3 9007 0263 7367 0
Date Due
SÔ~31»
«&+
41969
AU
^989 Sùm
se DIS A JG 8 I98i
^ORTfi 2009 se
ewE
NLR 174
CHANSONS ET DANSES
DES BRETONS
TIRAGE: 500 exemplaires
N. QUELLIEN
CHANSONS ET DANSES
DES BRETONS
LAFFITTE REPRINTS
MARSEILLE
1981
Cette réimpression a été réalisée grâce à l'aimable concours
de la Bibliothèque Municipale de Rennes
Réimpression de l'édition de Paris, 1889
N. QUELLIEN
CHANSONS ET DANSES
DES BRETONS
PARIS
J. MAISONNEUVE ET CH. LECLERC, ÉDlTEUnS
25, QUAI VOLTAIRE, 25
1889
MI
3621
Q83
SCOTT
A M. MAURICE BOUCHOR
Mon cher Ami,
Peut-èire la reconnaissance m'imposerait-elle d'inscrire en
tête de ce livre un autre nom ; mes meilleurs et déjà anciens
souvenirs m'ont dicté le vôtre. Je dois à M. Gaston Paris, le
maître à tous dans \q. folk-lore , à M. Xavier Charmes, aux
membres de la Commission des Missions, d'avoir poursuivi
certaines études sur la Bretagne ; sans parler de M. Renan,
MM. Alexandre Bertrand, Girard de Rialle, le docteur Hamy,
d'Arbois de Jubainville, Gaidoz, m'ont longuement soutenu de
leurs conseils et de leurs encourager^.f-«s. Et leur nom eût
donné sans doute à ce volume une étiquette plus savante. Mais
n'aurais-je pas eu Tair aussi de flatter les puissances ? Yous
savez comme nous autres Bretons . ms sommes encore rebelles
à ce penchant des races très civilisées. Il est possible que je
manque un peu de gratitude, sans le savoir : alors, qu'on me
pardonne, deux fois, si c'est une faute également d'avoir fait
ce sacrifice à l'amitié.
Un soir de cet hiver, après une représentation de la Tempête.,
nous nous sommes raconté nos premières auditions intimes
de mélodies populaires. Paul Bourget nous présenta l'un à
l'autre, vers la fin de 1876, dans Un café du boulevard. J'étais
à considérer im moulin fictif qui tourne entre des rochers et
dont les fariniers passent sans cesse sur un pont suspendu
au-dessus d'un abîme ; vous écoutiez une berceuse bretonne
que chantait une voix de femme, dans l'arrière-fond ; de Brayer
voulut la noter, et je lui dictai le charmant $onn Irécorrois.
PREFACE
Que de fois, depuis ce soir-là, avons-nous entendu ou entonné
des chansons provinciales ! Et chacun était tenu de dire la
sienne à nos réunions ou dans nos rencontres, comme aux
veillées de Basse-Bretagne. Vous rappelez-vous celle de
Bourget ? — « Tiens, voilà ma pipe, avec mon briquet... » —
Le doux Amédée Pigeon avait la malice de l'attribuer à
Voltaire. A part Elémir Bourges ou Signoret, qui gardaient
le silence du cygne, quiconque ne savait pas, improvisait,
tout comme un barde. Ponchon excellait à déclamer, sur une
mélopée à lui, des poésies de Villon, ou de Ronsard, Les noëls
de Richepin avaient le plus franc succès : quelques-uns me
semblent, du reste, des chefs-d'œuvre, et ils rivalisent certai-
nement avec les traductions de chansons bretonnes de François
Goppée. Et pour clore chacune de nos petites auditions, à
vous, « le Scalde », toujours une ronde, dont chaque couplet
était repris à Vunis^on : car la moindre harmonisation était
interdite ; Ernest Chausson ni Vidal n'eussent pas même
permis qu'on ouvrît le piano.
Vous vous souvenez encore de la Marseillaise que nous' a
rapportée le docteur Paulin de son pays d'Auvergne? L'hymne
patriotique avait subi plus d'une transformation; ces modifi-
cations ont toujours trait à des expressions et à des mots dont
les gens du peuple ne se rendent pas un compte exact : il est
curieux précisément que les nouveaux vocables introduits
attestent des habitudes ou des passions locales. Dans la suite,
nous avons entendu d'autres versions, recueillies en des pro-
vinces diverses : nous avons constaté que les transformations
s'accomplissaient, chaque fois, dans un sens analogue. Quelle
autre Marseillaise on tirerait de là! Elle serait d'aulantplus
méconnaissable, que l'air a subi des détériorations à l'avenant.
Et ce ne serait plus du tout le chant national, puisque celui-là
ne serait plus commun à toutes les provinces. Mais chacune
de ces variantes constituerait-elle une chanson populaire?
La question a été l'objet de quelques controverses. Au résumé,
nous nous sommes contentés de pratiquer une expérience,
PRÉFACE m
laissant à d'autres le soin de conclure : notre folk-lore d'intimité
n'était pas si doctrinaire.
Nous n'avons été intraitables que sur un seul point : nous
n'avons plus reconnu comme populaire une mélodie qu'on
aurait soutenue d'un accompagnement. Les chansons du
peuple étant un bien commun, c'est le droit d'un musicien d'en
prendre sa part. Il en va de même en poésie. M. Leconte de
Liste a rencontré dans les origines bretonnes le sujet de son
« Jugement de Komor » ; ce Jugement, d'une si tragique
beauté, est devenu autre chose que la légende : mais nous
nous félicitons que le grand poète ait tiré de l'antique récit
cette œuvre littéraire. Notre ami Gabriel Vicaire vient de
donner un exemple non moins éclatant dans « le Miracle de
saint Nicolas ». Il est permis au musicien de traiter de la sorte
les mélodies primitives ; mais celles-ci renonceront, du même
coup, à toutes leurs revendications parliculières : une fois
touchées par une harmonisation et partant remaniées, elles
sont alteintcs dans leur essence, elles cessent d'être imper-
sonnelles et elles perdent leur caractère populaire.
J'ose donc livrer au public ces chansons de Bretagne et ces
airs de danse, tels que je les tiens des bardes et des sonneurs.
De peur que je n'aie pas l'art de les présenter, je laisserai
ces naïves mélodies dans leur pureté d'hermine, sous leur
exotisme, et je les garderai de toute parure d'emprunt.
Quelques-unes joyeuses comme les cloches de Y angélus^
presque toutes mélancoliques comme les fées nocturnes de
nos plages, tremblantes et fugitives comme les mouettes qui
battent des deux ailes eri prenant leur vol vers le large, telles
vous les avez lé premier accueillies et aimées : j'ai voulu
encore une fois vous redire, mon cher Bouchor, combien vous
en est reconnaissant
Votre
N. QUELLIEN.
Paris, janvier 1889.
I
NOTES DE VOYAGE
CHANSONS ET DANSES
DES BRETONS
NOTES DE VOYAGE
J'ai eu l'honneur d'être chargé par le ministère de l'Ins-
truction Publique, en 4880, pour la première fois, de
recueillir en Bretagne les mélodies en même temps que les
paroles des chansons populaires.
Deux recueils célèbres avaient déjà paru de ces poésies
bretonnes : le « Barzaz-Breiz ' », si contesté, et les « Gwer-
zioii Breiz-Izel^ ». M. de La Yillemarqué, qui n'est pas musi-
cien, s'est procuré un habile auxiliaire, et à la fin de sa publi-
cation il a fait noter soixante-dix et quelques mélodies. C'est
très regrettable que M. Luzel ait renoncé à cet avantage pour
sa collection '. Vulgairement on dit que l'air fait la chanson;
il serait plus exact de déclarer que l'air est la moitié de la
chanson et qu'il l'achève, puisqu'il n'y a pas, à proprement par-
1. La dernière édition du Barzas-Breiz a paru chez l'éditeur Didier (Paris),
en 1867 ; elle passe pour la septième. Dans leur Bibliographie de la Bretagne^
MM. Gaidoz et Paul Sébillot n'en reconnaissent que trois. La première est
de 1839.
2. Gwh'zîoii Bveiz-Izel, recueillis et traduits par F. -M. Luzel; Corfmat
éditeur, Lorient ; 1868.
3. A la suite des deux publications que je viens de mentionner, il ne saurait
être question des Trente mélodies populaires de Basse-Bretagne , recueillies
et harmonisées par M. Bourgault-Ducoudray, avec une traduction française
envers adaptée à la musique par M. François Coppéc. C'est bien plus une œuvre
artistique, qu'un recueil (comme on dit) scientifique. Toutefois, ces Trente
mélodies sont précédées d'une Introduction, sur laquelle j'aurai l'occa-
casion de revenir : j'ai le regret de ne pas partager quelques-unes des opi-
nions émises par M. Bourgault-Ducoudray.
4 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
1er, de chanson populaire sans mélodie. M. Luzel et M. de La
Villemarqué n'avaient donc pas fermé la route, pour l'avoir
occupée les premiers ; ils l'ont ouverte, au contraire, à tout
venant de bonne volonté. J'ai entrepris d'ajouter à leurs
recherches les miennes, sur le conseil d'un illustre et constant
ami des Celtes; plus d'une fois, M. Henri Martin m'a demandé
pourquoi la Bretagne reste en arrière des Irlandais et des
Gallois : « Ceux-ci ont depuis longtemps leur répertoire popu-
laire et national, ajoutait le regretté celtisant. Il y a pourtant
chez les Bretons de si belles mélodies! Je me rappelle que
j'ai reçu tant de joie de les entendre au Congrès de Saint-
Brieuc !... Et la mélopée de vos drames, j'en ai été aussi ému
que d'un beau souvenir de l'antiquité. »
Dans la préface de Marie^ Brizeux supplie ses compa-
triotes qu'ils lui pardonnent d'avoir « enseigné le chemin de
leurs bruyères et de leurs fontaines.» C'est que le peuple géné-
ralement ne voit rien de bon à ces indiscrétions-là. Même
aujourd'hui que la Bretagne est moins fermée aux « gens du
dehors », et que la civilisation l'a percée d'outre en outre par
ses voies ferrées, cela donne encore le plus grand mal d'arra-
cher aux Bretons leur contes et leurs légendes. Pour la
plupart, la révélation de ces « secrets » est une manière de
trahison domestique : ils craignent des u étrangers » quelques
duperies, ou le rire des lettrés peut-être; et c'est, pour
d'autres, une futilité qui n'en vaut pas la peine. Ainsi aux envi-
rons de Quimperlé, oii j'ai appris les plus charmants sonn
d'amour, la couturière de qui je les ai entendus, les appelait
des « imbécillités » : il est juste d'ajouter qu'elle avait un
grand goût pour la Valse des Roses et d'autres chansons fran-
çaises de la même valeur poétique. N'est-ce pas en quelque
chose le mot de Marie, lorsqu'elle apprit que Brizeux avait
écrit d'elle une poétique histoire? Elle en fut d'abord touchée,
raconte quelque part M. de La Villemarqué; puis, au bout
d'une réflexion : « Au fait, répliqua-t-elle, cela ne m'étonne
pas; M. Auguste aimait toujours un peu à rire. »
Il est rare qu'on ne rencontre pas l'indifférence oulaméfiance
même auprès des gens du peuple que l'on consulte pour la
NOTES DE VOYAC.E 5
première fois sur leurs traditions. Le paysan qu'on interroge
au-delà de ce qu'il veut bien avouer, s'amuse à mettre en
défaut et à déjouer les plus avisés. Et plus encore, si l'on tombe
sur un terrain qui n'est pas du tout préparé, d'un compa-
triote on devient un envahisseur. C'est à qui n'aura rien dans
la mémoire ; depuis longtemps, disent-ils, on n'a plus chanté
dans le pays, que des bagatelles sans la moindre poésie ou
des airs venus du dehors. L'on bat une contrée^ dans tous
les sens avant d'en tirer une note ou un refrain. Je m'obsti-
nais pourtant à retrouver de vieilles chansons que j'avais moi-
même sues tout jeune et dont quelques couplets incertains ou
inachevés me remontaientencore dans le souvenir. Nous avions
enfoui là, sous le sol trécorrois, ces trésors, et j'étais certain
que nul n'avait découvert les cachettes depuis mon départ.
Seulement, ceux qui en avaient la garde, étaient-ils morts ou
partis?
Certainement, ces difficultés n'apparaissent pas si mons-
trueuses à tous les chercheurs; une recommandation de per-
sonnages influents est utile pour les lever : ainsi, toutes les
portes s'ouvrent devant le maire ou le recteur ^ de l'endroit.
Et même, à quoi bon requérir les autorités locales, pour
apprendre d'un particulier ce que tout le monde sait? Dans un
pays de traditions comme la Bretagne, chacun a l'imagination
pleine de récits merveilleux et la mémoire encombrée de
chansons. Vous entendrez des gwerz et des sonn à souhait
dans la première maison qui vous donnera l'hospitalité; et
le tout d'une façon plus correcte, autrement chanté que par
ces illettrés, mendiants, tailleurs, tisserands et meuniers,
qui ont eux-mêmes inventé les airs, ou composé les chan-
sons. Oui ; et c'est ainsi que des étrangers s'imaginent
quelquefois apprendre plus vite la littérature d'un peuple en
1. Avec une signification très restreinte; c'est un coin du pays. Au lieu de
contrée, ou dit encore quartier (Voy. \e Fin Filou).
2. Le recteur, c'est le desservant d'une simple paroisse ; le curé, celui d'une
ville ou d'un chef-lieu de canton. En breton, le curé ou le recteur, c'est : ar
pei'son, indistinctement; le vicaire s'appelle kure,^i avec l'article arc'hure {c'h
se prononce comme h aspiré du français ; é fermé: é n'est jamais muet, en
breton).
6 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
des livres de critique, ouvrages de seconde main qui ont la
prétention de juger et de résumer les chefs-d'œuvre. La plu-
part des erreurs qui ont cours au sujet des traditions popu-
laires, n'ont pas un autre point de départ. Mais le peuple seul
lient les traditions, parce que la mémoire est surtout le don
des illettrés.
Du reste, le chemin une fois frayé, il s'agit simplement de
le poursuivre; les chansons remontent sous les pas : on dirait
qu'elles s'offrent d'elles-mêmes au collectionneur qui a su
plusieurs fois les solliciter. Peut-être les chanteurs enfin sont-
ils moins effarouchés; peut-être a-t-on soi-même appris à les
interroger habilement. Mais rien ne vaut comme de donner
l'exemple ; on obtient toute mélodie , après avoir chanté soi-
même le premier ; c'est ce qu'il faut pour mettre en branle l'en-
thousiasme : et la confiance est à ce prix. Les paysans passent
vulgairement pour des avares. Cette réputation n'est pas, de
tous points, méritée : leur avarice a les caractères d'une sage
prévoyance. Qui donc livrerait de gaieté de cœur ses richesses?
Le peuple des champs s'imagine que ses légendes et ses contes
sont un bien à lui; il a conscience qu'en lui demandant ces tra-
ditions orales, on cherche à le dépouiller d'un héritage, à lui
retirer quelque chose de ses joies propres et de sa vie inté-
rieure. Comment ne pas admettre, pour ce motif et d'autres
analogues, que la défiance soit la qualité dominante des
paysans?
Un jour, j'ai mis la main sur un chanteur de renom, le
tisserand Kérambrun, de Pleudaniel. C'est lui-même un
barde, à ses heures. Pour qui cherche bien, d'ailleurs, il y a
dans chaque cow/re'e quelque chanteur ou quelque barde, qui a
su à son profit accaparer l'illustration régionale ; autour de
son nom à celui-là s'est formée alors comme une légende, et
il est devenu une sorte de Roland onde Lézobre\ en son genre.
AHengoatest Le Prigent: il y a en Plourivo un vieillard
aveugle dont le nom m'échappe et que conduit sa fille (tel
Ossian, avec Malvina) ; entre Rospez et Buhulien, Kérervé; le
NOTES DE VOYAGE 7
plus fameux est Jean Le Minoux, de Pleumeur-Gaulier. Je
restreins celte observation au pays trécorrois. — De plus que
les autres, Kérambrun est un komediancher (comédien), un
acteur dans les drames populaires, que l'on représente encore,
à certaines époques de l'année, dans le Tréguicr *. Or,
c'est jouer là deux rôles différents; un barde, comme on dit
pour la littérature orale, ou bien, si l'on aime mieux, un
poète, n'est pas toujours apte à devenir un comédien : et
réciproquement. Kérambrun aura été un jongleur, dans toute
la vieille acception du mot.
Mais les bardes ^ de notre temps ne descendent plus de leurs
ancêtres du même nom; et même le mot bardisme, malgré sa
terminaison moderne, est un vocable sans application. Les
bardes bretons, pour n'être plus constitués en caste, sont
toutefois une classe assez nombreuse encore. Les bardes-
mendiants font toujours une catégorie : ils gagnent leur pain à
chanter, fréquentent les foires, errent de ferme en ferme, ou
se trouvent par la grand'route sur le passage des diligences.
Tous les mendiants ne sont pas des bardes : on n'en finirait
plus avec leurs chansons; car la mendicité, comme la folie,
jouit d'une protection universelle en Bretagne. Si vous voulez
recueillir quelque chose qui en vaille la peine, évitez ces
pauvres gens, de même qu'on fuyait jadis les tailleurs. Ces
bardes-là ne vous offriront guère que leurs élucubrations à
eux-mêmes, imprimées sur des feuilles volantes : autant en
emporte chaque saison nouvelle. Parfois il en reste la mélo-
die, sur laquelle scandera do nouvelles rimes ce barz baleer-
bro, chemin faisant, au sujet de quelque aventure qui vient
de causer du bruit. Et souvent il invente l'air en même tempa
que les paroles.
Voilà les chanteurs de profession. Ils ont leur pain assuré,
pour peu qu'ils retournent aux endroits connus ou aux mêmes
fermes, à certaines époques, et qu'ils observent dans leurs ohan-
1. Voy. plus loin, p. SO et suiv., \ei Mystères et les Drames.
2. Lire rintroduction du Barzaz-Breiz, et surtout les chapitres concernaot
les Bardes dans le livre de M. d'Arbois de JubaiQvilie, Les Celtes et les langues
celtiques.
8 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
sons comme un roulement, suivant les occupations de l'année :
ils auraient garde de se perdre dans leur répertoire, à la Noël, par
exemple, à la fête des Rois, à la Saint-Jean, à la quête du
lin. Autre genre, ceux qui exercent un métier avoué. Il est
incontestable que les meuniers, les tailleurs, les tisserands,
sont les plus sûrs dépositaires de la véritable poésie populaire.
Aussi bien que les bardes ambulants, ils auront la vanité de
servir à qui les interroge le régal de leurs compositions, une
satire, ou une chanson légère, ou une élégie, qu'ils auront
eux-mêmes rimées sur des faits récents. Comme ils ne
riment pas pour vivre, mais qu'ils «chantent pour rire», on
trouve toujours quelque chose de bon à prendre dans ce qu'ils
présentent. Du reste, avec un peu de patience, ou quelque
habileté, on extrait de leur mémoire des œuvres imper-
sonnelles. La plupart des chansons populaires n'ont pas d'au-
thenticité; elles n'en sauraient avoir; l'auteur en est anonyme.
Sortent-elles toujours du peuple? Il est probable qu'elles pro-.
viennent, le plus souvent, d'un être moins collectif; mais il
appartient toujours au peuple de les transmettre ou de les
vouer à l'oubli.
Les chants de kloer sont nombreux , particulièrement au
pays de Tréguier. Le kioarek était un écolier du temps où les
collèges étaient rares et les étudiants libres : aussi bien les
classes vaquaient-elles plus que de règle. Les jeunes gens que
leurs pères, bons paysans, avaient envoyés à l'école pour en
faire des prêtres , fuyaient volontiers les livres ; ils s'en
allaient sous quelque petit bois , derrière une chapelle
ancienne, rêver d'une pennherez, et ils contaient kld^dousik-
koant^ dans la langue natale, leur peine poétique. Quelquefois
l'héritière n'était pas une inhumaine; et le séminariste ne
poussait pas alors jusqu'à la prêtrise. L'internat partout amis
fin à la vie libre et aux chansons du kioarek.
Mais d'autres chanteurs succèdent aux kloer. La poésie
d'une race ne disparaît pas avant la langue qui l'a produite;
elle se transforme, selon les âges, avec la famille ethnique qui
se sert de cet idiome. Les Bretons ont vécu trop longtemps à
la rechercl^e du beau immatériel et avec la notion du surna-
NOTES DE VOYAGE
turel, pour qu'ils renoncent à leur héritage de poésie. Les
bardes cesseront de chanter et ils auront vécu, le jour où
réussira la civilisation moderne à éteindre cet ardent amour
de l'idéal dont la nature a doué les peuples celtiques.
D'après une théorie qui a fait son tour du monde, toutes les
races ont eu à se partager entre elles un héritage commun de
traditions. Dans toutes les littératures orales on reconnaît à
peu près les mêmes mythes, les mêmes contes, les mêmes
légendes. Par suite, toutes les chansons de France et d'Es-
pagne, et d'ailleurs, devraient se ressembler. Cette doctrine a
du bon sans doute. Elle aide à comprendre comment on
découvre, sous des latitudes si différentes, entre des nations
qui vivent séparées depuis des milliers d'années ou dont la ren-
contre n'aurait laissé nulle autre trace, des instincts, des
croyances et des récits similaires, la même humanité partout.
Mais cette théorie a le tort de quelques autres, d'être contestée
par la pratique. Les peuples du Nord ne conçoivent pas le même
rêve, sous leur rude ciel, que les nations dont l'enfance s'est
écoulée ou la vie développée sous un soleil bienfaisant. Les
Celtes et les Scandinaves ne sont pas entrés, comme on dit, par
la même route que les Latins dans le domaine de l'idéal. Aussi
bien, une chanson deMalaga ou de Palerme n'aura rien de com-
mun, malgré l'analogie des sujets, avec un chant gallois; les
mélodies méridionales ont souvent des complications ou des
longueurs que ne connurent jamais les bardes et les scaldes
du Nord. M. Gaston Paris établit ' que le fonds de la chanson
française est resté celtique. Il y a même lieu de penser que plus
de peuples qu'on n'avait cru jusqu'ici, en Europe, ont encore
ces mêmes origines; ce fonds celtique s'étend bien au delà du
groupe français, et il est probable qu'on en retrouverait les
traces n'importe où les Latins ont remplacé les Celtes et ont
paru au bout de tant de siècles absorber ces populations anté-
rieures. N'y aurait-il pas un intérêt de premier ordre, pour
1, Conférence du 3 juin 1885, au Cercle Saint-Simon.
10 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
l'histoire de la musique comme pour celle des races, à pré-
ciser nos connaissances sur les chansons du peuple?
L'élégie est chez toutes les nations le chant le plus en usage.
Les Grecs, ces artistes qui avaient établi comme une codifi-
cation des sentiments humains, étaient dans le vrai, lorsqu'ils
entonnaient après un pœcm une lamentation ; à la suite d'une
victoire, il faut bien ramasser les morts. Certes, les chansons
joyeuses ont leur place marquée; mais elles ne sauraient
constituer l'originalité d'une poésie populaire, et le pays où
elles viendraient à dominer, n'aurait plus, à proprement parler,
de chansons et de mélodies particulières. Un air larmoyant qui
se répand et qui émigré, laisse au pays natal sa tristesse, et
il prend un tout autre caractère à l'étranger. Un exemple,
dans la Femme du Marin, tirée du recueil de Bujeaud ' ; cette
chanson est connue ailleurs que dans l'Ouest, même un peu
partout; mais c'est seulement sur les frontières de la Vendée
qu'elle est empreinte de ce deuil et de cette résignation dans
le malheur : elle est assurément originaire des provinces de
l'Ouest. Et bien plus r" dans les rares régions où survit
l'art des chanteurs primitifs, un air de fête ne va pas joyeux
jusqu'au bout ; presque toujours un mineur y est associé à un
majeur; c'est une phrase musicale dont les deux membres
seraient un andante et un allegro.
C'est que tout peuple garde, au fond de l'âme, une mélan-
colie qui se soulève au moindre effort. L'on ne se rend par-
faitement compte du sentiment intime qui soutient et anime
sa poésie , que du jour où l'on a bien entendu les pauvres
gens du commun chanter eux-mêmes de leur voix dolente...
Il serait téméraire d'enseigner cette vocalise.
A mesure qu'on apprend du peuple ses chansons et ses récits,
on estfrappé de l'inépuisable fécondité des sources populaires :
plus on a creusé, moins on s'aperçoit qu'on ait touché le fond.
On se fait bien l'idée que ce n'est pas une facile entreprise de
classer ces légendes semées à l'infîiii et venues de tous côtés,
ces chansons de tant de sortes. Peut-être est-il permis d'en
i. Chansons populaires de l'Ouest. Niort, Clouzot.
NOTES DE VOYAGE il
affirmer, seulement, que la même chose ne se dit pas,
ou que le même événement ne se raconte guère, sous la double
forme du chant et du récit ; ce qui est tombé dans le domaine
de la narration prosaïque est par cela même exclu désormais
de la chanson. Les choses qui touchent au surnaturel, les
faits dont la date est perdue, passent dans la légende et dans
le conte ; les actions des contemporains restent à l'apprécia-
tion des chanteurs et des bardes. Très peu de chansons en
Basse-Bretagne remontent à plusieurs siècles ; à part deux
ou trois, Lésobré, La Fontenelle^ les giverz qu'a transmis la
tradition orale ne se rapportent pas à des époques absolu-
ment disparues, et la raison en est que le peuple écoute avec
indifférence et laisse peu à peu tomber dans l'oubli ce dont il
n'a pas retenu le sens. C'est vrai que le chanteur n'éprouve pas
le besoin de comprendre toujours ce qu'il dit ; il répète sincère-
ment une leçon apprise par cœur : tant pis, s'il a entendu de
travers. Parfois il en résulte de singulières variantes. Voici
deux couplets, dans une histoire de naufrage que je tiens de
Yvon Le Guluche, un couvreur de La Roche ;
Erwoan ar Bouc'her a 1ère, eunn den a gourach vad
Pini ben ter gwech 1er gwech war bord he vag...
An euz laret d'ar Bouc'her a oa beuet he vag
Ha fraillet dre ann anter e bord ann enez Koat.
Yves Le Bouher disait, un homme de bon courage, — qui se leva
par trois fois, trois fois sur le bord de son bateau...
Il a dit à Le Bouher que son bateau était noyé — et fendu par la
moitié près de l'île Goat.
Une autre version, qui est la bonne, dit, au lieu de :
Èrwoan ar Boucher^ — Pipi ar Bouder (Pierre Le Bouder).
D'après Le Guluche, le matelot Le Bouher, qui a péri, et le
patron de là barque, à qui l'on annonce le sinistre, seraient
un seul et même homme : c'est qu'« on avait chanté comme
Cfelâ, » devant le couvreur de La Roche-Derrien.
Cette désuétude ne tombe pas exclusivement sur la longue
Cdtnplàiflle ou la cantilène historique ; le sonn lyrique, ou
d2 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
élégiaque, ou facétieux, vient à s'effacer clans les souvenirs,
pour des motifs à peu près identiques. Un gwerz survit, tant
que persiste en lui une certaine universalité qui en est comme
le caractère propre. Le fait du sonn est une manière de
particularisme y ce qui n'est pas du tout une condition de
vitalité. Une action toute locale, par cela qu'elle a suscité un
rimeur, n'est pas pour provoquer l'enthousiasme au-delà de
l'horizon circonscrit au clocher de l'endroit ; et si elle obtient
la bonne fortune d'une notoriété hors de coutume, il arrivera
que, le sol natal une fois quitté, c'est en raison de l'intérêt
même qu'elle aura entraîné après elle, qu'elle subira dans le
cours de sa célébrité les transformations et la décadence.
Le gwerz et le sonn sont les formes les plus usitées de la
poésie bretonne ; et l'on peut avancer que toutes se
ramènent à ces deux types distincts. Le gwerz, c'est le
poème historique, le fragment de geste ou de roman d'aven-
tures ; le sonn est dans ce genre que les anciens, sans recourir
à une métaphore, appelaient lyrique. On rencontre dans les
livres d'autres désignations ; mais elles n'existent pas dans
la langue vulgaire, et le peuple les ignore. Le seul mot
kanaoïien est aussi en vogue ; c'est un terme purement
générique, qui se trouve dans les mêmes relations avec le
verbe kana, qu'en français le vocable équivalent chajison avec
chanter. Cependant kanaouen et sonn sont pris souvent l'un
pour l'autre ; et même, dans le dialecte de Tréguier, kanoen
est employé généralement, sans aucun synonyme, dans le
sens de sonn \
1. La question des genres dans la poésie populaire est bien controversée.
Ampère enseigne une division ; Bujeauden adopte une autre; chacun apporte
la sienne, s'appuyant sur des raisons qui ont l'air toutes plausibles. Quant à la
méthode historique, la thèse en était trop séduisante et trop belle à soutenir pour
n'avoir pas tenté l'artiste qui est en .M. de laVillemarqué..M. Luzel, outre les ^(i-cv-
3!0u (chansons épiques ou anecdotiques)et les 50?îz'om (poésies lyriques et élégia-
ques^, admet une catégorie de cantiques ou chants religieux. M. Gaston Pari?,
qui a écrit sur la question quelques pages, reproduites en tête de la Mclusine,
avec toute sa compétence et sa critique toujours sûre, propose une caté-
gorie pour les berceuses et les rondes. Ce serait là, en eflet, tin genre assez
NOTES DE VOYAGi: d3
Le (jwerz est dénué de refrain, et la mélodie en est quel-
quefois une très simple mélopée. Le refrain doit être spécia-
lement réservé au sonn ou kanaouen. Un soîin peut n'être
pas autre chose qu'un récit ; mais il n'affiche jamais ni
l'allure mélodique ni l'importance du gwerz^ au point de vue
de l'histoire et de la légende. Les mélodies serviraient à dé-
montrer définitivement que le sonn et le gwerz sont d'origine
et de nature diverses, et qu'il n'y a pas entre eux que la diffé-
rence du refrain : à entendre alternativement une complainte
et un chant d'amour et même une berceuse, on ne saurait s'y
méprendre. Justement à cause du diskan^ que redit la foule,
le sonn requiert une mélodie bien rythmée ; et il est rare,
encore pour cette raison, qu'on y rencontre les changements
de mesure ou de ton familiers à la chanson populaire. C'est la
même observation pour la mesure du vers, aussi fidèlement
observée que possible dans le sonn : les vers allongés ou
raccourcis ne sont fréquents que dans la complainte. Le giverz,
qui est un récilatif, n'a besoin que d'un seul chanteur : celui-ci
devient libre de son allure, et la psalmodie la moins compli-
quée suffit aussi bien qu'un chant caractérisé au dévelop-
pement de son poème, pourvu que ce soit chanté.
Reconnaissons que des gwerz ont été composés avec ce
diskan que la foule répète. Mais c'était là une faute. De tels
chants sont toujours l'œuvre de quelque poète moderne ;
jamais un vrai barde, sorti ou inspiré du peuple, ne confondit
une élégie ou une satire avec le récit rimé ou le poème de
longue haleine. Et s'il est incontestable que le récit ne soit
pas exclu du sonn, reste à savoir sous quelles conditions il y
a le droit d'entrée. La mélodie de Ar Bonomik, celle de
Ann Andouillen, sont adaptées à des sonn narratifs. Mais
la narration n'est plus alors tout le fond même de la chan-
son ; ce n'en est que le prétexte, pour ainsi dire ; l'in-
distinct (voy. plus loin p. 15, 43 et suiv.). lime semble que la classification la
plus simple est la meilleure pour une littérature essentiellement indépendante
des conventions modernes et des divisions classiques ; et, à ce compte-là, la,
ronde n'est rien qu'un sonn, et le cantique, lorsqu'il n'est pas accompagné du
diskan, ou refrain, devient, comme tout récit en vers, un gwerz.
14 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
térêt se porte de préférence vers la fin de chaque couplet, dont
le principal attrait est de se relier finement avec le refrain.
Surtout, un refrain toujours, sous une forme quelconque.
Est-ce qu'il se réduirait donc à si peu de chose, qu'on
l'enfermât en deux simples mots, cet art des chanteurs po-
pulaires, vantés des uns à l'excès, méconnu et nié de beau-
coup qui n'y comprennent rien ? Déclarer qu'il est très savant,
que c'est d'une science consommée, serait une exagération ;
mais il existe et il est manifeste jusque dans la moindre
improvisation, cet art populaire, avec ses subtiles recherches
à côté d'une naïveté, malgré les défaillances d'inspiration
survenant au bout d'un brillant essor, à travers ces négligen-
ces associées à des beautés de premier ordre, dans ces
inversions et ces reprises, sous ces rappels et ces retours et ces
repos du refrain. On en est surtout frappé dans les chants où
l'on croit reconnaître quelque trace d'ancienneté; assurément,
l'originalité manque aux mélodies d'invention récente : est-ce
parce que l'éducation musicale est devenue plus compliquée ou
se néglige désormais plus que l'éducation poétique? La chan-
son qui a traversé plusieurs générations n'a pas gagné que des
années ; ce qu'elle avait de bon est resté, et à ce texte primitif
s'est ajouté, dans le même sens, le travail des âges successifs.
Aujourd'hui, comme de temps immémorial, les complaintes
nouvelles ne font pas défaut ; nous avons reconnu que le don de
poésie est rarement le propre des aveugles et des mendiants
qui les débitent dans les foires et dans \qs pardons : le baleer-
bro n'est pas un poète par cela même qu'il est vagabond.
Plus encore que ces indigents, les lettrés qui composent des
poésies bretonnes, sans inspiration aucune, comme les clercs
qui transforment en cantique un \\Q\ixgwerz pieux, s'égarent
loin des sources populaires. Si ce n'était encore que de ces
insanités ou de ces prétentieuses élucubralions, il n'y aurait
pas même à en parler ; mais c'est qu'elles gâtent le goût
public, et le peuple, n'entendant que cela, oublie ses légendes
héroïques et les anciennes chansons d'amour.
Comme toutes les manifestations de la poésie bretonne
sont enfermées sous cette double forme du giverz ou du
NOTES DE VOYAGE 15
sonriy il devient d'un intérêt secondaire qu'on signale et
qu'on distingue autrement les genres proprement dits.
On s'est demandé pourquoi l'on ne trouve pas de chan-
sons de bord dans cette presqu'île de Bretagne. Il y en a, mais
toutes en patois gallo ou en français. Les seules histoires de
mer qu'on entende aux matelots bretons, ont été composées
par des terriens. Le sujet en est quelque naufrage sur la
côte armoricaine (voy. « Ar Vartoloded »). Ou bien, elles
racontent un enlèvement pratiqué par les Anglais : tel est le
gwerz de « Marivonik ». On a dit des matelots bretons qu'une
fois descendus des vergues, comme des oiseaux tombés à terre,
ils ne chantent plus. Le sonn maritime a disparu depuis un
temps qu'on ne saurait fixer. La navigation, le commerce exté-
rieur, la fréquentation et la présence des étrangers, ont peu à
peu détérioré le caractère local de nos ports de mer. Les Anglais
occupèrent Brest au xiv^ siècle, pendant la terrible guerre qui
dura près de trente ans entre Charles de Bloiset la famille de
Montfort. Cent ans après, Penmarc'h faisait avec la nouvelle
Amérique un trafic considérable. Saint-Malo ensuite régnaitsur
les mers. La poésie du peuple est casanière; une de ses qua-
lités est de convenir particulièrement à ceux qui chantent.
Dans leurs allers et retours, les matelots de la côte armoricaine
avaient trop souvent à écouter les airs de tous les pays pour
ne pas oublier quelques-unes des chansons natales ; et s'ils ne
désapprenaient pas encore la langue maternelle, du moins
perdaient-ils l'habitude de composer eux-mêmes leurs 5own de
quart ou de manœuvre. Ces chants étaient voués à s'éteindre
de bonne heure.
Les berceuses et les roîides^ sont d'un usage si répandu,
qu'il y aurait peu ou trop de choses à signaler sur leur dompte;
l'universalité même leur ôte, surtout au point de vue poétique,
à peu près toute couleur locale.
1. Pour les rondes, elles rentrent dans le chapitre de la chorégraphie popu-
laire (voy. p. 43 et suiv.)
46 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
On dirait des berceuses que leur importance ne se révèle
pas de prime abord. Doivent-elles le peu d'attention qu'on
leur prête, à Tinsignifiance relative du sujet, ou bien à l'obs-
curité dont quelques-unes sont enveloppées? Mais il y a bien
d'autres chansons, qu'on écoute tous les jours, quoique les
paroles en soient absolument inintelligibles : en vouloir
quelque interprétation, c'est demander aux gens du peuple
de traduire les chants latins qu'ils répètent, le dimanche à la
messe.
Le jeune public auquel est consacré ce genre de berceuses
ne cherche pas, du reste, ù comprendre. Que l'air fasse les
trois quarts de la chanson, voilà qui lui suffît. Lui ne subit
guère que l'impulsion de la cadence mélodique.
Qu'il y ait pourtant des chansons de berceau, dont le sens
soit accessible, c'est indiscutable. Il en est qui présentent une
broderie habile sur un canevas très simple; d'autres sont des
récits allégoriques, des historiettes : celles-ci ont générale-
ment une forme littéraire; elles sont l'œuvre de quelque let-
tré, tombée dans le domaine commun '. On peut, sans avoir
r<iir du tout de soutenir un paradoxe, avancer, d' une berceuse^
que plus le sens logique et suivi en échappe, plus on a raison
d'admettre que c'est une chanson vraiment populaire. Vite
j'ajoute que cette obscurité n'est pas un critérium applicable à
tous les csis de folk-lo7'e .
Les cantiques se trouvent dans une situation difficile à
définir. Mais ils tiennent tant de place, sinon dans la vie du
peuple, au moins dans la poésie bretonne, qu'il faut les réser-
ver et les considérer à un point de vue spécial.
Et les chansons de métiers, à quelle curieuse étude ne
donneraient-elles pas lieu! D'après une statistique récente
on a découvert que cent et quelques noms de famille en
Brelagne ont été dérivés de la seule industrie du lin. On ne
s'imagine pas, du premier coup, quels renseignements divers
on obtiendrait de la simple poésie du peuple. Le personnage
1. A citer, entre ces poésies de lettrés qui sont devenues populaires, quel-
ques chants de <(Telen Arvor « (Brizeux), plusieurs autres de « Bombard Kerne »
(Prosper Proux), etc.
NOTES DE VOYAGK 17
sur lequel la tradition s'est le plus exercée^ c'est le tailleur; par
ses travers, réels ou prêtés, il est devenu un type universel.
S'il y a partout des tailleurs, ils ne se présentent pas en tous
lieux sous le même accoutrement; ils changent de Ion et de
manières, suivant les pays, « A?' Roiizik kemener », dans le
dialecte de Tréguier, est un gwerz d'une marche lente et
d'une ironie discrète; dans les Montagnes-Noires, entre Châ-
teaulin et Châteauneuf-du-Faou, le kemener est devenu l'objet
d'un sonn. En passant dans le dialecte de Cornouaille, il a pris
un mouvement plus alerte; il n'aura plus du conquérant que
les airs; le faraud tombera sous la risée de tous, et jusqu'aux
chiens qui le poursuivront de leur aboicmnet : oao, oao... La
même observation s'appliquerait à d'autres types que le tail-
leur '.
On a prétendu que les Trécorrois sont les maîtres-chanteurs
de la Basse-Bretagne. D'un autre côté, la prédominance du
gwerz,, dans le pays de Tréguier, est incontestable. Doit-on en
conclure que celte forme de la cantilène, parce qu'elle aies
préférences des bardes en renom, soit le genre par excellence
de la poésie bretonne? Il serait bien à craindre que cette
conclusion ne fût logique qu'en apparence. Entre les deux
formes ou « modes » que les bardes ont convenu d'adopter, le
gwerz ou le sonn, c'est le sujet qui dicte le choix : à peine
si l'on signale chez un chanteur ses préférences.
Il serait imprudent d'avancer que le gwerz fût plus ou
moins que le sonn la poésie préférée des Bretons; ce serait
reconnaître sous l'une ou l'autre de ses formes, spécialement,
le caractère particulier de la race. Si toutes les deux indi-
quent, différemment, le tempérament poétique des bardes et
des chanteurs, c'est de même qu'elles révèlent les mœurs et
les traditions du peuple ; mais le sonn affecte généralement
une portée plus restreinte que le gwerz. C'est bien à tort qu'on
ferait, à l'aide des kanaouen exclusivement, l'étude des usages,
ou celle de l'histoire locale sur la donnée des cantilhies. La
forme narrative de lacomplainte ne proscrit pas l'observation
1. Voy, un autre exemple de ces dissemblances dans les deux sonn de
kloarek, l'un de Tréguier, l'autre de Plongonver, cités plus loin.
18 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
morale, et celle-ci ne peut pas devenir le propre de la chanson
coupée de refrains. La conscience populaire n'est pas ainsi
enfermée dans des compartiments étiquetés, d'où l'on ait, sui-
vant le cas, h extraire telle portion. Les mœurs intimes appa-
raissent dans un ywerz, mais quelquefois d'une façon moins
explicite, comme dans un soim. Autrement, trouverait-on tel
type — le kloarek, le kemener, elc. — sous des figures diverses,
variant avec les dialectes ou les régions? Il est constant que
les événements sont racontés plutôt dans les gwerz; mais rap-
porter à la simple et courte chanson tout le caractère moral —
au sens ethnique — de la poésie populaire, c'est d'une théorie
qui n'est pas admissible, mais qui a pourtant ses défenseurs.
Il serait encore plus inexact d'aflirmer que les chansons
joyeuses sont originaires surtout du Vannetais et de la Cor-
nouaille, et que les lamentables récits sont plutôt en usage au
pays de Tréguier ou dans le Léon. Ce serait partager la Bre-
tagne en deux zones absolument imaginaires; les Bretons du
Nord et les Bretons du Midi, ce seraient deux appellations de
pure fantaisie. En réalité, les Trécorrois savent plus de chan-
sons tristes que les Cornouaillais , mais plus de chansons
joyeuses aussi; et la raison en est toute simple : dans le Laiin-
Treger on chante au moins autant que dans tout le reste de la
Bretagne '. Là, les bardes forment encore une sorte de classe
1. Dans l'Introduction à ses Trente mélodies de Basse-Bretagne, M.Bourgault-
Ducoudray s'exprime ainsi (p. 13) :
« Il existe en Bretagne deux zones habitées par deux populations d'un carac-
tère bien tranché. Or c'est là un fait digne de remarque, que cette différence
de tempérament s'accuse dans leur musique, et précisément dans un sens-
conforme aux idées de l'antiquité. Dans les Côtes-du-Nord, où la nature est
plus mélancolique et plus froide, la race plus sérieuse et plus réfléchie, on
chante le plus souvent dans le mode liypodorien, mode d'Apollon. En Cor-
nouaille, où resplendit une nature joyeuse, où s'agite une population ner-
veuse et passionnée, domine le mode hypophrygien, mode de Bacchus.
a Ainsi le tempérament modal des Bretons vient donner une éclatante
confirmation à la théorie antique. »
S'il n'y avait dans ce passage qu'une opinion résultant d'une expérience lon-
guement acquise à travers le pays breton, je me permettrais de démontrer que
cette opinion serait encore au moins hasardée; mais ces lignes semblent écrites
avec la fermeté d'un système. D'après l'éprouve que j'en ai faite en Bretagne,
je dois pourtant ajouter qu'une doctrine opposée serait tout aussi soutenable.
NOTES DE VOYAGE 19
à part ; ils sont admis et invités dans les fermes; ils ont leur
place marquée sur le champ de foire et sur la grande aire du
pardon. Tout ce qu'ils portent sur eux, certainement, n'est pas
de l'or ; mais ils distribuent leur menue monnaie avec une lar-
gesse qui est une preuve de richesse indiscutable. Aussi bien
que les Romains du temps d'Horace , tout ïrécorrois a fait
quelques vers. Mais il est juste d'admettre qu'en raison de
cette fécondité même la kanocn de Tréguicr n'est quelquefois
qu'un simple exercice et un jeu de l'esprit. Il n'y a pas lieu
d'examiner si une semblable prédisposition à la poésie n'est
autre chose, au dire de certains pessimistes, qu'un symptôme
de décadence littéraire.
Nul doute qu'un type ne se transforme (ainsi du tailleur) en
passant d'une région dans une autre. La même observation
s'applique à la chanson qui émigré dans un dialecte voisin :
le mouvement et la mesure se trouvent n'être plus les mêmes
qu'en la mélodie originelle, de même que la métrique dans le
texte poétique. Un gtverz de Tréguier, adopté par un chan-
teur léonard , prend des allures qu'il n'avait pas au pays
natal *. Plus d'une raison est à donner de ces transmutations
et de ces différences. Et d'abord, le dialecte de Léon n'admet
pas les contractions qui sont d'un constant usage dans le tré-
corrois. En outre, les dialectes divers et les sous-dialectes du
breton-armoricain ne sont pas restés d'accord sur un même
accent tonique : le trécorrois porte cet accent sur la pénul-
tième. Les bardes, à la fois poètes et musiciens, ne sont pas
sans se rendre compte qu'une quantité réside dans les syllabes
et qu'un vers ne se prête pas à la mélodie, si la métrique ne
Ta déjà soumis à une certaine cadence. La mélodie garde le
souvenir, serait-on tenté de dire, de cette valeur syllabique.
On a cru rencontrer plus nombreuses dans les chansons de
Tréguier que dans les autres les équivalences musicales de
l'iambe ou du trochée : en Léon, c'est l'anapeste qui domine-
rait, tandis que le Goëlo (haut Tréguier) aurait des préfé-
rences pour le dactyle ^ Si l'on allait un peu plus loin dans
1. Voy. les deux versions de Toul-alLaer, dans les « gwerz etsoiin. >;
2. Là-dessus je tiens des notes curieuses d'un prêtre aimable, le recteur de
20 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
une pareille expérience , on finirait par renoncer aux lignes
topographiques peut-être, pour délimiter les dialectes de
Basse-Bretagne, et l'on aurait recours uniquement à la poé-
tique et à la musique populaires. Mais ce serait aller bien
loin.
Les bardes, comme le dieu antique, affectionnent le nombre
impair. Le vers breton est aussi souvent fait de cinq, sept,
neuf ou treize pieds, que de six, huit, dix ou douze. L'hémis-
tiche coupe au milieu le vers de douze syllabes, etse porte, dans
le vers de treize, tantôt sur la sixième et tantôt sur la septième.
La rime n'est pas tenue d'être riche ; la consonne d'appui n'est
pas de rigueur, et quelquefois l'on n'exige pas autre chose
que l'assonance. Dans le dialecte de Tréguier, la disparition
des diphtongues finales a rendu considérable le rôle des
simples voyelles (il a été dit plus haut que e n'est jamais muet).
La rime intérieure était fort usitée dans le moyen-breton ; le
vers de huit pieds, par exemple, admellait l'homoconsonnance
au quatrième et au huitième, à l'aide de deux hémistiches. Les
bardes semblent avoir renoncé à ce luxe de rimes, depuis
le xvu° siècle. Régulièrement, ils ne composent que des dis-
tiques ou des quatrains, associant les vers deux à deux, sans
admettre jamais les rimes croisées. Cependant, le tercet n'est
pas absolument exclu de la poésie populaire; mais les tercets
de ce genre répondent à un besoin de la phrase musicale,
composée de trois membres; et le troisième vers du couplet
est généralement le deuxième qui revient bissé K
L'hialus est admis; lesélégances del'allitérationsontdu meil-
leur goût; mais rcnjambement est sévèrement interdit, aussi
bien d'un vers à un autre, que d'un couplet au couplet suivant.
Cicéron conseille aux orateurs d'avoir tout prêts et bien
classés dans la mémoire un certain nombre d'exordeset de péro-
raisons, pour en tirer par ti suivant les circonstances. Les chan-
teurs populaires ne procèdent pas autrement ; mais leurs for-
mules d'ouverture ne sont guère variées : un appel à l'attention
R..., ua brelonnaat d'uQ rare mérite et d'une grande habileté. J'offenserais
sa modestie, si je révélais son nom au public.
1. Voy. Lezoùre, Kloarek Koatreven, etc..
NOIES DE VOYAGE 21
du public, une réflexion morale s'appliquant au récit qui va
suivre, une invocation à la Trinité, ou une prière à la Vierge.
Quelquefois le dénoûment est annoncé, dès le début, d'une
fat^on brève et saisissante, surtout dans les sujets pathétiques.
Au dénoûment, la brusque interruption du récit, l'emploi des
inlerrog-alions et du dialogue, sont d'un grand eiïet*. Les
transitions sont aussi absentes que chez les lyriques anciens.
Le peuple se plaît à ces soubresauts de la pensée, et un chan-
teur habile sait ménager le plaisir de ces surprises.
Le breton-armoricain, dont un million de celtisants se
servent encore en France , est vraiment un idiome qui se
dédouble et qui fournit une « langue de la prose » et une
(' langue des vers », On a dit que les littératures commencent
par la naïveté et finissent par l'afréterie. Aux époques de déca-
dence, les nations lettrées affectionnent une prose incorrecte,
alambiquée, prétentieuse et obscure; quant aux poètes, on
leur a coupé les ailes, et la vogue est à ceux qui versent le
plus dans la familiarité. Les littératures orales éprouvent, en
vieillissant, une transformation différente. Dans l'idiome
néo-celtique, le style du récit et de la conversation s'est peu
à peu dépourvu de tout éclat; la banalité est devenue un de
ses caractères; impuissant à rendre une foule d'idées con-
crètes et de notions apportées par le progrès moderne, renon-
çant à former des vocables nouveaux, il s'est surchargé d'em-
prunts venus surtout du français. L'élégance et le charme du
beau langage se sont réfugiés dans les vers. La poésie bre-
tonne n'a renoncé à aucune de ses richesses natives. Ce con-
traste est manifeste et frappant; et les choses vont de telle
façon , qu'il est impossible de remonter ce courant. Qu'un
prédicateur s'adonne au genre fleuri, qu'il abuse des méta-
phores ou qu'il recherche les mots inusités et sortis de la cir-
culation, l'assistance sourira, comme à tout beau parleur; et
le sermon fini , les paysans de murmurer : « Il ne nous vaut
pas M. wi tel. En voilà un, celui-là, qui cause comme nous
1. Dans Lamennais (Le.ç Paroles d'un Croyanl),\e, dialogue célèbre :« Jeune
soldat, où vas-tu ? » n'est qu'une réminiscence de la poésie populaire.
22 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
autres, et qui n'apprend pas ses prédications dans leslivres!... »
Mais qu'un chanteur ne présente jamais sur la place du bourg
un sonn qui fasse à quelqu'un s'écrier : « J'en composerais
bien autant. » Car chacun hausserait les épaules, et l'on passe-
rait outre. La foule qui s'arrêle pour écouter, ne se contente
pas longtemps des vulgarités de la rue. Les masses populaires
aiment qu'on les remue. Volontiers le peuple prierait ce
mendiant qui chante debout au milieu d'un vaste cercle
humain : « L'aumône d'une belle chanson, s'il vous plaît! »
Ces braves gens savent qu'un barde est un inspiré; il est
doué comme voué; il contient en lui le génie de la race, et
l'esprit des ancêtres doit quelquefois le visiter; il a le dépôt
des traditions locales. Par les grands chemins où se passent
les trois quarts de sa vie, le baleer-bro a entendu les souffles
qui vont et viennent aux quatre coins du ciel ; peut-être ces
voix aériennes s'entreliennent-elles avec des paroles ma-
giques, dont le barde seul a le sens. Dans sa chanson à lui
maintenant il rapportera des termes que nul ne saisira; mais
ils étaient connus des aïeux; l'héritage en est sacré, et on les
répèlera fidèlement, comme une prière d'église, sans les com-
prendre.
Les poètes bretons ne vont pas jusqu'à adopter un vocabu-
laire spécial ni une syntaxe particulière. Mais il est des temps
du verbe, par exemple, qu'on ne rencontre guère que dans la
langue rimée; ainsi de certains tours et des inversions spécia-
lement, qui sont en poésie d'un emploi fréquent et rigoureux.
Des grammairiens ont été amenés à établir entre le breton-
armoricain et le latin ou le grec de tels rapprochements,
qu'une syntaxe unique leur a semblé bonne à ces trois idiomes.
Leur erreur constitue une double faute de linguistique et
d'ethnologie. Issus de la grande famille aryenne, comme les
Pélasges, les Celtes ont formé un groupe ethnique à part :
aussi bien les lois que la civilisation et la langue de ces peuples
divers ont subi dans leur développement, sont loin d'avoir été
communes. Aucun rapprochement non plus entre leurs des-
tinées. Les Latins, à la suite des Grecs, ont disparu depuis
quatorze ou quinze siècles. La survivance des Celtes, malgré
NOTES DE VOYAGE 23
la dispersion et sous le joug- de races tout à fait étrangères,
voilà un problème où les données sont encore incertaines.
N'est-ce pas aider à le résoudre, que de recueillir les chants
des Bretons actuels et de noter les échos qui sont parvenus,
quelques-uns restés peut-être depuis les antiques clans celti-
ques, jusqu'à notre génération?
Elles sont nombreuses, les difficultés qu'on rencontre à sur-
prendre au vol et à fixer les capricieux élans de la vocalise
populaire. Une même poésie peut être connue sur des airs
différents ; s'il arrive que le chanteur ne sache pas ou ait oublié
la mélodie originale, il en imagine une autre, séance tenante,
et sans le moindre scrupule. D'autres fois, la musique a pu
s'altérer, aussi bien que les paroles, avec le temps, ou d'une
contrée à une autre. Je rapporte deux versions des Prières.
L'Héritière de Kéroidaz, dans le « Barzaz-Breiz », est à peu
près la mélodie (n» 2) de ces Prières : les motifs et la phrase
sont demeurés les mêmes. Il y a plus loin de la Chanson du
Pilote (« Barzaz-Breiz ») à saint Kadok, de V Enfer (« Barzaz-
Breiz »), à la Tourterelle inconsolable : mais la parenté est
évidente. Nul rapport entre Lez-Breiz et Lezobre^ malgré
l'origine commune de ces deux chansons. Dans le « Barzaz-
Breiz » encore, les Miroirs dargent sont une variante de
Merlin au berceau^ du même recueil, et la mélodie des Miroirs
est inférieure.
Une même chanson ne se dira pas de la même manière en
marche qu'en repos; le roulier, sur la route, observera les
points d'orgue que le tailleur ou le menuisier négligeront, au
bout de chaque membre de phrase ; il fait avec la voix, comme
avec le fouet, sonner les échos. Et il ne marque pas mieux le
pas qu'il n'observe la mesure, lorsqu'il exécute un deux-temps
ou une marche; c'est justement tout le contraire qui a lieu; il
lui semble même que plus la mesure est brisée, plus le sonn
ou le gwerz sont pour lui dans « le vrai ton ».
Certains chanteurs entonnent avec feu et jactance, d'une
allure exceptionnelle. Le début est alors chargé de petites
notes d agrément. Dès le deuxième couplet, l'air « revient au
naturel », disent-ils, pour n'en plus sortir.
24 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Si le mouvement est rompu par le chanteur si aisément,
sans aucun remords et même avec cette joie de l'artiste qui a
trouvé un motif, le poète aussi (ou le peuple, sans l'autori-
sation de l'auteur) se plaît souvent à sacrifier dans le vers le
nombre et la quantité. Chaque syllabe poétique a droit à sa
valeur musicale : tant pis pour la mesure, qui n'est pas tenue
d'être régulière, plus que le vers lui-même. C'est afîaire au
musicien qui veut trouver son compte, de s'y reconnaître.
Cette question des mesures brisées en amène une autre, celle
des harmonisations.
Sous quelle forme présenter ces mélodies primitives à un
public qui n'en a pas l'usage? Faut-il les exposer dans leur
simplicité native, ou les envelopper d'harmonie? On a recours
aux harmonisations, paraît-il, parce qu'on a lieu de craindre
que l'auditoire ne soit pas suffisamment préparé. C'est déplacer
la question, et c'est avouer de la sorle qu'on a surtout en vue
le plaisir de l'auditoire. Sur une telle voie il n'y a pas à s'ar-
rêter, et les musiciens sont tentés eux-mêmes d'aller plus
avant. Dans ces ébauches musicales, interrompues et heurtées,
nées comme au hasard et en dehors des règles*, ils cherche-
ront des thèmes et des motifs qui les sauvent de la banalité
classique; trouvant que le /o/A'-/o;r est une source toujours vive
d'inspirations, ils seront entraînés fatalement à faire de l'art,
sinon du métier -. Oui, c'est là tout à fait éluder un principe et
sortir de la question. Au fond, il n'est pas plus permis d'harmo-
niser une mélodie populaire, que de corriger les assonances
dans une chanson et de les remplacer par des rimes riches.
1. On croirait qu'il n'y a là parfois ni majeur ni mineur déterminés, ou que
ce n'est pas dans un ton plutôt que dans un autre ; on finit sur la dominante
aussi bien que sur la tonique. (Plan d'Ampère ; principes exposés par
M. Vincent, pour reconnaitre une chanson populaire). — 11 n'y a pas de mesure
rigoureuse et l'on dirait souvent du plain-chant. (Pour les rapports entre le
plain-chant et les mélodies populaires, lireuu excellent Mémoire sur quelques
ûirs nalionauT qui sont dans la tonalilé grégorienne, par D. Beaulieu ; Niort,
in-8, vers 1858).
2. D'un autre côté, demander compte aux auteurs de l'usage qu'ils ont fait
d'uue mélodie populaire ou chercher à la leur reprendre, ce serait nier l'artiste
et méconnaître en même temps ces mélodies. Le musicien s'est emparé d'une
hallade ancienne ou d'une complainte, biens du domaine commun ; il a varié
NOTES DE VOYAGE 25
L'harmonisation n'offre même pas l'excuse d'êlre un mal néces-
saire. Le musicien tâchera vainement de conserver à une mélo-
die son caractère tonal ou rythmique; elle n'en sera pas moins
contrainte de s'assujettir à une mesure convenue et de rompre
souvent avec sa cadence naturelle. L'harmonie, dans les con-
ditions qui lui sont faites par l'art moderne, ne saurait que
défigurer une chanson populaire : elle couvre de fleurs une
victime, avant de l'étendre sur un lit de Procuste \
Un instrument s'accorderait peut-être avec ces mélodie^,
l'instrument national du pays, toutes les fois qu'on aurait
sous la main cet accessoire de couleur locale. Les Gallois
chantent avec la harpe. Mais les Gallois ont le pas sur les
autres peuples d'Europe pour l'antiquité de leur musique
populaire — et ces deux derniers mots ne hurlent pas d'être ici
accouplés. — Dès le xu"" siècle, les Cambriens étaient des maîtres
d'harmonie ; leur chanson la plus populaire n'était autre chose
qu'un choral; de bonne heure ils avaient perdu l'habitude de
chanter à rnnisson : à ce point qu'on est à se demander,
malg-ré les témoiçnag-es, si telle ou telle de leurs symphonies
n'est pas un choral de la Réforme, plutôt qu'un chant kym-
rique. Quand Hœndel eut abordé en Angleterre, il se vit dans
une contrée prête depuis six cents ans à l'écouter. Mais la
musique des Gallois, savante et compliquée, n'a que des rela-
tions apparentes avec celle des Bretons. Quel accompagnement
ajouterait ou plutôt ne nuirait pas au charme de ces simples
chansons, rudes ou suaves, farouches ou tendres, traînantes
ou vives, mais dolentes jusque dans la joie, parce que toute
joie humaine est courte et suivie de larmes?
J'aime mieux ma mie. . .
comme il l'a compris, changé d'un mode à un autre et transfiguré un vieil air
oublié ou inconnu. C'est ainsi que Liszt s'est souvenu de la mélopée religieuse
de rin exitu, en son oratorio de Chrislus. Que de fois n'ai-je pas entendu
mon ami M. de Braver soutenir que Wagner a fondé presque toute sa mu-
sique dramatique sur des données populaires !
Un excellent parti qu'on a su tirer des chants bretons, c'est dans la cantate
des Deux Bretagnes, une composition de M. Thielemans, sur des paroles de
MM. Sigismond Ropartz et Le Jean.
1. La question de principe mise de côté, le gwerz est encore moins acces-
cihle que le sonn aux accompagnements.
26 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
La Bretag-ne armoricaine fut à juste titre surnommée la
« tarre des saints », ainsi que la Bretagne insulaire et l'Irlande.
Elle est pleine de sanctuaires et d'oratoires consacrés sous des
vocables pour ainsi dire indig-ènes, ou celtiques. La plupart
de ces noms remontent à l'époque où les Irlandais et surtout
les Bretons, chassés par les Saxons, les Angles et d'autres en-
vahisseurs, émig-rèrent en Armorique, du v" au vu* siècle. Les
personnages de ce temps-là qui nous ont été transmis par la
tradition populaire et ceux de l'histoire écrite ont presque tous
été béatiP Ss : les origines de la Bretagne actuelle,seraient donc
dans l'hagiographie, et les monuments élevés aux fondateurs
de la nationalité pourraient en être les documents les moins
réfutables. C'est autour des chapelles, le jour du pardon, qu'il
faut écouter les cantilènes, l'histoire des saints d'après la
tradition. Il n'est pas un de ces pieux personnages qui n'ait été
célébré dans un gioerz religieux, naïf récit que les gens du
peuple commencent à oublier, il est vrai, depuis qu'on leur ap-
prend à lire dans la Vie des Saints. Parcourez un bourg et inter-
rogez dix habitants sur le patron de la paroisse, vous obtiendrez
dix fois la même narration. Entrez dans n'importe quelle
ferme, vous y trouverez une publication en breton, dans
laquelle le penn-ti, ou bien l'enfant qui va à l'école, fait chaque
soir une lecture édifiante; quelquefois on possédera même un
ancien « propre du diocèse », du temps des neuf évêchés de
Bretagne; peut-être aura-t-on en outre le cantique du patron
de la paroisse : mais voilà tout ce qu'on sait et tout ce qu'on
dit. En demander davantage, c'est frapper à des portes fer-
mées; vouloir qu'on en débite plus que les livres, c'est inviter
presque à sortir de la doctrine; votre curiosité passera au
moins pour puérile, et vite à bout de patience sur un tel sujet
on vous répliquera : « Nous n'inventons pas; tout cela
est écrit, et si vous savez lire... » Oui, et c'est précisément
parce que cette légende est consignée dans Baez ar Sent,
qu'elle n'est plus sujette aux variations de la tradition orale;
maintenant c'est parole d'Évangile. Autant s'en tenir à
NOTES DE VOYAGK 27
PiorreLegrand de Morlaix, à de Garaby ou aux Bollandisles.
Cependant, lorsqu'on rencontre le culte d'un même saint,
établi à des endroits différents, on reconnaît que la légende
n'est pas restée, en tous ces lieux vénérés, exactement la
même : une anecdote locale s'est ajoutée ici, a disparu là-bas,
est ignorée ailleurs, suivant que le sens en a été saisissable ou
s'est défiguré pour les fidèles; jusqu'au vocable qui n'est pas
uniformément maintenu : saint Yves de la Vérité n'a existé
qu'à Trédarzec, et sa chapelle servait de rendez-vous pour
jeter les sorts aux mauvais payeurs, aux parjures et aux faux
témoins. Et c'est pourtant ce saint Yves, qui est si célèbre
même en dehors de la Bretagne ; il naquit aux environs de
Tréguier, et c'est àTréguier qu'on est le plus dévot à sa fête;
voici un trait de sa vie toutefois qui est inconnu des Tré-
corrois. Un jour que ce « patron des pauvres » passait par
Yvias, il s'interposa devant une action inique et une brutalité
que les habitants allaient commettre. Mais sa bienfaisance
ne fut pas agréée ; la fureur populaire seulement changea
d'objet et se tourna contre lui-même; il fut pourchassé et
faillit être lapidé; une pierre l'ayant atteint à la tête, le saint
se retourna vers ces forcenés, les maudit et condamna,
dans ce pays, le premier né de chaque famille à porter une
corne au front. Il paraît que, jusqu'à l'avant-dernière géné-
ration, les enfants d'Yvias avaient encore cette bosse de la
malédiction.
Et cet Yves Héloiiri n'est qu'un moderne, relativement à
ces émigrés qui ont donné leur nom à la Bretagne. Il y a
treize ou quatorze cents ans qu'ils ont vécu ; leur souvenir
a laissé naturellement des traces moins précises et des images
plus flottantes que ce recteur de Louannec, prêtre et avocat,
dont les moindres actes de béatification sont dûment publiés.
Moines ou ermites, il y en a même dont on dirait qu'ils sont
venus de si loin, qu'on ne sait plus même leur nom ; on en est
réduit à deviher et à rétablir quelque chose de leur person-
nalité à l'aide de leur seule attitude. Ainsi, dans l'église de
PleybôUj Ce pèlerin qui tient d'une main son bâton et qui
porte dans l'autre main un nid, où une colombe est en train
28 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
de couver ; on raconte qu'il s'était endormi, la main ouverte,
et que l'oiseau, cherchant où déposer ses œufs, trouva ce
endroit bon : à son réveil, le pèlerin ne voulut pas déranger
la colombe, et il attendit, pour continuer sa route, que les
petits fussent éclos *.
Entre Pontivy et Cléguérec est une chapelle de S. Moëlan;
elle n'a plus àe pardon, et le saint, duquel on a perdu les dé-
volions, a totalement disparu de la tradition orale.
Une légende se complète àl'aidedeces particularités etde ces
diversités. Saint Trémeur est le patron de l'église paroissiale, à
Carhaix ;j'ai recueilli là surle fils de Comor et de sainte Tréfine
des détails qu'on ignore à Langoat, où une sim'ple chapelle a
été dédiée au jeune martyr. Un on-dit, dans le courant de la
conversation la plus banale, est quelquefois la formule d'une
croyance et un acte de foi. « Evel kiez aant Hervé », est une
fagon de désigner un mort-de-faim, « comme la chienne de
saint Hervé » ; peut-être faut-il entendre « le loup » qui dévora
cette chienne et qui fut condamné^ par suite, à servir de guide
à l'aveugle de Ménez-Bré '.
1. Montalembert et M. Renan attribuent une action tout à fait analogue à
saint Keivin.
2. Autour de la forêt de Coat-an-Noz circule la légende de saint Envel, qui
protège les troupeaux contre les loup?, les blés contre les oiseaux. Sa sœur
Juna s'était retirée, en même temps que lui, dans le même désert ; elle allait
quelquefois, comme Hénora auprès d'Efflam, consulter son frère, sur les bords
du Gwic ; on montre un passage où cette rivière forme un torrent qui s'écoule
sans bruit depuis le jour, dit-on, où Envel, empêché par les eaux d'entendre
sa sœur, leur commanda de se taire.
Un cheval, qui l'aidait à labourer son champ, avait été volé par un brigand ;
parce que saint Envel était compatissant pour les bêtes, sans aucun doute,
un cerf et une biche vinrent d'eux-mêmes s'atteler à sa charrue ; plus tard,
un loup dut prendre la place de la biche, qu'il avait dévorée.
Sur saint Mandez et sur saint Coneri je prévois, qu'il y a toute une moisson
de souvenirs et d'on-dit à ramasser. Le fondateur de Tréguier, Tugdual, se
retrouve « dans les livres » à peu près tout entier. Aucun n'est l'objet de
controverses autant que Guénoié : tantôt c'est un seul et même personnage ;
tantôt l'abbé de Landévennec et l'évêque de Quimper, ami et conseiller du
roi Gradlon, sont deux grands saints ; de Garaby en cite trois de ce nom.
La tradition s'est exercée en variantes, surtout sur Tréfine, la femme de
Comor et la mère de saint Trémeur. Mon intention serait de consacrer, quelque
jour, un travail spécial à cette martyre, qui a tant inspiré d'œuvres littéraires»
NOTES DE VOYAGE 29
Que dire de l'influence particulière d'un bienheureux, de
la guérison de certaines maladies * placées directement sous
sa dépendance ? Entre la Roche-Derrien et Pommerit-Jaudy il
y a une fontaine de saint Adrien dans laquelle on plonge la
chemise d'un nouveau-né, quand on veut savoir si l'enfant
à la suite des hagiographes ; dans les documents que jai mis en réserve
sont le mystère de « sainte Tryphine et le roi Arthur », publié par M. Luzel,
et même la pièce de M. Leconte de Lisle, « le jugement de Konior », dans « les
Poèmes barbares ».
Une des plus poétiques légendes de la Bretagne armoricaine est celle qu'on
raconte, tout le long de la Manche, de Paimpol à RoscoÊf, sur Efflam et Hénora,
les deux jeunes époux séparés par un vœu. Dans la poésie du Barzaz-Drciz
« sant Efflam hag ar Roue Arzur », c'est le fameux roi Arthur qui tue le
dragon; je n'ai pas entendu chez les gens du peuple mentionner le héros
breton.
Le village de Vieux-Ieaudet, (Koz-Ieodet), oîi Hénora fut rejetée par les
flots, à une lieue de Lannion, aurait été une ville d'une certaine importance.
Les Romains avaient fondé à cet endroit uu pngus, que les érudits du pays
s'obstinent à nommer Lexobie : ce fut là, prétend-on, le siège d'un évêché, avant
Tréguier ; le pi-emier évêque en aurait été Drennalus, disciple de saint Joseph
d'Arimathie ; saint Tugdual fut un de ses successeurs. Lexobie eut le sort de
la ville d'is et fut submergée.
A l'entrée de l'anse, du côté de Locquirec, uu banc d'écueils porte le nom de
Kigncr ou Keinger, le dos ou le haut de la ville ; en face, est le phare de Treoger
(les Triagos), le bas de la ville. Ces lieux-dits n'auraient-ils pas une signi-
fication ?
Une femme de Lannion, Jeanne Riolay, qui n'entend pas deux mots français
de suite, m'a raconté que la ville d'is était à leaudet. Une fois que le Juif-Errant
faisait sa tournée en Bretagne, il rencontra, sur la route de Koz-Guâodet, un
paysan qui se rendait au marché ; le boudedeo accosta l'homme^ et au cours
de la conversation, qui avait été vite liée, ils arrivèrent au milieu d'une grande
foire, où le paysan vit des merveilles. L'heure vint à sonner, et le boudedeo
disparut soudain, tandis que l'autre brave homme considérait les marchandises
et le marché. Sept ans après, repassa le Juif-Errant, et il revit le paysan où
il lavait quitté: « Te voilà toujours à la même place? demanda le baudedeo.
Sais-tu qu'il y a sept ans que je t'ai laissé là? — Alors, repartit l'autre, on
doit être chez moi bien inquiet. » Le charme cessa tout à coup ; et ils se
retrouvèrent sur le chemin de Koz-Guéodet, revenant de la ville d'is. Elle est
resiée depuis sous les flots, parce que le visiteur, muet d'étonnement, n'avait
pas eu la pensée d'en interroger les habitants et de rompre le charme en fai-
sant retentir dans ce lieu enchanté une voix humaine, pendant l'absence du
fatidique Juif-Errant.
1. « Arouez ar Sant » est la locution courante pour exprimer ce « mal du
saint », qu'on détermine par un nom propre ; par exemple : Arouez Klerin,
c'est la dénomination du mal qui porte comme la marque de saint Clérin et
dont celui-ci a le pouvoir spécial de remettre. Le mot arouez est d'un
30 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
vivra. Saint Adrien, qui n'est pas un Breton, n'aurait-il pas
emprunté ce don de présage et celle vertu sur les sorts à quel-
que saint indigène, afin d'obtenir pour lui-même le droit
de nationalité en Bretagne ? Saint Corneli est devenu, grâce
à une consonnance dans les mots, le protecteur des bêtes à
cornes ; cela n'empêche pas que la même puissance ne soit
reconnue à saint Herbaud. Pourquoi la compassion des bien-
heureux, après tout, aurait-elle des limites? Aucun ne refuse
son intercession aux suppliants. Quant aune rivalité entre ces
personnages célestes, il n'en est jamais question ; elle exista
toutefois, un temps fut ; mais c'étaient les hommes eux-
mêmes qui l'avaient établie, et encore le patriotisme était-il
en cause. Lorsque les Bretons abordèrent en Armorique, ils y
trouvèrent des chapelles déjà bâties, le christianisme ayant
par endroits pénétré dans le pays ; rarement ces sanctuaires
sont devenus les centres de la colonisation nouvelle ; et toutes
les fois qu'il y avait, sur un territoire, une de ces chapelles,
sous un vocable gallo-romain, l'église de la paroisse qui
s'élevait ensuite, était consacrée à un saint de nationalité
bretonne.
Sur la grève de Ploumanac'hestun oratoire de saint Kirek.
Comment les amoureux en sont-ils venus à piquer des épingles
dans la statue en bois, à l'effet de constater leur fidélité
réciproque ?
On comprend mieux que l'aveugle saint Hervé soit imploré
pour tous maux de tête.
Autour du tombeau de la veuve sainte Pompée, à Langoat,
sont conduits les enfants qui sont en âge de marcher et que
leurs jambes frêles refusent encore de soutenir ; le tour de la
tombe achevé, l'agilité a gagné leurs petits membres. Sainte
Pompée, la patronne de Langoat, avait son gfi'erz, iln'y a que
sens assez complexe ; il a valu plus d'une erreur d'interprétation aux breton-
nants qui écrivent ; dans les livres on le trouve traduit par drapeau, bannière.
Mais le peuple n'admet guère ou ne saisit plus celte acception. Avouez se
traduirait par enseignes (dans l'expression à telles enseignes) ou marque ;
la signification indiquée tout à l'heure, à propos de avouez Klevin, serait
une des plus exactes. Le participe avouezet s'applique à quiconque se seul
atteint des fièvres, ou éprouve les symptômes d'une maladie.
NOTES DE VOYAGE 31
peu d'années encore ; une femme très avancée en âg^e est,
paraît-il, la seulequi ail conservé ce gwerz dans sa mémoire :
elle avait l'habitude autrefois de le chanter, comme un
cantique de pélerinag-e, en parcourant le bourg, de temps à
autre ; on ne la revoit plus dans le pays, et personne ne
connaît ou le nom ou la demeure de cette vieille men-
diante.
D'ailleurs, ils se font vieux et ils deviennent rares, ceux
qui connaissent aujourd'hui les gwerz religieux, et ces can-
tilènes historiques achèvent leur temps. Elles auront eu le
même sort que les mystères du moyen âge : après avoir servi
à l'édification des fidèles, ces pieuses «proses du jour» ont été
chassées de l'église, et elles sont restées finalement sur la
place publique. Et encore un peu de temps, on ne les entendra
plus, autour des chapelles consacrées, à l'occasion du pardon
annuel. Ce sera le tour des cantiques. On chantera une sorte
di' hymne qu'un kloarek^ ou le vicaire de la paroisse, aura
composé d'après la Vie des Saints : la louange du bienheu-
reux, mêlée d'invocations et de conseils pour les suppliants
qui sont accourus à la fête patronale. Il ne faudra pas trop
chercher la poésie dans ces proses nouvelles. Un des plus
ébruités, entre ces cantiques modernes, a été fait en l'honneur
de saint Yves : avouons que le célèbre «avocat de la veuve et
de l'orphelin », né aux portes de Tréguier, aura vainement
attendu six siècles le digne chantre auquel il a tant de droits
dans son pays natal.
"Voici une strophe ou deux du guerzen (le mot ancien a
persisté) en l'honneur de sainte Tréfine, entendu à Cléguérec,
dans le Morbihan :
Eid Gomor he fried cruel
Trifine quen douç avel un oen
De bedein Doue e oe fidel :
Ei-ce pedet e creis hou poen.
Treraeur dehi p'en de gannet,
Arlerh en trebilleu brassan,
32 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
A vihanniq e zo desquet,
De garein Doue hag en nessan.
El-ce mameu, d'hou pugale.
Pour Comor. son mari cruel. — Trifine aussi douce qu'un agneau
— à prier Dieu était fidèle : — ainsi priez au milieu de voire peine.
Quand Trémeur lui est né, — à la suite des troubles les plus grands,
— tout jeune il est instruit — à aimer Dieu et le prochain.
De cette façon, mères, à vos enfants — enseignez....
A l'égard de Illut, le disciple de saint Cadoc et le maître, à
son tour, de Tugdual et de Gildas, l'imagination s'est encore
moins mise en frais ; le cantique est exactement la traduction
en vers de la vie du saint qu'on lit à l'église paroissiale ou
dans la chapelle particulière, aux prières du soir, la veille et
le jour du. pardoîi.
Dans tout ce chapitre la poésie seule est en vue ; la dévotion
reste hors de cause. Il est permis de constater, sans se départir
de celte discrétion^ que la piété du peuple est durable et belle
en raison de sa naïveté. La légende ne devient-elle pas, en
fin de compte, un symbolisme ? Celles qui meurent, emportent
donc avec elles autant de la foi que de la poésie populaire.
Quant aux mélodies d'église, beaucoup sont des airs « fran-
çais », adaptés à des paroles bretonnes '. Quelques-unes ont
1. 11 n'y a pas que ces « airs d'église » qui soient sujets à caution. Quand
on se rencontre dans un pays où le peuple seul a gardé l'idiome des ancêtres,
on est porté de prime abord à considérer comme original tout ce qui sort
du peuple. Toute mélodie, sur une chanson locale, passe pour indigène.
Comme une grosse erreur, par suite, est vite commise !
M. Bourgault-Ducoudray, signalant le vers à treize syllabes, fréquent dans
les chansons bretonnes, remarque que la mesure à sept temps correspond à
ce mètre poétique, « si l'on compte pour la respiration un silence ayant la
durée d'une syllabe » — un demi-temps — (page 14, introduction déjà men-
tionnée.) Il cite un exemple ; la chanson qu'il choisit, a été composée sur un
événement qui se passa en 1843.
X Nag er blavez mil eiz kant ha tri ha daou-ugent. »
Qu'importe la chanson ! Mais il n'a pas eu la main heureuse pour la mélo-
die. C'est l'air d'une complainte française, comme en Bourgogne et ailleurs
autant qu'en Bretagne et bien antérieure au gwerz breton. Cette complainte.
NOTES DE VOYAGE 33
été empruntées aux sonn ou aux gwerz profanes : ce sont les
plus belles. La plupart datent (probablement) du xvn® siècle,
de cette époque où les missionnaires bretons et les prédica-
teurs étaient eux-mêmes des bardes, entonnant les kantikou
de leur composition devant l'assemblée des fidèles, avant de
monter en chaire. Le P. Maunoir fut le plus renommé de ces
chanteurs ecclésiastiques. Ceux-ci ne sont pas à confondre
avec le kloarek ; ni ce séminariste, qui raconte d'habitude ses
souvenirs de jeunesse, avec le barde-mendiant; ni même cet
indigent avec le tisserand, le tailleur ou le meunier, qui sont
devenus les véritables maîtres dans la poésie orale : et tous
sont bardes pourtant, mais à des titres différents.
L'importance des chants religieux, en Bretagne, est
considérable. Malheureusement les gwerz (sorte de vieilles
proses d'église) qui en sont au point de disparaître, ne con-
cernent pas tous le pays breton ; exemple : celui de sainte
Thëcle(voy. plus loin.) Leur place même est prise par les can-
tiques ailleurs que dans les lieux saints. A la veillée des fermes,
après un conte, vient le tour du sonn de piété ; dans les
champs ou sur la lande, quand le paysan se retrouve seul avec
la nature, c'est souvent un chant de prière qui lui monte aux
lèvres.
Dans ce genre de poésie se révèle un des caractères de la
race bretonne. Tout porte encore, en Bretagne, l'empreinte
d'une foi religieuse. Les mégalithes y sont encore considérés,
a DamoQ et Henriette », mon père et ma mère l'oat chaQtée dans leur
enfance ; en voici le premier couplet :
Henriette était fille
D'un baron de renom,
D'une illustre famille
Etait le beau Damon ;
Il était fait au tour,
Elle était jeune et belle,
Et d'un parfait amour
Ils étaient le modèle.
Étant reconnu que la rime féminine ne reste pas muette dans la mélodie,
cela donne exactement, entre deux vers français (féminin et masculin) les
treize syllabes du vers breton.
Voilà donc une expérience, sinon à refaire, du moins à rectifier,
3
34 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
bien qu'à tort, comme un symbole du druidisme celtique; les
innombrables calvaires de carrefours sont l'universel témoi-
gnage d'un mystère chrétien ; la salutati on de V Angélus ou le
Dies irœ du glas ont un inoubliable écho par les collines et les
vallées d'Armorique. Partout où un monastère a été le ber-
ceau d'une ville, on retrouve la légende d'un saint;
l'histoire de chaque localité serait un récit de dévotion, aussi
bien que l'histoire du pays même serait une longue chanson
de gestes. La Bretagne est vouée à une religion, comme
une petite fille qui vient péniblement dans la vie est vouée
par sa mère au bleu ou au blanc.
Les collections de cantiquefi ne manquent pas. Mais
existera-t-il jamais un recueil convenable des vieux gwerz
pieux des Bretons?
♦ ♦
Entre les mélodies populaires, il faut distinguer celles qui
sont accompagnées de paroles, les airs de chansons, et celles
qui ne sont soutenues d'aucun texte, les airs de danse.
Les gens de tout pays sont portés à croire qu'il en est
de leurs renommées locales comme des gloires universelles,
et que le souvenir en est durable. C'est ainsi qu'on va chercher
les sonneurs de Bretagne à Quimperlé ^ C'était le pays de
1. Quimperlé a été le lieu de Bretagne où la littérature locale tenait le
plus de place. M. de La Villemarqué, secondé par son ami, l'abbé Henry, mort
récemment, y a provoqué la rénovation littéraire que l'on connaît ; à la tête
d'un mouvement scientifique, dont l'archéologie fait le principal objet, était
le juge de paix, M. Audran ; la librairie Clairet publiait seule autant de pro-
ductions bretonnes que l'éditeur Lédan; de Morlaix, les maisons Le Goffic et
Anger, de Lannion, et les autres ensemble. Et du reste, Quimperlé est sur-
tout une ville bretonnante ; les jours de marché, c'est le rendez-vous des
costumes les plus variés, ainsi que Quimper, et le point de contact à plusieurs
dialectes ; entre les paysans de Guide!, ceux d'au-delà d'Arzano et les gens
de Bannalec, il y règne comme une confusion des langues : il est vrai que
le moins rusé de ces campagnards s'en tire mieux que ne le ferait le plus fort
linguiste. Dans les environs de Quimperlé, qui sont d'un aspect si romantique,
naquit Brizeux ; là-bas, tout le monde chante. Dans un restaurant, près de la
gare, j'ai recueilli les plus gracieux sonn d'amour que j'aie jamais entendus.
Guingamp eut aussi, avec Le Jean, un barde authentique, MM. Thielmans
et S. Ropartz, son heure de vogue, comme Quimperlé. Mais cette vogue n'est
qu'un oiseau de passage; et il est à craindre que nulle influence désormais
n'arrive à le fixer en un lieu quelconque de Bretagne.
NOTES DE VOYAGE 35
Mathurin l'Aveiig-îe, ce ménétrier dont la renommée est
parvenue jusqu'à Paris, où il fut appelé pour des repré-
sentations dramatiques. Mais la bombarde de Mathurin ne
mène plus grand bruit chez ses compatriotes ; XamaitJ'e -sonneur
n'a pas fait école. On arrive au fond de la Bretagne breton-
nante, après avoir fait route, depuis Guingamp jusqu'à Brest,
et de Landerneau à Quimperlé, en suivant la ligne des che-
mins de fer, et l'on a entendu le biniou une fois ou deux, à
Quimper surtout ; encore les ménétriers qui jouent là sous
les halles, à des noces, montrent-ils leur préférence pour des
airs modernes ou parfaitement, étrangers à leur instrument :
sur les quatre morceaux dont se compose le véritable quadrille
breton, deux ou trois sont généralement des ritournelles en
honneur dans les cafés-concerts.
Pour ceux qui prétendent que le biniou est l'instrument
national des Bas-Bretons, il y aurait eu donc un recul de la
musique populaire devant la civilisation ; et celle-ci, en cou-
pant de ses voies ferrées la Basse-Bretagne, de Chatelaudren à
Brest, de Landerneau à Lorient et à Pontivy, ne fait-elle pas
songer à ces voies romaines qui contribuèrent tant à la
conquête de la Gaule?
Cette sorte d'invasion aura produit cet effet incontestable :
les ménétriers ont été refoulés à l'intérieur des terres ; les
collines et les bois de la Cornouaille sont devenus leur refuge;
le mot de Tacite sur les ancêtres celtiques de Calédonie leur
serait, à leur tour, applicable; « in penetralibus siti. » C'est
dans l'antique forêt de Brocéliande, d'où sont sorties les
légendes du Cycle d'Arthur, qu'il faudra chercher les dernières
traditions de la Bretagne. Les ports et les stations balnéaires
sont encombrés à' étrangers ; le littoral, étant ce qu'il y a de plus
fertile dans la presqu'île armoricaine , a été de bonne heure
envahi. Il est constant et avéré que, dans toute occupation, les
conquérants ont rejeté les indigènes vers les régions pauvres
et déshéritées. Ce n'est pas la Domnonée, par exemple, qui
recèlera un jour ce qui sera resté des Bretons ; les landes de
XArgoat seront leur dernier asile. Et c'est pour cela que déjà
l'on n'a plus le biniou dans les quatre coins de la région.
36 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Le surnom que l'on donne en certaines contrées aux mené
triers, dit bien d'où ils viennent. Lorsqu'ils entrent dans un
bourg, la veille an pardon, en sonnant un air qui les annonce,
les enfants d'accourir et de s'écrier :
(( Potred bro-ar-c'hoat\ — (Yoici) les hommes du Pays-du-
Bois! » D'autres fois, c'est : « Potred Kernpw\ »
En Tréguier, par cette locution, hro-ar-c hoat , on désigne
la Cornouaille. Quant à potred Kernpw, Kernewiz (les Cor-
nouaillais), cela n'a pas besoin de commentaire.
C'est dans la Cornouaille que persisteront le plus longtemps
les caractères originels de la race. Oui, la ligne du chemin de
fer semble avoir tracé dans la région une séparation ethno-
graphique. Elle a coupé en deux, vers le milieu, l'ancien évê-
ché de Tréguier. De Louargat et de Belle-Isle on ne vient
plus au-delà de Bégard; les charbonniers de Coat-ann-Noz
ont avec peine entretenu jusqu'à présent leurs relations avec
les habitants de la côte ; et, au rebours, de la « presqu'île » (can-
tons de Paimpol et de Tréguier) ou des environs, les chiffon-
niers nomades de La Roche-Derrien sont restés les seuls qui
s'aventurent, au travers de la voie ferrée, jusqu'au jo«y5-</e6-
bois.
Les Cornouaillais passent pour des gens rudes à manier.
Ils ont, plus que les Léonards, le culte de la force brutale.
On leur applique, dans la langue courante, la même épilhète
— noue — qu'aux sangliers : « moc'h goiie (des cochons sau-
vages) »; — « potred Kernew, tud goue (les hommes de Cor-
nouaille, gens farouches). » Dans l'argot des nomades de La
Roche, mond da Gerneo (aller en Cornouaille), c'est : aller
en pays inconnu, au lointain, d'où Ton ne revient plus; ou
c'est encore : partir pour un pays où l'on ne mange plus du
pain [e tu ail da vro ar bara).
Entre Louargat et Callac un pardon ne se termine pas
sans une bataille au penn-baz. Une locution très usitée,
sur le compte des Cornouaillais : « Pa ne verd d'ar boso,
vijenn me bet lac'het, — sans les bosses (les nœuds du
bâton), j'aurais été tué. » Il y a quelque naïveté féroce
dans cet aveu : « Les nœuds seuls ont porté; et je serais
NOTES DE VOYAGE 37
bien mort, si le baz m'était tombé sur le corps tout du long'. »
Et cet autre on-dit : « Stokomp, m' hon breur, — touchons-
nous (les coudes), notre frère. » C'est une manière de s'em-
brasser, à la Cornouaillaise , en se bousculant, après une
danse.
L'âpreté de ces mœurs n'est pas sans une explication. Les
abords d'un pays, que les émigrants ou les envahisseurs ont
plus souvent piétiné que l'intérieur, ont gardé des souvenirs
plus divers et moins fermes. Ainsi, en venant de Tréguier,
Louargat est comme le seuil de la Cornouaille; les traditions
qui se retrouvent aux alentours, ont toute l'indécision d'une
limite qu'on n'a jamais cherché à rendre fixe; l'histoire de
cette frontière est un mélange de profane et de sacré, elle
remonte à s. Michel ou à s. Hervé, pour aboutir aux châteaux-
forts et aux lutins du moyen âge. Du reste, à bi^jn chercher,
rien du passé ne s'efface dans les consciences populaires. Mais
à deux lieues de Louargat, lorsqu'on touche à la forêt de Coat-
ann-Noz, il est impossible de ne pas éprouver qu'on pénètre
dans une région restée à travers les âges aussi inviolable qu'un
asile. Et c'est dans ce seul Pays-des-Bois que le biniou ne chôme
jamais.
Pour sonner une danse bretonne, deux instruments sont
de rigueur : le biniou^ et la bombarde. Dans les Côtes-du-Nord,
1. Le penn-baz tient une grande place dans les us et coutumes de Cor-
nouaille. Ce bâton (6a;) est généralement de chêne. L'une des extrémités
[penn) est un gros nœud ; à l'autre bout est attachée une lanière en cuir. Le
penn-baz est à double effet : on peut, avec un attelage ou un troupeau, s'en
servir comme d'un fouet ; mais c'est un redoutable casse-tête entre les mains
d'un paysan breton. Il fut un temps, d'après les chansons populaires, où les
vaillants hommes {tud vad) de Cornouaille n'auraient recalé devant aucune
épée, lorsqu'ils tenaient leur court bâton ; le. penn-baz était comme leur arme
nationale. — Au pardon de Saint-Servais, les jeunes gens de toutes les parois-
ses voisines se disputaient l'honneur de soulever la grosse bannière à la proces-
sion ; durant la cérémonie on escortait le lourd étendard, le baz en l'air, et à
la première défaillance du porteur on se ruait pour le remplacer. Les choses
se passaient rarement sans que s'ensuivît mort d'homme. Il y a trente ans
à peine qu'on a pacifié, manu militari, les pardons de Saint-Servais.
Sur l'usage du penn-baz, voy. encore le Pardon de Saint-Émilion, dans les
sonn.
2. D'après M. Luzel, biniou serait dérivé de benviou (outils). Je ne vois pas
plus de raisons pour récuser que pour admettre cette étymologie. Le mot
38 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
vers Pédernec, l'habitude est d'ajouter un petit tambour, dont
le rôle est de battre le temps et même le demi-temps, d'ordi-
naire sans tous les roulements ni presque rien du brio dont un
musicien serait tenté de faire parade. Avec le biniou l'exécu-
tion ne va pas aussi simplement. Il y a, dit-on, plusieurs
façons de jouer du cor; mais au seul tayaute' on distingue un
sonneur de rencontre d'un bon piqueur. De même, un vrai
ménétrier se reconnaît aux petites notes dont il a soin d'ag-ré-
menter son air ad libitum. Aussi la même mélodie n'est-elle
pas nuancée deux fois de la même manière, et jouée deux fois
de suite, avec ces appoggiatures, ces nuances et ces varia-
tions, c'est comme deux airs apparentés ^
biniou se retrouve dans la locution aac'h ar bintoii; « ce sac au biniou » sert à
enfermer navaltes, bobines et autres ustensiles de tisserand ou de fileuse.
Bien qu'il soit particulier aux Bretons, le biniou ne saurait être considéré
comme leur instrument de musique national. On le retrouve chez d'autres
peuples, avec des modifications. Sa principale originalité consiste dans une
outre ou bourdon, que le sonneur emplit de son souffle et d'où sort une note
continue, comme une base d'accompagnement.
Dans une étude consciencieuse {Orphéon, avril 188") sur mon deuxième
« Rapport de mission », qui contient des airs de danse, M. Hervé exprime le
regret que je n'indique pas l'armature du biniou et de la bombarde : si je
m'occupais de technique, c'est avec un vif plaisir que je céderais à ce vœu.
L'article de M. Hervé n'est pas moins bienveillant, du reste, que la brillante
chronique que M. de Saint-Arromau voulut bieu, dans la Presse, consacrer à
mon premier compte-rendu de voyage, paru dans les Archives des Missions
scientifirjues et iillcraires (1883, série 111, t. VIll.)
1. J'ai mis la main sur un ménétrier de mérite ; il est de Rostreuen, en
Cornouaille, bien que son nom, Louis Gilbert, ne décèle pas une origine
incontestablement bretonne. Daus un précédent voyage, j'avais eu déjà la
bonne fortune de rcucoutrer un bou Jcomediancher, Kérambrun de Pleu-
daniel. Mon ménétrier passe pour le plus habile dans cette partie de la Cor-
nouaille, qui s'étend aux Côtes-du-Nord , au Morbihan et au Finistère, de
Saint-Nicolas-du-Pélem à Guuarec et à Carhaix; Thoraval tenait le haut du
pavé avant lui. Le biniou pourtant n'est pas son gagne-pain ; le vieux Kéram-
brun non plus n'était komediancher et barde qu'à ses heures, et il est encore
tisserand de sou métier, à moins que son graud âge n'en ait fait un << men-
diant de la paroisse » ; M. Louis Gilbert est instituteur et je l'ai trouvé à
Cavan. C'est une opinion générale que la plupart des musiciens ambulants
« ne savent pas leurs notes «; en Bretagne les meilleurs des bardes-mendiants
sont des illettrés ; même cette igiiorance-là sert quelquefois de recomman-
dation auprès du public. Mais le contraire aussi n'est pas impossible. M. Gil-
bert avait pris quelques notions de musique au collège; d'ailleurs il y poussa
jusqu'au bout de ses humanités; comme il avait une prédilection pour la
NOTES DE VOYAGE 39
Au souffle seul et sans le doigté, le biniou produit une note
uniforme, un re, qui sert de tonique; l'air est généralement
en la dominante : c'est le premier ton du plain-chant. Quel-
quefois on a fa dièse et même ut dièse. Le binioti ' est percé de
cinq trous, et la bombarde, de buit. Une cbose curieuse, c'est
que ces deux instruments qui sont faits pour jouer et forcés
de vivre ensemble, ne sont pas d'accord du tout; ils vont à
l'unisson, mais à la distance à peu près d'un demi-ton; l'un
donnant uty l'autre dit si naturel. A première audition, l'on
est évidemment frappé de cette dissonance. Eh bien! si l'on
poursuit l'exécution, la dislance s'efface. On se demande si
les ménétriers n'obtiennent pas ce résultat , parce qu'ils
faussent la note à force de poumons; le re fondamental se déga-
geant, sous un pareil effort , avec un volume si considérable
de son, comme la note d'un bourdon, il est probable que cette
basse monotone enveloppe de sa sonorité ces dissonances, de
manière à les rendre de moins en moins perceptibles à l'oreille.
Du reste, les .so?me?/r.v alternent, la plupart du temps; autre-
ment, ils n'y résisteraient pas avec le mal qu'ils se donnent,
chaque danse élant interminable, et les reprises sans autre loi
ni règle que l'entrain de la foule. Lorsque le musicien n'en
peut plus, il arrête court par une note aiguë et discordante.
Le quadrille entier dure au moins trois quarts d'heure. C'est
ici qu'il vaut bien son nom (si l'on accepte certaine étymo-
logie), puisqu'il ne contient que quatre figures au lieu des
cinq dont on a la coutume ailleurs. Pourtant, voire en Basse-
Bretagne, l'on en introduit parfois une cinquième, à la récla-
mation générale, et l'on joue une ronde pour finir. Voici
bombarde et le biniou, l'éducation n'a dû que développer un goût et un
talent d'avance éveillés. Toutes les fuis que l'enseiouement lui laisse des
loisirs à toutes les vacances, il retourne au pays natal, et l'on revoit, suivant
l'expression locale, « le loup dans ses bois ».
Il me vient à l'esprit que cet instituteur conduisant les danses de ses com-
patriotes, dans un mariage, à une aire-neuve, manquerait peut-être de déco-
rum. Mais, dans toutes nos petites villes, le directeur de l'école, qui est aussi
le chef de la musique municipale, en fait autant, lorsqu'il en est prié, a la tête
de son orchestre. Et il faut bien songer qu'on, est là-bas en Bretagne, où la
conduite opposée semblerait plutôt un contre-sens.
1. A l'état le plus simple : car on en fait qui deviennent compliqués.
40 CHAÎJSONS ET DANSES DES BRETONS
l'ordre en usage et les noms de ces figures pour la Cor-
nouaille der, Côtes-du-Nord et le voisinage :
1° Ronde;
2» Bal;
3° Contredanse ou roîide;
4° Passe-pied.
La ronde est toujours un deux-quatre; le bal, un deux-
quatre ou un six-huit, comme la dérobée \ la contredanse et le
passe-pied, un deux-quatre, ^i toute figure, en seize mesures
et en deux motifs.
Le jabadao et la gavotte remplacent la ronde et le bal dans
laCornouaille quimpéroise.
Entre Guingamp etLannion, la rferoôee est devenue l'inter-
mède obligé des bals champêtres, la danse de caractère qui
succède à tout quadrille. Au nom seul, on devine que cette
dérobée n'est pas issue de Basse-Bretagne ; elle est venue du
pays gallo. Elle n'a rien de compliqué ni d'artistique, n'exige
guère la science à^upas et de la mesure^ se compose bonne-
ment d'un mouvement de marche et d'un balancé, parfaite-
tement déterminés par la mélodie même; ce serait comme la
farandole Ab^ Bretons, avec quelque chose de gracieux, mais
rien qui rappelle \c passc-piéd ou\e jabadao . De même pour l'air
qui convient mieux à un orchestre quau biniou, et qui a tout
juste autant d'originalité qu'une chanson gallaise transportée
en Basse-Bretagne.
Les quatre premières mélodies, notées dans ce recueil, sont
dans l'ordre ou le ménétrier les jouerait. Toutefois, il n'y
a pas, à proprement parler, de quadrille breton. Chacun de ces-
airs n'est pas un morceau détaché d'une composition mus i
cale, il est indépendant de tout autre; chacun est une mélodie
à part qu'on ajoute à d'autres, dans un certain ordre, lors-
qu'on est réuni sur une aire (ivar eut leur) dans une intention
de s'ébattre.
Le bal et la ronde l'emporteront par le nombre; c'est la
faute aux ménétriers, dont le répertoire était peu garni de
passe-pied. Est-ce une preuve que le temps de ceux-ci sera
bientôt passé?
NOTES DE VOYAGE 41
L'art comporte des genres secondaires, même des genres
inférieurs sur lesquels tombe un dédain souvent exagéré :
ainsi, pour citer des classiques, les Romains avaient relégué
les Atellanes impitoyablement hors des murs ou dans les fau-
bourgs. La chorégraphie populaire passe sans doute aux
mêmes rangs, et l'on encourrait le reproche de futilité en
n'évitant pas quelques détails, pourtant si pleins d'intérêt en
pareille matière. Dans certaines Études sur la Bretagne, dont
l'auteur persiste depuis cinquante-cinq ans à garder l'anonyme,
j'ai souligné une formule devenue proverbiale pour exprimer
l'irrésistible tentation dont est suivi le sonneur : « C'est que
les trépassés se lèveraient pour sauter eux-mêmes, s'il allait à
minuitjouer de la bombarde dans le cimetière. « Simplement,
cela signifie qu'il existe une parfaite convenance entre cette
musique et ces instruments, entre ces musiciens surtout et ce
public : ce dont on se rend compte, dès la première fois qu'on
a vu les ménétriers sur leur tonneau, marquant du pied
bruyamment chaque temps de la mesure, tout le corps penché
suivant la cadence de l'expression qu'ils savent y mettre, gui-
dant de l'œil les ébats, soufflant un continuel allegro vivace à
se rompre les veines, s'ils ont aperçu quelqu'un qui « mène la
ronde à la guise d'autrefois » On n'est pas étonné que le
passe-pied ou la ronde des Bretons aient eu le même renom
que le menuet sous V ancien régime ^ lorsqu'on en a constaté
la tradition dans quelques coins de la Cornouaille.
On trouvera plus loin une trentaine d'airs de danse.
Ce sont les mélodies les plus connues, de Saint-Nicolas-du-
Pélem à Carhaix, de Cléguerec à Tréguier. Quelques-unes
sont si populaires qu'elles ont un nom en propre, un surnom
plutôt, acquis par la vulgarisation, le bal n° 12, c'est l'air
fameux de « Finistère » ; dans la ronde n" S, qui ne reconnaît
la chanson à'Ann hini goz'l Et par ces trois mots-là, répandus
comme un dicton, tout le monde hors de Bretagne désigne un
bretonnant^. Tel air est plus affectionné en certaine région,
1. Ann hini go z, sorte de chanson nationale des Bretons, se dit en majeur
et en mineur : j'ai noté l'air de danse, comme je l'ai entendu.
42 CHANSONS ET DANSES DKS BRETONS
sans doute parce qu'il en est natif : ainsi la ronde n" 6, sur-
nommée « la TrécoiToise », est tout à fait en vogue sur les
confins du Tréguier, et elle ne se joue guère ni à Plounévez-
Quintin ni à Gouarec,
Oui, voilà les mélodies les plus connues, au moins dans
une partie de la Cornouaille. Il y a bien d'autres airs, qu'on
entend même plus souvent, comme ceux des ménétriers
quimpérois*, ou ceux encore que les « Sauveteurs » somiaient
au Châtelet et au Trocadéro, en 188J, lorsqu'ils sont venus à
Paris pour leur anniversaire. Sans parler de tous ces
« quadrilles bretons » , tous alors avec les cinq figures devenues
de règle; ni des « fantaisies » de musique militaire. L'Armo-
ricain, de Pucliot; le Retour de Pardon, de Léon Chic, etc. :
ce sont des titres qui offrent déjà quelque couleur locale; et
au courant de ces compositions on retrouve des airs populaires
adaptés, arrangés. Insister serait inutile. Si .ces musiciens
professent le goût et l'amour des vieilles mélodies, pas un
n'a observé le culte d'une tradition nationale.
Les productions de cette sorte sont répandues à flots sur
le pays'. Des « musiques communales » vulgarisent, à leur
manière, les airs anciens. Faut-il l'avouer? Ces vieilles mélo-
dies, on dirait qu'elles sont moins en faveur que la jolie
« fantaisie » tirée d'elles et faite de leurs débris. C'est, comme
toujours et comme partout, l'influence de la virtuosité sur le
gros public; or, s'ily a du mauvais goût là-dedans, les maîtres
de musique sont les premiers à le développer; et s'il s'agissait
d'une action criminelle, eux ne seraient pas des complices,
mais les coupables. Il arrive que le ménétrier, avant de tomber
lui-même en discrédit, est devenu dans l'âme un virtuose \
mieux il « agrémente » un air, plus il passe pour savoir son
métier; le biniou n'a de vertu sur une foule si facile à ébranler,
1. Voy. plus haut, p. 34 et 3o.
2. M. Fichet, instituteur à Ponamerit-Jaady, m'a confié des cahiers et des
répertoires qui sont pleins de ces morceaux de réminiscence ou d'imitation.
Mais les meilleurs et les plus sûrs renseignements, je les dois, comme mes
premières leçons, à M. l'abbé Mordellès, de Tréguier, lui-même un composi-
teur d'une valeur incontestable.
NOTES DE VOYAGE 43
qu'en raison de \a.virtuosù(; du maitre-so7i7ieur . Les ménéiriers
sentent que le vent tourne , et ils vont d'eux-mêmes aux
nouveautés, avec le fol espoir do sauver un art qui sera déchu,
par un fatal retour, du jour où le biniou aura désappris lejaèa-
dao et le passe-pied de la lande natale.
Le peuple ne danse pas toujours au son des instruments.
A un pardon, pour une aire-tteuve , après le banquet de la
moisson, l'envie peut venir de sauter uneronde ou une gavotte,
sans qu'on ait pourtant un sonneur sous la main ; mais dans
tout ce monde-là quelqu'un aura bien appris à « siffler dans la
feuille de lierre » entre les dents. Si l'on n'a pas à sa disposi-
tion même l'emploi de cette espèce de mirliton, on entonnera
une chanson, un sonn sur un métier: les uns chantent, pen-
dant que les autres dansent; ou bien l'on fait les deux à la
fois.
Ce rôle de la chanson dans la chorég^raphie populaire serait
curieux à étudier. Il y aurait tant d'exemples à produire,
depuis la berceuse jusqu'à la ronde des moissonneurs !
La nourrice qui fait sauter l'enfant sur ses genoux, l'en-
dort avec ce refrain :
Pater noster dibi doub
'Man ma c'has o neza stoup.
Traduire en français de pareils textes est quelquefois impos-
sible et souvent futile : ou cela ne sig-nitie rien du tout, ou
toutes les interprétations se valent, dans les cas difficiles;
plus c'est populaire, plus le sens s'en est obscurci; l'usage a
remanié ces choses-là et les a tellement transformées, que
vouloir en tirer une idée logique et suivie, serait exiger de
« la pierre qui roule, qu'elle amasse de la mousse ». Dans le
premier vers du distique plus haut cité, Pater noster, m'a-t-on
affirmé, aurait été substitué à une formule druidique. Pour ma
part, j'ai vu si peu de traces des druides, en Bretagne, que je
me suis décidé à ne les suivre qu'en toute défiance. — « Mon
chat est à filer de l'éloupe. » Voilà le second vers. (Voy, plus
Idin, àUx sotm.)
Les enfants à l'âge des salles d'asile ont une ronde, sur
44 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
l'air du Pater dibi boiidy avec une cadence un peu moins traî-
nante :
Troïk mezo
Bara lez
'Nn hini gouezo
Chai e-mez ;
« Petite ronde ivre — pain au lait — celui qui tombera —
ira dehors. »
De huit à dix ans, ce sont, sur le même air encore, d'autres
paroles :
Barzig ha barzig a Goneri,
Ari mab ar roue gand daou pe dri,
Gand eur bagad a bichoned
« Petit barde et petit barde de Gonéri, — il arrive^ le fils du
roi avec deux ou trois, — avec une bande de pigeons...» Quel
que soit le sens de « Barzig a Goneri », quelle autre allure
et quel horizon nouveau! Troïk mezo était une série de
spondées entremêlées d'iambes à peine accentués; le mouve-
ment était encore andante. Il est devenu allegro dans Barzig
ha harzik\ et maintenant, à peu près rien que l'iambe ou le dac-
tyle. Du coup, l'imagination s'est ouverte au merveilleux :
« Le fils du roi vient avec ses pigeons rouges et blancs et vio-
lets... » La chanson et l'air, à l'avenant de l'âge.
Les filles de quinze ans tournent encore en rond. Toujours
la ronde. Il y a dans leur sonn un prélude significatif; à tra-
vers une insouciance avec peine déguisée, on pressent comme
un symptôme des prochaines amours.
Plac'hig euz ann Douar-Newe... —
« Jeune fille de la Terre-Neuve... » — V
Et puis, les jeunes gens, avec les chants de guerre ou de
table.
Ajoutons les sonn de métiers, certaines chansons satiriques,
et toute chanson, en général, composée sur un air qui s'accom-
mode à la saltalion.
1. Voy. plus loin, aux « gvoevi et sonn. »
NOTES DE VOYAGE 45
Enfin, chaque danse elle-même est célébrée dans un sonn
particulier. Il est à peine besoin d'insinuer que les vers sont
là pour le rythme seulement. Un simple exemple, un couplet
du passe-pied :
« Pas-a-pie Kallak, pas-a-pie plen,
'Nn hini raïo 'nn e-han renko bean den. —
« he passe-pied de Callac, le passe-pied simple (à la bonne
manière), — celui qui le fera (dansera), devra être un homme
(sans doute habile et propre à tout). »
On s'imagine bien que le passe-pied de Callac ne saurait
barrer le renom à celui de Gouarec, ou à tout autre : de là, les
couplets qu'on veut; c'est une affaire d'improvisation et d'op-
portunité.
Les rapports de la chorégraphie, chez le peuple, avec les
âges différents, sont donc faciles à saisir. Ne suffit-il pas, au
surplus, d'indiquer cette alliance de la musique avec la
poésie? Cette question de la chorégraphie populaire vaudrait
la peine qu'on s'y arrêtât : les documents ne feront pas défaut
à qui voudra bien la traiter d'une façon définitive.
La métrique cependant, quoi qu'on s'imagine, n'en est pas
au point de prendre la place des lignes topographiques et
d'offrir une base de délimitation entre les dialectes de la
Basse-Bretagne (voy. ci-dessus, p. 19). Ceux qui ont mis en
avant cette opinion, produisent une grosse témérité. Mais ce
n'en est pas une , de mentionner Viambe et Y anapeste, par
exemple, au sujet des rondes enfantines. La musique relève-
rait le démenti contre quiconque récuserait la poétique,
comme dans Troïk mezo et dans Barzig ha barzik. Du reste, il
en va toujours ainsi, dans un pays de chanteurs et de bardes
où la chanson ne vit pas sans un air, où l'air est né* en même
temps que la chanson : là, le mariage du rythme et de la mé-
lodie est chose consacrée.
Ce qui a été dit sur l'insignifiance des berceuses (voy. p. 15
et 16), s'applique aussi bien aux chansons de danse. C'est bien
ici que « l'air fait la chanson ».
Je ne saurais négliger cette occasion de revenir sur certaines
46 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
doléances et de déplorer la tolérance excessive de notre
poétique particulière. Vraiment, il y a trop de gens qui écrivent
en vers bretons — mais n'en dit-on pas autant, ailleurs qu'en
Bretag^ne? — sans avoir la moindre idée de l'harmonie des
syllabes et de la sonorité des mots ! La plus simple assonance
suffit à ceux-là; et puis, ils alignent leurs syllabes en nombre
réglementaire, — et encore! — de même qu'un cantonnier
entasse des pierres sous le boisseau, et ils ne se sont pas une
seule fois doutés qu'une âme palpite fatalement dans un beau
vers \
*
On dit que le dernier des aèdes omit, avant de mourir, de
briser la cithare sur laquelle il avait chanté. Ainsi la poésie
lyrique, en Grèce, survécut aux chanteurs populaires. Un
poète ne se serait pas présenté dans une assemblée du peuple
sans apporter l'instrument dont il accompagnait lui-même ses
propres compositions.
Il y a beau temps que les bardes de Bretagne ont renoncé à
la harpe celtique*. Par contre, ils ne s'expriment pas en
1. Jamais la plainte que j'exprime, comme toutes celles qui ont trait à la
décadence de la chose purement bretonne, ne fut plus fondée qu'à notre épo-
que. Par un contraste frappant, ce sont les vieillards qui nient cet abaissement
et ces pronostics funèbres ; les jeunes gens d'aujourd'hui sont d'un enthou-
siasme assez platonique pour la petite patrie. J'avais tâché de décider quel-
ques-uns à continuer mes recherches en mon absence ; à part des prêtres et
quelques maîtres d'école, ils ont manqué à toutes leurs belles promesses. Un
ancien camarade de collège que j'avais réussi à pousser dans la bonne voie,
M. H. de la Monneraye, m'est resté fidèle longtemps. Après M. Delafargue,
c'est lui qui m'a rendu les meilleurs services. IJ a beaucoup de ce qui est requis
pour notre longue et patiente besogne, de la curiosité, du sens critique ; il a
recueilli aux environs de Carhaix. des notes et des proverbes, dont l'envoi était
parfois accompagné d'excellentes paraphrases ; malheureusement , je crains
que l'iadifférence générale ne l'ait depuis gagné aussi. Cependant le temps
presse ; et comme l'on dit quand il est à l'orage, si la moisson n'est pas ramassée
bientôt, ce sera trop tard. L'âge moderne est un rude niveleur, il sera funeste
aux mœurs locales; lorsqu'il aura tiré la Bretagne de son isolement, l'origi-
nalité de la région résistera, celle de la race aura disparu : l'ethnographie n'a
plus là de temps à perdre.
2. Ce n'est même pas certain que les bardes bretons se soient jamais servis
eux-mêmes de la telen, comme ceux de Galles. Mais avancer que le peuple ne
comprend pas le sens de telen et que ce mot n'existe plus que dans le titre {Telen
NOTES DE VOYAGE 47
vers, sans recourir au chant *. La distinction était bien établie
chez les Latins entre la langue de la prose et celle des vers :
dicere^ cancre \ le barde ne parle pas; il chante. Et c'est
toujours à l'aide d'une mélopée simple ou sur quelque
mélodie bien connue, que deux rimeurs s'accordent à faire
parade d'éloquence devant la foule. En voici une preuve,
dans les Demandes de mariage, et une autre, dans la Soupe-
au-Lait.
Les deux avocats sont en présence : celui de la jeune fille,
dans la maison nuptiale ou sur le seuil de la porte, et le
demandeur [bazvalan) , qui se présente au nom du jeune
homme. L'un et l'autre sont passés maîtres dans l'art de bien
dire en vers. Le plus souvent, ces deux improvisateurs ont
déjà mesuré, en d'autres occasions, leurs forces respectives.
Un dialogue rimé s'établit entre les deux bardes. A peine
exprimée la formule de salutations, sur un ton déclamatoire,
la dispute s'engage, soutenue par une sorte de psalmodie, qui
devient de plus en plus accentuée à mesure que se déve-
loppent ces débats poétiques; à cette mélopée succède bientôt
une mélodie, un air quelconque, mais une mélodie courante,
à laquelle les avocats ne renonceront plus jusqu'au bout de la
dispute.
Il n'en va pas autrement dans toutes les rencontres où deux
rimeurs sont amenés à cette véritable parade devant le pu-
blic. La cérémonie de la « Soupe-au-Lait », qui a gardé toute
sa vogue dans certains cantons de la Cornouaille, est particu-
Arvor) des bardits de Brizeux, c'est une exagération; il a disparu de la langue
courante, mais il est resté dans la poésie :
Ar vombard hag ann telennou.
[Gwerz de Ker-h.)
Autre chose pour barzaz, dans Barzaz-Breiz : ce terme est d'invention
réceute, et le peuple ne l'a pas encore adopté.
2. Voici le procès dés harmonisateiirs vite fait, en cinq mots : les bardes
chantent sans s'accompagner. — Je me souviens d'un vieux mendiant qui
passait, une fois ou deux la semaine, il y a bien trente ans, par ma petite ville
natale; il allait de porte en porte, en murmurant les paroles d'un gwet'z et
tournant une sorte de vielle : la dissonance était parfaite entre l'instrument
et la mélodie du chanteur.
48 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
lièrement féconde en disputes de ce genre '. Et qu'on entende
bien ce mot dispute dans son sens coutumier. Le colloque
n'est qu'au début agrémenté de compliments et de flatteries;
il finira dans une aigre discussion. La vantardise et la mo-
querie sont les armes défensives et offensives des antagonistes.
Chacun proclame son « gai savoir », ses succès poétiques, les
portes nuptiales qu'il a forcées par le seul don de la langue.
Par contre , on cherche à couvrir de ridicule son adversaire.
Les personnalités même violentes sont de bonne guerre; les
invectives ne sont pas interdites. Les moins rudes coups ne
sont pas ceux qui sont portés sur un défaut physique. La foule,
qui est sans pitié, applaudit surtout aux plus brutales attaques.
Naturellement, le style revêt, pour ainsi dire, toutes les cou-
leurs de la lutte et en reflète toutes les ardeurs. L'assistance
u'écoute pas sans quelque joie — lorsqu'elle ne souligne pas
de ses applaudissements — un propos ordurier ou une locu-
tion malpropre :
Le peuple dans les mots brave l'honnêteté,.. *
Si l'un des champions éprouve la lassitude de l'auditoire et
qu'il faiblisse sous cette influence, il se voit bientôt écrasé
dans un suprême assaut, blessé à mort par des traits rapi-
des et inattendus : qu'il hésite à la riposte, il est aussitôt
hué par ses propres partisans. Les deux camps acclament le
vainqueur, qui reçoit — quelquefois en vers — les félicita-
tions de son adversaire : car il est de rigueur que ces joutes
aient toujours une issue pacifique.
Et pourtant, constatons que toutes les manifestations de la
nfiuse populaire n'éclatent pas sur la telen ou sur la lyre.
Toutes les compositions poétiques ne sont pas pour être chan-
tées; il y en a qui se débitent comme des contes : dans ce
1. Cette « So'jpe-au-Lait », le soir des noces, est l'occasion d'un vrai spec-
tacle dans le pays où cela se passe. J'en donnerai un compte-rendu détaillé,
quand je publierai un prochain volume sur certains usages de Basse-Bretagne.
2. Dans son introduction aux « trente mélodies de Basse-Bretagne »
M. Bourgault-Ducoudray dit à peu près le contraire. Ce passage, avec quel-
ques autres qui touchent à l'ethnographie, est fort inexact.
NOTES DE VOYAGE 49
nombre, les devinailles rimées et certains fabliaux. Puisqu'il
est question de récits , une anecdote serait l'affaire mieux
qu'une dissertation; il n'est pas un érudit qui enseigne plus
sûrement qu'un maître-conteur : quel habile professeur ferait
le marvailler !
Ce fut toujours un usage en Bretagne, comme ailleurs,
d'égayer la fin d'un repas par des récitations ou des chants.
Vers 1830, les contes en vers avaient la vogue dans «la bonne
société » de Lannion. M. Renan, qui n'avait alors que sept
ans, se rappelle avoir entendu chez M. de Penguern le fabliau
de la Chèvre, en langue bretonne. Qui ne connaît cette histo-
riette, ou cette « parabole », comme s'expriment les bonnes
gens de là-bas? Elle est de tous les pays et de tous les idiomes,
dans les fables littéraires de La Fontaine et dans les chansons
populaires. Voleuse partout, la petite chèvre, mais habile au
jeu :
Elle a de l'entendement, ma bique,
Elle a de l'entendement.^
Celle de M. de Penguern est surprise, comme toutes les
autres, en flagrant délit :
.. .Me am oa eur c'hevrig hag a oa koant koant,
Hag a c'haz da lerez 'barz kole ann Normant.
J'avais une petite chèvre qui était jolie, bien jolie, — et qui s'en alla
voler dans le champ de choux à Le |Normand.
Le chef de la police (ou de la gendarmerie) — « ar seiirjant'a
— la mène en prison, puis à l'audience :
er prizon da Wengamp.
C'est à Guingamp qu'elle sera jugée. — Et l'on se demande
peut-être si Gwpngamp n'est là que pour l'assonance, ou s'il
n'y est pas pour sauver la situation d'un autre tribunal. Le
président de Lannion était M. de Penguern précisément : et
voyez plutôt si son rôle eût été digne jusqu'au bout. — Les
juges ont affaire à forte partie: « Ar chevrig a oa finn... »
4
50 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
L'inculpée ne se rend compte que d'une solution. Et de
s'élancer sur Messieurs de la Justice :
A raz eunn toi d'ar barner, eunn ail d'al lieuteunant,
Hag a blantaz he gernio 'barz revr ar prezidant.
Elle donna un coup au juge, un autre au lieutenant — et elle planta
ses cornes dans le derrière du président.
Ces deux vers, les derniers de la fable, sont fidèlement
restés dans la mémoire de M. Renan; ils sont de treize pieds.
Cela donne bien la mesure de la pièce entière, les fragments
n'étant jamais qu'un vague indice. Ce fabliau * était monorime :
Koant- Normant-seurjant- Gwengamp-lieutenant-jprezidant
*
Plus que les fabliaux et autant que les devinailles , les
Mystères et les Drames ont tenu une place importante, sinon
dans la vie commune , au moins dans les amusements du
peuple.
Les Mystères hq sont pas un genre essentiellement indigène;
la plupart sont pour ainsi dire d'importation ^ Quelques-uns
sont d'anciens Miracles , traduits du français en breton.
D'autres, comme les « Quatre fils Aymon », ont été d'abord
écrits en prose, avant d'être représentés en dialogues rimes'.
Qu'il y ait des Mystères primitivement composés en dialecte
breton-armoricain, c'est hors de doute. Ces pièces drama-
tiques, comme celles du théâtre français sont faites à'actes et
1. Pour le reconstituer je me suis vainement adressé aux vieillards, voire
à des magistrats (c'était le cas, ou jamais). M. Morand, greffier au tribunal de
Lannion, a bien voulu ra'aider de s-is propres recherches : il est de ceux qui
ont le plus appris et le mieux conservé les traditions du pays lannionnais.
Les Bretons passent pour avoir la mémoire longue ; c'est à M. Renan que
reviendrait, entre nos contemporains, « le prix de souvenir ». M. Morand avoue
qu'il n'a rien retrouvé de plus que ces fragments de là-haut sur le fabliau de
« la petite chèvre ». Ainsi passent les choses dn folk-lore, comme un rapide vol
d'années.
2. M. Louis Havet les classe dans la littérature semi-populaire {Les poésies
populaires de la Basse-Bretagne, Lorient, impr. Corfmat fils.)
3. J'ai une édition de ces >< Pevar mah Emon », où les vers s'arrêtent après
le septième prologue ; l'acte VU et dernier existe encore en' prose. Plus tard^
il a été traduit en vers.
NOTES DE VOYAGE 51
de scènes. Aucune règle ni coutume pour le nombre d'actes :
« Sainte Tryphine » en a huit' ; la « Tragédie de Jacob » en
compte cinq; autant, celle de « Moïse ». Le plus souvent,
un prologue est en tête de chaque acte, et quelquefois Ton a
recours aussi à un épilogue. Outre les actes, on observe encore
la division en journées, ainsi qu'au théâtre du moyen âge, ou
encore dans le Wallenstein de Schiller.
Le plus ancien de ces Mystères ne remonte pas au-delà du
xv" siècle. Trois seulement nous sont parvenus, de tous ceux
qui ont été écrits en breton-moyen. On ne pourrait plus les
représenter, parce que le public n'en comprendrait guère la
langue , et parce que nous ne savons pas la mélopée qui con-
vient à la mesure des vers ^.
Les Mystères actuels sont en alexandrins, de fois à autre
coupés par une prière, un cantique, un chant. On les déclame
d'un bout à l'autre, à part ces imparités syllabiques d'excep-
tion, sur une mélopée commune à tous.
Cette mélopée est une phrase à quatre membres, qui ne
s'adapte régulièrement qu'aux prologues : car tout prologue
est composé de quatrains uniformément. Ce récitatif de l'ou-
verture — pour employer une locution de métier — revient
dans le cours du drame, toutes les fois qu'on y rencontre un
quatrain; autrement, chaque vers est déclamé recto tono; ou
bien, si la phrase poétique est à deux ou trois vers, on s'appuie
sur autant de membres, détachés à volonté, de la période carrée
qui constitue la phrase musicale. Les notes, d'une valeur
égale, correspondent une par une à chaque syllabe des
alexandrins : s'il y a des erreurs commises, elles proviennent
de l'acteur, qui aura mal appris sa leçon. Parfois un acteur
éprouve le besoin de prendre un élan, kemer lins; au lieu de
déclamer recto tono (ou à peu près), il entonne alors avec feu.
Cependant, le thème musical reste au fond toujours le même.
Dans les prologues, chaque quatrain est suivi d'un mouve-
ment de marche; VdiCieur {le proloy us), au bout de sa période,
1. Traduite et publiée par M. Luzel (Imprimerie Clairet, Quimperlé.)
2, La Vie de sainte Barbe, que vient de publier M. Emile Ernault, a
des vers de 5, de 8 et de 10 syllabes, presque tous répartis en strophes.
52 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
fait quelques pas et entraîne après lui les personnages qui
prendront part à l'acte annoncé. Cela ne rappelle-t-il pas les
strophes du chœur antique?
D'un autre côté, rien ne procure aujourd'hui une idée de
ces pièces sans mise en scène, comme les drames de Shakes-
peare, que représentent des gens bizarrement accoutrés, débi-
tant un rôle ainsi qu'une leçon et les psalmodiant comme des
versets d'église, avec une tonique et sur une dominante uni-
formes. Et pour rompre la monotonie d'une telle déclamation,
rien que l'allure du vers, précipitée ou ralentie, selon l'ani-
mation ou le calme du personnage; les interlocuteurs, en
outre, ne sont pas tenus de reprendre sur un même et unique
diapason; le baryton hurlerait après un ténor, et celui-ci
n'aurait, après une basse-taille, que des soupirs étranglés et
des notes ridicules : la dominante n'est pas la même nécessai-
rement pour toutes les voix.
On se ferait encore une opinion tout à fait inexacte de ces
représentations, si l'on se figurait des personnages dans une
tenue raide et stricte, ayant l'obligation d'un débit infaillible-
ment rythmé, incapables d'une infraction aux règles musi-
cales ou aux conventions dramatiques. Fréquemment il arrive
qu'un acteur ne soit pas entièrement au courant de son rôle.
Et ce rôle peut même, ainsi que le costume, se tenir de bribes
et de morceaux; par exemple : le manteau impérial de Char-
lemagne sera quelque rideau de fenêtre, jaune ou rouge,
emprunté dans une auberge ou au presbytère; tel pair de
France portera le bicorne du suisse d'église; l'épée de Roland,
c'est celle de ce même chasse-gueux ^ Dans les Quatre Fils
Aymon^ un cheval de bois représente Boyard, le vaillant
destrier. Le pauvre acteur se débat aussi bien qu'il Tentend,
1. Ce personnage a la police du lieu saint ; il en expulse les perturbateurs
et les ivrognes ; il en chasse les chiens et les bêtes. C'est par une erreur de
consonnances qu'on a voulu prendre les gardiens de paix des églises pour
des « C/ias-dè-Dieu » [chiens- de- Dieu). Ce mot hybride' serait, au singulier,
« Zz-de-Dieu », qui n'a jamais été en usage. Chasse-gueux ne saurait être
qu'un double mot français : il est accepté, sous le sens que je viens d'affir-
mer, même en Basse-Bretagne, et en dehors des pays bretonnants, où il est
répandu, son hybirdisme n'est pas même soupçonné.
NOTES DE VOYAGE 53
mais de manière toujours à tomber sur la fin de sa période et
à fournir la réplique exactement à l'interlocuteur '. C'est une
alTaire, suivant le mot, qui se passe un peu en famille. Un per-
sonnage manque-t-il son entrée en scène, on le réclame à
hauts cris : « Oii donc a passé Roland? — Il est avec Mogis,
sous la tente du cabaretier, à prendre une chopine de cidre... »
Et Roland d'accourir. Il improvise une excuse en vers; et son
rôle une fois repris, avec une gravité hiératique, regardez
donc dans la foule recueillie qui se souvient de cet incident.
Ces intermèdes imprévus ne nuisent pas du tout à l'intérêt ni
à la marche des événements. La bienveillance de l'auditoire
est acquise d'avance; les sifflets ni les brocards ne sont guère
à craindre. Ces bons acteurs, qui ne sont autres que gens du
commun, n'ont-ils pas droit plutôt à la reconnaissance
publique, pour avoir préparé, selon leurs moyens, un diver-
tissement populaire? Et puis, les ancêtres ne venaient-ils pas
à ces mêmes réjouissances? Honneur donc au kornediancher
qui se voue au plaisir du peuple et à la sauvegarde d'une tra-
dition !
Les exigences du public seraient mal venues. C'est que les
troupes de drames n'existent pas". Il y a bien, par endroits,
1. Dans certains théâtres de provioce, où l'affiche ne reste pas la même deux
soirs de suite, il n'en va guère autrement, lorsqu'on donne une pièce récente
au répertoire. Qui ne connaît l'histoire de ce malheureux acteur, dont l'im-
prudence fut de s'être trop hâté d'apprendre à peu près son rôle ? Tandis que
ses camarades, se livrant à la fantaisie, faisaient les délices du public, il
semait la déroute, chaque fois qu'il paraissait en scène. Tous les sifflets furent
à son adresse ; et le lendemain il dut se séparer de son directeur.
2. On a représenté le mystère de Sainte Tryphine et le roi Arthur le 14 el
le 15 avril dernier au vieux théâtre de Morlaix, sous un toit qu'on allait aban-
donner. Fâcheux pronostics ! Dans ma toute petite jeunesse, j'ai assisté aux
Quatre fils Ayrnon, sur le forloc'h de Lannion , derrière une clôture de
planches, sous le grand ciel. Ainsi s'en vont pièce à pièce les vieux usages.
L'initiateur de la fête morlaisienne, M. Pierre Zaccone, a soulevé la curio-
sité publique, sans se douter peut-être qu'on irait ensuite chercher des exem-
ples et des encouragements à l'étranger, en Hongrie, dans la Forêt-Noire, dans
le Luxembourg. Est-ce l'ignorance des mœurs locales, est-ce le goût des
choses exotiques qui a fixé l'attention sur ces représentations? Elles n'auront
été pourtant qu'un simple accident dans la vie commune, pour un pays habi-
tué, comme la Basse-Bretagne, à ces manifestations populaires.
A cette occasion je ne sais plus quel journal a signalé la « troupe de
54 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
quelque komediancher de renom. Egalement on a la coutume
de représenter certains Mystères, pour des circonstances
presque déterminées, en des localités connues '. Il y a trois
ans, on jouait les Quatre fils Aymon, à Langoat, lors des fêtes
de Pâques. C'était à Lannion, voilà quelques années déjà, que
le fameux drame militaire était produit avec solennité, à
l'occasion des grandes foires de la Saint-Michel. L'estrade
était adossée au mur du cimetière; une clôture de planches
s'élevait autour du forloch\ on y pénétrait pour un réal de
cinq sous, chacun avec son tabouret ou son escabeau : la
foire aux bêtes finie, le champ du forloc'h s'emplissait,
plusieurs jours de suite, de gens accourus des quatre coins
du pays ^
J'ai connu un komediancher détalent, Kérambrun, de Pleu-
daniel. 11 était barde, par surcroît, et tisserand de profession^.
M. Luzel. » Sainte Tryphine a généralement pour interprètes des gens qui ont
été recrutés entre Plouaret et Pluzunet. Ce n'est que le simulacre d'une
troupe ; mais chacun, ayant l'habitude d'un seul rôle ou n'en ayant jamais
appris qu'un, le remplit convenablement. J'ai mentionné dans un article de
la Revue Bleue (n° du 28 avril 188S) le programme des deux journées au
vieux théâtre de Morlais.Un cordonnier figurait sainte Tryphine. Les femmes
n'ont pas trouvé place sur la scène bretonne : c'est une tradition du moyen
âge; néanmoins ces personnages n'ont pas été supprimés, comme dans les
pièces arrangées pour les petits séminaires ; leurs rôles, qui exigent quelque
délicatesse, doivent être tenus par les plus experts de la « compagnie » en l'art
de bien dire, d'ordinaire les tailleurs ou les tisserands : et c'est quelquefois d'un
effet fort drôle, surtout au point de vue du travestissement. — On dit que les
acteurs de Morlaix ont obtenu de la municipalité une indemnité de cinquante
francs pour frais de costumes. C'était inutile ou insuffisant, la couleur locale
et la vérité historique n'étant pas ici d'ime rigueur absolue : la corporation de
Pluzunet-Plouaret, demandant ce '> cachet », n'a donc pas vu qu'elle deve-
nait aussi une association à la moderne !
1. Avec les « Quatre fils Aymon », c'est « Sainte Triphine » qui tient la vogue
actuelle. Ce mystère s'appellerait mieux un miracle, d'après le moyen âge,
où remontent ces drames populaires ?
2. Emile Souvestre a décrit une de ces fêtes populaires. Elle eut lieu à Lan-
nion. Lui n'y avait pas assisté. L'éditeur Lédan, de Morlaix, qui était allé au
forlock, fut émerveillé de la tragédie et il en fit à son retour un compte-renda
devant Souvestre. L'auteur des « Derniers Bretons », cédant à une manie de
tout dramatiser, a brodé là-dessus une histoire fort inexacte.
3. Voy. ci-dessus, p. 6. — Ce surnom de komediancher (comédien) me rappelle
la réflexion de Marie sur le poème de Brizeux. Pour le peuple des champs,
même celui qui a gardé le plus fidèlement le culte des lettres nationale?, les
NOTES DE VOYAGE S5
C'était bien un jongleur, comme on n'en retrouvera plus.
S'il est encore de ce monde, il a bien quatre-vingts ans. Inca-
pable de tout travail dans sa caducité, il est devenu un « pauvre
de la paroisse », et il est nourri de ferme en ferme. Il a vu,
dans le Goëlo et dans le Tréguier, les beaux jours des Mystères
bretons. C'est un parfait illettré; il a pris part à une dizaine
de Drames, et il en a retenu des milliers de vers. Pendant
qu'il était penché sur son métier, poussant la navette, le
sacristain ou le maître d'école venait et lisait devant lui son
rôle, qu'il avait retenu à la suite de cette simple lecture. Sa
mémoire était prodigieuse. Il passait l'après-midi du dimanche
à déclamer, devant ses amis d'auberge, des actes entiers de
n'importe quel drame où il avait figuré. On raconte qu'il eut
maille à partir avec les autorités ecclésiastiques de son endroit,
pour avoir donné seul une représentation, à la porte du cime-
tière, le jour d'une grande fête carillonnée. A l'issue de la
grand'messe, il monta sur la borne où le garde-champêtre fait
ses publications, et il invita la foule à écouter l'aventure des
Pevar mab Emon. Jusqu'à la nuit avancée, il tint la place
indistinctement de tous les personnages, devant une assis-
tance ravie d'un tel événement. Les gendarmes de Lézar-
drieux durent mettre fin à ce spectacle en plein vent. Le
pauvre Kérambrun était inoffensif. Il avait gardé jusqu'à
l'extrême vieillesse la verve et l'entrain des jeunes années.
Insoucieux comme un chanteur, il aura mené pourtant une
vie de tourmente. Avec lui disparaît un authentique représen-
tant des races néo-celtiques. Le komediancher sera remplacé;
mais nul héritier ne recueillera l'esprit du vieux barde.
Après avoir été l'objet de toutes les rigueurs civiles et reli-
gieuses, sur la fin du xvni*' siècle, les Mystères et les Drames
bretons ont été relevés du discrédit par Le Gonidec et M. de
La Villemarqué. Il n'y a pas lieu de revenir ici sur la renais-
sance littéraire que ces deux celtisants ont provoquée en
arts de l'esprit ne sont qu'un divertissement et une matière à rire; ce n'est
pas que la comédie l'attire plutôt qu'une action tragique : dans n'importe quel
Mystère breton tout acteur est un komediancher.
S6 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Bretagne, il y a cinquante ans; elle aboutit de nos jours à
d'éclatantes et sérieuses manifestations, comme la tentative
dramatique de Morlaix. L'étude de l'histoire locale et des
littératures populaires a trop à gagner dans ces bons efforts,
pour que le public ne les suive pas avec le plus vif intérêt.
II
GWERZ ET SONN
GWERZ ET SONN
AR VINOREZ ♦
Me oa eur bugel iaouank flam
Pa varwaz ma zad ha ma mamm ;
Pa varwaz ma mammig ha ma zad,
Me oa losket da glask ma mad,
Me oa losket da glask ma boed :
Kap d'hen c'honit me na oann ket.
Ha me 'vonet 'harz ann hent don,
0 rankontr daou den a feson
0 rankontr daou den a feson,
'Rankontr eunn otro hag eunn itron;
1. Mol à mot « La mineure ».
L'ORPHELINE
« J'étais une enfant toute jeune; — quand moururent mon père et
ma mère;
Quand moururent ma pauvre mère et mon père, — je fus mise
dehors à chercher ma bonne fortune;
Je fus mise dehors à chercher mon pain : — pour capable de le
gagner, je ne l'étais pas.
Et moi de m'en aller dans le chemin creux, — de rencontrer deux
personnes de (bonnes) façons;
De rencontrer deux personnes de (bonnes) façons, — (de) ren-
contrer un monsieur et une dame;
60 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
'Vond ann otro 'laret d'ann itron :
— Cheteu aze eur plac'h a feson,
Cheteu aze eur plac'hik koant
Ma dije bet akourtamant;
Diasomp 'n-ehi gan-imp d'hon zi
Eunn de bannak d'hon jervijin, —
Seiz la war-n-ugent oan d'ari
Pa deuaz c'hoant d'in da dimin ;
'Vont ma mestr braz 'laret d' am mestrez
— Poent e dimin ar vinorez.
— Na vo ket dimet ar vinorez
Ken vo bet pardon ar Garnez * ;
Rei d'ehi oblans ar Fantanio
Kaeran oblans a zo er vro. —
1. Karnez pour Karmez, peut-être, « Carmel ».
(De) se mettre le monsieur à dire à la dame : — « Voilà une fille
de façon ;
« Voilà une petite fille charmante, — si elle avait eu un accoutre-
ment (convenable) ;
« Emmenons-la avec nous dans notre maison , — un jour quel-
conque pour nous servir. »
J'arrivais à (l'âge de) vingt sept ans, — lorsque me vint l'envie de
me marier.
(De) s'en aller mon maître grand dire à ma maîtresse : — « Il est
temps de marier l'orpheline.
— L'orpheline ne sera pas mariée, — jusqu'à ce qu'ait eu lieu le
pardon du Carmel,
11 faudra lui donner la noblesse (le manoir) du Fantanio, — la
plus belle noblesse qui soit dans le pays. »
GWERZ ET SONN 61
Ho-man c'hez gant-hi d'ar pardon
Dre ma oa eur plac'h a feson ;
Pe oa 'vonet 'barz ar c'hoat braz
0 tond c'hoant kousket d'he meslrez vraz ;
Hag int oc'h azein war eur c'hlazen,
'Tapout he fenn war he barlenn :
— Ha 'tond eunn dra da laret d'in :
Lac'h da vestrez ha send ou-in...
Demeuz ann dra-ze 'm euz sentet,
Ma dorn em godell 'm euz Iaket;
Na pa 'm euz ma c'hontell tennet
Seiz toi kontell d'ehi 'm euz roet.
P'em a lazet ma mestrez vraz,
Na ouienn pelec'h hen (hi) lakat ;
Ha me 'vont gant-hi d'ar Poulie,
0 koach an-ehi 'mesk ann delio,
Celle-ci (l'orpheline) alla avec elle (sa maîtresse) au pardon, —
parce qu'elle était une fille de façon.
Comme elle entrait dans le grand bois, — de venir une envie de
dormir à sa maîtresse grande ;
Et elles de s'asseoir sur la verdure, — (la servante) de prendre la
tête de sa maîtresse dans son giron :
« Et de venir une chose (voix) me dire : — « Tue ta maîtresse et
obéis-moi. »
A cette voix-là j'ai obéij — j'ai mis ma main dans ma poche.
Et, lorsque j'eus mon couteau tiré, — je lui ai donné, à elle, sept
coups de couteau.
Quand j'eus tué ma maîtresse grande, — je ne savais où la mettre ;
Et moi (d') aller avec elle au PouUo, — de la cacher entre les
feuilles.
62 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
0 koach an-ehi 'vesk ann delio,
Mes he boto hag he loero
Mes he boto hag he loero,
Ar 'zeo 'm a lest na dizoulou. —
Ho-man c'hez are d'ar pardon ;
Doue ouie hec^h entansion.
P'e oa 'vonet 'barz ann hent braz
Hag hi oc'h ankontr he mestr braz :
— Palec'h c'hez-te 'ta, minorez?
Palec'h e manet da veslrez?
— Ma mestrez vraz a zo lazet
'Barz ar c'hoat braz gand ar forbaned
'Barz ar c'hoat braz gand ar forbaned ;
Me vije ie, mes 'm euz redet.
— Ma vijec'h bet fidel d'ez-hi,
G'houi vije lazet kenkouls ha c'hi.
De la cacher entre les feuilles, — hormis sa chaussure et ses bas,
Hormis sa chaussure et ses bas : — ces choses-là, je les avais
laissées à découvert ».
Celle-ci retourna au pardon : — Dieu savait son intention (à elle).
Lorsqu'elle en était à prendre le grand chemin, — et elle de ren-
contrer son maître grand :
« Où vas-tu donc, orpheline? — Où est demeurée ta maîtresse?
— Ma maîtresse grande a été tuée — dans le grand bois par les
forbans.
Dans le grand bois par les forbans ; — je l'aurais été aussi, mais
j'ai couru.
— Si vous lui aviez été fidèle, — vous auriez été tuée aussi bien
qu'elle.
GWERZ ET SONN 63
— Tewed, ma mestr, na oeled ket :
Me a vo d'ac'h evel bepred,
Me a vo d'ac'h evel bepred ;
Kousket gan-ac'h,ho! na rin ket. —
Na'barz ann eiz de a goude
'Sevel propojo etre-he
'Sevel propojo etre-he
Da dimin ho daou asamblez.
Pa oaint dimet hag enreujet
Ha prest da vonet da gousket,
'C'h antren eur c'horf maro en ti
Ha seiz toi kontell en en-hi,
Ha seiz toi kontell en en-hi,
Eur pilad koar * deuz peb gouli :
1. Une autre version dit: goad (sang), pour Aoar (cire) , eur pilad goad, au
lieu de eur pilad ou pikol koar. Ce serait alors un caillot de sang à chaque
plaie. Ces altérations par assonance sont fréquentes dans la poésie populaire.
— Taisez-vous, mon maître, ne pleurez pas : — je serai à vous
comme toujours,
Je serai à vous comme toujours ; — coucher avec vous, ho ! je ne
le ferai pas. »
Et dans les huit jours après — (de) s'élever des propos entre eux,
(De) s'élever des propos entre eux, — pour se marier tous les deux
ensemble.
Lorsqu'ils furent mariés et (qu'ils eurent) fait les noces — et (qu'ils
furent) prêts à aller se coucher,
D'entrer un cadavre dans la maison, — et sept coups de couteau
sur le corps,
Et sept coups de couteau sur le corps, — une pile de cire (ou un
caillot de sang) à chaque plaie :
64 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
— Pelec'h c'hez-te' ta, minorez?
Te at euz lazet da vestrez;
Te at euz lazet da vestrez vraz,
Evel eur forban deuz ar c'hoat.
— Na ma ouifenn a kement-ze,
Me rae d'id evel ive.
— Tewed, ma fried, na red ket ze :
Doue he feo goude.
Chanté par Le Guluche, couvreur, de la Roche-Derrien.
— Où vas-tu donc, orpheline? — C'est toi qui as tué ta maîtresse,
C'est toi qui as tué ta maîtresse grande, — comme un forban du
bois.
— Si je savais que tout cela fût vrai, — je te ferais de même aussi.
— Taisez-vous, mon mari, ne faites pas cela : — Dieu la payera
plus tard. »
Voilà un gwerz breton, dans la parfaite acception du mot,
une complainte populaire en son plein développement. Toute
la machine poétique a été mise en œuvre : il y a l'aventure et
l'heureuse rencontre, le drame et le crime, l'apparition et
l'expiation.
La mélodie de cette chanson a quelque chose de la simplicité
des mélopées. Lente et douce, elle ne semble servir qu'à
soutenir le récitatif, comme la psalmodie à développer un
psaume. Les deux membres de cette phrase musicale ne
diffèrent entre eux qu'à la note finale^ chacune surmontée
également d'un point-d' orgue . La première fois que j'ai
entendu cet air, c'était sur une vieille route de Bretagne, le
soir : je n'ai pas oublié depuis l'étrange effet de mélancolie qui
se dégageait de ces deux points-d'orgue, longs et tristes, par
GWERZ ET SONN 65
ce chemin couvert, comme un appel de gens en détresse. Je
ne saurais affirmer que cette mélodie ait été composée primi-
tivement pour les paroles mêmes que j'ai recueillies en Bre-
tagne et que je viens de transcrire. Qui donc est dans le secret
de telles origines? Mais on ne niera pas que cet air ne con-
vienne à sa chanson.
LÉZOBRÉ
Entre ce gwerz, qui m'a été chanté par une mendiante de
Rospez, et la troisième des versions de Le^- Aubrays, recueillie
par M. Luzel, il n'existe que des nuances. Toutefois, le chan-
teur des Giverziou raconte deux voyages du héros à Sainte-
Anne, tandis que ma chanteuse n'a eu souvenir que d'un seul.
Je crois inutile de rééditer un texte déjà arrêté, et je renvoie
aux Giverziou Breiz-Izel pour le breton; voici la traduction
en français.
— « Entre Koat-ar-Skinn et Les Aubrays — est arrêtée une
armée {bis) ;
Est arrêté un combat : — que Dieu leur donne un bon combat !
Que Dieu leur donne un bon combat! — et dans la maison, à leurs
parents , de bonnes nouvelles ! »
I
Le seigneur de Les Aubrays disait — à son petit page, un jour
fut:
— Selle-moi vite ma haquenée blanche, — mets-lui sa bride
d'argent en tête;
Mets-lui sa bride d'argent en tête — et son collier d'or au cou,
Et apprètez-aussi votre cheval rouan, — que nous allions à Sainte-
Anne en Vannes. —
66 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Le seigneur de Les Aubrays disait, — en arrivant à Sainte-Anne :
— J'ai assisté à dix-huit combats, — et les dix-huit je (les) ai
gagnés;
Et les dix-huit je (les) ai gagnés — par votre grâce, Sainte-Anne
de Vannes;
Faites-moi que je gagne le dix-neuvième, — et je serai couronné
au leaudet.
Et je vous achèterai une ceinture de cire, — qui fera le tour de
toutes vos terres.
Le tour de votre église et du cimetière — et de toute votre terre
bénite :
Je vous achèterai une bannière rouge, — qui sera dorée des deux
côtés. —
II
Le seigneur de Koat-ar-Skinn disait — à son petit page, ce jour-là
même :
— Je vois venir un âne — monté sur une haquenée blanche. —
Le seigneur de Les Aubrays dit — à Koat-ar-Skinn, dès qu'il
l'entendit :
— Si je suis moi-même un âne, certainement, — je ne suis pas un
âne de nature.
Je ne suis pas âne de nature; — on dit que mon père était un
homme sage.
Si tu n'as pas connu mon père, — je te ferai connaître son
fils. — .
Alors ils sont allés combattre; — le seigneur de Les Aubrays a
gagné.
Le seigneur de Koat-ar-Skinn disait — à Les Aubrays, lorsque
celui-ci gagnait :
GWERZ ET SONN 67
— Au nomde Dieu ! Les Aubrays, — au nom de Dieu !. donne-
moi quartier.
— Je ne te donnerai pas de quartier: — car tu ne m'en aurais
pas donné.
— Au nom de mon Dieu! Les Aubrays, — laisse-moi la vie.
— Je ne te laisserai pas la vie : — tu ne me l'aurais pas laissée.
— Au nom de Dieu! Les Aubrays, — prends la charge de mes
enfants.
— Je ne prendrai pas la charge de tes enfants; — (mais) je .'es
laisserai s'en aller en liberté. —
Il n'avait pas achevé ces mots, — que Koat-ar-Skinn était tué de sa
main.
III
Des nouvelles furent envoyées au roi, — pour lui annoncer que
Koat-ar-Skinn avait été tué.
Et le roi' du pays de France disait — à son petit page, un jour
qu'il fut :
— Petit page, petit page, mon page petit, — tu es diligent et
vif;
Va dire à Les Aubrays --- qu'il vienne combattre contre mon More
à moi. —
Le petit page disait, -= lorsqu'il arrivait à Lannion :
— Bonjour à vous et joie' à tous dans cette ville. — Le seigneur de
Les Aubrays, où est-il? —
Le seigneur de Les Aubrays, dès qu'il eut entendu cela, — a mis
la tète à sa fenêtre ,
11 a mis la tète à sa fenêtre, — et il a salué le page du roi.
— Bonjour à vous, seigneur de Les Aubrays. — Et à vous aussi,
page du roi.
68 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Et à vous aussi, page du roi. — Qu'est-il arrivé de nouveau ?
— Il vous est dit (commandé) à vous, Les Aubrays, — de venir
combattre contre le More du roi.
— Au nom de Dieu! petit page du roi, — apprends -moi le secret de
ce More -là :
Et je te donnerai un bouquet, — dans le milieu duquel il y aura
quatre mille écus.
— Je vous dirai son secret : — mais ne le révélez jamais à per-
sonne.
Lorsque s'ouvrira ce combat-là, — jetez vite vos habits sur les
siens ;
Et jetez-lui de l'eau bénite, — dès qu'il aura dégainé.
Alors il fera un bond en l'air : — placez votre épée pour le rece-
voir ;
Aimez-mieux perdre votre épée, — Les Aubrays, que perdre
votre vie. —
Le seigneur de Les Aubrays, lorsqu'il eut entendu cela, — a mis
la main dans sa poshe ;
Il a donné au page un bouquet, — dans le milieu duquel il y avait
quatre mille écus.
IV
Le seigneur de Les Aubrays disait, — lorsqu'il arrivait dans le
palais du roi :
— Bonjour à vous, sire, et même roi. — Qu'avez-vous donc de
nouveau ?
— Il l'a été dit, Les Aubrays, — que tu viennes combattre contre
mon More à moi.
Tu as tué Koat-ar-Skinn, — qui était un de mes plus grands
amis.
GWERZ ET SONN 69
Mais si tu as tué Koat-ar-Skinn, — mon More à moi, tu ne le
tueras pas. —
Lorsqu'il entra dans la grande salle contre lui, — de lui jeter de
l'eau bénite ;
Quand le More jette ses habits à terre, — Les Aubrays jette les
siens par-dessus ;
Quand le More fait un bond en l'air^ — il place son épée de
manière à le recevoir.
— Au nom de mon Dieu ! Les Aubrays, — retire vers toi ton
épée.
— Je ne retirerai pas vers moi mon épée : — tu n'aurais pas
retiré la tienne, toi.
— Au nom de mon Dieu ! Les Aubrays, — laisse-moi la vie.
— Je ne te laisserai pas la vie: — tu ne me l'aurais pas laissée à moi. —
Il n'a pas achevé ces mots, — que le More noir est tué —
Le More noir est tué, — et Les Aubrays est sorti.
Il a rencontré le petit page du roi ; — il lui a donné un second
bouquet ;
Il lui a donné un second bouquet, — dans le milieu duquel il y
avait quatre mille écus.
Le roi alors disait — à Les Aubrays, lorsqu'il sortait :
— Mon Dieu ! serait-ce possible — que tu aies tué mon More à
moi?
— Oui, j'ai tué votre More, — et je vous tuerai aussi, si vous
voulez.
— Au nom de Dieu ! Les Aubrays, — laisse- moi la vie,
Et reste dans mon palais avec moi : — je te ferai roi après moi.
— Je ne resterai pas avec vous dans votre palais : — car ma pau-
vre petite mère est veuve ;
Car ma pauvre petite mère est veuve: — et elle aurait à mon
sujet du chagrin. —
70 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Le seigneur de Les Aubrays disait — dans la ville de Lannion,
lorsqu'il entrait :
— J'ai été à vingt combats, — et j'ai gagné les vingt :
Par votre grâce, sainte Anne de Vannes, — je serai couronné au
leaudet ;
Je serai couronné dans l'église, — et (pourtant) je n'ai pas encore
vingt ans révolus.
Cette chanson est de celles qui ont mis en feu, sur des ques--
lions d'authenticité, les bretonnants et les celtisles. C'est au
moins inutile et surtout inopportun de rallumer cette querelle,
au sujet de Lez-Breiz (voy. le Barzaz-Breiz) et Les Aubrays
(voy. les Gwerziou Breiz-Izel).
Lézobré est un de nos plus anciens gwerz. Un esprit tourné
aux interprétations historiques devait être séduit par cette
complainte, dont le caractère d'antiquité est incontestable.
Mais une chanson qui a vécu deux ou trois siècles dans la
seule tradition orale^ est près de son terme : et combien peu
obtiennent cette durée ! Le peuple, qui ne s'intéresse pas
éternellement aux mêmes choses, ne saurait avoir la mémoire
si longue.
Duguesclin est un nom que les Bretons prononcent avec
quelque fierté. Bertrand Duguesclin fut seigneur de la Roche-
Derrien; j'ai vainement cherché par tout le pays une trace de
son brillant mais lointain passage, un souvenir du héros dans
un chant. Et plus près de nous, la duchesse Anne : il ne
subsiste pas un fragment de gwerzy il n'est pas le moindre
sonn sur Anne de Bretagne. Duguesclin et la reine Anne,
voilà deux noms vraiment historiques et totalement effacés de
la tradition populaire.
On sait que les renommées transmises par l'histoire écrite,
ne sont pas celles que consacre le peuple; celui-ci choisit ses
noms à lui, et il leur est fidèle, tant qu'il en garde le sens.
GW'ERZ ET SONN 71
A.insi, noire époque contemporaine, si différente déjà du
siècle dernier, sera-t-elle fatale à plus d'un souvenir qui
remonte un peu avant vers un passé disparu.
L'air de Lézobré peut passer pour rebelle à une mesure
rigoureuse. C'est un récitatif, plutôt qu'une mélodie; le
chanteur accélère ou ralentit la narration psalmodiée des
événements, à son gré, suivant sa propre émotion. Pour se
faire une idée assez exacte de ces mélodies primitives, simples,
presque des mélopées, qu'on imagine une fileuse à son rouet :
elle chante, parce qu'elle est seule; elle n'a pas même à
suivre le cours de sa pensée; la complainte lui revient à
l'esprit sans efforts, tout comme ce fil sort do la quenouille;
par moments, penchée sur la bobine, elle interrompt le chant,
ou elle prolonge la note, jusqu'à ce que le travail soit redressé ;
puis elle reprend, de sa voix traînante et douce, le récit de
l'héroïque ou triste aventure.
N'est-ce pas qu'il faudrait toute autre chose que du talent
pour soumettre de telles mélodies à une harmonisation?
AR ROUE GRALON
Petra zo neve e ker Is,
M'ar d'e ken drant ar iaouankiz,
Ha m'ar klevan ar biniou,
Ar vombard hag ann telennou?
Qu'y a-t-il de nouveau dans la ville d'Is, — si la jeunesse est tel-
lement joyeuse, — et si j'entends le biniou, — la bombarde et les
harpes?
On connaît la légende de Ker-Is, cette ville punie et sub-
mergée pour les fautes de Dahut ou Ahès, fille du roi Gradlon ;
elle est populaire dans toute la Bretagne. C'est même une
légende universelle : h ne serait dans ce sens qu'une cité
mythique.
La version du Barzaz-Breiz, « Livaden Geris », je ne l'ai
entendue nulle part : elle est fort belle. Celle dont je transcris
72 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
le premier couplet seulement, est chantée au fond de la Cor-
nouaille aussi bien que dans le pays trécorrois. On attribue
ce gwerz à Ollivier Souveslre, qui l'a intercallé dans une nou-
velle, « le Kloarek breton ».
Si tel est vraiment le cas, voilà un exemple de ces chansons
qui entrent vite dans le domaine public. C'est un barde habile
qui a composé celle-ci; elle est tout à fait dans le goût du
peuple, et, ce qui a été loin de nuire à sa vogue, le sujet
en était d'avance comme un thème populaire. Partout il y a
une ville d'Is; on en montre du moins partout les lointaines
ruines sous les flots : à leaudet, à Leo-Drez (la Lieue-de-
Grève) en Plestin, aussi bien que dans la baie de Douarnenez.
Cette complainte est imprimée sur des feuilles volantes; les
bardes-mendiants la colportent et la vendent sur les places
de marché. C'est un des gwerz les plus aimés de la foule; le
chanteur qui « ne fait pas ses frais », n'a qu'à tirer de son bis-
sac en toile Ar Boue Gralon; et il n'aura pas fini le premier
couplet, que l'auditoire sera déjà compact et attentif.
Lorsque la question des mélodies populaires aura été l'objet
de sérieuses études au double point de vue musical et scienti-
fique, il sera possible et surtout utile d'en instituer pour ainsi
dire la paléographie. J'ai noté deux airs du « roi Gradlon » :
il ne faut pas être un bien vieux clerc, pour reconnaître l'an-
tériorité de la première version. Cette mélodie est d'une allure
lente, grave et un peu triste. Et comme les théories modernes
sont en déroule dans ces chants du peuple! Les couplets de
« Ar Roue Gralon » sont des quatrains : le premier vers se
chante à quatre temps; les deux suivants à trois-quatre, suivi
d'une mesure à deux-quatre pour retomber à quatre temps,
sur le quatrième vers exactement avec le même membre de
phrase mélodique qu'au premier vers du quatrain.
L'air de Ker-ls est si répandu, qu'il a eu la bonne (peut-être
la mauvaise) fortune de se prêter à des sujets divers, profanes
et religie»;x.
GWERZ ET SONN 73
AR G'HONT A WETO
Pa oa ar C'hont iaouang o vond deuz ann arme,
Klevaz eur verjeren o kana er mené (bis) :
— Lared d'in, berjeren, da biou ec'h eo ar son
A ganec'h brema-zonn?
— Tewed, em-ehi ', otro, na n'en em jened ket,
Na n'e ket d'ac'h ar sonn a ganenn brema-zonn;
Na' n'e d'ann dimezel deuz ar ger a Weto
Lerer zo dispaket eunn daou pe dri de zo,
1. Ehi, en une syllabe, comme dans le contracté et.
2. La négation na, en poésie, est souvent prise dans l'acceptioa de ha (et).
C'est ici le cas, pour la locution na n'e, négative d'ordinaire; elle exprime un
sens alËrmatif, bien qu'elle vienne après 7ia ne ket (au vers précédent), dont
l'expression est toujours négative. Cette fois ces deux locu tions sont en contraste.
Na n'e ket (ce n'est pas), c'est la négation tout entière; na n'e (ce n'est),
c'est la locution écourlée. De même, en français : N'avez-vous pas, avez-vous
pas? Mais le rapport est renversé : l'ellipse se fait, on le voit, suivant l'idiome,
à la fin ou au commencement de la locution.
LE COMTE DE WÉTO '
Quand le jeune comte était à revenir de l'armée, — il entendit une
bergère qui chantait sur la montagne (bïs) : — « Dites-moi, bergère,
pour (à l'adresse de) qui est la chanson — que vous chantiez tout à
rheure?
— Taisez-vous , dit-elle , seigneur (monsieur) , et n'en ayez pas
souci , — ce n'est pas pour vous la chanson que je chantais tout à
l'heure; — mais c'est sur (sur le compte de) la demoiselle de la ville
de Wéto — qu'on dit être accouchée, il y a dans les deux ou trois
jours,
1. Ce gwerz est fort répandu. On l'intitule diversement ; « Le Comte de Poitou »
est un de ces nombreux litres. J'aime mieux renoncer à tout commentaire et
rétablir dans la traduction simplement le mot breton Wéto (peut-être Gwéto,
devenant Weto en breton, suivant la règle des mutations) ; d'ailleurs, « la ville
de Poitou » — 3» vers du 2^ couplet — ce serait au moins inexact, géogra-
phiquement.
74 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Lerer zo dispaket eunn daou de zo pe dri :
Ari ar c'hont en ker evid he c'heureuji. —
'Nn hini goz a 1ère en kampr he merc'h henan :
— Otro Doue! ma merc'h, para vo groet breman?
Otro Doue! ma merc'h^ para a vezo groet?
Ari ar c'hont en ker ma veed eureujet.
— Daled eta, ma mamm, daled ma alc'houeio
Hag ed-tu d'am c'hampr wenn da wit braoario;
Ha diesed gan-ac'h eunn abid inkarnal
Hag eunn abid satinn da lakàt war he var;
Ha diesed gan-ac'h ma dantelez arc'hant
Evit lakât d'am c'hoar a zo eur plac'hik koant :
Prezanted hi d'ar c'hont, pa antreo er gampr
Pa antreo er gampr.
— Salud d'ac'h, dimezel, dimezel a liou goant,
Gand hoc'h abid inkarnal, ho tantelez arc'hant.
Mes ann-obsant miz ' oc'h n'a ken koantik stipet,
N'e ket c'houi ann hini a oa d'in-me dimezet;
Qu'on dit être accouchée, il y a dans les deux jours ou trois. —
Le comte est arrivé dans la ville pour la marier. »
La vieille (femme) disait dans sa chambre à sa fille aînée : —
«Seigneur Dieu! ma fille, que fera-t-on maintenant? — Seigneur
Dieu! ma fille, que fera-t-on? — Le comte est arrivé dans la ville,
pour que vous (lui) soyez mariée.
— Tenez donc, ma mère, tenez mes clefs, — et allez dans la
chambre blanche prendre de beaux atours; — et apportez avec vous
un vêtement écarlate, — et un vêtement de satin à mettre dessus,
Et apportez avec vous ma dentelle d'argent, — pour (les) mettre à
ma sœur qui est une jeune fille charmante : — présentez-la au comte,
quand il entrera dans la chambre, — quand il entrera dans la chambre.
— « Salut à vous, demoiselle, demoiselle au teint charmant, —
(charmante) avec votre vêtement écarlate, votre dentelle d'argent. —
Mais quoique vous soyez belle ainsi et parée si gentiment, — ce n'est
pas vous celle qui m'avait été fiancée;
1. Obscur. Évidemment, le mot nonobstant est entré dans ce texte, absolu-
GWERZ Eï SONN 73
N'e ket c'houi ann hini a oa d'in-me dimezel,
N'en e ho c'hoar henan : pelec'h ec'h eo hi et?
En beo pe en maro me renko hen c'havet
Me renko hen c'havet. —
'Nn hini goz a lere en kampr he merc'h henan :
— Otro Doue! ma merc'h, para vo groet breman?
Otro Doue! ma merc'h, penoz a vezo groet?
Ari ho c'hoar e ger gand ar c'hont refuzet,
Ari ho c'hoar e ger gand ar c'hont refuzet
Gand ar c'hont refuzet.
— Daled eta; ma maman, daled ma alc'houeio,
Hag ed-tu d'am c'hampr wenn da \vit braoario,
Hag ed-tu d'am c'hampr wenn da wit braoario
Da wit braoario ;
Ce n'est pas vous celle qui m'avait été fiancée, — et c'est votre
sœur aînée ; où est-elle allée? — Vivante ou morte il me faudra la
trouver — il me faudra la trouver. »
La vieille (femme) disait dans la chambre de sa fille aînée : —
« Seigneur Dieu ! ma fille, que fera-t-on maintenant?
Seigneur Dieu ! ma fille, comment fera-t-on? — Votre sœur est
arrivée à la maison , par le comte refusée, — votre sœur est arrivée
à la maison, refusée par le comte, — par le comte refusée.
— Tenez donc, ma mère, tenez mes clefs, — et allez dans ma
chambre blanche prendre de beaux atours , — et allez dans ma
chambre blanche prendre de beaux atours — prendre de beaux atours;
ment intraduisible poyir le clianteur Kérambrun. Le vocabulaire français du
vieux tisserand était restreint au possible : « Oui; non ; Monsieur. » c'était tout
ce qu'avait i'elètlti l'octogéuaire, qui n'avait jamais fait un pas hors de Basse-
âretagbej J'di pourtant soumis à Kérambrun la traduction de ce passage ; il
ta'à répondu : » C'est toujours ainsi que j'ai compris. » Je m'en tiens à son
76 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Ha diesed gan-ac'h eunn abid inkarnal
Hag eunn abid satinn da lakât war he var;
Ha diesed gan-ac'h ma senturen geran,
'Wit ma vin mistr ha moan da vonet dira-z-han ;
Ha diesed gan- ac'h na ma c'hoef-noz ive :
Rak me a oar ervad a gollin ma bue.
— Salud d'ac'h, dimezel, dimezel a liou bal,
Gand ho tantelez arc'hant, hoc'h abid inkarnal :
Dindan ann treo ker-ze c'houi a doug ar glac'har
C'houi a doug ar glac'har;
Ma spered a lar d'in, p'ho kwelan o kerzet,
Ac'h euz ganet eur mab pe eur verc'h bannaket.
— Ha pa venn dispennet evel amann rouzet,
Biskoaz na merc'h na mab, otro, n'am euz ganet.
Et apportez avec vous un vêtement écarlate, — et un vêtement de
satin à mettre dessus; — et apportez avec vous ma ceinture la plus
belle, — pour que je sois souple (légère) et mince à aller (paraître)
devant lui ;
Et apportez avec vous ma coëffe-de-nuit ' aussi : — car je sais bien
que je perdrai la vie. »
— « Salut à vous, demoiselle, demoiselle au teint pâle, — (char-
mante) avec votre dentelle d'argent, votre vêtement écarlate : — sous
ces belles choses-là vous portez la douleur, — vous portez la douleur.
Mon esprit* me dit, quand je vous vois marcher, — que vous
avez enfanté un fils ou une fille quelconque. — Et quand même je
serais défaite (décapitée) comme du beurre roussi (fondu), — jamais
ni fille, ni fils, monsieur, je n'ai enfanté.
1. Ce passage est elliptique. La coëffe-de-nuit devra servir à un double
usage; l'ensevelisseuse en aura besoin, après la mariée : c'est la coëffure de
sa nuit de noces, que la morte aura dans le cercueil.
2. Spered est le même mot que spirilus ou espi'it ; c'est l'intelligence natu-
relle, avec des attributs divers : chez les illettrés, ce don de nature ne va pas
sans quelques aptitudes divinatoires; il implique, pour des gens qui se livrent
à l'étude, une large ouverture d'esprit, une intelligence prête à toute culture.
GWERZ ET SONN 77
— Alo! ma sonerien, soned d'imp eur son c'he,
Ma welin ann demarch deuzar feumeulen-ze. —
Hag hen laket he dorn neuze war hi feutrin,
Ken a deuaz al lez deuz he robenn satinn.
— Alo ! ma sonerien, soned breman kanvo :
Cheteu intanv dija ar c'hont euz a Weto ;
D'ann oad a driouac'h via ma mestrez a varvo
Ma mestrez a varvo.
Gall e rez bea laret oa me a oa he dad :
Na n'on ket eur friponn n'hag eur c'hokinn bennak.
Ha levered d'he mamm c'hastan donet aman :
War-benn ma vo ari vo he goad o ienan. —
Chanté par Louis Kérambrun, tisserand, de Pieudaniel (Côles-du-Nord).
— Allons! mes sonneurs, sonnez-nous un air joyeux, — aQn que
je voie la démarche de cette femme-là. » — Et lui de mettre sa main
alors sur sa poitrine, — (si fort) que le lait jaillit de sa robe de satin.
«Allons! mes sonneurs, sonnez maintenant le deuil! — Voici
qu'est veuf déjà le comte de Wéto; — à l'âge de dix-huit ans ma
maîtresse (ou fiancée) mourra, — ma maîtresse mourra.
Tu pouvais avoir dit que c'était moi son père : — et je ne suis pas
un fripon ni un coquin quelconque. — Et dites à sa mère qu'elle se
hâte de venir ici : — quand elle sera arrivée, son sang (à sa fille)
sera à se refroidir. »
Dans les histoires d'amour le dénouement tragique est fré-
quent; beaucoup finissent devant la cour d'assises : ce qui
n'empêche pas le merveilleux d'intervenir au milieu des plus
brutales réalités. Un gwerz "de ce genre, qui fit du bruit aux
environs de Lannion, c'est « lannig ar Gall »; je le crois ori-
ginaire du pays lannionnais, où personne ne le chante à pré-
sent; on ne le connaît plus par là, et si j'ai pu en retrouver
quelques couplets, c'est à quinze lieues de la contrée natale,
près de Maël-Carhaix, dans la Cornouaille.
78 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
« A?' c'hont aWeto » remonterait plus haut que notre époque
d'assises et de jurés. Il en est encore aux coutumes locales.
C'est moins un mari (un fiancé plutôt) abusé, qu'un seigneur
exerçant sur ses terres ou dans sa ville un droit particulier de
justice (voy. Liskildri, p. 79). Ce droit de vie ou de mort n'est
même pas contesté par la victime.
Mais il faut nous en tenir à cette seule observation; toute
assertion reposerait sur une hypothèse. Rien de plus facile,
j'imagine, que de bâtir sur des conjectures ; mais rien de moins
simple à saisir qu'une vérité historique ainsi enveloppée.
A voir les irrégularités de forme de cette complainte, on se
rend compte aussitôt qu'elle offre au chanteur plus d'un em-
barras. Elle contient des couplets de quatre vers, et trois qui
sont des distiques. Les quatrains, en outre, ne sont pas tous
uniformes : les uns, composés de quatre alexandrins; d'autres,
où le quatrième vers est de six pieds. A ces mesures diverses
est adaptée pourtant la même phrase musicale'.
Nous constatons que les deux premiers membres de phrase
sont le fond du thème mélodique. Et c'est là exactement l'air
de chaque couplet en distique, dont le second vers ne doit
jamais être bissé. Quant au couplet à quatre alexandrins, le
quatrième vers se chante comme le deuxième, sans qu'on ait
non plus recours au bis, pour le dernier vers : cela conclut
régulièrement, sur la dominante, la période musicale. Sur le
quatrain qui se termine par un vers de six syllabes, il n'y a pas
lieu d'insister : l'air, avec la cadence finale, est celui qu'on
trouvera dans les nolalions.
1. Je sais bien qu'on rencontre, dans le recueil manuscrit de la Bibliothèque
Nationale^ telle chanson notée sur deux airs différents qui se succèdent, c'est-
à-dire, la chanson commencée sur un air, interrompue à certain couplet pour
être achevée sur une seconde mélodie : il est impossible que ce soit là une
chaûson populaire; et les folk-lorisles ne' se laissent pas prendre à ces sortes
de composition.
GWERZ ET SONN 79
LISKILDRI
Et eo Liskildri da Bariz,
Emberr e vo pevarzek miz (bis).
Ha benn ma distroio d'ar ger,
Hen a vo zur a c'heritier;
Hen a vo zur a c'heritier :
Trugarekat ar miliner ;
Trugarekat Fransez Simon,
En euz debochet he itron.
Pa distro Liskildri er vro,
Hen a sko rust war he borjo ;
Hen a sko rust war he borjo,
Ha den na deu d'ho disrorro.
LISQUILDRY
Lisquildry est allé à Paris, — tantôt il y aura quatorze mois.
Et pour le temps où il retournera à la maison, — il sera certain
d'avoir un héritier ;
Il sera certain d'avoir un héritier : — remercîments (grâce) au
meunier ;
Remercîments à François Simon, — qui a débauché sa dame.
Quand Lisquildry revient au pays, — il frappe rudement aux
portes de sa cour ;
Il frappe rudement auîc portes de sa cour, — et personne ne vient
les ouvrir.
80 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Eur vatez vihan oa en ti,
E bell e oa 0 cherviji,
E bell e oa o cherviji,
Hag a deuaz d'ho digerri ;
Hag a deuaz d'ho digerri
Ha lavaraz da Liskildri :
— Ma kered n'em diskuilfed ket,
Me konto d'ac'h eur sekret.
Eman 'nn itron étal ann tan,
0 iomman 'nn eritiour bihan ;
Ha m'ar geo glaz he zaoulagad,
Fransez Simon zo de -han tad;
Ha m'ai geo melen bleo he benn,
Hen vo c'hanvet ar Simonen. —
— 0 ma itron, d'in-me lered,
Da biou eo ar bugel — ze domed?
Une petite servante était dans la maison, — elle était depuis long-
temps à (son) service ;
Elle était depuis longtemps à (son) service; — et (c'est) elle (qui)
vint ouvrir (les portes);
Et (c'est) elle (qui) vint ouvrir (les portes), — et elle dit à Lis-
quildry :
« Si vous voulez ne pas me dénoncer, — je vous raconterai un
secret.
La dame est près du feu — à réchauffer le petit héritier;
Et si ses deux yeux sont bleus, — (c'est que) François Simon est
son père ;
Et si les cheveux de sa tète sont blonds, — il sera appelé le fils à
Simon. »
« 0 ma dame, dites-moi, — à qui est cet enfant-là que vous
réchauffez?
GWERZ ET SONN 81
— Hennez a 'zo d'am mererez,
Ha me zo d'ez-han meronez.
— 0 ma itron, gaou a lered :
Rak d'ac'h eo 'r bugel-ze, domed ;
Rak d'ac'h eo 'r bugel-ze, domed :
Fransez Simon zo d'ac'h kiriek. —
— Me ho tisko, Simonik fin,
Da tronsan ar zeiou satin ;
Ar ze satin bordet gand aour
Na zireou ket euz ann dud paour.
— Pa c'harue 'barz ar vilin,
Oc'h azee war benn ma glin ;
Ac'hane lampe ar gwele,
Ma gelve poultren a-neuze ;
— Celui-là est à ma métayère, — et je suis sa marraine.
— 0 ma dame, vous mentez : — car c'est à vous, cet enfant-là
que vous réchauffez :
Car c'est à vous, cet enfant-là que vous réchauffez : — François
Simon vous en est la cause (l'auteur). »
« Je vous apprendrai, petit Simon malin, — à retrousser les robes
de satin ;
La robe de satin, bordée d'or, — n'est pas pour les gens pauvres.
— Lorsqu'elle arrivait dans le moulin, — elle s'asseyait sur le
bout de mes genoux ;
De là elle sautait dans le lit, — elle m'appelait poltron alors;
b
82 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Ma galve poultren ac'hane :
Olrou, ha c'houi a andurfe?
'Nn otronez 'ro peb a ziner
Da lakat krouga 'r miliner.
'Nn itronezed 'ro peb a skoed
Da c'hars na n'ije droug ebed.
Fransez Simon a lavare
'R bazenn huellan pa bigne :
— Me 'wel ac'han tri-c'houec'h tourel,
'Zo en-he tri-c'houec'h dimezel;
A zo en-he tri-c'houec'h itron :
OU int groage da Fanch Simon. —
Chanté par M. Grégoire Delafargue, de Plougonver.
Elle m'appelait poltron, de là : — Monsieur, et vous, auriez-vous
résisté (m. à m., le supporteriez-vous) ? »
Les seigneurs donnent chacun un denier — pour faire pendre le
meunier.
Les dames donnent chacune un écu — pour empêcher qu'il n'ait
aucun mal.
François Simon disait, — lorsqu'il montait la plus haute marche :
« Je vois d'ici dix-huit tourelles (châteaux), — dans lesquelles il
y a dix-huit demoiselles,
Dans lesquelles il y a dix-huit dames : — toutes sont des femmes
à François Simon »»
Tout porte à croire que ce gwerz ne date pas de notre
époque contemporaine. Où je l'ai recueilli, dans \e ploii, on
raconte que « le seigneur Liskildry était allé rejoindre les
GWtRZ ET SONN 83
armées du roi, à Paris; pendant ce temps, sa femme courait le
guilledou ». L'aventure n'était pas rare alors, d'après la tradi-
tion. On a tiré de celle-ci une chanson, parce qu'elle fit du
bruit, tant à cause du nom du seigneur Liskildry, que pour la
justice éclatante que rendit le châtelain à l'adultère manant.
Ce gwerz a l'air complet; mais je connais peu de chansons
d'où les transitions soient aussi absentes.
Sous la mélodie, une phrase à trois membres, circule une
ironie à peine dissimulée, dans les deux premiers membres de
phrase; au troisième, elle éclate, à la fois mordante et
sinistre : c'est la satire dans un giverz tragique. Dans un
sonn elle aurait un tout autre caractère.
84 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
KLOAREK KOATREVEN'
Kloaregik Koatreven an euz groet
Ar pez na rafe mab ebed {bis),
'N euz groet eut pak douz he levrio
'Toull porz he dad ouz ar baro,
Evit mond d'ober al lez
Da Goatgoure d'ar bennherez.
— Pa n'an da studian d'ar skol,
Saludan ma dous war douU he dor,
Saludan ma dous a diabell :
Salud d'ac'h, ma dousig Izabel.
1. Rapprochez ce gwerz de L'Héritière de Grec'hgouré, dans les Gwerziou Brei:
Izet de M. Luzel.
LE KLOAREK DE GOATRÉVEN
Le petit kloarek de Goatréven a fait — ce que ne ferait aucun fils
[bisj;
Il a fait un paquet de ses livres — à la porte de la cour de son
père, contre le seuil *.
Pouraller faire la cour, — en Goatgouré, à l'héritière.
(( Lorsque je m'en vais étudier à l'école, — je salue ma douce sur
lepai de sa porte;
Je salue ma douce, de loin : - « Salut à vous, ma petite douce
Isabelle.
1. Le mot baro, dont le sens est multiple et "très vague, a besoin le plus
souvent d'être accompagné d'un détermiaatif ; aucun chanteur ne m'a traduit
ou expliqué d'une façon satisfaisante ce pluriel de bar.
GWERZ ET SONN 85
— Ha d'ac'h, em'ehi, ma dousik kloarek ;
Nemet ma goadisan n'a red.
— Me, 'm'ehan, n'ho koadisan ket
Nag en zell da ober na n'on ket ;j
N'am e biken ann ardianz
D'ho koulenn douz hoc'h oblans.
— Mar deud d'am goulenn, deud fêle,
Diesed gan-ac'h markiz Koadane :
Hennez zo eunn den a galite,
G'houfeo parland ouz ma ligne. —
KIoaregik Koatreven a 1ère
En Koadane pa 'n arie :
— Salud, 'm'ehan, markiz Koadane.
G'houi 'deufe gan in da Koatgoure
Da c'houl eur bennherez ac'hane ' ?
— Et à vous, dit-elle, mon petit doux kloarek; — vous ne faites
que vous moquer de moi:
— Moi, dit-il je ne moque pas de vous, — ni dans l'intention de le
faire je ne suis pas ;
« Je n'aurais jamais la hardiesse — de vous demander (en mariage)
à votre noblesse.
— Si vous venez me demander, venez aujourd'hui ; amenez avec
vous le marquis de Goathanhai :
« Gelui-là est un homme de qualité — qui saura causer à ma
lignée. »
Le petit kloarek da Goatréven disait — dans Goatanhai, en arrivant ;
« Salut , dit-il, marquis de Goatanhai, Viendrez-vous avec moi à
Goatgouré — pour demander une héritière de là?
1. Le second vers de chaque couplet étant bissé, cela fait que la phrase
musicale est composée de trois membres ; il est donc indifférent, au point de
vue de la mélodie, que le couplet, au lieu de rester le distique habituel,
devienne quelquefois un ternaire ; le troisième vers fait supprimer le bis.
86 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
— Biken jamez na gredfenn me
Az pe te pennherez Koatgoure,
Perc'hen pemzek mil skoed leuve,
Ha te n'at euz gwennek deuz ann-he ;
0 nan, biken n'gredfenn me
Mond da c'houl d'id pennherez Koatgoure.
— Goud-ouz-oc'h e-vad, otro Koadane,
Me 'zo 'n ho servich noz ha de,
Ha bean ac'h on ho sekreter,
Ha bean on ouspen ho preur-mager.
Me oa kontand da vean belek,
Med ar plac'h n'a bermet ket;
Hag an euz laret mond d'he goul fête
Ha kas gan-in ann otro Koadane :
Hennez zo eunn den a galite
Goufeo parland douz ma ligne.
— Jamais, non, jamais je ne croirai — que tu obtiennes, toi, l'héri-
tière de Goatgouré,
Qui possède quinze mille écus de rente ; — et toi tu n'as pas un
sou de cela.
Oh! non, jamais je n'oserais — aller demander pour toi l'héritière
de Goatgouré.
— Vous savez bien, monsieur de Goatanhai, que je suis à votre
service nuit et jour ;
Et je suis votre secrétaire, — et je suis en outre votre frère de lait.
J'étais content d'être prêtre ; — mais la jeune fille ne (le) permet pas ;
Elle a dit d'aller la demander aujourd'hui — et d'envoyer avec moi
monsieur de Goatanhai :
« Gelui-là est un h3mme de qualité — qui saura parler à ma
lignée. »
GWERZ ET SONN 87
— Ho ! mar d'e ar plac'h a lavar ze,
Me am o d'id penneherez Koatgoure ;
Gant bek ma lans pe ma c'hleve
Me am o 'n-ehi 'n nespet d'he ligne,
Gant bek ma c'heleve pe ma lans
Me am o 'n-hei 'n nespet d'hec'h oblans. —
'Nn otro Koadane a lavare
'Barz en Koatgoure pa 'n arie :
— Bonjour d'ac'h, otro Koatgoure.
— Ha d'ac'h ie, markiz Koadane.
Diskenned ha deud en li
Ha leked ho kezeg e marchosi ;
Leked ho kezeg e marchosi
Ha deud d'ar sal da dijunin.
— Na diskennin na n'in en ti
Na lakin ma marc'h er marchoi,
— Ho! si c'est la jeune fille qui a dit cela, — j'aurai pour toi
l'héritière de Coatgouré ;
Avecla pointe de ma lance ou (avec) mon épée - je l'aurai, malgré
sa lignée;
Avec la pointe de mon épée ou (avec) ma lance — je l'aurai, malgré
sa noblesse. »
Monsieur de Coatanhai disait — dans Coatgouré, lorsqu'il arriva :
« Bonjour à vous, Monsieur de Coatgouré. » — « Et à vous aussi,
Marquis de Coatanhai.
Descendez, et venez dans la maison, — et mettez vos chevaux à
l'écurie ;
Mettez vos chevaux à l'écurie, — et venez dans la salle pour dé-
jeuner.
— Je ne descendrai, ni je n'irai dans la maison, — ni je ne mettrai
mon cheval à l'écurie.
88 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Ken am o klevet ma c'henvidi :
AouQ *m euz a savfe fachiri.
— Na savo ket a fachiri,
'Wit ma'man ho koulenn 'barzma zi.
— Ho pennherezig a c'houlennan
D'ann otro Koatreven 'zo aman.
— Otro Koadane, goud-ouz-oc'h a-vad,
'Wid ann dra-ze na ve ket siab,
'N eve perc'hen pemzek mil skoed leuve,
Hag hen n'euz gwennek deuz an-he.
Ma vije 'wid-oc'h poa he goulet.
Otro Koadane, na vijec'h refuzet.
— Otro Koatgoure, goud-ouz-oc'h 'vad
On-me eunn den veritab :
Na draïsin ket me sekreter ;
Hag ouspen e d'in c'hoaz breur-mager. —
Que je n'aie entendu le résultat de mon message : — j'ai peur
qu'il se lève fâcherie (entre nous).
— Il ne se lèvera point fâcherie, — si du moins est (l'objet de)
votre demande dans ma maison.
— C'est votre jeune héritière que je demande — pour Monsieur de
Coatréven, qui est ici.
-- Monsieur de Goatanhai, vous (le) savez bien, — pour cette chose-
là, ce ne serait pas convenable
Qu'il obtint la maîtresse de quinze mille écus de rente, — et il
n'a pas un sou décela.
Si c'était pour vous que vous l'eussiez demandée, — Monsieur de
Goatanhai, vous n'auriez pas été refusé.
— Monsieur de Goatgouré, vous savez bien que je suis un homme
de bonne foi :
Je ne trahirai pas mon secrétaire; — et de plus il est encore mon
frère de lait. .>
GWERZ ET SONN 89
'Nn otro Koadane pa 'n euz klevet,
Diwar geign he varc'h e diskennet,
Hag antreet 'barz ar gigin
Hag hen ken glaz hag eur glizinn.
— Matezik vihan, d'in lered,
Ho pennherezik pelec'h eo et?
— Eman du-ze 'barz 'n he c'hampr
0 kozeal gant seiz baron iaouank,
0 kozeal gant seiz baron iaouank,
Hag ar choaz an-he 'n evo, pa 'n o c'hoant.
— Pachik, pachik, ma fach bihan,
Kes d'he saludin d'he c'hampr
Ha tach d'c'houd ober komplimant, —
Ar pach bihan a lavare
Ebarz ar gampr, pa 'n arie :
— Bonjour d'ac'h, 'm'ehan, pennherez,
Ha d'ac'h ha d'ho kompagnonez.
Monsieur de Coatanhai, lorsqu'il eut entendu (cela), — du haut de
son cheval est descendu,
Et (il est) entré dans la cuisine, — et lui (de colère) bleu comme
un bluet :
« Petite servante, dites-moi, — votre petite héritière ouest elle?
— Elle est là-bas dans sa chambre — à causer avec sept jeunes
barons,
A causer avec sept jeunes barons, — et le choix elle en aura,
quand elle voudra. »
« Petit page, petit page, mon page petit, — va la saluer dans sa
chambre, — et tâche de savoir faire un compliment.»
Le petit page disait — dans la chambre, quand il arriva :
« Bonjour à vous, dit-il, héritière, — et à vous et à votre compa-
gnie. .
90 CHANSONS ET DANSES DES BUKTONS
Laret a zo d'ac'h dond en traou
Da laret ouz ma mestr eur gir pe daou.
Kar eman du-hont 'barz ar gigin
Hag hen ken glaz hag eur glizinn ;
'Man en eur goleur ar vrasan :
Lac'han ho tad a fell d'ehan. —
Ar bennherez pa 'n euz klevet.
'Traou gand ar vins e diskennet.
— Salud d'ac'h, otro Koadane :
Pelec'h e manet ma c'harante?
— Et e, 'me-han, da Sant-Briek
Da gerc'het eur gazill silaouret;
Disul laro he ofern-bred,
Disul laro he ofern gentan :
On deut d'ho pedin d'he achistan. —
Ar bennherez a lavare
D'he fotr-marchosi hag a-neuze :
On vous a dit de venir en bas — pour dire à mon maître un mot ou
deux;
Car il est là-bas dans la cuisine, — et lui (de colère) aussi bleu
qu'un bluet;
Il est dans une colère la plus grande : — de tuer votre père il a
envie. »
L'héritière, lorsqu'elle eut entendu (cela), — en bas par l'escalier
est descendue;
« Salut à vous, Monsieur de Coatanhai, —ouest resté mon amour?
— Il est allé, dit-il, à Saint-Brieuc — pour chercher une chasuble
dorée : — dimanche il dira sa grand'messe,
Dimanche il dira sa première messe : — je suis venu vous prier d'y
assister. »
L'héritière disait — à son garçon d'écurie pour lors :
GWERZ ET SONN ôï
— Prepared d'in eiz a gezek
Da lakad ouz ma c'hareoz chilaouret ;
Ha c'hast buhon ober ze,
Me'renk mond da Sant-Briek fête
Na d'hen distrei gant gras Done :
Rak biken jamez belek na ve. —
Koatgoure goz pa 'n euz klewet,
D'he bennherezik 'n euz laret :
— Me am euz aman chadenno,
Ma fennherezig, hag ho talc'ho.
Mired ho chadenno 'n ho kampr,
Ha deud da rei d'in treo ma mamm :
Mil boellad gwiniz ha seiz
'M euz deuz beurz ma mamm 'goste Breiz,
Ha pempmil skoed leuve 'barz en Bro-Gall :
Ho ! me na n'on ket eur fortun fall ;
« Préparez-moi huit de chevaux — pour mettre à mon carrosse
doré;
Et dépêche-toi de faire cela : — il me faut aller à Saint-Brieuc au-
jourd'hui,
Et le détourner (de la prêtrise) avec la grâce de Dieu : — car
jamais, jamais prêtre il ne sera. »
Le vieux Coatgouré lorsqu'il eut entendu (cela), — à sa jeune héri-
tière a dit :
« J'ai ici des chaînes, — mi petite héritière, qui vous retiendront.
— Gardez vos chaînes en votre chambre, — et venez me donner
les biens de ma mère :
Mille boisseaux de froment et sept — j'ai de la part de ma mère,
du côté de la Bretagne,
Et ciiiq mille écus de rentes en pays gallo {ou de France) — ho ! je
ïlê guis pas une fortune piètre ;
92 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Kement ail en bro Léon :
Me zo dimezel hag itron.
Me oar a-vad n'euz ket hen a danve :
Met mado awalc'h'zo deuz ma re. —
Chanté par Françoise Feutel, marchande foraine, de Saint-Clet (Côtes-
du-Nord).
Autant dans le pays de Léon : — je suis demoiselle et dame*.
Je sais bien que lui n'a pas de fortune; — mais des biens assez il
y a des miens.
Inutile de redire combien les chansons de kloarek sont
encore répandues, surtout dans le pays de Tréguier. Le
kloaregik était devenu le type du soupirant, évincé par le père,
mais agréé de la fille. Voir le sonn de « ar Bonomik », après
le gwerz de « Koatreven » : on saisira mieux les différences,
nettement tranchées, entre les deux genres de poésie.
1. Itron a la double signification du latin domina et du français dame ; ici :
a dame de ces bienf . . .
6WERZ ET SONN 93
AR G'HLOAREG lAOUANK
Me a zo eur c'hioaregig iaouank,
Hag ' eman ma zi war vord ar stank (bis).
Ha biskoaz n'em euz laket ma foan
Da garet plac'h iaouank 'med unan;
Ha biskoaz hini nemed hi n'em e,
Ha nemet ma zud e me c'harsfe :
Ha ma ouifenn ze, me ho c'huitafe.
Pa oann eru en noad da zimei,
Oann kaset da Bariz da studi
Evit ma chars da zimezi.
Ha pa oann en Pariz o studi,
Ma mestrezig o skrivan d'in,
1. La conjoQctioa ha ou hag (et), dans le couraat d'uae phrase, après un
antécédent, comme kloaregik, équivaut au relatif peAmi {qui, que on dont). La
traduction serait, en bon français : « Un jeune kloarek, dont la maison... »
LE JEUNE KLOAREK
Je suis un petit kloarek jeune, — et ma maison est sur le bord de
l'étang [bis).
Et jamais je n'ai mis ma peine — à aimer une jeune fille, si n'est
une ;
Et jamais aucune (autre) que celle-là je n'aurai, — à moins que mes
parents ne m'en empêchent; — et si je savais cela, je les quitterais.
Quand j'étais arrivé à l'âge de me marier, — je fus envoyé à Paris
étudier, — pour m'empêcher de me marier.
Et quand j'étais dans Paris pour étudier, — ma chère maîtresse de
m'écrire.
94 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Da lavaret d'in donet d'hi beteg
Mar ma c'hoant d'hi gwelet en buez.
Ha me 'c'h ober eur pak d'am levriou
Hag 0 tond gand ar vins d'ann traou.
Pa c'haruiz ebarz ann ti,
E oa ar beleg ouz hi noui,
'Rei d'ehi hi sakramant divezan
Ken 'vit m'eje diwar ar bed-man.
Hag hi 0 distrei e laret d'in :
— Kloarek, ne oeled ket 'balamour d'in ;
Goeled abalamour da Zoue
'N euz roet evid-omp he vuez ;
Goeled abalamour d'ar Messiaz
A zo marvet evid-omp war ar groaz;
Goeled abalamour d'he c'houliou
Em eump-ni graet gand hon fec'hejou. —
De me dire que je vinsse jusqu'à elle, — si j'avais envie de lavoir
encore vivante.
Et moi de faire un paquet de mes livres — et de descendre
l'escalier.
Quand j'arrivai dans la maison, — le prêtre était à Pextrémiser,
A lui donner son sacrement dernier, — avant qu'elle s'en allât de
ce monde-ci.
Et elle, se retournant, de me dire : — « Kloarek, ne pleuree pas à
cause de moi ;
Pleurez à cause de Dieu, — qui a donné pour nous sa vie;
Pleurez à cause du Messie, — qui est mort pour nous sur la
croix ;
Pleurez à cause de ses plaies, — que nous avons faites par nos
péchés. »
GWEHZ ET SONN 95
Ha me o distrei war ma c'hiz
Da gerc'het ma levriou da Bariz.
Pa oann o tond gand ann hent glaz,
Me 'g!eve ar c'hleier o son ar c'hlaz,
Me 'gleve ar c'hleier o son kanvo
D'am mestrez koant e oa maro.
Pa oann o tond gand ann hent braz,
Me 'kavet eunn den gand ar groaz;
Hag ar veleien gwisket en gwenn
'Kas d'ann douar ann hini garenn.
Ha pa oa achu ann interamant,
Me 'oa galvet kloreg iaouank ;
Me 'oa galvet kloreg iaouank
Hag evid ober eur peamant.
Et moi de retourner sur mes pas — pour chercher mes livres à
Paris.
Quand je revenais par le chemin vert, — j'entendais les cloches
qui sonnaient le glas ;
J'entendais les cloches qui sonnaient le deuil — pour ma maîtresse
qui était morte.
Quand je revenais par le grand chemin, — moi de rencontrer un
homme avec la croix.
Et les prêtres, habillés de islanc, — qui portaient en terre celle que
j'aimais.
Et lorsque fut achevé l'enterrement, — je fus nommé jeune
klbarek ;
Je fus nommé jeune kloarëk ' — pour accomplir un paiement
(une expiation).
1. D'après cette complainte, le kloarek n'était pas toujours un aspirant, à la
prêtrise; quelquefois c'était \xïi\éludiant^ dans un sens moins précis que de
nos jours :« Quand j'étais à Paris à étudier », raconte l'amoureux ; et sa maî-
tresse mourante l'appelle : « Kloarek ». Cepeûtlont» le cas n'est pas fort
étendu ; il n'est même que particulier.
96 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Ha pa c'haruiz 'barz ann iliz,
Ouz ar pazennou stouiz ;
Ouz ar pazennou stouiz,
E-greiz ma c'halon e oeliz.
Ha pa oa et ann dud ac'hane.
Ha me 'retorn neuze war hi bez
Da c'houlenn ar c'hras digand Doue
Ma welfenn ma mestrez en buez.
Ha pa oann o vond gand ann hent glaz,
Me 'kavet eur feumeulen kaer braz ;
Hag hi o distrei hag o laret d'in
Kloaregig iaouank da zimezi :
— Me 'zo dimèt hag eureujet \
Ec'h on 0 retorn deuz ar banket
1. Dimèt hag eureujet, mot à mot : fiancé et marié. Dimezi, dimei, dimi,
suivi de eureuji (marier), n'implique autre chose que l'acte des fiançailles;
employé seul, il a un sens copulatif et il embrasse l'idée du mariage avec
toutes ses formalités.
Et lorsque j'arrivai dans l'église, — sur les marches je m'age-
nouillai ;
Sur les marches je m'agenouillai ; — du fond de mon cœur je
pleurai.
Et quand les gens furent partis de là — et moi de retourner alors
sur sa tombe
Pour demander la grâce à Dieu — de revoir ma maîtresse en
vie.
Et quand je m'en allais par le chemin vert, — moi de rencontrer
une femme bien belle;
Elle de se retourner et de me dire; — (à moi) jeune kloarek de
me marier :
« Je suis marié et mes noces ont eu lieu ; — me voici qui reviens
du banquet (de noces).
GWERZ ET SONN 97
— KIoareg iaouank, gaou a lared,
Rag em inleramant c'houi 'zo bet;
Ha» ec'h on deut aman e-beurz Doue
Evit laret d'ac'h chancli a vuez,
Dilezel ar gwin hag ar merc'hed,
Delc'hen o studi ' ha beanbelek;
Hag ar gentan ofern a larfed,
Me 'vo gand Doue delivret.
Me 'ia brema d'ar bod spern-gwenn
Hag evid ober ma finijen. —
1. Delc'hen da studi, ce serait plus régulier, si sludi reste un verbe, comme
le comprenaient les chanteurs. Toute difficulté d'interprétation est levée, avec
cette lecture : « Delc'hen ho studi — continuer votre étude. «
« Jeune kloarek, vous mentez; — car à mon enterrement vous
avez été;
Et je suis venue ici de la part de Dieu — pour vous dire de chan-
ger de vie.
De laisser le vin et les filles, — de continuer à étudier et d'être
prêtre ;
Et à la [première messe (jue vous direz, — je serai délivrée par
Dieu.
Je vais maintenant au rameau d'aubépine blanche — pour faire là
ma pénitence.
Ce gwerz, recueilli à Plougonver, est une variante sur le
thème si commun des kloe7\ J'ai entendu, au même endroit,
une autre chanson de Idearek, un .sonn : le sujet du gwerz est
lamentable; le Boiiomic, dont il a été déjà question, est un
sonn satirique. Ce contraste vaut la peine d'être observé.
Le KIoareg iaouank (i?>\. en vers de neuf syllabes, une mesure
plus rare qu'on ne l'a dit dans les chansons vraiment popu-
laires. « Le jeune kloarek » n'est pas toutefois une production
7
98 CHANSONS ET DANSKS DES BKETOÎSS
de lettré, quelque pastiche de poésie primitive : car on n'y trou-
verait })as deux ternaires (les troisième et quatrième couplets),
au lieu du distique courant avec le second vers bissé. On s'y
heurterait encore moins à certaines obscurités de texte. Ce
gwerzQ?,i, d'ailleurs, dans le ton et dans la manière du peuple,
avec des élans d'émotion et des banalités. Rien n'est dans la
note populaire comme le sermon de la mourante. La messe
de l'âme, certes, cela ne va pas au-delà d'une invention litté-
raire. Mais « le rameau d'aubépine, où les âmes viennent
faire pénitence »? Un poète n'eût jamais entrevu ce lieu vague
d'inspiration. Homère (s'il a existé) n'a fait que « mettre
au point » une légende hellénique, dans sa nékiiïa; le Séjour
des morts, dans le VP livre de l'Enéide, est surtout l'œuvre
de Virgile : il est impossible de ne pas établir les diffé-
rences.
Ce n'est pas à dire que certains détails précis soient inter-
dits à quiconque chante pour le peuple. Mais c'est, au con-
traire, une certaine précision qui ne saurait être absente d'une
œuvre littéraire : les poètes ont devant l'horizon indécis des
bardes la même horreur que la nature a du vide. Henri Heine
raconte qu'il était une tombe où les amoureux, s'ils venaient
s'asseoir sur la pierre sépulcrale, se mettaient à pleurer, sans
savoir pourquoi; nous savons, parce que le poète l'a dit, que
c'était la tombe d'un parjure : voilà un essai de poésie sur
une donnée populaire. Dans nos contes bretons, il est fait
mention souvent de la lande des morts. Quelle incertitude
règne sur ces endroits marqués pour des pénitences! Les
âmes y sont errantes, des années ou des siècles, chacune autour
de sa tige d'ajonc, ou « sur la branche d'aubépine », jusqu'à
la messe de délivrance. Ces lieux-là ne sont accessibles qu aux
esprits, et le génie du peuple peut seul concevoir un pareil
désert de la désolation.
La mélodie du Kloareg iaouank est un neuf-huit, interrompu
de points -d' orgue , dans un mouvement modéré, avec cet
accent doux et triste des vieilles cantilènes.
OWEKZ ET SONN 99
MARIVONIK
Ann de kentan deuz a viz Du '
Diskennaz ar Saozon e Dour-Du. * {bis)
E Dour-Du pe int diskennet,
Eur plac'hig iaonank e deuz leiel ;
E deuz leret eur plac*h iaouank
Ewit kas gant-he d'ho batimant,
Ar Varivonig e oele
ïoul porz he zad p'e drernene :
— Adieu ! ma mamm ; adieu ! ma zad !
Birviken n'ho kwelan war ar bed. —
Ar Varivonig a oele,
War bord allestr pa bourmene;
1. Mot à mot : le mois noir.
2. Une version dit : E mor du — dans la mer noire >■.
MARIVONNIC •
Le premier jour de novembre, —descendirent les Saxons (Anglais)
à Dour-Du {bis).
A Dour-Du lorsqu'ils furent descendus, — ils ont volé une jeune
fille;
Ils ont volé une jeune tille — pour l'emmener avec eux sur leur
bâtiment.
La Marivonnic pleurait, — à la porte de la cour de son père, quand
elle passait :
« Adieu ! ma mère; adieu! mon père. — Jamais je ne vous vois
(reverrai) en ce monde-ci. »
La Marivonnic pleurait — sur le bord du vaisseau lorsqu'elle se
promenait ;
1. Contractfou de Marie-Yvonic, et inicui Murie-Yvonaïc : la petite Marie-
Yvonne,
fOO CHANSONS ET DANSES DliS BRETONS
Ar c'habilenn p'an euz gwelet,
D'ar Varivonig an euz laret
— Marivonik, na oeled ket ;
Ewid ho pue na gollfed ket,
Ewid ho pue na gollfed ket,
Hoc'h enor, d'ac'h na laran ket. —
Ar Varivonig a c'hou'enne
Deuzar c'habitenn hag a neuze :
— Olro ar c'habitenn d'in ha lared,
Da bed ac'hanoc'h a vin barnet?
— D'in-me unan, d'am fotr-a-gampr,
D'am martoloded pa défont o'hoant,
D'am martoloded pa défont c'hoanl ;
Bea zo ann-he eur seiz ha kant. —
Ar Varivonig a levere
War bord al lestr ha neuze :
Le capitaine, quand il vit cela, — à Marivonnic a dit :
« Marivonnic, ne pleurez pas ; — quanl à votre vie, vous ne (la)
perdrez pas,
Quant à votre vie, vous ne (la) perdrez pas; — votre honneur, je
ne vous dis pas non. »
Marivonnic demandait — au capitaine alors :
c( Monsieur le capitaine, dites-moi : — à combien d'entre vous
serai-je jugée (condamnée, livrée)?
— A moi-même, à mon valet de chambre, - à mes matelots lors-
qu'ils (en) auront envie,
A mes matelots lorsqu'ils (en) auront envie; — il y a d'eux (ils
sont) quelque cent et sept. »
La Marivonnic disait — sur le bord du vaisseau alors :
GWERZ F,T SONN 101
— Otro Doue ! Gwerc'hez Vari !
Pe me n'em veuin, pe me na rin?
Me zo gwell d'in merwel mil gwech
Wit ma ve ofansin Doue eur wech. —
Oa ket lie gir peurachuet,
War he fenn er mor e 'n em dolet;
War he fenn er mor e 'n em dolet :
Eur peskig gwenn hi deuz lonket,
Eur peskig gwenn hi deuz lonket,
Er bord ar mor e deuz hi kaset...
Ar Varivonig a oele,
War dor he zad pa ne skoe :
— Mazadik paour, digored d'in hetor,
Ho merc'h Marivonik zo o c'houl digor,
Ho merc'h Marivonik zo o c'houl digor,
Digor, ha miret gant-hi hec'h enor. —
Chanté par Jeanne Le Bourdon, de Minic'lii (Côtes-rlii-Norr]), et par
Marie Quellien, de Tréguier.
« Seigneur Dieu! Vierge-Marie! — ou je me noie (noierai), ou je
ne le ferai pas?
J'aime mieux mourir mille fois — que doflenser Dieu une fois. »
Sa parole n'était pas entièrement achevée (prononcée), — qu'elle
s'est jetée sur la tète dans la mer,
Elle s'est jetée sur la tète dans la mer : — un petit poisson l'a avalée
Uu petit poisson blanc l'a avalée; — sur le bord de la mer il l'a
envoyée.
La Marivonnic pleurait, à la porte de son père quand elle frappait:
« Mon pauvre cher père, ouvrez-moi votre porte ; — (c'est) votre
fille Marivonnic (qui) est à demander l'entrée,
(C'est) votre fille Marivonnic (qui) est à demander l'entrée, —
l'entrée, et (après avoir) gardé son honneur . »
102 crrANSONS et danses des bretons
Ce giverz est très répandu sur la côte de la Manche. On le
croirait, à première audition, en pur trécorrois. Cependant, il
offre certaines différences dialectales — e deuz laret^ an eiiz
laret,alevere..., — qui prouvent chez un chanteur populaire des
transformations imposées à un sujet venu du dehors. Il existe
plus d'un Doitr-Du en Bretagne; celui dont il est question,
c'est probablement le Dourduff, près de Morlaix.
L'air de Marivonik, par un contraste avec les paroles, no
manque pas d'une gaîté particulière, mais c'est une g-aîté de
fou, voisine de la colère, qui éclate par soubresauts et par
saccades.
La même dissonance — pour ainsi dire — est fréquemment
à remarquer entre la musique et la poétique populaires des
Bretons. Au contraire de Marivonik, c'est la mélodie, laplupar^
du temps, qui affecte le deuil, tandis que la tristesse est loin
de la pensée du chanteur : par exemple, Vandantino doux qui
soutient la chanson Biniou ar Person; ce biniou n'est autre
chose qu'une satire, du reste, fort innocente.
Il est vrai de reconnaître que l'allure d'une mélodie dépend
du chanteur. J'ai entendu des lettrés qui donnent k Marivonik
un air tout à fait martial, comme un air de provocation ou
de revanche.
La séduction et le pouvoir de pareils chants sont extrêmes
sur la foule. Quand les naafrageurs de Gornouaille et de Léon
méditaient un mauvais coup, le barde-mendiant traversait la
contrée, la veille, répétant un de ces gwerz, qui avertissait les
audacieux de se tenir prêts, les timides de garder leurs portes
et leurs yeux fermés. La Basse-Bretagne est restée la seule
région de France où il suffise d'un chant pour ébranler les
masses populaires.
fiWERZ KT SONN 103
AR ROUZIK KEMENER
Ar Rouzik kemener a Langoat
Braoan mab iaonank a wisk dillad ; (bis)
C'hoaz a vije braoc'h eunn anter
Ma nije eunn dimezel a ger:
Bet an euz merc'h mamzel Ru-Newe,
Perc'hen e da bemp mil skoed leuve;
Na perc'hen e da bemp mil skoed,
Hag ar Rouzik'n euz ket pemp gwennek.
Ar Rouzik kemener a 1ère
Barz ar C'hoelik pa'n antree;
— Na bonjour ha joa en ti-man,
Ann otro C'hoelik pelec'h eman?
— Eman'barz ar sal o leina;
Rouzik, ed ha komzet out-han.
LE ROUZIG TAILLEUR
Le Rouzic tailleur, de Langoat, — (est) le plus beau jeune homme
qui revête habits (d'homme) (bis) ;
Encore serait-il plus beau de moitié, — s'il avait une demoiselle
de la ville.
Il a obtenu fille, mademoiselle Ru-Néwé (Rue-Neuve), — qui
possède cinq mille écus de rentes;
Elle possède cinq mille écus de rentes, — et Le Rouzic n'a pas
cinq sous.
Le Rouzic, tailleur, disait, — en entrant à Goélic :
« Et bonjour et joie dans cette maison-ci. — Monsieur Le Goélic
où est-il?
— Il est dans la salle à déjeuner; — Rouzic, allez et parlez-lui.
104 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
— Me, zo deut da glask eunn abid,
Eunn abid hag eunn ankane
Wit mond d'obereur baie,
Ewitma c'hin d'ober al lez;
Ha na n'onn ket piou vo ma Iakez,
Med ho pach bihan deufe gan-in :
Hennez zo den brao kenkoulz ha me. — •
Ar Rouzik kemener a lare
War bave Montroulez pa gerze :
— Na bonjour ha joa er german.
Ann otro Ru-Newe pelec'h eman? -
Ann otro Ru Newe 'vel ma klewaz,
He benn 'barz ar prenestvoutaz :
— Diskenned, Monsieur, antreed en ti,
Laked ho c'hoursin er marchosi
Wit ma ai ma mewel d'hen aveurin...
— Je suis venu chercher un habit, — un habit et unehaquenée —
pour aller faire une promenade.
Pour que j'aille faire la cour; — et je ne sais pas qui sera mon
laquais,
A moins que votre petit page ne vienne avec moi : — celui-là est
bel homme autant que moi. »
Le Rouzic tailleur disait , — sur le pavé de Morlaix lorsqu'il mar-
chait :
« Et bonjour et joie dans cette ville-ci. — Monsieur Ru-Néwé où
est-il? )>
M. Ru-Néwé, dès qu'il entendit, — a mis sa tête à la fenêtre :
« Descendez, Monsieur, entrez dans la maison, — mettez votre
cheval dans l'écurie — pour que mon domestique aille l'abreuver, »
GWERZ ET SOIÎJN 10?)
— Nalered-hu d'in-me, kamarad,
Hag^ en e ho mestra ligne vad?
— Ho ! ia ; ma mestr zo a ligue vad :
Bean 'n euz terc'hadeur 'n iliz Langoat
Ha ru int evel ar goad ;
Ha kementall en iliz Trougeri,
'Barz iliz Peurit meur ahini;
Ha peder lestr perlez war ar mor,
'Barz e ker ar Roc'h peder stal dior;
Ha da c'hortoz he dad da verwel
Hen zo rosignol Kerdaniel ;
Ha goude ar marw demeuz he dad
Hen a vo otro en Penn-ar-C'hoat.
— Ma ouifenn ve gwir 'pez a lerez d'in.
Me a rofed'ehan eunn dimin. —
« Et dites-moi, camarade, — est-ce que votre maître est de bonne
lignée?
— Oh! oui, mon maître est de bonne lignée : — il a trois chaises
dans l'église de Lahgoat, — et elles sont rouges comme le sang;
Et autant dans l'église de Trognéry; — dans l'église de Pommerit,
plusieurs ;
Et quatre navires (chargés) de perles sur la mer; — dans la ville
de La Roche quatre boutiques ouvertes;
Et en attendant que son père meure, — il est le rossignol de Ker-
daniel,
Et après la mort de son père, — c'est lui qui sera maître à Penn-
ar-C'hoat.
— Si je savais que fût vrai ce que tu me dis, — je lui donnerais
un mariage. »
106 CHANSONS ET DAiNSES DES BRETONS
Na seiz miz anter ec'h eo padet
Ar cholamite deuz ann eured,
Sonerien ar bal hagann dans,
Ha vizit bemde gand ann oblans.
Nag ar Rouzik koz a lavare
D'he bried Janed eunn de a oe :
— C'hastomp dresa bon c'hozbalino;
Me a glew ari ann drompillo
Wit dies ar verc'h-her d'ar vro. —
Ha groeg ar Rouzig a lavare
En iliz Langoat pa antree :
— Na lered-hu d'in-me, Monsieur,
Pehini ac'han e ho kadeur.
— Antreed; ann bini a gerfed,
Itron, na vefed ket diblaset. —
Oc'b aruout 'n itron 'r G'boelik,
0 krigi 'n he dorn doustadik :
Et sept mois et demi a duré — la solennité des noces ;
Sonneurs du bal et de la danse, — et visites tous les jours avec la
noblesse.
Et le vieux Rouzic dit — à sa femme Jeannette, un jour fut :
« Hâtons-nous d'arranger les couettes; — j'entends arriver les
trompettes — pour conduire la belle-fille au pays. »
Et la femme de Rouzic disait — dans l'église de Langoat lors-
qu'elle entrait :
« Et dites-moi, Monsieur, — laquelle ici est votre chaise.
— Entrez; celle que vous voudrez, — Madame; vous ne serez pas
dérangée. »
D'arriver M^e Le Goélic — qui la prit par la main tout douce-
ment :
GWERZ ET SONN 107
— Na sonjan ketve groeg eurc'hemener
A. varchfe 'rok d'in 'barz ma c'hadeur.
— Ho ! ha pa ven groeg d'eur c'hemener,
Me a zo merc'h d'eur senesal er ger,
A varcho gan-ac'h hag 'n ho kever.
Otro Done, 'me-hi, n'ouienn ket
Oa eur c'hemener em oa bet,
Ken a oa d'in d'ober he wele,
Keviz he vesken hag he nadwe. —
Na kerse oa gand ann itron gez
Diweet d'ar ger a Vontroulez :
— Na pa oann er ger e ti ma zad
Me a oa bewet dilikat,
Me a oa bewet dilikat
Gant kig glujar ha kig gad ;
c( Je ne pense pas que la femme d'un tailleur — passerait dievant
moi dans ma chaise.
— Ho! et quand même je serais la femme d'un tailleur, — je suis
la fille d'un sénéchal, à la maison; — je marcherai avecvous et votre
vis-à-vis.
Seigneur Dieu, disait-elle, je ne savais pas — que c'était un tail-
leur que j'avais eu.
Avant que ce fût à moi de faire son lit, — (et) j'y trouvai son dé
et son aiguille. »
Et il y avait manque à la pauvre dame — depuis la ville de Mor-
laix :
« Et quand j'étais chez nous, dans la maison de mon père, — j'étais
nourrie délicatement,
.T'étais nourrie délicatement — avec de la viande de perdrix et de
la viande de lièvre;
408 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
'Boe on ari'ti ar Rouzik
'M euz ket bet souben ar c'hig,
Nemert soubenn ar c'hernio brinik. —
Ha groeg ar Rouzig a lavare
'Barz en ker ar Rnc'h pa arie :
— Itron Vari ar Folgoat !
Me na gavfenn ket eur vag bennak
Em c'hasfe erger da di ma zad? —
Chanté par Jeanne Le Bornic, de la Roche-Derrien.
Depuis que je suis arrivée dans la maison de Le Rouzic, — je n'ai
pas eu de soupe à la viande, — [rien) que de la soupe aux cornes de
berniques. »
Et la femme de Le Rouzic disait — dans la ville de La Roche lors-
qu'elle arrivait :
« Notre-Dame Marie du Folgoat! — est-ce que je ne trouverais pas
une barque quelconque — qui m'envoie chez nous dans la maison
de mon père? »
Il y a des tailleurs partout, c'esl-à-dire des chants oii le
héros est kemener. On a vu plus haut (p. M) que dans les
Montagnes-Noires, entre Chàteaulin et Chàteauneuf-du-Faon,
la tradition en a fait un soim, au lieu d'un gwerz; et l'on a
constaté comment le personnage a changé de manières et de
ton, en passant de Cornouaille en Tréguier, ou réciproque-
ment.
Comme la plupart des gwerz, celui de Le Rouzic est d'une
allure modérée; ce moderato est en contraste avec l'ironie du
sujet. Encore des mesures brisées, comme dans Ker-h,
GWKUZ ET SONN 109
J'ai retrouvé dans une autre chanson, La Fontciwllc, dont
je n'ai pas les paroles au complet, des cadences mélodiques
qui rappellent lair do Ar Rouzik Kcmener. Les deux airs sont
du pays de Tréguier; ils n'ont pas d'autre parenté; ils sont
même adaptés à deux récits bien diflerents. Dans ces deux
gwerz également, j'ai remarqué bien des expressions com-
munes et des vers entiers qui ont élé retenus identiquement,
comme des formules. Ces analogies à la fois poétiques et musi-
cales ne prouvent pas que deux gwerz ainsi signalés soient
d'un même auteur; mais elles servent à signaler pour deux
chansons un même pays d'origine.
no CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
KANOEN ' Ail VARTOLOTED
0 Gwerc'hez gloiiuz Vari, roed d'in-me ajistans
Da ganan eur werz newe, — c'hon 'vonet d'hi c'homans —
Zo groet da bewar martolod a Gemper-Gwezenek
Zo et gand eur vag newe ewid ar c'henlan gwech,
Zo et gand eur vag newe ewid ar c'hentan gwech :
N' an euz hini an-he a gemend a ve rez.
Ewit honzoli ho mammo ho deuz laret d'ez-hi :
— Pa c'homp laket war ann dour retornfomp adare. —
Pa defaint groet ho bagad ha prest da dond d'ar ger,
A savaz glao hag awel, siouaz! eur goall amzer;
1. Est-ce parce que ce récit n'atteint pas les proportions du y werz, que le
chanteur l'appelait kanoen '? — Kanoen, pour sonn, en trécorrois. — Kanaouen
est un terme générique, et il ne répugne pas au sens de gwerz.
CHANSON DES MATELOTS
0 Vierge glorieuse Marie! donnez-moi (votre) assistance — pour
chanter un gwerz ' nouveau : je vais le commencer;
Il a été composé sur quatre matelots de Quimper-Guézénec —
qui sont allés (sortis) avec une barque neuve pour la première fois,
Qui sont sortis avec une barque neuve pour la première fois : —
il n'y a aucun d'eux qui soit sauf.
Pour consoler leur mère -ils lui avaient dit : — « Puisque nous
sommes mis sur l'eau (partis déjà, voués à la mer), nous y retournerons
encore'. »
Lorsqu'ils eurent chargé leur bateau et (qu'ils furent) prêts à sen
aller à la maison, — se levèrent de la pluie et du vent, hélas! un
terrible temps ;
i. C'est donc un gwerz.
2. Evidemment je ne tiens cette chanson qu'à l'état informe et fragmentaire ;
autrement ce serait là une finfçulière façon de consoler une mère.
GVVEHZ ET SONN {\{
Mu savaz glao hag awel, siouaz! eur goall dourmant,
Ma deuz renkel perisan elin ho batimant.
Pipi ar Bouder a 1ère, eunn den a gourach vad
Pini savaz benn ter gwech ter gwech war bord he vag,
Pini save ben ter gwech ter gwech war bord ann dour
0 c'houlen ar Werc'hez Vari mamrri Jezuz dhen sikoui'.
Ha kriz vije ar galon ha kriz neb na oelje
En bord ann enezen Goad, ann hini a vije
0 welet pewar gorf maro manet en est-al-lin '
0 c'hortoz koat pe lien ewid ho lienin.
Eur c'hanod deuz a Vriet o tistrei da Bontre
'N euz anonset ar c'helo an de deuz ar heure,
An euz laret d'ar Bouc'her a oa beuet he vag
Ha fraillet dre ann anter e boid ann enez Koat :
1. Estai-lin, est-ce ud nom propre de lieu ? est-ce une époque de l'aaaée,
Vété du lin, le mois de juin... ? Le chanteur lui-même n'en savait rien.
Il se leva de la pluie et du vent, hélas ! une (si) terrible tourmente,
— que dut (en) périr enfin leur bâtiment.
Pierre le Bouder disait, un homme de bon courage, — qui se leva
par trois fois, trois fois, sur le bord de sa barque,
Qui se levait par trois fois, trois fois, à fleur d'eau, — en deman-
dant à la Vierge Marie, mère de Jésus, de le secourir '...
Et inhumain eût été le cœur, et inhumain celui qui n'aurait pleuré
— aux bords de File Coat, celui qui aurait été
A voir quatre cadavres restés à est-al-lin (?) — en attendant du
bois (des cercueils) ou des linceuls pour les ensevelir.
Un canot de Bréhat, retournant à Ponlrieux, — a annoncé la nou-
velle, le jour, au matin,
A dit à Bouher qu'avait sombré sa barque — et (qu'elle avait été)
féhdue par la moitié aux bords de l'ile Coat :
1. Cette phrase est sans doute incomplète, puisque les mots en apostrophe
n'y sont pas mais on n'a ancune peine à rétablir le sens.
112 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
— Ha posub ve diand Done me laket ma oU vad
'Wid ober eur vag newe ha beuin ma zri mab!
Ha c'hoaz 'wit koll ma mado me na ran keta gaz,
Mes l)eui!i ma zri biigel ze ra d'in glac'har vraz.
Me wel ari ma zri bugel — mes na antreont ket —
0 vonet da interin da Gemper-Gwezenek.
«Serait-il possible de la part de Dieu que j'eusse mis tous mes
biens — à faire une barque neuve et noyer mes trois tils !
Et encore pour perdre mes biens je ne fais pas de cas; — mais
noyés mes trois enfants, cela me donne une grande douleur.
Je vois arriver mes trois enfants (mais ils n'entreront dans pas ma
maison) — allant (passant) pour être enterrés à Quimper-Guézénec.
Ar Vartoloded , comme Ar Viiiorez , ma été chanté par
Le Guluche, de la Roche-Derrien. Ce gœerz est particulier à la
la presqu'île de Paimpol et de Tréguier.
Il va sans dire que les histoires de mer abondent dans cette
poésie populaire. Cependant les chansons de bord n'existent
plus en Bretagne (Y. p. 15). Les matelots bretons sont célèbres
aux quatre coins du globe, et ils ont pour adversaires dans les
récits toujours les Anglais; mais les pauvres marins ne re-
doutent que la mer, et ce n'est que d'elle qu'ils craignent la
mort.
Evidemment, je uai qu'un fragment de la complainte des
Marins de Quimper-Guézénec. Les vers en sont bien maltraités;
la plupart sont de treize pieds, et la pièce entière doit se tenir
sur celte mesure. La mélodie ne pourrait pas seule nous
renseigner irréfutablement : car il s'agit d'un gœerz, où le
chanteur ne se gêne [guère pour ajouter ou retrancher une
note, selon le besoin du vers.
GVVERZ ET SONN 113
AR VAZ
Ar sul kenta a viz gwengolo,
A oe embannet al lezenno;
Gourc'hemen da denna billet
E kanton Prat a eo asinet.
Bep ma tostae d'ann deiz-ze,
Ann dud iaouang a 'n em jene;
Ma larent oll dre ho mouezio :
— Ken la 'denno vo ar maerio;
Neuze a tenno ann notabled
Hag ar veleien sitoianed.
Ni 'rai sin ar groaz en bon c'herc'hen
Evit ma tennfomp ann hini wenn. —
LE BATON
Le premier dimanche du mois de septembre, — furent publiées les
lois ;
Commandement de tirer le billet (au sort) — dans le canton de
Prat a été signifié.
A mesure qu'on approchait de ce jour-là, — les jeunes gens avaient
du souci ;
Et ils disaient tous à haute voix : — « Les premiers qui tireront,
ce seront les maires;
Alors tireront les notables — et les prêtres citoyens.
Nous ferons le signe de la croix à notre cou, — pour que nous
tirions le (bulletin ou numéro) blanc. »
8
114 CHANSONS ET DANSKS ))i:S BRETONS
Ann deiz da denna p'eo ariet,
E kanton Prat a oent asinet.
Hi d'ann iliz da ober ho feden
Da drei diwar-n'ho ar blaneden.
Er c'hanton pa 'z int ariet,
011 en eur bagad dasturnet.
Ar c'homisaer en deuz gouleunet :
— Hag ari a zo parez ebed?
— la, evad, eme Tonkediz ;
Ni 'zo aman, ha Kavaniz.
— C'hoant braz ern euz ha bolonte
M'en em renkfac'h aze a goste,
Evit ma ienni d 'eoc'h ann dekred
Penn-da-benn, evel em euz han bet.
Lorsque le jour du tirage fut arrivé, — au canton de Prat ils furent
convoqués.
Eux (d'aller) à l'église faire leur prière, — pour détourner d'eux
la malchance (m. à m. : la planète, la mauvaise étoile).
Quand ils sont arrivés au canton, — (ils sont) tous rassemblés en
une bande.
Le commissaire a demandé : — « Quelque paroisse est- elle arri-
vée?
— Oui, sûrement, dirent ceux de Tonquédec; — nous sommes ici,
et ceux de Cavan .
— J'ai grande envie et je veux — que vous vous rangiez là, de
côté,
Afin que je vous lise le décret - d'un bout à l'autre, tel que je l'ai
reçu. »
GWERZ ET SONN 1 lo
Laret re ann eil parez d'eben :
— 'N em glevomp oll, ha na deiino den.
Ma larjont oll 'n eur memeuz moiiez :
— Kenta 'denno a gollo he vuez. —
M'az eaz unan war ar vur,
Hag a seblante eunn den fur;
Hag a lavaraz d'ar bobl neuze :
— Chomit oll en ho trankilite.
Deit oun a-berz ar c'homisaer
Da laret d'eoc'h taol ho pijer. —
Mond a rent war zu ann aodiler,
0 c'huchal derc'hel mad d'ho bijer :
— Rak ma dirolfe Pipi Gouer,
Ezom bon devo deuz bon bijer. —
Chaque paroisse disait à l'autre : — « Entendons-nous tous, et
personne ne tirera au sort. »
Aussi dirent-ils tous, d'une même voix : — « Le premier qui
tirera, perdra la vie. »
Et l'un d'eux monta sur le mur, — et qui paraissait un homme sage ;
Et il dit au peuple alors : — « Restez tous en votre tranquillité.
Je suis venu de la part du commissaire — vous dire de jeter là vos
bâtons. »
Ils allaient du côté de l'auditoire (V), — criant debien garder leurs
bâtons :
« Car si Pipi Kouer ' sort de ses gonds, — nous aurons besoin de
nos bâtons. »
1. Pierre Kouer. Kouer, paysan, est quelquefois employé (dans ce cas, par
exemple,) comme un surnom.
dl6 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Ar c'homisaer en deuz poan-benn;
Hag hen vond trezek Kervalouen,
'Kemer he varc'h hag o vond d'ar ger,
Na ouie den petra oa he baper.
Darn a zeii d'ar ger d'ho meren,
Darn ail da bardon Lann-Ervoan.
War-benn al lun deuz ar heure
A oft taolet ar jord a war 'n he-ze.
Neuze a ejont 'barz ann hent,
Ha gant-he binwio a fent :
Filjer-tol ha fosillono,
Ferier houarn ha fuzuillo,
Taladur sten ha pik houarn
Paliked ha kontel vouden ;
Le commissaire (en) a mal à la tête; — et lui d'aller vers Kerva-
louen,
De prendre son cheval et d'aller à la maison, — sans que personne
eût appris ce qu'était son papier.
Les uns vont chez eux à leur dîner, ~ d'autres au pardon de Lann-
Ervoan.
Le lundi, dans la matinée, — le sort fut jeté sur eux.
Alors ils se mirent en chemin, — avec eux des outils de fantaisie :
Des faux en tôle et dos faucilles, — des fourches en fer et des fusils,
Des doloires en étain et des pics en fer, — des pelles et des cou-
teaux à (couper la) tourbe ;
GWERZ ET SONN 117
Rask ha kontel vraz ar c'higer,
Skeltrenno fagod ha bijer:
Peulio kiri ha koat treuslo',
Trancho, orjo, pilad-avalo;
Nadoue, besken ar c'hemener,
Furm ha mineoued kereer.
Bep ma kerzent ebarz ann hent,
Ann tier oll a dismanlrent ;
Mond re gant-he krampoez, bara,
Ha zoken al lajo-dorna :
Ha n'e oa den d'ho reuzi,
Pe oant prest raktal d'ho ' zibri.
1 . Variante : Chistenno ha kareenno.
2. Le pluriel ho (eux) remplace le singulier den (personne) : c'est que ce sin-
gulier équivaut à un collectif.
Des râteaux et de grands couteaux de boucher, — des triques de
fagot et des bâtons ;
Des pieux de charrette et du bois de poutre, — des pioches, des
marteaux, des pilons à pommes;
Des aiguilles, des dés de tailleur, — des formes et des alênes de
cordonnier'.
A mesure qu'ils allaient dans la route, — ils dévastaient toutes
les maisons ;
Ils emportaient crêpes, pain, — et même les fléaux à battre.
Et il n'était pas une personne pour les refuser, — ou ils étaient
prêts à la dévorer.
1 . Les mots de celte énumération se trouvent les uns au singulier et les autres
au pluriel. 11 m'a paru, sinon plus correct, au moins tout simple, de les tra-
duire tous au pluriel, accompagnés de l'article indétini ou indéterminatif des
118 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
E Lanhuon p'az int ariet
Arc'hanolio a oa braket;
Taol a rent diwar 'n hez ho tan,
D'ar gwez a rent ar brasa poan.
Dam neuze pa weljont ann tan,
A 1ère d'ar re-all : — C'hast buhan.
Mez 0 vont kuit a oa ar re-ze
Gant aouen a goll ho buez.
Neuze vad a redjont d'ar ger
Hag a rejont ha bemde cher :
Kig ha souben pa oa ann deiz,
P'ho defoa miret ho buez.
Quand ils sont arrivés à Lannion, — les canons étaient braqués;
Ils jetaient d'eux leur feu : — c'est aux arbres qu'ils faisaient le
plus grand mal.
Les uns alors, quand ils virent le feu, — dirent aux autres :
« Dépêche-toi. »
Mais ceux-là étaient au point de s'en aller — , ayant peur de perdre
la vie.
Alors, par exemple, ils coururent à la maison, — et ils firent tous
les jours bonne chère,
De la viande et de la soupe, quand c'en était le jour, — mainte-
nant qu'ils avaient conservé la vie.
C'est un bon vieux recteur qui m'a procuré ce Gwerz ar vaz.
J'ai le regret de taire son nom. Nos prêtres bretons — J'en-
GWKRZ ET SONN 119
tends surtout ceux qui « sont sur le grand âge » — sont d'une
modestie incurable. Ils possèdent des trésors sur la Bretagne;
mais je n'ai rien obtenu d'eux, que sous la promesse d'une
discrétion confessionnelle.
Le recteur de Tr... a entendu cette chanson d'une femme de
son village, il y a plus de quarante ans, lorsqu'il n'était que
kharek;\a. femme était très vieille, et elle ajoutait que l'événe-
ment s'était passé de son temps, alors qu'elle n'était plus
jeune fille. Nous avons donc Tâge de cette complainte : elle
date d'un siècle.
Elle fut composée à l'occasion du premier tirage mi sort; et
elle fit fureur. « Les Bretons, dit le recteur de Tr..., ont des
gwerz sur tout ce qui s'est passé dans le pays. Un individu ne
sachant ni a mb devient poète tout à coup et il invente un
gwerz, qui perpétue le souvenir de l'événement dont il a été
témoin ». Or, en ce temps-là, on ne voulait lien entendre à la
conscription; et il y eut, autour de Prat ((^otes-du-Nord), à ce
sujet, une « levée de bâtons » générale. La chose aurait pu
tourner au tragique; ces réfractaires habitaient un centre
fameux de chouannerie. Mais leur marche sur Lannion a pris
un air d'équipée ridicule; l'on doit même, à mon avis du
moins, être tout surpris de ce résultat. Ce récit, au début si
sombre et si gros d'accidents à redouter, n'a pas l'unité du ton
et de couleur des gwerz, et il finit sur la note gaie de quelque
sonn. Si ce fut heureux que respect, sinon obéissance, restât à
la loi, pour les « porteurs de pcrin-baz » ce fut bien fâcheux :
tant pis pour leur gloire, qu'ils aient fait si piteuse mine devant
les canons !
Disgrâce d'un autre genre ; le prêtre de Tr... ne se souve-
nait plus que des paroles, et je n'ai trouvé personne au pays
qui sache l'air de ce gwerz. Certes, un chanteur ne serait pas
pris au dépourvu, pour si peu; sitôt vu que Gwerz ar vaz est
en vers de neuf syllables, il découvrirait tout de suite dans son
répertoire une mélodie, l'air d'une autre chanson sur cette
même mesure... Mais le folk-loriste n'a pas cette ressource
avec son public.
120 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
GWERZ ANN OTRO AR C'HAER.
Tostaed oU hag e klewfed
Eur werz a newe zo savet (bis) ;
D'ann otro maer Peurit a eo gret
Pehini a zo merzeriet.
He-unam a zo bet kiriek,
Rak gwall gojo en euz larel;
Rak eunn de war bave Landreger
A savaz etre-z-he eunn ereur.
Ann otro Rumin a lavare
D'ann otro Maer, p'hen rankontre :
COMPLAINTE DE M. LE CAER.
Approchez tous, et vous entendrez — un gwerz qui a été composé \
.'écemment [bis);
Il a été fait à (sur) M. le maire de Pommerit, — qui a été martyrisé.
Lui-même a été la cause (de sa mort) : — car il a tenu (m. à m.
dit) de graves propos ;
Car, un jour, sur le pavé de Tréguier, — s'éleva entre eux une
querelle.
M. du Rumain disait — à M. le maire (de Pommerit), lorsqu'il
(un jour qu'il) le rencontrait :
1. Ç,evel eur werz. m. à m., lever une complainte.
GWERZ ET SONN 421
— Otro ar Maer, ma em c'hered,
Ar papero d'in a diskwelfed ;
Diskweled d'in ar papero
A zo 0 redek dre ar vro. —
Ann otro Maer a respontaz
D'ann otro Rumin, pa hen klewaz :
— Ar papero na weli ket,
Rak velli war-n-he n'at euz ket;
Me rei gwerzan da oll zanve,
Ha goude e kolli da vue,
Ma na gérez kouitât ar vro ;
Operatour te a vezo,
Meudeuzin ar bevien dre ar vro. —
Ann otro Rumin a respontaz
Da vaer Peuret, 'vel m'hen klewaz :
— Otro ar Maer, serr da c'heno;
Me rai d'id pean da gomjo,
« Monsieur le Maire, si vous m'aimez, — vous me montrerez les
papiers,
Vous me montrerez ces papiers — qui sont à courir par le pays. »
M. le maire répondit — à M. du Rumain, lorsqu'il l'entendit :
« Ces papiers, tu ne (les) verras pas; - car tu n'as aucun droit
sur eux.
Je ferai vendre tous tes biens, — et ensuite tu perdras la vie,
Si tu ne veux pas quitter le pays ; — tu seras opérateur, — médecin
des pauvres par le pays. »
M. du Rumain répondit — au maire de Pommerit, dès qu'il l'en-
tendit :
« Monsieur Is Maire, ferme ta bouche; — je te ferai payer tes
paroles
122 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
War-benn anter-noz dirio
Me rai d'id pean da gomjo. —
Ann otro Rumin arok zo et;
Da glask kompagnonez eo et
Evit mond d'he di d'hen gwelet.
En traou ar porz pa int ariet \
Da 'n em gonkluin int chomet.
Unan en ti zo antreet,
En giz d'eur martolod oa gwisket.
Ar martolod a c'houlenne,
Ebarz ann ti p'en antree :
— De mad ha joa oll en ti-nian.
Ann otro Maer pelec'h eman? —
Ar wreg e oa étal ann tan,
En deuz respontet ken buan :
i. A cet endroit il y aurait une lacune prétendent tous les chanteurs.
Pour minuit jeudi — je te ferai payer tes paroles. »
M. du Rumain s'en est allé; — il a été chercher de la compagnie
— pour aller le voir (le maire) à la maison.
En bas de la cour quand ils sont arrivés, — ils sont restés (là) pour
arrêter leur projet.
L'un d'eux est entré dans la maison; — il était vêtu à la façon d'un
matelot.
Le matelot demandait, — lorsqu'il entrait dans la maison :
« Bonjour et joie à tous dans cette maison-ci! — M. le Maire où
est-il? »
La femme était près du feu (foyer) ; — elle a répondu aussi vite :
r.WEHZ ET SONN 123
— 'Barz en bourk Peurit eo eman,
En li Jozon ar G'hoz oc'h evan. —
Ar martolod p'en euz klewet,
Emez ann ti buan zo et.
Mes ar c'hi a c'harze bepred,
Ma ge et ar mewel da welet;
Ma ge et ar mewel 'mez ann ti
'Vit goût petra oa gand ar c'hi
Ma talc'he kement da randoni.
En traou ar porz p'eo ariet,
'Nn otro Rumin 'n euz kozeet :
— Mewel ann ti, lar d'in breman,
Da vestr ar maer pelec'h eman ? —
Ar mewel paour a respontaz
D'ann otro Rumin, 'vel hen klewaz '
— 'Barz e bourk Peurit eo eman
'N ti Jozon ar G'hoz oc'h evan. —
« Il est au bourg de Pommerit, — dans la maison de Joson (Joseph)
Le Goz, à boire. »
Le matelot, lorsqu'il a entendu cela, — est sorti vite de la maison.
Mais le chien aboyait toujours, — au point que le domestique (y)
est allé voir;
Au point que le domestique est sorti de la maison — pour savoir
ce qu'avait le chien — à continuer ainsi de faire la randonnée.
En bas de la cour lorsqu'il est arrivé, — M. du Rumain a parlé :
« Domestique de la maison, dis-moi maintenant, — ton maître le
maire> où est-il ? »
Le pauvre domestique répondit — à M. du Rumain, dès qu'il l'en-
tendit :
« C'est au bourg de Pommerit qu'il est, — dans la maison de
logon le Goz, à toire. »
124 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
N'oa ket he c'hir peurachuel,
Daou en he golier zo kroget,
Hag en deuz d'ez-han lavaret :
— Mewel ann ti, deud gan-imp-ni '
Evit rentan d'imp ann den-ze,
Pe c'houi a gollo ho pue. —
Ar mewel p'en euz klewet,
Da vourk Peurit hen a zo et.
Ar mewel paour a c'houlenne
En bourk Peurit, pa antree :
— De mad ha joa oU en ti-man.
Ma mestr ar maer pelec'h eman? —
1. Sorte de pléonasme, fréquent dans la prose comme dans Ja poésie. Gan-
in-mex gan-imp-ni : avec moi-m'fwe, avec noux-mê mes. Maïs même ne rend pas
exactement la répétition personnelle me ou ni.
Il n'avait pas achevé son mot, — que deux (de ces gens) * l'ont
saisi au collier, — et ils lui ont dit :
« Domestique de la maison, venez avec nous-mêmes — pour nous
livrer cet homme-là, — ou vous-même perdrez la vie. »
Le domestique, quand il a entendu cela, — est allé au bourg de
Pommerit.
Le pauvre domestique demandait — au bourg de Pommerit, quand
il entrait :
« Bonjour et joie à tous en cette maison-ci! — Mon maître le maire
où est- il? »
i. Le chanteur s'interrompt ici, comme un peu plus bas, à l'appréhension
du maire, pour faire cette reflexion : « On ne connaît plus ces deui-là ; mais
ils étaient nommés dans le gwe7'z primitif. »
GWERZ ET SONN i25
Ann olro maer p'hen euz klewet,
Prim en he zao zo savet.
Ar mewel paour a lavare
D'he vestr ar maer 'vel en gwele :
— Ma mestr paour, di-ou-in' ma senteil,
Da gomz out-he na n'efed ket ;
Rak gourdrouz fall zo 'n hoc'h eneb. —
Ann otro maer a respontaz
D'he vewel, evel m'hen klewaz :
— Me na ran forz piou zo aze,
Ec'h an raktal da gomz out-he. —
En loull ann nor p'eo ariet,
Daou 'n he golier zo kroget,
Emez ann li en deuz kaset :
— Ofro ar Maer, deud gan-imp-ni,
'Vit lenn eul lizer zo gan-imp ;
1. Pour diouz-in, en trécorrois, et mieux, ouz-in.
Quand M. le maire l'a entendu, — vite il s'est levé debout;
Le pauvre domestique disait — à son maître le maire, dès qu'il le
voyait :
« Mon pauvre maître, si vous m'écoutez, — vous n'irez pas leur
parler; — car il y a contre vous une méchante rumeur (colère ou
menace). »
M. le maire répondit — à son domestique, dès qu'il l'entendit :
« Peu m'importe qui se trouve là; — je vais aussitôt leur parler. »
Quand il est arrivé au seuil de la porte, — deux l'ont saisi au
collet, — ils l'ont emmené hors de la maison :
« Monsieur le Maire, venez avec nous, — pour lire une lettre que
nous avons.
126 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Da lenn eul lizer zo hine
Digaset d'imp gant maer Ponti'e. —
Ann otro maer a respontaz
D'ann daou den-man, 'vel m'ho c'hlewaz :
— Na ma zo gan-ac'h lizerio,
Antreed aman 'n ti Lanno,
Ha m'hen lenno deuz ar golo. —
Ann daou den-man a respontaz
Da vaer Peurit, pa hen klewaz ' :
— E ti Lanno n'antrefomp ket,
Rak n'eo ket mad e vemp gwelet;
Demp d'ober ann dro d'ar vered,
Ha ni c'hai gan-ac'h d'ar Waz-Vian,
Hag he* lennfed e-tal ann tan. —
1. Ce singulier est une licence ; il faudrait, régulièrement, le pluriel i/euyon<.
2. He, c'est le singulier. Plus haut, on lit pourtant lizet'o, des lettres. La
difficulté grammaticale serait levée, s'il y avait, au lieu du 'pronom he, la
caractéristique de l'impersonnel verbal e ; « e kltwfed, vous lirez ». Dans l'es-
prit du chanteur, Hzero avait l'équivalence d'un singulier ; comme litters,
en laiin, avec le sens de epislola.
Pour lire une lettre qui a été aujourd'hui — à nous envoyée par
le maire de Pontrieux. »
M. le maire répondit — à ces deux hommes-ci, dès qu'il les entendit :
« S'il y a avec vous des lettres, — entrez ici, dans la maison de
Lanno, — et je les lirai à la chandelle. »
Ces deux hoinnles-ci répondirent — au maire de Pommerit, quand
ils l'entendirent :
« Dans là maison de Lanno nous n'entrerons pas, — car il n'est
pas bon que nous soyons vus; — allons faire le tour du cimetière;
Et nous irons avec vous à GWi<z-Bihan ', -- et vous les lirez près
du feu. »
1. M. à m. petit lavoir ou étang.
GVVKHZ KT SONX 127
Pa deux ann dro d'ar vered groof,
'Tal ti-forn ann traou int ariet.
Kichen ar forn p'int ariet,
Kompagnonez en deuz kavet,
'Nn olro Rumin hag he botred ;
Goude bezan 'n em saludet,
He-man d'ar maer en euz laret :
— Ari eo ann amzer endro
Ma renki pean da gomjo. —
Pa eo gant-he eur pennad et,
Rebelion eo en deuz groet,
He votez 1er en euz kollet;
'Nn otro Rumin p'an euz klewet
He vaionetez an euz lennet,
'N he goste klein en euz hi skoet.
Quand ils ont fait le tour du cimetière, — près de la maison-à-four
d'en bas ils sont arrivés ;
Près du four ils sont arrivés, — ils ont trouvé de la compagnie, —
M. du Rumain et ses hommes;
Après s'être salués, — celui-ci a dit au maire :
« Le temps est venu, suivant son cours , — où tu devras payer tes
paroles. »
Quand il est allé avec eux un bout (de chemin), — il a fait rébellion,
— il a perdu son soulier;
M. du Rumain, lorsqu'il a entendu cela, — a tiré sa baïonnette,
— il l'a enfoncée dans son côté gauche.
128 CHAiNSONS ET DANSES DES BRETONS
Ac'hane neuze int bet et,
Bete Stang-ar-G'hont 'n deuz he kaset
Hag eno oe 'dare pognardet.
Ann otro Rumin p'an euz klewet,
He vaionetez en euz tennet,
'N he geste deo 'n euz hi blantet.
Ac'hane neuze int bet et,
Bete Keraudren e digaset
Hag eno oe 'dare pognardet.
Kri vije ar galon na oelje *
En Keraudren neb a vije,
0 klewet ar maer o c'houl pardon
Digant Rumin' greiz he galon :
1. J'ai entendu aussi : « hen gwelje... le cœur qui l'aurait vu... »Cela n'avait
plus de sens. — Goefje, î;ye, le présent du conditionnel, dans le sens du passé.
Cette substitution d'un temps présent à un prétérit, pour la forme, non pour
le sens, est d'un usage fréquent dans la poésie bretonne.
De là ensuite ils sont partis; — ils l'ont emmené jusqu'à Stang-ar-
C'hont', — et là il fut poignardé de nouveau,
M. du Rumain, lorsqu'il a entendu cela, — a tiré sa baïonnette,
— il l'a enfoncée dans son côté droit.
De là ensuite ils sont partis ; — ils l'ont emmené jusqu'à Kerau-
dren, — et là il fut encore poignardé.
Dur aurait été le cœur (de celui) qui n'eût pas pleuré, — de qui-
conque eût été à Keraudren,
En entendant le maire demander pardon — à du Rumain du fond
du cœur * :
1. M. à m. V étang du Comte.
2. « A-greiz he galon, du milieu de son cœur ». D'après une variante :
« Dreiz he galon, tout au travers du cœur «. Dreiz pour drez ou dre, en
récorrois.
GWERZ ET SONN 129
— Otro, lezd * gan-in ma bue,
Hag e po ma reng ha ma leuve
Hag ho c'heritourien 'n o goude. —
'Nn otro Ru min a respontaz
Da vaer Peurit, \el m'hen klewaz :
— Well eo gan-in hut da vue
Evid da reng ha da leuve. —
Kri vije ar galon na oelje
En Keraudren neb a vije,
0 klewet ar maer o c'houl pardon
Digand Doue 'greiz he galon :
— Me garje, ma Doue, c'halljenn
Kemer deuz ar ger c'hoaz ann henl,
Evit ma mije kimiadet
Deuz ma bugale, ma fried *. —
1. Lezd, pour lezed. Deux couplets plus has, kat, pour kaout ou kaet. Le
Irécorrois a l'habitude de ces contractions.
2. Pi'ied a le genre double du latin conjux. C'est le mari ou la femme.
« Monsieur, laissez-moi la vie, — et vous aurez mon rang et mes
revenus, — et vos héritiers les auront ensuite. »
M. du Rumain répondit — au maire de Pommerit, dès qu'il l'en-
tendit :
« J'aime mieux avoir ta vie, — que ton rang et tes revenus. »
Dur aurait été le cœur (de celui) qui n'eût pas pleuré, — de qui-
conque eût été à Keraudren,
En entendant le maire demander pardon — à Dieu du fond du
cœur :
« Je voudrais, mon Dieu, pouvoir — prendre encore le chemin de
la maison,
Pour que j'eusse fait mes adieux ' — à mes enfants, à ma femme. »
1. Kimiadi, dire l'adieu.
130 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Ann otro Rumin a respontaz
Da vaer Peurit, vel m' hen klewaz :
— Evid d'ar ger na n'efed ket,
Kimiaded aze, ma kered.
Lavar ar manus, pa giri :
Ragec'h oud en heur mavarwi. —
Ann otro maer p'hen euz klewet
Da gimiadi zo 'n em laket :
— Adieu 'ta, ma merc'h Jozefin,
Adieu 'ta, ma mab Jean-Mari *,
Adieu! eme-han, ma fried :
N'momp ken ar gras d'en em welet... —
1. Dans le prénom composé [Jean-Marie, Pierre-Marie, etc.)» le premier
mot est, en breton, exactement le même qu'ea français : toujours Jean-Mari,
et jamais lann-Mari.
M. du Rumain répondit — au maire de Pommerit, dès qu'il l'en-
tendit :
« Quant à la maison, vous n'y irez pas; — faites vos adieux là, si
vous voulez.
Dis le manus ', quand tu voudras : — car tu es à l'heure de la
mort (m. à m. l" heure où tu mourras). »
M. le maire, lorsqu'il l'a entendu, — s'est mis à dire l'adieu :
« Adieu donc, ma fille Joséphine; — adieu donc, mon fils Jean-
Marie ;
Adieu, dit-il, ma femme ! — nous n'aurons plus la grâce de nous
voir... »
1, Sans doute la prière qu'on chante à Compiles: « In manus tuas, Domine,
commendo spiritum meum. » Le premier mot d'une formule sert de titre : le
Pa^er... Ainsi, l'on dit d'un sorcier qu'il sait lire 1' «obsecro» dans les livres de
magie, pour les incautations.
r.wEKz i;t sonn 131
'Nn otro Rumin p'hen euz klewet,
He vaionetez en euz tennet,
î]n he galon 'n euz hi blantet.
Ac'hane neuze int bet et;
Beteg ar pasaj e oe traignet,
Hag eno a oe peurlac'het.
Ann otro Rumin a lavaie,
Etal ar pasaj p'en arie :
— C'hasted prepari hoc'h hacho,
Vit ma vo hacliet ann otro. —
He vap henan a respontaz
D'ann otro Rumin, vel m'hen klewaz
— 'Vit ze, ma /ad, na vo ket groet ;
Mizer awalc'h en euz soufret;
M. du Rumain, lorsqu'il l'a entendu, — a tiré sa baïonnette, — il
l'a plantée dans son cœur.
De là ensuite ils sont partis; — il fut traîné jusqu'au passage ', —
et là il fut achevé.
M. du Rumain disait — près du passage, quand il arrivait :
« Hàtez-vous de préparer vo» haches, — pour que monsieur (m. à
m. le monsieur) soit haché (en morceaux). »
Son fils aîné répondit — à M. du Rumain, dès qu'il l'entendit :
« Quant à cela, mon père, ce ne sera pas fait; — il a souffert assez
de misères (de tortures) ;
1. II y a deux passages, l'un à Poatrot, uou loin de Keraudren, l'autre entre
Trojçuéry et Saint-Yves de Minie'hi, sur la rivière du Jaudry, qui passe à La
Roche-Derrien et à Tréguier.
432 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Deuz ar bourk beteg ar pasaj
Ar vizer 'n euz soufret zo braz. —
Ann otro Rumin p'hen euz klewet,
He vaionetez en euz tennet ;
'N he skouarn glein en euz hi tlantet
Ha dre he skouarn deo en euz hi zennet.
Ann otro Rumin pen euz gwelet,
'N eur min pounner eo bet kroget,
En he gerc'hen en euz han laket.
Ha pa defoa ho zorted groet,
Ar vag war flod e deuz laket,
Ebarz ar vag e oe toUet,
Ha kdset gant-he d'ar sabren
D'am dostik da DouU-ar-Serpant.
Chanté par Jean Le Rolland, de Louannec.
Depuis le bourg jusqu'au passage, — la misère qu'il a soufferte,
est grande. »
M. du Humain, lorsqu'il l'a entendu, — a tiré sa baïonnette ;
Il l'a plantée (au maire) dans son oreille gauche. — et par son
oreille droite il l'a retirée.
M. du Rumain, quand il a vu cela (le coup de grâce donné), —
a saisi une pierre lourde, — il l'a mise à son cou (attachée au cou du
maire) .
Et lorsqu'ils eurent accompli leur forfait, — ils ont mis à flot le
bateau (du passage); — et (le maire) fut jeté dans le bateau,
Et emporté par eux au banc de sable — qui est tout prèsdeToull-
ar Serpant (m. à m. le trou du serpent.)
Ce gwerz fini, le chanteur ne manque jamais d'ajouter, en
guise de renseignements : « Daou ha pewar-ugent a oant,
GWKRZ ET SONN 433
0 lac'ha ar C'haor, maer Peurit, — Ils élaient qualrc-vingl-
deux, à tuer Le Caer, le maire de Pommerit. »
Naguère on fournissait d'autres éclaircissements sur cette
complainte historique. Elle est incomplète, par endroits. J'ai
signalé plus haut quelques-unes de ces lacunes. A ce passage :
« Près du four... ils ont trouvé de la compagnie, M. du Rumain
et ses amis », ily avait une énumération des quatre-vingt-deux,
qu'on a retranchée, par mesure de prudence. Les chanteurs se
sont vu imposer celte discrétion.
L'événement qui a donné lieu à ce gwerz, arriva en 1815,
lors de la deuxième chouannerie. Le maire de Pommerit-
Jaudy, (c M. Le Caer «, était un bleu. Le crime de du Rumain
et de ses complices fut jugé à Saint-Brieuc, en 1819. Ce procès
souleva dans le pays breton la même émotion que l'affaire
encore récente du « Crucifié de Hengoat » : ily eut des acquit-
tements analogues. Les héritiers de Le Caer et ceux de ses
ennemis politiques ou particuliers sont encore nombreux dans
toute la contrée ; j'ai connu, à Quimper, un très proche parent
au maire de Pommerit.
La première fois que j'ai entendu le Gwerz ann ptro ar
C'haer, c'est en 1880. Le vieux Kerambrun n'en savait plus
que des couplets épars. J'attribuai à une défaillance de
mémoire la mutilation que subissait ce souvenir de guerre
civile chez un contemporain — presque un témoin — de l'hor-
rible événement. (Rapport paru dans les Archives des Missioîis
scientifiques et littéraires] 3" série, tome VIII; 1883.)
La principale raison en est que le chant n'est plus qu'en de
rares bouches, bien que le fait dont il est l'écho, soit encore
dans toutes les mémoires. On ne passe pas à Toull-ar-Serpaîif,
avec un homme du pays, sans qu'on entende, chaque fois,
comme en une phrase devenue sacramentelle : « C'est ici que
fut tué M. Le Caer. »
La chose irait au rebours des théories du folk-lore. C'est le
chant qui s'éteint, tandis que persiste le récit oral d'où est
sortie la chanson. Celle-ci n'offrirait-elle pas assez ces carac-
tères généraux sans lesquels aucune production de l'esprit
n'est assurée de vivre? En effet, ce gwerz a tout le « localisme »
i34 CFfANSONS KT DANSES DES BRETONS
d'un sonn; pour quiconque n'est pas de Tréguier ou de Lannion,
il s'agit uniquement d'un assassinat, où les Chouans et les Bleus
ne sont ni nommés ni reconnaissables. Et, de plus, les meur-
triers de Le Caer ne sèment plus aujourd'hui la terreur autour
des chanteurs populaires; surtout, la querelle de du Rumain
et de son rival est devenue lettre morte pour le pays; on ne
se rend plus un compte exact de ces mots importants papero
et lizero, de ces papiers et de ces lettres qui ont fomenté la
haine et poussé au coup fatal. Et ce gwerz historique dispa-
raîtra pour ces deux raisons à la fois.
L'air de cette complainte est l'universel andantp , avec les
mesures brisées des récitatifs.
r.WERZ ET SONN 135
AR FILOUTER FIN
Didostaed, tudo iaouank, ha klevfed kanan
Eur chanson divertisant zo gret 'vid ar-blaman,
A zo gret d'eunn den iaouank, eur filouter fin ;
Ma intented eur farserez, ze rai d'ec'h c'hoarsin.
Arabad vo'ta, tud iaonank, sellet diont-han :
Kalz ha re a filouterien ve dre ar vro-man ;
Hag evit rai zur da intend d'ann oll hostijen,
Na daiont ket da rai reput d'ar filouterien.
Ann den-man oa den pinvidik, eunn den a feson,
A gredan a oa ginidik demeuz à Léon.
0 vean e ger re vaget, (meur a hini zo),
'Neva laket'n he fantazi mond da vale bro ;
LE FIN FILOU
Approchez, jeunes gens, et vous entendrez chanter — une chanson
divertissante qui a été composée cette année-ci,
Qui a été composée sur un jeune homme, un fin filou; — si vous
comprenez une farce, cela vous fera rire.
Il ne faudra donc pas, jeunes gens, le regarder (de trop près) : —
beaucoup et trop de filous se trouveraient (alors) dans ce pays-ci.
(Voici) encore, pour donner sûrement à entendre à tous les au-
bergistes — qu'ils ne viennent pas donner la nourriture (l'hospitalité)
aux filous.
Cet homme-ci était un homme riche, un homme de bonnes façons
{ou de qualité); — je crois qu'il était natif du Léon.
Comme il était à la maison trop bien nourri (plus d'un est de la
sorte), — il se mit (en tête) la fantaisie d'aller courir le pays;
•136 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Laket 'n euz 'n he fantazî mond da boursu he chans ;
Kas ra gant-han aour hag arc'hant 'barz ann abondans.
En Montroulez hag en Gwengamp, en Treger e bet,
'Barz en Dinam, en Sant-Malo hag en Sant-Briek;
Ac'hane e deu da Bariz ar filouter fin,
Hag ar ialc'h a deu da blada souden alafîn.
Ac'hane e deuaz neuze d'ar ger a Raon,
Hag eno e manket d'ehan he brovizion;
C'hoaz en eva efronteri da c'houlenn lojan
Ebarz en eunn hosteleri, n'oa diner gant han.
En em antren ebarz ann ti, en den brao gwisket :
— C'hoant em euz, 'me-han, ma hostiz, da vean lojet ;
G'hoant em euz da vean lojet en ti-man fenoz,
Hag eur banac'h gwin da eva ebarz em repoz. —
Ann hostiz prest d'hen dizervijin d'ehan 'n euz laret ;
— Antreed eta, den iaouank, lojet a veed.
Il s'est mis (en tête) la fantaisie d'aller poursuivre son aventure.
Il emporte avec lui de l'or et de l'argent en abondance.
A Morlaix et à Guingamp, à Tréguier il a été, — à Dinan, à Saint-
Malo et à Saint-Brieuc.
De là vient à Paris le fin filou, — et sa bourse vient à s'aplatir sou-
dain, à la fin.
Delà il vint alors dans la ville de Rennes, — et là lui a fait défaut sa
provision.
Encore il avait l'effronterie de demandera loger — dans une hôtel-
lerie : et il n'avait pas un denier sur lui ;
En entrant dans cette maison, vêtu en bel homme : — «J'ai envie,
dit-il, mon aubergiste, d'être logé ;
« J'aienvie d'être logéen cette maison-ci, cettenuit, — et (je voudrais)
un peu de vin à boire en mon repos. »
L'aubergiste, prêt à le servir, lui a dit : « Entrez donc, jeune
homme ; vous serez logé.
GWERZ ET SONN 437
Komered kador hagazeed kichen anntan,
Ma po 'r banac'h gwin da eva da c'hortoz ho koan. —
Pa'n eva débet hag evet hag hen gret he roi,
Hag hen Maret d'enr plac'h neuze dizervijin ann dol.
— Tenned gan-ach ho poutaillo, plajo ha gweren ;
Ma c'hesed d'eur gampr da gousket 'n eur gwele kempen . —
Eno komansaz ar filout kaout nec'hamant,
0 chonjal en he beamant, pa na n oa arc'hant :
— Ha débet am euz hag evet ha groet am euz cher ;
Penoz a pein ma skoden, pa n'am euz diner ? —
Ha comprened ar finese demeuz ar potr fin :
Eunn diou pe der heur 'rog ann de hen ia d'ar jardin ;
Hag hen o komans neuze toullan ann douar,
Hag oc'h interin he vrago en touU-ze raktal.
Pa 'n oa intérêt he vrago ebarz ann touU-ze,
Deuaz adarre 'n he wele da c'hortoz ann de.
« Prenez une chaise et asseyez-vous près du feu, - que vous ayez un
peu de vin à boire en attendant votre souper. »
Après qu'il eut mangé et bu et joué son rôle, — et lui de dire à une
fille alors qu'elle desservît la table :
« Emportez vos bouteilles, plats et verre; — conduisez-moi à une
chambre, pour dormir dans un lit bien préparé. »
Là commença le filou d'être embarrassé — en songe'înt à son paie-
ment, puisqu'il n'avait pas d'argent :
« J'ai et mangé et bu et fait bonne chère ; — comment payerai-je mon
écot, puisque je n'ai pas un denier ? »
Et comprenez la ruse du malin garçon : — environ deux ou trois
heures avant le jour, il va au jardin ;
Et lui de se mettre alors à creuser la terre — et d'enterrer ses culottes
dans ce trou-là, tout de suite.
Quand il eut enterré ses culottes dans ce trou-là, — il vint encore
dans son lit pour attendre le jour.
138 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Pa oa ari ann de-mintin hag hen evit sortial ;
Pa na gave ket he vrago, gomansaz da grial :
— Forz, eme-han, ma mignoned, sikour, me ho ped :
Ma oU arc'hant ha ma brago, toud ec'h int laeret. —
Ann hostiz hag ann hostizez e kroec'h ec'h int et :
— Chomed 'n horepoz, den iaouank : para zo ariet?
Ha pa pe kollet ho prago, ze na ra netra ;
Arabad e hondekrian : ni a dai d'ho pea. —
— Nan, n'e ket zur ma brago a ma gra jenet ;
Ma oU arc'hant e oa en-han : toud ec'h int laeret.
Tri-ugent pistol en aour melen hag en arc'hant melen,
Oa en total deuz ma arc'hant, pevar realuspen. —
Ha furchet a oa neuze kement oa en ti,
Bugale, mewel ha matez ha potr marchosi.
Lorsqu'arriva le matin, et lui pour sortir; — comme il ne trouvait
pas ses culottes, il commença de crier :
« A la force ! dit-il, mes amis, au secours! je vous prie : — tout mon
argent et mes culottes, tout a été volé. »
L'hôte et l'hôtesse sont allés en haut: — Demeurez en votre repos,
jeune homme; qu'est- il arrivé ?
« Et quand même vous auriez perdu vos culottes, cela nefaitrien; —
il ne faut pas nous décrier : nous parviendrons à vous payer (dédom-
mager).
— Ce sont pas sûrement mes culottes qui me rendent inquiet; —
(mais) tout mon argent était là-dedans : tout a été volé.
« Soixantepistolesenorjauneet en argent jaune', —c'était le total de
mon argent, et quatre réaux (vingt sous) en outre. »
Et l'on fouilla alors tous ceux qui étaient dans la maison: — enfants
serviteur et servante et garçon d'écurie.
î." Toutes les version» disent melen (jaune), et non gwenn (blanc) : de l'argent
jaune.
GWERZ FT SONN 139
Ar filout-man oa 'n he wele, a grie bopreil :
— Penoz ec'h in-me d'am c'hartier ? Me zo rouinet.
Ha chilaoued eta, hosfiz, 'barz en berr langach :
Ma na reniez d'in ma brago, me rai d'id domach,
Rag'witme a gavo teslo, pa vankfe kant d'in,
Da laret oann ket divrago pa oann deut d'ho ti :
Rak me a zo eunn den onest, mar zo em c'hontre.
C'houlennan ket ober d'ac'h koll, pell deuz ac'hane.
Rented d'in eur brago mezer ha tregont pislol :
Pa mo pardonet eunn hanter, na golin ket oll. —
Ann hostiz hag ann hoslizez deuz a galon vad
A ro d'ehan tregont pistol ebarz 'n eur ialc'had ;
A ro d'ehan tregont pistol, brago mezer zaoz ;
Neuze oa kontant ar filout, pa oa mad he goz.
Ce filou-ci était dans son lit et criait toujours: — « Gomment irai-je
en mon quartier (retournerai-je dans mon pays) ? Je suis ruiné.
« Écoutez-donc, aubergiste, en peu de mots : — si tu ne me rends
mes culottes, je te causerai dommage.
(( Car, pour moi, je trouverai des témoins, quand il m'en faudrait cent,
— pour dire que je n'étais pas sans culottes lorsque je suis venu dans
votre maison ;
« Car je suis un honnête homme, s'il y en a dans ma contrée.— Je ne
demande pas à vous faire tort, loin de là.
« Rendez-moi desculottes de drapet trente pistoles: — quand je vous
aurai pardonné la moitié, (du moins) je ne perdrai pas le tout. »
L'hôte et l'hôtesse, de bon cœur, — lui donnent trente pistoles dans
tine bout-se,
Lui dtJnhëttt trente pistoles, (un) pantalon de drap anglais;— alors
étôit eetiteflt le filou, puisque sa cause était bonne.
140 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
C'hoaz en evaz da dijunin, kent 'wit partian ,
Pa 'n eva pardonet ann hanter, e oa joa out-han.
En eur sellet endro d'ehan hen zo partiel :
— Kenevo, 'me-han, ma hostiz, ar c'hentan gweled: —
Eunn daou pe dri devez goude ann hostiz o palad he jardin
Hag hen hag o haet neuze brago ar potr fin ;
Hag 0 komans da grial diwar Louez he benn :
— Homan zo d'in tro eur filout ! Me zo eunn azen.
Kement hostiz 'zo er vro-man 'c'hallo zur donet
Na da ober goab ac'hanon : me 'zo rouinet.
Am euz kollet tregont pisrol hag eur brago mezer,
Roet he goan, he dijuni daeur fripon ter.
Chanté par Perrine Her.not, femme Héligoin, de Rospez.
Encore eut-il à déjeuner avant de partir : — comme il avait pardonné
la moitié, on lui montrait de la joie.
En regardant autour de lui il est parti : — « Adieu, dit-il, mon au-,
bergiste, jusqu'au prochain revoir. »
Quelque deux ou trois jours après, l'aubergiste, en pelletant son
jardin, -^ et lui de trouver alors les culottes du rusé garçon ;
Et de commencer à crier à tue-tête : — « Voici pour moi un tour de
filou ! je suis un âne !
« Tout ce qui est aubergiste en ce pays-ci pourra certes venir — et
pour se moquer de moi : je suis ruiné !
« J'ai perdu trente pistoles et des culottes de drap ; — j'ai donné son
souper, son déjeuner à un fameux fripon. »
Le caractère tout anecdotique de celte chanson en fait bien
un gwerz. La complainte, en général, est larmoyante ou
i.WERZ ET SONN 141
tragique ; celle du Filon serait donc dans l'exception. Tout l'in-
térêt se porte sur le récit; l'air est insignifiant, banal et
d'origine étrangère sans doute.
On serait porté à marquer la date du Filouter sur quelques
traits. Les pistoles ne sont plus en usage, au pays breton;
elles n'ont eu cours qu'après les diverses visites des Espagnols,
à la suite de la Ligue. Les réaux, de même, ne sont plus de la
monnaie courante; mais ils n'ont pas disparu de la langue
usuelle : un franc, c'est toujours quatre réaux, dans l'arithmé-
tique du peuple... On sait donc que ce gwerz ne peut pas
remonter plus haut que le xvu* siècle. Il serait téméraire
d'affirmer autre chose.
J'ai entendu cette histoire de voleur à Rospez, dans un
bureau de tabac, pendant que le tribunal de Lannion faisait,
en la maison d'à-côlé, une descente de justice.
SONN
CHANSON DE KLOAREK
1 — Kalz a amzer am euz koUet
Tra la la la la ladira lonlaine
Kalz a amzer am euz kollet,
Ha studian n'am euz ket groet.
Beaucoup de temps j'ai perdu, — tra la la...,
Etudier je n'ai pas pu.
Multum temporis perdidi
Et studere non potui.
12 — Abalamour d'eur feumeulen — tra la la...
A-greiz ma c'halon a garenn.
Pour une jeune fille que j'aimais,
Que de tout mon cœur j'adorais.
Propter quamdam filiolam
Quam toto corde amabam.
3 — 'Barz ar ru Newe a chôme
Hag aliez d'in lavare :
Dans la rue Neuve ell'demeurait,
Et souvent elle me disait :
In via Nova manebat
Sœpeque mihi dicebat :
4 — € Petra rez 'barz ar golejen
Mar dleomp bean priejen ?
Dans le collège que faites-vous,
Si nous devons être époux?
Quid facis in collegio
Si mihi fueris sponso?
144 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
5 'Barz ar ger-man 'zo zoudarded,
Kemer-unan ha ma lezed'.
Dans cette ville y a des soldats,
Prenez-en un et laissez-moi.
Sunt milites in hac urbe :
Cape unum, dimitte me.
6 Deuz ho * soudarded n'oullan ket,
Eur c'hloarek renki da gaet.
De vos soldats je ne veux pas,
Un clerc ^ me possédera.
De tuo milite nolo,
Clericum possidebo.
7 Petra laro d'imp-ni bon zud,
Pa glevfont bugale munud,
Mais que diront nos chers parents
Quand ils entendront les enfants.
Quid dicent quoque parentes
Quando audient infantes.
8 — 0 c'houl bara digant tata
Ha boïk-boïk-boïk digant maman?
Demander du pain à leur père,
Ainsi que du lait à la mère?
Panem a pâtre petentes,
Lac a matre postulantes? »
1. Kemer est le singulier, et lezed, le pluriel. Il y a, entre ces deux nombres,
certain effet de contraste que n'otfrent évidemment ni le double pluriel da
français, ni le double singulier du latin. Du reste, les trois textes n'offrent
pas une concordance rigoureuse, bien qu'iU maintiennent un sens à peu près
identique.
2. Le possessif ho est également de la 2» et de la 3o personne. 11 provo-
querait bien des amphibologies, si la lettre initiale du mot suivant n'était
sujette à des mutations : ho soudard ed, vos soldats ; ho zoudarded, leurs sol-
dat».
3. Variante : Un doux clerc me possédera. — Cet adjectif doua: me semble
ajouté à uue leçon primitive ; « nn doux clerc », ce n'est pas dans la note
généralement simple du texte trilingue.
r.wKnz KT soMN 145
Au temps du collège, nous chantions le Kloarek trilingue
clans cet ordre : breton, français, latin. Pour quelles raisons?
Le texte breton me paraît être l'original. Il n'a pas cet air
de traduction, que le latin ne réussit pas à déguiser :
Si mihi l'ueris sponso...
Panem <a paire petentes,
L.1C a matre postulantes.
Quant au français, jo le crois ici hors de cause : il est d'une
platitude inimitable. On rencontre dans le breton, d'ailleurs,
des expressions ou des mots qui ne sentent pas l'emprunt et
dont il ne reste pas de traces dans le double texte correspon-
dant ; ainsi cette onomatopée : boïk-boïk-bo'ik {botk, en une
seule syllabe, malgré le tréma conventionnel.)
M. Gaston Paris reconnaît qu'il y a dans la version latine
quelques tournures rappelant la langue de la scolastique :
De tuo milite noio...
La chose n'est pas étonnante. Certains collèges de Bretagne
avaient gardé, comme les séminaires de nos jours, et vien-
nent de perdre à peine l'habituflo du latin dans la conversa-
tion; c'était une tradition du moyen âge. Aussi bien est-il
fort possible que des expressions, vieilles ainsi de plusieurs
siècles, soient entrées même dans une traduction.
Des mots français se sont glissés dans le texte breton :
taia (ne serait-ce pas une transaction entre tad (père) et
papaVj^ 7iiaman ; lonlame^ du refrain, est devenu familier au
breton. Ce mélange est le résultat inévitable d'un commerce
fréquent enire les deux idiomes ; mais il ne prouverait nulle-
ment la postériorité de la version bretonne.
Celte chanson est-elle l'œuvre d'un kloarek trécorrois,
ainsi qu'on nous le disait? Kolejen ei pricjcn sont des voca-
bles inusités dans la région que bornent le Trieux et le
10
146 CHANSONS ET DANSES DES BBETONS
Guer*; ils indiqueraient simplement que l'auteur du Honn
était « natif du Léon ». D'un autre côté, Tréguier n'est plus,
depuis la Révolution, et n'était pas, avant cette époque des
milices oblig-atoires, une « ville de soldats. » Et qu'importe,
après tout, le lieu précis d'origine ?
Les chansons bilingues (breton et français; sont communes
en Bretagne. Souvent, le couplet n'y va pas, d'un bout à
l'autre, dans un même idiome; après un vers breton, vient un
vers français; celui-ci est à peu près la traduction du précé-
dent, ou il en est le complément; quelquefois les deux expri-
ment un sens contraire, dans les sonn satiriques ; et ces con-
tre-sens font la grande joie de quelques initiés. Voici le
premier couplet d'une de ces chansons farcies :
M'am be me sikour Apollon*
Od l'esprit de Voltaire,
Me 'm bije kompozet etir son : '
Mais, hélas ! comment faire?
Brema me a zo bel pedet *
Par quatre demoiselles,
D'ober d'ezho peb a gouplel. '^
Je vais m'occuper d'elles.
J'ai transcrit deux versions de la mélodie du kloarek. La
première, je la connaissais depuis mes années de collège ; je
tiens la seconde de mon ami M. Le Toiser, instituteur à Per-
ros-Guirec : elle diffère sensiblement de l'autre, surtout à la
cadence finale.
1. Le Trieuz, qui coule de Guingamp à Lézardrieux, fait la limite approxi-
mative du Goëlo et du Tréguier ; le Guer passe à Lanaion ; le Jaudy coupe vers
le milieu le l^nu-Treger.
2. M. à m. : si j'avais le secours d'Apollon.
3. J'aurais composé une ctianson.
4. Tout-à-l'heure j'ai été prié.
5. De leur faire à chacune an couplet.
GWEUZ ET SONN 147
AK BONOMIK
— Debonjour d'ec'h, Janedik,
Bonjour d'ec'h a laran, — breman
Bonjour d'ec'h a laran;
Pelec'h eman 'r Bonomik,
Pa n'eman o toma? — breman
Pelec'h eman 'r Bonomik
Pa n'eman o toma?
— Eman du-ze el liorz
Oc'h evesad ann ed, — me a gred
Oc'h evesad ann ed;
Il-hu c'hardi d'he gavet
Ha n'ho refuzo ket, — me a gred
It-hu c'hardi d'he gavel
Ha n'ho refuzo ket. —
LE BONOMIG »
« Bonjour à vous, petite Jeanne, — bonjour à vous je dis, mainte-
nant, — bonjour à vous je dis : — où est le Bonomic, — puisqu'il
n'est pas à se chaufler, maintenant? — Où est le Bonomic, puisqu'il
n'est pas à se chauffer?
— Il est là-bas dans le courtil — à garder le blé, je crois, — à
garder le blé; — allez hardiment le trouver, — et il ne vous refusera
pas, je crois; — allez hardiment le trouver, — et il ne vous refusera
pas. »
J. M. à in. : petit bonhoinm>;.
148 CHANSONS Eï DANSliS DES BRETONS
— Debonjour d'ec'h, Bonomik,
Bonjour d'ec'h a laran, — breman
Bonjour d'ec'h a laran ;
Konje ho merc'h Janedik
Digan ec'h a c'houlennan, — breman
Konje ho merc'h Janedik
Da zemezi 'rbloa-man.
— Eleal, ma merc'h Janed
Na zemezo ket c'hoaz, — evit c'hoaz
Na zemezo ket c'hoaz ;
Chom a rei 'n daou pe dri bloaz
Da roui' ann ébat c'hoaz, — evit c'hoaz..,
— Bez' o po keun, Bonomik,
Beza ma refuzet, — me a gred
Beza ma refuzet,
G'houi deuio d'he ofr d'in-me,
Ha n'he c'hemerin ket, — me a gred...
— Taped ho sac'h, kloaregik,
Lakid han var ho skoa, — ia da
Lakid han var ho skoa :
Koulz eo d'ec'h hen kaout breman
Evel hen kaout da vloa, — ia da... —
« Bonjour à vous, Bonomic, — bonjour à vous je dis, maintenant,
— bonjour à vous je dis : — le congé (la main) de votre fille petite
Jeanne — d'avec vous je demande, maintenant, — le congé de votre
fille petite Jeanne — d'avec vous je demande.
— Par e.Kemple, ma fille Jeanne — ne se mariera pas encore, pour
encore, — (elle) ne se mariera pas encore ; — eile restera dans les
deux ou trois ans — à courir les ébats encore, — pour encore...
— Vous aurez regret, Bonomic, de m'avoir refusé, je crois, — de
m'avoir refusé ; — vous viendrez me l'offrir à moi, — et je ne la
prendrai pas, je crois...
— Prenez votre sac, petit kloarek, — mettez-le sur votre épaule,
oui donc, — mettez-le sur votre épaule : — autant vaut-il pour vous
que vous l'ayez à présent — que de l'avoir l'an prochain, oui donc... y>
GWERZ ET SONN 149
Neuze c'ha 'r c'hloareg iaouank
Da ganut Janed... oh! — oh! ohl
Da gaout Janed ..oh!
— Eur pokik, ma dousik-koant,
Ouz-oc'h a c'houlennan — breman...
— E lec'h eur pokik, ma dous,
G'houi pezo daou ha tri — ia, c'houi
G'houi pezo daou ha tri;
Ha malloz d'ar goall deodou
Zo koz d'hon disparti, oh ! — ia, c'houi.,
A-benn eunn eiz de goude
Janed zo chomet klanv — ia, klanv
Janed zo chomet klanv,
Ma komans ar Bonomik
Dond d'enem chagrinan, — han! han!,
Neuze za 'r Bonomik
E za da foueta bro — ho! ho!
E za da foueta bro,
Da glask ar c'hloareg iaouank
Da[gemer Janed, ho! — ho! ho!...
Alors va le jeune kloarek — trouver Jeanne... oh! oh! oh! —
trouver Jeanne... oh ! — « Un petit baiser, ma petite douce-mignonne,
— de vous je demande, maintenant...
— Au lieu d'un petit baiser, nwn doux (aimé), — vous en aurez
deux et trois, oui, vous, — vous en aurez deux et trois; — et malé-
diction sur les mauvaises langues — qui sont la cause de notre sépa-
ration, oh!... oui, vous... »
Au bout d'environ huit jours ensuite, — Jeanne est restée malade,
oui, malade, — Jeanne est restée malade, — (au point) que com-
mence le Bonomic — d'en venir à se chagriner, han! han!...
Alors va le Bonomic — va battre la campagne, ho ! ho ! — (il) va
battre la campagne, —cherchant le jeune kloarek — pour prendre
Jeanne, ho! ho! ho!
150 CHANSONS ET DANSES DES BftETONS
— Debonjonr d'ec'h, kloaregik,
Bonjour d'ec'h a laran, — breman
Bonjour d'ec'h a laran :
Aboe ma oc'h bet du-man
Janed zo chomet klanv, — oh! ia, klanv...
— Laret 'm boa d'ec'h, Bonomik,
0 pije ma c'hlasket, — hag abred
0 pije ma c'hlasket,
E teujec'h d'he ofr d'in-me,
Ha n'he c'homerjen ket : — ne rin ket
Daled ho sac'h, Bonomik,
Lakid-han var ho skoa, — ho! ia, da.
Lakid-han var ho skoa :
Koulz eo d'ec'h hen kaout 'r bloa-man
Evel hen haout da vioa — ho ! ia da. —
Chanté par le sacristain de Plougonver, chez M. Delafargue.
« Bonjour à vous, petit kloarek, — bonjour à vous je dis, mainte-
nant, — bonjour à vous je dis : — depuis que vous avez été chez moi,
— Jeanne est restée malade, oh! oui, malade.
— Je vous avais dit, Bonomic, — que vous m'auriez cherché, et
bientôt, — que vous m'auriez cherché, — que vous viendriez me
l'offrir à moi — et que je ne la prendrais pas : je ne le ferai pas.^
Voilà votre sac, Bonomic, — mettez-le sur votre épaule, oh! oui,
ionc, — mettez-le sur votre épaule : — autant vaut-il pour vous l'avoir
•efte année-ci — que de l'avoir l'an prochain, ho! oui donc. »
r.WRRZ El- SONN dSl
ANN t^URZUNEL
Kalz a amzer 'm euz koUel o furchal ar c'hoajo,
0 klask surpren eunn durzunel kousket war arbranko;
Dewet am euz ma amors, et e ma zenn de fal : .
Achapet ann durzunel ha ninjet 'n eur c'hoad ail.
Deuz ann noz ha d'ar heure o klewet lapoused
0 kanan, o fredonin, davegar gwe pignet,
N'an euz hini anez-ho hag a bik ma c'halon
Evel mouez ann durzunel o oelan d'he mignon :
— N'euz na souten, na remet, na konsolasion
Ve kab da dond da galmin tourmancho ma c'halon;
Fraillet on gand ar glac'har, mond a ran da verwel :
Met na varwin ket kontant, ma na varvan fidel.
Ma c'halon zo'tizec'hin fraillet gand ar glac'har,
Evel d'eunn intanvez paour kollet ganfi-hi he far. —
N'an euz hini anez-ho hag a bik ma c'halon
Evel mouez ann durzunel o oelan d'he mignon.
LA TOURTERELLE
Beaucoup de temps j'ai perdu à fouiller les bois, — cherchant à sur-
prendre une tourterelle endormie sur les branches; — j'ai brûlé mon
amorce, mon coup est allé à mal (a manqué) : — la tourterelle s'est
échappée et envolée dans un autre bois.
Le soir et le matin, lorsque j'entends les oiseaux — chanter, ga-
zouiller, perchés au haut des arbres, — iln'est aucun d'eux quipénètre
mon cœur — comme la voix de la tourterelle qui pleure son amant :
« Il n'y a ni soutien, ni remède, ni consolation — qui soient capables
de venir calmer les tourments de mon cœur; — je suis brisée par la dou-
leur, je m'en vais mourir; — mais je ne mourrai pas contente si je ne
meurs fidèle.
«Mon cœur est à se dessécher, brisé parla douleur, — commeàune
pauvre veuve qui a perdu son compagnon. » — Il n'est aucun d'eux qui
pénètre mon cœur — comme la voix de la tourterelle qui pleure son
amant.
J52 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Petra, turzunel iaouang, a dourmand da galon ?
— KoUet am euz, emez-hi, ma fidelan mignon.
Gant ma dai ar chaseer da cher d' in merwel !
Met na varwin ket kontant, ma na varwan fidel. -:-
Mizilour skier ha brillant deuz ar fidélité,
Ar model ar sinseran demeuz ar garante!
— Me na varwin ket kontant, ma na varwan fidel. —
Birwiken na dizonjin maro ann durzunel.
Chanlépar Jeanne-Yvonne Le Rolland etJoséphine Tanguy, de Lammerin.
Quoijeune tourterelle, (qu'est-ce qui) tourmente ton cœur. — « J'ai
perdu, dit-elle, mon plus fidèle ami. — Pourvu que vienne le chasseur
me faire mourir ! — Mais je ne mourrai pas contente, si je ne meurs
fidèle. »
Miroir clair et brillant de la fidélité; — le modèle le plus sincère
de l'amour ! — « Je ne mourrai pas contente, si je ne meurs fidèle. » —
Jamais je n'oublierai la mort de la tourterelle.
La chanson de « la Tourterelle » est toute moderne. On la
vend, sur une feuille volante, à la librairie Le Goffic (de Lan-
nion), qui en aurait la propriété. L'intrusion des mots fran-
çais y est considérable. Ce qui n'empêche pas d'être en grande
vogue cette plaintive tourterelle, un sonn allégorique. C'est
que le peuple a le même goût que les enfants pour les
oiseaux et les êtres qui vivent dans une intimité spéciale avec
la nature. Les femmes surtout ont une prédilection pour cette
chanson, dont l'attrait réside dans la sentimentalité des pa-
roles et dans la suavité de la mélodie.
GWERZ ET SONN
153
ANN DEN KOZ HAG ANN EVNIK
I.
Na dec'h, d'ann noz diveza,
Ha pa oa koaniet d'in,
Ha me o vond em jardin
— le, tralira tralalik tralira
Ha me o vond em jardin
En aviz pourmenin.
n.
Ha me o vond em jardin
En aviz pourmena,
Ha me 'klevet eunn evnik
— le, tralira tralalik tralira
Ha me 'klevet eunn evnik
War eur boud o kana.
m.
Hag 0 vonet ann evnik
Hag o c'houlenn ouz-in :
— Pe te 'zû klanv a galon
— le, tralira tralalik tralira —
Pe te 'zo klanv a galon,
Pe te 'n euz poan spered ?
IV.
— Na n'ez on klanv a galon,
Med em euz poan spered
Na gant keun d'am iaouankiz
— le, tralira tralalik tralira —
Na gant keun d'am iaouankiz
En deuz ma c'houiteet.
LE VIEILLARD ET LE PETIT OISEAU
Hier donc, à la nuit dernière, — et lorsque j'eus soupe, — et moi
d'aller à mon jardin, — ié, tralira tralalik tralira — et moi d'aller à
mon jardin — dans le dessein de me promener.
Et moi d'aller à mon jardin — dans le dessem de me promener ; —
et moi d'entendre un petit oiseau, — ié, tralira tralalik tralira — et
moi d'entendre un petit oiseau — qui (éfait) sur une branche à
chanter.
Et de venir le petit oiseau, — et de me demander : — « Ou bien
es-tu malade de cœur, — ié, tralira tralalik tralira — ou bien, es-tu
malade de cœur, — ou bien as-tu des peines d'esprit ? »
— « Je ne suis pas malade de cœur; — mais j'ai des peines d'es-
prit — et (c'est) par le regret de ma jeunesse, — ié, tralira tralalik
tralira — et (c'est) par le regret dama jeunesse, — qui m'a quitté.
iU
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Larez te d'in, evn bihan,
Te 'n euz plun ha diou-eskel,
Na mond a raz evid on
— le, tralira tralalik tralira —
Na mond a raz evid on
Eur veachig a bell?
VI.
Da gerc'had d'in ma iaouankiz
Hag- a zo et a droad ?
Ha pa vi aru aman
— le, tralira tralalik tralira —
Ha pa vi aru aman
Nimp 'evo boutaillad. —
VIL
— Tawd'in gand da iaouankiz;
Na p'az eo et 'n he roud,
Gand oll vado ar bed-man
— le, tralira tralalik tralira —
Gand oll vado ar bed-man
N'on ket 'vid hen kavout. —
vm.
— la, med kenfn euz ma c'houi-
[teet]
Dismeganz an euz d'in gret :
Tortet an euz ma diskoa
— Te, tralira tralalik tralira —
Tortet an eux ma diskoa.
Ma barw an euz grizet.
IX.
Ma dent dimeuz ma geno.
Ma fenn dizoloet,
Ha ma oll ajilite
— le, tralira tralalik Iralira —
Ha ma oll ajilite,
011 ez int gant-hi et.
Dis-moi, oiseau petit, — tu as des plumes et deux ailes, — irais-tu
pour moi, — ié, tralira tralalik tralira — irais-tu pour moi — en un
petit voyage au loin?
Me chercher ma jeunesse — qui s'en est allée par le pied (ou, à
pied)? — et lorsque tu seras de retour ici, — ié, tralira tralalik tralira
— et lorsque tu seras de retour ici, — nous boirons bouteille. »
— « Donne-moi la paix avec ta jeunesse; — puisqu'elle s'en est allée
par son chemin, — avec tous les biens de la terre, — ié, tralira
tralalik tralira — avec tous les biens de la terre — je ne suis pas à
même de la retrouver.
— Soit. Mais, avant qu'elle m'ait quitté, — elle m'a fait outrage :
— elle a voûté mes deux épaules, -=- ié, tralira tralalik tralira — elle
a voûté mes deux épaules ; — ma barbe, elle l'a grisonnée.
(Elle m'a pris) mes dents de la bouche, — a mis ma tête à nu, —
et toute mon agileté, — ié, tralira tralalik tralira — et toute moh
agilité, — tout s'en est allé avec elle.
r.Wr.RZ ET SONN
i55
X.
Me am euz bet eunn amzer
Oann soubl 'vel eur gorreen,
A dansen war ar gorden
— le, tralira tralalik tralira
A dansen war ar gorden
Heb bezan krog en den.
XI.
A dansen war ar gorden
Heb bezan krog en mad :
Eunn troad d'in a zo ramplel
— le, tralira rralalik tralira —
Eunn troad d'in a zo famplet,
Hog ez on kouet a blad.
XII.
Eunn troad d'in a zo ramplet,
AUaz ! hag ez on kouet ;
Ha herve ma lèverez
— le, tralira tralalik ttalira —
Ha herve ma lèverez,
Sevel na c'hallin ket. —
Chanté par Marianne Thomas, mercière à Pleudaniel.
J'ai eu un temps — où j'étais souple comme une courroie, — où
je dansais sur une corde. — ié, tralira tralalik tralira, — où je dan-
sais sur une corde — sans me tenir à personne,
Où je dansais sur une corde — sans me retenir à rien : — un de
mes pieds a glissé, — ié, tralira tralalik tralira — un de mes pieds a
glissé — et je suis tombé à plat.
Un de mes pieds a glissé, — hélas ! et je suis tombé ; — et, ainsi
que tu dis, — ié, tralira tralalik tralira — et, ainsi que tu dis, —
me rele\ter, je ne le pourrai pas.
Dans le pays de Tréguier, tout le monde a entendu cette
ballade allégorique. La mélodie en est un peu savante, et je
he Connais guère que des vieillards qui l'aient retenue dans
sa siticérité. Je la transcris deux fois. Le second air m'a été
charité par le tisserand Kérambrun, déjà très vieux ; il avait
la vdix cassée et le souvenir infidèle. Le barde octogénaire
a tout à fait altéré et même transformé la charmante mélodie
jifimitivei
456 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
SON
Disul viniin, ha pa savenn,
0 rein drein drein
0 ra la ritra
0 rein drein drein laridenno
Da chibouez ar c had e ienn,
Tihoho
Da chibouez ar c'had e ienn.
Tihohoho.
Chibouez ar c'had, ar c'hevelek,
0 rein drein drein...
Me renkonlraz ma mestrez
Tihoho
E-kreiz ar c'hoad o oela.
Tihohoho.
— Mestrez iaouank, d'i-me lared,
Goste perag a oeled?
— Goela a rann ha keuz am euz :
Ma inor a zo kollet. —
CHANSON
Dimanche matin, dès que je me levai, — o rein drein drein —
o ra la ritra — o rein drein drein laridenno — j'allai chasser le
lièvre, — tihoho — j'allai chasser le lièvre, — tihohoho.
Chasser le lièvre, la bécasse; — o rein drein drein... — je rencon-
trai ma maîtresse — tihoho — qui pleurait au milieu du bois. —
tihohoho.
« Jeune maîtresse, dites-moi : — pourquoi pleurez-vous ?
— Je pleure et j'ai regret : — j'ai perdu mon honneur. »
GVVEKZ ET SONN 157
Ha me 'krogaz 'n hi dornig gwenn,
Hi digas da vord ar c'hoat.
— Mestrez iaouank, d'i-me lared :
Goste perag a ganed?
— Kana a rann ha joa am euz :
Ma inor a chom L^en-ein ! —
Et je la pris par sa petite main blanche, — et je la conduisis à la
lisière du bois.
« Jeune maîtresse, dites-moi : — pourquoi chantez-vous?
— Je chante et j'ai de la joie : — mon honneur me reste. »
Voila une chanson de chasse. N'est-ce pas que ce refrain
9 rein drein drein vibre comme un appel du cor? Et celle
autre onomatopée du tihoho !
La mélopée est composée de deux motifs bien distincts. Le
premier est scandé comme une marche — mais une marche
couverte, à pas discrets, — et il se termine sur une cadence
étrange, inattendue — laridenno — ; puis, éclate un majeur
d'une allure triomphale. Cet air est un des plus caractéris-
tiques que j'aie entendus.
El dans cette historiette d'amour — sept couplets — quel
mouvement et quel drame ! On retrouve partout cette légende ;
presque toujours, c'est un conte gai ; il me semble que nulle
part elle n'est empreinte d'une aussi suave gravité : c'est
comme à regret que les Bretons dépouillent la femme du
charme dont elle est entourée dans la tradition celtique.
Ce aonn est fort répandu aux environs de Quimperlé, sur les
confins du cornouaillais et du vannetais : de là, ses dispa-
rités— j'allais dire ses impuretés — dialectales.
158 CHANSONS KT DANSES DES BRETONS
MADELENIK
Deit-hu gen-aon, Madelenik,
C'hemp hon daou da droc'hon segal?
— Ho ! fe ! graon ; ho ! fe I na naon :
Rak troc'hon rin ma gar.
— Deit-hu gen-aon, Madelenik,
C'hemp hon daou da droc'hon guiniz?
— Ho ! fe ! graon ; ho ! le ! na naon :
Rak troc'hon rin ma biz.
— Deit-hu gen-aon, Madelenik,
C'hemp hon daou da droc'hon kerc'h?
— Ho ! fe ! graon ; ho ! fe ! na naon :
Rak chom a rin varlerc'h.
— Deit-hu gen-aon, Madelenik,
C'hemp hon daou da droc'hon guiniz-du?
— Ho ! fe ! graon ; ho ! fe ! na naon :
Rak na n'onn ket ann tu.
PETITE MADELEINE
« Venez- vous avec moi, Madeleinic, — que nous allions tous les
deux (nous deux) couper du seigle? — Ho ! (ma) foi ! j'y vais ; ho !
foi ! je n'y vais pas : — car je me couperais la jambe.
— Venez-vous avec moi, Madeleinic, — que nous allions tous
les deux cduper du froment ? — Ho ! foi ! j'y vais; ho ! foi ! je n'y
vais pas : — car je me couperais le doigt.
— Venez-vous avec moi, Madeleinic, — que nous allions tous les
deux couper de l'avoine ? — Ho 1 foi 1 j'y vais, ho ! foi I je n'y vais
pas : — car je resterais derrière.
— Venez-vous avec moi, Madeleinic, — que nous allions tous les
deux couper du blé noir V — Ho ! foi ! j'y vais; ho ! foi ! je n'y vais
pas : — car je n'en suis pas la manière.
(;\VKKZ in' SDN.N 159
— Deil-hu };etiaon, Madelenik,
C'heaip hon daou da hija avalaouV
— Ho ! fe ! graon ; ho ! fe ! ma naon
Kak toull e ma chokadaou.
— Deit-hu gen-aon, Madelenik,
C'hemp hon daou da hijo per?
— Ho! fe! graon; ho! f e ! na naon :
Kouls e d'in mond d'ar ger.
— Deit-hu gen-aon, Madelenik,
C'hemp hon daou da hijo prun?
— Ho! fe! graon; ho! fe! na naon :
Red eo d'in chom war iun. —
Chanté par M. Grégoire Delakargue.
— Venez-vous avec moi, Madeleinic, — que nous allions tous les
deux secouer les pommes (pommiers) ? — Ho ! foi ! j'y vais ; ho ! foi !
je n'y vais pas : — car mon tablier {ou cotillon, pièce d'habille-
ment...) est percé.
— Venez-vous avec moi, Madeleinic, — que nous allions tous les
deux secouer les poires? — Ho ! foi ! j'y vais; oh ! foi ! je n'y vais
pas : — autant me vaut-il de m'en aller à la maison.
— Venez-vous avec moi, Madeleinic, — que nous allions tous les
deux secouer les prunes ? — Ho ! foi ! j'y vais; ho ! foi ! je n'y vais
pas : — il faut que je reste a jeun. »
Tout le piquant de ce dialog-ue réside dans les réponses de
la « petite Madeleine ». Le sujet est lire d'un thème uni-
versel. Ce qui sauve ce s07în de la banalité, c'est évidemment,
avec les répliques, là façon assez vive dont s'y prend le
séducteur, énumérant ses occupations diverses aux champs.
L'air a gardé exactement le caractère alerte et le ton d'iro-
nie de la chanson.
Le sonn de Madelenik est en dialecte côrtlouaillais ; il est
né dans cotte partie de la Cornouaillo qlli Confine à l'ancien
évêché de Tréguier, à ceux de Vannes et de Quimper; tout
près, devait être la forêt de Brocéliande.
160 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
SON AR PILLAOUER
Va zad en deuz va demezet
Da eur flaeriuz pillaouer;
E Lokefret ez co ganet
E komanant Toul-al-Laer.
Diskan. — Foue, foue, foue d'am zammig aotrou
Gand he stoup hag he billaou !
Ann devez warlerc'h he eured
E oa foar e Landerne :
Va lannig evel ennn durzunel
A sav pront euz he wele.
A vec'h e ve 'nn anter-noz anler
Ma tan dija he gorn-butun ;
Diskrouga ra he grog-poezer :
Selu hen war henl Sizun.
CHANSON DU CHIFFONNIER
Mon père m'a mariée — à un puant de chiffonnier; — àLoquéfretil
est né — dans le convenant de Toul-al-Laer.
Refrain. — Fi ! fi ! fi de*mon petit bout de monsieur — avec ses
étoupes et ses chiffons !
Le lendemain de ses noces — il y avait foireàLanderneau: — mon
lannic (petit Jean) comme une tourterelle — se lève promptement de
son lit.
A peine est-il la minuit et demie — qu'il allume déjà sa pipe à
tabac; — il décroche sa balance : — le voilà sur le chemin de Sizun.
dWEnz HT sONN 161
Va lannik pa ia d*ar foariou.
A. vezato mezou-dall;
Prest a oa da goll he vragou
E Montroulez, en deiz ail.
Va lannig a zo eunn aotrou
He dog war goste he benn ;
Mar selfec'h euz he vragou,
E welfec'h he groc'hen.
Pa vez pignet war he uzen
E touskhe dammou pillaou,
Evel eunn impalaer romen,
Ez eo berr en he gomzou.
Pa zai ann ankou da rida
Toul va flaeriuz pillaouer,
Me'ziredo da lavaret
E kommanan Toul al-Laer :
Ridet eo va zammig aotrou
Gand he stoup haghe billaou.
Chanté par M, Stéphan, pharmacien à RoscofT.
Mon lannic, lorsqu'il va aux foires, — est toujours ivre-mort; — il
était près de perdre ses culottes — à Morlaix, l'autre jour.
Mon lannic est un monsieur — (avec) son chapeau sur le côté de
la tête ; — si vous regardiez à ses culottes, — vous verriez sa peau.
Lorsqu'il est monté sur son âne — au milieu de ses morceaux de
chiffons, — comme un empereur romain, — il est bref dans ses
propos.
Quand viendra la mort rider — le trou ' de mon puant de chif-
fonnier, — j'accourrai dire — au convenant de Toul-al-Laer :
Il est ridé (raidi) mon petit bout de monsieur — avec ses étoupcs
et ses chiffons.
1. Il y a peut-être un jeu de mots entre ce trou {toul) et Toul-al-Laer.
11
IG2 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Je me souviens que M. de Lavillemarqué m'a dit un jour,
au sujet de ce pillaoïter : cj'ai connu l'auteur de Toul-al-
Laer; c'était un tel, de mes amis.» Rien qu'aux rimes croi-
sées, ce sonn doit être tenu pour récent ; «l'empereur romain»
non plus n'est pas tout à fait dans le sens des véritables chan-
sons populaires. Cependant la vulgarisation s'est opérée
autour de ce chiffonnier, qui est en train, du reste, de se cor-
rompre déjà dans la tradition ; entre Lannion etTréguier, j'en
ai recueilli une variante, dont voici les trois derniers cou-
plets :
Si la coutume venait en ce pays-ci — de briser les mariages, —
je m'en irais en chantant — loin des marchands de chiffons;
Si le chariot de la mort venait — faire sa tournée par ce pays-ci,
— je courrais sur ses traces — et je le prierais de m'emporler ;
Si le coup de la mort venait — à frapper sur mon pillaouer. — je
m'en irais en chantant — au convenant de Toul-al-Ler :
Il est radi, mon petit bout de monsieur...
Je transcris, après l'air du Léon, celui que j'ai entendu à
Lanmerin (pays de Tréguier). On jugera des transformations
que peut subir une mélodie, en passant de la contrée natale
dans un voisinage. L'origine du sonn ne saurait être mise en
doute : les formes dialectales du Léon (mots non contractés,
terminaisons en ou), sont restées dans la version trécor-
roise.
r.WERZ ET SO.NN I6î^
AR G'HEMENER
(Le Tailleur)
Il ya des tailleurs partout, c'est-à-dire des chants où le héros
est kemener. Dans les Montagnes-Noires, entre Châteaulin et
Châleauneuf-du-Faon, à-t-on vu plus haut (p. 17), la tradi-
tion en a fait un sonn, au lieu d'un gwerz comme Le Rouzic ;
comme il a été dit aussi pour le kloarek, en passant d'un
dialecte dans un autre, le personnage a changé de manières
et de ton. Malheureusement, ceux qui savaient la chanson
entière ont disparu; on la vend toujours dans les foires, aux
environs de Quimper; mais elle a perdu son refrain, et on l'a
transformée au point que c'est à peine quelque chose du sonn
primitif. Je n'en connais que ces deux couplets, et je les dois
à l'obligeance de M. Louis Hémon.
Ar c'hemener pa ia d'ann ilis
Far dibi dao oao oao
Ar c'hemener pa ia d'ann ilis,
A zo gwisket 'vel eur bourc'hiz ' ;
Pa ia da gemer dour binniget
Far dibi dao oao oao
Pa ia de gemer dour binniget,
A ra taol lagad d'ar meried.
Rigedonda, \^ar ar c'hemener I
Rigedonda, kemener oa !
Ar c'hemener pa vo intérêt,
N'vo ket laket 'n doar binniget ;
Mes vo laket d'ar penn ann ti
D'ar chas mond da slola war-n'hi^
1. Une autre version dit : « vel eur markin — comme im marquis ».
1. Tyar-n'/tt, grammaticalemeul : « sur elle ». War-n'ehan; war-n'han :« sur
lui ».
Celle faute de grammaire a»t-elle été commise à dessin? Aiusi l'on aurait
164 CHANSONS tT DANSES DES BRETONS
Le tailleur, quand, il va à l'église — far dibi daooao oao — le tail-
leur, quand il va à l'église, — est habillé comme un bourgeois;
— lorsqu'il va pour prendre de l'eau bénite — far dibi dao oao oao
— lorsqu'il va pour prendre de l'eau bénite, — il donne un coup d'œil
aux filles. — Riguedonda sur le tailleur ! — riguedonda, c'est tail-
leur qu'il était.
Le tailleur, quand il sera enterré, — ne sera pas mis en terre bé-
nite; — mais il sera mis au bout de la maison, — pour que les
chiens aillent pisser sur lui.
Ce fut pourtant un Kemener fameux. Il fit son tour de
Gornouaille, et j'ai retrouvé ses traces un peu partout. Mais
sa gloire s'est émieltée; je n'ai ramassé sur son passage que
des lambeaux et des loques : pas même de quoi draper ce
pauvre mort.
Ann diveradur deuz ar gwe
Rei dour binniget war he ve;
les gouttes de pluie (tombant) des arbres — serviront d'eau
bénite sur sa tombe. »
Voilà un fragment de couplet, dont s'est souvenu un sacris-
tain des environs de Cout-ann-Noz. Un sonneur de Saint-
Servais m'a conté que ce tailleur eut d'étonnantes funérailles ;
ce furent des réjouissances ;
Ar biniou hag ar vombard,
Evel ma ve da iun al lard;
(on sonna) du biniou et de la bombarde, — comme c'est (cela
se passe) pour le lundi gras. —
voulu combler d'outrages le tailleur, en refusant à cet être inférieur jusqu'à
son sexe. Il ne sera plus d'aucun genre déterminé : « Un taileur n'est pas un
homme », dit un proverbe.
D'un autre côté, ces erreurs grammaticales ne sont pas rares. Elles ont été
faites par quelque chanteur, dont le breton peut-être n'était pas la langue fami-
lière ; acceptée par l'auditoire, sans critique aucune, elles ont été dans la suite
maintenues et transmises sous le couvert du texte.
GWERZ ET SONN 165
Ne dirait-on pas que chacun a conservé du Kemener un
souvenir parliculier, comme un héritier recherche ce qui lui
va le mieux dans un partage?
Les onomatopées oao-oao ne manquent jamais leur effet ; à
cet endroit, toujours un aboiement général. Le rôle de
l'harmonie imitative, dans les sonn de métiers, est à constater.
Il y a des chanteurs qui ont la spécialité de ce pittoresque
d'expression; j'en ai connu, dont le succès était sans égal
dans un « sonn du rémouleur » ou dans certaine parodie de
« la truie écourtée ». Ces onomatopées sont naturellement
réservées au refrain.
IGC CHANSONS ET DANSliS DKS BRKTONS
AR lOUEN
Setu var ann daol
Souben, kig ha kaol,
Jaketa;
Ar louen gand he koutell fall
A troc'h aman ha kig-sal.
Setu var ann daol,
Jaketa,
Souben, kig ha kaol.
Pa ia louen d'ar foar
Ez eo eunn den dispar,
Jaketa ;
Evid ober he vourc'hiz
E pren eur bara gwiniz.
Pa ia louen d'ar foar...
Hen dibri a rei
Var-dro ar c'hreiz-dei,
Jaketa,
Ijag a viro ann anter
Da kas d'he vugale d'ar ger;
Hen dibri a rei...
LE lOUEN
Voilà sur la table — de la soupe, de la viande et des choux, —
Jacquetle. — Le louen avec son mauvais couteau — coupe du beurre
et de la viande salée (du lard). — Voilà sur la table, — Jacquette, —
de la soupe, de la viande et des choux.
Quand va louen à la foire, — il est un homme sans pareil, —
Jacquette : — pour faire son bourgeois — il achète un pain de fro-
ment; — quand va louen à la foire...
Il le mangera — vers le midi, — Jacquette; — et il (en) gardera
la moitié — à porter pour ses enfants à la maison ; — il le mangera...
GWERZ KT SONN 167
Erru e louen
Garni he femelen,
Jaketa,
Bronduet gat taolion dorn,
Peur dizantet, kasi born ;
Erru e louen...
Ho daou 'maint er fos
Betek fin ann noz,
Jaketa,
Kuit da uza tan, goulou,
Ha da saotri liseriou ;
Ha daou 'maint er fos...
Pa kler ar c"horn-bout
0 voudel d'ar iout,
Jaketa,
Anter maro gad ann naon
E kers evel d'eunn anaon
Pa klerar c'horn-bout...
Ar iout zo chomet
A vo astomet,
Jaketa,
Ha pasket'gant glaour ha kranch
D'ar paotr bihan leun he vanch ;
Ar iout zo chomet...
Chantée au diner celtique de Paris, par M. Caurant.
Est arrivé louen — avec sa femme, — Jacquette, — noircie
(meurtrie) par les coups de poings, — à peu près édentée (les dents
cassées), presque borgne; — est arrivé louen...
Tous les deux sont dans le fossé — jusqu'à la fin de la nuit, —
Jacquette, — quittes (pour ne pas) d'user du feu, de la chandelle, —
et de salir des draps de lit ; — tous les deux sont dans le fossé...
Lorsque résonne le corn-bout — appelant pour la bouillie, —
Jacquette, — à moitié mort de faim, — il marche comme un tré-
passé; — lorsque résonne \e corn-bout...
La bouillie qui est restée, — sera réchauffée, — Jacquette, —
et mastiquée avec des glaires et de la salive — pour le petit garçon,
plein sa manche (son ventre) ; — la bouillie qui est restée...
168 CHANSONS ET DANSES DF.S BRETONS
A travers les Montagnes-Noires, sur les confins de la
Cornouaille et du Léon, cette satire du ioiien — le pauvre
paysan — , est fort répandue. Le iouen, qui n'est désigné que
par un surnom, est tout spécial à la Cornouaille du Finistère,
et ce kouer lamentable nous égayé, comme un infirme, à
contre-cœur; si l'on rit à sa chanson, c'est que l'air est
dans le registre élevé et d'un allegro entraînant. Il y a des
types moins misérables et plus franchement ridicules, à qui
l'on jette la pierre d'autant plus volontiers qu'ils portent la
tète plus haute, le tailleur, par exemple, et le chiffonnier : à
eux aussi, plus qu'au iouen, la renommée.
GWERZ ET SONN 169
KORBINO
Man plij gan-ac'h, a chileouted [bis)
Eur sonik koant zo kompozet ;
Diskan. — Di raitronla ladira diraine
Di raitronla ladira lonla.
Eur sonik koant ha jolori
Zo groet war zujedeur c'hi.
Ar c'hi-man na oa ket eur zot,
E debe 'r c'hig demeuz ar poud ;
Ha pa gave 'nn ti 'n he un an,
G'he gant-han diwar ann tan
Erwoan Brijant deuz ar Ger-Du
Roaz de-han eur c'hoele du.
CORBINO
S'il vous plaît, vous écouterez (bis) — une petite chanson char-
mante qui a été composée ;
Refrain. — Diraitronla ladira diraine — diraitronla ladira lonla.
Une petite chanson charmante et un charivari — qui ont été faits
au sujet d'un chien.
Ce chien-ci n'était pas un sot; — il mangeait la viande (qu'il
tirait) du pot-au-feu ;
Et quand il trouvait la maison toute seule, — il l'emportait (même)
encore sur le feu.
Yves Prigent de Ker-Du (Ville-Noire) — lui donna un taureau
noir.
170 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Pipi ar Floc'h, oa eunn oac'h mad,
A roaz de-han daou danvad;
Eunn tamm da vlasan he zouben
Ha doubleur da diou gorfen :
Ann draillaseno a vano,
Vo mad da ober choukenno ;
Vo mad da ober choukenno
D'ar merc'hed da vond d'ann danse ;
Ha pa sellfond * deuz ho boto,
E gavfont brao ho choukenno ;
E kavfont brao ho choukenno
Fourniset d'he gant Korbino.
En ti Voulard deuz ar Ger-Wenn
E c'hez gant-han al langouren ;
1. Dans le dialecte de Tréguier : sellfoint, qu'on prononce sellfoïnk (2 syll.).
Pierre le Floc'h, qui élait un homme bon, — lui donna deux
moutons ;
Un (morceau de viande) pour donner du goût à sa soupe — et (de
quoi faire) la doublure de deux corsages :
Les morceaux qui resteront — seront bons à confectionner des
cous-de-pied ' ;
(Ils) seront bons à confectionner des cous-de-pied — aux jeunes
filles pour aller aux danses ;
Et lorsqu'elles regarderont leurs sabots, — elles trouveront beaux
leurs cous-de-pied;
(Elles) trouveront beaux leurs cous-de-pied, — que leur aura four-
nis Corbino.
Dans la maison de Boulard, de Ker-Wenn (la Ville-Blanche), — il
emporta le gosier ;
1. Chouken, coussinet en étoffe ou en paille tressée, qui garaâUt le coii-de-
pied dans le dur sabot de bois.
GWERZ ET SONN 171
Et e ganl-han al langouren,
Ann askorn-kroaz hagar josken,
Potred ann Treud oa' c'hadan kerc'h,
Hag a diredaz war-he-lerc'h ;
Ha ma krient ha c'harz ha sko ;
— Et ar porc'hel gant Korbino ! —
En ti Pipi 'nn Du 'n euz groet woaz :
Débet skoagen ar gazek c'hlaz ;
Débet 'n euz brid ar gazek wenn
Ha boto 1er an verc'h viffen ;
Débet an euz ar c'hulier kroaz
Hag ar c'hropier diwar ar bas.
Tud Eflam goz a levere
Ann eil d'egile deuz an-he :
II a emporté le gosier, — l'os des mâchoires et la joue.
Les gens de Le Treud étaient à semer de l'avoine; — et ils cou-
rurent après lui ;
Et ils criaient à tue-tête ' : — « Le cochon gras a été emporté
par Gorbino ! »
Dans la maison de Pierre Le Du il a fait pire : — il a mangé le
bût de la jument bleue;
Il a mangé la bride de la jument blanche — et les souliers en cuir
de la petite fille;
Il a mangé le reculement, — et le croupier qui était sur la selle.
Les gens du vieil Efflam disaient, — l'un à l'autre d'entre-eux :
1. « Ha c'harz ha sko », m. à m. : « Et aboie et frappe » ; c'est-à-dire : à
cris et à coups. Ces diclons sont souvent intraduisibles.
172 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
— Ha daoust para c'hoari d'hon c'hi,
Na debfe ket he dijuni,
Na n'e ann avu hag ar skeven
E zo manet en touez he dent ? —
Pipi ann Du a levere
Da Eflam goz, pa hen salude :
— Me ho ped da staga ho ki.
Domaj ewalc'h 'n euz groet em zi.
Me ho ped da werza 'r gark foen
Ha prena d'ho ki eur chaden,
Eun c'holier melen 'n he gerc'hen,
Vo anevet a dra serten,
'Wit pa valeo dre ar vro
Vo aneveet Korbino. —
« Savoir ce qu'a le chien, — qu'il ne mangerait pas son déjeuner,
Si ce n'est le foie et le mou — qui lui sont restés entre les dents ? »
*
Pierre Le Du disait — au vieil Efflam, en le saluant :
« Je vous prie d'attacher votre chien ; — il a fait assez de dom-
mage dans ma maison.
Je vous prie de vendre une charretée de foin — et d'acheter à
votre chien une chaine.
Un collier jaune à son cou, — (pour qu') il soit reconnu d'une façon
certaine,
Pour que, lorsqu'il se promènera par le pays, — soit reconnu
Corbino. »
GWERZ ET SONN 173
Peu de g-ens savent aujourd'hui ce sonik. Mon père l'apprit
à Lannion, il y a cinquante et quelques années ; mais je ne
connais pas une autre personne de son âge qui l'ait retenu.
De nos jours, l'intérêt de celte chanson locale est devenu à
peu près nul. Que nous fait à nous ce Corbino, ni les gens
qu'il a volés? La voracité de ce chien, quand même elle
aurait passé en proverbe, comme la maigreur de la chienne
de saint Hervé, à quels titres exciterait-elle la stupéfaction
de nos contemporains ! Tout le sel de cette satire est perdu,
avec ceux qui en étaient l'objet; personne ne se sent atteint
ni frappé de ces allusions ou de ces épigrammes, que nous ne
saisissons pas du premier coup sous leur obscurité. Tel est le
sort réservé au somi qui ne s'appuie sur aucune vérité géné-
rale : sa vogue ne dure que tout juste le temps de faire le
tour de la « contrée ». Celui de Corbino n'a pas, d'un autre
côté, un grand mérite poétique. Aussi ne l'ai-je cité que
pour fournir un exemple des chansons qui passent vite.
Ce qui aura contribué naguère au succès de Corbino, c'est
que la mélodie en est d'un rythme entraînant, un véritable air
de danse. Le chanteur ne bissait d'habitude que le premier
vers de chaque couplet, comme c'est indiqué; mais un
« sonneur » ferait la reprise de chaque membre de phrase
mélodique, cela donnerait 8 mesures avant le refrain; le
refrain bissé, ce serait encore 8 autres: au total, voilà les
16 mesures réglementaires aussi bien pour un air de biniou
que pour une dérobée.
174 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
MA MESTREZ KOANT
Evid ar bloaz o oann dimet
Ta ri ti tra la la la la
Evid ar bloaz o oann dimet,
Ha ma karjenn na vijenn ket* ;
D'eur placTiik koanten nep feson
Ta ri ti tra la...
D'eur plac'hik koant en nep feson,
Na d'eur plac'h vil ha difeson.
Kement e geno ma mestrez
'Vel forn ar ra en Montroulez.
D'ober ann dro d'hi lapenno
Zo danvez diou rod killoro.
1. Variante : «Ha makarjeun, vijeua bepred ; — et si je voulais, je le serais
toujours ».
MA MAITRESSE' CHARMANTE
Cette année j'étais marié — ta ri ti tra la la la la — celte année
j'étais marié ; — et si j'avais voulu (m. à m. si je voulais), je ne le
serais pas ;
A une jeune fille charmante en aucune manière — ta ri ti tra la...
— à une jeune fille charmante en aucune manière, — mais à une
fille vilaine et sans façon.
Aussi grande est la bouche de ma maîtresse — que le four-à-chaux
de Morlaix.
Pour accomplir un tour à ses lèvres — c'est (il faut) de quoi faire
deux roues de devant.
1. Le mot mestrez n'a pas en breton, le sens absolu du français correspon-
dant maitresse ; il veut dire, quelquefois : fiancée^ femme ou jeune fille à qui
Von fait la cour.i. Ma mestrez koant^ traduction exacte ; ina jolie femme i
GWKRZ ET SONN 175
Kement eo peb branel hi fri
'Vel ma eo kloc'h braz ar Vali.
Eunn daou-lagad a zo 'n hi fenn,
Zo 'vel daou-lagad eunn ijen ;
Kement eo hi daou-lagad
'Vel daou-lagad eunn ijen mad.
Eunn diou-skouarn a zo 'n hi fenn,
Zo ken ledan ha diou grampoen.
'Tre lein hi fenn ha choug hi c'hil
Zo daou devez baie d'eur c'houil.
Dre gorn hi skoa e c'houez hi fri :
En kreiz ma c'halon a plij d'in.
Unan tra plij d'in en ezhi,
Daou droatad hanter 'zo 'n hi fri.
Aussi grande est chaque narine de son nez — que la grande cloche
du Bali ».
Deux yeux elle a dans la tête, — qui sont comme les deux yeux
d'un taureau ;
Aussi gros sont ses deux yeux — que les deux yeux d'un bon
taureau.
Deux oreilles elle a dans sa tête, — qui sont aussi larges que deux
crêpes.
Entre le sommet de sa tête et la nuque — il y a deux journées de
promenade pour un insecte.
Elle se mouche le nez au coin de son épaule : — au fond de mon
cœur elle me plait.
Une seule chose me plait en elle, — (c'est qu)'il y a deux pieds et
demi dans son nez.
1. Sans doute : l'église Saint->Jean du Bali, à LannioD.
176 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Pa sko hi zreid war ann douar,
Na c'holo nemeid tri hent kar.
Pa lak hi diouc'har en hi lerou
Ac'h int 'vel baz ar ribotou.
Oc'h antren daou vreur d'ehi en ti,
'Sevel entre-z-he fachiri :
Ha me 'rei d'ann tort eunn toi bout,
Tanfoueltr he dort diwar he chouk ;
Ha me 'rei d'ar c'hamm eur vac'had.
Ha 'teri d'ezhan he c'har vad.
Ma mestrez zo a ligne vad :
lîastard hi mamm, boureo hi zad ;
A ligne vad eo ma mestrez
Merc'h ar boureo a Ker-Ahez.
Chanté par M. Grégoire Dklafargue.
Lorsqu'elle frappe ses pieds par terre, — elle ne couvre que trois
chemins de charrette.
Quand elle met ses deux jambes dans ses bras, — ils sont longs et
maigres comme le bâton de ribot.
Voilà qu'entrent deux frères à elle dans la maison, — et de s'élever
entre eux une fâcherie :
Et moi de pousser d'un coup (d'épaule) le bossu, — et de démolir
sa bosse sur son dos.
Et moi de donner au boiteux un coup de bâton, — et de lui casser
sa jambe valide.
Ma maîtresse est de bonne lignée : — bâtarde sa mère, bourreau
son père.
De bonne lignée est ma maîtresse, — (c'est la fille au bourreau de
Carhaix).
gWerz et sonn 177
Qui n'a entendu la chanson française :
Si tu voyais la bouch' qu'elle a !
Je n' l'avais pas rêvée comm' ça :
Mais j' l'aim' tout d' même — ?
Le sujet est devenu banal. C'est celui de la « Mesliez
Koant », sauf plus d'un passage qui agrémente de couleur
locale le sonn trécorrois ; il faut encore excepter l'épisode des
deux frères, ainsi que la lignée de la maîtresse : « Bâtarde sa
mère, bourreau son père... » Ce sont amoureux et maris de
bonne composition... Comme charge, la chanson bretonne
me paraît d'une intensité supérieure. Les grossièretés et les
excès de langage ajoutent aux divertissements de ce genre :
mais il est à remarquer que ce gros sel a tout à fait été mis
de côté celte fois.
Chose à noter encore, c'est l'indifférence qui perce à travers
la mélodie, et qui a cours^, du reste, dans tout le sonn : car cet
air en mineur n'est pas précisément un contraste avec le
sarcasme de la chanson.
12
178 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
SON ANN DOGANED
Kenta biskoaz c'hiz da dogan.
Kamaraded, ma mignoned,
Kenta biskoaz c'hiz da dogan
Me n'am a ket a vara d'am c'hoan.
Ha breman 'm euz ha rous ha gwenn,
Hag eunn ankane d'am dougen ;
Hag eur wreg koant am euz ie
Hag a c'hone d'in eur skoed bemde ;
Ha tri a c'hone d'in d'ar sul :
Naou skoed ac'h int tro-padar sun.
Tri-c'houec'h dogan ha tri-ugent
E zo 'n em rancontret 'n eur c'harden ;
Ha ma lare ann eil d'egile :
— Te 'zo dogan kenkoulz ha me. —
CHANSON DES COCUS
La première fois de toutes que je devins cocu, — camarades, mes
amis, — la première fois de toutes que je devins cocu, — je n'avais
pas de pain à mon souper.
Et maintenant, j'ai du pain bis et du pain blanc, — et une haque-
née pour me porter ;
Et une femme belle que j'ai aussi, — et qui me gagne un écu tous
les jours ;
Et trois qu'elle me gagne le dimanche : — cela fait neuf écus du-
rant (au bout de) la semaine.
Soixante et dix-huit cocus — se sont rencontrés dans un petit
chemin;
Et ils se disaient, l'un à l'autre : — « Toi, tu es cocu aussi bien
que moi. »
GWERZ ET SONN 179
Tri-c'houec'h gwalen a lien moan
Zo et d'ober eur boned d'ann dogan ;
G'hoaz a 1ère ann dogan kez
E oa manet he gorn braz emez :
— M'am ije ken aliez a vuc'h korn
Hag a dogan a doug ar c'horn,
Me 'm ije gret eurfoar en Bre
Hag a vije hanvet ar foar neve ;
M'am ije ken aliez a vuc'h lez
Hag a dogan zo war ar mez,
Me rafe krampoez ha lez tro ;
Da gement dogan zo er vro.
M'am ije krampoez ha lez tro,
Me'dougje ezet arc'hernio. —
Chanté par Jeanne Le Bornic, chiffonnière, de La Roche-Derrien.
Dix-huit aunes de toile étroite (owfine) — a-t-il fallu pour faire un
bonnet au cocu ;
Encore disait- il, le pauvre cocu, — que sa grande corne était restée
dehors :
« Si j'avais autant de vaches encornées — qu' (il y a) de cocus à por-
ter la corne,
J'aurais fait une foire à (Méné-)Bré — qu'on aurait appelée la foire
nouvelle ;
Si j'avais autant de vaches à lait — qu'il y a de cocus par la cam-
pagne,
Je ferais des crêpes et du lait caillé — pour tout ce qu'il y a de
cocus dans le pays ;
Si j'avais des crêpes et du lait caillé — je porterais aisément mes
cornes. »
180 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Celle chanson est une des plus connues, en pays deTréguier.
L'air, uu allegro, se caractérise au deuxième vers — Kama-
raded, ma mignoned, — qui sert de refrain ; l'expression en
est d'un comique plaintif, aidé d'un point-d' orgue significatif.
Après ce deuxième vers uniforme, on reprend le premier,
auquel on ajoute un nouveau, qui seul est dans la rime : au
fond^ chaque couplet est fait de deux vers, entrecoupés d'un
diskan.
Rapprocher de cette chanson trécorroise, dans la note
gaie, certain, sowi cornouaillais bien connu, sur le même mo-
tif, mais dans une note lugubre.
«WERZ ET SONN 181
PLAC'HED LEZARDREO
Kerse vo gant plac'hed Lezardren,
Gand ho rotoukiou falira-dondaine
Kerse vo gant plac'hed Lezardren
Ma na gall ar mare bean krenv ;
Gand ar batimancho 'vond ez traou
Gand ho rotoukiou. . .
Gand ar batimancho 'vond ez traou
Ze a rai di-out-he kalz a c'haou.
Merc'hed Lezardren a doug dustu
War ho barlenn davanchero ru ;
Hag en ho c'herc'hen a ve chalio,
Ha rubanet ho botoio ;
LES FILLES DE LÉZARDRIEUX
Il fera défaut aux filles de Lézardrieux, — avec leur rotoukiou fa-
lira dondaine — il fera défaut aux filles de Lézardrieux, — si la
marée ne peut être forte ;
A cause des bâtiments qui vont vers les bas, — avec leur rotou-
kiou... — à cause des bâtiments qui vont vers le bas : — cela leur
causera beaucoup de dommage.
Les filles de Lézardrieux portent (mettent) aussitôt ' — sur leur
giron des tabliers (devantiers) rouges;
Et à leur cou il y a des châles, — et leurs chaussures sont enru-
bannées ;
1. Est-ce : aussitôt que les bâtiments s'en vont « vers le bas »? ou bien :
aussitôt qu'ils ont accosté? — Pour être plus explicite : s"af;it-il tlu tablier
rouge, du châle et des rubans que la fllle de Lézardrieux porte allant au devant
des noatelots? ou de ceux qu'elle rapporte à la maison ?
Le chanteur m'a répondu : « Comme vous voudrez; nous autres, nous
n'avons pas besoin que ce soit si [irécis ; nous comprenons tout de iuôinr>. »
i82 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Ha rubano war ho boto tout,
Lec'h na dleje bean 'met neud stoup.
Ari zo 'nn dimezelig er ger,
Na n'e karget d'ez hi he faner :
— Ma karjec'h, Janed, na vije ket,
Bean chomet er ger, pa oac'h pedet.
— Me 'ro ma malloz d'ann dud-a-vor :
Ar re-zeo 'n euz kollet ma enor.
'A m'am euz bat me me kotillon c'hlaz,
Barz en bord ann od me he goneaz,
Nag 0 tizrei ma chein d'ar ieot glaz *
Ha ma bijez da veg ar groaz. —
Chanté par Antoine Le Morvan, couvreur en ardoises, de La Roche-Derrien.
1. Glaz, bleu ou vert; c'est le contexte qui détermine exactement le sens
de cel adjectif. Un couplet plus haut : koliUon c'hlaz, jupe bleue, mieux que
jupe verte; question de guiUs, c'est vrai, pour ne pas dire de mode. — Glaz,
vert, a un synonyme : gwer, rare dans l'usage. De glaz viennent glazenn, gla-
ziir,... herbe verte, verdure...
Et des rubans à toutes leurs chaussures, — où ne devait se trou-
ver que du fil d'étoupe.
Une jeune demoiselle est arrivée à la maison, — à laquelle a été
rempli son panier :
« Si vous aviez voulu, Jeannette, cela n'aurait pas été, — (si vous
aviez voulu) rester à la maison, quand vous en étiez priée.
— Que ma malédiction soit sur les gens de mer ! — Ceux-là ont
perdu (m'ont fait perdre) mon honneur.
Et si j'ai eu un cotillon (jupe) bleu, — sur le bord de la grève je
le gagnai.
En tournant mon dos à l'herbe verte — et mon visage au haut
bout de la croix. »
GWERZ ET SONN 483
Bien qu'il y soit question des « gens de mer », ce n'est pas
une chanson de bord, pas plus que les « Filles de Locqué-
nolé »,
Comme beaucoup de sonn satiriques, celui-ci est court,
peut-être incomplet. On y constate quelques-unes de ces
obscurités où le peuple ne se déplaît pas du tout, où du moins
il ne cherche pas à voir clair.
Dans ces sortes de chansons, la brièveté est loin d'être un
défaut. Un seul exemple, un trait final, suffit à la satire.
Les trois parties dont ce sonn est composé, sont bien
distinctes. Les deux premiers couplets suffisent à l'exposition
du sujet : c'est dans la note g-énérale des moralités, qu'on
rencontre si souvent en guise de prologue. Ensuite, le départ
pour la fête, la réception des marins qui viennent d'aborder :
trois couplets. Enfin, le retour à la maison : quel retour!...
Celui qui composa le sônc,
Vraiment, c'était un maître-clerc...
La mélodie est d'un allegro modéré, avec une nuance
particulière de raillerie. Il y a dos chanteurs qui donnent un
inexprimable accent à ce refrain, « gand lia rotoaJàoa ».
184 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
MERC'HED A LOKENOLE
Merc'hed a Lokenole a zo merc'hed a stad (bis),
Ne brizont ket da zansal nemet gant paotred vad (bis]
Merc'hed a Lokenole a ia d'ar baluden,
Divouchouer, diarc'hen, kuef ebed var ho fei^n.
Merc'hed a Lokenole o deveuz prometet
Monet e pelerinach da Sant-Iann beniget.
Arperson alavare, d'ar sul, en ofern-bred :
— Divoalit. merc'hed iaouank, deuz ar vartoloded. —
Ar merc'hed a respontaz deuz a draon ann iliz :
— Sermonit, aotrou Person, ha nimp raio hor giz. —
Ne voa ket peurlavaret namad ar gousperou
E voa ar merc'hed iaouank er ger aBlouganou.
LES FILLES DE LOCQUENOLÉ
Les filles de Locquénolé sont des filles faraudes (bis), — qui ne
daignent danser qu'avec des hommes de bonne condition (bis).
Les filles de Locquénolé vont aux paludes, — sans mouchoir (sur
le dos), nu-pieds, nulle coëffe sur la tète.
Les filles de Locquénolé ont promis - d'aller en pèlerinage à Saint-
Jean béni.
Le recteur ' disait, le dimanche, à la grand'messe : — « Prenez
garde (éloignez-vous), jeunes filles, aux matelots. »
Les filles répondirent, du bas de l'église : — ce Faites vos sermons.
Monsieur le Recteur, et nous ferons (suivrons) nos coutumes. »
Les vêpres n'étaient pas bien achevées, — que les jeunes filles
étaient (déjà) dans la ville de Plougasnou .
\. Ar person : le recleiir d'une simple paroisse ; le curé d'une ville. (Voy. p. 5.)
GWERZ ET SONN 185
'Barz e ti Mari Beron ez int bet diskennet,
Ho ! ia, dre ma voa gant-he ialc'hou martoloded.
Ar merc'hed-ze a drinke hag a lipe ho beg,
Hag ar voarsed a gane, a gane en gallek ;
Hagar voarsed a gane, a gane en gallek,
Hag ar merc'hed a c'haurze, dre ma n'intentenn ket ;
Nemed eunn dortez vihan deuz a vourk Karantek :
Honnez voa bet er gouant, o tiski ar gallek;
Honnez voa het er gouant, o tiski ar gallek ;
Hag a bede * mil malloz var ar vartoloded.
— Ma vefemp ni intoanien, gras d'eoc'h ' ne vefomp ket ;
Nimp 'zeuio c hoaz eur veach, eur veach d'ho kuelet;
Hag a zigaso d'eoc'h c'hui na peb a chapeled,
Ha peb avoalen arc'hant d'ho kamaradezed,
i. Variante : « a bec'he mil malloz, — juraient mille malédictions. »
2. Variante : « gras d'emp — grâce & nous. C'est un non-seus absolu.
Elles étaient descendues dans la maison de Marie Perron, — ho !
oui, parce qu'elles avaient avec elles des bourses de matelots.
Ces filles-là trinquaient et s'essuyaient le bec, — et les marins
chantaient, chantaient en français ;
Et les marins chantaient, chantaient en français, — et les filles
riaient, parce qu'elles ne comprenaient pas ;
Excepté une petite bossue, du bourg de Carantec : — celle-là
avait été au couvent, pour apprendre le français;
Celle-là avait été au couvent, pour apprendre le français; — et elle
priait [ou mieux, elle jurait) mille malédictions sur les matelots.
« Si nous étions veufs, grâce à vous, nous ne le [serons plus ; - -
nous viendrons encore une fois, une fois vous voir ;
Et nous vous apporterons à chacune de vous un chapelet, — et
un anneau d'argent pour chacune de vos amies.
186 CHANSONS ET DANSES DES BUETONS
— Kenavezo 'ta, Leblond, ia zur, pa m'oud e vond
Me garje a-greiz kalon e vijez c'hoaz o tond. —
Merc'hed a Lokenole a voele var ar c'he
Da Leblond, ar c'habitenn : allaz ! partiel e.
Chanté par M. Allain-Launay, au diner celtique.
— Adieu donc, Le Blond, oui, sûrement, puisque tu t'en vas; —
je voudrais, du fond du cœur, que tu fusses encore à venir. »
Les filles de Locquénolé pleuraient, sur le quai, — (le départ de)
Le Blond, le capitaine : hélas ! il est parti.
Ce so?in est à la fois descriptif, moral et narratif. Ce n'est
pas une « chanson de bord »; le marin qui l'entonne a déjà
mis le pied à terre; le titre seul en établit la source terrienne.
Et puis, lisez bien : les matelots de Plougasnou « chantaient
en français, — a gane en gallek ».
Dans le même genre, « Plac'hcdLezardrco ». Mais les diffé-
rences sont notables^ pour ne pas dire significatives. Un de
ces sonn est en trécorrois; l'autre, en léonard (à part quelques
formes et quelques mots communs à divers dialectes). Dans
la chanson de Lézardrieux l'ironie est vive, accentuée; tandis
qu'une sorte d'émotion larmoyante trahit c, la fin les filles de
Locquénolé. Faut-il attribuer aux diverses origines régionales
ou dialectales ces variétés et ces degrés dans la satire?
Contentons-nous de citer cet exemple, sans conclure; la
question en vaudrait pourtant la peine; mais il faudrait
d'autres preuves, que nous ne possédons pas, pour aboutir à
une solution raisonnable.
« Merc'hed a Lokenole » est en vers de treize pieds, avec
césure après la septième, dans la phrase mélodique comme
dans le vers. Le bis sert de refrain.
Il est à remarquer qu'un vers n'est pas bissé dans un gtûerz
comme dans un sonii^ au point de vue musical. Le vers du
6WERZ KT SONN 187
sonn so chante, les deux fois, sur le même membre de phrase
mélodique : c'est que ce Im sert de refrain. Dans le ginerz, où
le refrain n'est pas admis, ce n'est jamais que le dernier vers
du couplet (jji'on répète; règle générale, ce couplet, s'il est
un distique, devient un ternaire par le fait du bis : la phrase
mélodique, a-t-on vu déjà, est donc une période à trois
membres, et la reprise du second vers se fait sur le troi-
sième membre de phrase, dont la cadence a pour objet de
conclure la période musicale.
L'air des « Filles de Locquénolé » est un six-huit^ d'un
rythme bien régulier, comme c'est le fait pour la plupart des
sonn. Il y a une légère variante dans la mélodie que chante
M. AUain-Launay aux celtisants de Paris : la sixième syllabe,
dans le premier vers de chaque couplet, au lieu d'être brève,
se prolonge snr une ?20zVe inattendue, — merc'hed a Loke?2(>le,..
Evidemment, la mesure en est rompue. Cette irrégularité
doit avoir été la faute de quelque chanteur, et non celle du
barde qui a composé le sonn.
188 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
SON
Me 'm euz gwelet , me ma unon ,
0 ra la la la la la la la la
Me 'meuz gwelet, me ma unon,
Ar biniou gand ar person.
Hag ar vombard gand ar c'hure,
0 ra la la...
Hag ar vombard gand ar c'hure :
Ar re-ze vad a c'hoarie;
Hag ar sakrist gand ar blaton
0 tougen chistrd'ar sonerion.
0 traezuz! ar veleion
Na blij ket d'he ar sonerion;
Ha koulskoude, o ma Doue !
Piou a zo gwasoc'h evit-he ?
CHANSON
J'ai vu, moi-même, — o ra la la la la la la la la — j'ai vu, moi-
même, — le biniou avec le (entre les mains du) recteur.
Et la bombarde avec le vicaire, — o ra la la... — et la bombarde
avec le vicaire : — ceux-là certes jouaient (sonnaient);
Et le sacristain avec l'écuelle (pot à cidre, pichet), — apportant
du cidre aux sonneurs.
0 chose étonnante ! les prêtres — n'aiment pas les sonneurs ;
Et pourtant, ô mon Dieu I — qui est plus terrible (pire) qu'eux ?
Satire bien inoffensive. C'est un prêtre du Goëlo qui l'au-
rait transportée en Cornouaille, où je l'ai recueillie. Dans ces
GWERZ ET SONN 189
voyages, elle aura perdu quelque chose de sa pureté origi-
nelle : car elle n'est plus dans un dialecte distinct.
Il est probable que je ne tiens ce court sonn qu'à l'état
fragmentaire. Possible encore que les paroles aient unique-
ment servi à l'éclosion d'une mélodie charmante. Le simple
andantino qu'elles auraient produit, est du plus gracieux
effet, surtout avec cet ad libitum où les virtuoses s'exercent
à la vocalise et qu'on prolonge à souhait comme \xn point-
d'orgue.
L'antithèse est manifeste entre l'air et la chanson, entre
l'inlenlion du poète et l'exécution du musicien. Ce n'est pas
un fait rare, en folk-lore ; et il est encore plus fréquent dans
les pastiches de chansons populaires.
190 CUANSONS ET DANSES DKS BRETONS
PARDON SANT-MILION*
De pardon Saint-Milion
E oa kontristet ma c'halon.
Begegek :
Na gambrioled kel ;
Dîskan { Merc'hed ;
B^egek, begegegek
Na gambrioled ket.
Nag ar sul vintin pa saviz,
Biskoaz kement ail na weliz :
Tri-c'houec'h a ier, ma na oa mu,
Oa 0 tibi ma zamm ed du.
Ha me 'rei d'he pob a vac'had,
Hag hi 'komans da vegelat ;
1. Saiot-Emilion possède un clocher fameux, eilepardony est très fréquenté.
LE PARDON DE SAINT-EMILION
Le jour du pardon de Saint-Emilion, — était contristé mon
cœur.
Refrain. — Begegek. — Ne cabriolez pas, — les filles; — begegek,
begegegek — ne cabriolez pas.
Et le dimanche matin quand je me levai, — jamais je n'avais vu
pareille chose :
Dix-huit poules, s'il n'y en avait davantage, — étaient à manger
mon petit morceau de blé noir.
Et moi de leur donner à chacune un coup de bâton, — et elles de
commencer à crier '.
1. Le verbe begelat ne dérive pas du substantif begel (nombril) comme me
le disait un chanteur, mais de bek (bec, extrémité) : begelât:, crier (du bec), à
la manière des oiseaui.
GW£RZ ET SONN 191
Hi vond a - rok d'in penn - da - benn
Da glask sikourd'ar vilajen.
0 tond unan gand eur vaz iot,
Hageunn ail gand eur vaz ribot;
0 tond unan gand eur pez baz
En aviz terri d'in ma fas :
Chanté par Antoine Le Morvan, de La Roche-Derrien.
Elles d'aller devant moi tout du long — chercher secours au
village.
De venir quelqu'un avec un bâton à bouillie, — et un autre avec un
un bâton à riboter :
De venir quelqu'un avec un énorme bâton, — dans l'intention de
me casser la figure.
Cette courte chanson est une satire contre les g-ens de Cor-
nouaille, tous porteurs de baz (voy. les Notes de Voyage^
p. 37.)
Il est facile de reconnaître dans les begegek du refrain une
imitation du cri des poules ; cette onomatopée se retrouve au
quatrième couplet, dans le verbe hegelàt.
A proprement parler, aucune mesure rigoureuse ne serait
applicable à l'air de ce sonn. C'est la mimique du chanteur
qui en tire tout l'effet;
Chaque couplet est un tjuatrain, dont le second distique
commence le couplet suivant.
192 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
NEDELEK ou NOUKL
Ar Mabik-Jezuz zo ganet,
'Mesk ar beorien e diskennet ;
Neb a zo paour zo he vreurien :
Reid d'imp, mar plij, ann aluzen !
Noz vad ha joa 'barz ann ti-man,
Deut on da glask ma c'houig-naouan ;
D'ar wech diwean e marteze :
Benn bla va kalz et gand Doue.
Gras d'hec'h da gaout digand Doue
Tri a botred 'wil bugale :
Ann hini henan 'vel he dad,
Ann eil roue, egile pab.
Na c'houlennin kel meur a dra :
Eunn tammik kig, eunn tamm bara,
Bara gwiniz pe bara c'hei,
Ma ve ho madelez da rai.
NOËL
Le petit Enfant-Jésus est né, — au milieu des pauvres il est des-
cendu ; — quiconque est pauvre, est son frère : — donnez-nous s'il
vous plait, l'aumône.
Bonne nuit et joie dans ceîte maison ! — Je suis venu chercher mes
étrennes ; — c'est peut-être pour la dernière fois : — dans un an,
beaucoup seront allés à Dieu.
Grâce (je souhaite) que vous ayez de Dieu — trois garçons pour
enfants : — l'ainé, semblable à son père ; le deuxième, roi ; l'autre,
pape.
Je ne demanderai pas grand'chose : — un petit morceau de viande,
un morceau de p?in, — du pain de froment ou du pain d'orge : — si
c'est votre bonté d'en donner.
«IWERZ ET SONX 193
Ma roched a zo fall ha hrei^n-.
Me lakfe koz hini war ma chei<^n ;
M'ac'h euz koz vrago pe borpant,
Me'm b(» eur c'her a wiskamant.
Kalz arc'hanl na gomerfenn ket ;
Nemed ho madelez rafed :
Nao pe dek gwennek, po ouspen,
Zo tra 'walc'h d'in da vond en hent.
Ma red d'ar paour hegwignaouan,
Doue a deuio d'ho pean.
N'ani dalc'hed ket pell gant ma zro
Red e d'in mond d'am oviso.
Ma chemise est mauvaise et pourrie, — je mettrais bien une vieille
chemise sur mon dos ; — si vous avez de vieilles culottes et un paletot,
j'aurais ainsi un bel habillement.
Je ne prendrais pas beaucoup d'argent ; — vous ne donnerez que
selon votre bonté : — neuf ou dix sous, ou davantage, — ce m'est
assez pour me mettre en route.
Si vous donnez au pauvre ses étrennes, — Dieu viendra un jour
vous le rendr.e. — Mais ne me retenez pas lonj^temps dans ma tournée :
— il faut que j'aille à mes offices.
Les Bretons ont appelé la veillée de Noël la '< nuit sainte
— ann noz santel ». Malheur à qui se livre aux travaux ser-
viles, passé la mi-nuit de Noël, jusqu'au lendemain! Tant
d'heures k la besogne, autant d'années à passer en purga-
toire.
Dès le soir, les pauvres vont de ferme eu ferme demander
à chaque porte leurs étrennes [koiiignaoïian — part de gâteau
ou de galette). Des chanteurs entonnent un des mille noëls
que chacun sait et qu'on entendra par le pays pendant qua-
rante jours, de la Nativité à la Purification. Quelquefois un
dialogue s'établit entre le barz baleer-bro (barde coureur-dc-
13
194 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
pays) et les g-ens de la maison de ferme : M. de la Villemar-
qué donne, dans le Barzaz-Breiz, un curieux exemple de ces
luttes poétiques. Un des mendiants lient la besace où Ton
recueille les aumônes; du reste^ le chanteur a, d'ordinaire,
soin de le dire.
Trois soirées sont spécialement réservées aux bardes
populaires : la nuit de Noël, la veille du Jour de l'Au, et celle
de la Fêle des Rois. Ces soirs-là, les conteurs de veillée cèdent
la place aux chanteurs du dehors.
Le noël que j'ai transcrit plus haut, se chante indifférem-
ment aux trois veillées consacrées à TEnfant-Jésus. Toute-
fois, SiU premier de fan, on y ajoute un couplet^ dès le début,
où l'on exprime les « souhaits de bonne année », dans ce
genre :
Blavez œad a zouelan d'ac'h
Blave? mad digaud Doue...
C'est même sur ces paroles qu'une mélodie du nouvel an
m'a été communiquée par M. Gilbert; le même air est adapté
au 7ioël ; j'en connais un autre, trop banal pour être noté
avant ou après celui-là. La Nuit des Rois, on donne la préfé-
rence à un giverz sur la venue à Bethléem des trois Mages,
Gaspard, Mclchior et Balthazar : c'est une sorte de prose à
l'ancienne manière ; un motet d'église en a été détaché, un
dialogue entre les trois Rois, que l'on chante aux offices de
l'Epiphanie ; — les Mages sont accourus avec des présents
divers : « Auro, myrrha, Ihure... Auro rex colitur... » Triple
hommage, qui s'adresse ainsi : l'or au Roi, la myrrhe à
rilomme, l'encens au Dieu.
Les trois veillées que nous disons là, sont donc aux chan-
teurs. Et le jour, c'est le tour des enfants, qui crient, de porte
en porte : « Kouignaouan! — Klask baral » Un dialogue pro-
bablement, dont le sens serait : « Donnez-moi du gâteau. —
Va plutôt chercher du pain. »
Au fond, un temps heureux pour les pauvres gens et les
humbles, c'est la quarantaine qui s'écoule de la Noël à la
Chandeleur.
r.WERZ ET SONN 195
GOUSPERO AR RANED
1 — Kan ker, Killore
— Jolik, petra fell d'id-de?
— Kanoen digan-id-de.
— Petra kanin-me d'id-de?
— Keran eur rann a gement ouzoud-te.
— Eur biz da varc'ha da Vari '.
Perc'hen tri mab' Heri.
Keran eur rann a gement ouzonn-me.
2 -^ Kan ker, Killore...
Keran eur rann a gement ouzoud-te.
— Daou viz da varc'ha da Vari,
Perc'hen tri mab Heri.
Keran daou rann a "rement ouzonn-me.
1. C'est peut-être : un doit pour y mettre l'anneau...
2. J'ai toujours entendu tri mab et pas uue fois tri vab {Heri) : Ueri serait
donc un nom de femme.
VEPRES DES GRENOUILLES
1" Chante fort, Killore. — Jolie, que (te) faut-il à toi? — (Une)
chanson de ta part. — Que (te) chanterai-je à toi? — La plus belle
série d'un de toutes celles que tu connais. — Un doigt à immobiliser
(vouer) à Marie, — maîtresse sur les trois fils de Henri. — (Voilà) la
plus belle série d'un de toutes celles que je connais.
2" Chante fort, Killore... — La plus belle série de deux de toutes
celles que tu connais. — Deux doigts à immobilisera Marie, — maî-
tresse .sur les trois fils de Henri. — (Voilà) la plus belle série de deux
de toutes celles que je connais.
496 CHANSONS ET DANSES DES BUETONS
3 — Kan ker, Killore...
Keran tri rann a gemenl ouzoud-le,
— Tri biz da varc'ha da Vari ;
Perc'hen tri mab Heri.
Keran tri rann a gement ouzonn-me.
4 — Kan ker, Killore...
Keran pewar rann a gement ouzoud te,
— Pewar goêle o kana Lexodie.
ïreminidi, lavar d'in-me.
Perc'hen tri mab Heri.
Keran pewar rann a gement ouzonn-me.
5 — Kan ker, Killore...
Keran pemp rann a gement ouzoud-te.
— Pemp buoc'h du.awalc'h o tremen douar douar
Pewar goêle o kana Lexodie.
Tremenidi, lavar d'in-me.
Perc'hen tri mab Heri.
Keran pemp rann a gement ouzonn-me.
3" Chante fort, Killore... — La plus belle série de trois de toutes
celles que tu connais. — Trois doigts à immobiliser à Marie, —
maîtresse sur les trois fils de Henri. — (Voilà) h plus belle série de
trois de toutes celles que je connais.
4° Chante fort, Killore... — La plus belle série de quatre de toutes
celles que tu connais. — Quatre taureaux chantant Lexodie. — Gens
qui passez, dites-moi. — Maîtresse sur les trois fîls de Henri. —
(Voilà) la plus belle série de quatre de toutes celles que je connais.
5" Chante fort. Killore... — La plus belle série de cinq de toutes celles
que tu connais. — Cinq vaches noires assez traversant (une) terre
(une) terre. — Quatre taureaux chantant Lexodie. — Gens qui pas-
sez, dites-moi, — Maîtresse sur lestrois fils de Henri. — (Voilà) la
plus belle série de cinq de toutes celles que je connais.
GWERZ ET SONN 197
6 — Kan ker, Killorc.
Keran c'houec'h rann a gement ouzoud-te.
— G'bouec'h breur, c'houec'h c'hoar.
Pemp buoch du...
Keran c'houec'h rann a gement ouzonn-me.
7 — Kan ker, Killore...
Keran seiz rann a gement ouzoud-te.
— Seiz de, seiz loar.
C'houec'h breur, c'houec'h c'hoar.
Pempbuoc'h du...
Keran seiz rann a gement ouzonn-me.
8 — Kan ker, Killore...
Keran eiz rann a gement ouzoud-te.
— Eiz dornerik war al leur
0 torna piz, o torna kleur.
Seiz de, seiz loar...
Keran eiz rann a gement ouzonn-me.
9 — Kan ker. Killore...
Keran nao rann a gement ouzoud-te,
— Nao mab armet
0 tonet deuz a Naoned,
6" Chante fort, Killore. . . — La plus belle série de six de toutes celles
que tu connais. — Six frères, six sœurs. — Cinq vaches noires... —
(Voilà) la plus belle série de six de toutes celles que je connais.
7* Chante fort, Killore... — La plus belle série de sept de toutes
celles que tu connais. — Sept jours, sept lunes. — Six frères, six
sœurs. — Cinq vaches noires... — (Voilà) la plus belle série de sept
de toutes celles que je connais.
8" Chante fort, Killore... — La plus belle série de huit de toutes
celles que tu connais. — Huit petits batteurs sur l'aire, — battant
des pois, battant des cosses. — Sept jours, sept lunes... — (Voilà) la
plus belle série de huit de toutes celles que je connais.
9" Chante fort, Killore.. . — La plus belle série de neuf de toutes celles
que tu connais. — Neuf fils (garçons) armés — venant de Nantes,
i98 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Ho chleveio torret,
Ho rocliedo goadek ;
Gwasan mab c'houre !
Poan' oa ouz ho gwelet.
Eiz dornerik war al leur...
Keran nao rann a gement ouzonn-me.
10 — Kan ker, Killore...
Keran dek rann a gement ouzoud-te.
— Deg islor linker'
Karget a win, a vezer.
Nao mab armet
0 tonet deuz a Naoned...
Keran dek rann a gement ouzonn-me.
il — Kan ker, Killore...
Keran eunnek rann a gement ouzoud-te.
— lourc'hel, diourc'hel.
Eunneg gwiz, eunnek porc'hel
0 tonet deuz annourc'hel,
Deg istor linker
Karget a win, a vezer...
Keran eunnek rann a gement ouzonn-me.
1. Une autre version dit : Penn oa...
2. Voilà un bel exemple de non-sens dans les chansons populaires.
— leurs épées brisées, — leurs chemises ensanglantées : — quel
terrible garçon dessus ! — C'était peine (pitié) de les voir. —
Huit petits batteurs sur l'aire... — (Voilà) la plus belle série de neuf
de toutes celles que je connais.
10'^ Chante fort, Killore... —La plus belle série de dix de toutes
celles que tu connais. — Dix histoires glissantes, légères (scabreu-
ses?) — chargées de vin, de drap. — Neuf garçons armés — venant de
Nantes... — (Voilà) la plus belle série de dix de toutes celles que je
connais.
11° Chante fort, Killore... — La plus belle série de onze de toutes
celles que tu connais. — Crier (bûcher), crier à tue-tête. — Onze
truies, onze pourceaux (verrats) gras — venant de la crèche. — Dix
histoires légères, — chargées de vin, de drap... — (Voilà) la plus
belle série de onze de toutes celles que je connais.
GWERZ ET SONX 199
12 — Kan ker, Killore... ^
Keran daoue/ek raiï^ a cément ouzoud-le.
— Daouzek kleve, miynon,
Slaget o-z daLignon.
Digaz ar mab-man d'he goan :
Re bell a delc'hez anez-han en poan.
lourc'hel, diourc'hel.
Eunneg gwiz, eunnek porc'hel.
Deg istor linker,
Kargel a wiri, a vezer.
Nao ifiab armet
0 tonet deuz a Naoned,
ITo c'hleveio torret,
Ho rochedo goadek;
Gwasa mab c'houre !
Poan oa ouz ho sellet.
Eiz dornerik war al leur
0 torna piz, o lorna kleur.
Seiz de, seiz loar.
G'houec'h breur, c'houec'h c'hoar.
Pemp buoc'h du awalc'h a tremen douar douar
Pewar goèle o kana Lexodie.
Tremenidi, lavar d'in-me.
Perchen tri mab Heri,
Keran daouzek rann a gement ouzonn-me.
12° Chante fort, Killoré... — La plus belle série de douze de toutes
celles que tu connais. — Douze glaives, (mon), ami, — allachés à ton
pignon. — Emmène ce garçon-ci à son souper : — (voilà) trop long-
temps (que) tu le tiens en peine. — Crier, crier à tue-tête. — Onze
truies, onze pourceaux gras — venant de la crèche. — Dix histoires
légères, — chargées de vin, de drap. — Neuf garçons armés, —
venant de Nantes, — leurs épées brisées, — leurs chemises ensan-
glantées : — quel terrible garçon dessus ! — C'était peine de les
regarder. — Huit petits batteurs sur l'aire — battant des pois, bat-
tant des cosses, — Sept jours, sept lunes. — Six frères, six sœurs. —
Cinq vaches noires assez traversant (une) terre (une) terre. — Quatre
taureaux chantant Lexodie. — Gens qui passez, dites-moi. — Maî-
tresse sur les trois fils de Henri. — (Voilà) la plus belle série de
douze de toutes celles que je connais.
200 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Les « Vêpres des Têtards » ont quelque rapport avec les
« Séries » du Barzaz-Breïz, mais pour le poème dialogué seu-
lement ; les deux mélodies n'ont rien de commun.
M. de La Villemarqué mentionne lui-même certaines
« Vêpres des Grenouilles » ; en trécorrois, cette traduction de
« Gouspero ar Eànedyi est inexacte. La grenouille, c'est « ar
glesker » ; mais le têtard, voilà « ar rân » ; les (( Vêpres des
Grenouilles », ce serait donc « Gouspero ar Gliskiri » ou « ar
Gleskered. »
A Trézélan (Côles-du-Nord), oii j'ai recueilli, la première
fois, cette berceuse, un savant de l'endroit me disait : « ar
ranned », les séries ; no)i : « ar râned », les têtards. Le peuple
entend et prononce toujours : « gouspero ar râned. »
La mélodie en est une phase à trois membres, qui coupe
les couplets d'inégale façon, suivant le sens et à mesure que
le couplet s'allonge ; elle se compose de deux motifs bien
distincts : un récitatif d'ouverture et la mélodie proprement
dite. M. Emile Durand a su en retrouver le souvenir dans
certaine symphonie de Haydn. Ce chant a la cadence d'une
berceuse.
Les paroles sont absolument inintelligibles, du moins
pour le peuple qui les chante: il est vrai que le champ est
d'autant plus ouvert aux interprétations.
Cette poésie m'a été chantée bien des fois par le docteur
Geffroy, de Plouëc-Pontrieux. Les mères et les nourrices en
font une berceuse. On l'enseigne aux enfants pour leur exer-
cer la mémoire. Ceux qui la débitent d'un bout à l'autre,
sans hésitation, passent pour des « gens d'esprit ».
On donne encore à ce « Gouspero ar Râned » une autre
dénomination : « Gouspero ar Chouiled », mot à mot : « Vê-
pres des Inspctes ». Mais il faut entendre : « Vêpres des Han-
netons » ; avec chouiled on sous-entend le déterminatif
« dero » — chêne. A La Roche-Derrien, il y a un petit bois de
Saint-Jean où vont les paroissiens les moins dévots passer le
GWERZ ET SONN 201
temps des offices ; quand ils rentrent, on leur dit qu'ils ont
été aux « Vêpres des Hannetons »; et, comme une auberge
est non loin, dont le cidre est renommé, si quelqu'un revient
de Saint-Jean, le dimanche, en état d'ébriété, c'est qu'il était
allé « chanter les Vêpres des Hannetons ». Du reste, cette locu-
tion « Gouspero ar C'hoiiiled» est à peu près aussi répandue
dans tout le pays de Tréguier que l'autre, « Gotispero ar
Râned » .
202 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
DISPENN (ou DISPIGN) AR C'HAZ
Me 'm euz du-man eur c'hazik rouz
Hag a ra neubeudig a drouz.
Diskan. — Kan digadenno
Videl a va.
Jardin a viro
Kalz a joa
Wigour ra.
Me raio gand he benn
Eur poud-houarn d'ober .soubenn ;
Me raio gand he dent
Mineouedo d'ober hent ;
Me raio gand he diou-skouarn
D'eur c'har bihan diou rod houarn ;
Me raio gand he daou-lagad
Eul lunedo da berson Prat ;
LE PARTAGE DU CHAT
J'ai chez moi un petit chat roux, — et qui fait très peu de bruit.
Refrain. — Chante digadenno — videl a va — jardin il gardera
— beaucoup de joie — wigour ra.
Je ferai avec sa tête — une marmite pour faire la soupe ;
Je ferai avec ses dents — des alênes pour ouvrir le chemin ;
Je ferai avec ses deux oreilles — pour une petite charrette deux
roues de fer ;
Je ferai avec ses deux yeux — des lunettes pour le recteur de
Prat;
GWERZ ET SONN 203
Me raio gand he gein
Eur c'hastellik da dougen-mein ;
Me raio gand he gov
Eul louar vihan da voeta moc'h ;
Me raio gand he daou droad arok
Eur vaz-ribot hag eur vaz-iot ;
Me raio gand he lost
Eur prezand d'ann otro Post ;
Me raio gand he daou droad adren
Eur skeulik vihan da vond d'ann env,
Chanté par le docteur Geffroy, de Plout'C.
Je ferai avec son dos, — une petite charrue pour porter des pierres ;
Je ferai avec son ventre — une petite auge pour donner à manger
aux cochons ;
Je ferai avec ses deux pieds de devant — un bâton à ribot et un
bâton à bouîUie ;
Je ferai avec sa queue — un présent à M. Post ;
Je ferai avec ses deux pieds de derrière — une petite échelle toute
petite pour aller au ciel.
204 CHANSONS ET DANStS DES BRETONS
SONIK
Me n'am euz biskoaz laret gaou,
Mes bremazonn me laro daou.
Me oa bel ann de ail en Goudlin,
Hag a weliz ann er o tenna lin ;
Hag al logoden hag ar raz
0 tougen lin war ar c'hravaz ;
Ha c'hoaz a 1ère al logoden d'ar raz
Lakat war n'hi, hag a dougje c'hoaz.
Neuze weliz ar cheveulek
Gant-han eur c'horn — bulun'n he veg,
Hag eur gontell gant-han'n he dorn
0 traillan butun da Iakat'n he gorn.
Neuze weliz al louarn,
Gant-han'n he benn eur brid-houam,
0 tremen dre eur bagad polizi
Hepna redaz war-lerc'h hini.
PETITE CHANSON
Je n'ai jamais dit un mensonge , — mais tout-à-l'heure j'en dirai
deux. — J'avais été l'autre jour à Goudelin, -- et je vis la couleuvre
tirer le lin ;
Et la souris et le rat — porter du lin sur une civière, — et encore
disait la souris au rat — d'en remettre dessus, et qu'elle le porterait
encore.
Alors je vis la bécasse, — avec elle une pipe à tabac dans son bec,
— et un couteau avec elle dans sa main, — hachant du tabac à
mettre dans sa pipe.
Alors je vis le renard, — avec lui à sa tête (dans sa gueule) une
bride en fer, — passant à travers une bande de poules, — sans courir
après aucune.
GWERZ ET SONN 205
Ha neuze weliz ar blei
Gwiskel en voulous hag en sei
0 lampad dreist da gleut al lannek,
'N he c'henou eur marc'h hag eiir gazek.
Neuze weliz al logodendall
'Tougen ar bed-man hag ar bed ail,
Ha c'hoaz a 1ère al logoden gez
N' da ket treo-'wac'h deuz he bee'h.
Neuze weliz al laouenan,
A lar ann dud n'e ket bihan,
0 skrapat gand he ivino
C hesa toi Treger en Goelo .
Neuze weliz war dour Runan
Ann tad-moualc'h 'kludan ar vran,
Ha lost ar bik war ann dresen :
Gheutu achu ma c'hanoen.
Chanté par le docteur Geffroy.
Air de « une dame tartine » .
Et alors je vis le loup, — vêtu en velours et en soie, — qui sautait
par dessus l'échalier de la lande, — dans sa gueule un cheval et une
jument.
Alors je vis la chauve-souris — porter ce monde-ci et l'autre
monde, — et encore disait la pauvre souris — qu'elle n'avait pas
assez de sa charge.
Alors je vis le roitelet, — dont les gens disent qu'il n'est pas petit,
— qui grattait avec ses ongles, —essayant de jeter Tréguier en Goëlo.
Alors je vis sur le clocher de Runan — le mâle-merle couvrir le
corbeau, — et la queue de la pie sur la ronce : — voilà finie ma
chanson.
206 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Le peuple ne déleste pas qu'on lui laisse, comme à un lec-
teur délicat, quelque chose à deviner dans ce qu'on lui ra-
conte : l'allégorie ouvre l'horizon à chacun selon sa vue. De
là le grand nombre des proverbes et des sous-entendus dans
la conversation du peuple. C'est pour cela encore que les ber-
ceuses mêmes sont des allégories la plupart du temps, et
quelquefois des paradoxes sur les bêles. En voilà un ou deux
exemples.
GWERZ ET SONN 207
BERCEUSE ET JEU
Chu ! c'hu! digotin,
Da Lanhuon da wit gwin,
Da wit gwin ha bara mad
Da Lomik bihan zo potr mad
Ha d'he vammier ha d'he dad.
BERCEUSE ET JEU
Hue ! hue ! digolin (?) — (allons) à Lannion chercher du vin, —
chercher du vin et de bon pain — pour petit Guillaume qui est bon
enfant (le chén) — à sa petite mère et à son père.
Le digotin se rapporte plutôt, comme le pater tioster, aux
enfants en bas âge, que Ton fait sauter sur les genoux, dans
la cadence d'une marche lente ou sur une allure précipitée :
pas ou galop, d'une irréprochable régularité.
Da Lanhuon (à Lannion), ainsi que la terminaison m de
digotin : voilà des indices certains d'une origine Irécorroise.
Pour le nom, Lomik^ lannik, Ivonik, il n'est pas obligatoire :
c'est toujours, (avec le diminutif ik), celui de l'enfant qu'on
amuse ou qu'on endort:
En raison même dés longues et des brèves (pardon : des
noires et des croches^) dont est composée la mélodie, il est
facile de comprendre qu'elle s'adapte à un jeu plutôt qu'à une
berceuse. Le rythme en est pourtant d'une telle simplicité, que
1. Cette erreur m'échappe, au souvenir de la concordance que j'ai signalée
(p; 19 et 9Uiv.) dans la métrique entre la musique et la poésie. Un temps fut,
syllabe longue et noirs, ce devait être tout un, comme croche et syllabe brève,
pour le vrai barde qui improvisait ù la fois l'uir et la chanson.
208 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
la berceuse — au sens strictement primitif — en fait un assez
fréquent usage, avec n'importe quelles paroles, paroles de
rime plutôt que de raison.
Mais cet air, pour être convenable aux paroles dont il est
accompagné, ne saurait être propre à elles seules, hedtgotin
peut en contenir d'autres; je ne connais que ces cinq vers. Une
mélodie n*a jamais été composée pour un seul couplet.
GWERZ ET SONN 209
PATER NOSTER
Paler noster, dibi doub,
'Man ma c'has o nean i^toup ;
Ha mac''hi warlein an ti
Oc'h ozan boued d'ann ouidi ;
Ann ouidi dorn ha dorn
0 kas toaz d'arin ti-forn ;
Ar c'hoele braz gand he ^orn
0 lakat 'nhe - /o 'barz ar foi n
Ar blei bihan gand he lost
0 lakat an-he tost ha tost;
Ann hini goz 'kreiz ann hent
0 krial fors war he dent ;
Ar potr koz tost d'ann tan
0 c'houl para vo da goan :
PATER NOSTER
Paler noster, dibi doub (?) — mon chat est à filer de l'étoupe ;
Et mon chien, sur le faite de la maison, — (est) à préparer le
manger aux canards;
Les canards, la main dans la main, — à porter la pâte dans la mai-
son de four ;
Le grand taureau , avec sa corne , — à les mettre dans le
four;
Le petit loup, avec sa queue, — à les mettre l'un auprès de
l'autre ;
La vieille, au milieu du chemin, — à crier miséricorde (à la force,
au' secours) sur ses dents ;
Le vieux, près du feu, — à demander ce qu'il y aura pour
dîner :
14
210 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
— loclik du...
Ha hac'hado en daou-du ;
lodik kerch...
Habac'hado war-he-lerc'h. —
« De la bouillie de blé noir... et" des coups de bâton des
deux côtés; — de la bouillie d'avoine.... et des coups de bâton
ensuite. »
Pater noster\.. Ces premières paroles de 1' « oraison domi-
nicale », suivies d'un récit paradoxal sur les bêtes, indiquent
assez l'âge des enfants qu'on apaise avec cette berceuse. Déjà
on les habitue aux prières; mais c'est encore à peine s'ils
articulent les vocables d'un usage primitif; et force est aux
parents, pour endormir ou calmer ces petites gens irritables,
de les distraire et d'attirer leur attention par une fantaisie où
se trouvent mêlés les animaux familiers.
Quand ce n'est pas une berceuse, le pater noster devient un
jeu. On balance sur les bras ou sur les genoux l'enfant, qui
rit, s'attendant à quelque bon tour de la fin. A ces mois, iodik
rfw, la mélopée est soudain interrompue; et l'on prononce
vivement, sur un ton de courroux : ha hac'hado en daoïi du,
avec un simulacre de coups de bâton. De même, pour iodik
kerc'h...
La mélopée de ce Pater est d'une extrême simplicité ; c'est
lent et doux, mais rigoureusement scandé; quelquefois, un
récitatif rec^o-/o/io, qu'on figurerait avec des notes exactement
semblables, comme un « morceau de grosse-caisse » dans une
partition.
1. V. plus haut, p. 43.
GWEHZ ET S(»NN 21 {
BERCEUSE ET RONDE
Tioïk meo (mezo),
Bara lez;
'Nn hini goueo
C'haï e-mez.
Et mieux, en un seul distique :
Troïk meo, bara lez ;
'Nn hini goueo c'haï e-mez.
Troïk meo, boudig glaz ;
'Nn hini sello dreist ar vaz,
'Nn hini sello dreist he skoa,
A vo ruillet gand ar oa ;
'Nn hini sello dreist he gein,
A vo ruillet grand ar vein...
BERCEUSE ET RONDE
Petite ronde ivre, — pam au lait; — celui qui tombera, — ira
dehors.
Petite ronde ivre, petite branche verte ; — celui qui regardera par-
dessus le bâton,
Celui qui regardera par-dessus son épaule, — sera roulé par
l'oie;
Celui qui regarda par-dessus son dos, — sera roulé avec les pierres
(à coups de pierre, lapidé)....
212 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Comme on dit, la chanson a quatre-vingt-dix-neuf couplets ;
chacun peut y ajouter le sien. Ces trois ou quatre sont usités
partout.
C'est une des premières rondes enfantines. Les allusions à
la branche verte^ au bâton^ à Voie, sont-elles les réminiscences
de certains jeux antiques, de pratiques tombées en désuétude?
Durant la ronde, il n'est pas un des petits danseurs qui ne
retourne furtivement la tête, craignant Voie ouïes pierres dont
il est menacé : comme on « ne voit rien venir », chacun
rit de sa propre peur. Et de recommencer.
Une preuve irréfutable que cette ronde ne date pas d'hier
seulement, c'est que certains couplets ont la rime double,
intérieure et finale, chère aux bardes du breton-moyen ;
Troïk meo, bara lez, ;
Nn hini goneo, c'hai emez.
Troïk meo, bondig glaz;
Nn hini sello dreist ar vaz...
Ce qui n'empêche pas la chanson, d'un usage si fréquent
de nos jours, d'être chantée dans un dialecte moderne.
La mélodie est celle du pater iiosler, sur une cadence à
peine plus rapide; c'est un andanlino^ quand elle sert de
berceuse; lorsqu'elle devient une ronde, le mouvement est
andante.
GWERZ ET SONN 213
RONDE ET JEU
Barzig ha barzig a Goneri,
Ari e mab ar roue gand daou pe dri,
Gand eur bagad a bichoned
Ru ha gwenn ha violet.
Petit barde et petit barde de Conéri, — le fils du roi est arrivé
avec deux ou trois, — avec une bande de pigeons — rouges et blancs
et violets.
On tourne cette ronde autour de deux compères (ou deux
commères), qui se tiennent debout, immobiles, les mains
dans les mains. Ceux-là sont deux juges, ou deux gendarmes,
ou deux ravisseurs,... tirés au sort. Le couplet fini, ils se
précipitent sur un danseur, à leur choix, ou sur chacun à
tour de rôle; ils le saisissent, en s'écriant :
« Pe gand al loar, pe gand ar stered? — Ou avec la lune,
ou avec les étoiles? »
Suivant la réponse, on est envoyé aux étoiles, ou à la lune :
les deux séjours, (plutôt, les deux lieux d'attente) sont distincts,
en deux coins de la place.
A chaque tour, la ronde diminue d'un danseur ; quand le
cercle est devenu trop étroit, les derniers sont exécutés
sommairement. Alors les deux juges décident, suivant leur
bon plaisir, où sera le ciel, et où Tenfer. Ils se tournent vers
l'un de ces campements, dont ils acclament les détenus :
« Baradoz! baradoz! — Paradis!... »
Puis, tous ceux-là ensemble, justiciers et affranchis, courent
sus aux malheureux, parqués à l'autre bout :
(( Ifernio! ifernio ! — Enfers!... »
214 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
C'est un affreux vacarme. — Quelquefois, le purgatoire
prend la place de l'enfer ou celle du paradis.
Je ne connais de cette chanson qu'un couplet, comme du
digotin.
C'est le même thème mélodique que pourle joa^er; mais le
mouvement est allegro. (Y. plus haut, p. 44).
Ce n'est pas le seul chant qui soit approprié à ce jeu symbo-
lique; mais c'est celui dont je me suis le mieux souvenu. Et
dans ce divertissement, qui ne reconnaît le « jugement des
âmes » ?
C.WERZ ET SONN 2{ù
TRO
[Kentel ' genta)
Plac'hig euz ann Douar-Newe
Ladira la la la la la
Plac'hig euz ann Douar-Newe,
Hag en e brao bean aze ?
— Braoïg' awalc'h en em gavfenn
Ladira. . .
Braoig awalc'h en em gavfenn,
M'vije gan-in 'nn hini garjenn.
— 'Man hoc'h hini war ann dachen,
Taped ho tornik war he benn,
— 'Man ket ma hini 'barz ar vro,
Gant sort azo me dremeno .
1. Kentel — leçon, lecture, version.
2. Brao — beau; le diminutif braoïk est intraduisible.
RONDE
{Première version)
Jeune fille de la Terre-Neuve — ladira la la la la la — jeune fille
de la Terre-Neuve, — est-ce qu'il fait bon être là ?
— Je me trouverais assez bien — ladira... — je me trouverais
assez bien, — si j'avais avec moi celui que je voudrais.
— Votre • ami est sur la place, — mettez votre petite main sur sa
tête.
— Mon ami n'est pas dans le pays ; — avec ce qu'il y a je me con-
tenterai.
i. Hocli hini : m. à m., le vôtre. C'est ainsi qu'en français on dit, dans le
style très familier : « Chacun avec sa chacune. »
216 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
— Aman zo eunn torkad dizorc'hen,
Kemer unan war ann dorchen.
— Huel ann heol e beg ar gwe :
Roed d'in eur pok en amitié.
— G'houi 'po unan ha daou, ma ve,
Ha keit ma bado bon bue.
— Il y a ici un groupe de sans-souci, — prenez- en un sur le
coussinet.
— Le soleil est haut au sommet (au-dessus) des arbres : — donnez-
moi un baiser d'amitié.
— Vous en aurez un, et deux, s'il faut, — et tant que durera notre
vie. »
GWKRZ ET SONN 217
TRO
(EU kenlel)
Plac'hig euz ann Douar-Newe
Ladira la la la la la
Plac'hig euz ann Douar-Newe,
Hag en e brao bean aze?
— Madik madig * en em gavan,
Ma ve gan-in 'nn hini garan.
— Choazed ha kemered ho c'hoant :
Bean zo eunn torkad reo goant ;
Med bean zo 'nn torkad dizorc'hen,
Hag ho dispartia vo red.
Med kent evid en em gouitat,
Vo red pokat a galon vad ;
1. Madik-madik, double positif, qui équivaut au superlatif : impossible de
l'exprimer, à cause du diminutif ik. (V. hraoïk dans la version précédente.)
RONDE
{Seconde version)
Jeune fille de la Terre-Neuve — ladira la la la la la — jeune fille
de la Terre Neuve, — est-ce qu'il fait beau être là?
- - Assez bien, assez bien je me trouve : — (surtout) si j'avais avec
moi celui que j'aime.
— Choisissez et prenez votre désir : — il y en a un groupe de
charmants ;
Mais il y a un groupe de sans-souci, — et il faudra les séparer.
Mais avant de se quitter, — il faudra s'embrasser de bon cœur;
2i8 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Vo red pokat a galon vad :
Eur pokik d'ehi a galon vad ;
Eur pokik d'ehi a c'hiz newe,
Ha lezd * hi eno goude-ze
Chantés par Perrine Hélo, couturière, pt Katel Le Meijb, blanchisseuse,
de La Roche-Derrien.
1. Lezd, par contraction, pour lezed.
Il faudra s'embrasser de bon cœur : — un petit baiser pour elle de
bon cœur ;
Un petit baiser pour elle à la mode nouvelle, — et laissez-la à sa
place après cela.
Ce n'est plus une ro7ide d'enfanls, mais de filles [plac'hik)
et de garçons déjà grands. Ello se fait autour d'une jeune
fille, qui doit être assise, au milieu, sous un coussinet [ann
dorchen). Faute de coussinet, elle restera debout, naturelle-
ment.
Invitée à prendre un cavalier — Keiner mian... — , elle se
lève et provoque un court arrêt dans la ronde, le temps d'em-
brasser le danseur qu'elle a choisi. Le couple se place au
centre, à moins que la fille elle-même n'entre dans le rang,
pendant que s'achève la chanson. Et puis, au tour de la jeune
fille suivante.
Rigoureusement, cette danse est réservée aux jeunes gens.
Mais il est fait plus d'une contravention à cette règle, et des
personnes mariées se livrent parfois au même jeu : dans ce
cas, il est interdit à la femme de rechercher dans la danse et
d'embrasser son mari ; si cela arrive, sans doute par mégarde,
c'est l'occasion d'un scandale bruyant.
GWRRZ ET SONN 2i9
Souvent un jeune homme se trouve au milieu du cercle
chorégraphique, à la place d'une jeune fille ; c'est en contra-
diction avec l'usage général, et c'est même un contre-sens :
Ptnc'fiifi euz dnn Douar-Newe.
Pourquoi une « fille de Terre-Neuve » ? Hasardons un com-
mentaire. Cette chanson, dont les variantes ne se comptent
pas, est connue dans tout le pays de Tréguier, aussi bien dans
le Goëlo. On sait combien la pêche de la morue, àTerre-Neuve
et en Islande, attire les gens de ces parages. Quelque Terre-
Netivienne qui aura suivi en Bretagne un galant pêcheur, a-t-
elle laissé son nom dans ce divertissement ? Est-ce plutôt une
Trécorroise, éprise d'un Terre-Neuvirn et malheureuse de son
départ? Ce mot de Terre-Neuve est si courant le long de la
côte, qu'il aura bien pu, même sans aucune de ces raisons,
pénétrer dans un sonn de danse, où les idées ne sont pas de
rigueur, les mots appelant les mots et rien ne tirant à sérieuse
conséquence. D'ailleurs, il devient impossible, la plupart du
temps, de découvrir sous quels prétextes tel ou tel autre nom
propre est entré dans une tradition populaire.
Quant à l'air de cette ronde, il en a été déjà question suffi-
samment (v. p. 44).
220 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
ANN ANDOUILLEN
Ann oirou Person en deuz c'hoantet
Eunn andouillen bet er moged.
Diskan. — Hop ! hop ! hop ! n'e ket gwir ann dra-ze
0 ieou da, gwir 'walc'h e voa.
Kaset ar vatez prontamant
Da c'houl andouillen 'vid argant.
Pa oa poazet ha poazet m ad,
E oa digeset war ar plad ;
Pa oa rannet dre ann anler
N'e bade den digand ar flaer.
Pa oa deut pask en amzer vad,
Annaïg ar Rouz da govesat :
L'ANDOUILLE
M. le Recteur a eu envie — d'une andouille qui a été dans la
fumée.
Refrain. — Hop! hop ! hop! ce nest pas vrai, cette affaire-là.
— Ho! oui, par exemple : c'était assez vrai.
(Fut) envoyée la servante promptement — demander une andouille
pour de l'argent.
Quand elle fut cuite et cuite à point, — elle fut apportée sur le
plat;
Quand elle fut coupée par la moitié, — n'(en) pouvait personne sup-
porter la puanteur.
Lorsque fut venu Pâques, à la belle saison, — Annaïc le Roux
(d'aller) à confesse ;
GWERZ ET SONN 221
— G'houi n'a po ket ann absolven
Abalamour d'hoc'h andouillen.
— Otrou Person, c'houi a sonj d'hoc'h,
Di-me koust arganl ma fe-moc'h;
Di-me koust argant ma fe-moc'h :
Renkan gwerza stripo ha koc'h. —
Entendu à Plevben.
« Vous n'aurez pas l'absolution, — à cause de voire andouille. —
— M. le Recteur, vous vous imaginez : — à moi me coûte de l'ar-
gent mon cochon ;
A moi me coûte de l'argent mon cochon : — il faut que je le vende,
tripes et m... (/e reste.) »
Pour UQ pays qu'on a coutume de considérer sous un jour
triste, voilà du rire pourtant. On le voit même, la grivoiserie
n'est pas en horreur chez les Bretons. Que nous sommes loin
des allégories sentimentales ! Le plus gros sel ici fait la meil-
leure plaisanterie.
La mélodie de ann Aniouillen est un air de danse tout à
fait accentué.
222 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
ANN HINI GOZ
Biskan. — Ann hini goz eo ma dous,
Ann hini goz eo zur.
Na koulskoude, war a welan,
Ann hini iaouang ar vraoan.
Ann hini iaouang a zo koanl,
Ann hini goz e deuz arc'hant.
Ann hini goz am c'hondu mad,
Ann hini goz a zo d*am grad.
Ha koulskoude ebarz e ker
Ann hini iaouang a garer.
Ann hini iaouank zo ken sonn,
Ann hini goz eunn tammik krora.
Ann hini iaouank zo lijer,
Ann hini goz a zo pounner.
LA VIEILLE
Refrain. — C'est la vieille qui est ma douce, — c'est la vieille qui
l'est, assurément.
Et cependant, daprès ce que je vois, — la jeune est la plus
belle.
La jeune est charmante, — la vieille a de l'argent.
La vieille me conduit bien (avec elle je marche bien), — la vieille
est de nia convenance.
El cependant en ville — c'est la jeune qu'on aime.
La jeune est si droite ; — la vieille, un petit peu voûtée.
La jeune est légère, — la vieille est lourdaude.
fiWERz i:r soNN 223
Ann liini ^a)z en dcuz bleo ywenr.,
Ann hini iuouank bleoinelen.
Ann hini goi liou laden zec'li,
Ann hini iaouank liou ann erc'h ;
Liou ann erc'h eo hag hi ken ien,
N'a ra koz ha n'a sell ouz den.
Ha koulskoude n'ouzonn perak
Mac'halon roitik-tak tik-tak;
Tik-tag a ra ma c'halon baour
Pa c'han da skei war doul ann nor,
Tec'h alèse, tec'h kuit, tec'h pell :
Ann hini goz a zo kanl gwel ;
Ann hini goz a zo kant gwell,
N'a ra kettaillo demezel.
Demezelled na reont bepred
Nemet tfoab euz ar Vretoned.
La vieille a des cheveux blancs ; — la jeune, cheveux blonds.
La vieille a le teint de fougère sèche ; — la jeune, teint de neige ;
Teint de neige, et elle si froide, — qui n'a ni causerie, ni regard
pour personne ;
Et cependant, je ne sais pourquoi — mon cœur fait tic-tac, tic-tac.
Tic -tac fait mon pauvre bdelii», — quand je vais frapper au seuil
de sa porte...
Retire-toi de là, va-t'en, va-t'en au loin I |— La vieille est cent
fois meilleure ;
La vieille est cent fois hieilleure, - et elle ne (se) fait pas une
taille de demoiselle.
Les demoiselles ne font tout le temps — que se moquer des
Bretons.
224 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Ma daolan dorn war benn he ylin,
Ann hini goz a c'hoarz ouz-in.
Ann hini goz zo Bretonez,
Ann hini iaouank zo Gallez.
Fae eo gan-in gand ar Gall biein,
Gant kroc'hen ann diaoul war he geign !
Fae eo gan-in gand ar C'hallez,
Gand he lero en he botez !
Mar komzed a briedelez,
Komzed d'in euz ar Vrelonez.
Na lakfenn van, pa ve laret
Eo ar Vretonez groac'hellet;
Evil-han da vont groac'hellet,
Eunn aval blaz fall n'en deuz kel.
Bezet droug gant neb a garo :
Troc'het ann ed, dornet a vo;
Si je pose la main sur son genou, — la vieille sourit vers moi.
La vieille est Bretonne, — la jeune est Gallaise.
Je fais fi du Gallo pourri — avec (la) peau du diable sur son
dos;
Je fais fi de la Gallaise — avec ses bas dans sa chaussure I
Si vous parlez de mariage, — parlez-moi de la Bretonne.
Je n'en ferais pas de cas, quand même on dirait — que la Bretonne
tire à la vieillesse :
Bien qu'elle soit ridée, — une pomme (n'en) a pas (plus) mauvais
goût.
S'en fâchera qui voudra : — le blé est coupé, il sera battu ;
GWERZ ET SONN 225
Bezet droug gant neb a garo,
Ma dous ha me m'eureujo.
Ni, gousko en eur gwele kloz,
War ar pel fresk, bemnoz, bemnoz ;
Na pa ve ken koz hag ar bed,
Gan-in a vezo gwalennet.
S'en fâchera qui voudra : — ma douce et moi, nous nous marierons.
Nous coucherons dans un lit clos — sur la balle fraîche, toutes les
nuits, toutes les nuits;
Et quand même elle serait aussi vieille que le monde, — c'est moi
qui lui passerai l'anneau.
J'ai expliqué (v. p. 12) pourquoi les 5omî ne réussissent pas
toujours à se répandre en dehors du dialecte natal, c'est-à-dire,
en raison de leur défaut d'observation générale. Mais il en
est un que les Bas-Bretons connaissent universellement ; c'est
comme leur chant national, cet ami hini goz dont on parle
autant que du pays même et qu'on a traîné jusque sur des
théâtres parisiens. Bien qu'il s'agisse de la question séculaire
des deux Brelagnes, le patriotisme ni les armes n'ont rien à
voir dans cette dispute au sujet de la jeune et de la vieille,
dans cette préférence à jeter à la Gallaise' ou à garder pour
la Bretonne. Entre vingt variantes, embarrassées de loca-
iismes, qui changent avec les endroits et dont la portée est
nulle pour la plupart, — comme ann hini goz deiiz a Bem-
poul, — j'ai choisi une version, qui m'a paru satisfaisante,
de ce sonn traditionnel de la Basse-Bretagne.
C'est donc une manière d'allégorie encore que tann hini
goz; c'est sous cette forme, a-t-on prétendu, que disparais-
1. Orthographe à lu française du mot breton Gallez, féminia de Gall, — Gallo,
ou Haut-Breton —.
<5
226 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
sent les littératures orales et populaires, de même que les lit-
tératures classiques s'éteignent dans l'afleterie. Ce qui est
certain, c'est que tous les sentiments du cœur humain, sinon
toutes les formes littéraires, encore dans leur spontanéité,
trouvent leur expression dans la poésie du peuple ; on en
dirait autant de ce qu'en philosophie l'on appelle les idées
générales : les mêmes notions sont répandues en tous lieux,
et à peu près les mêmes légendes, qui font une sorte de com-
mun héritage dont chaque race a tiré la part qui convenait le
mieux à son génie particulier (Voy. p. 9).
Certes, il y a des chansons pour ainsi dire nomades, et il y
a partout des légendes d'importation : et c'est ainsi sans doute
que j'ai entendu en Basse-Bretagne, sur l'air tout à fait local
de Ker-Is, un fragment de la vie de saint Julien l'Hospitalier.
GWERZ ET CHANTS RELIGIEUX
GWERZ SANT KADO
A bell a zo me 'm a dezir
Da diskleria ar pez zo gwir,
Trei ar galieg en brezonek *
Eur c'hantik ker am euz kavet
Klewet ac'h euz komz dre ar vro
Demeuz ann otro sant Kado?
He viraklo nag he vue
N'ac'h eU|Z klewet biskoaz an-he.
E Ragoustand e oa ganet
Ha Raouach e oa hanvet ;
He vamni a oa Lorans Konslans,
Merc'h d'eur roue braz a Irland.
1. Un seul chanteur m'a dit ce premier couplet; les autres débutaient tou-
jours par le suivant — Klewet ac'h euz... —
COMPLAINTE DE SAINT CADOC
Depuis longtemps j'avais désir — de révéler ce qui est vrai, — de
tourner du français en breton — un beau cantique que j'ai trouvé.
Avez-vous entendu parler par le pays — du seigneur saint Cadoc?
— Ses miracles ni sa vie, — vous n'avez entendu jamais en (parler).
A Ragoustant il était né — et Raourach il avait été appelé; — sa
mère était Laurence Constance, — fille d'un grand roi d'Irlande.
228 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Eunn ermid e oa tost d'ar vro,
Lec'h m'a oa ganet sant Kado,
Deuaz d'hen goul da vadein,
Hag he dad prest da gonsantin,
Enostant ma oant païaned,
Med Doue en euz permetet.
Ann ermid a gas an-ehan
Eunn dewez da wit tan d'ehan
Da lochen ar bastored
Elec'h oant o vesa ann denved ;
Ar pastor kri o laret d'ehan
Na roje ket a dan d'ehan,
Nemed hen lakat a raje
De vonet gant-han n' he jave ;
Sant Kado dre umilite
A hikaz glaou en he jave
Ewit kasd'he vestr ann ermit,
Hep poan d'he gorf na d'he abit ;
Un ermite qui était près du pays — où était né saint Cadoc, — vint
demander à le baptiser, — et son père (était) prêt à y consentir,
Bien qu'ils (les parents) fussent des païens ; — mais Dieu l'a per-
mis '.
L'ermite l'envoie — un jour chercher du feu pour lui — à la ca-
bane des pâtres, — où ils étaient à paître les moutons ;
L'homme cruel de lui dire — qu'il ne lui donnerait pas du feu
— à moins qu'il ne le mît — pour l'emporter dans son giron ;
Saint Cadoc par humilité — mit des charbons dans son giron —
pour (les) porter à son maître l'ermite, — sans dommage pour son
corps ni son habit :
l. Un distique pour un quatrain. Ce gvoerz est très nautile; je n'en ai pas
trouvé une version plus complète.
GWERZ ET CHANTS RELIGIEUX 229
Neuze oe hanvet eur zorser,
Eur majisian, eunn tromper ;
Ar mestr-pastor a lell d'ehan
Mond 'n he ermitach d'hen lazan ;
En ermitach p'int ariet,
Dal war ar plas int bet rentet,
Ha mantret ho oll izili,
Na ellent mui bo remuin;
Sant Kado dre gompasion
Ouz ho c'hlewet o c'houl pardon.
A c'heaz en orezon fervant
Hag ho greaz iac'h en eunn instant
P'oa ari sant Kado en oad,
A fellaz d'he vamm ha d'he dad
Hen lakaet da gomandin
War ann armeo ha d'ho reglin ;
Mes sant Kado na c'houle ket
Kombatin ewit treo ar bed :
'Barz ann dezert en em rentaz
Ha sant Gouard hen saludaz,
Alors il fui appelé un sorcier, — un magicien, un trompeur; — au
maître — pâtre il prend une envie — d'aller à l'ermitage pour le
tuer;
A l'ermilage, lorsqu'ils furent arrivés, — dès que sur la place ils
furent rendus, — furent accablés tous leurs membres (au point) —
qu'ils ne pouvaient plus les remuer;
Saint Cadoc, par compassion — en les entendant demander pardon,
— se mit en oraison fervente — et les guérit en un instant.
Quand fut parvenu saint Cadoc en âge, — voulurent sa mère et son
père — le mettre à commander — sur les armées et à les conduire ;
Mais saint Cadoc ne voulait pas — combattre pour les choses du
monde; — dans le désert il se rendit, — et saint Gouard le salua (ou
bien il salua S. Gouard).
230 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
En plas de welet sant André
Oa eur mignon braz da Doue
Sant Kado laka batisan
War ar mor eur pond ar c'heran,
War eur vrec'h-vor deuz ann Indrez,
Pini oe hauvet revier Estez ;
Unan deuz ann artizaned
Gand ar re ail a oe lazet,
Ha ma hen toljont en eur stank :
Pebez maleur d'ann dud méchant !
Sant Kado emez hen tennaz,
Sant Kado hen resusitaz.
Daouzek bla e oa bet eno
0 resusitan tud varo,
Ouz ho c'honvertisan d'ar fe
Hag 0 lenn ann awiel d'he.
En place pour [ou simplement pour) voir "saint André ' — qui
était un grand ami de Dieu.
Saint Cadoc fait bâtir — sur la mer un pont des plus beaux, —
sur un bras de mer dans les Indes, — lequel était appelé la rivière
d'Eslez ;
Un des ouvriers — par les autres fut tué, — et ils le jetèrent dans un
étang. — Quel malheur pour les hommes méchants!
Saint Cadoc le tira dehors, — saint Cadoc le ressuscita. — Douze
ans il avait été là — à ressusciter des morts,
A les (ces peuples) convertir à la foi, — et à leur lire l'évangile.
\. Le texte est tout à fait obscur, a cause de l'ellipse de deux vers, pro-
bablement.
GWERZ ET CHANTS RELIGIEUX 231
War-dro 'n anter-noz eo kemeret
Ker gand arme ar baïaned
0 vasakrin ar gristenien ;
Dre ma o c'hevent, na vane den.
Oa sant Kado en he oviz,
Ec'h antrejont 'barz ann iliz;
Eur barbar kri ha digonsianz
0 treuzin dre he gorf eul lans.
Eunn neubeut goude-ze oe intérêt
Gand eunn toullad relijiuzed.
Ha m'a re miraklo 'n he vue,
A re c'hoaz kalz mui goude-ze.
Chanté par Guillaume Quellien, âgé de soixante-treize ans, de La Roche.
Vers la mi-nuit fut prise — la ville par l'armée des païens ; —
(ceux-ci) de massacrer les chrétiens : — à mesure qu'ils les ren-
contraient, — il n'en restait aucun (envie).
Saint Cadoc était à son office; — ils entrèrent dans l'église. — Un
barbare cruel et sans conscience — de lui traverser le corps avec une
lance.
Un peu (de temps) après cela il fut enterré — par (ou avec) un
certain nombre de religieux ; — et s'il faisait des miracles en sa vie,
— il en faisait encore beaucoup plus après cela.
Avec ce gwerz religieux nous sommes sur ia voie des
saints ; celui de saint Cadoc nous met absolument chez les
personnages de l'émigration bretonne en Armorique.
Ils sont vieux et rares ceux qui connaissent aujourd'hui ce
gwerz; on ne le chante plus, autour des chapelles de saint
Cadoc, le jour du pardon. Le temps des vieilles cantilènes
232 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
historiques est fini ; c'est à présent le tour des cantiques, mais
pas des « beaux cantiques » qu'on trouvait dans la tradition ;
les nouveaux sont des hymnes en l'honneur du saint, une
mvocation au patron bienheureux, avec quelques conseils
aux fidèles qui sont accourus à sa fête. (Voy. les strophes
extraites du guerzen à sainte Tréphine, p. 31...)
GWËRZ ET CHANTS RELIGIEUX 233
JULUANIK
Juluanig ann den vaillant,
Ann hini a oa puisant,
Savez eunn dewez heure mad
'Wit mond da chaseal d'ar c'hoat.
Ebarz ar c'hoat pa e n' ariet,
Eur c'harwik rous 'n deuz rankontret
Eur c'harv^ik rous 'n deuz rankontret,
Endro d'ar c'hoat 'n euz hen geuliet :
— Ewit petra em c'heuliez-te,
'Med ewid en kavout ma bue?
'Ma lezez gan — in ma bue,
Me'laro d'id ar wirione.
JULUANIG
Le jeune Julien, l'homme vaillant, — celui qui était tout puissant, -^
se leva, un jour, de bon matin, — pour aller chasser dans le bois.
Dans le bois, lorsqu'il est arrivé, — une petite biche ♦ rousse il a
rencontrée; — une petite biche rousse il a rencontrée; — autour du
bois il l'a poursuivie :
« Pourquoi me poursuis-tu, — si ce n'est pour avoir ma vie ? — Si
tu me laisses la vie, — je te dirai la vérité.
1. Le mot biche en breton, c'est karvez, ou heiez pour une biche qui n'est
pas mère encore. Le karvik est le faon ; ainsi traduisais-je devant les chanteurs,
qui hochaient la tête en répliquant : « Non, eur e'harvik rons, dans cette his-
toire-là, c'est une petite biche rousse. >■ S'agissait-il, pour ces gens du peuple,
d'une sympathie poétique? ou la biche, plus que le /"aon, a-t-elle le don de
prophétie? En tout cas, le dictionufrtre est en défaut ici avec la légende.
234 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Juluanik, te a lazo
Da dad, da vamm, e-war eunn dro,
Te a lazo da vamm ha da'dad
Kousket ho daou 'n enr gwelead.
— Oh ! na rin ket, gant gras Doue
Kar me' evito deuz a ze,
Me' evito deuz a ze
Me c'hai drear vro da vale. —
Sortial re demeuz ar ger
Hep laret gir da den a-bed
Hep laret gir da den a-bed ;
'N eunn oblans ker c'heo ariet ;
'N eunn oblans ker c'heo ariet,
Goul da servijin en euz groet
Goul da servijin en euz groet ;
Seiz la kiginer hen zo bet,
Seiz la kiginer 'n eur gigin wenn,
E-war eunn arme kabiten.
Petit Julien, tu tueras — ton père, ta mère, d'un même coup; —
tu tueras ta mère et ton père — couchés tous les deux dans un même
lit.
— Oh ! je ne (le) ferai pas, avec la grâce Dieu! — car j'éviterai
cela, — j'éviterai cela; — j'irai courir par le pays. »
Il sort de la maison, — sans dire mot à personne — sans dire mot à
personne ; — dans un beau château il est arrivé;
Dans un beau château il est arrivé, — il (y) a demandé à servir —
il (y) a demandé à servir; — sept ans il a été cuisinier.
Sept ans cuisinier dans une cuisine blanche, — sur une armée,
capitaine '.
1. Est-ce sur une armée de serviteurs, comme expliquait Le Galuche ? La
mutilation du couplet a produit cette incertitude.
GWERZ ET CHANTS RELIGIEUX 23S
Kement zo groet deuz hen karet
Ken e d'ar verc'h hen dimezet;
A zo roet être ho daou
Eur e'hastel ker, eunn arc'hel aour.
Ho-man oa eur plac'hik modez
Da itron vari a Garnez ;
Eunn dewez'vond d'hec'h ofern-bred
Daou denik koz deuz rankontret.
— Daou denik koz, d'in a lered
Pelec'h ac'h et, pe 'n an oc'h bet,
Pelec'h ac'h et, pe 'n an oc'h bet,
Pe' p euz ho tezir da vonet?
— Me' zo pell en tourmant hag en poan
0 klask bon mabik Juluan ;
Am eump torret hon c'halono
Nag 0 vale dre ann hincho.
— 0 Doue da vezan meulet !
Juluanik d'in zo dimet ;
A zo roet être hon daou
Eur e'hastel ker, eunn arc'hel aour. —
On a tant fait de l'aimer — qu'il s'est à la fille marié ; — on a
donné, entr'eux d'eux, — un beau château, (plein) une arche d'or.
Celle-ci (la mariée) était une petite femme modeste, — (dévote) à
(Notre-) Dame Marie du Carmel ; — un jour, en allant à sa grand'-
messe, ■ — deux pauvres gens vieux elle a rencontrés :
« Deux pauvres gens vieux ; dites-moi — où vous allez, ou bien
vous avez été, — où vous allez, ou bien vous avez été, — ou bien vous
avez le désir d'aller ?
— Je suis (depuis) longtemps en tourment et en peine — à cher-
cher notre cher fils Julien ; — nous avons brisé nos cœurs — à force
de marcher par les chemins.
— Oh ! Dieu soit loué ! — le petit Julien avec moi est marié; — il
a été donné, entre (owà) nous deux, — un beau château, (plein) une
arche d'or. »
236 CHANSONS ET DANSES DES BREIONS
Ho-man a retornaz d'ar ger ;
E-barz 'n he gwele ho deuz laket
E-barz 'n he gwele ho deuz laket,
Hag hi zo et d'ann ofern-bred.
Juluan ariez ar ger;
Drouk-sonj he bried en euz bet
Drouk-sonj he bried en euz bet :
He dad hag he vamm 'n euz lazet.
Ha pa 'n euz bet ann torfed groet,
En traou gand ar vins hen zo et
En traou gand ar vins hen zo et,
He bried paour deuz rankontrp*
— Ma fried paour, d'in a lered,
Piou'barz em gwele pa laket
Piou'barz em gwele pa laket,
Keit e oaz' vond d'hez ofern-bred ?
— Juluan, oa ho lad hag ho mamm,
Oa pell en tourmant hag en poan
Oa pell en tourmant hag en poan.
0 klask ho mabik Juluan. —
Celle-ci retourna à la maison ; — dans son lit elle les a mis, —
dans son lit elle les a mis, — et (puis) elle est allée à la grand'messe.
Julien est arrivé à la maison ; — (une) mauvaise pensée sur sa
femme il a eue, — (une) mauvaise pensée sur sa femme il a eue :
— son père et sa mère il a tués.
Et lorsqu'il eut le forfait commis, — en bas par l'escalier il est allé,
— en bas par l'escalier il est allé; ~ sa pauvre femme il a ren-
contrée.
« Ma pauvre femme, dites-moi : — Qui dans mon lit aviez-vous
mis ? — Qui dans mon lit aviez-vous mis ? — pendant que tu étais
à aller à ta grand'messe ?
— Julien, c'était ton père et ta mère, — qui étaient (depuis long-
temps) en tourment et en peine, — qui étaient (depuis longtemp-;)
en tourment et en peine, — à chercher leur fils Julien. »
r.WLRZ ET CHANTS RELIGIEUX 237
Ce gwcrz est populaire dans toute la Bretag-ne. Il m'a été
chanté par Yvon Le Guluche, de La Roche-Derrien. L'air est
celui du « Roi Gradlon » : ce qui attesterait une origine d'im-
portation ^onx J uluanik .
C'est à cette lég-ende peut-être que la littérature française
est redevable du joli conte de Gustave Flaubert. L'on sait
du moins qu'une partie de « Saint-Julien l'Hospitalier » a
été écrite à Concarnoaii, tout au fond de la Cornouaille.
Cesàawxgwerz religieux seulement ont été transcrits, « Saint
Cadoc » et « Saint Julien », bien que les airs de quelques
autres encore soient notés plus loin. De même, les paroles
des Cantiques ont été omises. C'est parce que la plupart de
ces diverses poésies ont été déjà publiées dans des recueils,
ou qu'elles ont cours sur des feuilles volantes. A la vérité, le
guerzen de sainte Tréfine aurait pu être reproduit tout du long,
n'eùt-ce été que pour en tirer un dernier exemple au point de
vue dialectal, une preuve irrécusable de l'importance que tient
la valeur syllabique dans la chanson populaire. Cette valeur,
en effet, varie avec le dialecte, puisque le même mot ne garde
pas dans toutes les régions également les mêmes émissions
vocales. En Tréguier, Doue (Dieu) est un bisyllabe [Dou-é)^
dont l'équivalence musicale est produite par deux notes dis-
tinctes; dans le vannetais, c'est Doue, un monosyllabe, sur
une seule note. Le vocable douar (terre) est dans un cas ana-
logue : doii-ar (deux syllabes) dans les pays de Léon ou de
Tréguier; c'est doar, une syllabe sur une note unique, dans
le pays de Vannes.
On aura remarqué que les chansons trécorroises sont en
majorité dans ce livre ; une observation semblable a été faite
sur le BarzaZ'Breiz^ à propos des poésies de Cornouaille :
j'ai dû, comme M. de la Yillemarqué, rendre davantage à qui
m'a le plus prêté.
238 CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Du reste, un recueil ne serait pas fermé de sitôt, si Ton n'a-
doptait une ou deux règles de conduite, en s'astreignant à quel-
ques spécimens de chaque genre, et surtout en n'admettant
que des chansons dont on a obtenu plus d'une audition. Je
n'ai guère visité encore le pays de Goëlo ; j'ai pourtant sur le
folk-lore de cette région des notes abondantes, grâce à M. Ar-
thur Rhoné, qui m'a communiqué les recherches de ses amis
M. Paul Chardin et M. le docteur Pignard ; ainsi, M. Gabriel
Hanotaux me rapportait, un jour, de Tréboul toute une col-
lection qu'il avait empruntée à un commis des douanes. Ce
sont d'utiles matériaux, qui n'ont pas trouvé une place en
cet ouvrage, et qui serviront pour un travail à venir.
Je ne puis achever ces pages, sans écrire le nom d'un autre
collaborateur, l'éditeur Charles Leclerc, qui écouta tant de
fois ces chansons, mais que la mort vient d'enlever au mo-
ment oii il contribuait à leur publication. Si les âmes au delà
sont encore accessibles à nos bons souvenirs, que le mien
parvienne à cet ami ! Quelques-uns de nos goûts ou de nos
affections nous survivent peut-être après la tombe : puissent
alors ces douces et plaintives mélodies de Bretagne, que Le-
clerc aima tant, 1(3 hanter dans le cimetière de son pays natal
elle bercer durant le songe éternel!
III
MÉLODIES
MÉLODIES
241
Andantino
AR VINOREZ
LORPHELINE
^5
Me 08 <'ur bu . gel
0 'étais une (^nfant)
JL
laou . ank flam, Pa
toute jeune quan<j
=Ë:
^^
var . «ar
moururent
ma
, jnon
zad
père
ha
et
ma
en a
tnamm ■
raèr
lère )
LEZOBRE
LES AUBBAYS
jET^ o~vif- 1 y jiiui" [, Il
Tre Koat - ar - Skin ha Le - zo - bre A
(Eutre Koat-ar-Sbin et les Aubrays est
- Rail. ^
#-. p^rjH'Miiij.M^^
zo a - si - net eunn ar-nie, A zo a - si - net eun ar - me.
arrêtée une armée, est arrêtée une armée.)
Largo
I
z£
AR ROUE GRALON
LE ROI GRADLON
e
g P P
E
Pc
tra
a-t-il
^jl r- J' P f?
Ker
Ker
\' P P &
. Is, M'ar d'eo keii (frant
. Is, que pojt SI joyeuf
ar laou . an
la jieunesse,
16
242
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
:rfaS
i^^^
) C p
^3
l<iz Ha m'ar kle . vran
et que j 'entend»
ï
biniou,
o ■"
'■ g M'
fc
v'om . bard hag ann te . len . non?
bombardo e( les harpes?)
GWERZ KER-IS
COMPLAINTE DE KER-IS
mï'^\rï'^wn^^'\^ ppgpi
Pe-tra zo ue-ve e kœr Is, M'ar d'e ken draot ar iaou-aa-
(Qu'y a-l-il de nouveau daus la ville d'Is, si est tellement joyeuse la jeu-
^
HMrpp^wt
£
kis, A m'ar de - vau ar bi-ni -ou, Ar bom-bard ac an te-len-nou?
uesse, et si j'entends le biuiou, la ijombarde et les ijarpcs?)
Andcmtino
AR C'HONT A WETO
LE COMTE DE WÉTO
P f
iHii'ir-FpMrPpg^'^Tnnfi
Pa oa arc'boutiaou-aiik 0 vonddeuzannar-me, Kle-vaz eur ver-je-
(Lorsqu'était lejeune comte âreveairde l'armée, il entendit une ber-
kipJ'i^ p-^^^'pPHr^F1
rcMi 0 ka-na er me-ne, Kle - vaz eur ver-je - ren o ka na
{iorc qui cbantait sur la montagne, il entendit une bergère qui chantait sur
-MÉLODIES
243
ev nie-iie:— La red d'in, ber -je - ren, da biou cc'h eo ar son A
la montagne : "Dites- moi, bergère, pour qui est )acllan^on que vous cLanlifz
É
1!=^
^—0-
ga-nec'li bre-raa-zou? —
tout à l'heure? »)
At/o Mod'P
LISKILDRI
LISOUILDRY
I
S
È
6:
Et eo Lis . kil - dr) da Ba . riz, Em . berr e
(Lisquiidry est allé a Pans, tantôt il
n
^m
i
^xLà'iuxn^^
vo po . var . zek mvï Em.berp e vo pe.var . zek mi7
y aura (juatorze mois tantôt il y aura quatorze moi;.)
KLOAREK KOATREVEN
LE KLOAHEK DE COATRÉVEN
Aiu'anli
è
|,^LKhr'ph'pl^-wm4i^
Kloa-re-gik Koa-lre-veu an eux groct Ar pcz ua ra-fe mab c-
{ Le petit kloarek Coatreven a fait ce que ue ferait aucuu
^^^^^^
bed, Ar pez na ra-fe mah c - hed.
Cls, ce que ne ferait aucun Hls.)
244
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Dole
AR G'HLOAREG lAOUANK
LE JEUNE KLOAREK
fejij''- M r ^' r 1
j^
# ^ fj --rr
ai/- MT ^^r M' rnr rf
Me a ïo cur c hJoa . re .gig iaou . ank, Hag e
\,\o SUIS un petit klo^rek jesae, et m»
tfc=tê
^^
<<-»-
^
^
njHii iii:i zi vvar vord ar staiik
maison est sur le bord de l'étang
et
rr-^-
É
r\
^
. man ma zi war vord ar stank.
maison est «ur le bord de létaiiK.)
MARIVONIK
PETITE MARIE-YVONNE
^'i P J^ JMj- J^ PP Ij) Ji Jijif
Ann df> ken . tan deuz a viz Du Dis kei,i . naz ar
(Le premier jour de novembre descendirent les
Sao-zoD e Dour - Du Disjcen.naz ar Sao . zon e Dour. Du.
Anglais à Do urdu descendirent lei Anglais » Dourda)
MÉLODIES
245
AR ROUZIK KEMENER
LE ROUZIC TAILLEUR
Moderalo.
^^
i
0 f 0 f
r~r
m
?
iLf iJ U l^
^E2
ArRou-zik ke-me-ner a Lan-goat, Brao-an mab iaou -
(Le Rouzik tailleur de Langoat, le plus beau jeune homme
fe^
É
F~<> f Jjl»
P
^
E^^i
^
ank a wlsk dil-lad, Brao-an mab iaou - ank a wisk dil-lad.
qui revête des habits [d'homme], le plus beau jeune homme qui revête des habits.)
AR VARTOLODED
LES MATELOTS
^m
m
0 G^vep . chez glo . . ri .
(O Vierge glorieuse
Va . ri! Roid
Marie! Donnez-
P
r r ir l;
d'in - Oie
- moi
jis . tans D» ((a . na cup wert
assistance Pour chanter un jiver»
1
^m
■0 — *
ne . \ve. C'h'on vo . net
nouveau Je - vais le
d'hi
:'ho . . raans
cominencer. )
246
CHANSONS KT DANSES DES BRETONS
GWERZ ANN OTRO AR C'HAER
COMPLAINTE DE M LE CAER
yr^ iM g F^
3E
Tos . ta . ed oll hag e klew . f'ed
(Approchez tous ot vous entendrez
Eur
p P [; ^ [I p UjtÀ
werz a ne . we zo sa
^ivcvî (jui recenifnent a été composé
4i-p— fHM^^^
r^
22
«erz a ne . wf ^o sji . vet
jnerî qui récenimftn* a «té composé.)
Eur
Mlcoro
AR FILOUTER FIN
LE FIN FILOU
i3
^
^^5
i_j_J4_g— g— ^; I [; J- ^^
Di . dos taed, tu . do iaou . ank, ha klcw
(Approchez jeunes gens et vous
^
* *
MP P C
^-
fed ka . nan Eur chan . son di . ver tis
entendrez chanter une chanson divertissante
^m
M- c; p
sant zo groef vvid ar bla . miiii
qui a été composée cette année - ci .)
MELODIRS
247
KATEL-GOLLET
CATHERINE LA PERDUE
fr''^r ir t-î
' If r
Ped den, siou . az! a :o dal . c'het dre
(Combien d'hommes, héJas sont retenus par
»'• r r r I r~^
al la - son ann Drouk.Spe red' Ped den 3 gav
les lacets de l'esprit du Mal! Combien d'hommes trouvent
î
^
^
^S
dao-n^.si on Oc'h o . ber.gwai go . ve - si . Jon!
damnatioB
En faisant mauvaise confession!)
AI19 Mod'P
1. CHANSON DE KLOARGK
Î
^
^
^
:P Mr-g^^
^
^
Kalz a am . zer am euz Loi . let Tra la la la
Beaucoup de temps jai per . da
Mul.tum tem . po . ns per . di . di
E^I JM r r ': J' ^
-p-
n
^
m ' * './ ZJE
^^
"^ la i* di ra lon\, lai •ne
Kalz a um . zer am en/ kol
Beaucoup de temps j'ai pnr
Mul-tnmtem . po . -- per . d«
iSr' Pf. J'iMû^^^
let,
Ha. stu .
di
an
n'a ni
euz
kct
gPOet
du
E . tu .
di .
«r
i"
n'ai
pas
pu
.di
Et stu
de
. re
non
po .
tu
1
248
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
2. CHANSON DR KLOAREK
«^^u-'KmJ- J'p ^ \.Uh^y
Kalz a am zer ani euz kol . let tra la la h
fF-Ttl'j^jMJ'^J'i'JMJ-J'p-^
la la di ra Ion lai ni' Kalz a am . zer am euz kol
*
^
J'IJ- r J' JMJ. Il
let Ha stu . di . an Nkni euz ket groet
AR BONOMIK
LE BONOHIC
And^" ma non Iroppo
^y,!i|-, p |-, ii-^
m
I
De , bon'- jour d'och, Ja , ne . dik, Bon . jour
(Bonjour a vous, petite Jeanne, bonjour à
^ » ^ ^">=M
Mf r7f ff
p j: f) n Ml 1-'^^
d'cc'h a la . ran brè . maa Bon.jour d'ec'h a la . ran; Pe
vous je-' dis maintenant bonjour à vous je dis: ou
t^t-^N•J'l;W■'Fgll^J m
^=¥
iec'h e.man Bo . oo . mik, Pa n'eroan o to . ina bre
est BoDomic, puisqu'il u'est pas a se chauffer main .
ifU-i [j|i|., i,G|'iiaJ^p r J-'JMiiiJ.
man? PeJec'h e mao Bo.no. mik, Pa o)3.man o - to . ma?
tenant? oîi est Bonomic, poiscpi'il n'estpaia Réchauffer.)
MÉLODIES
249
GLOEREG EN DORZ
LE KLOAREK LE DORZ
Allegro. [Ti-e Jois. j | -le fois et suiv.|
friJ'tci'i'J'ctiNrici^s^
m
Che-lawet Che-la-wet oU oh! che-la -wet Or gan-neu ne-wé
(Écoutez tous, oh! écoutez une chanson nouvelle
Dolce.
fe
É
# I Pi rr
É
^i.u^._piriuggiR^^
zo za-wet Or gan-nen ne - we zoza-wet, De Cloè-rec en
[qui] a été composée, une chanson nouvelle [qui] a été composée, au kioarek le
^^
Dorz man za - wet.
Dorz elle est composée.)
TURZUNEL INKONSOLAB
Andante tvisLe
TOURTERELLE INCONSOLABLE
^^'i J'|J^J''J'plJVJ pl)'J'J'J'lJ:t
^
Tup . zu.nel in.kon . so . lab, c'honi ren kechancha- vro; Di
(Tourterelle inconsolable, vous devrez changer de pays; bUi
i
^
^
^
^^
T é &
t
o red ho tien es . tel ha nin -jed er c'hoa . jo, Ba
vrez vos deux ailes et volez dans les bois et
i|^ J^J'J^^
^
»
^
^
klas ked e .
cherchez là
d'in. me eur pla . sig a gos - te Da
pour moi une petite place à l'écart pour
I
^^
^
P I I) J' J h
o . ber ma er . mi . tach ar rest deuz ma bu . e.
• Uira mon ermitage le reste de ma vie)
2?)0
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Andaiitiyio.
SON ANN DURZUNEL
CHANSON DE LA TOURTERELLE
LM\yi ^J I \Jh ^-f, f
Kalz a am-zer'meuz kol - let o fur - chai ar c'hoa -
(Beaucoup de temps j'ai perdu à fouiller les bois,
^M
r ^ p' p ^- ^ ^
jo 0 klask sur- pren enun dur - zu - nel kous-ket
cherchant à surprendre une tourterelle endormie
•l^al 3 ^^^ i° tempo.
^Jj^n',/JMJ.J'H'|J.>J'>^
war ar bran-ko ; De - wet am euz ma a - mors, et e
sur les branches; j'ai brûlé mon amorce, il est allé
^>^rpri^ ^'^1 fg^pi^-'P P
ma zenn da fali : A-cha - pet ann dur-zu - nel ha nin-
(mon coup) à mal : échappée, la tourterelle, et envo-
^ULj' . J' f I f t ^^
jet' neur c'hoa-dall, A-cha - pet ann dur-zu - nel ha nin-
lée dans un autre bois : échappée, la tourterelle, et envo-
Ball. 3
^^
jif neur choa dall.
lée dans un autre boi?.^
Andantino
1. — ANN DEN KOZ HA G ANN EVNIK.
LE VIEILLARD ET LE PETIT OISEAU]
' fTfj^-rh^^^^-hr^
Na dec'h d'ann noz di - ve - za Ha pa oa koa-
(Donc hier à la nuit dernière, et lorsque j'eus
MÉLODIES
251
't\l Ui^^i^^Mti^^^
niet d'in Ha pa oa koa - niet d'in,
soupe, et lorsc^uo j'eus soupe,
Ha me o vond em
et moi daller à
^m^nrjv^^hn
E3
^±fl
jnr-dia - ie, tra - 11 - ra
mon jarilin, ié, tt-alira
tra - li-lik tra - li - ra-
tralalik tralira
,(*il^^.f^M|fl^r-T^
tsr^
Ha :ne o vond em jar-ilin En a - viz pour - me-nin
et moi d'aller à mon jardin dans le dessein de me promener.)
2. — ANN DEN KOZ HAG ANN EVNIK
LE VIEILLARD ET LE PETIT OISEAU
Andonte.
É
É
^
M P^P P i'
^
Na dec'li d'ann noz di - ve - za Ha pa oa
^m
^
^^
^^
koa -niet d'in Ha pa oa koa -niet d'in, Ha me o
j,'J,,hMvTtTHH^,l Ml'J'M'
vond em jar-din - ie, tra li - ra tra - la - l^k tra - li
(;,*i>j>^^.^iiiJ^^+4^aiJ^i^.M^
ra - ifl Jtie o vond em jar-din En a-viz pour-me-nin.
252
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Allo mod'"
AR CHASEER
LE CHASSEUR
Di . sui min tin ba pa.sa.venn 6 rein dreia drein o
(Dimiuiche matin des que je me levai,
y mh^^ ^ r^^i^JirnrFiTF
ra la ri tra 0 reio dreio drein la ri den.nij Dachi.bonez ar c'had e
j'allai chasser le lié.
y r-Minr-Mrgrpir-pfî^iP
lenn ti ho ho Da chi.bonez ar c'had e ienn Ti ho ho ho
vre j'allai chasser le lièvre.)
CHANSON DE NOCES
Dûlcv ^ ^
Me 'meuz chou.jet eunn dons, ho! ia, pell mad ouz ein.Me
(j'ai choisi
4ouce ho! oui, bien loin de moi j^i
*!/JJ^g,ii AiA\'S^''^'\rî>t^'\
'meuz choa jet eunn dons, ho! la, pell mad ouz ein, Me 'meuz choajet eunn
choi.si une douce ho! oui; bien loin de moi, j'ai choisi une
1
fr^HH
PrMJi.'^ii
à'J'\é |T f p|r±:x^
# 0
dons, ho! ia, p>;ll mad ouz ein*, N'e ket eur vrao:plijont ra d'ein
douce hoioui^ bien loindemoi; ce n'est pas une keile' elle me plaît.)
MELODIES
253
Allo mod'o
AR VINOUREZ
LA MINEURE
m
^m
X
U r ^ I ^^ >' J''. ^^
Di . bon . joar d'hoc'ii, tud ann ti man, Ha d'hoc'h, Bo.
(Bonjour à vous gens de eettft maison à vous Bo
m
^ F) h 1^
LJ r ^
no . mik, taJ hou tan, Ha d'hoc'h bon . jour, tud
nomic près de votre feu, et à vous bonjour, gens de cette
ann ti m^n Men a. ma mi nou- re? ann ti mau men a . ma?
son. Où est la mineure de celte maison, où est- elle?)
Allegro
MADELENIK
PKTITB MADELEINB.
H ^^'''pir-r M Mf ^ M
Deit. hu gcn . aon, Ma.de .la . nik, Ch^mp bon daou
(Venez vous avec moi, Ma-de.lei - nie que nous allions
^
^^
ï
P ir P ^CiJ
da dro.c'hon se . gai? -_ Ho! fe, graon; bo! fe, na
tous deux couper du seigle? _ Ho! foi. j'y vais', ho! foi je n'y
^^
f
m
w—^
naon: Rak tro c'hon rin ma gar.
vais pas: car je couperais ma jimbe.)
2ot
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
1. — AR PILLAOUER
Alio nod^" ^^ CHIFFONNIER
ï
J' M r ff M I J-' J' J' ff
Va zad en deu2 va de . me . zet Da
^ é -é é if é
M ^ M J^ JM ^-^
flae riuz pii laou . er; E Lo ke - fret ez eo
i
^
£
S
^1
^5
' ^ y i> \J •
-0 — *-
ga . Det E ko ■ ma • nan Tuul. A - Lacr fouei fouei
I
r=^
^^
iii;^
£
î^:
fouei d'am zammig ao . trou Gaiid be stoup hag he bil - laou
2. — TOUL-AL-LAER
Allegro.
^c;irtCrfp
r # r =£= . T f • :t
Jla zad en euz ma di - me -zet Da eiir fle - ri - uz pil laou-
(Mon père m'a mariée à un puant de chiffon-
h\^^m\î\^\^
ë- Ê 9 ruM.
a=e
<LjE g* 0 * ^
H' I I [/ 1^' i'
er Da eur fl ; - ri - uz pil-Iaou - er; E Lo - lief-fred e bet
uior à uu puant de chiiîonuier ; à Loquéfret il est
^
P P II
p H r ' f' g I r^^
ga - net E coria - ma-nant Tonl - al - Luer. Fouei, fouei,
né daûs le coaveuant de Toul-al-Laer. Fi! ti !
|>ir rngipg P ^1^ ^ ^ ^
foUfei war ma zam mlg o - tro Gaud lie stoup haj; Le bil
il de mou petit bout de monsieur avec ses étoupcs et ses chif-
MÉLODIES
2o5
/7N
f^-P-4
\< ^> MH p l' |;
i
loij I Foiiei, fonei, tbuei war ma zaïn mig o - tro Gaûd he
foiib! Fi! fi! fi! de inoQ petit bout de monsieur avec ses
1fX\\,[\U
stoup hag lift bil - lou !
étoupes et ses chiffons !
AR G'HEMENER
Allegro
LE TAILLEUR
m
m m
M 1^- F M'
fc=i=i
f
Ip c'he me . ner par ia d'ann i - lis Far di - bi
(Le tailleur quand il va à l'église
1 1 M ^ 1 1 ' I i I ' I I
dao oao
Ar c'he me . ner pa la d'ann
le tailleur quand il va a
i
0 0' 0 m m [-y
fr=fe
g
l' P i^ P
* * g
t
^
i . lis, A 70 gwis . ket' vel eur bour c'hiz. Pa ia da g«
l'église, Est habiijé comme us. bouigeois Quand il va pour- pren -
jyJ. M p \r r riMr f^ f\
mer dour bin - ni -
dre l'eau bénite
get V Far . di . bi dao oa - o
o Pa ia da ge . mer dourbiii. ni . get
quand il va pour prendre de l'eau bénite
A ra taol
il donne un
236
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
p r (y iJ. [? g
^m
E
la . gad d'ar . me . ried. Ri - ge .don . da ^ war ar. c'he .
coup d'œil aux filles Riguedonda sur le taii
r J'pp p
p=±^
me - ner Ri . ge . don . da ke , me - ntr
-leur! Riguedonda tailleur il était)
KEMENER PLEUVIAN
Allegro LE TAILLEUR DE PLEUBI AN
i i' i' j^ I J' j^ ï> j^ I j^ j^ j^ ;■'
Ap c'he me . ner a BIou , vi . An an eur groet
(Le tailleur de Pleubian a fait
y^ n [t i\f i'i i'\t j'j->
I
mar c'h:id gund u . nan, Ar. c'he . me . ner a Bleu - vi
marche avec quelqu'un le tailleur de Pleubian
^^
£
P M ^ IM ^
±=±
an; An euz groet mar.c'had gaiid u - nan Deuz ar me .
a fait marché avec quelau'un de la mû
^(^^pplJ'J^J'J-'TtTJTjfjT^
. meuz pa.rez gant . h an Da vend d'ar zal vraz da ver man A .sam.blez
me paroisse que lui d'aller dans la grande salle diner avec
y^-'J^'^-'irr ^'J'iJO'j-'j'i j' H
gand ann o - tro . ne Han vu .et mi . nis . tred Dou . e
les messieur» appelés minisitce de Dieu)
.MKLODIES
257
ANN ESKENNOUR
Srhfrzo
LE SCIEUR DK LONG
^>P If i' ^ f ir ^f g: ir-[^ M
Che . le . ved oll ha chf , le.ved Eup son 20 ne . ve
VE . coûtez .. tous 't •îcoute/ un ann qui à réceitiment
Cl
y ii!t f p ^
^
^m
^
^ '• 114
ïo sa- vft Eur son zo ne . ve zo sa - vet ,
été compose un sonn qui a récemment été composé)
AW vivdcc
AR 10 L'EN
>'ji) J' J
i=:/ V V
Se . lu vur ann daol sou . ben kig ha
Voilà sur la table de la soupe, de la viande, et des
'é'fr^U \J>J'tçlTT^
#-1^
F=y=F
kaol; Ja . ke . ta, Se - tu var ann daol sou . ben, kig ha
choux, Jaquette, voilà sur la table de la soupe, de la viande et.
|J-'|> ff J^JMJ JVriBxii
^=W
^
^
kaol lûu.en -g^nd he kou.tell fall A troc'h a.man ka kig
des chouxJouenn avec son mau.vais couteau coupe du beurre et du lard
I
^^?
^
pii^r^ ^ p 1^1
fe
±=±zi
. sal Se . tu var ann daol, Ja-ke-ta Sou-ben-kig ha kaol.
voila sur la table Jàcquette de lasoupe delà viandi; et des choux
17
2,^8
CHANSONS ET DANSliS DbS HKETONS
Allegro
KORBINO
CORBINO
JU'-j r j'i»^ p ^m
4^1?
^ ^ g
:h, a chi . l
Mar plij gan . ach, a cfii . leon - fed Mar plij gun
S il vous plaît, vous écouterez s'il voas plaît,
• I 'i I M I
ac-h. a chi . teou - fed Eur so - nik koant zo kora - po
vous écouterez une petite chanson charmante qui a e'té com.
/:;F' ^ i-
zet, Di ^ rai . trou
.posée
'011 . la la . di - ra dl .
i^, JJ ;, U J^^
Pal .ne Di - rai . tron . la la . di . ra Ion . la.-
MA MESTREZ KOANT
Al/9 Mod'P MA MAÎTRESSE CHARMANTE
i«=#
^
i' M If
^
E - vid ar hloaz o oann di . met Ta ri ti
(Cette année jetais marié
é^ r p ^'1? ^ ^' Mr r rp
tra la la la la E - vid ar bloaz o oann di .
E - vid ar bloaz o oann di
Cette année jetais ma
<ir ^ n^^ ^ M^'i ^ »
met, Ha ma kar , jenn na vi - jenn ket.
. rié, et si j'avais voulu, je ne le serais pas.)
MISLODIKS
2o9
SON ANN DOOANED
CHANSON DES COCUS
Alleyro.
HiiiM'Jir[,J'Ji^i'J.jiJ'J'JT
Keu-ta bis-koaz c'bizda tlo-gan, ka-œa-ra-ded, ma lui-gno-ned,
(Lapremière fois de toutes que je devins cocu, camarades, mes amis,
,j,iJ,iJlJ|||,Jj?IU|J,fe^
keu-ta bis-koaz c'iiiz da do-gau, Meu'amakela va - rad'au» c'iioaii.
la première fois de toutes que je devins cocu, je n'avais pas de pain à mou souper.
AlUc
PLACHED LEZARDllEO
LES FILLES DE LÉZARDRIEUX
i
^^^
1» 0-
m
Ker. se vo gant pla . c'hed Le . zar . dren
(Il fera défaut aux filles de Lézardrieux
i
É
P - f
m
tà=î=*
^-kj -^ p I r ^^
Gajid ho ro tou . kiuu fa - li . ra Ion _ lai
avec leur' rotoukic
i
^
m
Ker.se vo.gaiit pla - c'hed
Il fera défaut aux filles du
Le - zar
Le'zardrieux,
dren,
é H ^
^^
m
Ma na gall ar ma
si la marée n«
le - an
peut être
kreiiv
forte .
260
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
.Allvgvo
MERG'HED LOKENOLE
LES FILLES DE LOCQUÉNOLÉ
i
n j j' I ■!'■ ;■' j^
^^
Mer , c'hed a Lo . ke i
(Les filles de Locque'nole
le a 10 mer
sont des filles
m
i
t
^^
. c'hed a stad,
iar^udes
Na \sT\ . zont ket da zan
qui n<; daignent pas danser
i
m
E
E
?
È
1 ne _ met gand pao . fred vad .
hormis avec des hommes de bonne candition)
PLAC'HED PERROZ
LES FILLES DE PERROS
/|>Mij^lUJ'J'|pJ.|V7,j„;iJ.<j,
G tond euz a Sant - er - voan 0 toad euz ar par-don, Kent
(En venant de Salut- Yves en venant du pardon, avant de
»JM'Jl|.J.|},j.|^^
dis-lrei da Ve - zou - Bran
détourner à Mezon-Bran
E korn eur park mel - chon,
au coin d'un champ de trèfle,
|.a}JrtiJJ-in'J^^
Oa eur potrkoz'vel to - so, O tond euz ar par - don^ A
était uu homme vieux comme des racines, en venant du pardon, as-
f'Jj'i'J'ii ili',1'1^^
ze - et war he vo - to E korn eur park mel - chon.
sis sur ses sabots, au coin d'un champ de trèfle.)
MÉLODIES
261
/[ndantino
SON
CHANSON
.|i'i''r 1, P~^. t N- (> I, i I
P
Me ' meuz gwo _ Ict me me u
(J'ai vu moi - même
.0 ra U
ai
la la la la la la . la Me' meuz gwe - let me ma u
j'ii vu moi - même
^S
f
Ap bi - ni
le Itinioii
ou gand ar per. _ son,
dans, les mains du ftctçuv-^
PARDON SANT-MILION
LE PARDON DE SAINT-ÉMILION
ÏJ^T^tl""
^
?
f
W
Na de par. don sant. Mi - li _ oi
( Le jour du pardon do Saint - Enrilion,
E ba Von
était coutriste'
^^
r =11 1; ^' M I • ^
^
# g
.tris - tet ma c'Iia - Ion.
mot» cœur.
Ion Nag ar- sul vin -tin pa sa -
Et "le dimanche matin, quand y' me
éy p ir ^''^'g ig g'^'j'jMj. j^
. viz Bis. kouz ke.ment ail na we . liz. Be.ge . gci Na
levai, jamais je n'avais vu pareille chose. Ne
;, II;'' II' ^ î-i ^-^T^-^-^r^
;ara bpi . a . led ket, raer.chod. Be . ge . gek be . ge-ge . ge .-
cabriolez pas, .les .filles.
ij J^ f ;, I ;, 1' }' ^fei
.gek N,i ^um bri . o . led kct.
Na ^jm bri . o . led kct.
Ne cabriolez pa*^.)
262
CHANSONS KT DANSKS DKS BRETONS
KOUIGNAOUA
Più fjreslu
ETRENNES
^
n j i I, .r^
* *
w
Bla . vez mad a
( bonne année je vous souhaile,
zou - e - tan d'ac'h.
^^
rrrrr^
^
» w^ ^
Bla _ vez mad
bonne année
di - ^.ind Duu
de Dieu',
A - van . tur
bonne aventure
î
J~] t' J' I . n 1 1. r,
d'ar re iaou . ank, * D ar rc
aux jeunes, aux vieux
1
^
È
If »
^
* f
^i
près - po - li . te Bl.i . vez mad a zou . e . tan
ppospe'rité. Bi'iinc année je vous sou
È
crïun
*=F
^^
dac'h, Bla . vez mad, di
haite, bonne année de
and Dou - e;
Dieu;
^
^
# #
^
A . van . tur vad
bonne aventure aux
d'.ir re
jeunes,
iaou . ank,
^^
^
^
^ *
22
U ap re goz
aux vieux
près _ po . li
prospérité . )
te .
MRroniES
2C3
GOUSPERO AR RANED
VÊPRES DES GRENOUILLES
f
3E
r ^ Mr P r \ç^m
r F MpP.rp ir n* ip p p r
i
^
^^
^
^
i5> <■
ç ç \ç ç \-ntf
g — 0 Km W 9
.^N'J'J'plJ J |J JlJJ IJ'J^JTTTI
Andantf
DISPIGN AR C'HAZ
PARTAGE DU CHAT
^^
y i' i' ?
^1-1 yn
P
Me 'meuz du . mou tiir c'ha.zik rouz H.ig a l'a
(J'ai chez moi un petit chat rnux it qui fait
Allt'q ro
m « m
:m
fe^ytfe
T "V ^ W ^ ^ ^
—L H i^ P P b b
neu . beudig a druu/. . Kau di . ga . deii .no Vi . del a
très ueu de bruit . Chante digadenno vidol a
i^, p p II' i' m
^t
*=^
jua Wl . gom ra.
»a lar - din a vi - ro Kal/.
va jardin il gardera beaucoup do joie wigourTa.)
26 i
CHANSONS 1:T DANSES DES BRETONS
KAON
DEUIL
tih I \h f i'^m
Kauii kaoïi d'am dan - vid. jienn . gor _uilt Kaon kaon
Deuil deuiJ pour ma brebis aux petites cornes deuil deuil
s
J' f ' I'
^
f
d'ajn
pour
daii - vad .
ma brebis
KaoD kaun
deuil deuii
d'am . dan - vad. pciin
pour ma brebis aux
^^
^^
gor . nik
Kaon
kaon
d'am
dan
vad
petites cornes
deuil
deuil
pour
mit
brebis.)
Lent et doux
BERCEUSE
^
È
^^
Tou . tou
(Dors
mab bi . liaii, Tou .
fils petit, dors
^s=^=^
r r r I r I r r
. tou a - ze, ma mab bi . han; Mai' deud braz, si - kou .
là, mon fils petit; si vous devenez grand, secou.
^^
^!' r Vi
?
red ho mamm. Tou . tou
rez voire mère. Dors
ze, ma mab bi . ha
mon fils petit.)
MÉLODIES
265
ifc
DIGOTIN
r I M I r ^^
Chu!
(Hue!
c'hu!
Hife!
di . go
digotin,
tin,
Da Lan
Lan
1» I; p 1 1^ 1^ I r l#=f
# 1»
^2
u . on
nion
da V\it g^'^'U,
chercher du vin,
Da wit gwin ha
chercher du vin et du
^
^
U4-r^L^
=1
ba . ra
bon pain
nijd
Da 1 . vo , nik zo patri
pour petit Yvon qui e!>t bon garçon.
m
M r II
\' ï> \[^ c
mad fla d he vam . mig
et a sa petite mère
ha d'he dad.
et a fon père )
Aiidanlino
PATER NOSTBR
I2 m f p p f p ■
-4j^ : . • p : =
Pa . ter
nos ter
di . bi
doub'
1
^
Man ma
Mon
c' haz
chat est a
ne . an
filer du
stoup
l'étonpe
206
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
Andantfi
m
i' > r
RONDE
f
Tro ik
(Petite fonde
me
iyre
ba
pain
lez;
lait:
M r r If i
"Nnhi . ni
celui qui
gOlLB >
tombera,
e'haï
ica
deiors.)
Allegro
RONDE
fu r Mrs
^^
Bar - zig ha bar . zïg a Go
(Petit barde et petit barde de Cone'ri ,
m
^^
^
A . ri raub ar rou
le fils du Roi est arrivé
gand
r r tr (^ F
daou
pe
. dri,
Gand
eur
ba . gad a
bi . cho .
deux
ou
tiois,
avec
une
bande de
pigeons
w — f-
^^
ned, Ru ha gwenn ha vi . o . let.
rouges et blancs et violets. \
MELODIKS
267
AUegvo vivace
PLAG'HIG ANN DOUAR-NEWE
LA JEUNE FILLE DE TERRE-NEUVE
(Roude.)
^
M a.
^
Ç \i \v \/
Pla - c'hig euz aon Don - ar Ne - we, la - di - ra
(Jeune fille de Terre-Neuve, la(jira
^-Htg-^N^JM P M P P
la la la la la
la la la la la,
Pla - c"hls euz
jeuoe fille de
ann Don-
Terre-
i h\i> ç\^> w>i'\^>\^
ar Ne - we, Hag en e Itrao be - a _a - Z'^?
Neuve, est-ce qu'il fait bon ôtre là?)
Alkffrc/lo
LOGODENNIK
PETITE SOURIS
p I J' g ^' ^ I r i
Fi - che fi . che lo . go . den . nig ar bod
Fiche fiche petite souris la branche
ï
É
^
g ^ M p P^^
bod,
la branche.
Fi . ehe fi . che
fiche fiche
lo . go . den . nig
petite souris
LJ [r ic^r P Mf p p p
bod drein, War e gou _ re wai' e . l^in
la branche de ronce, sur le soiimict sur le haut
268
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
ar bod
S
War e KOI
ar bod,
de la branche la branche,
f l!)Oa .
sur le Sommet
É
s;:
^
.re wap e
sur le haut
lein ar bod drein.
de la branche de. ronce. ^
ANN ANDOUILLEN
Allegr
L'AN DOUILLE
^J' J J'
£
3^
'Nn aotron Par « son
^M. le Recteur a eu
deuz c' hoan .
^m
^
^^
. tet Eunn, an . deuil « len bet er mo . ged.
d'une andouille qui a été dans la fume'e
t ft
(? U P P ^
Hop! hop!
Hop! hop!
hop! n'e ket gwir , ann
hop! ce n'est pas vrai, cette
S
p r 'p I r p ^
dra , ze. 0 içou da, gwir' walc'h e voa.
affaire - là. Ho! oui, par exemple: c'était assez vrai.)
MÉLODIKS
269
ANN HINI GOZ
LA VIEILLE
i
^^
^m
P • '•' 11^' "' p ^
Ann hj . ni goz Eo ma dous, Ann hi
(La vieille est ma douce, la. vieilJe
goi eo zur. Na kouls.kou . de, war a we
l'esl sûrement.
Et cependant, d'après ce que je
l[; p M I; ^' ^^ t^ ip "g M
^ lan Ann hi _ ni iaou - anff ar vrao _ an. Ann ni . ni
lan, Ann hi _ ni iaou - ang an vrao _ an. Ann hi . ni
vois,""!» jeune est la plus belle. la. vieille
1
MrjhLrt
fe
^^
E
'oz Eo tua dous, Ann hi „ ni goz eo zur.
est ma douce. La ncille l'est sûrement.)
SANÏ KADU
SAINT CADUC
Al/er/ni.
J4f4jHlti'lllVI.'.U^iJlUlJ''t
Kle-vpthoc'h euz homz dre ar vro De-meuz arm o-trosantKa-
(Avez-voiis entendu parler par le pays de monsieur saint Cu-J
j>J>>irfirgpnr-nrriPa'^
do? Ho vi-ra-klo nag he vu - e N'hoc'h euz bis - koaz kle-vet an-
doc? Ses miracles ni sa vie vous n'avez jamais entendu en
^
he.
[parler].)
270
CHANSOiNS KT DA.NSKS DES BKETO.NS
SANTEZ THEKLA
SAINTE ÏHÈCLE
éi-H'JMJTT1^;^lr>J..^j^j^
Eon ker I - kon er vro ar Si - li - si - a, E oa goech-
(En la ville d'Icône, dans le pays de Cilicie, il y avait autre-
|?=3^J^;irrJ>J'>^J.j>J']')j,
ail eur [tliich l'mliau-vet Tlie-kla; Darengar zent bre-man za-vet enn
fois une fille sùge noinuiée Tbècle ; au rang des saints niuinlenunl [elle est 1 élevée
|.ijJJJ|i-.l'l
££^^
en- vo, Drearbed holl an 1-liz ra he goe-lio
dans le ciel, par le monde entier l'Église fait ses fêtes.)
JULUANIK
[LE JEUNE .lULlKN
La complainte de St Julien se chante surTair « Ar roue Gralon
Andantino
SANTES TRIFINE
SAINTE TRÉFINE
^^
J' J'' I J. ^
Di . rajSv li . mage sa» - tes Tri . fine, ha sant Tre .
3
i^' J. J ; ; i^n J^ 1 1 0 cj'i J-'
. meur hi inab ca - ret, Stoiiy-St a _ ineii ar heu (euh
^^ Mod^P ma non Iropp'j
é' f g p p if g ^ g
K:
K
■m — é — #■
REFR.
lin, per . hin . de . rion ^uet ^red can ._ net. San -tes Tri
MKLODIi:S
271
^^
E5
>> , J-' I J Jl ^
i±e
r*
fine, e leiii en Né, h\x\ e gare hoah or Vre.to .
J' 1> J'' I J I .^^
d:
Pc . d't eid ouib
Eu - tru
f
JMJ n-T]
r u^
Done d"o . ber hun nés; eid ornh pe _ det
ITKON VARIA AK G HALVAK
Andanle NOTRE DAME DU CALVAIRE
I
f' J J' J. i'
£
^
^
^
é^' * ^ ^
I - trou Va . ri . a ar Chai . var, 0
(Notre Dame du CaJvaire 0
^Hr J. J' J' J' ;• Jii:: J, J.
mamm Je . zuz, mainm a c'hla - c'har, Go
nore de Ji^sus. mère de douleur^ de .
L^LJUlJ
3
&
J' "^ i. i
^ ^
.. len _ ncd e - vid ^ on par . don: C'houi
. mandez pour moi pardon; vous
I
^
3E
4 ^«
zo ina Mamm ha . ma I tron.
Ôtes ■ raa mcrc et ma souveraine.)
272
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
I
Largo
SPERED SANTEL
1 ESPRIT-SAINT
W
^
k:
ï
^' ^^ ^ ^.
^
# #■
Spe . ped San . tel,
1
^
spe _ red a skJe _ ri
3
P::;^
^^
y=*
^— ^
Jeu,
Pli' _ jed gou , ac'h «n - oinp bre , âtiîi dis.
ç I r :^ ^'' \t> ^F
fe
knp _ ged hon, spe . re,
a.riD _ >a tomnied lion
Largo
W
m
2 ÈSPRIT-SAIXT
i-J " é I\
Sp.
red San tv), soi
red
skh
m
]eu,
i,d
^fe
gaii
ac n f.i
jPe . mail
m
ri . jeu k;ip . ged hon
spe
m
ga
toiD
boD
MÉLODIES
273
1. — LES PRIÈRES.
Lrnl et grave.
m-^ hi \' i^-^-r^i
Ma Don - e, - me' gred fer - ma - mant Pe - noz ec'h
(Mon Dieu, je crois fermement que vous
i^ "H ' f M M f F M
oc'h a - man pre - zant : Rak-se gant gwir u - mi - li -
êtes ici présent: c'est pourquoi, avec une véritable humili-
P'^Tf^'^rï' p^^
te Me' rend o - mach d'ho ma - jes - te.
té, je rends hommage à votre majesté.
2. — LES PRIÈRES.
^J' J' i'I J. jO ^ I fj' i^ J^
Ma Dou - e, me' gred fer - ma - mant Pe - noz ec"h
^''J-J'p [; I f M; M I MM
oc'h a - man pre - zant : Rak - se gant gwir u - mi - li -
i^i h. 1 1 '^ ^ "^
te me' rend o - mach d'ho ma - jes - te.
18
274
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
lg„f„ LES COÎIMANOEMENTS DE UlEU
Chœur des hommes
(^ ^ ^ f! '^ I j ^ r> y
^
w^-^-l
Ml' ' P
Eunn Dou . e kep kcn a . do ri Ua dreist peb
^\ Clirguv des f(^timcs I
é J ^ g
E
^{>\U " F
;*^=F=P
i
tra oll a ga _ ri. Dnu . e en ven na dou. i
^
^?=g
F ' IJ ' f
ket, Na ne . tra ail de . mcuz ar bed.
i
Andanlc
ï
CANTIQUE DE LA PENITENCE
^
Dou . e, gwir lui
I
D'
ann i . ne _
t=m
^^
i
Me am euz la . zet. En gou . zout
^=1
^
* é
é f,
fc=t
F
a rcd, Me am cuz la . zet Uo mab Je _ zu2
CANTIQUE DE COMMUNION.
Lent et doujL.
i^ilJl.ilM'Jillii M'.^I|IJI
=9?
pe-goulz a dai anu
Ha na liir eo ann uoz !
/7S
l>;J- 1 ^^i^i-h-d :juy\ ^ [;p
de, Ma c'hal-lia me
860 Je -zuz ma
MÉLODIES
275
m
m
±L
4.|J.|||J'J'^
3tlj
c'iia - rail - te"? lia iia liir co iiiiii noz!
-ÈF J.
pe-goulz a dui unn de?
AndaïUino CANTIQUE DE COMMUNION
ij 4 ^' If p ^'«>' I ^' M H
Deud oll ha deud gant fe, Deud d'ar ban
^^
ï
^^
f. f ff.
V \) \ V
ket pri . si
GiJ . vet oc'h gant Dou- e Da
^
ai . bi ouz îol
Je
zuz Je . zuz. Ba -
#-ï-
J' I J J'
P ^, ^ I O'' ^- f:^^^
m
ra . doz ann i . ne
A chom gan .,»c'h noi.de.
GWERZ AR BARADOZ
Lent. (doux COMPLAINTE DU PARADIS
^m
^
^
zuz, pe
gen
braz
àf I r
Pli - ja
dur ann
nnn 1 . 00 Pa
276
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
f
TZ.
rJ m w
zn.
veo en jrras Dou
en De
^
fe
ran . te, Pa veo en gras
Dou
3E
^t3:
en he
ga
ran . te !
CANTIQUE DE SAINT JOSEPH
Andanlino.
jlJ-H'J' f4^^M J- H' Ji
■JHH^
Mi - rer choazet sand Dou - e D'he Yab ha d'ar Wer-
^T^TjjJj.J'M'j^Jj JmJ.JM')
elle/, Bed hoc'h euz en ho pu - e An - ken ha le - ve
M
É
^
> P I f p PT^^^Ti ^^^
tr — r
uez. Sanl - Jo - zeb, pri-ed Ma - ri, Tad ma-ger da Je-
,J,>.L}.I1||-^;,^|J..JJ^^
zuz, Ni felld'imphoc'u e - no -ri, Pa - trou ka- ran-te - zuz.
MÉLODIES
277
KANAOUEN NEVEZ D'AR WERC'AEZ VARI.
CHANSON NOUVELLE A LA VIERGE MARIE
La7-go.
La-vard'i - me, deuano Ar - vor, Ha kerkaer eo da vag war
j. J-J'M'J ' '' ^^^
^
vor, Gand he gwe - lion gweDD-kann di - gor? La-var d'i-
l I- l'rJ'l J-J- rJ'l J J'jlJ'
P
me, den ann Ar
. Ha ker kaer de lion glaz ar
/7\
J i'r ui i' i [' m
c'hoad, Pa zeu eur bann-heol d'ho skie - rat?
STEREDEN-VOR.
ETOILE DE LA MER.
Andantino.
^\l'^\^Q\\\4jUh^
Ni ho' sa - lud, Ste - re - den - "Vor, Manim da Dou-
fe^ J rr\^
^
ri J é I ig
o À é \ &
6, leun a e nor, qwer - c'hez be - pred, dor ann En
(!)U /P I r ri '^ r'ri J
22
vo, che - leou-ed ouz bon pe-den - no.
278
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
i
Andanie
A L'ANGELUS
?
jS
i
Gwer . c'hez di
ho
tron ann
^
^
£
^^
Groet
war . n-ump
1
^
É
ÎZ3:
^
f
Mru
Che
leou
ed
i
P — w
^ f I ^^' I J' I ^''•^
hon pe . den . no bre . man, 0 mamr
i
I i| 1 1 1 j 1 1 1
O mëmm ar ewei . lan!
^=tà
lao!
8*
Andante.
CANTIQUE DES MISSIONNAIRES
IhlJlJ N Mlf ^-ULJlJ-IH
Dolce. Breii - ileur, ni' - gler ho - k'em - mo Deiiz ann tu
j,i,i JiJ.jjJU i\^m
ail d'ar
mor; Dho mouez ha d'hoc'h e - zo
f^j .h;i Ml J'iJ[JJiJJMr>
mo Hon c'ha - lou zo di - gor : NI a ra - is a-
h J. I J J'
#
^IJ.IJJ'IJ J
lu - ZPD E - vit si - kour ho pro, Ni a sa-
iji I Ml IJ M hjTJMJJJII
vo be - le - ien, Ha - d'ac'h ni o c'ha - so.
MELODIES
279
MELOPEE DES MYSTERES ET DES DRAMES
Cadence uniforme.
hUH^^^ ^P
£
En ba-no aun Drin (Jet, Tad,Mab ha Spe-ret-Glan,
l> F H p p F F ^>^m
Me ho ped, kris-le-nien, da daol e -vez hre-man
l> F p H p H p ^m
Bu - ez saii - tezTre-phiQ, hag hebreurKer-vou-ra,
ippgg(;pn^^
HoD euz, e-paddaouzeiz,arc'hoantda zis-kle-ria.^
VARIANTE
(| j'' M P P P P rrp I?
P=i
Ed ha . no ann Drin. det, Tad, Mab ha Spe . red .Qlau,
é P F d p P g r F M M' Il
Me ho ped, kris . te .nien, da daol e . vez bre . man... .
IV
AIRS DE DANSE
AIRS DK DANSE
283
NM. — RONDE
$
^IH
d \ * J
m
^
«=?
d \ ^ d
w — — w
|> j J j J I J n~j rt-^
i>u ^ ^ cs^^^ 'HI ^~W
|) j JT3 1 ^ j I ^J ^'j I j^^
N»2. —BAL
r rrrrrif
y—f
M 0 0.
M H I M
(j,*r f rxnf^^^
i
4E 0 â
rc I' iLfrUri
j,'fcriff|fri|frii''^r''^r
^m
#-#
i
284
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
N»3. —CONTREDANSE
F--^
W
r I r f J
§^
i
^
p
^
#— ^
*
Li:^! r r
l'.r LT I u^ ^ I ^^^ I r r II
N»4. — PASSE-PIED
j,-^rrrrir-frrrU:irrrr
^
0 ff r 0
ifffpf] rrrri f~f
-j,rtrirrrrn^
AIRS DE DANSE
N" 5. — RONDE
285
ji rrii ij^ \pm
i^rm
^
^^
^
^
^^
m
à=t
S=3
N«6. — RONDE
j>^;^jiijmijD^^
iN;"^iJjJ"jinjTirjrJji
^j j^iJ nir:j-:i j ni
286
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
N» 7. - RONDE
^
^ é à j \ } ê ^ è \ ^ à à i
i
^^
^ I ^ J J J M ^1^ ^ J
j^ ^~ j I j-i^ j I 'H^^
N'^S. — RONDE
i
CJ I UJ LH L^
4 ^ ^
kjJiM'in LilLl-M^
^^
#=F
y-M-^4j
^
> ^ * M
m
i
#-H»-#
r Lr f II
A lus DE DANSE
287
N"9. — RONDE
|,^iJ rn\-^-frr]-m
^m
^
^^
^
^
^^
d é ' é \ J à
k'LLU
^^
^
^rrrvrm
* é ^
è \ é ê
t^t-r^an^
NMO. —RONDE
^
' frirrrr
i '" I' I I I Ll
f 0 f f
^m
288
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
NMl. — RONDE!
^
g=»
^ ^ I ^ ^if I ' I
^
# »
à
# — »
ij,r î\!J.u-rh^
lUj iJ I Li
N" 12. — BAL
j.iiLcjirFr^
f P M f W-f
^
Urrn r FF^
T7 I
Jf—f-
^, r r r c: I tt-Lj I r r L-L/ 1
irun rrr nr^ n ( Il
AIRS DE DANSE
N" 13. — BAL
289
iriirimm^
mutt
^
l^n j I rrr: i n mi i
^> ^ n rn^ \ rurrrrhifij
j. ^ J rm I ^ ffl^i j nT3 1
l>^JTjnin^i/i^ni;ii
N" U. — BAL
j,>''j Lff I [.rcr-fi f r r rg
i I' I f I U I g r I
j^''i I fi iiiJijip
i>> r LLf
# # P
# #
# 0-
w
^'"\ r I
19
290 CHANSOiNS ET DANSES DES BRETONS
N" 15. — BAL
(j>fi I KTlin-] J J'I Ui/
è ' ^ è
«7 #
4 — - — «— #
{) J. j. I j J' J'T"] I H'^^^
h j' Jn I J. j J'^^
i>rnij^\n^ni\i.j^\y}
ffiJ^JJJ^l^J'J^JlJ- ==h
N° 16. — BAL
èijjinnDiParrin^'^i
i' J J "J u
a=?e
m 11,^1 11 I
Ip J ^ '''J j J I J r r ^ 1» I /"^ n^ I J il
AlliS DK DANSK
N" il. — ]{AL
2î)l
i>i j} UJ J J IJJ JJ j J i^'^p^
ft^llJJJJimjjULLUlLJJ
4nirn\}
nt-m
ft-r^
^
N" 18. — BAL
^^^uAuTT^^
* tV ^"
É
<j>niJTi
J44-J-J J^p
292
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
NM9. —BAL
|;'ii t lm' n I gj ^
m
m
i '■ LJrf f fjj
f=f=^
^^
;*iirrrrri|Mfc/|i:rg'^itii;
m./.
N"20. —BAL
fiiux; fi tLf LLr I rxr r
j.*u; r-irx;riu;a./i
i
« ^
^
4=5=^
^^
ji:^rLrrirrLl
^^
ê 0 ë
à=Ê:
r r \ r r L
r \ F 0-
AIRS DE DANSE
293
N»21. — BAL
(j.ii LLrrnri/fxritlriLn
Lr [itlrrpi^rxntfrLrj
^
# — ^
#
*E
|,LtrcjLri r c fi^iiLjr
|>riirrc^Ji t-^^
N''22. — BAL
jnfrr, I- rrrirrrr^i
$
^
^a
fe
fp-Uif
H ULr M
^^
j.Lfr^iirriJ-ri nnnn i ii
29i
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
N°23. — PASSE-PIED
ÎT^ni! I [J LU 1 1-^ tiJ I
m
f 0 s rq=:q»
P F y
^^
^
j. :.r LLLr I :,r rj
j.LLr ri^rrrri^
N" :Î4. — PASSE-PIED
I^H^Lë
j,^L£Jrl cJLa^^-UJ^4^
!>' c^
^^
^
j." Lf Lri[/gjxri r ^ r
AIRS DE DANSE
N°25. — PASSE-PIED
-0 m § f \ a^
295
^^^^^^1^^
^^^^^^
^^^^^^^^m
I>c::jju
^^m
^
^
N-Se. — PASSE-PIED
^^^
ji^LL/yiiJll'LJ^I
i
IIlUIII-UMN II U.II I
j.|' ujykjiubUJiLLTt^rirtfJ'i
p
^
296
CHANSONS ET DANSES DES BRETONS
DMOBEK
^liF Fr'Fn'MHr MM
^ P p P P M I ^' (^ P M F n P P P
fr-pppMPpt^PPf 1^- ii'PC^
^^ pçjpgirppPM-^ ()^^\^
Clichés de musique : partie de l'Imprimerie nationale, partie de la
photogravure Rougeron-Vignerot.
TABLE DES MATIÈRES
Pages.
A M. Maurice Bouchor (lettre-dédicace) i
I. — Notes de voyage 1
Noies de voyage 3
IL — GWERZ ET SONN 57
Gwerz et Sonn 59
Ar ViDorez -^ l'Orpheline 59
L. Lezobré 65
Ar Roue Gralon "71
Ar C'hont a Weto — le Comte de Wéto 73
Liskildri — Lisquildry 79
Kloarek Koatreven — le kloarek de Coatréven 84
Ar C'hloareg iaouank — le jeuue Kloarek 93
Marivonik — Marivonnic 99
Ar Rouzik kemencr — le Rouzic tailleur 103
Kanoeu ar Vartololed — Chanson des Matelots HO
Ar Vaz — le Bâton 113
Gwerz ann otro ar C'haer — Complainte de M. le Caer . . . 120
Ar Filouter fin — le fin Filou 135
Sonn 1*3
Chanson de Kloarek 1*3
Ar Bonomlk — le Bonomic 1*7
Ann Durzunel — la Tourterelle 151
Ann Den koz hag ann Evnik — le Vieillard et le petit Oiseau. 153
Son — Chanson ^ . . . . 156
Madelenik — Petite Madeleine 158
Son ar Pillaouer — Chanson du Chiffonnier 160
Ar C'hemener — le Tailleur 163
Ar louen — le louen 166
Korbino — Corbino 169
Ma Mestrez koant — ma Maltresse charmante 174
298 TABLE DES MATlf'iRES
Son aon Doganed — ChansoQ des Cocus 178
Plac'hed Lezardreo — les Filles de Lézardrieux 181
Merched Lokenole — les Filles de Locquénolé 184
Sou — Chansou. ' 188
Pardon Sanl-Milion — le Pardon de Saint-Émilion .... 190
Nedelek ou Nouël — Noël 192
Gouspero arHaned — Vêpres des Grenouilles 195
Dispenn {ou Dispign) ar C'haz — le Partage du Chat .... 202
Sooik — Petite Chanson 204
Berceuse et Jeu 207
Pater noster — Pater noster 209
Berceuse et Ronde 211
Ronde et Jeu 213
Tro — Ronde 215
Ann Andouillen — l'Andouille 220
Ann Hini Goz — la Vieille 222
Gwerz et Chants religieux . . 2i7
Gwerz sant Kado — Complainte de saint Cadoc 227
Juluaoik — Juluauic 233
III. — Mélodibs ■ 239
Ar Vinorez — l'Orpheline 211
Lezobre — Les Aubrays . 241
Ar Roue Gralon — le Roi Gradlon 241
Gwerz Ker-is — Complainte du Ker-is . • 242
Ar c'hont a Weto — le comte de Wéto 242
Liskildri — Lisqiiildry 243
Kloarek Koatréven — le Kloarek de Coatréven 243
Ar C'hloareg iaouauk — le jeune Kloarek 244
Marivonik — Petite Marie-Yvonne 244
Ar Rouzik Kemeuer — le Rouzik tailleur 243
Ar Vartoloded — les .Matelots 245
Gwerz ann Otro ar C'haer — Complainte de M. Le Caer . . . 24H
Ar Filouter fin — le fin Filou 246
Katel-Gollet — Catherine* la Perdue. '. 247
Chanson de Kloarek 247
Chanson de Kloarek 248
Ar Bonomik — Le Bonomic 24S
Cloérec en Dorz — le kloarek b Dorz 249
Turzunel iukonsolab — Tourterelle inconsolable 2»9
Sou aun Durzunel — Chanson de la Tourterelle 250
Ann den koz hag ann evnik — le Vieillard et le petit Oiseau . 250
Ann den koz hag ann evnik — le Vieillard et le petit Oiseau . 251
Ar Chaseer — le Chasseur 252
Chanson de Noces 25?
TABLE DES MATIÈRES 299
F'ages.
Ar ViQourez — la Mineure 2o3
Madeleuik — Petite Madeleine 253
Ar Pillaouer — le Chiffonnier 254
Toul-al-Laer 254
Ar C'hemener — le Tailleur 255
Kemener Pleuvian — le Tailleur de Pleubiau ...... 258
Anu Eskennour — le Scieur de long . . . . ' 257
Ar louen 257
Korbino — Corbino 2o8
Ma Meslrcz koanl — Ma Mailresse cliarmaute 258
Son anu Doganed — Chanson des Cocus 2,9
Plac'hed Lezardreo — les Filles de Lézardrieux 259
Merc'hed Lokenole — les Filles de Locquénolé 260
Plac'hed Perroz — les filles de Perros 260
Son — Chanson 26i
Pardon sant Milion — le Pardon de Sainl-Emilion 261
Kouignàoua — Elrennes 262
Gouspero rr Raned — Vêpres des Grenouilles 263
Dispign ar C'haz — Partage du Chat 263
Kaon — Deuil 264
Berceuse 264
Digotin 265
Pater noster . . . . ' 265
Ronde
Ronde
Vierge Marie
266
266
Plac'hlg ann Douar-Newe — la Jeune Fille de Terre-Neuve . 267
Logodennik — Petite Souris 267
Ann Andouillen — l'Andouille 268
Ann Hini Goz — la Vieille 269
Saut Kado — Saint Cadoc 269
Sautez Thekla — Sainte Thècle 270
Juluanik — le Jeune Julien 270
Santés Trifine — Sainte Tréfine 270
Itron Varia ar C'halvar — Noire-Dame du Calvaire. .... 271
Spered-Santel — Esprit-Saint 272
1. Les Prières. — 2. Les Prières 273
Les Commandements de Dieu 274
Cantique de la Pénitence 274
Cantique de Communion . 274
Cantique de Communion 27a
Gwerz ar Baradoz — Complainte du Paradis 275
Cantique de Saint Joseph 276
Kanaouen nevez d'ar Werc'aez Vari — Chanson nouvelle à la
277
Stereden-Vor — Etoile de la Mer 2i7
A l'Angelus ' . . . 278
Cantique des Missionnaires 2(8
Mélopée des Mystères et des Drames 279
300 TABLE DES MATIÈRES
Pages.
IV. — Airs de Dansé 281
1. — Ronde 283
2. — Bal 283
3. — Contredanse 284
4. — Passe-pied 284
5. — Ronde 285
6. — Ronde 285
7. — Ronde 286
8. — Ronde 286
9. — Ronde 287
10. — Ronde 287
11. — Ronde 288
12. — Bal 288
13. — Bal 289
14. — Bal. 289
15. — Bal 290
16. — Bal . 290
17. — Bal 291
18. — Bal 291
19. — Bal 292
20. — Bal 292
21. — Bal 293
22. — Bal iJ93
23. — Passe-pied 294
24. — Passe-pied 294
25. - Passe-pied . . . . • 295
26. — Passe-pied 295
27. — Dérobée 296
Imprimé en Suisse
70^