  in  hoc  confite- 
batur  sua  m  divinitatem,proquo  accessit  ad  eu  m.  cl  dimisit  ei  tune 
peccata  sua.  Secundo  unxit  corpus  Christi  ante  Dominicain  Ar 
Hamis.  in  domo  Symonis  leprosi  (et  ibi  murmura banl  discipuli  Ar 
unguento,  increpando  A^  charitate)  el  profundens  usque  ad  pedes. 
l)i\it  ego  Iesus  :  «  Qpus  enim  bonum  operata  es/  in  me,  etc.  ». 
videlicet  opus  confessionis  fidei.   Per  primam  unctionem  intelli- 


i .   1 1>  .  recupereretnr. 
9     Vnlth.XXW,  10. 


180  PASSIO    SECUNDUM    I.EGF.M 

gitur  opus  pietatis  et  devotionis.  Per  secundam  intelligitur  compa- 
tiendo  martyrium  computationismeae1.  Secundo  modo  excusa  vit 
Magdalenam,  dicens  :  «  Nam  semper  pauperes  habebitis2,  etc. 
Quod,  Judas,  ne  murmures  contra  me,  sub  specie  pauperum,  quod 
cito  expédies  te  de  me.  »  Tertio  modo  excusavil  Magdalenam,  di- 
cens :  «Miltens  enini  hoc  unguentum  in  corpus  meum  ad  sepelien- 
dium  nte  fecit  \  quasi  dicat  :  «  Cum  ista  mulier  voluerit  ungere 
corpus  meum  in  sepulcho  non  poterit,  quod  non  permittam  in 
resurrectione  mea.  sed  nunc  potest.  ideo  si  nullum  bonum  mihi 
facitis,  sinite  aliis  facere  ».  Quarto  modo  excusavit  eam  dicens  : 
«  Ubicumque  fuerit  predicatum  hoc  evangelium  in  loto  mundo 
dicétur  quod  in  memoria  mei  fecit  »  quasi  diceret  :  Rationabile 
est  ut  interius  factum  propositum  ebaritatis  demonstretur  exte- 
rius  ut  per  totum  mundum  narretur  laus  suae  sanctitatis  ». 

Secundo  videndum  est  quomodo  per  avaritiam,  etc.  Primo 
notandum  est  quod  tribus  diebus  non  poterat  ïudas  adimplere 
illud  quod  proposuerat,  scilicet  die  Dominica,  Lunae  et  Martis. 
Primo  non  potuit  in  Dominica  in  Ramis,  quod  Ghristus  fuit  de' 
Betbania  in  Hierusalem,  et  ibi  fuit  a  vulgo  bonoriiiee  receptus 
dicente  :  «  Benedictus  qui  venit  in  noniine  Domini  \  » 

Nota  quod  Ghristus  ivit  in  templum  ut  nobis  praeberet  exemplum 
ita  faciendi  juxta  illud  :  «  Primum  quaerite  regnum  Dei  »;  et  in  ve- 
nit ementes  et  vendentes,  et  ejecit  eos  cum  ttagello  et  funiculis 
dicens  :  «  Domus  mea.  domus  orationis'  ».  Nota  quod  contra 
maie  agentes  in  ecclesia.  et  qui  vendunt  aliquando  panem  etc. 
Unde  ibi  praedicavit  et  magna  miracula  fecit.  et  sic  Judas  non  potuit 
6  v°.  facere  quod  proposuerat.  Cum  autein  sero  est  factum,  non  invenit 
Christus  qui  daret  ei  in  Hierusalem  [sjciphum  aquae,  quod  inbibi- 
tum  erat  [a]  principibus  sacerdotum;  venit  cum  discipulis  in  Betba- 
nia ad  comedendum  in  domo  Marthae,  ubi  erat  mater  sua.  Die 
Lunae  revertitur  in  Hierusalem,  et.  cum  esset  in  templo  ut  pos- 
sent  eum  in  aliquo  reprehendere,  scribae  et  Pbarisaei  adduxerunt 
ei  mulierem  in  adulterio  deprehensam,  dicentes  :  ((  Quid  de  eu 
esset  fiendum  ».  Dicebant  enim  intra  se  «  Moyses  pi-aecepit  talem 

i     Ip  :  computationis  meae?  le  martyre  de  ma  pensée,  me>  pressentiments  de  mort  ? 
2-3.  Matth.,  XXVI.  ii.  i2,  i3. 
4-5.  Matth  .  XXI,  9.  i>. 
6.  Ip  :  in. 


PASSIO    SECUNDUM    LEOEM  i8l 

lapidare:  Si eam dimitteret, contra praeceptam  faceret;  si  verocon- 
demnaret,  contra  misericordiam  quam  praedicat,  faciet,  el  sic  eva- 
dere  non  potest  de  manibus  nostris  ».  Jésus  autem  subridens  scri- 
bebat  digito  in  terra.  Dieunt  aliqui  quod  illud  quod  scribebat  dixit 
cis  :  m  Qui  sine  peccato  est  çestrum  primus  in  eam  lapidem  mit- 
tat  '  ».  id  est  projiciat.  Abeuntes  autem  unus  post  alium  cxihantet 
remansit  Jésus  solus  et  dixit  :  «  Ubi  sunt.  qui  te  nune  aecusabant  ? 
Quis  te  condemnavit  »  ?  Et  illa  ait  :  a  Nemo,  Domine  '.  —  Et  ego 
tenon  condemnabo,  ait  Christus  ;  sed  vade  et  noli  ampliuspec- 
care'  ».  Multa  alia  signa  feeit  in  illa  die  et  iterum  famelicus  rever- 
sus  est  in  Bethaniam  in  domo  matris  suae,  et  Judas  non  potuit 
aliquid  facere. 

Cuin  autem  fuit  in  Bethania,  obviavit  matri  suae  '*.  quae  eum 
exspectabat  ad  coenam,  quam  reverenter  salutavit  :  sed  respondit 
mater  cum  lacrymis,  dicens  :  «  Qualis  potest  mihi  dari  con- 
solatio.  fili  mi,  eum  jam  eogitem  te  mori.  seiens  quod  Judaei 
eonvenerunt  de  die  in  diem  te  interficere  ?  Ideo,  fdi  mi,  digne- 
ris  matrem  tuam  presentia  tui  consolari.  »  —  Cui  Christus  reve- 
renter respondit.  et  confortans  eam  dixit  :  «  Mater  mea.  ego, 
tanquam  medicus,  sum  et  genus  humanum  indiget  medicina.  In 
hoc  mundo  nunc  ergo  oportet  me  esse  contra  morbum  medici- 
nam  ».  el  sic.  duni  talia  verba  loquerentur,  vocantur  ad  coenam  : 
quod  jam  serotina  erat  dies  Martis,  Iterum  bene  mane  revertit 
Hierusalem.  Dum  in  templum  inlravit.  tam  sacerdotes  quam  alii 
movérunt  >ibi  taies  quaestiones,  credentes  ("uni  disputatione  vin- 
cere.  Et  primo  a  principibus  sacerdotum  et  senioribus  populi 
quaerentibus  «  qua  potestate  ejecerat  vendentes  et  ementes  de  tem- 
j)lo,  et  mensas  nummularias  everterat  ».  Secundo  ab  Herodianis, 
quaerentibus  utrum  liceret  dare  tributum  Caesari  an  non.  Tertio  a 
Saduceis  quaerentibus  de  muliere  quae  habuerat  septem  viros,  cui 
deberet  esse  uxor  in  alio  saeculo. Quarto  a  Pharisaeis quaerentibus 
de  majori  precepto  legis.  Quibus  Ghristus  omnibus  ex  toto  impo-  "  c° 
suit  silentium  per  efficaciam  summarum  rationum,  et  sic  reversus 
est  cum  discipulis  suis  jejunus.  Judaeis  autem  querentibus  eum 


i    9    <   Joann.,  Ylll.  in.  11.    -  L'explication  du  verset  écrit  par  Jésus  vient  des  Pos- 
tules 'li-  N.  de  Lire. 
j    roui  i  <■■  i  esl  traduit  librement  il>  la  Passion  de  i    • 

31 


482  PASSIO    SECUNDUM    LEGEM 

cum  lapidibus  etc.  Nota  quod  quum  praedicator  praedicat  contra 
vitia  et  extirpât  illa.  sunt  plures  cpii  insurgunt  contra  eum,  quia 
sunt  scabiosi.Et,  quod  Christus  propter  multas  occupationes  tarda- 
verat  more  solito  venire  [in]  domuin  Marthae,  mater  ejus,  Maria 
obviant  venit  ei,  jejuna  sicut  iîlius.  Et  quaerit  mater  a  discipulis 
quomodo  Christus  institerit  disputationi  per  totam  diem  contra 
principes  sacerdotum  et  seniores  populi  ;  quomodo  sicarii  volue- 
runt  eum  capere  et  cum  lapidibus  obruere,  sed  ipse  abscondit  se 
ab  eis,  et  exivit  de  templo.  Audiens  mater  Jhesu  verba,  percussa 
cordi  fuit,  et,  ad  pedes  Christi  tanquam  mortua  cecidit,  nec  pote- 
rat  quicquam  loqui  lilio  suo.  Sed  eam  dulciter  confortans,  promi- 
sit  ei  per  totum  diem  sequcnlem  secum  manere.  Ad  cujus  verba, 
mater  ejus  est  rcconciliata  et  surrexit,  et  pariter  venerunt  in  Be- 
thaniam.  ubi  erat  parata  coena  in  domo  Marthae. 

Die  Mercurii  ait  Christus  [ad]  suam  matrem  confortans  super 
martyrio  passionis  suae.  Et  dicit  mater  filio  suo  :  «  Nosti1,  fili  mi, 
quia  tu  de  me  carnem  tuam  sumpsisti,  ut  redimeres  genus  huma- 
nuin,  nec  intendo,  fdi  mi,  impedire  illam  redemptionem,  sed  unuiii 
peto.  Non  me  deneges,  fili  mi.  Ecce  enim  venter  qui  te  portavit, 
pectus  qui  te  lactavit,  ecce  mater  quac  te  cum  diligentia  custodivit, 
et  multos  labores  sustinuit  propter  dulcedinem  tui  amoris.  Propter 
Herodem  fugi  in  Egyptum  et  in  redeundo....  2  brevitèr  per  totum 
tcmpus  quod  fuisti  in  hoc  mundo.  Absit,  fdi  mi,  quod  in  toto  va- 
riari  permittas  quod  de  me  scriptum  est  :  '<  Non  est  qui  consoletur 
eam  ex  omnibus  caris  ejus3.  Sic  dispensa  misterium  tuum,  fdi  mi, 
ut  ita  facias  generis  humani  redemptionem,  et  quod  tamen  ne  sus- 
tineas  matri  tuae  dolorosam  afflictionem.  Quaero  igitur  ut  unum 
istorum  quattuor  facias,  fili  mi  :  «  Primum  quod  sine  tua  passione 
redimas  genus  humanum,  Secundo,  quod  si  mori  te  penitus  opus 
erat,  quod  mors  sit  sine  dolore  et  aftlictione.  Tertium,  si  vis  mori 
in  tantis  doloribus,  saltem  me  mori  primo  permittas.  Quartum,  si 


i.  Le  texte  de  lu  Passion  de  i  ><»S  porte  Je  scay.  La  Passion  «  selon  la  sentence  du 
philosophe  Aristote  Tu  sec:,  mais  malgré  cette  coïncidence  fortuite  avec  le  texte  du 
sermon  :  Xosli,  il  est  facile  de  voir  par  d'autres  détails,  notamment  sur  l'Assomption, 
que  le  sermonnaire  a  suivi  le  texte  de  1*398. 

Comparer  le  texte  de  iSgS,  imprimé  p.  209  de  ce  livre,  et  l'imitation  libre  de  ces 
requêtes  dans  le  Jugement  de  Jésus  rouergat,  p.  .V,  V  1483  à  i5;o. 

2.  Lacune,  mot  omis.  —  o.   Thren,  1,  1,  17. 


PASSIO    SÈCI  MM  M    LEûEM  t8  1 

mori  prius  non  permittas,  (iul  cormeum  durum  ni  lapis,  ita  ut  in 
me  Qulla  sit  cognitio  tuae mortis.  Rogo  te,  lili  mi.  unum  istorum 
adimplere,  cum  -il  apud  te  possibile». —  Respondit  filins  matri  suae 
cum  omnihonore  etreverentia  :  «  Goncedo,  mater,  quod  utrumque  7  \ 
istorum  sit  possibile  milii.  Verum,  tamen  non  mihi  conveniens 
est  aec  Scripturae.  Bene  praedixit  Ysayas.  A"  :  «  Tanquam  ovis  ad 
occisionem  ductus  est  et  non  aperuit  os  suiiin  '.  Peccata  tanta 
ipse  pertulit  et  dolores  nostros  sua  corpore  ipse  portavit  ».  Ideo 
concedere  non  possum  propter  ea.  nec  secundum  :  Adam  peccavit 
cum  delectatione  ;  opus  [est]  quod  moriar  cum  poena  <-t  dolore. 
Nec  tertium,  quod  volo  servare  honorem  debitum  matri  meae  : 
oporteret  ci  collocare  spiritum  tuum  in  limbo  cum  sanctis  Patri- 
l>us.  et  exspectare  usgue  ad  diem  Ascensionis  antequam  intrares 
in  regno  caelorum.  Absit  a  me  ut  ista  permittam  de  anima  matris 
meae,  imo.  statim  quod  anima  tua  a  corpore  tuo  separabitur,  re- 
ducam  eam  corpori,  et  cum  utroque  simul  in  consortio  angelorum 
suscipiam  te  juxta  dexteram  meam.  nec  aliam  t i  1  > i  petitionem  eon- 
cedam  quod"  mater tantae  dilectionis  non  compateretur  filio  in 
tantis  poenis  ;  sed  confortare.  mater,  quia  dolores  quos  sustinebis 
in  morte  mea  recompensabuntnr  in  morte  tua,  quia  tune  dolorem 
nec  timorem  senties,  immo  gaudium  et  duleorem.  Tune  verifica- 
bitur  de  te  illud  ApocaIj-{>sis  xxu  :  Jam  non  erit  amplius  neque 
luetus.  neque  clamor,  sed  née  ullus  dolor3  ». 

Multa  et  alia  loquebuntur  mater  et  filius  illa  die.  sicut  consuetus 
fuerat  '.  Non  venerat  tempestive  de  mane  in  templum.  Credide- 
rnnt  principes  sacerdotum  quod  vellet  fugere  ad  alias  regiones  : 
immo  fecerunt  consilium  ([uomodo  Jesum  interficerent.  Dicebant 
autem  «  non  in  die  festo  »  ne  forte  tumultum  etc.  Magna  coecitas 
Judaeorum!  tiinebant  tumultum  populi,  nec  timebanl  displicentiam 

i.  Renvoi  <i  citations  inexacts. Cf.  Isa.  LUI,  i  Verè  languores  nostros  ipse  tulit  et 
dolores  nostros  ipse  portavit.  —  <>...  Posuil  Dominus  in  eo  iniquitatem  omnium 
nostrum.  —  7.  Oblatus  est  quia  ipse  \'o!uit  el  mm  aperuil  os  suum;  sicul  ovis  .ut 
occisionem  ducetur. 

2.  Ip.  :  quam  si 

i.  Renvoi  ri  citation  inexacts.  Voir  Apoc,  \\l.  j. 

;.  Nous  avons  dit  que  ce  débat  riait  tiré  de  la  Passion  de  1398,  Dans  la  Passion  de 
Barclette,  !<•  débat  analogue  entre  le  Christ  cl  la  Vierge  est  tire  directement  des 
Meditationes  Vitae  Christi,  el  le  «'.lu-i^i  <-i  -.1  mère  argumentent  eu  citant  .Vriatote  ri 
le  Digeste,  p.  a58,  m>ic    i  de  ce  In  re. 


484  PASSIO    SECUNDUM    LEGEM 

Dei,  et  nihilominus  furore  repleti,  consilium  mutaverunt  ut  eum  non 
in  festo  occiderent.  et  per  consequens  gravius  peccaverunt.  Unde 
Léo  papa  :  «  Dicebant  non  in  die  festo.  non  ut  populus  non  pecca- 
re[t],  sed  ne  Ghristus  evaderet  quod  diligebatur  a  populo  ».  Sicut 
circunstantiae  aggravant  peccata,  scilicet  tempus.  locus,numerus, 
status,  persona  et  aetas,  festa  vero  sunt  instituta  ut  Deum  laude- 
mus  et  coniiteamur.  ut  ecclesias  frequentemus  :  sed  opus  est  hodie 
quod  majora  peeeata  diebus  festivis  permittuntur  quam  aliis  die- 
bus.  Et  taies  sunt  pejores  Judaeis  qui  dicebant  «  non  in  die  festo  : 
y  r°.  Yidens  autem  Judas  quod  Jésus  non  ibat  Hierusalem,  aestimans 
forte  tempus  oportunum,  timens  ne  diutius  expectaret  et  non  pos- 
set  propositum  adimplere,  Hierusalem  [ivit]  et  invenit  principes 
sacerdotum  in  atrium  pontifias  qui  dicebatur  Caypbas.  et  intravit 
ad  eos  sine  verecundia.  et  dixit  :  «  Scio  quid  dicitis.  Quid  vultis 
mihidare,  et  ego  eum  vobis  tradam  etc.  ».  O  nequissime  mercator, 
Juda,  tu  pervertis  communem  modum  mercandi,  tu  nimis  bonum 
forum  facis.  De  te  enim  bonitas  non  potest  ymaginari,  imo  est 
infinis  '.  Tu  ponis  pretium  in  voluntate  cmentium.  tu  facis  ad  mo- 
dum latronum  qui  desiderant  se  expedire  de  furto.  et  datur  pro 
nibilo,  tu  promittis  id  quod  non  est  in  potestate  tua.  nisi  vellet 
ipse.  O  verbum  totius  nequitiae.  qui  tradis  dominum  Deum  tuum 
qui  dédit  tibi  potestatem  suscitandi  mortuos  et  miracula  faciendi, 
et  suum  apostolum  fecit  et  ipsum  tradis  !  Audientes  Judaei  consti- 
luerunt  ei  triginta  argenteos.  et  spopondit,  scilicet  promisit,  et 
postquam  fecit,  quaerebat  oportunitatem  ut  eum  traderet.  Et  baec 
venditio  fuit  facta  die  Mercurii,  et  multi  in  tali  die  abstinent  ab 
escis  carnium  in  memoriam  venditionis  Chrisli.  —  Exemplum  de 
transeunte  per  queindam  [homijnem  qui  tota  vita  sua  abstinuerat 
se  a  carnibus  in  die  Mercurii  in  memoriam  venditionis  Cbristi. 
Ibidem  fuit  interfectus  a  latronibus.  ipso  involuto  in  diversis 
peccatis,  et  abscisso  capite,  cap  ut  ibat  per  nemus,  clamando  con- 
fessionem,  et  ex  divina  providentia  advenit  sacerdos  qui  transibat 
iter  suum.  et  peccata  omnia  confessus  est,  cui  dictum  est  quod 
Deus  talibus  non  permittit  ut  sine  contessione  moriantur  etc. 
Secundo,  scilicet  in  die  Jovis,  de  mane  discipuli  ad  Christum 

i.  Infinis  pour  infinita :  ou  plutôt    la  bonté  est  infinie,  tu  laisses  aux  acheteurs  le 
soin  de  l'aire  le  prix. 


PASSI0  secundum  legem  185 

dixerunt  :  «  Ubivis  paremus  tibi  comedere  Pascha?  ».  et  ait  Chris- 
tas  secretariis  suis  l,  scilicet  Petro.  Jacobo  et  Iobanni  :  «  Ibitis  ad 
civitatem, scilicet  Ilierusalem.et  statim  habebitis  hominem  obviam, 
portantem  vas  aquae  plénum.  Sequemini  eum  et.  intrantes  <lomum, 
domino  illins  hospicii  dicetis  :  «  Magister  dicit  quod  ostendatis 
nobis  loeum  secretum,  quod  in  domo  vestra  vult  manducare  pas- 
cbalem  agnum  cum  discipulis  suis,  et  ipse  vobis  ostendet  coenacu- 
lum  grande  stratum,  et  ibi  parate  coenam  ».  Et  ecce  tune  ad  vespe- 
ram  Jésus  venit  Hierusalem  de  Bethania  cum  discipulis  suis,  et 
intraverunt  domum  secrète  et  sederunt  ad  mensam.  In  principio 
coenae  dixit  Jésus  :  «  desiderio  desideravi  hoc  pascha  manducare  8  v*. 
vobiscum  i  antequam  patiar  ».  Comesto  agno,  antequam  cibaria 
deponerent,  surrexit  a  çoena  et  lavit  pedes  discipulorum  suorum 
in  signum  puritatis  et  innocentiae,  quibus  lotis,  iterum  recubuil  el 
consecravit  corpus  suum  de  pane  et  sanguinem  suum  de  vino,  el 
eonvocavit  discipulos  suos.  et  Judam.  et  illis  convocatis  dixit  : 
«  Dico  vobis,  unus  vestrum  hodie  me  traditurus  est  ».  Non  nomi- 
nando.  ut  daret  nobis  exemplum  non  revelandi  peccata  aliéna. 
Tune  coeperunt  singuli  dicere  et  se  excusare.  Yalde  turbati  sunt 
dicentes  :  «  Num  quid  ego*  sum,  Domine  »  ?  Petrus  erat  juxta 
Dominum  et  quaesivit  quis  esset  ille  et  dixit  Iohanni  :  «Quaeratis. 
scilicet  quis  ^st  ille  »,  et  Johannes  dixit  :  «  Domine,  quis  est  qui  te 
tradet  ?  »  —  Cui  Christus  dixit  :  «  Cui  intinctum  panem  porrexero\ 
me  tradet  ».  Timuit  Johannes  ne  Christus  sibi  traderet.  Igitur  recu- 
buit  supra  pectus  Domini,  et  Christus  tradidit  Judae.  et  continuo 
exivit  de  mensa.  et  dixit  ei  Jésus  :  «  Quod  facis  fac  citius  » 
Putabant  apostoli  quod  loqueretur  de  aliquo  i'eivulo  ponendo 
supra  mensam  et  tune  dyabolus  habuit  majorem  potestateui  in 
.luda  quam  ante.  Et  ipse  abiit  ad  principes  sacerdotum  ut  clam 
baberent  eum  ad  capiendum.  Tune  dixit  Jésus  discipulis  -ni--  : 
m  Xunc  clarificatus  est  filius  hominis  * .  Xunc  est  societas  magis 
clara  et  munda  ».  Ratio  est:  Quod  Judas  erat  totu->  tenebrosus  il 
obscurabat  contra  societatem  Christi.  et  non  expectavit  gratias,  ne- 


i    i  Se    trois  pnnci|)aux  secrétaire?    >■  disait  déjà  la  Passion  de  [398  copiée 

Passion  qui  est  réimprimée  ici. 
•j.  Lie,  XXII.  15 
i     Marc.  XIV.  it, 

6    Citations  tronquées  de  .Jo.v>>..  XIII.  26.  2;.  Si. 


486  PASSIO    SECDNDUM    I.EGEM 

que  sermonem  quem  fecit  Deus.  Xotadeillis  quinoluntaudireser- 
mones.  etc.,  quin  etiam  non  reddunt  gratias  de  bonis  a  Deo  sibi 
collatis.  sed  reeedunt  ut  porci  ad  lutum. 

Gum  igitur  recessisset  Judas,  coepit  Jésus  dulciter  loqui  dis- 
cipulis.  dicens  :  «  Filii  mei.  adhuc  vobis  cum  modicum  sum, 
sed  recedam  in  brevi  a  vobis,  et  quo  ego  vado  non  potestis 
venire,  nec  me  modo  sequi.  Sequemini  autem  postea.  »  Intellige- 
bat  autem  Jésus  de  munere  passionis.  Et  Petrus  respondit  :  «  Do- 
mine, quare  non  possum  te  modo  sequi?  ecce  animam  et  vitam 
pro  te  pono.  »  —  Et  quod  Petrus  multum  audaciter  loquebatur. 
nec  sciebat  illa  quae  ventura  erant.  dixit  ei  Jésus  :  «  Amen  dico 
tibi  antequam  gallus  cantet.  ter  me  negabis  ».  Dixit  ei  Petims  : 
«  Domine,  si  oportuerit  me  mori  tecum,  non  te  negabo  »  :  et  non 
9  i".  mentiebatur  tune  Petrus.  quod  habebat  propositum  faciendi.  Nota 
quomodo  aliquis  non  débet  esse  praesumptuosus.  Quidam  praesu- 
munt  non  facere  peccatum  Tel  fecisse,  cum  omnes  sumus  pecca- 
tores.  Si  enim  facis  unum  peccatum.  potes  aliud  facere.  Petrus 
vero  non  fuit  semper  constans.  Et  videtur  Jésus  Christus  in  spiri- 
tuali  vitupérasse,  nam  dixit  discipulis  suis  :  «Amen  dico  vobis  quod 
vos  scandalum  patiemini  in  me  in  hac  nocte.  Scriptum  est  vero 
«  Percutiam pastorem  et  dispei-gentur  oves  gregis  »,  et  quod  Petrus 
erat  audacior  in  amore  Christi.  quamvis  postmodum  inconstans, 
dixit  Cbristo  :  «  Etsi  omnes  scandalizati  fuerint  in  te.  paratus  sum 
et  in  carcerem  et  mortem  ire  ».  Tune  dixit  Jésus  Petro  :  «  Symon, 
ecce  Satban  expetivit  vos  ut  cribaret,  id  est  ventilaret  ut  tritricum, 
quod  (1  ici t  :  Non  conlidas  tantum  de  te  :  quod  dyabolus  temptabit 
te  et  alios,  et  faciet  vos  exire  a  fide,  sicut  tritricum  de  cribo  excu- 
titur,  et  veraciter  illa  societas  apostolorum  fuit  taliter  excussa  a 
dyabolo  quod  fere  exierunt  fide  nec  unquam  reversi  fuissent,  nisi 
Cbristus  orasset  pro  eis,  et  oravit  ad  exemplum  nostrum  quomodo 
debemus  orare  pro  christianis  ut  ipsi  vivant  in  fide  catbolica  et 
mali  convertantur  ad  fidem.  Unde  dicit  Petro  :  «  Rogavi  pro  te,  ut 
non  deticiat  fides  tua,  et  tu  aliquando  conversus  confirma  fratres 
tuos...'  )j  —  Respondit s  ei  Jésus  :  «  Et  ego  dico  tibi  antequam  gallus 


i.  Toute  cette  page  est  encore  remplie  de  citations  tronquées  de  Joann..  XIII  :  Lie. 
XXII:  Marc,  XIV:  Mattii.,  XXVI,  inutiles  a  relever  en  détail. 
2.  La  réplique  de  Pierre  facile  a  suppléer  manque  dans  l'imprimé. 


PASSIO   SECUNDUM    LEGEM  i87 

cantet  bis,  ter  me  negabis  ».  —  Gum praedixisset  Jésus  Petro  quod 
eum  negaturus  erat,  iteimm  aggreditur  collegium  '  apostolorum,  et 
dixit  eis:  «  Quum  fui  vobiscum  corporaliter,  et  inisi  vos  sine  pera, 
id  est.  sine  onere  portationis,  et  sacculo  et  baculo,  nunquam  ali- 
quid  démit  vobis?  »  — Dixerunt  :  «  Non  ».  —  :  «  Et  tune  si  itote 
quod  superveniet  perseentio  :  quia  qui  habet  tunicam  vendat  eam 
et  emat  gladium  ».  Sed  qualiter  Ghristus  dixerat  eis  quod  haberent 
gladium,  cum  prohibuerat  eis  ne  afferrent?  Ratio  est  secundum 
Crisostomum  ad  inveniendum  quod  cohors  sacerdotum  et  clien- 
tum  armatorum  debebant  venire  supra  se  ad  capiendum  eum, 
quod  qui  vellet  se  defendere  haberet  homines  armatos  ad  resisten- 
dum.  Responderunt  discipuli  :  «  Domine,  ecce  duo  gladii.  »  — 
Quaeritur  hic  ubi  acceperunt  discipuli.  Respondetur,  secundum 
Chrysostomum,  quod  Petrus  audierat  quod  Iudaei  machinabantur 
malum  adversus  Jesum.  Secundum  Hieronymum  erant  cultelli 
cum  quibus  Petrus  diviserat  agnum  paschalem*.  Initis  lus  verbis,  9  v 
surrexit  de  mensa  et  oravit  pro  collegio  suo  et,  eis  omnibus  bona 
facientibus,  île  ijuo  dicitur....  '  et  «  hymno  dicto,  exierunt  in  mon- 
tent 4  »  OHvarum,  et  hoc  de  secundo  puncto  principali. 

De  tertio  autem  quomodo  fuit  captus,  etc.  Sciendum  est  quod 
post  [quarn  essetj  egressus  Jésus  trans  torrentem  Cedron,  Judas, 
qui  non  erat  in  societate  Christi,  sed  abierat  ad  principes  sacerdo- 
tum, locum  sciebat  ubi  Christus  venerat  cum  dlscipulis  suis.  etc. 
Quare  Christus  voluit  intrare  campumet  ibi  capi?  Triplex  csi  patio. 
Prima  quod  voluit  satisfacere  peccato  priorum  parentum  qui  in 
Paradiso  terrestri  peccaverant.  Secunda  ratio  ad  ostendendum 
quod  nos  non  possumus  vènire  ad  delitias  paradisi,  nisi  transea- 
mus  per  torrentem  praesentis  \ilat>.  Tertia  ratio  al  nos  docerel 
quia,  sicut  in  [h]orto  fuit  captus,  sic  et  nos  in  [h]ortis  delitiarum 
hujus  mundi  sumus  fere  capti. 

Cum  autem  ad  [hjorluiu  convenisset  cum  discipulis  suis,  as- 
sumpto  Jacobo,  Petro  et  Johanne,  alios  dimisil  per  spacium  modi- 
cum  rétro,  etaitillis  :  «  Sedete  hic,  donec  vadam  illic  et  orem    .  l-.t 


t.  [p.  comitatem.  —  pour  le  comité??? 

■j.  Cette  explication  bizarre  des  deux  glaives  vient  des  Postilles  de  Ji    de  Lire. 

3.  Lacune  de  l'imprimé 

;  Matth.,  WVI.  3o. 


488  PASSIO    SECUNDUM    LKGEM 

avulsus  est  ab  eis  quasi  jactu  lapidis1.  ad  ostendendum  quod 
debemus  orare  secrète.  Modus  orandi  fuit  talis.  Primo  flexit 
genua.  secundo  faciem  suam  inclinavit  ad  ostendendum  humilita- 
tem  volentibus  orare.  Quid  autem  sic  oravit  ?  Respondendum. 
quod  [ad]  Patrem  dicens,  «  Si  possibile  est.  transeat  a  me  calix 
iste  ».  id  est.  tormentum  istud,  in  quantum  homo  orabat,  timens 
mortem.  Videtur  quod  isto  modo  dicendo  c  Pater,  si  possibile  est, 
transeat  a  me  calix  iste  »,  quod  Ghristus  habuerit  voluntatem  con- 
trariam  voluntati  Patris  sui.  Sciendum  est  quod.  quantum  ad 
naturam  humanam,  oratio  Christi  fuit  quod  omnes  sensus  Cbristi 
exteriores  passi  sunt.  Xum  baec  oratio  «  Pater  mi  »  non  sufliciebat 
ad  redemptionem  ?  Ideo  respondit  [Pater]  «  Non  sufïicit,  fili  mi, 
quia,  sicut  Adam  in  suo  peccato  dclectationem  accepit,  opus  te 
sustinere  poenam  pro  eo  ».—  Unde  Filius  respondit:  «  Pater,  vnln 
pâli  fa  ni  cm  3  sitim,  laborcm.  paupcrtatem,  scd  rccuso  mortem.  »  — 
Pater  respondit  :  «  Fili  mi,  tu  scis  quod  Adam  per  peccatum  suuni 
condemnatus  est  in  fine  ad  mortem  cum  tota  ejus  posteritate.  Si 
ergo  vis  redimere  genus  humanum.  oportet  te  mori  ut  vitam  aeter- 
nam  liominibus  acquiras.  »  —  Tune  Filius  respondit  :  «  Ex  quo 
vis  ut  moriar,  numquid  sufficit  ut  moriar  morte  naturali  ?  2  »  — 
Pater  respondit  :  «  Quod  [si]  absque  morbo  corpus  deponas.  et  ite- 
10  r°.  rum  résumas,  et  te  viventem  ostendas,  non  credetur  tibi  de  resur- 
reetione.  quomodo  de  tua  morte  victoriam  habueris.  nisi  passus 
fueris  illam.  »  —  Filius  respondet  Patri  :  «Ex  quo  vis,  fiât  voluntas 

tua.»  —  Respondet  Pater  :  «  [Non  resurges  3]  in  bac  aetate  qua 

ut  delectatio  major  appareat,  »  —  Filius  autem  dicebat  Patri  : 
((  Pater,  si  vis.  non  patiar  in  Hierusalem.  in  eonspeetu  tanti 
populi,  sed  in  Nazareth,  ubi  fui  eoneeptus.  vel  in  Bethléem,  ubi 
fui  natus,  vel  in  Ebron.  ubi  fuit  Adam  sepultus.  » —  Respondit 
Pater  :  «  Fili  mi,  inimo  patieris  in  Hierusalem.  et  extra  civitatem 
in  loco  qui  dicitur  Calvariae.  quod  virtus  istius  passionis  est  ad 
totum  mundum  diffu[n]denda.  Ideo  debes  mori  in  medio  mundi 
juxta  illud  :  «  Operatus  est  salutem  in  medio  terrae  *.  »  —  Filius 

i.  Luc,  XXII,  41. 

2.  Dans  Barelette,  ce  dialogue  est  remplace  par  un  autre  dialogue  entre  le  Christ  et 
l'ange  venu  pour  le  conforter. 

3  Ip  :  rezutes  quum  ou  quoniam.  passage  tronqué  et  altère  qu'il  mest  impossible  de 
restituer  d'une  manière  satisfaisante.  —  4-  Psax.  LXXIII.  12 


PASSIO  SECUNDUM   I.EGF.M  489 

respondit  Patri  :  «  Fiat  voluntas  tua,  sed  rogo  ut  habeam  milites 
compatientes  mihi,  scilicet  discipulos  meos  assistentes  et  consen- 
tientes.  »  —  Tune  Pater  :  «  Fili,  quod  passio  tua  debel  esse  in 
remedium  multorum,  ideo  ab  omnibus  hominibus  patieris,  vide- 
licet  asacerdotibus.  a  principibus  Judaeis,  a  masculis,  ;i  foeminis, 
ab  amicis,  ab  inimicis,  a  Juda  traditore  :  a  Petro  negaberis,  et  ab 
omnibus  discipulis  tuis  relinqueris,  scd  solum  a  duobus  latronibus 
associaberis,  et  in  medio  collocaberis  tanquam  particeps  in  eodem 
crimine  de  malefîciis,  et  taliter  relinqueris  quod  non  habebis  qui 
dol  tibi  unam  guttam  aquae,  ut  impleantur  Scripturae  :  «  Ego  surit 
permis,  et  non  homo1,  opprobrium,  etc.  Et  similiter  relinquent 
me  amici  mei  el  qui  me  noverunt  recesserunt  a  me  ».  —  «  Pater 
mi.  ex  quo  omnes  me  relinquent,  relinquel  nu-  mater  mea  ?  »  — 
«  Nequaquam,  scd  fortiter  mori  tecum  eril  voluntaria  et  parata  ». 
—  Ait  Christus  Patri  :  «  Rogo  te,  Pater,  ipsam  non  esse  praesen- 
tem,  sullicit  pro  redemptione  gene'ris  huinani  passio  mea.  »  — 
Pater  loquitur  lllio  :  «  Fili  mi.  convenit  ut  mater  tua  non  sit 
absens  a  tuî  passione  et  morte  propter  sex  rationes.  Prima,  quod 
si  sibi  narretur  passio  tua.  morietur  prae  dolore.  Secunda  ratio 
est  ut  de  parente  disponas  et  eam  alicui  recommendes.  Tertia  ratio 
est  ut  tua  passio  corporaliter  visa  cordi  suo  perpetuo  maneat  fixa. 
Quarta  ratio  ut  illi  qui  praesentes  non  erunt  possint  ab  ea  infor- 
mari  citius  de  tua  passione.  Quinta  quod  de  sua  tua  earo  est.  Ideo 
non  convenit  unam  sine  alia  pati.  Sexta  ratio  est  in  augmentum 
tuae  passionis.  quae  dicitur  omnium  maxima.  »  —  Loquitur  Filius  10  v 
|iostca  :  «  Pater  mi.  fiât  voluntas  tua.  non  mea.  n 

Hum  Christus  orassel  revei  iu<  esl  ad  discipulos.  et  invenil 
co>.  dormientes  quod  oculi  eorum  gravati,  el  dixit  Petro  : 
«  Symon.  dormis  ?  »  Quaeritur  quare  citius  redarguil  Petrum 
quam  alios.  Ratio  est  quod  ipse  futurum  pastorem  pronunciabal 
el  quod  deberet  vigilare  pastor  super  gregem  suum.  I  une  hortatus 
ipsos.  dicens  :  «  Vigilate  et  orate  \  etc.  »  El    •  quitui  piri- 

tns  quidem  promptas  est.  etc  »  Secundo  ivit  ad  orandum,  el 
facta  oratione.  rediit  ad  ipsos.  et  invenit  eos  dormientes  Sed  nihil 
dixit  eis.  Tertio  reversus  ad  orationem,  factus  est   in  agonia  pro- 

2.  3    Marc.  XIV.  3; 


4D0  PASSIO    SECUNDUM    LEGEM 

lixius  orans'.  et  factus  est  sanguinis  sudor  ut  aquae.  Et  tune. 
secundum  Lucam  \  Angélus  de  caelo  apparaît  confortans  eum. 
quamvis  non  indigeret,  sed  ad  demonstrandum  quod  persona  in 
oratione  stantem  angélus  visitât.  Ouaeritur  quare  ter  oravit.  Ad 
ostendenduxn  quod  debemus  orare  pro  peccatis  praeteritis.  praesen- 
tibus  et  futuris.  ut  habeamus  contra  ea  cautelaui.  Postea  venit  ad 
discipulos  et  dixit  illis  :  «  Dormite  jam  et  requiescite  ',  Ecce  appro- 
pinquat  qui  me  tradet  ».  —  Adhuc  eo  loquente.  ecee  Judas  Isca- 
rioth,  et  eum  eo  clientes,  et  Herodiani.  etc.  Xota  quod  Judas 
adduxit  seeum  clientes  brachii  saecularis  et  ecclesiae,  ne  Christus 
posset  evadere.  Timebat  enim  Judas  quod  si  solum  unam  justitiam 
cepisset,  alia  Christum  juvaret.  Ideo.  ne  posset  evadere,  utramque 
justitiam  adduxit.  Dederat  autem  signum  dicens  :  «  Quemcumque 
osculatus  fuero\  etc.  »  —  Jésus  autem,  sciens  omnia  quae  Ven- 
tura erant  super  eum.  processif  et  dixit  eis  «  Que  m  quaeritis  »  ? 

—  «  Jesum  Nazarenum.  »  —  Et,  audito  hoc  nomme,  occiderunt  re- 
trorsum.  Dixit  Jésus  :  «  Ego  sum.  » —  Iterum  ergo  eos  interrogea  vit. 
«  Quem  quaeritis  »  ?  —  «  Jesum  Nazareram,  etc.  »  —  «  Dixi  vobis 
quod  ego  sum.  Si  ergo  me  quaeritis,  sinite  hos  abire  ».  —  Et  tune 
Judas  salutavit  eum.  dicens  :  «  Ave  liabi  ».  et  osculatus  est  eum. 

—  :  a  Amice.  ad  quid  venisti r  ?  »  —  Dicunt  aliqui  quod  ratio  quare 
Judas  dédit  signum  eis  fuit  ne  caperetur  Jacobus  minor.  quia 
similis  erat  Christo.  Et  dicit  Jésus  :  «  Judas,  osculo  filium  hominis, 

11  r°.  tradis  7.»  —  Tune  acceperunt  et  manus  injecerunt  in  Jesum.  Petrus 
autem  hoc  videns,  exivit  gladium  et  amputavit  auriculam  servi 
pontifuis  eujus  nomen  Malchus.  Xota  quod  Petrus  percussit,  id  est 
Papa,  episcopus  el  caeteri  prelati  ecclesiae  habent  jurisdictionem 
quantum  ad  hoc  quod  percutiunt  Malchum,  id  est.  rebelles,  inobe- 
dientes.  incorrigibiles,  et  séparant  quod  data  est  eis  potestas  sepa- 
rare  eos  ab  ecclesia,  quod  ipsi  non  parant  audire  divinum  servi- 
tium.  quod  pertinet  ad  aurem  dextram.  scilicet.  animae.  quod 
homo  prius  '  quo[ad]  ad  fructum  et  sutl'ragia  generalia  separatur, 


i.  2   Luc,  XXII,  43-  44. 
3-4.  Matth..  XXVI,  \o.  $8. 

5.    JOANN.j   WIII.  4. 

ii-:.  Lcc,  XXII.  48. 

s.  Texte    très  obscur,  probablement  altère.  L'imprimé  donne  :  parant  quod  data,  et 
plus  bas  :  prior. 


PASSIO    SECUNDUM    LEGEM  i''l 

sive  in  vita.  sive  post  mortem.  XI  Q.  iij.  «  Certum  excommuni- 
catio  dicitur  extra  communionem  Ecclesiae  separatio  ».  XI.  q.  îii. 
«  Nihil  excommunicatio  ad  salutem  et  correctionera  ordinatur1  » 
XX  iiij  q.  iii.  —  Notandum  est,  lune  Jésus  dixil  Petro.  «  Mitte  gla- 
(lium  luum  in  Iocum  suum,  omnis  eniin  qui  accipit  gladium  gladio 
peribit  »  :  hoc  est  intelligendum  injuste  capiendo  :  et  sanavit  auri- 
culara  Malchi.et  tlixit  Jésus  «  tanquam  ad  latronem1,  etc.  Tune 
discipuli,  relicto  eo,  et  cetera.  Heu  !  non  dimiserant  eum  in  coena, 
in  prosperitate,  sed  in  necessitate  :  erant  enim  amici  in  mensa,  et 
sic  liiles  extincta  est  in  eis.  quare  hodie  in  officio  omnes  cahdelae 
exstinguuntur  praeter  unani  ad  ostendendum  quod  sola  fides 
remansit  in  Virgine  Maria  '.  — 

Postquam  auteiu  fuit  cap  tus,  primo  duxerunt  ad  Annam  qui  lue- 
rat  pontifes  in  annopraecedenti,unde  ex  cupiditàte  ollicium  ponti- 
ficis  annuatim  vendebant  et  emebant.  Videns  autem  Iohannes 
quod  Christus  ducebatur  ad  domumÀnnae,  ipse  cum  Petro  seque- 
bantur  eum  a  longe,  ut  vidèrent  finem.  Ideo  cum  Iohannes  essel 
notus  pontifici,  intravit  domum.  Et  quomodo  erat  Iohannes  notus, 
cum  ita  pauper  esset?  Respondetur  quod  pater  Iohannis  erat  pis- 
cator,  ut  ait  Grisostomus.  Et  cum  Iohannes  esset  puer,  pater  ejus 
mittebat  pisces  per  lohannem  '.  Ideo  ancilla,  quum  vidit  [ohan- 
nem.  dixit  :  «  Vis  intrare?»  —  Qui  dixit:  «  Ita  :  sed  rogo  ul  di'mit- 
tas  intrare  socium  meum.  scilicet  Petrum  ». —  Quem  videns.  ancilla 
dixit  :  «  Numquid  ex  discipulis  es  hominis  istius?» —  Ipse  tiinuit 
ne  caperetur,  dicens  :  «  Non  sum.  »  —  Grisostomus  :  «  ()  Petre, 
numquid  dixisti  «  Et  si  oportuerit  me  mori  tecum,  etc.  » —  Si  vir 
interrogasset  te,  lune  debuisses  aUquo  modo  excusari,  sed  quod 
una  ancilla, non  es  ex cusatus.  O  qualispugil  lu  esser,cum  ad  inter- 
rogationem  unius  mulieris  tu  miserrime  negas  magistrum  luum»! 

Sed  \idcte  quomodo,  saepe  ab    utroque    patiebaturs Iterum  llv 

[)itst  modicum  vidit  Petrum  quaedam  alia  ancilla,  et  dixit  astanti- 


i.  Citations  tirées  d'un  recueil  de  droil  canonique  ou  <1«'  Déi  rétales  que  je  n'ai  pu 
i  denl  Lfier. 

a.   Maii  h.  ,  XXVI,  ."«5. 

'}.  Surir  rite,  voir  Di  Canoë,  i.  [V,  v  Planctus,  e(  le  Ci  nous  dit,  B.  Nat,  ma  Ar. 
[a5  i    •>.■*  v. 

\.  Cette  explication  vient  des  Postules  de  N.  de  Lire.  Cf.  p.   ■   .    i  de  <<•  \\\  >■<•■ 

5.  Passage  altéré. 


492  PASSIO  SECUNDUM  LEGEM 

bus  :  «  Nonne  hic  cum  Ieso  Nazareno  erat?  ».  et  ille  negavit  cum 
juramento  quod  non  novit  hominem.  Et  erat  juxta  ignem  calefa- 
ciens  se.  Et  tune  Annas  interrogaxit  Jesum  de  duobus,  sciîicet  de 
doctrina  et  de  discipulis  suis,  primo  de  doctrina  quod  non  suffe- 
cisset  de  doctrina  Moysi,  dicens  :  «  Videtur  tibi  quod  sis  sapientior 
Deo  et  Moyse  ;  tu  praedicas  novas  leges.  Secundo  tu  facis  te  capi- 
taneuni  gentium;  voluisti  babere.  .XII.  apostolos,  sicutXII  patriar- 
ebas,  .LXXII.  discipulos,  sicut  mundus  fait  divisus  in  LXXII  lin- 
guis.  Quare  hoc  facis  dicas  mihi  ad  primant  quaestionem  ».  —  Res- 
pondet  Christus  cum  humilitate  de  doctrina  sua  :  «  Ego  palam 
locutus  suni  mundo  1.  Interroga  eos  qui  me,  etc.  »  Et  cum  dixisset. 
unus  ministrorum  pontifîcis,  (dicunt  quidam  quod  fuit  Malchus 
cui  Christus  aurem  sanaverat),  dédit  alapam  Jesu,  dicens  :  «  Sir 
respondes pontifici !  »,et  projecit  euni  ad  terram.  Oui  erectus  dul- 
citer  dixit  :  «  Si  maie  locutus  sum,  testimonium  perhibe  de  malo. 
Si  autem  bene.  cur  me  caedis*?  »  Videns  autem  Petrus  quod 
Christus  sic  patiebatur.incepit  flere.  Tune  dixerunt  illi  :  «  Et  tu  de 
illis  es?  »  Tune  Petrus  non  solum  negavit,  sed  anathematisavit,  et 
et  juravit,  dicens  :  «  Ad  malam  damnationem  reniant,  si  ego 
unquam  novi  eum  !  »  Et  statim  gallus  cantavit,  et  Christus,  ver- 
tens  se  ad  Petrum.  respexit.  quasi  dicens  :  «  Petre.  tu  me  negasti.  » 
Recordatus  est  Peti'us  verbi  Jesu  quod  dixerat.  Et  egressus  est 
foras,  flevit  amare.  Dicit  Magister  sententiarum  3  quod  intravit  in 
quodam  monumento.  dicens  se  nunquam  exiturum  donec  Christus 
parceret  ei.  Ideo  sibi  reVelavit  Angélus  in  die  resurrectionis  quod 
Christus  sibi  remiserat  peccatum.  Ab  illa  hora  tune  portavit  sem- 
per  sudarium  cum  quo  sibi  tergeret  oculos  quod  semper  flebat 
quum  audiebat  gallum  cantare  \ 

Videns  igitur  Annas  quod  nihil  contra  Christum  inveniebat. 
misit  eum  ad  Caypham.  Dicit  Reda  quod  posuei'unt  cathenam  in 
collo  ejus  et  trahebant  eum  cum  impetu  magno,  et  tamen  reperi- 
bant  eum  innocentem.  et  adduxerunt  eum  vinctum.  et  dum  esset  in 
12  r°.  domo  Cayphae.  ubi  erant  omnes.  Pharisaei.  nobiles  legis  sacer- 
dotes.  clamaverunt,  simul  dicentes  :  «  Quotiens  diffamasti  nos  in 
sermonibus  tuis  coram  populo?  O  deceptor  populi,  qui  tanta  mala 

I,  2.  JOANN.j  XVIII,  19.  23. 

3.  P.  Lombard. 

4.  Ce  trait  vient  de  la  Légende  dorée. 


PASSIO    SECUNDUM    LEGEBJ 

fecisti  nobis,  modo  tenemus  te.  o  Et  quaerebant !  adversus  eum 
falsum  testimonium  ut  eum  morti  traderent,  et  non  invenerunt. 
Xovissime  autem  venerunt  duo  falsi  testes  dicentes  :  Hic  dixit  : 
«  Possum  destruere  templum  Del  cl  lu  triduo  reaedificare  illud1.» 
Et  bene  falsi  erant,  quia  hoc  dixeral  de  templo  corporis  sui.  et 
quod  deberet  tertia  die  resurgere.  lesus  non  respondit  ut  audivit. 
Tune  ilixit  Gayphas  :  «  Non  audis  quanta  adversus  te  dicunt  testi- 
monia  ?  ».  et  non  respondit  ut  admirarentur  !  praesentes  velie- 
menter.  el  dixit  ei  :  ce  Adjura  te  per  Deum  vivum  ut  dicas  '  nobis 
si  tu  es.  etc.  »  — Et  tune  propter  reverentiam  noininis  Domini  res- 
pondit :  «  Tu  dixisti.  Yerum  est  quod  ego  Messias  suin  lilius  Dei 
et  Salvator  mundi.  Amodo  videbitis  filium  hominis  venientem  in 
nnbibus  caeli  et  sedentem*  a  dextris  Dei,  seilieet.  in  extremo  judi- 
eio.  »  —  Quo  audilo.  Gayphas  in  signum  tristitiae  scidit  vesti- 
menta  sua.  dicens  :  «  Audistis  blasphemiam.  Quiet  adhuc  egemus 
testibus.  Quid  vains  videtur'3  ?  »  —  p]t  dixerunt  :  «  Reus  est 
mortis.  »  —  Quem  apprehenderunt  levitae  et  sacerdotes,  et  eum 
super  cathedram  i'eeerunt  sedere,  et  in  facie  sua  dulcissima  expue- 
runt  :  ita  quod  vix  eum  videre  quis  poterat.  Secundo  velaverunt 
faciein  ejus,  percutientes  eum  et  dicentes  :  «  Quis  est  qui  te  per- 
cussit  ?  »  Tertio  alii  trahebant  sibi  barbam  et  diéunt  quidam  quod 
nunquam  fecerat  radi.  Postquam  autem  sic  luit  tractatus  tota 
nocte.  quod  erant  fatigali magnis  doloribus  quos  ei  fecerant,  volue- 
runt  modicum  quiescere  in  aurora.  Idcirco .  ligatis  manibus. 
rctrorsum  posuerunt  eum  in  l'oveam  quamdaui  ubi  foeces  coquinae 
descendebant,  et  ibi  fuit  us(jue  ad  primam,  et  baec  tic  tertio  prin- 
cipale 

Quarto  dixi  quomodo  accusatus  falsiter  etc.  Ubi  nota  quod  mane 
tanquam  Iatronem  duxerunt  eum  ad  Pylatum  et  dixerunt  Pylato  : 
«  Ecce  ponimus  hominem  justum  in  manibus  luis  tanquam  rcuin 
crudelissimae  mortis  ».  Quem  apprehenderunt  sacerdotes  legis  et 
levitae.  et  onines  ^eniores  populi  dicentes  :    (i  Moriatur  morte  tur- 


i.  1|)  :  querebantur . 

2.  Mai  ni.,  XXVI,  tii,  io.  fi}. 

5.  Ip.  :  adamirarentur. 

i      l|>     :  rrri  srdrus. 

5.  Ip.  :  trac  tus. 

ii.  Ma  m  h.,  XX\  1.  65, 


4i)4  l'ASSIO    SECUNDUM    LEGEM 

12  v°.  pissima  homo  iste  !  »  Yidens  autem  Judas  qualiter  tractabant. 
retulit  triginta  argenteos,  dicens  :  «  Peccavi  tradens  sanguinem 
justum  '  ».  Nota  de  poenitentia  Judae.  Non  fuit  ex  eontritione,  quod 
fuisset  sibi  salutifera,  sed  fuit  ex  erubescentia  et  confusione.  Qui 
dixerunt  :  «  Quid  ad  nos  *?  si  tu  fecisti  fatuitatem.  tuam  bibe 
illam  ».  Ille  autem.  videns  se  derisum.  projecit  triginta  argenteos 
ante  conspectum  principum.  Abiit  et  laqueo  se  suspendit,  et  in  hoc 
plus  olïendit  Ghristum  quam  quum  eum  vendidit.  Et  tune  crepuit 
médius,  et  diffusa  sunt  viscera  ejus  :  non  enim  erat  digna  anima 
exire  per  os  quod  tetigerat  Ghristum.  O.  si  Judas  restituisset  pecu- 
niam  maie  acquisitam.  quomodo  usurarius  tenet  usuram  et  symo- 
niaeus  praebendam?  Certe  pejores  sunt  Juda.  et  quumChristus  ad 
inferos  descendit.  Infernus  et  Dyabolus  eaquae  injuste  detinebant 
reddiderunt.  quod  tamen  nolunt  isti  facere.  Tune  Judae,  acci- 
pientes  pecuniam,  dixerunt  :  «  IVon  licet  eos  mittere  in  corbonam, 
quod pr.etium  sangainis  esi\  sed  erit  in  repositorio  oblationum  ». 
Et  de  ista  pecunia  emerunt  agrum  figuli  cujusdam  hominis  sic 
nominati,  ut  faceret  sepulturam  peregrinorum,  quod  non  habe- 
bant  sepulehium.  Et  vocatus  ager  ille  Alchedemac,  hoc  est  ager 
sanguinis. 

Jésus  autem  stabat ante  praesidem  ligatus  ;  videns  autem  Pylatus 
Ghristum  sic  ligatum,  quod  erat  signum  hominis  condemnati 
secundum  ritum  et  usum  Romanorum,  ait  :  «  Quam  accusationem 
affertis  adversus  hominem  hune  ?  »  —  Dixerunt  :  «  Si  non  esset 
malefactor,  non  tibi  tradidissemus  eum.  Credebat  Pylatus  quod 
Christus  fecisset  aliquid  contra  legem  Moysi[s],  propter  quod  debe- 
ret  verberari.  Ideo  dixit  :  «  Accipite  eum  vos,  et  secundum  legem 
vestram  etc.  »  —  Et  dixerunt  :  «  Non  licet  nobis  interficere  quem- 
quam»,  scilicet.  in  die  festo,  quod  in  potestate  Romanorum  erant 
omnes,  propter  quod  non  possent  aliquem  occidere.  Intelligens 
autem  Pylatus  quod  Judaei  volebant  eum  occidere  quaesivit  cau- 
sam  suae  mortis.  At  illi  dixerunt  quod  propter  tria  erat  reus  mor- 
tis.  «Primo  quod  nos  invenimus  eum  subvertentem  legem  nostram 
et  dicentem  se  esse  filium  Dei,  propter  quod  secundum  legem  nos- 
tram débet  mori;   secundo  quod  tributum  prohibuit  dari  Gaesari  : 

1,2.  Matth.,  XXVI,  60;  XXVIII,  4. 
3.  .Matth..  XXVII,   6. 


PASSXO    SECUND1  M    LEGEM 

tertio  qupd  dixil  se  esse  regem,  et  omnis  qui  dicil  se  esse  regem 
contradicit  Gaesari '  ».  Deprimo*  uoncuravit  Pylatus  quod sciebat  13  r°. 
quod  mentiebantur.  De  secundo  sciebal  oppositum.  De  tertio 
interrogavit  eum,  dicens  ad  partem3  :  «  Es  tu  rex  Judaeorum?  »  — 
Dixit  Jésus  «  .4  temetipso dicis  '.  an  scis  ab  alio?  »  quasi  dicerel 
<(  si  hoc  dicis  de  te,  vindica  sententia  rebellionem  meam  :  si  au. 
tem  ab  aliis  habuisti,  fac  ordinariam  informationem  ».  —  Respon- 
dit  Pylatus:  «  Numquid[ego]  Judaeus swn? Gens  tuaet  pontifices 
fui  traddiderunt  te  mibi:  Quidfecisti?  ».  quasi  diceret  «  videtur 
quod  sis  in  aliquo  culpabilis  ».  —  Dixit  ei  Jésus  «  Regnum  meum 
ii< m  est  de  hoc  etc.  »  Tune  Pylatus fecit  quaestionem  unam  :  «Ergo 
rex  es  tu?  »,  sed  eam  maie  intellexit,  et  Christus  respondit  :  «  Tu 
dicis  quod  rex  suin  ego  :  ego  enim  natus  sum  in  hoc  mundo  ut  tes- 
timonium  perhibeam  veritati.  »  —  Respondit  Pylatus  :  «  Qaid  est 
veritas!  »  et  cumhoc  dixisset,  exivit  ad  Judaeos  et  dixit  eis  :  «Ego 
in  eo  nullam  eausani  mortis  invenio.Est  autem  corisuetudo  in  Pas- 
cha  vobis  dare  vinctum  ad  voluntatem  vestram  :  est  unus  homi- 
cida  in  carceribus  nostris  qui  dicitur  Barrabas  :  quem  dimittam 
vobis  de  duobus  istis,  Barraban  an  Jesuni  qui  vocatur  Christus  ?  » 
Glamaverunt  omnes  contra  eum  :  «  Non  hune,  sed  Barraban.  »  — 
Videns  autem  Pylatus  quod  non  poterat  eum  libêrare,  petiil  al» 
eis  :  «  Quid  igitur  faciam  de  Jesu  qui  dicitur  Christus,  eum  nullam 
causam  mortis  in  eo  invenio  ?  »  —  Tune  inceperunt  aggravare 
primam  accusationem,  dicentes  :  «  Convertit  populum  a  Galilaea 
usque  hue  ».  —  Ut  autem  audivit  Pylatus  quod  Galilaeus  esset, 
misit  eum  ad  Herodem,  qui  erat  lune  temporis  Hierusalem,  qui 
multum  cupiebal  illum  videre  quod  de  eo  multa  audierat,  sed  in 
praesentia  Herodis  nihil  respondit.  nec  aliquod  signum  fecit. 
Videns  autem  quod  nihil  faciebat,  née  loquebatur,  reputavit  eum 
fatuum,  et  fecit  eum  indui  veste  alba,  sicut  fatuum,  et  remisit  illum 
ad  Pylatum,  ei  die  illa  facti  sunt  amici.  Herodes  et  Pylatus  . 
Pylatus  autem  convocatis   principibus    sacerdotum,    dixit    ad 


i    Luc  .  Wlll.  a. 

■j.  <'.(■>  explications  viennent  >1<>  Postules  deN.  de  Lire.  Cf.  p  ■■■■;.  note  (4  de  ce  ii^  re. 

>.  (.  .Iuxnn..  Wlll.  }.->.  36,    >:■  38. 

.">.  Item.  Peut-être  faut-il  corriger  :  n  /unir. 

G.  Luc,  XXIII,  îa. 


i!'6  PASSIO   SECUNDUM    I.EGEM 

illos  :  «  Vos  obtulistis  mihi  hominem  hune  quasi  subvfertentem 
legem.  Interrogavi  eum,  sed  nullam  causam  mortis  invenio,  neque 
Herodes  ». —  Et  volens  eum  liberare  de  manibus  eorum  :  «  Einen- 
datuin  illum  dimittam  '  ».  Tradidit  militibus  qui  propter  hoc  reci- 
piebant  pecuniam,  et  exeuntes  eum  ligaverunt  ad  colonnam,  et 
funieulis  nodosis  usque  ad  sanguinis  effusionem  flagellaverunt, 
13  v°.  et  postea  veste  purpurea  eum  circumdederunt,  et  plectentes  coro- 
nam  spineam  imposuerunt  capiti  ejus,  et  in  manu  baculum  arun- 
dineum.  pro  sceptro  derisorie,  ante  eum  flexis  genibus  veniebant 
dicentes  :  «  Ave  rex  Judaeorum2  »,  et  dabant  ei  alapas,  expuentes 
in  eum.  Cum  autem  sic  verberassent  crudehter,  Pylatus  fecit  eum 
adducere  foras,  et  dixit  :  Ecce  homo  \  credo  quod  regem  vestrum 
non  se  praesumet  lacère,  sicut  volebat».  —  Quaerebat  autem  Pyla- 
tus  eum  liberare.  Tune  omnes  clamaverunt  cum  impetu  :  «  Toile, 
crucifige*». —  Dixit  eis  Pylatus  :  «  Regem  vestrum  crucijigam  ?  » 
O  natio  prava  et  perversa  es,  quae  non  habes  compassionem  de 
rege  tuo  !  Unde  dixit  Augustinus  quod  coram  [sententia]  Pylati  non 
poterat  evelli,  quia  Ghristus  essetrex  Judaeorum.  Tune  dixerunt  : 
«  Non  habemus  regem,  nisi  Caesarem*'.  Si  hune  dimittis,  non  es 
amicus  Caesaris  »,  id  est  :  si  tu  non  condemnes  eum  ad  mortem, 
mandal)imus  Caesari  ». —  Timens  autem  Pylatus  perdere  oflicium 
suum,  videns  quod  eum  liberare  non  poterat.  feeit  apportare 
aquam.  et  la  vit  manus  suas,  dicens  :  «  Innocens  ego  sum  a  san- 
guine hujus  jasti''  ».  —  Tune  dixerunt  :  «  Sanguis  super  nos  et 
super  l'.iios  nostros  s  ».  et  sedit  pro  tribunali,  et  dixit  :  «  Ego  Pyla- 
tus. praepositus  in  Hierusalem.  judieo  te  Jesum  Xazarenum  quod 
regem  te  fecisti,  iilium  Dei  te  nominasti,seditionem  in  populo  prae- 
dieasti,  ideo  juxta  décréta  et  principium  Romanorum  te  praeeipio 
cruci  affigi  et  elevari  ut  moriaris  ».  —  Et  data  sententia  a  Pylato, 
bajulans  sibi  crueem,  non  dicitur  bajulantes,  c[uod  erux  erat  XV 
peduni'1,  recepit,  et  vexatus  non  poterat  pedem  pedi  praeponere, 
quod  non  comederat,  nec  biberat.  sed  die  ac  nocte  innumerabilia 
tormenta  sustinuerat,  quod  videns  glo[rio]sa  Virgo  cum  lachrymis 


i,  a,  3.  Lie,  XXIII,  16. 

4,  5,  6.  Joanx.,  XIX,  5.  [5. 

;,8.  Matth.,  XXVII,  j4,  25. 

9.  Ce  chiffre  vient  du  dialogue  apocryphe  de  S.  Anselme  sur  la  Passion. 


PASSIO   SECUNDUM    LEGEM 

rt  gemitibus  venit  ad  eum  ut  ipsum  juvaret,  el  quidam  guartio 
contra  pectus  gloriosissimae  Virginis  Mariae  i la  fortiter  percussil 
(|iii)d  eam  ad  terrain  projecit,  et  subito  ille,  ut  dicunl  aliqui.  non 
amplius  visus  est  ab  illa  hora  :  quia  vero  non  cito  ibat,  fecerunl 
portare  crucem  usque  ad  lociun  Galvariae,  ti  multae  secutae  mu- 
lieres  eum  sequebantur  fientes,  quibus  Ghristus  dixit  :  n  Filiae 
Hierusàlem  nolite  flere  super  me.  sed  super  vos  ipsas  il  de  '.  quod 
(lies  veniet,  scilieet  tempore  Vespasiani  et  Tyti  in  destruetione  2 
Hierusàlem,  et  tune  dabunt  triginta  Judaeos  pro  uno  denario  ». 

Ouum  venerunt  ad  loeuin  Galvariae,  spoliaverunt  eum  nudurnet  14  r« 
extenderunt  eum  super  crucem  et  affixerunt  unani  manum  ex  una 
parte,  pro  majori  dolore  ejus  fregerunt  euspides  clavorum  el. 
quum  Christus  fuit  extensus  supra  crucem,  in  terra  crucifigitur. 
Virgo  Maria,  eum  audivit  ietus  martelli,  dixit  :  «  ()  misera,  nunc 
gladius  intrat  cor  meuin  de  quo  prophetavit  Symeon,  Luc  u  : 
«  Et  tuam  ipsius  animam  per  Irnnsibit  gladius  >  .  et  Jesum  sic 
denudatum  extenderunt  super  crueem,  et  clavum  in  profundo  pal- 
mae  unius  fixerunt.  et  aliud  brachium  tantum  fortiter  traxerunt  ut 
os  et  venae  rumperentur  et  omnia  apparerenl  ossa  juxta  illud 
Psalm.  (XXI,  18)  Dinurneraoerunt  omnia  ossa  etc.  Et  ita  eum 
clavo  perfora verunt.  Postea  cancellati  cruribus  utrumque  pedem 
sub  uno  clavo perforaverunt, et  crucem  levaverunt  interduos  latro- 
nes quasi  principis  latronum,  el  cérte  congrue  est  quod  pro  pecca- 
toribus  moritur.  \  i»lot<^  latitudinem  magnae  fiduciae  !  nisi  vellet 
nos  pecipere,  [non]  tantum  extendisset  brachia  sua:  et,  quum  crux 
fuitelevata,  tunebcata  Virgo  vidit  filium  suum,  el  venit  ad  pedes 
crucis  el  cecidit  in  terram,  dicens  :  «  O  dies  doloris,  <»  (lies  tristi- 
tiae  !  »  et  guttae  sanguinis  filii  sui  cadebant  super  caput  ejus.  et 
Ghristus  videns  matrem  suam,  plus  dolebat  de  ea  quam  de  pas- 
sione  sua.  Et  ut  mors  illius  melius  apparerel.  eum  eo  crucifîxerunt 
duos  latrones,  unum  ad  dexteram  et  alium  ad  sinistram.  Notan- 
diim  quod,  quum  quis  ita  confusibiliter  moriebatur,  erat  consue- 
ludo.  Judaeorum  ut  causam  mortis  suae  scriberent  ita  ut  omnibus 


i .  Lut  .  XXIII,  a8,  ag 

••.  Celte  ail<liiii)n  sur  l.i  destruction  de  Jérusalem  etc.  el    loùs  les   détails  <l>-  lu  cru- 
cifixion •  i  »  ■  i  suivent  viennent  du  Dialogue  apocryphe  de  SI  Anselme  que  nou 
cite,  p.  aSl . 


498  PASSIO    SECI7NDUM    LEGEM 

transeuntibus  legeretur  et  ideo  Pylatus  ad  se  excusandum,  et 
Christuni  deridendum,  ailixit  tabulam  de  oliva,  in  qua  scriptum 
erat:  Jésus  Nazarenus  rex  Judaeorum.  Ut  multi  diversarum  linqua- 
rum  possent  intelligere  scriptum,  erat  hebraice,  graece  et  latine,  et 
licet  Pylatus  posuerit  istam  tabulam  in  derisionem,  et  causae 
mortis  Christi  ostensionem,  tamen  monstrabat  quod  maie  judica- 
verat  euni  propter  haec  quattuor  quae  scripsit.  Prinium,  quod 
Jésus  idem  est  quod  Salvator.  Secundum  verbum  Nazarenus  idem 
est  quod  floridus.  Tertium  verbum  est  rex.  Aliquis  liberatur 
propter  nobilitatem,  sed  Christus  erat  nobilissimus  etc.  Quartum 
verbum  est  Judaeorum.  Nam  aliquis  [causa]  liberatur  affînitatis, 
14  v°.  sed  Christus  fuit  Judaeus  et  de  génère  regali  :  igitur  [liberandus 
esset].  Hune  titulum  multi  legerunt.  quod  prope  civitatem  erat 
locus  ubi  crucifixus  est  Christus.  Videntes  autem  Pontifices  dixe- 
runt  Pylato  :  «  Xoli  scribere,  rex  Judaeorum.  sed  quod  ipse  dixit 
«  Rex  sum  Judaeorum.  »  —  Respondit  Pylatus  «  Quod  scripsi 
scT'ipsi !  ».  Milites  crucifixerunt  eum  et  aeeeperunt  vestimenta  sua 
et  fecerunt  quattuor  partes,  unam  propter  militem.  et  tunica  erat 
inconsutilis  desuder  contexta  per  totum.  Et  dicunt  aliqui  quod 
beata  Yirgo  Maria  ei  fecerat,  dum  erat  puer  et.  cum  cresceret. 
crescebat  indumentum  ad  quantitatem  corporis.  Et  de  bac  veste 
dixerunt.  «  Non  scindamus  sed  etc..  ut  adimplerentur  Scripturae 
dicentes  :  «  Partiti  sunt  vestimenta  et  super  vestem  meam  mise- 
runt  sorteni  *».Et  nota  quodluserunt  ad  taxillos.  Alii  praetereun- 
tes,  blasphemabant  enm.  dicentes.  «  Yak!  qui  destruis  iemplum 
Dei  etc.  et  in  triduo  etc.  Si  tu  es  etc..  »J  sed  noluit  descendere  de 
cruce  quod  sciebat  hoc  esse  ex  instinctu  dyaboli,  quod  secundum 
Glossam4,  erat  super  brachia  crucis  ut  [arriperet]  si  esset  defectus 
in  eo  :...  Heu  !  quomodo  debemus  timere  in  morte  !  Dyabolus  fuit 
in  morte  Christi  qui  sine  peccato  erat.  Tertio  a  laicis  dicitur  : 
«  Alios  salvos  facit,  seipsum  autem  non  potest  salvare 5.  Quarto  a 
latrone  nequissimo  pendente  in  cruce  dicitur  :  «  Si  tu  es  Christus, 


1.  JOANN..    XIX.    22,    24. 

2.  PSALM.,  XXI,   Ml. 

3.  Mattii.,  XXVII,  4o. 

4.  Glossa  ordinaria,  lib.  Tobiae,  VI,  2(Patr.  Migne,  (.  CXIII.  i>.  728). 

5.  Mattii.,  XXVII,  43. 


PASSfO    SECONDUM    I.EGEM 

salvuiii  te,  lac  et  nos  ».  Hoc  autem  dicebal  de  sanitate  et  salute 
eorporis,  sed  non  aniinac.  Alius  latro  bonus,  et  cognoscens  cul- 
pam  suaiu.  increpabat  alium,  dicens  :  «  Neque  tu  finies  Deum 
quod  in  eadem  damnatione  es  :  Nos  quidem  juste  digna  factis 
pecîpimus;  istc  autem  nihil  maie  fecit»,et,conversus  adChristum, 
recepil  contritionem  integram  et  fidem.  O  quam  durum  cor,  qui 
non  haberet  contritionem!  Tune  dixit  latro  cum  magna  fide  cl 
contritione  :  «  Domine,  mémento  mei  dam  tenerisi  etc.  Et  cum 
lletu  magno  et  contritione  magna  dixit  :  «  Domine,  non  dico  depo- 
nas  me  nunc  in  paradiso  quod  non  sum  dignus,  sed  quum  ero  in 
purgatorio,  et  ibi  sim  usque  in  die  judicii,  tune  mémento  mei  ».  — 
Ad  quem  Christus  :  (i  Amen  dico  tibi,  Iiodie  meciim  eris  in  Para- 
diso -  ».  Nunc  videte  quomodo  ad  modicam  petitionem  dédit  ci 
paradisum.  Tune  Virgo  .Maria  ait:  «  O  iili  mi,  latroni  loquimini  15  i-. 
et  mihi  non,  quae  sum  mater  tua  !  O  fili,  die  aliquid  mihi.  et  non 
decognosces  ;  matrem  tuam  ;  moriar  ego  tecum  ».  ïunc  Christus 
voluit  eam  consolari  et  sibi  dixit  :  «  Millier,  cece  filins  tuus  '  ». 
et  postea  dixit  Johann i  :  «  Ecce  mater  tua  ».  id  est  «  Servies  ei, 
et  honora  eam  ».  Tune  audiens  Maria  :  «  Hélasse  (sic)  et  qualisest 
consolatio  illum  habere  filium  piscatoris  pro  filio  Creatoris  !  O  Iili 
mi,  modo  impleta  est  prophetia  Symeonis,  ut  supra.  Tune  Christus 
oravit  :  «  Pater,  dimitte  illis  quod  nesciunt  etc.  ».  Quod  videns 
Virgo  Maria,  oculis  elevatis,  vidit  filium  suum  sanguinolentum,  et 
pecipiebat  guttas  sanguinis  lilii  sui  supra  caput  suum.  «  O  Iili  mi, 
tu  oras  pro  persecutoribus  tuis,  quibus  tanta  bona  fecisti  in 
deserto.  Aqua  de  petra  [eos]  adaquasti  ei  nunc  sanguinem  tuum 
effundunl  super  Patrem  et  super  dolorosam  matrem  tuam  ». 
Tune  Christus  incepit  dicere  «  Helojy,  Helojy,  Lamazabatham* 
quod  interpretantur  etc.  vel  quasi  diceret  «  Derelictus  sum  a  dis- 
cipulis  et  parentibus  meis  ».  Deinde,  hora  quasi  nona,  clamavil 
voce  magna  dicens  :  «  Sitio  T  ».  O  Domine,  quid  sitis?  Certe  sitio* 


1,9.  Li  i   .  XXIII,    o,  \o,  \s,  p. 
;.  Ip  :  decognosets. 

\-  .ln\\\..  \l\.  96. 

5.  Lcc,  XXIII,  34. 

6.  M  vi  in..  \\\  li.  |6. 
7  .   JOANN.,    \  I  \  .    -jS. 

commentaire  de  titio  vieul  de  St  Bernard  (  Vitis  mysUca) 


500  PASSIO    SECUNDUM    LEGEM 

redemptionem  hominis  et  salutem.  De  siti  clamât  et  de  crace  tacet. 
Tune  acceperunt  acetum  ysopo  iniponentes  et  posuerunt  vinum 
cum  felle  mixtum  ut  ma  jus  fieret  venenum,  et  ut  creparet,  et  acetum 
per  totum  corpus  diffunderetur.  Cum  gustassetnoluit  bibere,  unde 
impletum  est  illud  Psalmi  lxviii  :  In  siti  mea potaverunt  me  aceto  ». 
Gonsuetudo  Judaeorum  erat  '  :  quum  quis  morte  crucis  puniretur, 
aliquae  bonae  dominae  faciebant  sibi  poculum  de  optimo  vino  ut 
minus  sentiret  dolorem.  Hanc  consuetudinem  serva  verunt  Christo, 
sed  milites,  ut  glutones,  illud  biberunt,  et  loco  illius  dederunt 
vinum  amarissimum.  Tune  ait  Cliristus  :  «  Consummatum  est2,  sci- 
licet  :  opus  redemptionis  Humanae  Naturae  etc.  »  —  Virgo  Maria  : 
«  O  fili  mi,  nunc  consummatae  sunt  tribulationes  meae  !  completi 
sunt  dolores  niei.  Nunc  vidua  suni  de  fdio  nieo.  Perdidi  consola- 
tionem  meam,  gaudium  nieum  et  Deuni  nieuni  ».  Et  tune  Cliristus 
claniavit  voce  magna  :  «  In  manus  tuas,  Domine*,  etc.  »  et  incli- 
nato  capite  versus  eam.  recipiens  congerium  a  niatre  sua,  quasi 
15  \*.  diceret  :  «  Mater  mea.  ad  Dominum  »  et  sic  emisit  spiritum.  Vide  si 
potest  plus  facere  pro  te  aut  majus.  Dilexit  te  usque  ad  morteni 
charissimam.  Or  (sic)  cognosce.  misera  creatura,  quantum  sibi 
obligaris,  et  âge  sibi  gratias  de  tanto  benelicio.  Et  ait  virgo  Maria  : 
«  O  misera,  o  dolorosa,  modo  suni  vidua  de  fdio  meo  !  O  modo  quid 
faciam?  volebam  portare  vélum  album,  modo  portabo  nigrum, 
quod  perdidi  consolationem  ».  Mirum  fuit  quod  virgo  Maria  non 
crepuit  prae  tristitia.  et  cecidit  ad  terrain  quasi  mortua.  O  cogi- 
tate,  bonae  gentes,  qualis  dolor  fuit  beatae  Virgini  Mariae  !  Xune 
in  ea  impletum  est  illud  Tlirenorum  :  «  O  vos  omnes  qui  transitis 
per  çiam  videte  si  est  dolor  slcut  dolor  meus''  »,  id  est.  super  ter- 
rain. Credo  quod  non,  sed  securae  sunt  statim  consolationes  ibi- 
dem, quod  sol  dimisit  vestes  albas  et  indutus  est  de  nigro  cum 
beata  Virgine  ;  quod  tenebrae  factae  sunt  super  uni  versa  m  terrain 
usque  ad  horam  nonam  per  très  boras.  Nunc  elementa  compatiun- 
tur   suo   Creatori   ad   designandum  quod   Sol   justitiae   moritur. 

i.  Cette  singulière  coutume  vient  des  Pastilles  de  N.  de  Lire  in  Matth.,  XXVII,  3{. 
Et  dederunt  (p.  (}55),  lequel  dit  avoir  recueilli  le  l'ait  «  in  quodamlibro  Hebraico  qui 
apud  eos  intitulatur  liber  Judicum  ordinariorum. 

1.   JOANN.,   XIX.   3û. 

3.  Luc,  XXIII,  46. 

4.  Hierem.,  Thren.,  I,  12. 


PASSIO    SECUNDUM    LEGEM  301 

Petrae  scissae  sunt.  Terra  mota,  et  multà  corpora  sanctorum  «jui 
dormierant,  surrexerunt,  et  venerunt  in  sanctam  civitatem,  et 
apparuerunt  multis,  et  vélum  templi  scissum  e>i  a  summo  asque 
deorsum,  et  Genturio  conversus  est  ad  Qdem  Ghristi.  dicens  : 
«  Vere  filins  Dei  eratiste*  »  et  Apostoli  revertentes  percutiebant 
corpora  sua.  et  isti  fructus  passionis  consolabantur  beatam  Virgi- 
nem,  quod  convertebatur  ad  fidem  sui  fîlii.  Erant  enim  quattuor 
mulieres,  scilicet  Maria  Magdalene,  Gleophe,  Maria  Jacobi  et 
Salome,  et  multae  mulieres  quae  vénérant  de  Galilae  cum  Christo 
ministrantes,  quae  consolabant  Virginem  Mariam,  quamvis  uber- 
rime  lièrent.  Jiulaei  autein.  ne  corpus  Christi  aut  aliorum  rema- 
nerent  super  crucem  in  sabbato,  quod  (lies  solennis  erat,  convene- 
runt  postprandium  et  fregerunt eorum  crura.  Cum  autein  venissent 
ad  Jesuin.  non  fregerunt  ejus  crura  ut  veriliearetur  illud  Exo. 
xxiu  «  Os  non  comminuetur  exeo  »,  sed  inde  venerunt  ad  Christum 
dicentes  :  «  Iste  traditorest  [non]  mortuus.  sed  fingil  se.  Percutiatis 
euin  ».  —  «  Gerte  dixerunt  iusi  :  «  Non  faciemus  ».  — Tune  quidam 
miles  dix  it  :  «  Ho  !  ho  !  expectetur  modicum  :  si  non  est  mortuus  iste 
proditor,  ego  bene  faciam  eum  mori.  Dueatis  mibi  ad  euin  »  dixil. 
<[uod  coecus  erat.  Et  duxerunt  eum  ad  crucem  et  lancea  aperuit  16  r' 
latus  ejus  ti  continuo  exivil  sanguis purus  et aqua  clarissima,  fons 
vivus.  l'ivulus  et  alius  aquae,  etmodica  gutta  sanguinis  quae  ceci- 
dit  super  oculos  Longini  ;  recuperavit  visum,  sive  reparavit,  quo 
\ iso,  conversus  est  ad  Qdem  Ghristi.  Quod  videns,  Virgo  Maria 
fuit  valde  consolata  de  dolore  quem  habuerat  de  filio  su<».  lune 
Joseph  Abarimath[ia],  nobilis  decurio,  qui  erat  notus  in  curia 
Pylati,  petiit  corpus  Jesu  Pylato,  dicens.  «  Domine  ego  feci  vobis 
tôt  servitia.  Peto  vobis  unam  gratiam  ul  detis  mihi  corpus  Jesu  ». 
et  Pylatus  dubitabat  si  jam  obiissel.  Qui  dixit  ei  :  «  Jam  Qiortuus 
est  ?  ».  —  Et  ait  illi  :  «  Ita.  Domine.  »  —  Pylatus  :  «  lie  ergo.  »  — 
Secutus*  exercitum  centurio,  scilicet,  capitaneus  ei  cum  eo  cen- 
tum  hominum  armorum,  venit  coram  Pylato  dicens  :  «  O  male- 
dieia  hora  et  dies  in  qua natus  sum .  O  !  quare  non  ^mii  mortuus?  » 
Dixil  ei  Pylatus  :  «  Quid  habes  tu?  » —  Ait  ille  :  «  O  Domine,  nonne 
vidistis  quomodo  sol  obscuratus  est  et  nunc  quod   audistis  terrae 


i    Mai  m  .  XXVII,  :.j. 

•2.  Ip.  Secandam.  .  centarionis.. .  capitanes 


502  PASSIO    SECUNDUM    I.KGEM 

înotum?  ».  —  Postea  dixit  Pylatus  :  «Et  ego  maledictus  executavi 
sententiam  mortis  contra  Salvatorem  meum  et  mundi  et  fdium 
Dei  !  O  maledicta  mater,  quae  portavit  me.  quod  feci  sententiam 
de  meo  Creatore  !  »  —  Et  sic  venerunt  Joseph  et  Nichodemus,  et 
deposuerunt  eum  de  cruce,  ponentesque  in  sepulchro,  et  Gantan- 
tes :  «  In  exitu  Israël  de  Egj'pto,  domus  Jacob  etc.  1.  Et  quum 
fuit  depositum  corpus  de  cruce.  Virgo  Maria  osculabatur  membra 
Ghristi,  dicens  :  «  O  manus  quae  creasti  mundum  etc.  !  quomodo 
maledicti  Judaei  te  perforaverunt  »,  et  sic  de  aliis  membris,  et 
quando  ad  latus  Domini  aspexit,  dixit  :  «  O  bonae  gentes,  dicit 
Virgo  Maria,  clamando  fortiter,  venite,  venite  ad  portam  paradisi ! 
Ecce  porta  per  quam  clausa  est  porta  inferni  et  aperta  est  porta 
paradisi.  venite  et  intrate  ».  Tune  posuerunt  eum  in  sepulchro 
novo  inciso  in  lapide,  involutum  in  syndone  alba  de  lino.  Est 
enim  syndon  pannus  lineus  albus  in  quo  fuit  sepultus.  Ideo  cor- 
poralia  debent  esse  alba  et  munda  de  lino.  Quo  sepulto,  Virgo 
Maria  volebat  secum  manere  usque  ad  resurrectionem  ;  sed  fina- 
liter  Maria  Magdalena  reduxit  eam  ad  civitatem  Hierusalem. 
Dicebant  autem  gentes  :  «  O  benedicta  quae  de  tanto  alto  Castro 
cecidisti  !  »  Dicebat  Maria  :  «  O  bonae  gentes,  vos  non  noscitis 
quia  perdidi  gaudium  meum!  »  Et  quum  ingressa  est  domum, 
incepit  flere  et  dicere  :  «O  fili  mi!  Ego  non  comedam,  neque 
bifoam  quousque  videam  vos!  »  —  Itaque,  quodnisi  fuisset  spes 
resurrectionis,  crepuisset  Virgo  Maria  millefies.  Ecce  sepelitio 
corporis  domini  nostri  Jesu  Ghristi,  et  compléta  est  prophetia  : 
Radix  Jesse  qui  stas  in  signum  populorum,  ipsum  gentes  depreca- 
buntur,  et  erit  sepulchrum  ejus  gloriosum,    Ysa.  XI  2  »  —  :  Jesse 

erat    pater   David,    et   Ghristus    erat    per    creationem ,3  ergo 

Ghristus  passus  est  pro  nobis  salvandis. 


1.  Psai...   CXlll. 

2.  Ysa.  XI,  io. 

3.  Sous  entendre  :  descendant  de  David. 


MORALITÉ 

MYSTÈRE   ET   FIGURE   DE    LA    PASSION 

DE  NOSTRE  SEIGNEUR  IESUS  CHRIST 

Nommée  Secundum  legem  débet  mort. 


Et  est  à  onze  personnages  :  Deuotion,  Nature  humaine,  Le  Roy 
souuerain.  La  Daine  débonnaire.  L'Innocent.  Noël.  Moyse,  sainl 
Jean-Baptiste,  Symeon,  Enuie,  Le  Gentil. 

A  Lyon  par  Benoist  Rigaud,  s.  d..  (vers  i54o)  in-8°  de  88  p.  chif- 
frées. Environ  2.200  vers. 

Bib.  Nat.,  Réserve,  f.  i4(4'3Ô2  A).  Idem.  Ms.  fr.  25,466. 


Dévotion  explique  le  sujet  dans  un  Prologue  : 

Je  suis  devant  '.  0  devost  populaire 

Qui  desirez  vosire  salvation, 

Vous  cognoissez  qu'il  esi  1res  nécessaire 

Souvent  avoir  en  recordation 

La  tressacree  et  digne  passion 

De  l'Innocent  avec  nature  uny. 

Duquel  orrez  la  déclaration 

Quod  secundum  legem  débet  un, ri. 

Nature  humaine  «  habillée  en  femme  comme  lépreuse  »  -'  (fol.  ;>.  \ .  v 
vient  se  plaindre  au  lloy  Souverain  qui  lui  déclare  qu'un  Innocent  doit 
périr  pour  la  sauver  (fol.  9  v°).       Cependant   cet   Innocent  s'eotretienl 
tendrement  avec   sa  mère,  Dame  Débonnaire,  el  pressent  sa  destinée  : 

Les grans  regretz  que  mon  doulenl  cœur  porte! 
Le  corps  s'en  va,  mais  le  cœur  vous  demeure, 

1    M^.  ■'."■.  i'Mi  :  Jésus  devant,  mauvaise  leçon,  mais  le  Ms.  permcl  souvenl  di  • 
!<•>  non-sens  <l<-  t'imprime  très  défectueux. 
Cf.  !■!  Passion  de  Greban,  v.  1 '!',.">  : 

Je  vn\  ii mil-  huma ine  Nal  u re 
j.i  infecte  par  mon  9eul  vice 


504  MORALITÉ  :    SECUNDDM    t.EGEM    HEBET    MORI 

Ou  autrement  je  voy  ma  joye  morte. 

Car  certain  est  que  brief  faut  que  je  meure  ; 

Ma  bouche  rit  et  mon  doulent  cœur  pleure 

Pour  les  douleurs  qui  me  sont  a  venir, 

Mon  cœur,  mon  bien,  m'amour.  mon  souvenir. 

LA  DAME. 

Mon  bel  amy,  vivez  en  espérance, 
Et  n'attendez  secours  aucunement  : 
Ne  mettez  point  espoir  en  oubliance, 
Laissez  soucy.  vivez  joyeusement. 
Mal  me  seroit  de  vostre  absentement. 
Pour  vostre  mal  trop  doutante  seroye  '. 
Mon  filz.  mon  tout,  mon  soûlas  et  ma  joye. 

L'INNOCENT. 

Trop  m'est  amer  vous  servir  en  amours  -. 

Mais  ce  qui  doit  advenir  adviendra,  (f.  10,  v.  230). 

Nature  humaine  vient  en  effet  conjurer  la  Dame  débonnaire  de  lui 
sacrifier  son  fils,  et,  sur  son  refus,  les  entraine  tous  deux  : 

A  l'auditoire  et  la  maison 

De  Xoé.  le  naturel  juge 

De  la  loy,  sans  plus  de  blason. 

Pause  (fol.  11  v°). 

Xoé  entend  les  deux  parties,  délibère  longuement,  et  finit  par  donner 
gain  de  cause  à  Nature  humaine  qui  emporte  son  «  dictum  »  ou  son  arrêt. 
Mais  la  Dame  de  protester: 

Que  mon  lils  meure,  j'en  appelle 
Devant  le  juge  de  la  loy 
Escripter  il  est  pardessus  toy. 
C'est  Moyse  législateur,  (fol.  26). 
«  lc>   faul  une  passée  de  sot  ce  temps  pendant  qu'il/,  vont  devant  Moyse.  » 

Moyse  reçoit' la  plainte  de  la  Dame,  a  laquelle  Nature  oppose  triom- 
phalement l'arrêt  de  Noé.  (fol.  30  ». 


i.  Imprimé  :  ''•"/'  doutent  je  seray. 

2.  Ip.  :  vostre  service  amoureux.- 


MORALITÉ   :    SECUNDUM    t.EGEM    DEBET    MORI  505 

«  Icy  Moise  lit  tout  hault  '  une  pièce  dVseriture  eseripte  en  parchemin  signée  et  scellée  qui 
est  la  sentence  donnée  en  ladicte  matière  par  Noé,  juge  de  la  loy  do  Nature,  de  laquelle  pièce  la 
teneur  s'ensuit  en  prose . 

Après  en  avoir  délibéré,  Moise  rappelle  les  prescriptions  qu'il  a  jadis 
données  dans  YExode  (XII.  6,  22)  :  l'aigneau  pur  qui  devait  être  immolé 
chaque  année  à  la  Paque  était  la  figure  de  cet  Innocent,  «  de  cest  aigneau 

Immaculé,  des  autres  le  plus  beau. 

Il  rejette  l'appel,  remet  copie  de  son  arrêt  à  la  Dame,  et  l'engage  à  ne 
plus  solliciter  d'autres  juges,  mais  celle-ci  s»4  rend  tout  droit  au  tribunal 
de  la  loy  de  grâce. 

Passée  de  sot  (foi.  40). 
Nouveaux  débats  devant  les  présidents  de  la  loy  de  grâce,  Symeon  et 
Saint  Jehan-Baptiste.  L'arrêt  lu  par  le  président  Saint  Jehan  est  con- 
forme aux  précédents  ;  donc,  plus  de  recours  qu'auprès  du  Roy  Souve- 
rain à  qui  la  Dame  va  demander  «  justice  et  grâce  ».  Nature  humaine  se 
promet  de  la  devancer. 

Passée  de  sot  (fol.  61). 
Nature  humaine  invoque  la  première  le  Roi  qui  lui  promet  qu'elle  va 
être  délivrée  de  ses  maux  (toi.  64  v°).  La  Dame  et  l'Innocent  le  supplient 
à  leur  tour  à  genoux,  mais  le  Roi  déclare  à  son  fils  qu'il  est  obligé  d'ac- 
complir les  prophéties  et  de  consentir  à  sa  mort.  Dame  débonnaire  ne 
proteste  plus,  elle  lui  dit  adieu  : 

Ha  !  mon  entant,  voici  la  départie, 

et  elle  accepte  l'arrêt  «  en  louant  la  bonté  divine  j>   (fol.  71  r°).   Aussitôt 
Nature  humaine  appelle  ses  suppôts  : 

Venez,  venez,  Envie  judaïcque, 

Et  d'autre  part,  Gentil  trucidateur, 

En  besongne  chascun  de  vous  s'applique, 

Venez  occire  l'Innocent  viatique. 

Il  est  jugé  pour  estre  rédempteur 

Du  genre  humain,  et  le  rendre  tout  franc; 

Tuez  l'aigneau  pour  en  avoir  le  sang, 

Sourdez  sur  cil  qui  veut  nuyre  aux  inaistres. 

Et  les  reprent,  tant  soyent  eaux  et  subtilz. 

Il  ne  mourra  que  par  envie  des  prostrés 

Et  des  tirana  du  peuple  des  gentilz  (fol.  T. 


I.  Ip.  :  en  haut. 

32 


506  MORALITÉ  :    SECUNDUM    LEGEM    DEBET   MORl 

Envie  et  Gentil  sont  divisés  et  commencent  par  faire  assaut  d'injures, 
mais  ils  se  mettent  d'accord  pour  ce  supplice.  Tous  deux  dépouillent 
l'Innocent,  l'attachent  à  un  pilier,  et  le  flagellent  à  l'envi,  sans  que 
Nature  humaine  soit  encore  satisfaite  (fol.  75).  —  Alors  Gentil  «  crucifie 
l'Innocent  en  un  arbre  »,  dresse  la  croix  avec  Envie,  et  tous  deux  vont  à 
la  taverne  jouer  les  dépouilles  aux  dés.  Quand  l'Innocent  a  expiré,  Gentil 
revient  pour  le  frapper  de  la  lance  (fol.  81).  Cette  fois,  Nature  humaine 
va  pouvoir  étancher  sa  soif  (fol.  82),  et  «  laver  sa  face  et  ses  yeux  ». 

Je  meurs  de  soif  auprès  de  la  fontaine  '. 
«  Ici   faut  une  passée  de  sot  tandis   qu'elle  jecte   son  manteau  noir  »  et  se   réjouit  de  sa 
guérison  (fol.  S3). 

Cependant  Dévotion  détache  le  corps  de  l'Innocent  et  le  dépose  dans 
le  giron  de  la  «  Dame  de  pitié  »  qui  commence  une  longue  complainte 
(toi.  84).  —  Nature  humaine  vient  la  remercier  de  sa  bonté,  et  Dévotion 
conclut  la  pièce  en  félicitant  Nature  humaine  de  son  salut,  en  expliquant 
les  allégories  et  «  figures  »,  et  en  exhortant  le  peuple  devocieux  à 
penser  toujours  : 

Au  mystère  de  la  vraye  passion  (fol.  88). 


i.  Le  refrain  mis  au  concours  par  Charles  d'Orléans  se  rencontre  souvent  ailleurs, 
suivant  une  note  que  je  dois  encore  à  l'obligeante  érudition  de  M.  Em.  Picot.  —  Cf. 
Montaiglon,  Recueil,  t.  V,  p.  262;  L'Esperit  trouble,  fol.  Bviu  [Incipit  :  Du  tout  me 
mectz  en  vostre  obéissance]  ;  B.  de  la  S.  des  anciens  textes  français,  1875,  p.  32,  etc. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Paires 
Avant-Propos i 


LES  PLUS  ANCIENS  MYSTÈRES  DE  LA  PASSION 
ET  LES  POÈMES  DES  JONGLEURS. 


La  Passion  d'Autun.  —  La  Passion  Sainte -Geneviève. 

Les  origines  et  la  formation  tardive  du  mystère  de  la  Passion.  — 
Les  plaintes  de  la  Vierge.  —  Les  plus  anciens  drames  de  la 
Passion.  —  Les  drames  cycliques  :  le  Paachspel  de  Maestricht 
et  ses  origines  françaises.  —  Le  rôle  des  puys  et  des  Confré- 
ries :  la  Confrérie  des  douze  apôtres  d'Amiens,  la  Confrérie  de 
la  Passion  de  Nantes  (1371)  et  la  Confrérie  de  la  Passion  pari- 
sienne. —  Les  pommes  de  jongleurs  et  les  mystères  de  la 
Bibliothèque  Sainte-* ieneviève.  —  Le  Roman  de  l'Annonciation 
Notre-Dame  et  la  Nativité  Sainte-Geneviève.  —  La  légende 
dAnastasie.  —  La  légende  des  charbons  ardents  transformés 
en  roses.  —  Le  Jeu  des  Trois  Rois.  —  La  légende  du  Semeur 
et  la  Vie  de  Jésus-Christ  composée  pour  le  duc  de  Berry  en 
1380.  —  La  Passion  des  Jongleurs  et  la  version  de  lîeoffroi  de 
Paris.  —  La  légende  de  Judas  et  du  poisson.  —  La  légende  «lu 
bois  et  des  clous  de  la  croix;  la  femme  du  forgeron.  —  La  lé- 
gende de  Judas  et  du  chapon.  —  Les  légendes  de  Véronique  et 
de  Sidonie.  —  La  Passion  dAutun.  —  Le  mystère  de  la  P 
sion  Sainte-Geneviève.  -  Le  récit  des  peines  d'enfei  par  le 
Lazare,  la  légende  de  Malchus,  le  débat  de  Sainte-Eglise  el  de 
Synagogue.  —  La  Passion  de  la  Bibliothèque  de  Charles  V  et 
la  Passion  Sainte-I  îeneviève 


508  TABLE    DES   MATIÈRES 

Pages 
La  Passion  bourguignonne  de  Semur. 

La  Passion  de  Semur,  imitation  de  la  Passion  Sainte-Geneviève. — 
Origine  de  la  pièce,  copiée  très  vraisemblablement  à  Semur-en- 
Auxois  mais  composée  et  jouée  sur  les  bords  de  l'Yonne.  — 
Analyse  de  la  pièce.  —  La  division  actuelle  en  deux  Journées. 
—  Les  sources  de  la  1"  et  de  la  2e  Journée.  —  Les  souvenirs 
de  la  Passion  de  Geoffroi  de  Paris,  la  légende  de  Judas  et  du 
chapon.  —  Le  fèvre  Nicodemus  et  sa  femme.  —  Les  imitations 
de  la  Passion  Sainte-Geneviève  :  Madeleine  et  Véronique.  — 
L'influence  du  dialogue  apocryphe  de  Saint  Anselme  et  des 
Meditationes  Vitae  Christi.  —  Discussion.  —  La  scène  de  la 
crucifixion  et  le  rôle  de  la  Vierge  dans  la  Passion  de  Semur  et 
les  drames  postérieurs.  —  Le  développement  de  la  mise  en 
scène  et  des  rôles  grotesques.  —  Les  allusions  aux  chants  de 
geste  et  le  Rusticus.  —  La  langue,  la  versification  et  le  manus- 
crit.—  La  Passion  de  Semur  reportée  après  la  Passion  Sainte- 
Geneviève;  la  transition  aux  grandes  compositions  dramatiques 
du  xv"  siècle 71* 

Passion  de  Semur  (texte). 

Liste  des  personnages 121* 

Première  Journée 3 

Seconde  Journée 90 

Glossaire 191 


II 


LA  THÉOLOGIE  ET  LE  DÉVELOPPEMENT  DU  MYSTÈRE  DE  LA  PASSION 

AU  XVe  SIÈCLE. 


Les  sources  théologiques. 

Les  Postilles  de  Nicolas  de  Lire 206 

Les  Meditationes  Vitae  Christi 243 

Les  imitations  françaises  des  Meditationes  ;  la  Passion  composée 
en  1398  pour  Isabeau  de  Bavière,  la  Passion  selon  la  sentence 
du  philosophe  Aristote  et  la  grande  scène  d'Arnoul  Greban. . . .     249 


TABLE    DES   MATIÈRES  ÛU9 

l'ages 
La  succession  et  le  développement  des  mystères  de  la  Passion. 

La  Passion  d'Arras  imitée  par  Greban  ;  la  scène  des  pigeons.  — 
La  Passion  de  Greban. —  La  Passion  de  Jean  Michpl  ;  la  légende 
inédite  du  Lazare.  —  Les  deux  Passions  inédites  de  Valen- 
ciennes.  —  Influence  persistante  de  la  Passion  d'Arras  attri- 
buée à  Mercadé.  —  La  Passion  d'Amboise  et  de  Châteaudun..     265 


III 


LES  MYSTÈRES  DU  CENTRE  ET  DU  MIDI. 

Les  imitations  de  l'Evangile  de  Nicodème  en  vers  provençaux. 

La  Passion  selon  Gamaliel  et  la  Vie  de  Jésus-Christ  imprimée  en 

1485  ;  ses  sources  et  ses  réimpressions  jusqu'au  xixe  siècle. . .     319 
Extraits 346 

La  Passion  d'Auvergne  357 

Les  Mystères  rouergats  et  leurs  sources  principales. 

La  Passion  Didot  et  la  Passion  selon  Gamaliel 381 

Les  sources  diverses  des  Mystères  rouergats. 

Le  Procès  de  Déliai  et  la  traduction  française  du  Fr.  Ferget  1 1481). 
—  Les  imitations  :  le  Jugement  général  rouergat  et  le  Juge- 
ment de  Dieu  inédit  de  Modane.  —  L'Ascension  rouergate. . . .     411 

Le  Jugement  de  Jésus  et  le  Puits  de  Moïse  de  Dijon. 

Les  sermonnaires  du  xv'  siècle  :  le  sermon  de  saint  Vincent  Ferrer 
sur  lu  Passion  et  son  influence.  —  La  Passion  française  du 
cordelicr  J.  de  Lenda  et  le  mystère  italien  da  la  Passion  de 
Revello  composé  par  le  frère  Simon,  14!)0.  —  Le  sermon  fran- 
çais :    Secundum   legem   débet   mori  el   !<■    Bermon   joyeux   de 


510  TABLE   DES    MATIÈRES 

Pages 
Nemo  recueilli  par  Pierre  Bercheur.  —  Les  diverses  éditions 
du  sermon  français  Secundum  legem  débet  mori  et  les  imita- 
tions au  théâtre  :  La  Licentia  Christi  a  Matre  d 'A versa.  — 
Le  Jugement  de  Jésus  rouergat  et  la  Moralité  nommée  Seeun- 
dum  legem  débet  mori  de  Jehan  dAbundance.  —  La  date  ex- 
trême des  mystères  rouergats 433 

Conclusion 455 

Textes 459 

La  Passion  de  J.  de  Lenda 461 

La  Passion  de  Revello  (1490) 464 

La  Licentia  Christi  a  Matre 464 

Passio  secundum  legem  débet  mori  (Ioannis  decimo  nono) 469 

Moralité,  mystère  et  figure   de  la   Passion    de    Nostre   Seigneur 

Iesus  Christ  nommée  Secundum  legem  débet  mori 503 

Table  des  Matières 507 

Additions  et  Corrections 511 


CORRECTIONS  ET  ADDITIONS 


Page  85,  1.  13.  —  La  conjecture  sur  le  nom  de  Xicodcntu.s,  pris  dans  une  acception 
comique,  nous  parait  d'autant  plus  probable  qu'un  autre  personnage  de  la  Passion, 
Longin  ou  Longis  a  de  même  donné  le  mot  populaire  longis,  lambin.  —  «  Yostre 
grand  longis  »  dit  la  Farce  du  Badin  qui  se  loue,  citée  par  Godefroy,  V  longis. 

PASSION    DE    SEMUR 

108,  au  lieu  de  qu'il,  lire  quil. 
287,  au  lieu  de  cest,  lire  c'est. 
397,  supprimer  la  ,  après  aboly. 
532,  transporter  le  .  après  née. 

714,  au  lieu  de  de  bien  et  de  mal.  leçon  du  ms.,  corriger  de  bien,  de  mal. 
1025,  au  lieu  de  noir,  corriger  noie  ?'.' 
■107 i .  ajouter  une  ,  après  Jremist. 
1521,  au  lieu  de  seur,  lire  feur. 

1525,  au  lieu  de  sinterelles,  lire  sincerelles,  cincer elles. 

1518,  1750,  1941,  au  lieu  de  eut,  rétablir  les  graphies  du  ms.,  hut,  /h/s/,  etc. 
1961,  au  lieu  de  quesse,  lire  qu'esse. 
2459,  au  lieu  de  ils,  lire  il. 
3044,  au  lieu  de  en  cheminé,  lire  encheminé . 
3695,  au  lieu  de  Car  ainsin,  lire  Qu'ainsin. 
3726,  au  lieu  de  manteris,  lire  mauteris. 

3805,  note,  ajouter  :  cette  graphie  monchier  à  corriger  en  mont  chier  prouve 
que  l'auteur,  comme  le  copiste  J.  Floichot,  employait  souvent  mont 
au  lieu  de  moût. 
4237,  au  lieu  de  seul  (J.  du  ms.),  lire  seus,  rime  joreulx. 
4354,  au  lieu  de  enchâssent,  lire  en  chassent. 
4486,  au  lieu  de  an  yre,  lire  anyre. 

4665,  au  lieu  de  nous  ordons  (1.  du  ms.),  lire  nous  sordons. 
notes:   au  lieu  de   4694-4696.  ces  trois  vers  ont  la  même  rime.  —  Lire  4674- 
4676,  et  ajouter:  même  remarque  pour  les  tercets  suivants  jusqu'au 
vers  4770. 
4845,  au  lieu  de  Dire,  lire  D'ire. 
4853,  au  lieu  de  lordure,  lire  laidure. 
4882  et  8178,  au  lieu  de  cintonal,  lire  cintoual. 
5099,  au  lieu  de  aler  en  guerre  (1.  du  ms.),  lire  aler  enquerre. 
5929,  au  lieu  de  e,  strene,  lire  estrene. 
P.  130,  v.  6426,  au  lieu  de  veul  ge  (1.  du  ms.),  lire  vull  ge,  rime  gui  ge.  Cf.  v.  5385. 
P.  133,  v.  G536,  au  lieu  de  toit,  rétablir  totz. 
P.  143,  v.  7081-82,    note    7081,    remettre   ces  deux    hémistiches   sur    la  même    ligue: 

amende  rime  avec  pendre. 
P.   149,   note  7438,  au  lieu  «le  l'sal..  lire  l'sal..  XXI,   18. 
P.   162,  v.  812V,  au  lieu  de  aiguë:,  lire  argue:. 

P.   164,  v.  S241  et  p.   191,  192,  au  lieu  de  Jullat,  Inlath,  lire  Eoilath. 
P.  163,  v.  8710  et  Glossaire,  mot   sanbeaulx  :  au  lieu  de   la   leçon   du  m-       Qu'a   tels 
pourpres  et   tels  sanbraulx.  corriger  plus    franchement   :   Qu'a    tels 
troupes  et   tcl>  eembeaulx. 
P.   173,  v.  8755,  au  lieu  de  empler,  corriger  cmblcr. 
P.  175,  v.  8837,  au  lieu  de  rcullez,  lire  cculles. 


P. 

4, 

v 

p. 

8, 

V. 

p. 

10, 

v. 

p. 

12, 

V, 

p 

15, 

V 

p. 

21, 

v 

p. 

22, 

V. 

p. 

30, 

V, 

p. 

30, 

V 

p. 

30, 

V. 

p. 

39, 

V 

p. 

49, 

V 

p. 

61, 

V 

p. 

65, 

V 

p. 

66, 

V 

p. 

76. 

V 

p. 

84. 

V 

p. 

89, 

V 

p. 

92, 

V 

p. 

95, 

V 

p. 

96, 

V, 

p. 

99, 

V 

p. 

99, 

V 

p. 

99, 

V 

p. 

103, 

V 

1'. 

120, 

V 

512  CORRECTIONS   ET    ADDITIONS 

Notes.  —    Supprimer  :  les  notes  des  vers  1786,  1838,  3690,  7946  (On  attendrait,  etc.), 

7326,  8837.  9320. 
Ajouter:  Ces  3,  4  vers  riment  ensemble  après  les  vers  316,  351,  415,  452,  499,  1340,  1839, 

1979,  3568,  3856  et  64,  3568,  4131,  4533,  5407,  5607,  6509,   7209   7225,  7649, 

7689,  8472. 
Ajouter:  Ce  vers  n'a  pas  de  rime  après  les  vers  196,  329,  353,  2043. 

Glossaire.  —  Après  le  mot  reaulx,  p.  201,  supprimer  :  se  rappeler:  p.  203,  vercy,  1,  2, 
lire  bois  au  lieu  de  boir. 

P.  250,  1.  8,  au  lieu  de  Bibliothèque  de  Darmstadt,  n»  18,  lire  Bibliothèque  Grand-Ducale 

de  Darmstadt,  ancien  n°  18,  actuellement  numéro  1699,  cf.  ch.  I  de 

ce  livre. 
P.  251,  1.  2  et  3,  au  lieu  de  Tischendorff,  p.  5o,  lire  p.  iSi. 

P.  214,  note  15  et  p.  278, 1.  16,  17.  Cette  Pastille  de  Nicolas  de  Lire  devait  être  particu- 
lièrement célèbre,  car  elle  est  également  citée  dans  la  Xativité  de 

Rouen  (1474). 
P.  293,  1.  24.  —  La  Vie  de  Marie-Madeleine  lonbtemps   attribuée  à  Rabanus   Maurus 

n'est  pas  de  lui  (Cf.  Hist.  littéraire  de  la  France,  t.  32,  p.  96,  note  1). 
P.  338,  1.  10,  au  lieu  de  le  vieux  poème  Jrançais  mis  en  prose,  lire  le  vieux  poème  en 

prose.  —  Cf.  p.  324-325. 
P.  339,  1.  6,  au  lieu  de  dans  le  poème  français  et  dans  les  manuscrits,   lire  dans  les 

manuscrits   du   poème    'rançais    en  prose  (ou    de    la  Passion  selon 

Gamaliel). 
P.  342,  ligne  1  et  343,  ligne  4,  item,  au  lieu  de  l'expression  équivoque  version  en  prose 

du  poème  français,  lire  comme  précédemment  le  roman  ou  le  poème 

en  prose  français. 


I.MP.    BAHIHKRMARILIER,   DIJON 


TABLE    DES   MATIÈRES 

DU  TOME  QUATORZIÈME 


PREMIER  FASCICULE 

D'   Zipfel.    —    Leçon    inaugurale    du   Cours    d'anatomie 
(15  novembre  1903) 


5 


F.  Sagot.  —  Impressions  archéologiques  et  pittoresques 
d'Outre-Manche  (Angleterre,  Ecosse  et  Pays  de 
Galles) -1 

IL  Hauser.  —  Notes  sur  l'organisation  du  travail  à  Dijon 
et  en  Bourgogne  au  xvie  et  dans  la  première  moitié  du 
xvne  siècle 190 

M.  Pigeon.  —  Etude  du  sinistre  survenu  aux  Docks  de 
Bourgogne  le  30  juin  1901 133 

P.  Martin.  —  Bapport  sur  l'enseignement  de  la  géométrie 

par  la  méthode  de  M.  Méray L)0 

Publications  des  professeurs  de  l'Université  de  Dijon 
pendant  l'année  1902-1903 203 


Bibliographie 

A.  Ki.einci.aus/.    -  Les  origines  de  l'ancienne  France    \ 
d  xi"  sieurs).       La  Renaissance  de  l'Etat  ;  La  Royauté 
el  la  Principauté,  par  M.  J.  Flasch 209 

E.    Chameaux.  L'archéologie    sur    le    terrain,    par 

A/.  Paul  Jobard 2ir) 


DEUXIEME  FASCICULE 

M.  Stouff.  —  Un  recueil  de  jurisprudence  et  de  coutu- 
mes bourguignonnes  du  xivc  siècle 1 

G.  Martin.  —  Essai  sur  la  vente  des  vins  (plus  particuliè- 
rement des  vins  de  Bourgogne) 27 

H.  Duport.  —  Les   nouveaux  éléments   de  géométrie  de 

M.  Méray.  Leur  pénétration  dans  l'enseignement,     i-xxvm 


FASCICULE  TROIS  ET  QUATRE 

Emile  Roy.  —  Les  Mystères  de  la  Passion  en  France  du 
xive  au  xvie  siècle  ;  étude  sur  les  sources  et  le  clas- 
ment  des  Mystères  de  la  Passion,  accompagnée  de 
textes  inédits  :  La  Passion  d'Autun  ;  la  Passion  bour- 
guignonne de  Semur  ;  la  Passion  d'Auvergne  ;  la 
Passion  Secundum  legem  débet  mori.  (Deuxième 
partie)  '. 


1.   Cette  première  partie  fait  suite  à  la  deuxième  partie  publiée,  avec  pagination 
spéciale,  dans  le  tome  XIII  de  la  Revue  et  termine  l'ouvrage  de  M.  Roy. 


"VJniver8lttT 
BIBLIOTHECA 


© 


714 


La  Bibliothèque 

Université  d'Ottawa 

Echéance 


The  Library 

University  of  Ottawa 

Date  due 


30  MM 

no  M  Al  $90 


CF 


a  3  90  0  3     o'0  2  3  27 'fj'T'b 


CE     PQ        0513 
.R7     1904    V2 
COO        ROY»     EMILE. 
ACC#     1384608 


LE    MYSTERE 


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