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ET POÉSIES DIVERSES

Exhalante sur le mariage de Marguenie ^ ^^

Entreprise du Roy Dauphin

Les quatrième et sixième livres de l'Enéide

Sur un nouveau moyen de faire son profit

de V étude des Lettres

Epitaphes et autres poésies sur la mort de j du BM

Avec un commentaire historique et critique PAR

LÉON SÉCHÉ

PARIS REVUE DE LA RENAISSANCE

U dVof OTTAWA

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TRANSLATIONS, INSCRIPTIONS et poésies diverses

ŒUVRES COMPLÈTES

DE

JOACHIM DU BELLAY

Translations, Inscriptions

ET POÉSIES DIVERSES

Epithalame sur le mariage de Marguerite de France

Entreprise du Roy Dauphin

Les quatrième et sixième livres de V Enéide

Sur un nouveau moyen de faire son profit

de V étude des Lettres

Epitaphes

et autres poésies sur la mort de J. du Bellay

Avec un commentaire historique et critique

PAR

LÉON SÉCHÉ

PARIS REVUE DE LA RENAISSANCE

1913

RtmlOTHECA

il/ 3

EPITHALAME

SUR LE MARIAGE DE TRES ILLUSTRE

PRINCE PHILIBERT EMANUEL, DUC DE SAVOYE

ET DE TRES ILLUSTRE

PRINCESSE MARGUERITE DE FRANCE

SŒUR UNIQUE DU ROY, ET DUCHESSE DE BERRY

AU LECTEUR

Cest Epithalamc, ou chant nuptial, est chante par trois vierges natif- ves de Paris, filles de Jean de Morel, gentilhomme Ambrunois, et de Damoiselle Anthoinette Deloine sa femme, couple non moins docte que vertueux. Les noms des trois vierges sont Camille, Lucrèce et Diane : noms propres et non empruntez à plaisir : ce qui semble estre venu assez à propos selon l'argument, comme tu pourras mieux juger par la lecture du poëme. Au reste, ami lecteur, je ne veux oublier à te dire, que ces trois vierges (principalement Camille) sont si bien instituées es langues Grecque et Latine, et en toutes sortes de bonnes lettres, qu'il m'eust été mal aisé, voire impossible, d'en trouver trois autres de leur aage plus clignes d'estre introduites en un si excellent suject, et crains beaucoup plus de les avoir fait parler peu, que trop doctement : en quoy j'ay eu esgard, non à ce que je sçay véritablement de leur érudi- tion, mais à ce que j'ay pensé devoir estre le plus vraysemblable. Adieu.

ŒUVRES DE J. DU BELLAY,

CEUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAV

EPITHALAME

LA MUSIQUE

Un plus heureux et plus cligne Hymence Ne nous pouvoit ces nopees apprester : Et ne pouvoit la paix mieux an-ester Du cruel Mars la fureur effrénée.

LE POETE

Quand la Sœur des Charités,

La fleur des Marguerites,

La perle des François,

Par les mains d'Hymenee

Espouse fut menée

Au Prince Piemontois, Trois vierges bien peignées,

Vierges bien enseignées

Qu'au bord Parisien

La Nymphe Deloine

De céleste origine

Conçeut du Delien, Sur le poinct de l'Aurore

Le matin recolore

Sommeilloyent dans leur lict,

Quand de sa voix cogneuë

Deloine venue

Ces beaux vers leur a dit :

DELOINE

Debout, debout (dit-elle)

L'Aurore vous appelle

Du paresseux séjour :

Sus donc, qu'on se resveille,

Que plus on ne sommeille,

Voici l'aube du jour. Voici, mes vierges belles^

Mes chastes colombelles,

Voici, mon cher souci,

Voici la bien-heurec

Heure tant desireç,

Mes filles, voy-la-ci : Que la vierge de France,

Des vierges l'espérance,

Devoit perdre son nom^

Par une saincte flamme,

Qui la doit rendre femme

D'un Prince de renom.

ËPITHALAkE

Pour elle (race chère)

Moy qui suis vostre mère, Je vous ay jusqu'ici En mon sein eslevees, Des vertus abbreuvees, Et des lettres aussi :

Arrousant curieuse,

De main industrieuse Vos beaux ans florissans, Comme trois fleurs descloses. Trois vermeillettes roses, Ou trois lys blanchissans :

Pour un jour estre dignes

Entre les plus beaux cygnes De rechanter l'honneur, L'hcnneur de Marguerite, Sa vertu, son mérite, Sa grâce, et son bon-heur.

Des que vous fustes nées. Vous fustes destinées A chanter sa valeur, Qui seule de nostre aage En grandeur de courage Est la perle, et la fleur.

Vous donc la plus jeunette, Ma chère Dianette, De vostre douce voix Chantez la vierge saincte, Ains qu'Hymen l'eust estreincte De ses* pudiques loix.

Vous Lucrèce la blonde, Allez, et la seconde, Chantez sa chasteté, Son amour conjugale, Sa fermeté loyale, Et son honnesteté.

Vous, plus docte Camille,

Chantez d'un plus haut stile La vierge et le grand heur De ce duc magnanime, La vertu qui l'anime, Sa race et sa grandeur.

Allez trouver la plaine,

le Dieu de la Seine Recourbé tant de fois, De son onde escumeuse Bat ceste isle fameusej Le séjour de nos Rois.

ŒUVRES COMPLÈTES DE j. DU BELLAY

Là, sous un bon augure Conduites par Mercure Vous faut aller chanter Ccste heureuse journée Cest heureux hymenee Qu on doit surtout vanter.

LA MUSIQUE

Par les flambeaux des trois sœurs infernales, Les cœurs estoyent de fureur allumez, Ores les cœurs sont d'amour enflammez Par le flambeau des trois grâces royales.

LE POETE

De tout ce doux langage

Des vierges le courage

Deloine flattoit :

Elles, par l'air liquide,

Volent avec leur guide,

Qui leur course hastoit. Leurs tresses blondoyantes

Voletoyent ondoyantes

Sur leur col blanchissant :

Les yeux, comme planettes

Sur leurs faces brunettes

Alloyent resplendissant : Se ressemblant de faces,

Comme on voit des trois Grâces

Trois diamans tremblans.

Trois esmeraudes fines

Trois perles argentines,

Ou irois astres flambans. Comme parmi les nues

On voit un rang de grues

D'un battement léger

Se frapper de l'aisselle

Puis en planant de l'aile

En filé s'allonger, D'une ondoyante trace

Parmi ce grand espace

Ces trois vierges s'en vont :

Puis d'elles abbaissees

Sur la terre eslancees,

Se plantant front à front : Leur poicirine haletante

Pousse une voix tremblante,

Qui doucement fend l'air ;

Et semblent les craintives

EPITHALAME

Trois joncs que sur leurs rives Un doux vent fait branler. D'une humble révérence La première s'advance. Et plus doux que le son D'une source argentine De sa voix enfantine Chanta ceste chanson.

LA MUSIQUE

Celle de qui ce feu qui tout enflamme N'avoit onc sçeu eschauffer la froideur, Sent maintenant une nouvelle ardeur, Et ne desdaigne une si belle flamme.

DIANE

Telle que par la presse La vierge chasseresse Marche d'un pied dispos, L'arc en main, et la trousse D'une gente secousse Luy battant sur le dos.

Adieu sœurs, adieu belles, Adieu doctes pucelîes. Telle parmi sa bande

Se monstre belle et grande Ceste nymphe aux beaux yeux Ceste nymphe céleste^ Qui de face et de geste Ne tient rien que des cieux. Adieu sœurs, adieu belles, Adieu doctes pucelîes. Lîne douce planette

De sa face brunette Esclaire le beau teinct : Mais sa grâce naïfve Qui les aines captive Mille beautez esteint.

Adieu sœurs, adieu belles, Adieu doctes pucelîes. C'est la Pallas nouvelle Fille de la cervelle De ce grand Roy François : Des Muses la dixième^ Des Grâces la quatrième, S'il en est plus de trois.

Adieu sœurs, adieu belles, Adieu doctes pucelîes.

ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Sur son visage peinte Est la chasteté sainte Qui l'amour fait trembler : Las, mais elle nous laisse. Pour nouvelle Déesse A Juno ressembler.

Adieu sœurs, adieu belles,

Adieu doctes pucelles. Ce n'est pas la première, Ce n'est pas la dernière Que sur ce mesme lieu Hymen nous ravist ores, Et ravira encores Hymen ce cruel Dieu.

Adieu sœurs, adieu belles,

Adieu doctes pucelles. De la Nymphe Escoçoise

Pour la rendre Françoise, Naguère il vous priva : Puis la Nymphe Lorraine En beauté souveraine Le cruel enleva.

Adieu sœurs, adieu belles,

Adieu doctes pucelles. Or d'une autre compagne Pour enrichir l'Espagne Vous prive l'inhumain : Qui vostre Marguerite, Vostre perle d'eslite Vous ravist de sa main.

Adieu sœurs, adieu belles,

Adieu doctes pucelles. Que ferez-vous pucelles,

Qui dessous vos aisselles Portez le beau carquois ? Et vous, qui sur Pégase, Animez de Parnase, Les antres et les bois ?

Adieu sœurs, adieu belles,

Adieu doctes pucelles. L'honneur de vostre troppe Laisse la double croppe Pour suyvre désormais Et Junon et Lucine, Adieu troppe divine, Adieu donc pour jamais.

Adieu sœurs, adieu belles,

Adieu doctes pucelles,

EPITHALAME

Adieu forests ombreuses, Adieu r'ves herbeuses, Adieu tertres bossus, Adieu vives fontaines, Adieu roches hautaines, Et vous antres moussus.

Adieu sœurs, adieu belles,

Adieu doctes pucelles. Adieu lyre dorée

De Phebus adorée, Tes chansons et tes vers, Puisque nostre Princesse En chappeau de Duchesse Change nos lauriers verds.

LA MUSIQUE

Le Prince n'a, tant soit grand son mérite, De s'esjouyr peu de cause et raison, Qui retourné trouve dans sa maison Une si belle et rare Marguerite.

LE POETE

De ceste chansonnette La petite brunette Fit les Dieux resjouyr : Et puis en ceste sorte Sa voix un peu plus forte Lucrèce fit ouyr.

LUCRECE

Telle comme Lucrèce,

Ou que l'honneur de Grèce Pénélope se lit, Sera, mais plus heureuse, Ceste vierge soigneuse De l'honneur de son lict. O Hymen Hymenee O nuict bien fortunée. Qu'opposer on ne vienne La Royne Carienne, A celle qui sera En amour conjugale Porcie, et plus loyale Alceste passera.

O Hymen Hymenee O nuict bien fortunée. Une amour mutuelle Joindra perpétuelle

ŒUVRES COMPLETES DE J. DU BELLAY

L'espouse avec l'espoux, Et la chaste Cyprine Bruslera leur poictrine De son feu le plus doux.

O Hymen Hymenee

O nuict bien fortunée. Point ne sera stérile

Ceste couche fertile, Couche qui nous sera Mainte heureuse gesine Car la chaste Lucine La favorisera.

O Hymen Hymenee

O nuict bien fortunée. Lucine secourable

Luy sera favorable, Comme ja tant de fois Nostre Juno seconde Elle a rendu féconde Au Juppiter François.

O Hymen Hymenee

O nuict bien fortunée. Los fils dès leur bas aage Porteront au visage Le portraict paternel : Les filles sur leur face Rapporteront la grâce Et l'honneur maternel.

O Hymen Hymenee

O nuict bien fortunée. De cette race heureuse Sur toutes généreuse Nos enfans et nepveux D'une longue mémoire Raconteront la gloire A ceux qui naistront d'eux.

O Hymen Hymenee

O nuict bien fortunée. L'aigle dessous son aile N'esclost la colombelle Les animaux peureux Des fiers lyons ne naissent Et les couards ne laissent Des enfans généreux.

O Hymen Hymenee

O nuict bien fortunée. De ce saint mariage

Tout sinistré présage

EPITHALAME

Soit escarté bien loin Puis que de ceste heureuse Douce nuict amoureuse Le ciel a pris le soin O Hymen Hymeneo O nuict bien fortunée. La chaste Cytheree

Y vienne ceinturée : Et les petits amours

Y volettent sans cesse Autour de la Princesse En mille et mille tours.

O Hymen Hymenee O nuict bien fortunée. O nuict bien fortunée D'estoiles couronnée Qui plus que le jour luict : Nuict que la Cyprienne Advouë toute sienne O bienheureuse nuict. O Hymen Hymenee O nuict bien fortunée. Phœbus, soit qu'il esclere Dessus notre hémisphère, Ou soit que de son feu L'autre monde il resveille, Une couple pareille N'a point encore veu.

LA MUSIQUE Pour son renom rendre clair et insigne Il n'eust sçeu mieux sa valeur esprouver, Et si neust peu au ciel même trouver De sa vertu recompense plus digne.

LE POETE Ici la blondelette

Faite plus merveillette Ses deux lèvres ferma : Puis d'une voix guerrière Camille la dernière Ces beaux vers anima.

CAMILLE

Telle que l'ancienne Camille Ausonienne Superbe apparaissoit,

ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Lorsqu'avecques les armes La presse des gendarmes Hardie elle froissoit. Io, io, victoire, Io, triomphe et gloire. Telle contre les vices

Au milieu des délices Porte le chef vainqueur Ceste Minerve forte Qui sur sa face porte Une chaste rigueur. Io, io, victoire, Io, triomphe et gloire. L'honneur est son pennache, La chasteté sa hache : Et l'amour vertueux Est sa Méduse énorme Qui en pierre transforme Le vice monstrueux. Io, io, victoire, Io, triomphe et gloire. De ce mesmc lignage

Le ciel pour tesmoignagc D'un nouveau siècle d'or, Deux Minerves nouvelles Non moins doctes que belles Nous a fii ici naistre encor. Io, io, victo Te, Io, triomphe et gloire. L'une est la Navarroise, L'autre la Ferraroise, Ornement de leurs ans. Qui entre les Princesses Ressemblent deux Déesses Ou deux astres luisans. Io, io, victoire, Io, triomphe et gloire. Mainte Princesse encore Par les lettres décore Son sexe et son renom : Mais nostie Marguerite Sur toute autre mérite De Minerve le nom. Io, io, victoire, Io, triomphe et gloire. Telle vierge estoit digne,

Pour sa valeur insigne, D'avoir ce second Mars :

EPITHALAME rr

Ce prince tant adextre, Que Beilone fit naistre Au milieu des soldars. Io, io, victoire, *Io, triomphe et gloire. Sa virile jeunesse

N'a suyvi la molesse Des lascifs courtisans '■ Il n'a parmi les Dames Les plaisirs et les flammes, Perdu ses jeunes ans. Io, io, victoire, Io, triomphe et gloire. Mais il a sur la dure, Et. sous la couverture Des pavillons appris, Qu'en la poudreuse plaine C'est avecques la peine Qu'on emporte le pris. Io, io, victoire, Io, triomphe et gloire. Dessous ce grand Auguste Il a poussé robuste Ses vertus en avant, Il a pris sa doctrine Dessous la discipline D'un maistre bien sçavant. Io, io, victoire, Io, triomphe et gloire. Je ne sçay quelle audace Se lit dessus 'sa face; Avec une douceur, Qu'on y voit apparoistre Qui fait assez cognoistre La grandeur de son cœur. Io, io, victoire, Io, triomphe et gloire. Donnant bien cognoissance Du lieu de sa naissance, Noble entre les humains, Qui a produit au monde, Comme mère féconde Tant d'Empereurs Germains.

LA MUSIQUE

Mars l'a nourri au milieu des alarmes, Pallas en elle a montré son sçavoir :

12 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Celuy qui veut gloire immortelle avoir Doit assembler les lettres et les armes.

LE POETE

De ces douces merveilles

Ravirent les oreilles

Ces vierges : et alors

De sa diserte langue

Ceste belle harangue

Mercure mist dehors. Son caducée embrassent

Deux serpens, qui s'enlacent

Se joignant par le bout :

Son chef porte deux ailes,

Deux ses plantes isnelles

Qui le portent partout.

MERCURE

Sans le vouloir céleste Ceste vierge modeste

Ne demeuroit ainsi :

Et ce Prince comme ellej

Sans ordonnance telle

Ne demeuroit aussi. Pour dechasser Bellonne,

Et sa troppe félonne,

Bannie pour jamais,

Des Dieuic la prévoyance,

Gardoit ceste alliance

Instrument de la paix. A fin qu'avec l'Espaigne

La France s'accompaigne,

Pour, d'un commun accord,

D'Europe, Asie, Afrique,

L'adversaire publique

Repousser dans un fort. Car si ces deux grands princes

Unissent leurs provinces

D'un accord mutuel,

Pour chasser vers le More, Ou bien loin sous l'Aurore, Le Barbare cruel : Quel Roy, quelle puissance Soutiendra la vaillance De deux Rois si fameux, Soit qu'ils marchent par terre, Soit qu'ils portent la guerre Par les flots escumeux?

EPITHALAME 13

Ils porteront le monde,

De la terre et de l'onde

Estans seuls gouverneurs :

Et de serve contrainte

Mettront la Terre sainte

En ces premiers honneurs. O heureuse journée

O paix bien fortunée

Qui joint deux si grands Rois,

Qui se peuvent promettre

Unis de pouvoir mettre

Le monde sous leurs loix : Quel vers, ou quelle histoire

Peut égaler la gloire

De ceux-là qui ont fait

Pour le bien d'Allemaigne,

France, Italie, Espaigne;

Un accord si pa'rfaict ? Mais soit que France parle

D'Anne, d'Albon ou Carie

L'honneur de nos prélats,

Soit que l'Espagne encore

Son Ruygomes honore,

Son Alve ou son Arras : La gloire austrasienne

De nom et foy Chrestienne

Sur toutes reluira,

Tant qu'à l'entour du monde

Sa coche vagabonde

Neptune conduira : Pour du miel de sa bouche,

Qui les oreilles touche,

Avoir parmy l'horreur,

Le feu, le sang, les armes,

Adouci des gendarmes

La cruelle fureur. D'un sainct lien estrainte

A tout jamais soit sainte

A vos fils et nepveux,

Ceste paix honorée,

Des humains adorée

Par offrandes et vœux.

LA MUSIQUE

IL porteront un jour la terre et l'oncle,

Et sans envie entre eux seront pareils :

Le ciel ne peut endurer deux soleils :

Mais deux tels Rois peut bien souffrir le monde.

.14 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

LE POETE

Ainsi parla MercureA

Puis d'une nuict obscure

Couvert s'esvanouit,

Ressemblant un nuage,

Ou fantôme volage,

Qui parmi l'air s'enfuit. Comme luy disparues

Voguent parmi les nues

Les trois divines sœurs,

Semant à mains descloses

D'une pluye de roses

Mille et mille douceurs. Phœbus d'un heureux signe

Laissant voler un cygne,

Bon augure donna

D'un long traict qui esclaire

L'air se fend, et le Père

A la gauche tonna.

LA MUSIQUE

Pareille estoit la feste olympienne Quand Peleus à Thitis fut conjoint : Mais la discorde ici ne semé point L'occasion d'une guerre troyenne.

Comme d'un vase ayant estroite bouche,

Lequel est d'eau rempli jusques au bord. L'eau goutte à goutte et à grand peine scit Ew son passage elle-même se bouche.

Ainsi chantant cette Royale couche L'aise qui fait de sortir son effort, Pour en sortir ne se trouve assez fort, Et d'un seul vers ma Muse à peine accouche.

Donques ceux-là qui ont plus de sçavoir Que de plaisir, feront mieux leur devoir De célébrer cet heureux mariage. Il me suffit, si l'effect au désir Ne satisfait, montrer que le plaisir Ne me permet d'en dire davantage.

EJUSDEM

qualia virtuti, virtus si nuberet ipsa, carmina pleridum voce canenda forent,

talia margaridi (virtus nam margaris ipsa est) Carmina Pieriis su'nt modulanda sonis.

ENTREPRISE DU ROY DAUPHIN

POUR LE TOURNOY, SOUS LE NOM DES CHEVALIERS AVANTUREUX

A LA ROYNE, ET AUX DAMES

Veu que les yeux en ce commun plaisir Donnent si peu à l'esprit de loisir D'entendre ailleurs, Princesse tres-chrestienne, Nous craignons fort que cest escrit retienne Trop longuement vostre esprit et vos yeux, Et que pour plaire il ne soit envieux.

L'occasion, qui ores se présente, . Parlant pour nous, de parler nous exempte : Et quand pour nous elle ne parleroit, Et que le lieu rien n'en tesmoigneroit, Noste équipage, armes, suite, et devise, Montrent assez quelle est nostre entreprise.

Ce nonobstant comme nouveau-venus, Pour le devoir nous sommes tenus, Nous voulons bien vous donner cognoissance De nostre estât, et de nostre naissance, Par cest escrit discourant brevement D'où nous venons, et pourquoy, et comment.

Bien loin en mer, au delà d'Hybernie, Phebus sa course ayant finie Oste la bride à ses fumans chevaux, Pour reposer de ses journels travaux, Se trouve une isle en tous biens plantureuse, Que les voisins nomment Ayantureuse Pource que les plus chevaleureux, Sont appelez Amans aventureux.

L'oysiveté qui est mère des vices, N'entretient les hommes en délices, Et n'y sont point pour estre parfumez Ni biens en poinct, les Amans estimez, Pour bien baller, pour souspirs, ni pour larmes, Ains seulement pour êtres preux aux armes ; Car ce qui est ailleurs voluptueux Sert d'object pour estre vertueux.

Aussi, dit-on, qu'un Chevalier de Thrace Fut le premier auteur de nostre race,

ŒUVRES COMPLETES DE J. DU BELLAY

Lequel fut fils de Venus et de Mars :

Ce Chevalier, avec quelques soldars,

Après un long et fascheux navigage,

Se sauva du danger du naufrage :

Et y trouvant le séjour à propos,

Se résolut donner quelque repos

A ses travaux, sans plus courir fortune

Si longuement par les champs de Neptune.

il bastit une grande cité, Et le pays devant inhabité, Fit par police équitable et civile En peu de temps populeux et fertile.

Mais prévoyant que tel gouvernement Ne se pourroit conserver longuement, Si ceste troppe ainsi habituée De père en fils n'estoit perpétuée, Il ordonna que tous les plus gaillards Iroyent cercher femmes de toutes parts, Non point usant de fraudes et rapines, Dont Romulus usa vers les Sabines : Mais par vertu, par proësse et valeur Par courtoisie, et noblesse de cœur, Sauvant l'honneur des Dames et pucelles, Gardant les bons, chastiant les rebelles, Suivant les Courts des Princes et des Rois, Et fréquentant les joustes et tournois. Et fréquentant les joustes et tournois.

Par tel moyen se peupla nostre terre Dont puis après vindrent en Angleterre Ces Chevaliers tant cogneus sur les rancs Qu'on nomme encor les Chevaliers errants.

De là, comme eux prindrent leur origine, Comme venus de Mars et de Cyprine, Ces Palladins preux et chevaleureux, Ainsi que nous, Amans avantureux Dont la vertu aujourd'huy tant notoire Du nom François éternise la gloire.

Au lieu, qu'ainsi nous vous avons descrit, Princesse illustre, et de royal esprit N'agueres vint la Déesse emplumée : Que les humains appellent Renommée : (Et en quel lieu de ce grand univers, Soit sont les éternels hyvers, Soit sous Atlas, ou soit dessous l'Aurore, Soit Phcebus va se coucher encore. N'a pénétré de France le renom, Et de Henry le plus grand de son nom ?)

ENTREPRISE DU ROY DAUPHIX 17

Ceste Déesse, avecques sa buccine Ayant donné du silence le signe, Sur le sommet d'une tour se planta, Et ces beaux vers à haute voix chanta, A son de trompe, emplissant de merveilles Des escoutans les cœurs et les oreilles. « Je fais sçavoir que les deux plus grands Rois « Qui furent onq' en armes, et en loix, « Ayant mis fin à la cruelle guerre, » Qui a régné longuement sur la terre, « Ont fait du ciel descendre pour jamais « La désirée et bienheureuse Paix.

(( Que ceste Paix inviolable et saincte « D'un double nœu d'alliance est estrainte : » Nœu qui assemble au sang Valoysien « Le sang d'Espaigne et le Savoysien.

ce Que le grand Roy, qui Tres-chrestien s'appelle, « Pour célébrer ceste Paix immortelle, « Dedans Paris la plus grande cité « Qui oncques fut dans le monde habité, (( N'aguere a fait publier une feste, « chacun de toutes parts s'appreste « Pour le tournoy se doivent trouver « Ceux qui voudront leur valeur esprouver, « Et tesmoigner par effect que les armes (( Servent trop plus en amour, que les larmes.

« En ce tournoy seront quatre tenans (< Qui ouvriront le pas à tous venans, a Dont l'un est Roy, les autres trois grands Princes, K Les plus vaillans de toutes leurs provinces.

Incontinent que du peuple espandu De toutes parts ce bruit fut entendu, Tous ceux que plus la bouillante jeunesse Aiguillonnait aux actes de proësse, D'armes, chevaux et tout autre appareil, Font leurs apprests ceux qui pour le conseil Estoyent meilleurs, ou dispensez de l'aage De n'entreprendre un si lointain voyage, Dessus le port le navire apprestoyent, Et à voguer la jeunesse exhortoyent.

Les mariniers de fleurs ornent la pouppe Et à partir encouragent la trouppe. LJn bruit se levé, et de diverses voix Frappe le ciel, on couppe à ceste fois Le cable, et l'ancre en la prouë on retire, Lors un bon vent empoupe le navire.

Les matelots sur l'un et l'autre banc D'un ordre esgal voguent de ranc en ranc :

ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Blanche d'escume est la mer azurée Et la nef fuit d'une course asseuree.

Lors de Venus le feu luisant et beau Sur nostre mast allume son flambeau, Pour nous guider : et le père Neptune Chassant bien loin la tempeste importune _ Haut sur sou char, que les courbez Dauphins Alloyent traînant dessus les flots marins, Tenant en main son Trident vénérable A nostre cours se monstre favorable.

Délaissant donq' les Orcades à part, Qui sous le pot' sont bien loin à l'cscart, Devers Thulé, du monde la dernière, A gauche ayant l'cstoile marinière, Et lTberie à droicte regardant, D'un si bon vent, et d'un cour si ardant Singlasmes tant, côtoyant d'Hybernie L'endroit qu'an nomme aujourd'huy Monmonie, Que l'Angleterre apparut à nos yeux : Puis esloignant ce bras non spacieux, Qui' s'eslargit d'une embouchure grande Entre Angleterre et la coste d'Irlande, Loin vers le Nord laissâmes l'Escoçois, maintenant fleurit le lys franchis. Et costoyant ceste part d'Angleterre, Cornouaille en pointe se reserre, Vinsmes surgir en Bretaigne, et adone Estant au bout d'un voyage si long, Sans craindre plus ni les vent-, ni l'orage, Chacun joyeux, saute au front du rivage.

nous estant refreschis quelques jours, Puis rembarquez sur le Loire au long cours. Qui traversant mainte province heureuse, Roui le en la. mer son oncle sablonneux', Vismes d'Anjou les beaux prez rlorissans, Et les costaux de pampre verdissans Laissant à part les campaignes du Maine Et costoyant les beaux champs de Tourame, Entre les ports et d'Amboyse et de Blois Tant renommez pour le berceau des Rois.

mainte nymphe à fleur d'eau vagabonde Au bruit des flots mist son chef hors de l'onde, S'esbaïssant assez de voir nager Dessus son fleuve un navire estranger. L'une dessous, l'onde estoit moins forte, l.e soulageant, sur son dos le supporte, L'autre le va par les flancs costoyant, Et l'autre encor' va devant balloyant

ENTREPRISE DU ROY DAUPHIN 19

Les bancs de sable, ou hastant sa carrière, Avec la main le pousse par derrière, Finablement par ces Nymphes guidez, Sommes au port d'Orléans abordez.

Dessus ce port, d'une fureur mal saine, Le nourrisson du bon père Silène La belle Nymphe Aurelie trouva Et amoureux par force l'enleva.

Fille du Loyre estait ceste Aurelie, Qui se jouant sur l'arène polie chasque jour venir elle vouloit Pour trier l'or que son père roulloit Fut de Bacchus par malheur apperçeué', Et luy espris, aussi tost qu'il l'eut veuë.

Elle soudain d'un pied léger s'enfuit, Et luy soudain d'un plus léger la suit, D'elle la peur rend les plantes isnelles, A luy l'amour aux talons met des ailes : Mais qui pourroit, tant sçeust bien s'esprouver, D'un amoureux et d'un Dieu se sauver ?

Du haut d'un roc la Nymphe violée Pour se noyer s'estoit esbranlee, Lorsque le Dieu du bon heur y survint, Qui et sa vie et sa course retint. Nymphe, dit-il, chère Nymphe que j'ayme Plus que mes yeux, que mon cœur, ni mov mesme, Arreste-toy et ne te lance à bas, Car d'un mortel la proye tu n'es pas. Ains de celuy, à qui des Dieux le père Ne desdaigna jadis servir de mère. Je suis Bacchus, des Indes le vainqueur, Qui ay trouvé ceste douce liqueur, Douce liqueur, le plaisir de la vie, Qui au nectar porte bien peu d'envie. Pour ton amour icy je planteray Ma belle vigne, et croistre j'y feray Le meilleur vin que beut jamais la France, Laquelle aura toujours en révérence Toy, et ton nom, dont sera désormais Dit Orléans ce lieu pour tout jamais. Ainsi Bacchus flattoit son Aurelie. Et peu à peu sa tristesse elle oublie.

Mais reprenant nostre premier propos, Ayant pris quelque peu de repos, Sur le rivage un chacun se retire : Puis sur le dos chargeant nostre navire, Sans plus nager par les champs ondoyant, Avons passé les sillons blondovans

ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

De la grand Beausse et la plaine Françoise : Comme jadis la jeunesse Grégeoise, Ces demi-dieux, compagnons de Jason, Allant bien loin conquérir la toison Servoyent de mer à leur mère affaiblie Par les sablons de la cuite Lybie.

Or sommes-nous par le vouloir divin Dedans Paris arrivez à la fin : contemplant la majesté Royalle Du Roy et vous, son espouse loyalle, Nous nous tenons trop bien recompensez Du long cbemin et des travaux passez.

Vingt Chevaliers nous sommes d'une bande Qui supplions vostre majesté grande De trouver bon, que sous vostre faveur Xous efforcions de gaigner quelque honneur En ce tournoy la brave jeunesse Plus que jamais doit monstrer sa proësse.

Ceste faveur que nous cerclions ici Avoir de vous, et cle celles aussi, Que nous voyons autour de vous assises, C'est qu'il vous plaise accepter les devises Que nous venons ici vous présenter, Et que puissions pour vostre nom vanter.

Nostre devise est assez évidente, C'est une lance, et une torche ardente, Mars est la lance, Amour est le flambeau, Qui enlacez sont d'un double chapeau, L'un de laurier que la victoire donne, L'autre de myrth' dont Venus se couronne : Devise propre à ceux qui sont venus, Ainsi que nous de Mars et de Venus : Et qui, suivant la loi de nostre terre, Veulent l'amour par les armes conquerre,

Fl.AMMA FERROQUE.

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ENTREPRISE DE MONSIEUR DE LORRAINE

AUX DAMES

Ayant appris que des armes l'honneur D'un jeune prince est le plus grand bon-heur, Et que celuy qui tel heur veut acquerre En guerre, doit le cercher à la guerre En paix, aux Cours des Princes et des Rois, se font les joustes et tournois : Jusques ici suivant le fait des armes J'ay fréquenté les assauts et alarmes, Et traversé par périls et dangers, Fleuves et mers, et peuples estrangers, Avecques moy conduisant une troppe De chevaliers des plus preux de l'Europe.

Par le moyen hardi j'ay surmonté Maint brave Prince et maint peuple indonté, Maint monstre horrible, et mainte fiere beste, Jusqu'aux Indois estendant ma conqueste, Dont vous font foy ces Elephans chargez De maints harnois en trophée arrangez.

par la voix de ceste vagabonde, Qui va chantant les nouvelles du monde, Ayant ouy que le Tres-chrestien Roy X'aguere a fait publier un Tournoy, Pour célébrer ceste heureuse alliance Qui met en paix et l'Espagne et la France, Pour le désir que j'ay de me trouver En tous les lieux, se peut esprouver Un chevalier dont l'ardente jeunesse Ne hait rien tant que l'oisive paresse, J'ay entrepris (et comme moy aussi L'ont entrepris ces Chevaliers ici) De m'esprouver en ces paisibles armes, Comme j'ay fait aux dangereux alarmes : Espérant bien dessous vostre faveur D'en rapporter quelque prix et honneur Et tesmoigner qu'on fait de la victoire Rien ne sert tant que l'amour, et la gloire.

ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

INSCRIPTIONS

LE ROY TRES CHRESTIEN I

C'est maintenant que la gloire immortelle, Qui ne luisoit qu'en forme de croissant;

Va sur tout autre au ciel apparoissant

En son plein rond, pour toujours estre telle.

II Comme Alexandre obscurcit la mémoire Du père sien par les faits glorieux, Ce Roy qui est de soy victorieux, De tous les siens surpassera la gloire.

III Trcs-bon, très-grand Jupiter on appelle, Très Lion, très-grand nostre prince apparoist : Par1 ses hauts faits sa grandeur se cognoit, Et sa bonté par ceste paix nouvelle.

LA ROYNE TRES CHRESTIENNE

Elle est en tout une Juno seconde, D'honneur, de port, de geste et gravité : Sinon qu'elle a moins de sévérité, Et qu'elle est plus heureusement féconde.

II

De voir rlorir la race florentine Des Medicis, c'est leur commun bon-heur, Mais de tenir le premier rang d'honneur, Cela sans plus est propre à Catherine.

III

Le Roy, la France et cest heureux lignaye Qu'elle a produit cle sa félicité, De sa vertu, de sa fécondité A tout jamais porteront tesmoignage.

LE ROY CATHOLIQUE

I

Son heur l'a fait à tel honneur atteindre Qu'autre plus grand il ne peut espérer,

ENTREPRISE DE MONSIEUR DE LORRAINE i*

Et sa vertu l'a sçeu tant asseurer,

Que la fortune il ne sçavoit plus craindre.

' II

I ar sa vertu et fortune prospère H fut Auguste et de fait et de nom : Mais re qui plus augmente son renom, Cest d'un tel fils avoir esté le père.

III

II a chez soy le paternel exemple Mais son bon-heur plus qu'oufre passera, E,t sa vertu a ses enfans sera

De l'imiter un argument plus ample.

LA ROYNE CATHOLIQUE

I

Par elle en paix sont la France et l'Espaigne, Par elle unis sont les deux plus grands Rovs De sang dAustnche et du sang de Valoys, ' l'ille de l'un et de l'autre compaigne. ' '

II

D'un plus haut vol., d'aile mieux emplumce Ne la pouvoit ravir ce petit Dieu Et ne pouvoit encor' en plus haut' lieu Ni en plus seur sa flamme estre allumée.

III Un moindre espoux ne mentoit la mère Ea hile aussi qui monstre qu'un bon fruit Est volontiers d'un bon arbre produit Un moindre Roy ne devoit faire père.

LE ROY-DAUPHIN

I Une cité arresta la victoire Du grand vainqueur des Terses et Grégeois, Mais de ce jeune Alexandre François In monde seul ne bornera la gloire. -

II

Comme le nom il a de son grand père JJe son esprit héritier il sera, Et à son père en vertu semblera Comme de face il ressemble à sa mère.

^4 OEUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

III

Il est en l'âge la jeunesse guide L'homme au chemin de vice ou de vertu : Mais délaissant le grand chemin battu, Il choisira celuy que prît Alcide.

LA ROYNE-DAUPHINE

I

Toy Qui as vcu l'excellence de celle Qui rend le ciel sur l'Escosse envieux Dy hardiment, contentez-vous, mes yeux, Vous ne verrez jamais chose plus belle.

II

Celle, qui est de ceste isle Princesse Qu'au temps passé l'on nommoit Caledon, Si en sa main elle avoit un brandon, On la prendroit pour Venus la Déesse.

III

Par une chaîne à sa langue attachée Hercule à soy les peuples attiroit ; Mais ceste ci tire ceux qu'elle voit Par une chaîne en ses beaux yeux cachée.

MONSIEUR DE SAVOIE I

Pour son renom rendre clair, et insigne, Il n'eust sccu mieux sa valeur esprouver, Et si n'eust peu, au ciel mesmc trouver De sa vertu recompense plus digne.

II

Mars l'a nourri au milcu des alarmes, Pallas en elle a monstre son sçavoir : Celuy qui veut gloire immortelle avoir, Doit assembler les lettres et les armes.

III

Ainsi après une cruelle guerre, Le sage Grec par les flots estrangers, Ayant Pallas pour guide en ces dangers, Recouvre enfin sa paternelle terre.

INSCRIPTIONS 25

MADAME DE SAVOIE

I

L'honueur luy sert de Gorgonne effroyaMo Contre le vice, et la sagesse encor' Garde eu son cœur un précieux thresor D'humilité, et douceur incroyable.

II

Le Prince n'a, tant soit grand son mente. De s:esjouyr peu de cause et raison. Qui, retourné, trouve dans sa maison Une si rare et belle Marguerite.

III

Belle de qui ce feu, qui tout enflamme. N'avoit oncq sçeu eschaufîer la froideur. Sent maintenant une nouvelle ardeur Et ne desdaigne une si belle flamme.

MONSIEUR OE LORRAINE I

Bien meritoit estre choisi pour gendre D'un tres-chrestien, et très victorieux, Celuy de qui les Martiaux ayeux Le nom chresiicn sçeurent si bien défendre.

II

Un le prendroit, à voir ce beau visage, Pour Adonis, ou Narcisse aux beaux yeux. Si sous ce front tout humble et gracieux D'un preux Achille il n'avoit le courage.

III

Rien n'est plus beau que l'Aube rougissante, Qu'un jour serein, qu'un plaisant renouveau. Qu'un arbre en fleur, ni rien encor plus beau Qu'en un beau corps une vertu croissante.

20 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

MADAME DE LORRAINE I

Dedans ses yeux la douceur paternelle. En son esprit divinement instruict L'esprit divin de sa tante reluit, Et sur son front la grâce materne^e.

II

Celle qui mit entre Europe et Asie Si grand discord, par sa seule beauté, Cède à la chaste et ferme loyauté, Qui joinct la France avecques l'Austrasie.

III

Telle qu'estoit la nouvelle Cyprine Venant à bord dans sa conque de mer, Telle se doit la Lorraine estimer Tant sa jeunesse a la grâce divine.

MADAME DE LORRAINE La Douairière

L'antique honneur des plus braves guerriers Cède au renom de celle qui a fait Jurer ensemble un accord si pariait Les nations du monde les plus fieres.

II

Pour assembler d'un lien non vulgaire Un très chrestien, et catholique Roy, Une chrestienne et de nom; et de foy, Seule pouvoit tel ouvrage parfaire.

III

Pour dechasser la fureur Thracienne, La Paix du ciel en terre descendit : Et à nos yeux visible se rendit En la bénigne et sage Austrasienne

INSCRIPTIONS 2 7

MESS. CARD. DE LORRAINE

et Duc de Guyse.

Mercure à l'un a donné sa faconde. En l'autre, Mars me semble que je voy : Le Roy qui a deux tels frères pour soy, Se peut nommer le plus grand Roy du monde.

II

Ce qu'en Achille a si bien peint Homère, Ce qu'en Ulysse il a si bien portraict, Non fabuleux, mais d'espreuve et d'effect, Nous le voyons en l'un et l'autre frère.

III

Le pouvoir qu'ont les deux frères d'Heleine Quand pour garder une nef d'abismer, Leur feu jumeau apparoit sur la mer, Sur terre l'ont les frères de Lorraine.

SUR LA PAIX, ET SUR LE MARIAGE

I

Ces deux grands Rois, non moins vaillans que justes Qui seuls ont peu la guerre desarmer, Et de Janus au temple l'enfermer, Méritent bien d'estre nommez Augustes.

II

De leurs hauts faits la mémoire eslevec Pour quelque temps en marbre durera, Mais leur bonté à tout jamais sera Dedans les cœurs des hommes engravee.

III

Entre les Rois pour grand vertu Ion nomme L'heur de pouvoir son ennemy donter : Mais de pouvoir soy-mesme surmonter, Cela trop plus tient de Dieu, que de l'homme.

ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

IV

Ils partiront un jour, la terre et Tonde. Et sans envie entre eux seront pareils : Le ciel ne peut endurer deux soleils, Mais deux tels Rois peut bien souffrir le monde.

Rien n'est plus fier que l'ordre d'une armée. Qui pour combattre a les armes es mains : Mais rien plus beau n'est entre les humains. Qu'entre deux Rois une paix confirmée.

VII

Du verd laurier superbe est la couronne. Moins d'apparence a le pasle olivier : Mais plus amer est le fruit du laurier, Plus doux le fruit que l'olivier nous donne.

VI

Si la richesse est en paix asseuree. Et si en guerre elle est proye aux soldars, Ceux qui du monde ont chassé le Dieu Mars. Rendent au monde une saison dorée.

VIII

Soit guerre ou paix au reste de la terre, Puis que Ion voit ces deux grands Rois d'accord, Des autres Rois le martial effort Ne se doit point proprement nommer guerre.

IX

Un plus heureux, et plus digne Hymenee Ne nous pouvoit ces nopces apprester : Et ne pouvoit la paix mieux arrester Du cruel Mars la fureur effrénée.

Par les flambeaux des trois Sœurs infernales Les cœurs estoyent de fureur allumez : Ores les cœurs sont d'amour enflammez Par les flambeaux des trois Grâces royales.

INSCRIPTIONS 29

XI

Pareille estoit la feste Olympienne, Quand Peleus à Thetis fut conjoinct. Mais la discorde ici ne semé point L'occasion d'une guerre Troyenne.

AU ROY

Les Dieux voulant vostre France asseurer

De tous costez (Sire) l'ont entournee

De l'Océan, du Rhin, du Pyrenee

Et l'ont voulu des Alpes emmurer. Mais la voulant encor' mieux remparer

Par le moyen d'un heureux Hymenee,

A vostre fils TEscosse ils ont donnée,

Luy commandant d'avantage espérer. Bientost après, pour plus seure la rendre,

Un Duc Lorrain ils vous donnent pour gendre,

Nouveau rampart du costé d'Allemaigne. Par tel moyen la France vous semont

A la borner du costé du Piémont

Et l'asseurer du costé de l'Espaigne.

A LA ROYNE D'ECOSSE

Pour nous monstrer, ainsi qu'en un miroir,

Tout ce qui est de grand et d'admirable,

De précieux, de beau, de désirable,

Le ciel vous fit en ce monde apparoir : Nature aussi nous voulant faire voir

Tout ce qui est de plaisant et d'aimable,

Sur vostre face, ainsi qu'en une table,

Monstra son art, et son plus grand sçavoir. En vostre esprit le ciel s'est surmonté.

Nature et l'art ont en vostre beauté

Mis tout le beau dont la beauté s'assemble : Et les neuf Sœurs m'ont fait poète aussi.

Pour imiter, en vous louant ainsi

Le ciel, nature, et l'artifice ensemble.

AU ROY

De tous mestiers, fors celuy de la Muse, On peut tirer bien et commodité. Si on les traite avec dextérité, Et à l'honneur du tout on ne s'amuse.

30 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Cest art sans plus son artisan abuse

D'un vain espoir, sans autre utilité : Qui fait souvent que quelque astre irrité, Ou quelque Dieu, et non l'art j'en accuse.

Mais vous, de qui le souverain pouvoir

Peut d'un clin d'oeil aux poètes pourvoir Et destourner leurs malheurs et desastres,

Puis qu'un grand Roy seul peut suffire à tous Sire, chassez la pauvreté de nous, Vous ferez plus que les Dieux ni les Astres.

TUMULUS LATINO-GALLICUS

HENRICI II

GALLORUM REGIS CHRISTIANISSIMI

IOACH. BELLAIUS

ad lanum Morelhim

Ebredunœum, ex Catiiïlo.

Quod petis ut Latiis, nostrisve, Morelle, camœnis

Henricum à mortis limine restituam, Id mihi pergratum est, dignum quia ducis amicum,

Qui tanto hœc Régi numera persolùat, Sed totum hoc studium tota de mente fugavi,

Tam dulcis mœsto Principis interitu. Tu nostra heu moriens fregisti commoda, Princeps.

Tecum unà tota est nostra sepulta cohors, Omnia tecum unà perierunt carmina nostra,

Quœ tuus in vita dulcis alebat amor.

ADR. TURNEBI EPIGR. Ad lïoach. Bellaium

Immerita Regem sic luges morte peremptum Flebilibusque citas carmina mcesta modis,

Intégrât Actceas ut aëdon orba querelas, Et sua vocalis funera cantat olor.

Debueras alia, Rex optime, morte perire, Mors tua non alio debuit ore cani.

TUMULUS HENRICI II GALLORUM REGIS CHRISTIANISSIMI

HENRICI M AN I BU S

Carmmibus sparsi nuper tua facta per orbem, Nunc, heu ! sitnt fatis carmina danda tuis.

Viribus Herculeis, proestanti corpore Princeps,

Insignis mevitis, et pietate gravis, Virtutis patriœ, regni successor aviri,

Gallorum Henricus sceptra superba tulit. Obtigit hœc juveni, nullo consorte, potestas,

Quod nec magnanime fata dedere Iovi. Quem juvenem et validum Franciscus senserat hostem

Vergentem hic Princeps reperit in senium Factis ille suis omneis longo ordine Reges

Vicit, et hoc munus vix duo lustra subit. Pro tulit Imperii fineis, hostisque superbi

Fortunam fregit, lusit et ingenium. Utque olim invicti cessit Victoria Pœni

Scipiadœ ultori, Martia Roma, tuo : Sic fato Henricus verso, divisque secundis,

Ulterius vetuit Ccesans ire minas. Ac primùm belli auspiciis melioribus usus,

Consilium solers dum tegit arte suum. Bollonam fœde amissam sic cepit, ut illam

Viderit, et visam ceperit ille simul. Publicus assertor, vindex justique, bonique

Servavit multis mœnia, régna, domos. Reginam, et Scotiœ regnum dotale Britannis

Eripuit, Gallo junxit et imperio. Illius ut vireis pugnax Germania sensit,

Sic eadem supplex sensit et ejus opem. Quid memorem Senas, defensaque mœnia Parmœ,

Quoque tenet miles Corsica saxa Ligur ? Quid Latias urbeis, ipsam quid denique Romain Quam Régis tcxit religiosus amor ?

LE TOMBEAU DU TRÈS-CHRESTIEN ROY HENRI II

A L'OMBRE DE HENRY

Par mes vers fay semé tes faits -par l'univers Or\ hélas/ à ta mort me faut donner des vers.

Tel qu'estoit Hercules de force et de courage, Des vertus de son père, et de son héritage, Légitime héritier, Roy le meilleur des Rois Le Roy Henry porta le sceptre des François. Jeune et seul il parvint (ce qu'à Jupiter mesme Le destin n'octroya) au Royal diadesme. L'ennemi que François en sa force esprouva, sur l'âge inclinant ce prince le trouva En gestes il passa tous les Rois de sa race Et fut à peine Roy dix ou douze ans d'espace. Il se borna plus loin, il rompit le pouvoir De l'heureux adversaire, et trompa son sçavoir Et commme d'Annibal l'invincible victoire Au vengeur Scipion céda jadis sa gloire. Ainsi l'heur de Henry de Charles renversa L'heur, et fit que deslors Plus outre il ne passa.

Plus heureusement clone la fortune ayant prise, P2t d'un meilleur conseil cachant son entreprise, Sur Bollongue vendue un tel exploit il fit, Qu'aussitost qu'il l'eut veuë, aussitost il la prit. Vengeur, et protecteur il garda maintes villes, Maints estats, et maisons, de devenir serviles. L'Escosse avec sa Royne aux Anglois il osta Et par nœud d'alliance aux François Padjousta. Comme le fier Germain a sa force esprouvee, Aussi son aide a-il à son besoin trouvée. Que diray-je de Sienne, et de Parme, et des forts De Corse Genevoise aux Ligustiques bords ? Que diray-je de Rome, et du chef de l'Eglise, Dont ce Roy très chrestien la défense avoit prise?

34 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Sic non ipse sibi pacem dura qucerit in armis

Ast aliis victor, Rex pius arma tulit. Fortunam belli, Martemque expertus utrumque

Maxima damnatulit, maxima damna dédit. Ceperatis parti m partimque receperat urbeis.

In aueis Guina fuit,Callisiumque ferox. Multa foris, permulta domi, prœclaraque gessit

Viribus indomitus, consilioque potens. Formavit mores, leges, edictaque sanxit,

Artibus ingenuis favit, et ingeniis. Non armis îlli quisquam se contulerit héros,

Armata ancipiti seu manus ense foret Seu valida pugnax vibraret spicula dextra,

Curreret adverso seu cataphractus equo Venatu, aucupio, curso gaudebat equestri,

Arte lyrœ doctus, docrus et arte pilse Impiger, et patiens, et natus rébus agendis,

Parcus erat somni, parcus eratque cibi. Sermo fuit simplex, nimiaque haud arte politus

Sed qualem magni Principis esse decet, Accessu facilis, mixta gravitate verendus,

Vultu, qui placido fingitur esse Jovi. Ornatu insignis, regali splendidus Aula

Magnificus Princeps, munificusque fuit, Sedibus expulsos patriis sic ille fovebat,

Gallia communis jam foret ut patria. Italici gnarus, gnarus sermonis Iberi,

Antiqui ignarus nec fuit Ausonii. Militia claris summos adjunxit honores,

Doctrina insignes auxit honore togse. Propositi certus, nulla superabilis arte,

Ac delatorum tutus ab insidiis, Quos semel in numéro cœpisset habere suorum

Optimum hic Princeps, semper et hos habuit. Adde quod his famulos memori sic mente tenebat

Illorum ut noscet nomine quemque suo. Quod poterat, regnum afflictum, populumque levabat

Nec, nisi dura forent tempora, durus erat. Miscuit hic justo Princeps cequmque, bonumque.

Officio cunctos continuitque suo. Prcecipue sacris, divumque addictus honbri

Antiquœ vindex religionis erat : Ut qui sceptra Deum solo data munere, sciret

Servari solo munere posse Deum. Illi casta fuit conjux numerosaque proies,

Externis charus, charus et ipse suis. Quin Iani templum nuper sic clauserat, illum

TOMBEAU DU ROY HENRI II * j-

Ainsi cerchant la paix par armes, ce bon Rov

Pour autruy fut vainqueur, et non vainqueur pour soy

En guerre il esprouva lune et l'autre fortune,

Et luy fut la victoire et la perte commune.

Il a pris et repris mainte ville et main fort

Mesme Guine, et Calais à l'imprenable port'

En paix et guerre il fit mainte preuve notable

Pourveu de bon conseil et de force indontable '

11 reforma les mœurs, il fit loix, et edicts,

Favorisa les arts, et les gentils esprits.

Nul Prince l'égala en puissance, et addresse,

boit que l'arme en la main il monstrast sa proësse,

Soit quil branlast la picque, ou qu'en haut appareil

Il courust a la lice, il n'eut point son pareil

De chiens, oyseaux, chevaux, il avait la prattique,

Aimoit l'art de la paume, et l'art de la musique

Prompt, endurant, actif, il se monstroir aussi

Du dormir, et manger, avoir peu de souci. Son parler fut naïf, non poli d'artifice

Mais sentant son grand Roy, qui fait autre exercice

Son visage estoit doux, meslé de gravité

Tel qu'on peint Juppiter, quand il n'est' irrité

Propre en accoustremens, et tenant cour Royale

D une magnificence et splendeur libérale

Les estrangers chassez tellement il traittoit

Qu un refuge commun la France leur estoit'

Il sçavoit l'Espagnolle et langue Italienne'

Et si n ignoroit pas l'antique Ausonienne

Le vaillant capitaine il mettoit en avant,

Et aux plus hauts estats poussait l'homme sçavant

Constant en son propos, et par art invincible

Il fut aux rapporteurs du tout inaccessible

Ceux qu'il avoit un coup en sa grâce reçeus

Onques de sa faveur ne se virent deçeus Adjoutez qu'il avoit si heureuse mémoire

Que d un chacun des siens le nom luy fut 'notoire

De ne T \agTh S°n PeUpl6' ayant tOUSJ°urs le ^in De ne le fouler point qu'à l'extresme besoin

II mesloit 1 équité avecques la justice

Et sçavoit contenir chacun en son office

Surtout il fut dévot, se monstrant en tout' Heu

Protecteur de l'Eglise et de l'honneur de Dieu

Comme bien cognoissant que les Grands Princes tiennent

Leur grandeur de Dieu seul, et par luy la main iennent

Une espouse loyale, et mains enfans il eut

Aymé des estrangers, aymé des siens il fut

Mesme :1 avoit la guerre emprisonné de sorte

36 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Augusto ut posses dicere jure parem. Nec satis hoc generum sibi junxerat iste Philippum

Quo nullus poterat dignior esse gêner. Utque foret regnum magis, ac magis undique tuum

Austrasio natam junxerat ante Duci. Quid plura ? Henricus jam totum impleverat orbem.

Orbis et Henrici nomine plenus erat. Haud tamen iis magnum se, felicemque putabat,

Queis poterat summum vel superare Jovem Ni digno conjuncta viro, dignisque hymenseis

Digna Deo conjux Margaris aucta foret. Ergo, quod toties votis optaverat unum,

Germance tedas vidit, et interiit. Interiit, viditque simul (pro tristia fata !)

Efferri tedas è tumulo ad thalamum. Sic superis visum, tam lœtis tristia rébus

Et miscere novis (heu) bona tanta malis. Vicenos œvi bis jam numeraverat annos,

Bis senos regni viderat ille sui. Illum flevit Eques, flevit Populusque Senatusque

Et flevit Divis qui pia sacra facit. Talis erat Romae Augustum lugentis imago:

Nec minus Augusto charus et iste fuit. Et merito fuit ille quidem : nam mitior alter

Non fuit in terris, justior, aut melior. Regali elatus pompa de more vetusto,

Maiorum antiquis est situs in tumulis. Hœredem patriae laudis, regnique reliquit

Franciscum, qui nunc Gallica sceptra régit : Qui magnum virtute refert, animoque parentem

Quique refert magni nomen et omen avi. Talis vita fuit. Fatum si forte requiras,

Hoc quoque disce, hospes, cum gemitn et lacrymis. Bella decennali cùm se gessisse duello

Cerneret, et priscos œquiparasse Duces, Afflictum bello populum miseratum, ab armis

Cessandum ducens nec tamen esse sibi. Dum pudet ignava fortem certare palestra :

Nec nisi sanguineo luclere Marte juvat, Heu cadit effracti non digno vulnere conti

Indomitus veris hostibus, et jaculis. Compositis tamen ante cadit sic rébus, et armis,

Aurea ut hœc demum secula nostra forent. Sic populo gratus, gratus sic omnibus unus,

Ut posset summis cemulus esse Deis. Juppiter hoc metuens, ne quid fortuna noceret

Scilicet hanc fato sustulit invidiam.

TOMBEAU DU ROY HENRI II «7

Que l'honneur à bon droit d'Auguste il en rapporte.

Encore n'est-ce tout. Pour gendre il avoit pris Philippe, et n'eust trouvé gendre de plus haut prix. Ayant auparavant, pour plus grande asseurance. Lié d'un mesme nœud la Lorraine et la France. Quoy plus ? Henry avoit tout son rond accomply, Et du nom de Henry le monde estoit remply. Non content toutefois de cest heur si extresme, Dont il pouvoit passer l'heur de Juppiter mesme. Si, d'un digne mari Marguerite n'estoit Espouse, qui un Dieu pour espoux meritoit, Il vit doncq ce que voir il avoit tant d'envie, Les nopces de sa Sœur, et la fin de sa vie : Il les vit, et mourut, et d'un mesme flambeau Vit ' uire fier destin!) la couche et le tombeau. Dieu l'a voulu ainsi, et à telle allégresse Luy a pieu de mesler une telle tristesse.

Au quarante et un an de son aage il montoit, Et le treizième alors de son règne il contoit. Le Noble l'a pleuré, le peuple et la Justice Et celuy, qui dévot, fait aux Dieux sacrifice. Son Auguste jadis Rome ainsi lamentoit, Et cestui moins qu'Auguste aimé des siens n'estoit. A bon droit il estoit non moins aimé qu'Auguste, Car onques Roy ne fut plus humain, ni plus juste. Son corps fut enlevé en Royal appareil, Et près de ses aveux gist dedans le cercueil.

Successeur de sa gloire, et de son sceptre encore Il a laissé François, qui Roy de France est ore. Ayant du père sien le vertueux renom, Et de son père grand le présage et le nom.

Telle sa vie fut. Si sçavoir tu desires Sa mort, il faut qu'ici passant) tu souspires. Se voyant avoir fait guerre dix ans entiers, Et avoir esgalé les antiques guerriers, De son peuple affligé ayant ouy les larmes, Sans toutefois laisser l'exercice des armes, Honteux de s'exercer en un jeu, s'il n'estoit Digne de sa vertu, et son Mars ne sentoit, Helas ! il fut occis de l'esclat d'une lance, Luy, qui en guerre estoit l'indontable vaillance. Mais devant que mourir, il avoit si bien fait, Qu'il avoit de son temps le siècle d'or refait. Tant aimé d'un chacun pendant qu'il fut en vie, Que les Dieux mesme estoyent pour lui porter envie. Craignant tel accident, Juppiter par la mort Le mit hors du danger de l'envie et du sort.

38 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Hoc tibi, Rex Macedo, Dii concessere benigni

Hœc tibi sors, Cœsar, morsque negata fuit. Sic vixit, sic interiit, bona dicite verba,

Et lachrymis funus concelebrate piis. Inferias pueri, juvenesque, senesque verendi

Henrico inferias, fcemina, virque ferat. Artis Apellœae, Lysippique cemule laudis,

Et tu Phidiacse quem juvat artis honos, Henrici effigiem pictis animate tabellis,

Œreus hic spiret, marmoreusque simul. Aureus is potius priscum qui primus in aurum

Gallorum populis secula restituit. Vos docti ante omneis, Phœbi pia cura, Poètœ

Quos aluit blando Gallica terra sinu, Certatim hune tumulum vestris celebrate cameeni

Omnibus ingeniis una sit ista seges, At vos, ô Proceres regali stirpe creati,

Tuque adeo regni spesque, decusque tui Francisce, invicti proies invicta parentis,

Juncta Caledoniis qui tua sceptra tenes, Erigite Henrico pendentia Mausolcea,

Henrico Pharias tollite Pyramides. Utque pic pia turba Tito, gratusque Senatus

HUMANI posuit DELICIΠGENERIS Sic tumulo Henrici (Galli) hoc incidite carmen

Hic jacet Henricus qui fuit orbis amor.

TOMBEAU DU ROY HENRI II lg

Ceste faveur te fut des bons Dieux octroyée,

Alexandre, et te fut, ô César, déniée.

Ainsi vesquit Henry, Henry mourut ainsi.

Priez pour luy, François, et larmoyez aussi.

Hommes, femmes, enfans, vieux et jeunes encore,

Chacun de ce bon Roy les obsèques honore,

Vous qui sur tous avez la gloire du pinceau,

L'artifice du cuyvre, et l'honneur du cizeau,

Animez de Henry la vive pourtraicture,

Et en bronze, et en marbre eslevez sa figure.

D'or faites la plustost ; puis que le siècle d'or

En France le premier il a fait naistre encore'.

Vous sur tous de Phœbus la plus soigneuse cure,

Qui du laict de la France avez pris nourriture,

Célébrez à l'envy ce royal monument,

Et vous soit ce suject un commun argument.

Mais vous Princes du sang, et toi, qui de ta France

Es le seul ornement, et la seule espérance,

Fils d'invincible père, invincible François,

Qui as au sceptre tien joint le sceptre Escoçois,

Bastissez à Henry des Tombes Cariennes,

Erigez à Henry des Pointes Phariennes :

Et comme au bon Titus les bons Pères Romains

Donnèrent ce surnom Délices des Humains

Mettez sur son tombeau en graveure profonde :

Cy gist le Roy Henry, qui fut l'amour du monde.

4^ ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

EJUSDEM EPITAPHIUM ■per eumdem.

Cùm frustra Henricus pulchram per vulnera mortem

Quœsisset toties, dum fera bella movet. Dum belli effigiem ludit, Martemque lacessit

Improbus, et lœvo fertur in arma Jove, Lumina perfossus fusoque per arma cruore

Ceu voti compos, sic moriturus ait : Xunc tandem fictis animam ponamus in armi^.

Quando quidem veris ponere non licuit. Optatam Henricus pacem concesserat orbi,

Cesserat ac toto Martius orbe furor. Indoluit Mavors, belli indignatus alumnum

Ad placidae mentem vertere pacis opus. Ergo illum fictis ludentem prœlia bellis,

Evolat emisso dum violent-.is equo, Percuiit imbelli confractu- cusp^dis ictu,

Ludentique férus séria damna tulit. I nunc, et Marti (Princeps) confide cruento

In média quem sic ludere pace juvat.

LE TOMBEAU DU ROY HENRY II \l

EPITAPHE DU MESME far ledit du Bellay.

Ayant cerché en vain tant de fois de mourir,

Et une belle mort en guerre s'acquérir,

Cependant qu'il se joue, et Mars il importune,

Et qn'il porte en courant sa mauvaise fortune,

Sang int, et aveuglé, Henry (comme content)

Poussant ces mots dehors, ses froids membres estend,

Rendons l'ame à la fin dessous ces feintes armes,

Puis que nous n'avons peu la rendre aux vrais alarmes.

Henry avoit donné la Paix tant désirée,

Et la Guerre s'estoit du monde retirée:

Mars en fut courroucé, et trouva fort mauvais

Qu'un si brave guerrier enclinast à la paix.

Donques pour s'en vanger, cependant qu'à la lice

Les armes il traittoit d'un paisible exercice.

De l'esclat d'une lance il luy perça les yeux,

Et convertit son jeu en un mal sérieux.

Rois, fiez-vous en Mars, quand les armes il porte,

Puisqu'estant désarmé il joue en ceste sorte.

12 ŒUVRFS COMPLÈTES DE J. DU EEJ LAV

DU M ES ME ENCORE

Le Roy sentant que la Mort Desja le tiroit au port Dont nul ne retourne arrière, Fit à Dieu ceste prière :

Seigneur (dit-il) moy qui suis Malade et chargé d'ennuis. Je vay sous la sépulture Payer le droit de nature: Et mon esprit va au lieu Des justes et craignans Dieu.

Moy (di-je) le Roy de France, Qui fais ici demeurance, Dormant dedans le cercueil D'un doux et plaisant sommeil Mon corps je laisse à la terre, Et m'envole au ciel grand'erre.

Mais je te supply, Seigneur, Je te supply pour l'honneur De ta faveur éternelle, Et ta pitié paternelle, Envers tout le genre humain, Que ta pitoyable main Me cire au ciel, et me donne Pour ceste fresle couronne, Que je quitte désormais, Celle qui dure à jamais.

AFFIX. VALVIS TEMPLl

D. MJlÈXJÊ VIRG. XIA AUG. M. D. LIX Qua lugubri pompa codent funus efferabatur

HER-

HICO I r

GAI. LIA RU. VI

R K G I FOELICISS.

PRINCIPI OP'IIMO L I V, E -

IÎAL1SS. I.EMSS. PIETAT1S.

JI'STITIAE, I.llïl'.HTATlS - QUI'.

P U 15 L A S S E R T O R I F O R T I S S . I) V M P A C E

PER ORBEM CHR ISTI AN I M PAR TA, E I L I CE

CHAR ISS. SORORIS - Ql'E SAPIEX-

TISS. NtPTIAS CKLl'BRAT,

INTER POPULI PLAT SES. IN

L U D I C R O C E R T A M f N E ,

V U L N E R E CŒSO,

S E I E L E N T E S ,

AC M CE S T ISS.

POSl EUE

LETTRE DE JOACHIM DU BELLAY

AU SIEUR JEAN DE MOREL AMBRUNOIS

SON PLUS FIDELE ET CHER AMI, SUR LA MORT DU FEU ROY

ET LE DEPARTEMENT DE MADAME

DE SAVOYE

Monsieur et frère, ne m"ayant comme vous sçavez, permis mon indi> position de pouvoir faire la révérence à Madame de Savoye, depuis mort du feu Roy, que Dieu absolve, j'ay pensé que pour reparer ceste faute, et pour me ramentevoir tousjours en sa bonne souvenance, je ne luy pouvois faire présent plus agréable que ce que je vous envoyé pour lui présenter, s'il vous plaîst de ma part. C'est le Tombeau latin et françois du feu Roy son frère., basti des ferremens de nostre mestier, sinon de telle estoffe et artifice, qu'il eust bien peu estre d'une meilleure main pour le moins de telle révérence, et dévotion, que pour ce regard il ne doit céder ny à l'excellence du Mausolée, ny à l'orgueil des Pyra- mides Egyptiennes. Je l'eusse bien peu enrichir si j'eusse voulu (et l'œu- vre en estoit bien capable, comme vous pouvez penser) de figures et inventions poétiques d'avantage qu'il n'est et qu'il semblera peut estre à quelques admirateurs de l'antique poésie, que je le devois faire ; mais il m'a semblé que pour la dignité du sujet, et pour rendre l'œuvre de plus grande majesté, et durée, un ouvrage Dorique, c'est à dire plein et solide, estoit beaucoup plus convenable qu'un Corinthien, ou autre de moindre estoffe, mais plus elabouré d'artifice et invention d'architecture. Or, tel qu'il est, si mad. Dame s'en contente, j'estimeray mon labeur bien employé, ne m'estant, comme vous sçavez mieux qu'homme du monde, jamais proposé autre but ny utilité à mes estudes, que l'heur de pouvoir faire chose qui luy fust aggreable.

J'avois (et peut-estre non sans occasion) conçeu quelque espérance de recevoir un jour quelque bien et advancement de la libéralité du feu Roy, plus par la faveur de mad. Dame, que pour aucun mérite que je sentisse en moy. Or, Dieu a voulu que je portasse ma part de ceste perte com- mune, m'ayant la fortune par le triste et inopiné accident de cette doulou- reuse mort retranché tout à un coup, comme à beaucoup d'autres, le fil de toutes mes espérances. Ce desastre avec le partement de mad. Dame, qui, à ce que j'entens, est pour s'en aller bien tost es pays de Monsei- gneur le Duc son mary, m'a tellement estonné et fait perdre le cœur, que je mis délibéré de jamais plus ne retenter la fortune de la court, m'ayant, nescio quo fato, esté jusques icy toujours si marastre et cruelle : mais, abdere vie in secessum aliquem, avec ceste brave devise pour toute consolation : Sftes et Fortuna z'alete. Et qui seroit si fol de se vouloir doresnavant travailler l'esprit, pour faire quel-

LETTRE DE J. DU BELLAY A J. DE MOREL 45

que chose de bon, et digne de la postérité ayant perdu ia faveur d'ur> si bon Prince, et la présence d'une telle Princesse, qui depuis la mort de ce grand Roy François, père et restaurateur des bonnes lettres, estoi^ demeurée l'unique support et refuge de la vertu, et de ceux qui en font profession ? Je ne puis continuer plus longuement ce propos sans larmes, je dy les plus vrayes larmes que je pleuray jamais, et je vous prie m'ex- cuser, si je me suis laissé transporter si avant à mes passions, qui me sont, comme je m'asseure communes avec vous, et avec tous ceux qui sont comme nous, admirateurs de ceste bonne et vertueuse Princesse, et qui véritablement se ressentent du regret que son absence doit apporter à tous amateurs de la vertu. Quant à moy (et hoc rnihi afud amicum liceat) encore que jusques icy j'aie enduré des indignitez de la fortune autant que pauvre gentil-homme en pourroit endurer : si est-ce que pour perte de biens, d'amis et de santé, et si quelque autre chose nous est plus chère en ce monde, je n'ay jamais esprouvé si grand ennuy que celuy que j'ai dernièrement receu de la mort du feu Roy, et du prochain dépar- tement de mad. Dame, qui estoit le seul appuy et colonne de toute mon espérance. A tout le moins si ceste fascheuse et importune surdité, qui me contraint depuis un mois de demeurer continuellement enfermé en une chambre, eust attendu quelque autre saison et ne m'eust osté si mal à propos le moyen de pouvoir faire la révérence à mad. Dame, et luy baiser les mains devant son département, j'aurois moins d'occasion de me plaindre de ma fortune: mais vous ferez, s'il vous plaist, ce devoir pour moy: et ce pendant ne m'estant permis d'accompaigner ses autres ser- viteurs en ce voyage, ou partie d'iceluy, je la suyvray avecques prières et vreus pour sa postérité et santé: et avecques ceste humble affection, révérence et dévotion, que je luy doy, accompagnée d'un perpétuel regret de son absence. Ce qui me restera de consolation, sera une conscience de bonne, pure, et sincère volonté envers Dieu, et envers les hommes, avecques contententement, ou s'il faut dire ainsi, ceste gloire, qu'ayant en la profession j'ay esté poussé plustost par nécessité que par élec- tion, rencontré tant d'heur, que de plaire à mad. Dame, je me puis vanter d'avoir esté aggreable à la plus sage, vertueuse et humaine Princesse, qui ait esté de son temps. Et sur ce, Monsieur et frère, pour ne vous ennuyer de plus longue lettré, encor' que je m'asseure ce propos vous estre aussi peu ennuyeux qu'autre pourroit estre, je feray fin, pour me recommander bien affectueusement à vostre bonne grâce, et supplier le Créateur vous donner la sienne avec heureuse et longue vie.

De Paris, ce 5 octobre 155Q.

ANTONII MINAKlî PRAESIDIS

TUMULUS LATINO-GALLICUS

Integer, et nulli veterum pietate secundus,

Justitia, meritis, religione, ficle, Dura serus repetit notas Minarius asdes,

Securum et pietas hune jubet esse sua, Seu cadit igniti violento fulmine teli

Qui placida dignus morte perire fuit Dumque obit, et sceleris fuerit quae causa nefandi,

Quaeritur atque autor, sic moribundus ait: Nullum equidem dixit, memini laesisse neque ullum

Insensum nobis jure fuisse puto. O tali vox digna viro ! vox dignior illa,

Quam Titus extremam protulit ore pio. Si cui tanta fuit virtus, probitasque fidesque,

Hoc pretium Superi) pro pietate tulit, Quid sperare decet, scelerum queis conscia mens est,

Quos Furiae, et Nemesis, quos premit ira Deûm At tu Minari, nuper pars magna Senatus

Nunc desiderium, nunc dolor, et lachrymse Si quis, ut est, animis sensus tellure sub ima est

Omnia nec secum mors violenta rapit, Sis fœlix, numerumque auge pius ipse piorum,

Quos fovet Elysio terra beata sinu. Non tua Lethaeas ibit demersa sub ondas

Gloria, nec totum te brevis urna teget1: Sed vives, surgesque tuo de funere major,

Et tibi perpétua laude superstes eris.

mmmmmmmmmm

LE TOMBEAU DE M. ANTHOINE MINARD

PRESIDENT

Celuy qui ne cédait à nul de nos aveux

En justice, en bonté, en cœur devotieux,

Se retirant au soir ce bon Minard, qui pense

Estre assez asseuré par sa seule innocence,

Sentit d'un plomb meurtrier le foudroyant effort,

Digne hélas ! qui mourut d'une plus douce mort.

Cependant qu'il expire, et que l'on luy demande,

Qui peut avoir commis méchanceté si grande,

Certainement (dit-il) je n'ay jamais pensé

Avoir quelque ennemi, et n'ay nul offensé.

Voix digne d'un tel homme : et plus digne que celle

De ce bon Empereur, que Titus on appelle

O dieux, si cestuy-ci pour son intégrité

A receu tel loyer, sans l'avoir mérité.

Que doyvent espérer les meschans qui sans cesse

Portent dedans le cœur leur coulpe vengeresse ?

Mais ô toy du Sénat n'agueres l'ornement,

Or, son regret, son pleur et son gémissement,

Si quelque sentiment aux trespassez demeure,

Et si croire on ne doit que par la mort tout meure,

Accrois, heureux Minard, l'heureux nombre de ceux

Qui tiennent, des esprits, le séjour plus heureux.

Tu ne mourras pas tout, et ton nom qui ne tombe

Dans le fleuve d'oubli, n'ira point sous la tombe,

Mais croistra par ta mort, et d'un los se suyvant,

Tu seras à toy-mesme et d'un los survivant.

DISCOURS AU ROY CONTENANT

UNE BRIEFVE ET SALUTAIRE INSTRUCTION

POUR BIEN ET HEUREUSEMENT REGNER,

ACCOMMODEE A CE QUI EST LE PLUS NECESSAIRE AUX MŒURS DE CE TEMPS.

ESCRIT PREMIEREMENT EN VERS LATINS

ET PRESENTE AU ROY FRANÇOIS II PEU APRES SON SACRE,

PAR MESSIRE MICHEL DE L'HOSPITAL, LORS PREMIER PRESIDENT DES COMPTES,

ET CONSEILLER DU ROY EN SON PRIVE CONSEIL, A PRESENT CHANCELIER

DE FRANCE, ET DEPUIS MIS EN VERS FRANÇOIS PAR I. DU BELLAY.

A MONSIEUR REYERENDISSIME

ET ILLUSTRISSIME PRINCE CHARLES

CARDINAL DE LORRAINE

ÉPIGRAMME DE MESSIRE MICHEL DE L'HOSPITAL

Je t'offre ici, Prélat, un présent de mon coffre : Reçoy, Prince et prélat, ce présent que je t'offre. Le présent est petit, mais tel que le devoir D'un Prince, tant soit grand, exprimé s'y peut voir. J'ay recueilli en bref de maint et maint passage, Ce qui mieux à propos m'a semblé pour vostre âge, Que de toy beaucoup mieux nostre Prince apprendra Et du nom paternel digne fils se rendra.

M^l^Z^

DISCOURS AU ROY

Devant le sainct autel de la Mère puce lie. Le jeune Roy François est oingt d'huile immortelle : Heureux en soit le Sacre, et plus vieil que Nestor Vive le nouveau Roy et que Titon encor".

Cependant qu'il apprenne à régir sa province. Ayant tels gouverneurs que jamais Roy ny Prince Les semblables n'ont eu : non pas mesme Thetis En choisit un pareil pour gouverner son fils. Apprenne l'art sur tous difficile à comprendre. Pour sçavoir ses sujects gouverner et défendre : Laisse aux autres Seigneurs leurs terres et leurs droits, Et soit ainsi qu'un Dieu entre les autres Roys. Los peuples estrangers arbitre le choisissent, Et par luy leurs débats, et leurs guerres finissent. De vaillant n'aime tant que de juste le nom, Xe vueille par le sang accroistre son renom. Soit loyal, soit constant, ne soit contraint de guerre, Ny la guerre en la paix, ny la paix en la guerre. Et pourquoy voulons-nous Chrestiens nous estimer, Si ne voulons de Christ quelque marque exprimer?

Ne soit entre les siens sa pieté moins grande Et d'amour paternel les gouverne et défende : Soit tardif à punir les forfaits mal prouvez, Et severe envers ceux qui vrays seront trouvez. Observe estroictement les lois et ordonnances. Et ne rescinde point les arrests et sentences ; Ne donne aux forfaicteurs grâce et impunité, Et ne rompe des lois la saincte authorité.

Soit qu'il faille pourvoir aux estats et offices, Ou soit aux Eveschez et autres bénéfices Elisent ceux qui mieux méritent tels honneurs, Non les plus favoris ni les meilleurs coureurs : Mais comme au temps passé fasse le nom escrire Du juge ou du prélat, qu'il luy a plu d'eslire. Qu'il escoute tin chacun, de quelque estât qu'il soit. Se conseille à loisir de ce que faire il doit : Ainsi n'accusera sa prudence peu came

cjo «JÊUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Se repentant trop tard d'avoir fait quelque faute. Car quel Roy n est trompé, ou soit pour n'aveoir sceu Comme les choses vont, soit pour estre deceu De tant de saints amis qui tous à ce but tendent, Et pour en tromper un tous ensemble se bandent ? Mais quelque jour viendra ce dernier jugement Que Roy, ni magistrat, ni juge aucunement Ne pourront décliner, faudra que le Prince Rende par le menu compte de sa province : Car de soy seulement comptable il ne sera, Ains la raison encor on luy demandera Du prélat vicieux, du juge corrompable : Et sera le chetif du fait d'autruy coupable, Mais plustôt de son fait, pour n'avoir bien pensé Quel homme à quel honneur il avoit avancé, Si l'officier estoit digne de son office, Et le bénéficier digne du bénéfice. Car bien que cestuy-là ait appris tous les droits Dont usent aujourd'hui les Papes et les Rois, De son estât pourtant digne je ne l'estime, S'il n'est homme de bien, sans cautele et sans crime, Et s'il ne favorise aux pauvres aussi bien Qu'à ceux qui ont le bruit d'avoir beaucoup de bien. Non plus que cestuy-là cestuy-ci je ne prise, Si aumosnier il n'est des thresors de l'Eglise. De quoy sert la grandeur, de quoy le vain sçavoir, Si l'un fait aussi peu que l'autre son devoir ? Si le juge est vénal, et vénal le baptesme, Vénale l'action et le sepulchre mesme ? De teî ministre donc le Prince ne prendra Argent, et le ministre aussi ne se vendra. Il ne convertira en chose folle et vaine Ni le trésor public, ni son propre domaine. Il ne le donnera à l'impudent flateur, Ni au plaisant bouffon, mais comme un bon tuteur Qui sçait que quelque jour il lui faut compte rendre, Despendra son avoir, comme il faut le despendre : Retranchans tous moyens de superfluité Et réduisant les mœurs à la simplicité, Dont l'un souloit user aux habits, et viandes. Du temps qu'on ne faisait les tables si friandes Ce faisant, il pourra son peuple soulager, Qu'il a esté contraint de fouler et charger, Pour aux guerres frayer, car de peu suffisance A volontiers celuy qui fait peu de despense. Cependant toutefois soigneux il prendra garde.

DISCOURS AU ROY 51

1

Que le rat palatin et la tigne rougearde

Ne mine son trésor, peste et contagion,

Qui règne de tout temps en ceste région,

Et du denier public se paist en telle sorte,

Que le tiers, ou le quart, à peine s'en rapporte.

Trop d'une croche main touchent l'argent du Roy :

Le nombre est effréné : d'une severe loy

Il contient le restreindre, et brider la licence

Qu'ont prise les larrons sur les deniers de France.

Pour y donner bon ordre, et que tels forfaicteurs Ne puissent désormais trouver des protecteurs En leur meschanceté, ce que j'admoneste ores, Il faut que je le die, et le redie encores : Se gardent de donner aux donneurs quelque accez Ceux qui seront commis à faire tels procez.

« Rien n'est si bien fermé, rien si sainct, rien si ferme, (( Que la force de l'or ne le force et defferme : « Et n'est moindre larron, que le larron, celuy « Qui retient quelque part du larrecin pour luy. Tu prens envers le Roy du larron la deffence, Lequel t'a corrompu : et après la sentence Le remets en son lieu, ainsi qu'auparavant ; Que fais-tu ? tu le fais larron, comme devant. Encor' fais-tu bien pis, d'autant qu'outre la grâce, Recompense au larron tu es d'advis qu'on face. J'ay honte d'en plus dire. Il faut donc regarder, Qu'à la foy de plusieurs on ne baille à garder La finance du Roy : car elle est fort glueuse, Et la garde surtout en est fort dangereuse. Ceux qui de telle garde ont la charge et le soin, D'estre eux-mesmes gardez ont le plus de besoin.

Le Prince toutefois pour croître sa finance. Ne confisquera point le bien de l'innocence, Et à son favorit ne le donnera point, Devant que le procez soit parfait de tout poinct. La faveur bien souvent et l'avarice opprime Aussi bien l'innocent que le chargé de crime, Et le fait condamner, non pour autre raison, Que pour avoir basti quelque belle maison. Le Roy donc qui sera de bonne conscience, Ne donne aux rapporteurs et bouffons audience, Ne laisse condamner le juste, et pour prouvé Ne tienne ce qui est faussement controuvé. C'est une chose indigne oster au misérable Et sa vie et ses biens, mais plus vitupérable Est de le ruiner sans ombre d'équité,

ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Par témoins supposez contre la vérité, Et juges apostez ; l'inique et mauvais juge Trop volontiers condamne, et pour coulpable juge Cestuy-là qu'il pense estre en la haine du Roy, Ou de ceux que le Roy tient le plus près de soy.

Qui fait que d'autant plus pèche le Roy qui donne L'oreille au rapporteur, de quelconque personne Que ce soit, et sur tout quand entendre on luy fait Que c'est quelque exécrable et horrible forfait, Comme de majesté ou divine ou humaine, Car le juge tend son esprit et sa peine. La calomnie sert de preuve, et l'innocent Devant que d'estre ouy, condamné se sent, Par l'envie du temps, ou par l'horreur du crime, Qui la fureur du Prince injustement anime. Et ne luy servira pour se justifier, Monstrer la calomnie, et de vérifier Que l'on accuse à tort l'opinion conceuë Demeure pour jamais, depuis qu'elle est receuë. Et ne voudra le Roy sou jugement changer. De peur d'estre estimé trop crédule et léger, Mais défendra sa faute et pour toute défense Constant s'arrestera en sa première offense. Il falloit s'enquérir de la condition De celuy qui a fait telle accusation, S'il y a interest, s'il est poussé d'envie, Quel homme est l'accusé, quelle a esté sa vie : Car qui homme de bien avoit toujours esté N'aura volontiers fait telle meschanceté.

Si la suspicion toutefois estoit grande, Luy-mesme par sa bouche il faut qu'il se défende, Présent son délateur, lequel s'estonnera. S'il est faux, et confus alors se trouvera, Et meschant recevra par la juste sentence D'un Roy si droiturier, sa digne recompense. Les délateurs pourtant (me respondra quelqu'un) Sont utiles aux Rois, de peur que mal aucun Ne demeure impuni, par faute de l'entendre, Et à fin que le Roy puisse par eux apprendre Qu'il est bon ou mauvais, tant loin soit-il absent. Je l'advouë, pourveu que par l'innocent Xe soit calomnié, et que la calomnie N'espère point aussi demeurer impunie. Ta main (Charles) ta main deux fois m'a garanti Du lyon affamé qui m'avoit englouti, Si tu n'eusses esté, je n'auroy plus de crainte,

DISCOURS AU ROY 53

Ayant tel protecteur, de sentir telle attainte.

Que peusse-je exprimer, comme par un tableau Appelle se vangea par un vers aussi beau, Combien ce monstre énorme est dommageable aux Princes, Et quelle peste c'est pour eux, et leurs provinces : Je ferois voir à l'œil de quel commencement La Calomnie vient, et son accroissement, Quelle suite elle traîne, et peindrois par mes vers L'Avarice et l'Envie au regard de travers, Je peindrois sa malice et comment la meschante, l)"un langage pipeur les oreilles enchante. Puis je peindrois un Roy tout stupide et songeard, Avec oreilles d'asne et mal plaisant regard, Qui la suyvroit partout. Au devant de sa porte Et tout autour seroit cestuy-là qui rapporte, Espiant, et gardant que quelque vray ami N'esveille ce ronfleur si long temps endormi, Et ne luy face voir la vérité des choses, Ostant le voile obscur qui les tenoit encloses. L'innocent misérable ignore tout ceci, Et périt cependant par ces fraudes ici, Pource qu'il n'a moyen de se purger, et faire De ce qu'on l'accusoit cognoistre le contraire, Ou pource que le Roy est ailleurs empesché, Ou pource qu'il seroit de ce labeur fasché. Je veux que ce ne soit de son vouloir si est-ce Qu'à son intention la tourbe flateresse S'opposera toujours et l'en destournera, Et ceste occasion plus ne descouvrira. Mais le nostre qui est plus bénin et traictable, A son peuple sera gracieux et affable, Les plaintes entendra, et d'un visage" humain Les placets d'un chacun recevra de sa main.

Et combien pensez vous qu'à son suject aggree Du visage Royal la majesté sacrée ? Il n'estime rien tant, et pour quelque refus Que le Roy lui ait fait ne se trouve confus. Luy aura fait le Roy quelque signe de teste ? Il pense avoir par obtenu sa requeste. L'aura-t-il refusé ? Il l'a ouy pourtant. Ainsi presque chacun s'en retourne contant.

Quelques-uns ont esté (ainsi que l'on raconte) Du temps de nos ayeux, qui n'avoyent point de honte De conseiller aux Rois de vivre à leur plaisir, De n'avoir soin de rien, de suivre leur désir, De ne se laisser voir, rejetter tout langage,

5| ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Desdaigner un chacun d un superbe visage : Bref ne laisser couler, soit de jour, soit de nuict, Une heure sans plaisir : comme si tout le fruict De régner gisoit : tels les rois d'Assyrie, Et de France ont esté, tenans leurs seigneurie Les Maires du Palais cela les ruina, Et leur sceptre et couronne aux rebelles donna. Pource tel gouverneur loyal je ne puis dire Qui fait ainsi le Roy, usurpe son Empire.

Les Perses estimoyent un crime capital De s'assoir seulement sur le throsne royal : Et seul tu régneras en la court du Roy mesme, Et ne luy laisseras sinon le diadesme, Et le vain nom de Roy ! ô quelle peste au cœur C'est que la faim de l'or et la soif de l'honneur ! Combien est la faveur plus juste et asseurée Qui du frein de raison sage s'est modérée !

Ne soit doncques le Roy inutile et oysif, Paresseux, fait-neant, mol, lubrique, et lascif. Car je demande un Roy tel que l'ont les abeilles, Et non point un bourdon qui bruit à nos oreilles. Ses favoris aussi n'usurpent rien à soy Plus que droit et raison et le vouloir du Roy.

Nous ne défendons pas au prince de s'esb^ttre A la chasse, à la paume, et aux armes combattre, Alors, cela s'entend, qu'il sera de loisir Et qu'il aura moyen de prendre son plaisir, Ayant pourveu à tout, comme il est nécessaire. Mais s'il en fait coustume, il aura bien à faire A se tirer de : et pource est-il besoin L'accoustumer au joug, et à prendre le soin Des affaires, et faut-il l'y dresser de bonne heure, A fin que la façon toujours luy en demeure. Et qu'estant parvenu à son âge plus meur. Il ne se fasche point de porter ce labeur.

L'Anglois avoit chassé le François d'Aquitaine, Et de desespoir toute France estoit pleine, Quand La Hire et Poton, tous deux chevaleureux, Retournèrent de tristes et douloureux, Comme portoit le temps, et le malheur de France. Ils entrent chez le Roy, lui font la révérence, Le Roy dansoit alors, et avec luy dansoyent Les Dames de la Cour qui plus belles estoyent. Aussi tost qu'il les Voit, aussi tost leur va dire, Ne danse-je pas bien ? Lors Poton ou La Hire, Ne sçay lequel des deux, plain de triste souci,

DISCOURS AU ROY 5$

Tirant un long soupir, luy va respondre ainsi : que vous perdrez bien en ces voluptez, Sire> vous estes plongé, ce florissant Empire ! Ce mot ne cheut en vain, car on dit que le Roy Des l'heure se changea, et qu'il revint à soy. Le fidèle pasteur à son troupeau regarde, Chacun à ce qu'il a soigneusement prend garde. Mesme les bestres ont quelque art, comme l'on voit, Si donques n'avoir soin de son art, quel qu'il soit, Jusques aux laboureurs est une chose infâme : Combien plus est-ce aux Rois de vergogne et de blasme, Auxquels Dieu a donné le soin du genre humain, Ne sçavoir gouverner ceux qui sont sous leur main.

Apprenne donc le Roy de sa jeunesse tendre, Ce qui d'un tel estât capable le peut rendre, Et combien que toujours il doyve estre suivi De ceux desquels il est fidèlement servi, Et qu'il ne doyve rien entreprendre ni faire Qui soit de conséquence et d'important affaire, Sans prendre leur conseil il ne doit toutesfois Se deffier de soy, mais de soy quelquefois Quelque chose entreprendre, et prendre de sa teste Conseil, si l'entreprise est utile et honneste. Que c'est qu'il entreprend, auxquels il le dira, Et ne le dire à ceux dont il se deffiera. Souventes fois encore une faute commise Fait le prince plus sage, alors qu'il se ravise : Car il en a toujours un triste souvenir, Et sa faute luy sert de guide à l'advenir : J'ai lourdement failli (ce dira-il adonques) Cestuy-là m'a trompé, je m'en garderai doncques : J'ai choisi cestuy-ci qui est homme de bien, Je me fieray en luy de cest affaire mien.

Il tiendra ce moyen, comme prudent et sage. Et ne se plaira trop pour l'affaité langage, Des flatteurs de la Cour. Il ne se desplaira' A soymesmes aussi, mais grave poisera Le parler de chacun, et sçaura sa prudence Faire du vray ami au flatteur différence.

Que Dieu puisse allonger la vie de cent ans A ta mère, à ta femme, et donne un pareil temps A ta Tante, et autant vivre encore te face Ces deux frères Lorrains de Lotaire la race, Et ce sage vieillard que sans cause et raison ' L'envie avoit chassé jadis en sa maison. Tu n'auras, Ô grand Roy, si Dieu les laisse vivre.

56 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Faute de bon conseil, si le leur tu veux suivre. Regarde, s'il te plaist, quel est le fondement Qu'ils ont desjà donné à ton gouvernement. De tes prédécesseurs nul, quiconque il puisse estre, Plus beau commencement de son règne a fait naistre, Ne te flatte pourtant, ni eux avecques toy : Car que peut des humains la prudence de soy ? La crainte du Seigneur dedans ton cœur escrite Soit ta règle, et ta loy, ta torche, et ta conduite : Car plusieurs gens de bien font souvent mainte erreur, Bien qu'ils soyent excellens et d'esprit et de cœur : Plusieurs faillent encor' en mainte et mainte guise, Lesquels ne sont poussez de fraude ou convoitise : Et toutesfois les Rois, par leur conseil trompez Sont en pareille erreur, qu'eux-mcme enveloppez.

Mais Dieu qui cognoit tout, quelque chose qu'on face, Ne trompe et n'est trompé par humaine fallace. Cestuy te conduira par l'obscur de la nuict, Cestuy te conduira quand plus le soleil luit. Nul n'erre ayant tel guide. Or, puisque sa puissance Tu représente ici, et que le Roy de France Ne cède à nul des Rois qui régnent aujourd'huy, Tu dois tout faire et dire à l'exemple de luy, De tout luy rendre grâce, et de son seul bienfait Recognoistre l'honneur que ton peuple te fait. Et pource que très bon et très grand on t'appelle, Faire que ta bonté et ta grandeur soit telle.

Nous, qui si loin du ciel vivons en ce bas lieu, Ne pouvons nous vanter de sçavoir quel est Dieu ; Toutefois nous jugeons combien la paternele Majesté sur tout autre est grande et éternelle Par la vertu du fils qui entre nous nasquit, Mourut et par sa mort la mort mesme vainquit.

Ceux qui ont veu du fils le céleste visage, Le père ont pensé voir, dont le fils est l'image. Ce moyen doit tenir qui Dieu cognoistre veut, Car par autre moyen cognoistre ne se peut. Vray est que, long temps a, d'une plante légère, Il est monté au ciel, à la dextre du père : Mais il nous a laissé plusieurs marques de soy, De sa bonté divine et de sa saincte loy, Afin de l'imiter. Il a monstre encore Comment son père veut qu'on le prie et l'adore, Quelle offrande il demande, et combien il luy plait Quand d'un cœur net et pur sacrifice on luy fait. Il veut que nous l'aymions par dessus toute chose,

DISCOURS AU ROY 57

Et que dans nostre cœur son amour soit enclose : Luy qui a fait le ciel et tout ce que Ton voit, Qui de vie, et de vivre, et de tout nous pourvoit Par sa grande bonté, qui à l'homme pardonne Sa faute et son péché, car est la personne Qui ne pèche à toute heure et qui n'a mérité Que Dieu soit contre luy griefvement irrité ?

Dieu l'attend toutefois, et devant qu'il destache La foudre contre luy, par tous moyens il tasche De l'attirer à soy, alors qu'il se repent. Et laissant son erreur, le droit chemin reprent.

Quel est l'amour de Dieu vers la race des hommes, De l'avoir entre nous tel obligez nous sommes : Nous sommes obligez l'un l'autre secourir, D'oublier toute haine, et l'ire ne nourrir Jusqu'au soleil couchant, mais sans qu'on nous en prie Pardonner à chacun. Nous autres, dont la vie Est obscure et privée, et qui comme les Rois, N'attouchons point aux Dieux, nous usons de ces loix. Que doit donc faire un Roy, qui se doit monstrer digne De la race des Dieux d'où vient son origine ? Or toy qui tiens de Dieu ton souverain pouvoir, Et sur les autres Rois excellent te fais voir Autant que sont les rois sur le bas populaire, Soyez doux et clément, la douceur doit te plaire, Si tu veux plaire à Dieu, la clémence qui vient Du ciel, sur toute chose aux grands princes convient. Vueilles plus tost les tiens conserver que deffaire, Et leur fais le pardon, comme Roy débonnaire. Que tu attens de Dieu, use modestement, Ou plustost n'use point du dernier chastiment Si tu n'y es contraint, mais te monstre severe Comme le médecin, il faut le cautère.

Ici se doit garder la médiocrité, Ici ne faut cercher los de sévérité, Pour les hommes punir, ni le nom de clémence. Pour pardonner toujours contre son ordonnance. Or quant à la douceur, tu as pour t'exciter Les exemples chez toy, que tu dois imiter : Regarde ton Ayeul, ou regarde ton Père, Rien plus doux ne verras que leur règne prospère. Bénin fut l'un et l'autre, et tardif à courroux. Mais regarde ta Mère ; est-il rien ni plus doux, Ni plus humain qu'elle est? Elle pouvoit n'aguere Animer sa faveur d'une juste colère, Voyant son mari mort; mais ell' non seulement

5<( ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Xe s'est voulu venger, ainsi volontairement, A pardonné à ceux, dont la mortelle offence Eust provoqué tout autre à cruelle vengeance. Comme elle encor' ont fait ces deux frères Lorrains, De France, tout l'appuy, se monstrant si humains Envers leurs ennemis. Les fuites et rapines, Les prisons et les morts, les pertes et ruines, Qu'apporte un nouveau règne à son commencement. Nous n'avons rien senti de pareil changement Et du règne changé qui n'est peu de merveille, A grand'peine le bruit nous a touché l'oreille.

Sois donc, ô Roy François, bénin au peuple tien, Apprens à servir Dieu comme Roy très-chrestien, Et de jeunesse apprens avoir des tiens la cure, Car ces vertus prendront avec toy nourriture, Et viendront peu à peu à tel accroissement, Que leur chef s'estendra jusques au firmament : Lors ne nous faschera vivre sous la couronne, Qui ton chef jeune d'ans maintenant environne : Et ne te faschera d'avoir tels gouverneurs. Par qui ton los s'esgale aux antiques honneurs.

FIN DU PREMIER DISCOURS

AMPLE DISCOURS AU ROY

SUR LE FAIT DES QUATRE ESTATS

DU ROYAUME DE FRANCE, COMPOSÉ PAR J. DU BELLAY,

GENTILHOMME ANGEVIN, PEU DE JOURS AVANT SON TRESPAS,

A L'IMITATION D'UN AUTRE PLUS SUCCINCT, AUPARAVANT

FAIT EN VERS LATINS PAR MESSIRE MICHEL DE L'HOSPITAL

A PRESENT CHANCELIER DE FRANCE ;

ET APRES MIS EN FRANÇOIS PAR LEDICT DU BELLAY.

A TRES ILLUSTRE PRINCE

MONSEIGNEUR LE REVERENDISS.

CARDINAL DE LORRAINE

Pour tesmoigner de quelle volonté

Je servirois ce grand Prince, mon maistre, Si le destin, qui si bas m'a fait naistre, Par sa faveur pouvoit estre donté,

Après avoir humblement protesté

De ce vouloir, j'offre de la main dextre

Mon cœur, mes vers j'appends de la senestre

Aux pieds sacrés de sa grand' Majesté.

C'est Monseigneur, une humble remonstrance Que fait au Roy sa très loyale France, Qui loue Dieu d'un Prince tant humain,

Et qui se plaint comme fille à son père

De tant de maux dont la pauvreté espère Le seul secours de votre heureuse main.

DISCOURS AU ROY

SUR LE FAIT DES QUATRE ESTATS

Sire, les Anciens, entre tant d'autres choses, Qui sont en leurs escrits divinement encloses Trois genres nous ont fait de tout gouvernement Lesquels ils ont nommez de ce qui proprement Convenoit à chacun ; le premier, populaire, Pource que tout passoit par les voix du vulgaire : Le second, Seigneurie, plus estoyent prisez Ceux que le peuple avoit le plus autorisez, Le tiers ils ont nommé ceste unique puissance, Par laquelle à un seul tous font obéissance.

Ils nous ont de chacun l'exemple proposé Et si ont à chacun son contraire opposé, Comme sa maladie et sa peste fatale. Mais, Sire, de ces trois la puissance Royale Est la plus accomplie, et plus durable aussi, Comme venant de Dieu, qu'elle figure ici Par sa triple unité, car la première sorte, La seconde et la tierce, en un corps se rapporte : Dont le Prince est le chef. Or si de l'unité Descrire je voulois la grand' divinité Et la grandeur des Rois, dessus telle matière, Je ferois, comme on dit, une Iliade entière.

je diray seulement, que comme on voit un corps Sain et bien tempéré des nombres, et accords. Que tout corps doit avoir, obéir à la bride Du chef, qui çà et à son plaisir le guide, Comme un cheval donté, ou comme en pleine mer On voit par un beau temps le navire ramer Au gré ce son pilote : ainsi la France encore, f. -mme guide vous suit, comme chef vous lion ire, Comme père vous aime, adore comme Dieu, Le grand Dieu tout puissant dont vous tenez le lieu.

Vos antiques ayeux, qui ont composé, Sire, Tel que vous le voyez, ce florissant Empire, Comme de quatre humeurs le corps est composé. Et comme en quatre parts le monde est divisé. En quatre l'ont parti : en populaire tourbe,

DISCOURS AU ROY

Qui le dos au travail éternellement courbe En la Noblesse née aux guerres et combats, Justice qui esteint les procez et débats, Et le plus digne estât, qui ensemble les lie D'une saincte musique, et parfaite harmonie.

Cestuy-là, qui voudroit, pour monstrer cest accord, Dire qu'il est semblable à l'accordant discord D'un luth bien accordé, auroit par adventure, Desseigné d'un tel corps la vive pourtraicture : Mais qui diroit qu'il est semblable au corps humain, Aurait à ce pourtraict mis la dernière main Car comme au corps humain la bénigne nature Par les membres départ sa propre nourriture, Autant qu'il luy en faut, et ne permet que l'un, Sur l'autre usurpe rien de l'aliment commun : Ainsi le Prince doit, d'une mesme prudence, Maintenir ses estats, gardant que la substance De l'un ne passe en l'autre, à fin qu'également Le corps universel ait son nourrissement s Et que pour estre trop l'un des membres énorme, L'autre ne perde aussi sa naturelle forme.

Sire, vous aurez donq' du pauvre peuple soin, Qui d'estre soulagé a le plus de besoin : Du peuple nourricier, qui fait le mesme office. Que les pieds et les mains le pénible exercice Desquelles entretient tout le reste en repos, Et fait qu'il est plus sain, plus gaillard, plus dispos. Sans luy rien ne seroit de plaisant et d'aimable, Sans luy, des Roys seroit la vie misérable, Sans luy la terre mère infertile seroit, Et marastre à ses fils, rien ne leur produiroit Que ronces et chardons, avec le gland sauvage, Et l'eau pure seroit nostre plus doux bruvage.

Par luy nous trafiquons avecques l'estranger Duquel nous recevons, pour le boire et manger, Les richesses et l'or dont votre France abonde, Comme estant de tous biens une corne féconde.

De luy vous recevez le tribut annuel, Comme d'un vif surgeon qui court perpétuel, Et jamais ne tarit, pource que de sa course La terre toute mère est l'éternelle source, Dont il reçoit l'usure, et fidèle vous rend, Sire, la plus grand' part du profit qu'il en prend.

Le noble vous fera à la guerre service, Le juge exercera Pestât de la Justice, Et le Prélat sera, comme soigneux pasteui,

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02 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Du sainct trouppeau de Christ fidèle protecteur.

Si la charrue cesse, et si la main rustique Oisive par les champs au labeur ne s'applique, Tout le corps périra comme un grand bastiment, Dont l'assiette n'a point de ferme fondement, Lequel au premier heurt que l'Aquilon desserre, Avec horrible bruit est renversé par terre.

Tous les autres labeurs, tant utiles soyent-ils, Tous les arts, et mestiers, avec tous leurs outils, Ne sont à comparer à ceste agriculture, Qui seule par son art commande à la nature : Qui d'infertile rend un terroy plantureux, Qui change la lambrusque en un sep plus heureux, Qui l'arbre transformé ente en nouvelle sorte, Et fait qu'un autre fruict que le sien il rapporte.

Qui tire du bestail mile commoditez Pour nourrir les grands Roys et les grandes Citez, Qui nous donne le miel, qui fait voir la merveille Dont nature a formé l'industrieuse abeille, Bref qui nous monstre à l'ccil les miracles des Cieux Et par nous apprend à cognoistre les Dieux.

Ceste noble science au vieux siècle honorée Des Princes et des Rois, n'estoit pas ignorée Des bons pères Romains qui leurs champs cultivoyent Avec les mesmes mains dont n'aguere ils avoyent Donté leurs ennemis : tant ils estimoyent estre Digne de leur vertu ceste vie champestre,

Là, comme ailleurs partout, l'aveugle ambition, L'envie misérable, et la sédition, Sire, ne règne point, ni ses pestes encore, Que versa dessus nous la meschante Pandore. Mais l'antique vertu seulement y a lieu, La justice, la foy et la crainte de Dieu, L'industrieux labeur, le soin, et la prudence. Et du temps à venir la caute providence.

Ce mesme esprit encore nous voyons au fourmi, Ce prudent animal de paresse ennemi, Qui amasse en Esté avec soigneuse cure Ce qui doit en Hyver former sa nourriture. Vous verriez par les champs, pour piller le monceau Du bled nouveau battu, marcher ce noir troupeau Par un sentier estroit : les uns vont, se retournent Les autres bastent ceux qui paresseux séjournent : Ceux-ci traînent les grains trop pesans et trop gros, Ceux-là les vont poussant de l'espaule et du dos. Tout le chemin en fume, avecq' tel exercice

DISCOURS AU ROY 63

Travaille le paysant, pour le commun service.

Comme nature a mis dans les mousches à miel Je ne sçay quel instinct qu'elles tiennent du ciel, De travailler sans cesse, et d'une main soigneuse Recueillir sur les fleurs leur manne savoureuse : Ainsi de son labeur le peuple nous nourrit, Et pour nous enrichir luy mesme s'appauvrit. Come l'abeille doncq vous le traitterez, Sire, Ne lui ostant du tout et le miel et la cire : Mais pour l'entretenir tousjours en ce bon cœur, Luy ferez quelque part du fruict de son labeur : Vous souvenant qu'Homère en l'Iliade belle Le grand Agamemnon pasteur du peuple appelle : Et que le bon pasteur, qui aime son troupeau, En doit prendre la laine, et luy laisser la peau.

C'est le bien que de vous le pauvre peuple espère, Et qu'il esperoit bien du feu Roy vostre père, Si Dieu lui eust preste la vie, et le loisir De monstrer par effect ce pieteux désir, Dont il vous a chargé par loy testamentaire, Vous donnant par la paix le moyen de ce faire.

Par la paix vous avez moyen de soulager Le pauvre peuple, Sire, et de le descharger Du faix, que sur le dos si long tems il supporte, S'il vous plaist de reigler vos finances en sorte Que les glueuses mains ne puissent retenir Les deniers qui devroyent en vos coffres venu.

Si le caut officier vostre peuple ne grève, Si le juge luy fait la Justice plus brève, Si vous le deschargez des daces et imposts, Que l'avare fermier invente à tous propos : Si son dos n'est chargé d'une nouvelle crue, Si selon sa puissance un chacun contribue, Le fort portant le faible, et s'il n'est sans raison Par l'estappe foulé, ou par la garnison.

Si l'on garde au marchand son privilège antique, S'il a la traicte libre, et l'usurier publique De l'argent du François n'enrichit l'estranger, Et si vostre or au plomb vous ne laissez changer.

Mais sur tout, s'il vous plaist reégler vostre despense (Comme vous avez fait) de sorte que la France ' Soit d'autant soulagée, et le fruit de la paix Ne s'escoule perdu en inutiles fraiz De masques, de banquets, et ce que l'artifice Tire de vostre main, sous ombre de service.

Ceste loy sumptuaire à tous également

Ù4 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Profitable sera : mais principalement Au noble, qui par s'efforce de paroistre : Comme si le moyen de se faire cognoistre Despendoit de l'habit et non de la vertu, Dans cest ordre sur tous doit estre revestu.

Ce qui à l'estranger donne plus de matière, D'estimer le François de nature légère, C'est la variété de son accoustrement, Sujet comme un Protee à divers changements.

Ceste folle despense entre nous incognuë Du temps de nos aveux, est en France venue, Depuis que le François fasché de son plaisir À eu le cœur espoinct d'un généreux désir De se borner plus loin, et franchir la barrière Que nature opposoit à sa vertu guerrière Que pleust à Dieu qu'il n'eust appris de l'estranger Sinon à son langage ou sa robbe changer, Et qu'il n'eust imité le soldat d'Alexandre, Que le Perse vainqueur, pour esclave se rendre Des vices du vaincu : et du Romain aussi. Qui de Grégeois donté fut donté tout ainsi.

Par son exemple donq' nostre Prince modeste A mesme modestie induira tout le reste Des Princes et Seigneurs, lesquels façonneront Par leur exemple aussi ceux qui moindres seront.

Il n'aura moindre soin de faire la jeunesse Exercer en sa court aux actes de proësse. Les Perses imitant, desquels le Roy prenoit Les plus nobles enfans, et les entretenoit, Les faisant exercer au mestier de la guerre Pour s'en servir après à deffendre sa terre.

Lycurgue le Spartain voulant monstrer aux siens Que vaut la nourriture, introduisit deux chiens D'une mesme ventrée, et semblable origine L'un nourri à la chasse et l'autre à la suisine. Il leur fit apporter de la souppe à tous deux : Soudain le chien veneur a sa souppe laissée, Et hardi vers le loup vint la teste baissée : L'autre poltron, s'arreste à sa souppe manger, Et couard ne voulut se mettre en ce danger,

Le Roy donq' aura soin de faire aux siens apprendre Ce qui plus courageux aux armes les peut rendre : Et ne permettra point que d'un sang moins hardi Le joug plus généreux devienne abastardi. Car si des bons chevaux, et des bons chiens de chasse Xous sommes si soigneux de conserver la race,

DISCOURS AU ROY 6„

Combien plus doit un Roy soigneusement pourvoir A la race qui est son principal pouvoir ?

Le principal pouvoir de votre règne Sire Et le principal nerf, le Noble se peut dire C est pourquoy vos ayeulx jadis luv ont donné Les terres et les fiefs, et qu'ils ont ordonné Quil vivroit libre, et franc de la charge ordinaire Que porte sur son dos le plus bas populaire

Maintenant cest estât, que nos antiques Rois Avoyent auctorisé par sur les autres trois Est le moindre des quatre, et la tourbe civile De noble la rendu souffreteux, et servile

Et puis on s'esbahit de ne voir aujou'rd'huv Le gendarme François ressembler à celuy Qui seul faisoit trembler le reste de la terre Et se pouvoit nommer nourrisson de la guerre Tous les auteurs sont pleins, tant Latins que Greeeois De la vertu Gaulo1Se, et gestes des François, * '

Lesque s s'ils eussent eu, pour conserver leur gloire Le ridelle secours de quelque belle histoire Surmonteroyent tous ceux qui sont au plus haut prix Four estre seulement plus doctement escrits

Or si, comme Ion dit, toutes choses retiennent Le propre, et naturel, du lieu dont elles viennent Si le fort vient du fort, le cheval vigoureux Du cheval, du Lyon le Lyon généreux Pourquoi ne pouvons-nous, si la race nous sommes, Et la postérité de tant de vaillans hommes Leur ressembler aussi : quant à Padvis de ceux Qui disent quun sujet devient séditieux

Quand il est aguerri, et sont d'avis qu'on face

Ce que disoit Cresus, qui pour donter l'audace

Des peuples Lydiens prompts à se muniter

Conseilloit à Cyrus, pour les effeminer

Leur arracher des poings des armes l'exercice

Et les faire nourrir à Fescole du vice

A la musique, au bal, aux festins, et' au jeu

Et tout ce qu'aux oisifs apprend ce petit Dieu

Qu on nomme Cupido : la foy tant esprouvee,

Qu en ce peuple loyal vos pères ont trouvée

Vous en doit asseurer, aguerrissez-le doncques

Sire et vous en servez, et vous verrez, adoncques

Combien 1 ame et le sang plus volontiers despend

Celuy qui sa patrie et son prince défend

Que l'estranger soldat, dont la foy mercenaire

Combattant seulement pour sa page ordinaire.

Quant a vos chefs de guerre aujourd'huy tant cogneus

66 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Vous les recognoistrez, s'ils ne sont recogneus, Et vous servirez d'eux : ayant tousjours mémoire Qu'Alexandre parvint au comble de sa gloire Par les vieux serviteurs de son prédécesseur, Qui de tout l'Orient le firent possesseur :, Et que ce jeune Roy, dont la Françoise troppe Donta si bravement les murs de Parthenope, Des plus vieux chefs de guerre alors estoit suyvi, Dont son prédécesseur avoit été servi.

Sur cest endroit ici volontiers je m'arreste, Sçachant combien il est profitable et honneste A un Roy tel que vous, qui voulant prospérer, Sur toute chose doit la vertu révérer, La vertu que chacun s'acquiert par nourriture, Mais qui doit estre au noble acquise par nature.

Je mets le vieil soldat, et tous ceux-là qui font Aux armes leur devoir, au rane de ceux qui sont Les plus nobles de sang : car la vertu guerrière De l'antique noblesse est la source première : Non l'image enfumée, ou l'or, ou la faveur, Qui ne peuvent donner les vrays tiltres d'honneur.

Sire quant à ce poinct sans faire autre despense, Vous avez le moyen de faire recompense : Au soldat, qui sera des armes dispensé, Et qui a mérité d'estre recompensé, Imitant, comme Prince humain et pitoyable, Du peuple Athénien la constance louable.

Le Peuple Athénien consacra les chevaux Qui avoyent apporté les pierres et les chaux Pour les temples des Dieux, et ordonna qu'ils eussent Du public nourriture, et qu'exemptez ils fussent Du travail. Vous pouvez le semblable ordonner, Et vos pauvres soldats à l'Eglise donner : leur vie sera pour le moins assignée, Et ne vous faudra point bastir un Prytanee.

Le Roy donc qui voudra, sans se mettre au danger De la vénale foy du soldat estranger, Par son propre pouvoir se rendre redoutable, Conservera des siens le courage indontable, Et l'antique vertu : le noble il gardera, Et en proye et butin ne l'abandonnera. A l'avare usurier, ny au plaideur tricherre Qui par mille moyens luy font perdre sa terre.

Pendant que pour son Roy sur le champ ennemi Une mort honorable il va cherchant parmi Et le fer et le feu, et couché sur la dure, La faim, la soif, le chaud, et le froid il endure,

DISCOURS AU ROY 67

Banni de sa maison, l'usurier sans pitié, Qui n'en aura payé à peine la moitié, Triomphe cependant, et la femme chassée Lamente pour néant, car la guerre est passée. O trois fois malheureux, et quatre fois, çeltty A qui le sort permet de retourner chez luy, Qui des chiens et corbeaux n'est demeuré la proye A fin qu'à son retour le malheureux se voye Manger aux advocats, et mendier leur pain Sa femme et ses enfants qui crient à la faim !

Nous voyons aujourd'huy trois sortes de noblesse, L'une aux armes s'adonne et l'autre s'aparesse Caignarde en sa maison : l'autre hante la court, Et après la faveur ambitieuse court. Le guerrier insolent veut quereller et battre : Le casanier plaideur par procez veut debatre : Et le mignon de court, pour croislre sa maison, S'arme de sa faveur contre droit et raison.

Imite doncq le Roy l'exemple du bon père Qui son affection également tempère Envers tous ses enfans : ne souffre le plus fort Outrager le plus foible, ou luy faire aucun tort : Xe laisse ruiner le pauvre gentilhomme Au cauteleux plaideur, qui le mine et consomme : Et à son favorit, par trop l'auctoriser, Xe permettre le moindre en rien tyranniser.

Pour ce doit-il surtout maintenir la Justice, Comme celle qui tient chacun en son office, Qui fait régner les Ruys, qui leurs sceptres soustient Et qui rend à chacun ce qui luy appartient.

La justice doit estre aux grands Rois vénérable Comme celle qui sied au lieu plus honorable, Auprès de Juppiter : et d'une juste main Balance également les faits du genre humain.

En vain le Roy sera aux ennemis terrible, En vain sera le Roy aux armes invincible : S'il est juste, et ne fait la justice garder, Les Dieux ne le voudront de bon œil regarder, Ains l'abandonneront, et feront héritière De son sceptre royal, une race estrangerc.

Tous les livres sont pleins, tant sacrez que gentils, D'exemples infinis des Princes, qui jadis Leurs sceptres ont perdu par paresse et par vice, Et sur tout pour n'avoir honoré la justice, Pu temps de nos ayeux, voire de nqstre temps. Sire, nous avons veu depuis vingt ou trente ans, Cest estât révéré des Princes, et des Rois,

68 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Se pouvoir appeller l'oracle des François.

Si le François vouioit quelque guerre entreprendre, L'estoit que le Roy son conseil venoit prendre : S'il vouloit taire paix, il y venoit aussi. Et en toute autre chose en usoit tout ainsi, L'appel loit aux estats, et aux honneurs de France Et comme son tuteur l'avoit en révérence.

Tel honneur à bon droit le prince luy portoit, Car nul à tel degré indigne ne montoit : L'aveugle ambition, et 1 ardente avarice, L'ignorance, qui est de tous maux la nourrice, N'approchoit point de là, et la jeunesse encor N'y avoit point d'accez par le moyen de l'or.

Là-dedans presidoit Minerve avec sa suite, Comme elle vouloit faire en FAreopagite, Et n'y voyoit on moins de grave auctorité, Qu'au vieil Sénat Romain : moins de sévérité, Qu aux Ephores spartains, qu'aux Druydes galliques, Qu'aux Mages Persiens, ni qu'aux Sages Indiques.

Si telle révérence on luy porte aujourd'huy, Tel honneur, tel respect, je m'en rapporte à luy, Qui le voit, qui le sent, qui en vain en souspire Et qui de vostre main le prompt secours, désire !

De votre seule main il attend le secours, Afin de retrancher les membres gros et lourds Qui luy font qu'encombre, et les membres débiles, Arides, împotens, et du tout inutiles.

Non que vos parlemens, Sire, ne soyent ornez De plusieurs gens de bien, vertueux et bien nez, Lesquels je n'entens point de comprendre en ce compte, Mais la plus grande part la meilleure surmonte.

Combien que le jeune homme entende bien la Loy, Si devant il n'a fait quelque preuve de soy, Il ne doit s'ingérer à faire devant l'aage, Ce qui requiert sur tout la pratique et l'usage, Imitant l'impudence et la témérité .Du jeune médecin, qui non exercité, De pratiquer son art ne fait point conscience, Et par la mort d'autruy fait son expérience.

Le bon Jurisconsulte y doit estre advancé, Et le Juge, qui a saintement exercé Son estât, et celuy dont la langue et la vie Auront sur le barreau prouvé la preud'hommie. Tels personnages, Sire, y seront suffisans, Et leur faudra payer leurs gages tous les ans, A fin qtfhonnestement leur estât ils maintiennent : Ainsi ne faudra point qu'avares ils deviennent,

DISCOURS AU ROY 69

Ainsi l"or n'y aura, ni la faveur, accez,

Et ne sera besoin d'espicer les procez,

En prenant ce qu'ils ont quelque couleur de prendre,

Car ce que Ion achepte on peut bien le revendre.

Aussi de son costé le Prince ne fera Rien contre sa justice, et sur fout ostera Les abus qui se sont par faveurs, et surprises, Aux évocations, et aux causes commises. Il fera ses Edicts garder de poinct en poinct, Et sans grande raison n'y contreviendra point. Aux procez laissera leurs formes ordinaires Et ne les fera point juger par commissaires.

De la Mercuriale encor il aura soin, S'informera de tout, ores qu'il en soit loin, Afin de contenir chacun en son office, Et s'asserra souvent en son lict de Justice.

Le Roy ddncq' qui voudra remettre en son estât Comme îl estoit jadis, cest auguste Sénat, A son nombre ancien faudra qu'il le réduise, Et que dorénavant les plus vieux il élise, Et les plus gens de bien, non ceux que la faveur Indignes a poussez à tel degré l'honneur, Ou qui l'argent au poing eshontez s'y présentent, Bien que d'un tel honneur indignes ils se sentent.

Cet Empereur Romain, qui avec le surnom De severe, portoit dAlexandre le nom, Avoit pour son conseil une trouppe honorable De îegistes sçavans, dont le plus vénérable, Et le plus favorit sur ce Papinian, Duquel comme les Grecs de leur cheval Troyan, Sont sortis tous ceux-là qui, avec l'éloquence Ont conjoint le sçavoir, qu'on appelle prudence.

Sire, le Roy qui veut heureusement régner. Par de 1 vls hommes se doit volontiers gouverner. Quand ils sont gens de bien : et n'estre moins severe Que celuy qui fit seoir sur la peau de son père T.c fils d'un mauvais juge, envers l'iniquité Des meschans qui auront tel loyer mérité : Se souvenant tousjours, que la peur du supplice Et l'espoir du loyer nous contient un office.

Bref, si le Prince veut y faire son devoir. Il luy faut aux estats, non aux hommes pourvoir : Et ne faut, comme on dit, que l'èsîat l'homme honore. Mais l'homme son estât, d'un pareil soin encore, En son antique honneur l'Eglise il maintiendra Et comme très chrestien, toujours se souviendra Qu'il a receu de Dieu son sceptre et sa couronne,

7<3 ŒUVRES COMPLETES DE J. DU BELLAY

Et que c'est œluy seul, qui les oste, et les donne,

Comme il veut, et qui seul peut faire d'un berger

Un Roy, et sa houlette en sceptre luy changer.

Après il réduira en mémoire les Princes,

Qui ont perdu jadis leurs estats et provinces,

Et verra le mespris de la religion

Estre la seule source, et seule occasion

De leurs règnes perdus, qu'ainsi soit, voyez, Sire,

Sans recercher plus loin ny le Romain Empire,

Ni l'Empire des Grecs, Testât du règne Anglois,

LVestat de l'Alemagne, et de vostre Escossois.

Vous apprendrez par combien est dangereuse Ceste peste, et direz la France très heureuse, ce mal n'est encor' dans les veines enclos, Que si vous le laissez pénétrer jusqu'à l'os. Et jusqu'à la moelle, en vain après, en vain, Pour l'arracher de là, vous y mettrez la main.

Mais vous ne permettrez que ce mal envieillisse, Et Dieu qui ne veut pas que telle peste glisse Plus avant dans les cœurs, Sire, vous a donné Ce grand Prélat Lorrain, lequel semble estre né, Pour de ce monstre énorme estre le seul Alcide, Monstre qui des grands Rois est le seul homicide.

Or ce monstre fatal ne se veut surmonter Par le feu seulement, ni par le fer donter : Il veut estre donté par la sobriété, Par l'humble modestie, et par la chasteté, Par le devoir Chrestien, et par la sainte vie : Non par l'ambition, l'avarice, et l'envie, L'orgueil, la vanité, le vice desreiglé, La seule occasion de ce monstre aveuglé.

Du temps que la vertu que l'Eglise ancienne Sainte ne dedaignoit la pauvreté Chrestienne, Elle estoit le miroir de toute pureté, De toutes bonnes mœurs, de toute humilité : Maintenant au contraire, on voit qu'elle est l'exemple, toute volupté portraicte se contemple, Ainsi qu'en un tableau : et se peut dire encor' Qu'en ce corps politiq' le lieu elle tient or' Que tient au corps humain un estomac débile, Qui ne digère rien, qui au corps soit utile : Mais tout cela qu'il prend vomit soudainement Ou bien le convertit en mauvais aliment.

Tu te nommes Pasteur, toy qui n'as soin ni cure De tes pauvres brebis, ni de leur nourriture, Qui ne les vois jamais, ou bien si tu les vois, Qui n'es pas en un an à grand'peine deux fois,

DISCOURS AU ROV

C'est par forme d'acquit, ou pour tondre la laine

De ton pauvre troupeau, qui nourrit par sa peine

Ta molle oysiveté, ton vice et ton plaisir,

Et pour rassasier ton avare désir.

Puis impudent tu fais tes plaintes et querelles

De tant d'opinions, et de sectes nouvelles,

Qui de toy te dois plaindre, et ta faute accuser,

Xon pas, comme tu fais, de ton filtre abuser.

Si un Prince a baillé la garde d'une place A quelque capitaine espérant qu'il y face Son devoir, et que il doive demourer, Pour de ses ennemis sa frontière asseurer : Et qu'ailleurs cependant, monsieur le capitaine, Qui aime beaucoup mieux le profit que la peine Se voise pourmener, et que les ennemis Surprennent le chasteatt en sa garde commis, Doit-il estre excusé : encor' a moins d'excuse Le Prélat qui du nom de son office abuse, Abandonnant aux loups par paresse et mespris Le troupeau délaisse qu'en garde il avoit pris, Et qu'à Ta foy d'autruy commettre il n'a point honte Luy qui au grand Pasteur un jour en rendra compte Jadis les bons Prélats, qui du troupeau de Dieu Estoyent les vrais pasteurs, residnyent sur le lieu, Cognoissoyent leurs brebis, en faiSôyeat 'a revue. Et soigneux les gardoyent, sans les perdre de veuë. Maintenant leur demeure est à la court des Rois, ils ont plus de train, de chevaux, et charrois, Que les plus grands seigneurs, et 'eurs tables friandes Surmontent l'appareil des PersiqlleS viandes.

Te ne parle de ceux qui sont de la maison Du Roy, et qui d~y estre ont excuse et raison : Principalement ceux auxquels le Prince ordonne Demeurer assidus auprès de sa personne, Et qui sont du conseil : car le devoir qu'ils font Compense le défaut de la charge qu'ils oîit.

Je parle de ceux-là, que la seule avarice, La seule ambition, ou quelque plus grand vice Y tient comme attachez : qui devroyent se mirer En ce Prélat, qu'assez je ne puis admirer, Ce tant digne Prélat, qui combien qu'il supporte De France tout le fais sur son espaule forte, Comme Atlas fait le ciel, fait pourtant le devoir Du fidèle Pasteur, qui ne veut recevoir Le loyer sans îa peine, et ne dédaigne faire Ce qu'à grand'peine fait le ministre ordinaire. Preschant, admonestant, et monstfànt par effect

72 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

D'un bon et vray prélat l'exemple plus parfaict.

Facent doncq' les Prélats le deu de leur office; Réside chacun d'eux dessus son bénéfice, Comme en sa garnison soyent leurs imitateurs. Ceux qui sont sous leur charge, et les moindres pasteurs, Comme font les curez, qui faisant bien leur charge Mériteront aussi que leur dos on descharge De ce pesant fardeau que porte le clergé, Dont le curé sur tous doit estre deschargé, Pour estre à son devoir plus léger et délivre : Car qui sert à l'autel, des autres il doit vivre.

La vigne du Seigneur deffrichee en ce poinct, En lieu du bon raisin ne rapportera point, La lambrusque sauvage, et l'infertile yvraie Ne dominera point sur la semence vraye : La ronce pour la rose alors n'apparoistra, Et pour le lis encor1 le chardon ne croistra.

Sire, c'est le moyen d'assommer ceste beste, A qui, s'il plaist à Dieu, vous coupperez la teste, Et serez le premier son Hercule fatal, Qui serez secondé de ce grand Cardinal, Ainsi que d'un Thesee, et des Princes de Guyse, Qui semblent estre nez pour deffend're l'Eglise.

Cependant que sa main sous vostre autorité L'Eglise maintiendra en son intégrité Et qu'aux autres prélats il sera seul exemple De conserver de Dieu l'inviolable temple, Ses trois frères guerriers, trois pères des soldats, Trois foudres de la guerre, et trois enfants de Mars, Réduiront les mutins sous vostre obéissance, Chasseront* la discorde et leur sage vaillance Gardera que le mal maintenant Escossois, En passant l'Océan, ne devienne François. Plusieurs bons chefs estoyent au camp des Grecs gendarmes, Les uns pour le conseil, les autres pour les armes : Un magnanime Ajax, un éloquent Nestor, Un Teucre bon archer, un fort Stenele encor', Un preux Idomenee, un sage Pallamede, Un fidèle Patrocle, et vaillant Diomede, Mais sur tout autre Ulisse estoit bon au conseil, Et Achille n'avoit aux armes son pareil. C'estoit la fleur des Grecs. Il n'y a Prince au monde, Sire, qui plus que vous en tels hommes abonde, Que ceux que j'ay nommez : ne qui d'Agamemnon Mérite mieux que vous la gloire et le renom. Mais de qui tous ceux-là en faconde et prudence A Charles est pareil, à François en vaillance ?

DISCOURS AU ROY

Dont 1 un est à bon droit nostre Laertien. L'autre se peut nommer l'Achille Guysien.

Je me suis esgaré, et l'affection forte Dehors de mon propos et de moy me transporte. Doncques, pour retourner à mon commencement, Le prince qui voudra régner heureusement, Liera ces quatre estats d'une telle harmonie, Que de ce grand esprit la puissance infinie Accorde l'univers, et luy l'esprit sera Qui mouvoir tout le corps également sera.

Or, quant à la noblesse et si grande et si ample, Le Prince Guysien luy servira d'exemple. faut qu'elle se mire, et que suivant les pas D'un guide si vaillant, elle ne craigne pas D'employer corps et biens, pour servir la couronne, Que votre chef royal sainctement environne, Luy qui à tel devoir le noble exercitra, De son devoir aussi le tesmoin il sera, Favorisant ceux-là, qui pour vostre service Se seront employez en si digne exercice, Et qui mériteront d'estre eslevez au rang De ceux qui ont esté prodigues de leur sang, Pour du fer et du feu défendre leur province. Leurs femmes, leurs enfants, leurs maisons et leur Prince. Le semblable sera pour ceux de son mestier Ce docte, vertueux, et prudent Olivier, Qui s'estoit retiré, faisant place à l'envie. Sa nef entière, au port le plus seur de la vie : Dont pour Te bien public à vostre advenement Vous l'avez révoqué, faisant voir clairement Combien est grand en vous l'amour de vostre France, Le soin de la justice, et quelle révérence Vostre majesté porte à ceux-là qui ont eu Toujours gravée au cœur l'amour de la vertu.

Quand au troisième estât des autres le plus digne, Vous avez ce prélat, ce Cardinal insigne. Ce Charles, l'ornement du collège Romain, En qui le ciel a mis un esprit plus qu'humain, Un plus qu'humain sçavoir, plus qu'humaine faconde, Pour vous faire par luy le plus grand Roy du monde.

Cependant qu'il sera des pilotes le chef. Assis au gouvernail de la Françoise nef, Ne croignez les rochers, ni les vents ni l'orage : Qui tel guide a choisi, ne fait jamais naufrage.

Mais qui sera celuy, qui la garde prendra De vostre povre peuple, et qui le défendra ? Qui vous priera pour luy ? qui sera son refuge ?

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74 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Et de sa povreté !c favorable jugé ?

Ce sera vostre mère. Sire, qui en sa main

Charitable prendra cest œuvre tant humain,

Imitant la bonté de ceste heureuse Mère,

Qui polir nous à son fils fait très humble prière,

Nous moyenne la paix, et la tranqUilité,

La santé, le beau temps, et la fertilité. .

A cest œuvre si sâinct vostre espousé loyale Employra sa pitié et sa vertu Royale, Sa bonté, sa douceur, nature, et les Dieux Ont mis comme à l'envy tous lés trésors des cieux.

Que plêlist à Dieu qu'ici je peusse mettre encore La tante que le ciel de ses grâces honore, L'uniqUe Marguerite eh couleur et valeur Qui est de nôstre temps et la perle et la fleur.

Ce sont les protecteurs du pauvre populaire, Qui vous priant pour lûy, n'auront beaucoup à faire, Estant d'un naturel si débonnaire" et doux, Et de douceur ayant tant d'exemples chez vous, Vostre père sut tous, le plus humain et juste Prince qui ait régné depuis César Auguste Et qui pour sa bonté à bon droit est nommé L'amour de tous estats, et le Roy bien aimé.

S'il â gàigné ce nom mesme parmi les armes, Vous qui n'estes contraint pour frayer aux gendarmes, De fouler Vostre peuple, à plus forte raison Devez continuer ce tiïtre en sa maison.

Vous le continuerez, et au peuple GàlliqUe Serez ce Salnmon, ce bon Roy pacifique. Ce sage Salomon, qui bastit au Seigneur Le Temple et qlii de Dieu reçeut ceste faveur, Non son père David, ce pitoyable office Vers vos pauvres sujects, c'est le saint édifice, Que vous bastirez, Sire, édifice éternel. Qui vous fera vainqueur de l'honneur paternel. D'autant que plus l'amour que la force est aimable Et qiië la paix est plus que la gUerre aggreable. Imitant ce bon Roy, vous porterez honneur A vostre Mère, Sire, à fin que le bon-heur Vous suive et que long temps puissiez jouir encore Du loyer de celuy qui përe et mère honore.

Si un grand Prince doit un grand Prince imiter, Alexandre le Grand Vous y doit inciter. Qui se rrionstra tOUsjOUrs tant humble enVerè sa mère, Et ce bon Empereur Alexandre Severe : Mais plus que tous ceux-là, ce Prince de refiôm, Ce grand Roy, Vostre orgueil, dont vous portez le nom.

DISCOURS AU ROY

Ce mcsrae nom encor, tant cognu des neuf Muses, Et de ceux-là qui ont leurs sciences infuses, Vous oblige à l'amour des lettres et des arts, S'il vous plaist d'imiter le plus grand des Césars, Qui fit tant de fa\eur au Mantuan Virgile, Et cil qui tant prisa la trompette d'Achille.

S'il vous plaist de réduire en mémoire les Rois, Qui ont plus gouverné de peuple sous leurs loix, Sire, vous trouverez que dessous leur Empire Ont plus fleuri les arts, que vostre France admire Sur toutes nations. Je ne veux point ici Vous alléguer les Grecs ni les Romains aussi, Dont la docte faconde et le sçavoir plus raie Ont poly (comme on voit) la rudesse barbare.

Je vous allegueray ce Charles seulement, Ce grand Charles sans pair, ce Charles, l'ornement De vos prédécesseurs, autheur de la science Dont votre grand Paris a telle expérience, Que Ion voit aujourd'huy, Paris le nompareil, Qui seul a retiré les lettres du cercueil, Et qui seul a reçu Minerve vagabonde, Que l'ignorance avoit chassé par tout le monde.

Dessous Charles il prit heureux commencement, Sous François il a pris heureux accroissement : Non (ce semble) fatal, puisque nous avons ores Avec un grand François un grand Charles encores, Des lettres protecteur, qui tient auprès de vous Comme le plus sçavant, et plus humain de tous, Sire, le mesme lieu, qu'auprès d'Auguste à Rome Tenoit ce Mecenas, dont encore Ion nomme, Par un tiltre d'honneur, tous ceux qui aujourd'huy Aux hommes de sçavoir font faveur comme luy.

Combien que vostre père eust passé sa jeunesse En l'escole de Mars, et qu'en force et addresse Il n'eust point son pareil, si est-ce qu'il prisoit Le mestier de Pallas et le favorisoit, Par un certain instinct, donnant bien cognoissance Du lieu, dont ce bon Roy avait pris sa naissance. Sire, il vous plaira doncq, imitant vos ayeux, Favoriser les arts, qui vos faits glorieux Peuvent perpétuer mieux qu'en marbre, ou en cuyvre, Et qui vous peuvent faire à vous-mesme survivre.

Quant aux autres vertus que doit avoir un Roy, Comme la pieté, la justice et la foy, Comme il se doit garder du cauteleux flatteur, Comme il doit repousser le calomniateur, Le mocqueur, le bouffon, et tous ceux qui sous ombre D'utiles serviteurs, ne servent que de nombre,

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y6 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Comme il se doit porter envers les autres Rois, Comme il doit conserver ses terres, et ses droits, Je n'en dy rien ici. Quant à l'art militaire, Et à la discipline aujourd'hui nécessaire, Ce n'est pas mon sujet : puis tant de bons esprits Ont si bien cultivé par leurs doctes escrits Ce champ, qui est assez de soy-mesme fertile, Que mon labeur seroit après eux inutile.

Sire, bien que je sois, comme nouveau venu, De vostre majesté encore peu cognu, Bien cogneu toutefois du feu Roy vostre père, Et bien cogneu encor de vostre tante, et mère, J'ay des premiers de ceux du mestier dont je suis, Osé vous estrener de ce peu que je puis. Peu, si vous regardez l'a valeur de la chose Et Testât de celuy qui présenter vous l'ose : Mais beaucoup, s'il vous plaist par vostre grand'bonté Estimer mon présent selon ma volonté, Puisqu'en vous le donnant, avecques la personne, De ce qui est en moy le meilleur je vous donne. Et que peut-on donner ni meilleur ni plus beau, Que ce qui peut un nom arracher du tombeau ?

Si nature m'eust fait pour vous servir en guerre, Poursuivre vostre court, ou en estrange terre Vous servir, comme ceux dont je porte le nom, J'eusche ta'sche, comme eux, d'illustrer mon renom, En faisant mon devoir : mais puisque la fortune N'a voulu jusqu'ici mestre tant opportune, J'employrai mon esprit, ma plume, et mon labeur, Et tout ce que du ciel j'ay reçu de faveur, En l'art que les neuf Sœurs m'ont appris en jeunesse, Pour chanter la bonté, la vertu, la prouesse De vous, de vostre père, et de tous vos ayeux, Dont le nom immortel est escrit dans les Cieux.

Cependant je prieray le Seigneur, et le maistre Des Prîrîces et des Rois, Sire, qu'il vous face estre Et plus heureux qu'Auguste, et meilleur que Trajan, Et que continuant ce bon heur d'an en an, II accomplisse en vous lheureuse prophétie Que l'honneur vous promet, avecques longue vie, De remettre l'Eglise de sa captivité. Et Rome délivrer de sa captivité. Les faicts de vostre ayeul, et ceux de votre père, Et le terme prefix à son règne prospéré, Se trouvent là-dedans, qui nous doit asseurer De tout ce que de vous nous commande espérer Le carectere heureux, qui vostre nom figure, Qui vous puisse estre, Sire, un bien heureux augure.

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TRADUCTIONS DEUX LIVRES DE L'ENEIDE

DE VIRGILE LE QUATRIÈME ET SIXIÈME

AU SEIGNEUR /AN DE MOREL Ambrunois , gentilhomme ordinaire de la maison de la Royne

Je n'avoy jamais expérimenté la douceur des bonnes lettres (cher amy Morel) sinon depuis que la fortune m'a voulu préparer tant de cala- mitez que je ne seray jamais las de remercier celuy, qui m'a donné la grâce de les pouvoié supporter jusques icy. Je ne diray, par quelle diversité de malheurs s'est jouée de moy cette cruelle arbitre des choses humaines :comme celuy qui n'ignore telles complaintes estre aussi usitées: comme les occasions en sont ordinaires. Je diray seulement, que parmy tant de malheurs (contre lesquels je ne sens ma raison si forte qu'elle m'eust peu armer de suffisante patience) le non moins honneste que plaisant exercice poétique m'a donné tant de consolation, que je ne puis encore me repentir d'y avoir perdu une partie de mes jeunes ans. Ce qui fait que je porte moins d'envie à la félicité de ceux, qui pour des- tourner le cours de leurs fascheries, ou n'ayans (peut-estre) autre occu- pation, passent le temps en je ne sçay quels exercices, dont pour le mieux ils ne peuvent recueillir, qu'un bref plaisir suivy d'un longue repentance.

Voilà toute la gloire que pour cette heuée je pretens donner à la poésie: à fin que je ne soy'veu trop haut louer l'artifice j'ay employé une portion de mon industrie. Vray est que n'ignorant combien le champ de poésie est infertile, et peu fidèle à son laboureur, auquel le plus souvent il ne rapporte que. ronces, et espines, j'avoy occasion de n'y despendre mon labeur, si après la gloire de celuy, qui départ ses grâces bon luv semble, et ne les veut estie inutiles, je me fusse proposé autre fin, que l 'honneste contentement de mon esprit, accompagné d"un je ne sçay quel désir (je n'auray honte de confesser mon ambition en cest endroit) de tesmoigner à la postérité que j'ay quelquefois, et non

78 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

du tout ocieusement, vescu. Je me laisseroy encor' abuser d'une si douce folie, que de penser, mes petits ouvrages avoir trouvé quelque faveur en l'endroit de ceux, dont le jugement a bien ceste autorité de donner (s'il faut ainsi parler) droit d'immortalité à mes labeurs. Je diroy d'avan- tage, que ce m'est une des moindres félicitez, dont les hommes se puis- sent vanter, que d'avoir peu en quelque libéral exercice faire chose aggreable aux Princes. Et quand la conscience mon peu de mérite m'auroit du tout retranché l'espérance d'un si grand bien, si est-ce (cher amy) que pour le droit de nostre amitié je prendray ceste har- diesse de me glorifier (en ton endroit seulement) d'avoir quelquefois par la lecture de mes escripts donné plaisir aux yeux clair-voyans de cette tant rare perle, et royale fleur des Princesses, l'unique "Marguerite de notre aage : au divin esprit de laquelle est par moy, des longtemps consacré tout ce qui pourra jamais sortir de mon industrie. Ce sont les principales raisons, qui m'ont donné courage de continuer jusques ici en l'étude des choses que j'ay suivies, non tant de ma propre élection, que pour ne laisser mon esprit languir en oisiveté : lequel je sentoy mon géand regret) assez mal préparé à l'estude des lettres plus sévères. C'est pourquoy les moindres occupations que me puissent présenter mes affaires domestiques, me retirent facilement de ce doux labeur, jadis seul enchantement de mes ennuis : et qui maintenant de jour en jour se refroidit en moy par l'injure de ceste importune, qui m'ayant desjà par une infinité de malheurs privé de toute autre consolation, tasche encor' de m'arrascher des mains ce seul plaisir, demeuré le dernier de moy, comme l'espérance en la boiste de Pandore. A l'occasion de quoy ne sentant plus la première ardeur de cest Enthousiasme, qui me faisoit librement courir par la carrière de mes inventions, je me suis converty à retracer lés pas des anciens, exercice de plus ennuyeux labeur, que d'allégresse d'esprit ; comme celuy, qui pour me donner du tout en proye au soin de mes affaires, tasche peu à peu à me retirer du doux estude poétique. Toutefois pour n'abandonner si tost le plaisir, qui durant mes infortunes m'a tousjours pourveu de si souverain remède, je veux bien encor' donner à nostre langue quelques miens ouvrages, qui seront (comme je pense) les derniers fruicts de nostre jardin, non du tout si savoureux, que les premiers, mais (]>eut-estre) de meilleure garde. Et à fin que le tout puisse rencontrer quelque plus grande faveur, je eom- meneerav, non par œuvres de mon invention, mais par la translation du Quatriesme livre de l'Eneïde, qu'il n'est besoin de recommander d'avantage, puis que sur le front elle porte le nom de Virgile. Je diroy seulement qu'œuvre ne se trouve en quelque langue que ce soit les passions amoureuses sovent plus vivement dépeintes, qu'en la personne le Did'on. Parquoy si un poème, pour estre plaisant et profitable, doit contenter les lecteurs de bon esprit, je crois que cestuy-ci ne leur devra

LETTRE A JAN DE MOREI. 79

pas desplaire. Quant à la translation, il ne faut point, que je me prépare d'excuses en l'endroit de ceux qui entendent et la peine, et les loix de traduire, et combien il serait malaisé d'exprimer tout seulement l'ombre de son auteur, principalement en une œuvre poétique, qui voudroit par tout rendre période pour période, epithete pour epithete, nom propre pour nom propre ; et finalement dire ni plus ni moins, et non autrement que celuy qui a escrit de son propre stile, ndn forcé de demeurer entre les bornes de l'intention d'autruy. Il me semble, veu la contrainte de la rime, et la différence de la propriété, et structure d'une langue à l'autre, que le translateur n'a point mal fait son devoir, qui sans corrompre le sens de son auteur, ce qu'il n'a peu rendre d'assez bonne grâce en un endroit, s'efforce de le recompenser en l'autre. Si j'ay essavé faire le semblable, je m'en rapporte aux bénins lecteurs, non que je me vante (je ne suis tant impudent) d'avoir en cest endroit contrefait au naturel les vrais lineamens de Virgile; mais quand je dïroy, que je m'en suis du tout si eslongné, qu'au port et à l'accoust rement de cest estranger naturalisé, il ne soit facile de éecognoistre le lieu de sa nativité : je croy que les équitables oreilles n'en devront estre offensées. Et si je cognoy que ce mien labeur soit aggreable aux lecteurs, je mettray peine (si mes affaires m'en donnent le loisir) de leur faire bientost voir le sixiesme de ce mesrne auteur : car je n'en ay pour ceste heure entrepris l'entière version que tous studieux de nostre langue doyvent souhaitter d'une si docte main que celle de Louys des Mazures, dont la fidèle, et diligente traduction du premier et second livre, m'ont donné et désir et espérance du reste. Je n'ay pas oublié ce que autrefois j'ay dit des translations poétiques : mais je ne suis si jalousement amoureux de mes premiert-s appréhensions que j'aye honte de les changer quelquefois, à l'exemple de tant d'excellents autheurs, dont l'authorité nous doit oster ceste opiniastre opinion de vouloir tousjours persister en ses advis, prin- cipalement en matières de lettres. Quant à moy je ne suis pas stoïque jusque* là. C'est encor' la raison, qui m'a fait si peu curieusement regarder à l'orthographie, que je n'eusse laissée à la discrétion de l'im- primeur, si je n'eusse préféré l'usage public à ma particulière opinion, qui n'a telle authorité en mon endroit que pour si peu de chose je me veuille déclarer partial, et convoiteux de choses nouvelles. Si quelqu'un se fasche, que j'aye le plus souvent retranché l's aux premières per- sonnes, et en quelques mots, qui pour la continuelle et longue suite des concurrentes, semblent un peu durs à l'oreille, quand j'entendray telle observation desplaire aux lecteurs, je prendray raison en payement, et ne seray point hérétique en mes opinions. J'en di autant de quelques mots composés comme pie-sonnant, porte-loix, porte-ciel et autres, que j'ai forgez sur les vocables Latins, comme cerve pour biche : combien que cerve ne soit usité en termes vénerie, mais assez cogneu de nos

80 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

vieux Romans. C'est pourquoy ne voulant tousjours contraindre l'escri- ture du commun usage de parler, je ne crains d'usurper quelquefois en mes vers certains mots et locutions dont ailleurs je ne voudroy user, et ne pourroy sans affection et mauvaise grâce. Pour ceste mesme raison, j'ay usé de galees pour galleres ; endementiers, pour en cependant ; isnel pour léger; carrollant, pour dansant : et autres dont l'antiquité (suivant l'exemple de mon autheur Virgile) me semble donner quelque majesté aux vers, principalement en un long poème, pourven toutesfois que l'usage n'en soit immodéré. Je retourne à la translation du qua- trième de l'Eneïde, que j'ay encor' adjousté un Epigramme d'Ausone, déclarant la vérité de l'histoire de Didon, pour ce qu'il me semblait ini- que,: de renouveller l'injure qu'elle a receuë par Virgile, sans luy réparer son honneur, parce qu'autres ont escrit à sa louange. Quant aux œuvres de mon invention, je ne les estimoy dignes de se montrer au jour, pour comparaistre devant ses divins esprits Tolosains, Masconnois, et autres: sentant mon stile tellement refroidi, et altéré de sa première forme, que je commence moy-mesme à le decognoîstre : mais voyant quelques miens escrits par une infinité de copies tellement dépravez, que je ne les pou- voy ni devois laisser plus longuement en tel estât, j'ay bien voulu en recueillir une partie des moins mal faits, attendant l'entière édition de tous les autres, que j'ay délibéré fin de ne mesler les choses sacrées avec les prophanes) disposer en meilleur ordre que devant, les compre- nant chacun selon son argument sous les tiltres de Lyre chrestienne, et Lyre prophane. Cependant ceux-ci marcheront les premiers : pour la protection desquels, je ne les veux dédier à plus ambitieuse faveur, qu'à l'heureuse mémoire de nostre immortelle amitié, instituée premiè- rement par quelque bonne opinion, que tu as voulu prendre de moy : et depuis entretenus par l'admiration de ta vertu, prudence, et doctrine, qui me contraignent (toutes les fois que je contemple la philosophique et vrayement chrestienne œconomie de ta maison) estimer ta fortune heu- reuse, qui y a ponrveu d'une femme si entièrement conforme à la per- fection de ton esprit : et d'un tel ami, que ceste incomparable lumière des loix, et des lettres plus douces, M. Michel de l'Hospital dont les singulières vertus louées de toute la France et particulièrement admirées de toy, et de tous ceux qui sont si heureux que de luy estre familiers, seroyent par moy plus laborieusement descrites, si je leur pouvoy don- ner quelque grâce après l'inimitable main de ce Pindare François Pierre de Ronsard, nostre commun anii: des labeurs (si l'Appollon de France est prospère à ses enfantemens) nostre poësie doit espérer je ne sçay quoy plus grand que l'Iliade.

SUR LES TRANSLATIONS ET AUTRES ŒUVRES POETIQUES DE J. DU BELLAY, ANGEVIN

SONNET DE JAN DE MOREL, AMBRUNOIS

Comme Von voit l'abeille industrieuse

Aux champs d'Hybla succer de mainte fleur Uemmiellee, et céleste liqueur,

Dont nous sucerons Vamertume odieuse :

Telle est aussi la Muse ingénieuse

Du doux-utile Angevin translateur, Qui ses thresors tirez de mainct auteur Nous jette ici d'une main -plantureuse.

Heureux présent des Dieux! heureuse année, Qu'à du Bellay la lyre fut donnée! Soit pour le fruict, soit pour le rcsjouyr.

O plus heureuse encor' la France toute, Et Vestranger qui tout ravi Vescoute, Esmerveillé de toute voix ouyr.

EPIGRAMME DU TRANSLATEUR

On voit plus d'un moqueur Enee Et plus d'une fole Didon, Couvert le feu de Cupidon, dessous les cendres d'hymenee.

P^^^Pf1!^!^^!^^

LE QUATRIÈME LIVRE DE L'ENÉIDE DE VIRGILE

LA FIN DU TROISIEME LIVRE

Ainsi Enee, un chacun Vescoutant,

Alloit des Dieux les destins racontant : Finablement, silence il s'imposa, Et faisant fin, ici se reposa.

Mais cependant la Royne blessée D'un gref souci, nourrit en sa pensée Ce qui la blesse, et sent dedans ses veines L'aveugle feu des amoureuses peines. Mainte valeur, mainte Troyenne gloire, Court, et recourt en sa prompte mémoire. La face aimée, et le parler aussi, Sont engravez en son triste souci : Et ne permet son penser ennuyeux Le doux sommeil couler dedans ses yeux.

de Phœbus la lampe retournée Nous esclairoit la seconde journée, Et parloit du céleste séjour L'humide nuict, fuyant l'aube du jour, Lors qu'à sa sœur tesmoin de ses secrets Ceste insensée ainsi fait ses regrets :

Anne, ma sœur, helas dont me surviennent Tant de songers qui douteuse me tiennent ? Qui est cest hoste et nouvel estranger, Qui s'est venu en nos palais loger? Quel port il a ! ô que son hardi cœur Monstre qu'il est un brave bel'Jiqueur ! Certes je croy (et ma foy n'est point vaine) Que telle race est des Dieux la prochaine. La peur descouvre un cœur abastardi. O que cestuy d'un courage hardi A traversé d'estranges destinées ! O qu'il chantoit de guerres terminées !

Si je n'avois fiché dans mon courage

84 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

De ne me joindre à nul par mariage,

Depuis le temps que la mort m'a deceuë

De l'amitié en moy premier conceuë :

Si je n'avoy oublié tout désir

De retenter des nopces de plaisir,

Ma volonté (possible ores peu caute)

M'eust fait tomber sous ceste seule faute.

ne te soit mon courage caché,

Anne, depuis que mon povre Siché

Souilla nos Dieux par l'homicide main,

De ce cruel nostre frère germain,

Et seul ici a fleschi ma pensée,

Et seul ici mon ame balancée

A esbranlé : je recognoy les pas

Du premier feu de mes jeunes appas.

Mais dessous moy plus tost la terre fonde Pour m'engloutir dedans la nuict profonde Au plus obscur de l'enfer odieux, Plus tôt le Roy des hommes et des Dieux Darde le feu de ses flesches puissantes Pour m'abismer aux ombres pallissantes, Que je te blesse ou que par amour foie, A mon honneur, tes saincts droits je viole.

Celuy premier, qui de moy s'accointa, Avec sa mort mes amours emporta. Luy seul les ait, et luy seul ait la cure De les garder sous mesme sépulture Ainsi parla, et ses pleurs qui coulèrent Soudainement sa poitrine mouillèrent.

Anne respond : O Sœur, qui m'es plus chère Que du beau jour la plaisante lumière, Voudrois-tu bien d'un éternel veuvage User ainsi la fleur de ton jeune âge ? Et ne gonfler d'amour les appetis, Ny la douceur de tes enfans petis ? Crois-tu un tas d'ombres ensevelies Avoir souci de ces douces folies ?

Et soit ainsi que ta fresche douleur D'aucuns maris n'ait prisé la valeur, Ou soit d'Iarbe, à qui tu fis sentir Ton fier desdain en Lybie, et en Tyr, Ou soit de ceux que l'Aphricain bonheur, Tient eslevez en triomphe et honneur : Veux-tu encor demeurer obstinée Contre l'amour en ton cœur si bien née ? Songes-tu point en quelle nation Tu as esleti ton habitation ?

LE QUATRIÈME LIVRE DE l'ÉNÉIDE DE VIRGILE 85

De ce costé, Getulie indomtable

Le fier Numide, et Syrte inhospitable :

De cestuy-là la grand'plaine altérée

Des Barceans, te rend mal asseuree.

Et que diray des menaces cruelles

De nostre frère, et des guerres nouvelles,

Qui dedans Tyr s'eslevent contre toy !

Certes la main des Dieux, comme je croy,

Avecq' Junon,, ont sur les rives tiennes

Guidé le cours des noirres Troyennes. Quelle cité tu verras se dresser,

O chère Sœur, quel règne se hausser

Sous tel mari ! combien sous telles armes

Ta nation sera brave aux alarmes !

Tant seulement offre aux Dieux sacrifice,

Et à ceux-ci par hospital office

De s'arrester brasse l'occasion,

En ce pendant que l'humide Orion

Trouble la mer et le ciel mal traictable,

Choquant les nerfs d'un bruit espouvantab'ev Par ces propos, du courage enflammé

Elle a plus fort le désir allumé :

Elle asseura la pensée douteuse,

Et deslia la chasteté honteuse.

Premièrement des temples consacrez Vont visiter les destours plus secrets, Et requérir à l'entour des autels La sainte paix des bénins immortels. Puis, en suivant les façons usitées, Brebis d'eslite ell' ont esgorgetées : Sacrifiant à l'honneur de ces trois, Bâche, Apollon et Cere porte-loix, Junon sur tous, qui les nopces maintient. Didon la belle en sa dextre soustient Une grand' couppe et la liqueur espanche Droit sur le front d'une génisse blanche Ores des Dieux les autels elle adore, Et de presens chacun jour les honore : Ores béant aux poitrines sanglantes, Regarde au fond des entrailles saillantes.

Mais, ô l'abus des ignorans devins, Las, qu'ont servi tant de temples divins, Et tant de vœux à ceste furieuse ? En ce pendant la flamme doucereuse Ronge ses os et la ployé insensée Secrettement est vive en sa pensée.

La malheureuse, ardente et furibonde

86 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Court par la ville errante et vagabonde, Telle qu'on voit dans les forests de Crète, Par le long coup d'une flesche secrette, La pauvre cerve éviter le berger, Qui l'a blessée: alors d'un pié léger Lancée au cours d'une fuite diverse Les Dictëans buissons elle traverse, Et les forests, mais la mortelle pointe Luy est au flanc éternellement joincte. Ores, on voit, ainsi que forcenée, Par la cité avec son cher Ence Se pourmener l'amoureuse Didon, Qui de sa ville, et de l'or de Sidon Fait grande monstre, et de parler s'appreste, Puis au milieu de son parler s'arreste. Ores au soir ell' tente les moyens D'ouyr cncor' les longs erreurs Troyens, Folle, qu'elp est : et sur la mesme couche Du racontant pend encor' à la bouche

Puis quand chacun départ, et qu'à son tour L'obscurité vient embrunir le jour, Et que les feux, qui d'en haut précipitent, De tous costez au sommeil nous incitent, En son palais, solitaire et faschee, Dessus son lict désert elle est couchée: Elle oit et voit, et tousjours se présente L'ami absent duquel elle est absente : elle tient Ascaignc qu'elle embrasse, Et baise en luy de son père la grâce, Se parforçant de tromper en ce poinct Le fol désir de l'amour qui la poinct.

Plus vers le ciel les tour cncommcncces Ne vont montant ; les armes sont laissées De la jeunesse : et les ports et rampais Abandonnez, montrent de toutes pars Le peu de soin des futures batailles: L'œuvre imparfait des superbes murailles Et des palais le front audacieux Ne tasche plus de s'égaler aux cicux. Mais tout soudain que la campagne chère De cestuy-là, qui des Dieux est le père, Voit forcener telle peste enflammée En ceste-ci, et que la renommée Ne peut garder, que la fureur ne donte T. 'effort premier de sa publique honte. De luy aider un désir la pressa, Et par tels mots à Venus s'adressa :

LE QUATRIÈME LIVRE DE l'ÉNÉIDE DE VIRGILE #7

Vrayment et toy et ton gentil enfant Avez acquis un butin triomphant. D'avoir tous deux divinité haute) Ainsi trompé une femme peu caute.

J'entends assez que pour ton fils soigneuse, Tu as été contre nous soupçonneuse, Et tu crains qu'il ne reçoive outrage Entre les murs de ma fiere Carthage. Mais quelle fin prendra ceste querelle ? Pourquoy plus tost d'une paix éternelle N'exercons-nous un vassage asseuré ? Tu as cela, que tant as désiré : Didon se brusle, et de son mal enclos la fureur luy saccage les os. Gouvernons donc cestuy peuple en commun, Et faisons tant que des deux ne soit qu'un : Soit affermie à un Phrygien Prince, Avec Didon sa dotale province.

Venus respond (sentant bien de Junon Le franc parler qui ne tendoit sinon A destourner le sceptre d'Italie, Futur vainqueur d'Afrique et de Lybie) Qui est le fol si ardent de combattre Qui aimast mieux par querelle débattre Avecques toy, que t'accorder ces choses ? Pourveu aussi, que ce que tu proposes Soit gouverné par la fortune humaine ; Mais les destins me rendent incertaine Si Jupiter veut qu'une ville assemble Les Tyriens et les Troyens ensemble: Et qu'un accord de commune alliance Mesle ces deux en longue patience. Toy son épouse, essaye par prière A le fléchir : va, marche la première ; Je te suyvrai. Junon réplique ainsi :

Je prends sur moy tout ce labeur ici. Or, maintenant quels moyens faut tenir, Pour à ce poinct de nopces parvenir, Si tu le veux entendre promptement, Escoute moy, je te diray comment. Ton fils Enee et ceste pauvre lasse N'aguere ont fait entreprise de chasse, Délibérez avec tout l'appareil, Partir demain des le premier soleil. Lors sur le poinct des plus secrets apprests, Et qu'on fera l'enceinte des forests, Je verseray dessus eux une nuë

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Grosse de pluye et de gresle menue, Et par la voix d'un éclatant tonnerre, Feroy trembler tout le ciel, et la terre. De toutes parts ayant un si grand bruit, Chacun fuira couvert d'obscure nuict. Moy qui présente à la fuite seray Sous un mesme antre, alors j'addresseray Avec Didon le Troyen Capitaine : Et si tu es de volonté certaine En mon endroit d'amour bien ordonnée Je les joindray sous les loix d'Hymenee. Venus alors, d'un signe sans mot dire La ruse approuve et s'en prend à sourire.

Endementiers l'Aurore se levoit De l'Océan, et avec elle on voit Sortir aux champs les plus délibérez, Larges espieus, toiles, panthes de retz, Meutes1 de chiens, piqueurs Massiliens Marchent espais. Les Seigneurs Libyens Devant sa porte attendent la Princesse, Qui se levoit d'une lente paresse. Couvert de pourpre et d'or à l'advenant, Se tient debout le hardi pié-sonnant, Qui fait le brave, et de sa bouche humide Masche le frein de l'escumeuse bride. Finablement elle marche dehors A grande fuite, ayant autour du corps Le riche honneur d'un manteau Tyrien Ouvré en rond à poinct Sydonien, La trousse au col, et ses cheveux déliez Autour du chef mignardement liez D'un nœud doré : sa robbe purpuree Se retroussoit d'une agraffe dorée.

Les Phrygiens, et le gaillard Ascaigne Fort bravement marchent par la campaigne: Enee aussi, qui tous autres efface, Se joint à eux compagnon de la chasse. Tel qu'Apollon au regard se présente, Lorsqu'il départ de Lycie et de Xante, Pour visiter sa Dele maternelle. A son retour le bal se renouvelle, Et à l'entour des autels, qui sont ceints Du chœur sacré, les Agathyrses peincts Vont carrolant par frémissantes troppes Entremeslez de Crêtes et Dryopes.

Luy, sur le haut du couppeau Cynthien Marche à long pas, et d'un doré lien

LE QUATRIÈME LIVRE DE L' ENÉIDE DE VIRGILE 89

Pressant son chef, de rameaux nouveletz, Noue à l'entour ses cheveux crepelez Qui mollement contreval s'abandonnent. Ses traicts aussi sur ses espaules sonnent: Non moins que luy gaillard marchoit Enee, Tel est le port de sa grâce bien née.

Puis, quand ont fut hors des larges campagnes, Sur le plus haut des ombreuses montagnes, Et au plus creux des forests mal voyees Voici tomber les bisches desvoyees Par les rochers, courant deçà_, delà : D'autre costé par les champs se mesla Des cerfs légers la grand' bande peureuse, Laissant les monts d'une fuite poudreuse.

Le gay Ascaigne au plein de la valee Son fier cheval pique à bride avallee, Et peu rusé au mestier de la chasse Ores ceux-ci et ores ceux-là passe : Désirant fort un escumeux Ranger Par les troppeaux timides se ranger. Ou contre luy descendre en rugissant L'aspre fureur d'un lyon blondissant.

Pendant, le ciel en murmurant se mesle De tourbillons, et de pluye et de gresle : Les Tyriens et Troyens esgarez Ascaigne aussi, par la peur séparez Vont au couvert ; et des croppes hautaines Les fiers torrents s'eslancent par les plaines Et sur ce point mesme caverne assemble Didon la belle, et le Troyen ensemble.

Premièrement la terre nourricière Donna le signe et Junon la Nossiere : Des feux aussi l'infortuné présage Se monstre en l'air coupable du nossage : Et des sommets mainte Nymphe estonnee Par hurlement a chanté l'Hymenee.

Ce jour premier fut la cause et le chef, Et de la mort, et de tout le meschef : Car Didon de son honneur tombée, Ne songe plus une amour desrobee : Plus ne luy chaut de ce que l'on dit d'elle : Ce qu'elle a fait, mariage elle appelle, Et pense bien que ce nouveau péché Dessous tel nom soit finement caché.

Soudainement la viste Renommée Par les citez de Libye est semée : La Renommée à l'aile vagabonde,

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Le plus prompt mal qui soit en tout le monde, Et dont le cours au partir faible et lent, Au cheminer se fait plus violent.

A sa naissance elle est craintive et basse, Puis tout soudain reprend cœur et audace, Marche sur terre, et fiere devenue, Cache son front en l'obscur de la nue.

La Terre mère asprement courroucée Contre les Dieux, après la mort de Cce L'un de ses fils, et d'Encelade aussi (Comme Ion dit) enfant a ceste-ci, Qui court léger, et vole encore mieux : Monstre superbe, horrible, et tout plein d'yeux. Yeux qui jamais de veiller ne se faschent Dessous autant de plumes qui les cachent : Avec autant de bouches et de langues, Cest importun babille ses harangues Et dresse encof estranges merveilles) De tous costez pareil nombre d'oreilles.

Toute la nuict diversement il erre Parmy le ciel, et l'ombre de la terre. Sifflant de l'aile, et son voler dispos Ne sent jamais la douceur du repos, Durant le jour, sur les toicts il se plante, Ou sur les tours : adonc il espouvante Les grand's citez, et d'affermer essaye Autant le faux, que la parole vraye.

Ce monstre alors par le peuple chantoit Ce questoit fait, et ce que fait n'estoit : Estre venu de Troyenne lignée Nouvellement je ne scay quel Enee, Que pour mary a bien daigné choisir Didon la belle : et que d'un long plaisir Passent l'hyver aux presens qu'amour donne, Sans avoir soing de sceptre ny couronne.

Ceste vilaine en tous ceux qu'elle attouche, Espand ainsi le venin de sa bouche : Puis vers le prince Iarbe se retire, Et allumant son cœur d'une grand ire, Emmoncela dedans sa fantaisie Mille fureurs d'ardente jalousie.

Cestuy-ci de la race Ammonide, Qui efforça une Garamantide, Avoit basti en cent provinces amples A Jupiter cent autels et cent temples : Luy consacrant le feu, qui jour et nuict Devant les Dieux éternellement luit :

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Du sang aussi qui des bestes issoit, Le gras pavé du temple rougissoit : Et fut encor en plus de cent couleurs Le soir couvert de chapelets de fleurs.

Luy donc esmeu d'une fureur mortelle Pour le rapport de si triste nouvelle, Par les autels des Dieux, qu'on va priant, A Jupiter s'alloit humiliant, Les yeux au ciel, et à mains renversées Avoit ainsi ses plaintes addressees :

O tout-puissant ! ô Dieu que la gent More Sur les Ucts peints dévotement adore : En repaissant, et te sacrant l'honneur Des saincts presens, dont Bacche est le donneur 1 Voy-tu cecy, ô Père ? ou si tes mains Sont pour néant la crainte des humains ? Donques en vain nos courages s'estonnent Des feux secrets, qui par les nues tonnent?

Une estrangere entre nous abordée, Qui de nouveau une ville a fondée A petit pris : à laquelle en servage Avons donné le sablonneux rivage A labourer : et qui prent accroissance Dessous les loix de nostre obéissance, Nous a laissez, pour se donner en proye, Entre les bras du fugitif de Troye, Et maintenant jouist de nostre bien Ce beau Paris, ce mitre Phrygien, Tout parfumé entre ces demis-hommes : Nous cependant, qui aux prières sommes, Te présentons les mains d'offrandes pleines, Et nous paissons de ces louanges vaines.

Priant ainsi, Jupiter l'entendit, Et tout fasché son regard estendit Sur la cité, ces amans vivoyent, Qui leur bon bruit en oubly mis avoyent, Adonc Mercure à soy venir il mande, Et par tels mots son plaisir luy commande :

Va mon fils, va, esbranle tes aisselles, Huche les vents, coule dessus tes ailes, Et parle ainsi au Duc Dardanien, Qui enfermé du mur Sydonien, Ne songe plus, ny à ses destinées, Ny aux cités pour luy déterminées.

Ce ne sont pas les propos de Venus Que son cher fils m'a naguère tenus, Et pour ceci ne l'a sauvé des armes,

(}2 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

par deux fois, entre les Grecs gendarmes : Ains m'asseuroit, qu'en Italique terre, Grosse d'Empire, et superbe à la guerre, Du sang Troyen le nom replanteroit Qui sous ses loix le monde rangeroit.

S'il a du tout chassé de sa mémoire Si riche espoir, et si pour telle gloire Ne daigne plus faire entreprise nulle, Pourquoy est-il envieux sur Iule, Qui doit jetter aux Italiques plaines Le fondement des fortresses Romaines ? Qu'entreprent-il ou espère parmy Ge peuple ici, qui lui est ennemy ? N'a il plus soin des champs Laviniens, Ny de l'honneur de ses Ausoniens ? Or sus qu'il voise à son premier désir, Et nage tost, car c est nostre plaisir.

Il avoit dict : et le Dieu messager Soudainement fut prompt à desloger. Il noue aux pieds ses riches talonnieres, Qui par le vent de leurs plumes légères Le vont portant à course vagabonde Plus tost sur terre, et plus tost dessus l'onde. 11 prend sa verge : et ceste verge est celle Dont ici haut les ombres il appelle Des tristes lieux, ou bien les y convoyé : Avecques elle en nos yeux il envoyé Ores le somme, et ores le resveil, Ores les clost d'un éternel sommeil : Par elle encor chasse vents et orages Et à son gré traverse les nuages.

Ainsi en poinct, ce messager ailé En peu de temps a tellement volé, Qu'il voit d'Atlas les hauts fllancs, et le feste A qui le ciel repose sur la teste : Le dur Atlas de pins environné, Et dont le chef sans cesse couronné D'obscurs brouillars, est agité souvent De tourbillons, et de pluye et de vent. De neige aussi ses espaules se cachent : De son menton les fiers torrents se laschent Sur sa poitrine : et d'une humeur glacée Sa rube barbe est toujours hérissée.

Droit au sommet du Mauritanien Se va percher l'ailé Cyllenien, Et puis de par grande violence La teste en bas sur les ondes s'eslance :

LE QUATRIÈME LIVRE DE L 'ENÉIDE DE VIRGILE 93

Tel que l'oiseau, qui d'ailes marinières, Nage à l'entour des roches poissonnières, Raze la mer et d'un tour et retour Va ba'-volant des rives tout autour.

Non autrement ce mesager isnel Abandonnant son ayeul maternel, Entre deux airs à basses ailes fend Des Lybiens les sablons, et le vent.

Incontinent que d'une ailée plante Sur le sommet des loges il se plante. Il voit Enee ententif à l'ouvrage, Et des maisons, et des tours de Carthage. Son cymeterre en arc se fléchissant Fut esmaillé de jaspe jaunissant, Et son manteau qui du col devalloit De pourpre esleu par tout estincelloit, Pourpre de Tyr, que d'une main non chiche Avait ouvré cette Princesse riche Pour son Enee, et si avoit encor Entretissu les toiles de fin or.

Lors, dit Mercure, ainsi donc désormais Le fondement de Carthage tu mets : Ainsi te plaist par la main du maçon Elabourer d'une exquise façon, Ta belle ville, ô nouveau marié, Qui as l'honneur de ton règne oublié. Mais cestuy-là qui des Dieux est le père, Dont !e pouvoir ciel et terre tempère, M'a commandé descendre promptemcnt, Et t'apporter par l'air ce mandement ! Que songes-tu ? Ou sur quelle espérance Fais-tu icy tant longue demeurance?

Si pour l'honneur de tant de belles choses, Si pour ton nom entreprendre tu n'oses Aucun labeur, au moins que ta mémoire Regarde Iulle et sa naissante gloire, Dont les neveux seront de main en main Chefs d'Italie et du peuple Romain. Ainsi disant, à mi-parler s'enfuit Et comme vent en l'air s'évanouit.

Mais le Troyen tremblant à ceste fois D'un tel regard perdit courage et voix, De grand horreur son poil se hérissa Et son gosier sa parole pressa. Il est ardent de s'en fuir grande erre Et de laisser ceste tant douce terre : Car son esprit s'estonne grandement

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D'avoir ouy si haut commandement.

Helas comment, ou par quelle finesse Osera il aborder la Princesse En sa fureur? Comment pourra sa langue Se desplier à sa triste harangue : Deçà, delà son penser agité Est d'une part, et de l'autre incité Diversement! et va d'un léger cours Par mille advis et par mille discours. Finablement ses balancez esprits A ce conseil, pour le mieux se sont pris.

Soudainement, il appelle Meneste, Le fort Cloante, et encore Sergeste : Leur commanda les vaisseaux apprester, Les compaignons sur le port arrester, Cou vertement trousser tout le voyage, Et de tenir secret le navigage.

Luy, cependant que la Princesse humaine De ses amours se tiendra plus certaine, Tentera l'heure, et le temps plus dispos, Pour entamer un si triste propos Ainsi commande, et eux, qui furent prests, Joyeusement dressent tous leurs apprests.

Mais la Princesse (et qui peut décevoir Un cœur aimant) alla soudain prévoir Toute la ruse, et première s'avise Subtilement du fait de l'entreprise. Du plus certain elle est toujours douteuse, Rien ne l'asseure : et la famé impiteuse Luy va conter que la fuite se dresse.

La Royne adonq' que la fureur oppresse, Pauvre d'esprit, s'en va courant les rues Telle qu'on voit les Thyades esmeuës Lorsque le jour de Bacche on renouvelle, Et que de nuict Citheron les appelle. Finalement Enee ell' devança, Et par tels mots ses plaintes commença :

O desloyal ! as-tu bien projette En ton esprit si grand' méchanceté, Que de vouloir d'une parjure foy Subtilement te desrobber de moy ? Donq' ny l'amour, ny la dextre donnée Ny ta Didon à la mort condamnée Ne t'ont esmeu? mesmes tu veux parmi Les Aquilons et sous l'astre ennemi Hausser la voile. Et quoy? homme léger, Si une terre, et un peuple estranger

LE QUATRIEME LIVRE DE L ENEIDE DE VIRGILE 95

Tu ne cherchois, et si l'antique Troye

Des Grecs soldats n'eust point esté la proye,

Troye pourtant seroit-elle cherchée

Parmi les flots d'une mer si faschee ?

Me fuis-tu donq ? par ces pleurs, et ta dextre,

(Puis qu'autre chose en moy plus ne peut estre)

Par nostre Hymen et si quelque plaisir

Contenta onq' ton amoureux désir,

Regarde, helas, ceste pauvre maison :

Et si vers toy encor' est de saison

Quelque prier, je te prie et supplie,

Que ton esprit ceste pensée oublie.

Pour toy je fuis aux Libyques provinces Faite hayneuse et aux Nomades princes : Pour toy aussi le Tyrien m'honore Moins que devant : et pour toy-mesme encore Est aboly cest honneur et ce nom, Qui esgaloit aux astres mon renom, Helas à qui, pour me donner confort, Me laisses-tu si proche de la mort ? O l'hoste mien, puis que ta vaine foy Ne m'a laissé quelque autre nom de toy, Quattens-je plus ? que mon cruel Germain Ceste cité saccage de sa main ? Ou que je sois en triomphe ravie ? Au prince Iarbe esclave et asservie? Si j'eusse au moins de toy quelque lignée Avant ta fuite : et qu'un petit Enee Joiiast à moy, dont seulement la grâce Me rapportast quelques traits de ta face, Vraymenl encor' du tout en ma pensée Je ne serois captive, ni laissée.

Elle avoit dit: mais luy epoinçonné Du mandement par Juppiter donné, Regardoit ferme, et domter srefforçoit Secrettement le mal, qui le pressoit. Finalement, sa response fut telle En peu de mots : O Royne tu es celle Dont tant de biens que tu m'as ramentus Jamais de moy ne pourront estre teus : De moy par qui la mémoire d'Elize En nonchaloir ne se verra point mise, Tant que mon cœur de moy se souviendra, Et que mon ame en mon corps se tiendra, Tant seulement un peu je parleray De ce qui s'offre. Oncques je n'esperay Par une fuite eschapper hors d'ici,

q6 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Et ne faut point que tu la nomme ainsi. De mariage onq' propos n"ay tenu, Et pour cela ne suis-je ici venu.

Si les destins vouloyent qu'à mon plaisir Je puisse vivre et suivre mon desir3 J'habiterois la ville sont enclos De mes ayeux les cendres et les os : Du Roy Priam, la demeure superbe N'eust demeuré si longuement sous l'herbe, Et, eusse encor aux vaincus Phrygiens Rédifié les Pergames Troyens.

Mais Appollon Grynéan me commande De faire voile en l'Italie grande : C'est son oracle, et le fort Lycien Veut que j'abborde au port Ausonien : Voilà mon bien, voilà mon héritage.

Si tant te plaist la cité de Carthage, Bien qu'elle soit en terre Lybienne, Et que tu sois de gent Phénicienne, Dea que te chaut, si par nous est unie Au sang Troyen la race dAusonie ? On ne doit pas donques nous reprocher Si nous voulons terre estrange chercher. Toutes les fois que la nuict froide et sombre Ce bas séjour couvre d'une obscure ombre, Toutes les fois que les astres bruslans Jettent sur nous les yeux estincelans : L'esprit troublé de mon cher père Anchise

En mon dormant haste mon entreprise. Ascagne aussi, que je prive d'Itale, Son vray domaine et p'rovince fatale, Me touche au cœur et toujours m'admoneste L'affection d'une si rhere teste.

Naguère encore le truchement des cieux Transmis vers moy par le père des Dieux, (Et l'un et l'autre à tesmoin j'en appelle) M'en a par l'air apporté la nouvelle Jusques ici : sa mesme déité, Lorsqu'il entra dedans ceste cité, Visiblement à mes yeux se monstra Et sa parolle en mon oreille entra. Or cesse donq' par si fort lamenter De toy et moy ensemble tourmenter. Pour mon plaisir certes je ne desplie La voile au vent, à suivre l'Italie.

Parlant ainsi, elle qui de travers Le souguignoit d'un pensement divers

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Tourne sur luy ses yeux deçà delà, Puis en fureur finalement parla:

Tu n'es point d'une déesse mère, Quiconques fois, et Dardan le grand-pere Onques ne fut de ton lignage auteur, O desloyal, et parjure menteur ! Mais bien Caucaze en quelque roche dure, A qui tu es semblable de nature, T'a engendré : et croy que ta jeunesse Suçça le laict d'une hyrcane tygresse.

Que fein-je plus ? ou qu'elle plus grand chose Demeure encor' en ma pensée enclose ? Voyez s'il a gémi de vostre dueil, Voyez s'il a seulement fléchi l'œil, S'il a pleuré, ou s'il a pris pitié De la fureur d'une telle amitié. Que doy-je donq1 eslirc pour le mieux? Desja, desja de pitoyables yeux Ne daisgnes plus considérer ceci Junon la grand' ny Juppiter aussi.

La foy n'est plus en ce monde asseuree. Dedans mon port, ô pauvre malheuree, Je l'ai receu errant et misérable, Luy faisant part de mon sceptre honorable ; Je l'ay logé, et du péril des eaux J'ay garenti ses hommes et vaisseaux. O la fureur d'une bruslante rage, Qui maintenant transporte mon courage ! Voici les forts, voici Phœbus l'augure, Voici après l'ambassadeur Mercure, Qui parmi l'air apporte à ceste fois De Juppiter Tespouvantable voix. Donques les Dieux volontiers ont besoin De ce labeur c'est volontiers le soin Qui de leur aise empesche le repos: Va, je ne veux destourner ton propos: Suy l'Italie, et par flots et dangers Cherche l'honneur des règnes estrangers.

T'espère bien, si la bonté divine Au juste dueil de mes plaintes s'incline, Que les rochers et ondes irritées Seront un jour tes peines méritées, Et que souvent tu nommeras Didon, Je te suivrai par le fumeux brandon De tes fureurs, et puis quand la mort froide Aura ce corps estendu pasle et roide,

ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Mon ombre cncor te suivra pas à pas. J'orray ta plainte, et sous les enfers bas Viendra le bruit de ta peine endurée Pour le forfait de ta foy parjurée.

Apres ces mots, d'un despit et grand'ire, Elle s'arreste au milieu de son dire, Fuit la présence et la clarté du jour, Et se retire en son privé séjour : Laissant celuy que la peur faisoit taire, Et qui vouloit mainte excuse luy faire. Elle se pasme, et ses membres faillis Sont par les mains des femmes recueillis, Puis tout soudain mollement on l'incline Sur les tapis de sa chambre marbrine.

Mais ce pendant, le bon prince Troyen, Bien qu'il cerchast volontiers le moyen De l'addoucir, et par quelque parler Humainement sa plainte consoler, Pour la grandeur de l'amour qui l'estraint Le veuil des Dieux toutesfois le contraint De la laisser, et se tirer au port les Troyens arrangent bort à bort Les grands vaisseaux. La nef regouldronnee Aux ondes se sent abandonnée. Vous les voirriez apporter des forests, Troncs et rameaux, vous les voirriez après Hors la cité courir à grande suite : Si fort les poingt le désir de la fuite.

On voit ainsi les formis voyager, Pour un grand cas de forment saccager, Lorsque le soin de l'hiver qui s'appreste Les a contraints de se jetter en queste. Le noir trouppeau par les champs se présente Les uns par l'herbe et par estroite fente Portent leur proye, et les autres moins forts A la pousser mettent tous leurs efforts, Hastent ceux-ci et assemblent ceux-là, Tout le chemin en fume çà et là.

Quel esprit lors, Didon, te demeura, Ou quels sanglots ton coeur en souspira, Quand ton œil vid du sommet d'une tour L'cspez sablon, poudroyer à l'entour De ton rivage, et la mer se mesler Par le grand bruit qui s'eslevoit en l'air ? Meschant Amour, ô que ta force est grande Sur les esprits ton pouvoir commande !

LE QUATRIÈME LIVRE DE L ENEIDE DE VIRGILE 99

Elle est encor' de descendre contrainte En nouveaux pleurs et nouvelle complainte, Pour amollir cest amour endurci, Et veut encor se mettre à sa merci: A cette fin, que rien ne luy demeure A essayer, puisqu'il faut qu'elle meure.

Anne, tu vois la fuite s'avancer, Tu vois au mast la voile se hausser, Chacun s'appreste, et les gayes trouppes Des mariniers ont couronné les pouppes. Si j'ay bien peu ce grand dueil espérer, Je pourroy bien, chère sœur, l'endurer, Et toutesfois je te supply de grâce, Que ta pitié ce seul plaisir me face. Car toy sans plus le traistre caressoit, Et ses peu sers plus secrets t'addressoit : Toy seule encur sçavois l'heure opportune De l'abborder, sans luy estre importune. Va donc, ma sœur, ceste requeste faire A ce hautain et superbe adversaire, Au port d'Aulide, avec les grecs gendarmes, Je n'ay juré de ruiner par des armes Les murs Troyens, et n'y ay pas transmis A ceste fin mes vaisseaux ennemis: D'Anchise aussi par fureur aveuglée Je n'ay la cendre en l'air esparpillee. Pourquoy est donc cest homme impitoyable A mes priers si dur et mal ployable ? Qu'il donne au moins, pour un ample guerdon, A ceste amante un extrême et seul don : Attends un peu, que la mer appaisee Luy ait rendu sa fuite plus aisée.

Je ne luy veux du nossage parler, Qu'il a osé laschement violer. Et ne quiers pas qu'avec nous il s'allie, Pour se priver de la belle Italie: De requérir sans plus je suis contente Le vain plaisir de quelque bresve attente. Attende donc que mon triste malheur Ait converti ma furie en douleur, Et que le temps m'ait appris la science De me vouloir avecques patience: Voilà, ma sœur, l'extrême et le seul bien, Que je requiers, et dont, si je l'obtien, Je ne faudray à bien te satisfaire, Et deust ma vie en estre le salaire.

ŒUVRES COMPLÈTES .DE J. DU BELLAY

Ainsi Didon ses prières faisoit: Et tous ces pleurs disoit et redisoit La triste sœur : mais l'oreille d'Enee Se fait toujours plus sourde et obstinée: Car son destin et Juppiter vainqueur Ont endurci la pitié de son cœur. Et tout ainsi que les frères du Xort, Alors qu'ils font d'arracher leur effort, Comme à l'envy, par souflers excessifs, Un chesne vieil sur les Alpes assis, Croulent son tronc d'une horrible menace, Et de fueillars pavent toute la place, Luy ce pendant, qui la faveur soustient. Dessus un roc immobile se tient. Et vers le ciel autant sa teste dresse Comme aux enfers sa racine il abbaisse.

Non autrement par importunes larmes Ce grand seigneur soutient divers alarmes, Deçà, de là, et son grave souci Presse au dedans un regret addouci. Le cœur est ferme, et les pleurs espandus Coulent en vain, sans profit despendus.

Ores, Oidon, la pauvre malheureuse, Par les destins horriblement peureuse, Requiert la mort, et luy est ennuyeux De regarder la grand'route des cieux. Et ce qui fait qu'elle a plus grand'envie D'abandonner ceste commune vie, C'est qu'en offrant les dons accoutumez Sur les autels maintenant parfumez, Elle apperçoit, ô chose horrible à croire ! L'eau consacrée estre de couleur noire: Et voit encor' que les vins espanchez De sang meurtri sont noircis et tachez. Elle sans plus s'apperçoit de cela Qu'à sa sœur mesme onques ne révéla.

Un autre signe encor' l'espouvantait : C'est qu'au dedans de son palais estoit A son mari antique dédié Un temple saint de marbre édifié, Qu'elle honoroit de toisons blanchissantes, Et l'ombrageoit de feuilles verdissantes : D-e sortoyent je ne sais quelles voix Et luy sembloit entendre quelquefois De son mari la voix, qui l'appelloit Lorsque la nuict du ciel se devalloit.

LE QUATRIEME LIVRE DE L ENEIDE DE VIRGILE

Eli5 oit encor" sur le haut du repaire Se lamenter le hibou solitaire, Et au milieu des nocturnes ténèbres Trainer en long ses complaintes funèbres, Puis des Devins les responses terribles De plus en plus par menaces horribles L'espouvantoyent : et quand il anuitoit Le fier Enee en songe l'agitcit. Tousjours luy semble estre seule csgaree En son dormant: et des siens séparée Par longs sentiers cercher à grande peine Ses Tyriens en la déserte plaine.

Comme Pantiier, alors que son erreur Voit des fureurs l'espouvantable horreur En un troupeau, et qu'à ses yeux il semble Voir deux soleils et deux Thèbes ensemble. Ou tel qu'on voit le fils d'Agamennon, Qui maint théâtre a rempli de son nom, Alors qu'il fuit de sa mère enflammée Les noirs serpens et la torche allumée, Et qu'à sa porte est assise sans cesse De trois fureurs la bande vengeresse.

Doncques, après qu'elle a conceu la rage Et arresté la mort en son courage. Elle discourt et le temps et la forme D'exécuter ce conseil tant énorme : Comme son cœur sous un visage feint, Et serenant son front d'un nouveau teint, Par un espoir, qu'au dehors elle porte, Sa triste sœur abborde en telle sorte:

J'ay descouvert (resjouys toy, ma sœur, Avecques moy) un moyen prompt et seur Pour ce cruel à mon amour attraire, Ou pour du tout de l'amour me distraire. Près du rivage, le tombant soleil A chef courbé se retrouve au sommeil, Une gent More aux derniers lieux se tient, Atlas le porte-ciel soutient L'ardent esseuil, sur lequel va roulant Des astres clairs le chariot bruslant. De là, j'ay veu une vieille prestresse Massilienne, habile enchanteresse, Garde du temple aux Hesperides sœurs, Qui du miel espandant les douceurs. Et les pavots, qui vont les yeux charmant, Souloit nourrir le dragon non dormant:

ŒUVRES COMPLETES DE J. DU BELLAY

Et si gardoit sur les branches sacrées

Le riche honneur de leurs pommes dorées.

Elle promet par ses vers enchantez Rendre les cœurs de l'amour tourmentez, Ou deslier les captives pensées Qui de l'amour se trouvent offensées ; Arrester court des fleuves la carrière, Et destourner les astres en arrière. Tu luy verras, par ses vers murmurez, Tirer de nuict les esprits conjurez, Mugler sous toy les tremblantes campagnes. Et devaller les fresnes des montagnes. Par tous nos Dieux sainctement je t'asseure, O chère sœur, qu'outre ma conscience, De l'art magiq' je fay l'expérience.

Toy, sans mot dire, au lieu le moins ouvert De ce palais, £ay moi au descouvert Dresser en poincte un grand amas de bois, Et met dessus les armes qu'autrefois Près de mon lict laissa ce desloyal. Les vestemens et le' lict nuptial Par qui je meurs, car la prestresse veut Que tout cela, qui représenter peut Le souvenir de cest homme cruel. Soit effacé d'oubli perpétuel. Elle se teut : et sa coulpable audace En mesme instant luy fait paslir la face. Anne pourtant ne croit que la Princesse De son trespas le sacrifice dresse, Ou qu'elle soit maintenant plus faschee Qu'auparavant par la mort de Sichee, Elle ne peut en son cour concevoir Si grand fureur: parquoy fait son devoir D'exécuter ce qui luy est enjoinct. Mais quand Didon, qui entendoit le poinct. Secrettement voit la pile dressée De bois gommeux, et d'yeuse entassée, De chapelets le lieu elle environne Et de rameaux de cyprez le couronne. Apres, elle a sur le lict agencé Les vestemens, et le glaive laissé, Avec l'image et le portrait d'Enee : Toute la place est d'autels entournee. Alors Didon, la pjrestresse nouvelle, Bien trois cens Dieux à haute voix appelle, Eschevelee. et par horribles mots

LE QUATRIEME LIVRE DE L ENEIDE DE VIRGILE 10^

Invoque aussi l'Erebe, et le Chaos. Puis d'Hecaté trois fois jumelle encore Dévotement les trois fronts elle adore, En espanchant quelques eaux desguisees, Qu'ell' feint d'Averne avoir esté puisées, Et puis on va, pour la faire bouillir, L'herbe nouvelle à la lune cueillir, Avec le suc du noir venin terrible. On cerche aussi ceste apostume horrible Que des chevaux les mères vont suççant Dessus ie front de leur poulain naissant.

Elle tenant la tourte en sa main pure, L'un des pieds nud, la robe sans ceinture, Va protestant à l'entour des autels Les feux du ciel et les Dieux immortels, Coulpables seuls du triste sacrifice: Et s'il y a au ciel quelque justice, Qui des amants maltraitez ait le soin, Didon encor' l'en appelle à témoin.

Il estoit nuict, et les membres lassez D'un plaisant somme estoyent tous embrassez : Sans bruit estoyent les plaines et les bois, Et sur la mer paisible à ceste fois. C'estoit au poinct que la nuit voilée Tient le milieu de sa course estoilee, Quand sur la terre, en l'air et sur les eaux, Bestes des champs, et poissons, et oiseaux, Ensevelis d'un sommeil addouci Charment du jour le travail et souci:

Mais non Didon, la triste infortunée, Qui des regrets sans cesse importunée, Ne sent jamais glisser dedans ses yeux, Ny en son cœur le doux présent des cieux. Son mal redouble ; et son feu renaissant Se fait toujours plus superbe et puissant. De son courroux, la chaleur tressaillante Fait ondoyer sa poitrine bouillante, Et en son cour, sans loisir, ny repos, Va retournant tous ces divers propos.

Las, que fery-je, ô moy pauvre laissée ! Doy-je cercher ceux qui m'ont pourchassée ? Et requérir les Xomades maris, Qu'auparavant j'ay tant mis à mespris ? Sauroy-je donçq le Troyen partement Esclave, et serve à leur commandement ? Pource qu'ils ont amplement guerdonné

104 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Le bon secours, que je leur ay donné,

Et que jamais, par un ingrat vouloir

Nos vieux bien-faits n'ont mis en nonchaloir.

Mais qui voudra (feins que je le désire) Me recevoir compagne en sa navire ? Permettront bien ceux- qui m'ont mocquee, Qu'avecques eux je puisse estre embarquée ? Ne connois-tu encor foie Didon Le traistre sang du fin Laomedon ? Eh bien pourtant, seule par tant de flots, Suivray-je doncq' les joyeux matelots ? Ou si j'auray, avec toute ma suite, Les Tyriens compagnons de ma fuite ? Ceux que j'ay doncq' arrachez à grand'peine Hors de Sydon, faut-il que je les meine Avecqucs moi, esprouver si souvent La cruauté des ondes et du vent ? Meurs plus tost, meurs, digne de ce malheur, Et par le fer destourne ta douleur.

O chère sieur, qui mes pleurs ont troublée, Par toy je suis premièrement comblée De tant d'ennuis: c'est toy, par qui ma vie A ce cruel fut premier asservie. Que n'ay-je peu, comme les animaux, Vivre seulette, exempte de ces maux ? Je n'eusse pas telle faute commise, Et eusse mieux gardé la foy promise A mon Sichee. Ainsi en ces secrets Didon alloit sanglotant ses regrets.

Enee adoncq' en une haute nef Au doux repos avait courbé le chef, Ayant dressé, pour nager promptement, Tout l'appareil de son embarquement.

Voici le Dieu sous un mesme visage Qui luy redouble encores ce message. Mercure estoit en cestui-ci dépeint, Il en avoit la parole et le teint, La belle taille, et la frizure blesme De ses cheveux ; c'estoit Mercure mesme.

Fils de Déesse, en quelle seureté Es-tu ici au dormir arresté Si longuement ? Ne vois-tu point encores Les grands dangers qui t'environnent ores, Fol que tu es ? N'ois tu point les Zephires Heureusement appeler tes navires ? Elle, qui de la mort est certaine,

LE QUATRIEME LIVRE DE L ENEIDE DE VIRGILE

D'horrible et grand je ne sçay quoi demaine En son courage, et son ire enflammée Fait reflotter sa poitrine allumée. Xe fuis-tu doncq' hastivement d'ici, Or' que tu as le moyen de ceci ? Tu verras tost par force de ramer Autour de toy blanchir toute la mer: Et sur le port les torches flamboyantes Estinceler à poinctes ondoyantes De tous costez, si jusqu'au poinct du jour Tu fais encor' en ses terres séjour. Courage doncq', fuy d'une course agile : Toujours la femme est légère et fragile.

Ainsi parlant, l'image de Mercure S'entremesla parmi la nuict obscure ; Enee alors, du songe émerveillé, S'est en surface de grand'peur éveillé, Huche ses gens, les incite et les presse.

Debout, enfans, rompez toute paresse, Ne dormez plus sur ce rivage estrange, Et que chacun parmi les bancs se range: Guindez au roast, voici encor' le Dieu, Qui nous incite à partir de ce lieu, A destacher le tortueux cordage Et à donner la voile au navigage.

Nous te suyvons, quiconques fois des D'eux Et derechef avec un cœur joyeux T'obeissons : sois-nous doncq secourable, Et nous esclaire un astre favorable, O Dieu bénin. Enee en ce disant Va desgainer son glaive reluisant : Et tout soudain par un revers, qu'il tire, Tranche le chable, tenoit le navire.

Pareille ardeur tous les autres incite, Un chacun d'eux la fuite précipite, Qui çà, qui : les rives sont désertes, Et de vaisseaux les ondes sont couvertes. Les matelots à suite mesurée Raclent le dos de la plaine azurée, Et renversez à force d'aviron Font bouillonner l'escume à l'environ.

C'estoit au poinct, que l'aurore laissante Du nouveau jour la première clarté : Avait desjà sur la terre escarté Du nouveau jour la première clarté : Incontinent que par une fenestre

j06 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

La triste Royne apercent le jour naistre,

Et qu'elle a veu les Troyennes gallees

Cingler bien loin à voiles égalées.

Le havre vuide, et le prochain rivage

Sans mariniers, tout désert et sauvage :

Elle arracha l'honneur blond de sa teste,

Et en frappant son estomac honneste

Trois, quatre fois, d'une fureur mortelle

Va s'escrier, par Juppiter (dit-elle)

Doncques ainsi s'en ira sans danger

Ce desloyal et moqueur estranger?

Ne courront point mes armes, citoyens ?

Nïront-ils point saccager ces Troyens

En leurs vaisseaux ? Sus, sus, portez les flammes

Haussez la voile, aller tirer aux rames.

Que dis-je ? suis-je ? O moy foie insensée ! Quelle fureur a troublé ma pensée? Pauvre Didon, voici ton cruel sort, Qui maintenant te prononce la mort. La mort alors t'eust bien esté grand heur, Quand tu soumis ta royale grandeur A ce meschant : c'est la dextre, et la foy De cestui-là, qui porte avecques soy Ses Dieux privez, et qui se donne loz D'avoir porté son vieil père à son dos. Que n'ay-je doncq ses membres detranchez ? Que ne les aiy-je en la mer espanchez ? Tué ses gens ? et pour mieux me vanger, Que ne luy ay-je Ascaigne fait manger ? Mais du combat le fort douteux estoit. Eh bien pourtant ? de qui s'espouvantoit Mon cœur desjà de mourir appresté ? J'eusse le feu dans les tentes porté, Et dans les nefs j'eusse esteint fils et père. Toute la race et famille estrangere Dedans le feu j'eusse précipitée Et puis dessus je me fussse jettee.

Soleil qui vois à toutes choses humaines, Et toy Junon coulpable de mes peines : Toy Hecaté par les cantons huilée Quand dessus nous la nuict est devallee: Rages d'enfer, que la vengeance attize, Et vous les Dieux de la mourante Elize, Je vous suppli, que mon deuil vous incite A la pitié, que mon malheur mérite, Oyez ceci, et recevez mes plaintes.

LE QUATRIÈME LIVRE DE L ENEIDE DE VIRGILE

S'il est requis les rives estre attaintes Par ce meschant, si Jupiter le veut, Qu'il soit ainsi, puisqu'autrement ne peut : Mais je vous pry que ce malicieux Soit guerroyé d'un peuple audacieux : Qu'il soit banni, et que finablement Soit arraché du doux accolement De son Iule, et que la mort cruelle De ses plus chers lui soit continuelle, Yoise au secours, et après s'estre mis Dessous les loix de ses fiers ennemis, Jamais ne soit ni son spectre apeuré. Ni du plaisir du jour tant désiré : Mais bien sa mort devance la nature, Et soit privé de toute sépulture, Ceci je prie, et avecques mon sang Ces derniers mots je pousse hors du flanc.

Vous Tyriens, ayez en souvenir D'exercer haine et guerre à l'advenir Sur les neveux d'un tel sang demourez, Et de ce don mes cendres honorez. Nulle amitié entre vous puisse naistre. Sors de nos os toy, qûiconques dois estre Nostre vangeur, et t'oblige par vœu De guerroyer et par fer et par feu Les successeurs de la race Troyenne, Or à jamais, en quelque temps que vienne Xostre pouvoir l'un avec l'autre estrive, Plot contre flot, et rive contre rive, Camp contre camp, alarmes contre alarmes, Et tousjours soyent les deux peuples en armes.

Après ces mots, son vagabond esprit A tournoyer de tous costez se prit Diversement, et sans cesse taschoit A se priver du jour, qui luy faschoit. Adonq'elle a promptement depesché Barce, qui fut nourrice de Siché, Car elle avoit en sa terre ancienne Laissé les os et cendres de la sienne : Fay venir Anne, ô ma nourrice chère! Di qu'ell' s'arrouse avec eau de rivière : Ameine aussi les offrandes monstrees, Et les brebis à l'autel consacréees. Toy mesme fay que ta teste soit ceincte Dévotement d'une templette saincte Depesché donc : parachever je veux

X08 ŒUVRES COMPLETES DE J. DU BELLAY

Au Dieu d'enfer me bien commencez vœux, Oster mon cœur de ce fascheux lieu, Et mettre au feu l'amour Dardanien. Parlant ainsi, Barce qui s'apprestoit D'un pas vieillard son allure hastoit.

Mais ce pendant, Didon fiere et terrible Pour le remors de son conseil horrible Tournant de 5 yeux la prunelle sanglante De çà, de : et sa joue tremblante Entretachee avec pasle couleur, Signe mortel de son prochain malheur, Aux lieux secrets entre par violence, Et en fureur sur la pile s'eslance : le Troyen glaive elle a des-gaîné, Qui ne fut pas à telle fin donné. Puis avoir veu les Troyens vestemens, Et de son lict les cogneus ornemens. Toute esplorée, et lente sur la couche, Ces derniers mots fit sortir de sa bouche :

Douce despouille, alors qu'il fut permis Par les Destins, et par les Dieux amis, Recoy ceste ame, et de tant de souci Deslie moy, j'ay vescu jusqu'ici, Et de mes ans le cours ay révolu Tel que Fortune ordonner l'a voulu. Ores de moy la grand'idole errante Sera bien tost sous la terre courante. Une cité j'ay fondé de ma main, J'ay veu mes murs : j'ai dessus mon germain Vangé le sang, et la mort douloureuse De mon mary : heureuse, ô trop heureuse, Si des Troyens les navires fuitives N'eussent jamais abordé sur nos rives.

Ainsi parla : et sur la couche aimée Ayant les yeux et la bouche imprimée Mourrons nous donq d'une mort si cruelle Sans nous vanger? Mais mourons (ce dist-elle) Ainsi, ainsi il me plaist de mourir, Et promptement sous les ombres courir. Ce fier Troyen bien loin dedans la mer Voye le feu, qui me va consumer : Et porte encor' avec toute sa trouppe De nostre mort le plaisir et la coulpc.

Elle avoit dit : et ses femmes l'ont veuë Parmy ces mots sur le fer estenduë. Les bras espars, et le glaive escumeux

LE QUATRIÈME LIVRE DE l'enÉIDE DE VIRGILE 109

Rouge du sang bouillonnant et fumeux.

Une ,clame,ur confusément meslee

Jusqu'aux plus hauts estages est volée

En esclattant : et le bruit excité,

Court en fureur par toute la cité.

Les hullements des femmes gémissantes

Hurtent le toict des maisons frémissantes :

Et du haut cry, qui par la ville tonne,

La terre en tremble, et le ciel en resonne :

Non autrement que si les ennemis

Estoyent en Tyr, ou en Carthagemis,

Et que le feu tournoyast furieux

Par les maisons des hommes et des Dieux.

Voicy la sœur de son sens desvoyee, Du soudain cœur, et du bruit effrayée: Que son visage aux ongles violant, Et sa poitrine à coups de poing foulant Par le milieu se rue pesle-mesle, Et de bien loin Didon mourante appelle :

Avois-tu donq, telle fraude conceuë, O chère sœur ! m'as-tu ainsi deceuë ? Ce feu, ce bois, ces beaux autels secrets Me dressoyent-iis tant de pleurs et regrets ? Dequoy premier me plaindray-je de toy ? N'as-tu daigné t'accompagner de moy, Qui suis ta sœur ? ta vie exterminée M'eust appelé à mesme destinée. Mesme douleur, mesme fer et trespas Et l'une et l'autre eust envoyé là-bas.

Avoy-je donc huche à plaine voix Nos Dieux de Tyr ? avoy-je tant de bois Avec ces mains en un monceau réduits, Pour te laisser ? cruelle que je suis, mort, ô sœur, en ruine délaissée Moy, ta cité, ton peuple, et ta noblesse, Donnez de l'eau, je laveray la playe : Et si encor' le cœur mouvant essaye De hallener, ma bouche mettra peine D'en recueillir la défaillante halem".

Ainsi parlant sur le haut se transporte Et rechauffant sa sœur à demy-morte Entre ses bras, d'un Ion gémissement Le sang meurtry dessechoit doucement. Didon encor voulut dresser en haut Les yeux mourans : mais l'esprit lui défaut Et de son cœur la playe trop voisine

1IO ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

En eslançant luy pince la poitrine. Trois fois son bras sous elle se courba, Et par trois fois sur le lit retomba. Elle a cerché d'une errante paupière De nostre jour la tant douce lumière, La veuë au ciel bassement eslevee Puis a gemy après l'avoir trouvée

Voyant cecy Junon la tout'puissante Prenant pitié de ceste languissante, Transmit du ciel Iris, pour jetter hors L'esprit rebelle attaché dans ce corps : Car pour autant que de mort naturelle Ne perissoit, mais par fureur nouvelle, Devant ses jours, la Royne du bas monde N'avoit couppé sa chevelure blonde, Et à l'enfer de styx environné Son chef encor' n'avait point condamne. Donques Iris aux ailes rougissantes Traînant au ciel mille couleurs naissantes Par les rayons de la flamme opposée, D'un lointain vol sur le chef s'est posée. Ce triste vœu de par Junon la grande Au Dieu d'enfer je porte pour offrande : Te séparant d'avec ce corps humain. EU' parle ainsi : puis de sa dextre main Tranche le poil, la chaleur s'avalla Et l'ame au vent parmy l'air s'en alla.

FIN DU QUATRIÈME LIVRE DE L'ENÉIDE DE VIRGILE

COMPLAINTE

DE DIDON A ENEE

PRINSE D OVIDE

Comme l'oyseau blanchissant

Languissant Parmy l'herbette nouvelle. Chante l'hymne de sa mort

Qui au bord Du doux Méandre l'appelle.

Sans espoir de te pouvoir

Esmouvoir, Mes complaintes je resveille : Car aux ingrates douleurs

De mes pleurs Les Dieux font la sourde oreille.

Mais ayant perdu l'honneur

Du bon-heur, Que la chasteté mérite, De perdre encor' mes escrits

Et mes cris C'est une perte petite.

Tu veux tes voiles hausser,

Et laisser Didon que l'amour affolle, Les vents qui t'emporteront

Souffleront Tes voiles, et ta parole.

Tu veux deslier aux eaux

Tes vaisseaux Et ce qui vers moy te lie ; Suivant par flots estrangers

Les dangers De l'incogneuë Italie.

ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

De Carthage ne te chaut,

Qui si haut Commence à dresser la teste, Tu cerches ce qui est loin,

Et n'as soin De ta prochaine conqueste.

Le bien asseuré tu fuis,

Et poursuis Une incertaine entreprise, Autre terre est ton soucy,

Ceste-cy Test sans nulle peine acquise.

Et quand tu parviendrais,

Par quels droits En auras-tu jouissance : Comment pourra l'estranger

Se ranger Dessous ton obéissance ?

Il reste une autre Didon

Pour guerdon D'une autre amour commencée, Il te reste une autre foy,

Qui par toy Puisse encor' estre faussée.

Quand auras-tu, ô Troyen

Le moyen De fonder une Carthage : Quand verras-tu d'une tour

Tout autour, L'honneur d'un tel héritage:

Et quand bien tout seroit fait

A souhait Selon l'entreprise tienne, Quelle femme en amitié

A moitié approchera de la mienne ?

Comme le tizon gommeux

Tout fumeux De soufre et de cire ardente, Je me consume : et l'amour

Nuict et jour Mon Enee me présente.

COMrLAlNIE DE D1DON A ENEE l 13

V'ray est, qu'il est entaché

Du péché D'une ingrate conscience : Et tel, si foie n'estoy,

Que devroy En éviter l'alliance.

Mon cœur pourtant le reçoit,

Bien qu'il soit Vers moy de mauvais courage, Mon amour fait plus d'effort,

Quand plus fort Je me plains de son outrage.

Venus, donne-moy le don

De pardon, Qui suis de ton fils compaigne : Et toy aussi, jeune archer

Fay marcher Ton frère sous ton enseigne.

Ou moy qui ne trouve amer

L'art d'aymer : Celuy qui me fait amante, Qu'il me donne seulement

Argument D'aymer ce qui me tormente.

Je me trompe : et cestui-cy

Vante ainsi Faussement son haut lignage: Car son cœur ne porte point

D'un seul poinct De sa mère tesmoignage.

Les pierres, les monts, les bois,

Que tu vois Sur hauts rocs prendre accroissance, Et les animaux plus fiers

Volontiers Sont auteurs de ta naissance.

Ou cest-e mer, que souvent

Par le vent Ores tu vois agitée Et dont ton audace enror

Ne craint or' La violence irritée.

,14 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Ou fuis-tu? voici 1 hyver

Arriver, L'hyver me soit favorable. Oy le bruit, que les vents font

Jusqu'au fond De la mer inexorable.

Redevable laisse moy

Non à toy, (Ce que pourtant je demande) Mais aux ondes, et au temps

Dont j'attens Une humanité plus grande.

Je ne suis de si haut pris

(Ce mespris Plus superbe ne te face) Que doyves pour m'eviter,

Te jetter Au danger qui te menace,

Tu nourris une rancœur

En ton cœur Vrayment précieuse et chère Si pour de moy t'estraugteï

Le danger De mort t'est peine légère.

Les vents, qui tost cesseront

Laisseront D'une carrière asseuree. Le verd Triton galopper.

Et coupper Le dos de l'onde azurée.

O que ton cœur endurci

Peust ainsi Adoucir un peu son marbre ! Je croy qu'il s'addoucira,

Ou sera Plus dur que le cœur d'un arbie.

Quoy, si cognu tu n'avois

Mille fois De la mer l'impatience Veux-tu à ce monstre fier

Te fier Après telle expérience ?

COMPLAINTE DE DIDON A ENEE 11$

Et quand Neptune appaisé

plus aizé Se promettroit à la fuite, Sur l'eau mille autres malheurs

De douleurs Traînent une longue suite.

Celuy qui a parjuré

Asseuré Dessus la mer ne doit estre : La mer doit estre la peur

Du trompeur Qui a démenti sa dextre.

Mesme ayant ozé fascher

L'enfant cher De Venus : car Cytheree Qui sur les eaux a crédit

Comme on dit, Est fille de la marée.

Je crains nuire à qui me nuit:

Et destruit Ne veux voir qui m'a destruite, J'ay peur que mon ennemi

Soit parmi Les flots de la mer despite.

Yy, je te pri', car mes yeux

Ayment mieux Pour la seule absence tienne, Que pour ta mort faire dueil,

Toy donq seul Seras cause de la mienne.

Feins (Dieu t'en gard'toutefois)

Que tu sois Surpris d'un soudain orage : Quel esprit te demourra

Que dira Le secret de ton courage ?

Tu viendras à resentir

Le mentir De ton parjure artifice : Et Didon qu'aura desfait

Le forfait De la Troyenne malice.

H5 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Mille furieux remors

Viendront lors Représenter à ta veuë Les cheveux s'esparpillans

Et sanglans De ton épouse deceuë.

J'ay par mon iniquité

Mérité Tout ceci, et la empeste Dont ce navire est batu

(Diras-tu) Ne menace que ma teste.

Donne espace à la rigueur

De ton cœur, Et de la mer violente Ton cours, qui seur se fera

Ce sera L'usure de ton attente.

Ne prends point de moy pitié.

L'amitié D'Iule sans plus t'émeuve. C'est bien assez que le tort

De ma mort En tes beaux filtres se treuve-

Que t'a Iule mesfait ? Qu'ont forfait Les Dieux familiers de Troye : Ceux qu'arracher on a veu

Hors du feu, Seront des ondes la proye.

Mais ils ne sont avec toy,

Cœur sans foy, Quoy que tu en faces mine, Ni eux, ni ton père aagé

Ont chargé Ta laborieuse eschine.

Tout est faux, ta langue aussi N'a ici Sa belle science apprise, A tes mielleux appas

Je n'ay pas Eâté la première prise

COMPLAINTE DE DIDON A ENEE I I

Si d'enquérir il te plaist

est J

La mère du bel Ascagne : Seule, elle est morte d'ennuy

Par celuy Duquel elle estoit compaigne.

Tes beaux contes, j'escoutoy

Dont j'estoy Bien digne d'estre deceuë, J'addoucy par mon erreur

La fureur De la peine, qui t'est deuë

Les Dieux, dont tu es muni,

T'ont puni, Tes péchez te font la guerre ; Car c'est le septième Esté

Qu'as esté Errant par mer, et par terre.

Je t'ay laissé prendre port

A mon bord, Que maint rempart environne, A un fuitif incognu,

Pauvre et nu. J'ay fait part de ma couronne.

Pleust à Dieu que des bienfaits

Que t'ay faicts, Je me fusse contentée : Et que le secret plaisir

Du gésir Ne m'eust d'honneur exemptée.

Ce jour me fut malheureux,

Quand au creux D'une caverne sauvage, Me trouvay de bonne foy

Avec toy Fuyant le soudain orage.

Des nymphes les longues voix

Celle fois Sembloyent huiler l'hymenee : Les furies l'ont sonné,

Et donné Le signe à ma destinée.

Il8 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Puni moy, ô l'ancien

Honneur mien, Violé vers mon Sichee : la mort, qui me fuit,

Me conduit De grand' vergongne entachée.

J'ay en un temple sacré

Consacré De Siché, la pourtraicture ; De blanches toysons est ceint

Ce lieu saint Est tapissé de verdure.

Une voix sortant de M'appella

Quatre fois en ceste église : Et j'ouy que mon espoux

D'un son doux Me dist : Vien, ma chère Elize.

Je vois la mort esprouver,

Pour trouver Celuy qui seul je doy suivre. Las ! mais j'ay trop attendu,

J'ay perdu L'honneur qui me faisoit vivre.

Pardonne-moy, je te pri,

Cher mari, Car la céleste noblesse De celuy qui a surpris

Mes esprits Doit excuser ma foiblesse.

Sa mère, qui tient des cicux

L'un des lieux. Son doux fils, et son vieil père Ne me promettoyent de luy

Tant d'ennuy Et d'inconstance légère.

Si Didon errer devoit,

Elle avoit Trouvé argument capable Adjoute encore la foy,

Lors je croy, Que je ne seray coupable.

COMPLAINTE DE DIDON A ENEE I I 9

Tous jours mes soucis cuisans

De mes ans Ont la carrière suivie: Le destin, qui tant me nuit,

Me poursuit Jusqu'aux bornes de ma vie.

Mon mari, devant les yeux

De nos dieux, Fit de sang la terre humide: Et mon avare germain

De sa main Fit ce cruel homicide.

Laissant la terre enclos

Sont les os De Siché, je pris la fuite, Fuyant par divers erreurs

Les fureurs De la fraternelle suite.

Je vins Festranger suivant,

Me sauvant Et de mon frère et de 1 onde Le lieu que donné je t'ay,

J'achetay; Et ceste ville j'y fonde.

La remparant à l'entour

D'un long tour De tours et murailles fortes, Qui font peur deçà delà

A ceux-là Qui sont voisins de nos portes.

Pour une femme chasser,

Se dresser Je voy une forte guerre. Voire, et si foible je suis

Que ne puis Quasi défendre ma terre.

A mil' poursuivans j'ay pieu

Qui n'ont peu A mon alliance attaindre : Et voyant un incognu

Mieux venu, Ore' ont cause de se plaindre.

ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Que n'as-tu, ô inhumain,

En la main D'Iarbe livre ma vie, Puisqu'à ta mesrhanceté

J'ay esté Si longuement asservie ?

Mon frère aussi qui se deut.

Baigner veut En mon sang la mesme pointe, Qui au flanc de mon espoux,

Par maints coups Fut si cruellement jointe.

Mais justes dieux, tu ne dois

De tes doigts Souiller la chose sacrée. « L'honneur que les vicieux

« Font aux dieux, « Aux dieux volontiers m'agrée. »

Si la main qui les sauvoit

Leur devoit Faire après un si grand blasme : Je pense qu'ils voudroyent or'

Estre encor' Parmi la troyenne flamme.

O desloyal ! tu me fuis,

Et je suis De ton fait (peut estre) enceinte: Une partie de toy

Dedans moy De mes entrailles est ceinte.

Le povret qui périra

Sentira Le fier destin de sa mère: Et tu seras, ô menteur,

Seul auteur De son infortune amere.

Ainsi le maternel sort

Rendra mort Le petit frère dvAscagne : Mon corps et le sien, au moins,

Seront joints Par une peine compagne.

COMPLAINTE DE DIDON A ENEE

Si ton parti de ce lieu

Vient de Dieu, Je voudroy qu'il eust encore Daigne tes vaisseaux garder

D'abborder Dessus le rivage More.

C'est ce Dieu qui, jour et nuict,

Te conduit A la merci de Neptune: C'est luy qui t'a fait ainsi

Jusqu'ici Courir si longue fortune.

Si tels, que du tems d'Hector,

Restoyent or' Les fiers Pergames de Troye, Si ne devrois-tu pourtant

Voguer tant Pour en retrouver la voye.

Quand parvenu tu seras,

Tu n'auras Trouvé ton beau Simoente : Mais le Tibre furieux.

Qui les yeux Des estrangers espouvante.

Et veu la longueur du temps,

Que tu tends A la fin de ce voyage Tu grifonneras ainçois,

Que tu sois Au bout de ton navigage.

Fay-toi donq', pour le plus seur,

Possesseur Du peuple, et de la richesse Que j'amenay de Sidon,

C'est le don Duquel je te fay largesse.

Pren l'or de Pigmalion,

Ilion En ta Carthage transporte : Et le sceptre Tyrien

Comme tien, En main plus heureuse porte.

ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Si tu désires trouver,

Ou prouver Ta force aux armes adextre: Si ton Iule de soy

Quiert de quoy Faire triompher sa dextre:

Pour vaincre, il n'est besoin,

Que plus loin Voise cercher les alarmes: En ce lieu trouver on peut

Ce qu'on veut, Soit ou la paix, ou les armes.

Merci, merci je te cri.

Et te pri Par les flèches de ton frère, Par ceux qui te veulent mieux,

Par tes dieux Et par l'ame de ton père.

Ainsi aux tiens désormais

Pour jamais La fortune soit humaine : Et les combats phrygiens.

Dont tu viens. Soyent les bornes de ta peine.

Ainsi tous les jours prefix

A ton fils Leur terme heureux accomplissent: Et d'un paisible repos

Les vieux os D'Anchise reposer puissent.

Helas, monstre-toy plus doux

Envers nous, Qui sommes la maison tienne. Qu'ay-je fait, que trop aimer,

Si blasmer Tu veux quelque offence mienne?

Pour mien je ne recognoy

Le terroy Des Mycenes, ou de Phthie. Mon père et mari ne sont

Ceux qui ont Suyvi la Grecque partie.

COMPLAINTE DE DIDON A ENEE I23

Si espouse me nommer

T'est amer, Le tiltre d'hôtesse j'aye, D'amie, ou d'e^pouse, non :

Fi du nom, Pourvu que tienne je soye.

Je sçay le vent Libyen,

Je sçay bien Quels flots ceste coste baisent: Ces flots (si tu ne l'entens)

Certain temps Se courroucent et s'appaisent.

Quand le bon vent soufflera,

On pourra Faire voile à la bonne heure: La nef au port attendant

Ce pendant Parmi la glage demeure.

Commande moy t'advertir

Du partir, Ores, que tu le desires: Ton cours je n'arresteray,

Mais feray Lascber la bride aux navires.

Tes gens de travaux passez

Sont lassez ; Tes nefs, demi-racoutrees> Avant ton département

Promptement Pourront estre calfeutrées.

Pour tout le passe plaisir,

Et désir De mieux mériter ta grâce: Pour l'espoir qui m'estoit

D'hymené, Je requiers un peu d'espace.

En cependant que la mer

Au ramer Fera ses eaux mieux traictables, La douleur, de jour en jour,

Et l'amour Me seront plus équitables.

124 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Sinon, tuer je me veux:

Tu ne peux M'estre longuement rebelle. O qu'eusses-tu le pouvoir

De me voir Faisant ma plainte mortelle?

Mes yeux, comme deux ruisseaux,

De leurs eaux Mouillent la Troyenne espee, Qui bientôt sera du sang

De mon flanc En lieu de larmes trempée.

Mon Dieu, que tes beaux presens

Sont duisans Au fait de mon entreprise ! Tu as dressé tout exprès

Les apprests De ma mort, à peu de mise.

Le coup qui me blessera

Ne sera Le seul, qui mon cœur entame; Car des amoureux attraicts

JTay les traicts Bien avant dedans mon ame.

Ma sœur Anne, Anne ma sœur,

Tesmoin seur De ma piteuse avanture, Tes yeux bientost pleureront,

Et feront L'honneur de ma sépulture.

Celuy qui la bastira,

N'inscrira Elize de Sichc femme : On y lira seulement

Bravement Les vers de cest Epigramme :

Enee a de ceste mort, a grand tort, Donné la cause et l'espee :

LA MISERABLE DlDON

DE CE DON A SA POITRINE FRAPPEE.

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ÉPIGRAMME

SUR LA STATUE DE DIDON PRIXS DAUSONE

Passant, je suis de Didon la semblable, Tirée au vif d'un art emerveillable. Tel corps j'avoy non l'impudique esprit. Qui saintement par Virgile est descrit : Car oncq' Enee, onques les nefs Troyennes Ne prindrent port aux rives Libyennes.

Mais pour fuir d'Iarbe la fureur. Mon estomac pudique n'eut horreur Du chaste fer dont je fus transpercée. Non d'une rage, ou amour offencee. De telle mort me plaist bien le renom, Puisquen vivant je n'ay blessé mon nom. J'ay veu mes murs et j'ay vangé Sichee Puis de ce fer ma poitrine ay fichée. Qui t'avoit doncq' ô Virgile, incité D'estre envieux sur ma pudicité ? Croyez, lecteurs, cela que les histoires Ont dit de moy, non les fables notoires De ces menteurs, qui d'art laborieux Chantent l'amour des impudiques Dieux, Appropriant à la divine essence Des corps humains l'imparfaite naissance.

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LA MORT DE PALINURE

DU CINQUIÈME LIVRE DE I/ENEIDE

Mais cependant, Venus de dueil attainte, Desgorge ainsi à Neptune sa plainte: Le fier desdain, l'insatiable rage, Qui de Junon tourmente le courage, Que la pitié ni la longue saison Ni Jupiter n'ont sceu mettre à raison, Et que les sorts mesme n'ont peu plier, Me font (Neptune) un chacun supplier.

Avoir, parmi les peuples phrygiens, Rongé, mangé les murs dardaniens,

Avoir, parmi les peuple Phrygiens, Cruellement les reliques troyennes Ne lui suffit, mais son courroux enclos Poursuit encor' leurs cendres et leurs us.

De la fureur la cause je n*entens, Tu m'es tesmoin combien puis peu de tems Elle agita l'orage furieux L'onde Libique : elle mesla aux cieux Toutes les mers, et osa, ceste foie, Mettre forfait) les tempestes d'Eole tu es Roy. Les Troyennes gallees Par son moyen villainement bruslees, N'aguere aussi furent mises en proye A la faveur des matrones de Troye, Forçant les miens de laisser en arrière Leurs compagnons en province estrangere ; Au demeurant, je te pri que tes eaux Donnent passage au reste des vaisseaux, Et que mon fils (au moins s'il est permis, Et les destins ces murs luy ont promis) Puisse aborder au Tibre Ausonien.

Alors, respond le fils Saturnien Roy de la Mer: tu peux, ô Citheree,

LA MORT DE PALINURE Ï2J

Estre par tout en mon règne asseuree,

Dont tu nasquis, et je mérite aussi

Que de ma foy tu estimes ainsi.

Moy, qu'on a veu tant de fois reprimer

Telles fureurs du ciel et de la mer

Et si n'ay eu (Xanthe m'en soit tesmoin,

Et Simo'fs) sur terre moindre soin

De ton Enee, alors qu'on veit Achile

Chasser les tiens, et que sa course agile

Contre les murs demi-morts les pressoit,

Lors qu'à milliers son bras les meurtrissoit,

Et que les corps, les canaux remplissais,

Bouchoyent la voye aux neuves gemissans,

Et que les eaux de Xante ne couloyent

Dedans la mer, ainsi qu'elles souloyent.

Alors, j'ostay sous une nue vuide Ton fils Enee au superbe Pelide, Plus favori des armes et de nous, Bien que voulusse alors dessus dessous Verser les murs de Troye parjurée, Dont je Pavois moymesmes emmurée. Ce bon vouloir est encor' arresté Dedans mon cœur ; ton fils en seureté (Chasse ta peur) conduira ses navires Au port d'Averne, ainsi que tu desires. Un seul sans plus dans la mer périra, Un seul sans plus pour le reste mourra.

Incontinent que le père eut ainsi Le cœur joyeux de Venus addouci, Ses fiers chevaux attelle, et embouche D'escumeux seins leur braveté farouche, Lasche la reine, et a bride avallee Raze le haut de la plaine salée. Sur son char bleu, les flots incontinent Se sont planez, de nous l'esseul tonnant La mer s'unit, les vents audacieux Fuyant parmi le grand vague des cieux.

Voici après un horrible exercite De grans poissons: Glauque, et sa blanche suite, Et Palemon, et Phorce avec sa troupe, Et les Tritons à la légère croupe. Sur l'aile gauche estoit l'onde couppee Dessous Thetis, Mérite et Panopee : Nisee aussi à leur bande saillie Avec Spion, Cymodoce et Thalie. La gayeté à son rang retournée Chatouille ici le cœur douteux d'Enee,

I28 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Il fait soudain ses vaisseaux envoiler, Cuinder au mast, les verges estaler. Chacun se prend à tendre le cordage, Et à donner la voile au navigage, Ores à dextre, or' à senestre, et ores Croissent bien haut les antennes encores. Lors un bon vent vint empoupper la flotte, Au front estoit Palinur' le pilote, Qui d'avirons un grand nombre menoit Tous vont suyvant la route qu'il tenoit,

de la nuit la moiteuse carrière Touchait du ciel la moyenne barrière. Et les nochers d'un doux somme alléchez Estoyent de rang sous les rames couchez. Quand le sommeil des estoiles coulant L'air ténébreux escïaircit en volant, Pour t'abuser, et d'un somme trop dur Charmer tes yeux, ô pauvre Palinur' Ne méritant un si triste meschef. Luy donc assis au plus haut de la nef De Phorbes prit la parole et la grâce.

O Palinur' la Iasienne race. Nos vaisseaux ont le vent et la marée, La saison est au repos préparée. Repose toy et tous ennuis chassez Au long travail emble tes yeux lassez, En cependant je feray ton devoir.

Lors Palinur' à peine ayant pouvoir D'entr'ouvrir l'œil veux-tu donc' que j'ignore La mer paisible, et ses doux flots encore ? Que je me fie à ce fier monstre ici ? Comment veux-tu que j'abandonne ainsi Mon prince Enee à la fraude du vent, Du temps serain abusé si souvent ? Ainsi parloit au gouvernail fiche. Et par les yeux aux astres attaché. Le Dieu alors un rameau stigieux Trempé en l'eau du fleuve oblivieux, Sur une tempe et l'autre secouant, Luy ferme l'œil vagabond et nouant. Ce faux dormir alors non attendu L'avoit à peine au repos estendu, Quand dessus luy tombans le cruel somme Renverse en l'eau et gouvernail et homme. Et avec luy grande part de la pouppe, Cestuy en vain huche souvent sa trouppe. Et cestuv-Ui, qui en volant s'enfuit.

LA MORT DE PALINURE I 21)

D'une aile prompte en l'air s'esvanouit.

La flotte alors usant de la fortune Qu'avoit promis le bon père Neptune, Cingle à plaisir par les humides plaines. Et les nefs costoyoient des Sirènes Les hauts rochers jadis pleins de dangers, Et blanchissans d'ossemens estrangers. L'enroué bruit de l'onde retournée Tempestoit là, quand le bon prince Enee Se sent errer à brides vagabondes. Luy mesme adonc par les nocturnes ondes Servit de guide à son vaisseau flottant Sans gouverner, et d'un cœur sanglottant De son amy plaint beaucoup l'aventure.

Las il te faut, ô pauvre Palinure Trompé du ciel, et de la mer serene Coucher tout nud sur la déserte arène.

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LE SIXIEME LIVRE

DE L'ENEIDE DE VIRGILE

Ainsi Enee ayant la larme à l'œil, De son amy faisoit complainte et dueil : Puis donne voile, et à course hastive Finalement vint surgir à la rive De cette coste, les murs Cumeans Furent fondés par les Euboeans.

Devers la mer la prouë on contrevire, L'ancre mordant' arreste le navire, Et les vaisseaux courbent leurs larges pouppes Dessus le port, l'ardeur des jeunes trouppes Sur l'Italie alaigrement prend terre : Qui quiert le feu aux veines d'une pierre, Qui court aux bois, forts des bestes sauvages, Et qui encor' enseigne les rivages, Qu'il a trouvez. Mais le dévot Enee Va visiter le temple Apollinee, Et l'antre obscur^ secret inhabitable De la Sibylle au peuple épouvantable. En qui Phœbus, le Delien devin Souffle l'ardeur de son esprit divin, Luy descouvrant les choses advenir. les Troyens commencent à venir Dedans le bois à Diane sacré, Et de Phœbus au sainct temple doré. Dédale (ainsi que bruit la renommée) Fuyant Minos d'aile bien cmplumée Dont il osa s'avanturer aux nues, Vogua si loin par traces incogneues Devers le pol, que d'une agile plante Dessus la tour de Cumes il se plante.

LE SIXIÈME LIVRE DE L'ENEIDE I31

Icy rendu, il te sacra les ailes

Dont il avoit fait ramer ses aisselles,

Fuis te bastit, ô Phœbus, ce grand temple

sur le front du portail on contemple

La mort d'Androge, et le tribut d'Athènes,

Sept corps d'enfans, ô misérables peines,

Et sept encor' chacun an se bailloyent.

fut le vase, les forts se brouilloyent :

Candie aussi à l'opposite on voit.

Qui à l'escart sur la mer s'eslevoit.

fut Pasiphe au taureau supposée,

Et de deux corps la forme composée,

Le Minotaure, ardeur pleine de rage,

Et de Venus abominable ouvrage ;

fut encor' la dangereuse entrée

De mille erreurs au sortir empestree,

Mais toutefois Dédale ayant pitié

D'une Princesse et de son amitié

Desfit l'erreur de ce manoir subtil,

Les pas douteux guidant avec un fil.

Et tu aurois, ô pauvre Icare aussi,

Une grand' part en ce grand œuvre-ci.

Si la douleur ne l'eust point empesché.

par deux fois le père avoit tasché

De feindre en or ce malheur inhumain,

Deux fois tomba la paternelle main,

Bref les Troyens se fussent mis adonq'

A contempler ces portraits tout au long,

Sans l'arriver de Sibylle, et d'Acate

Sibylle estoit la prestresse d'Hécate,

Et d'Apollon, Glauque fut père d'elle,

Et par son nom Deiophebe s'appelle.

Ceste saison, dit-elle au prince Enee,

A ces portraits ne veut estre donnée,

Il vaudroit mieux des indomtez troppeaux

Sacrifier maintenant sept taureaux.

Avec autant de brebis impoluës

Selon la loy du sacrifice eleuës.

Après ces mots promptement on se dresse

Au sacrifice enjoinct par la prestresse

Qui les Troyens appelle en ce gand temple Cave au flanc d'un rocher large et ample En forme d'antre, à cent huis et obstacles, Qui par cent voix respondent ses oracles.

On estoit sur le sueil, quand tout haut

La vierge dist : c'est maintenant qu'il faut

1^2 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Du fort futur la response obtenir : Voicy le Dieu, voicy le Dieu venir. Criant ainsi au devant de la porte. Sa face n'eust les traits de mesme sorte, Ny mesme teint : ses cheveux hérissez Dessus le chef ne se tindrent pressez. Ains sa poitrine haletante de rage Horriblement lui grossit le courage. Ceste fureur plus grand' forme luy donne, Rien de mortel sa langue plus ne sonne, Lorsque le Dieu en sa poitrine enflée Sa Deité de plus prez eut soufflée.

Prince Troyen (elle s"escrie adonc) Fais-tu ici, fais-tu ici le long A présenter prières et offrandes ? Tu ne verras béer les portes grandes Et la maison espouvantable à voir, Si paravant tu n'as faict ton devoir. Elle se teut, ayant ainsi parlé : Soudain aux os des Troyens est allé Un froid tremblant, adonc le Roy s'incline, Priant ainsi du fond de sa poitrine :

Phœbus tousjours aux Troyens pitoyable, Phœbus, qui fus à Paris favorable, Lorsque sa main (la tienne ayant pour guide) Darda ses traits dans le corps d'Eacîde, Par tant de mers, qui grandes isles font, Tu m'as guidé d'Afrique au plus profond, Au plus profond des sablonneux danger-, Par tant de flots et peuples estrangers, Finablement nous touchons l'Italie Fuyant' de nous. Icy je te supplie, Soit arresté notre sort odieux. Vous tous aussi, ô Déesses, ô Dieux, Ausquels fascha d'Ilion l'excellence, Et des Troyens la superbe vaillance, C'est bien raison désormais qu'on ottroye Quelque pardon à la race de Troye. Et toy qui as par divine puissance Du sort futur certaine cognoissance, (Puisque mon sort ces lieux me prédestine) Dy, si je doy en la terre Latine Prendre repos, avec les deitez Des Dieux Toryens si longtemps agitez.

De marbre dur maint temple édifié Sera par moy à Phœbus dédié.

LE SIXIEME LIVRE DE L ENEIDE 133

Et à sa sœur : je rendray éternelle

Entre les miens la feste solennelle

De ce grand Dieu : maints grands secrets aussi

T'attendent en ces terres ici ;

Car à ma gent tes forts j'establiray

0 bonne Vierge, et si je t'esliray

Les prestres saincts de tes grandes merveilles,

Ne commets donc tes oracles aux fueilles.

Que çà et ne s'en volent brouillez

Comme jouets du vent esparpillez,

Chante-les moy toy-mesme, je te prie.

Ici se teut. Mais pleine de furie La grand'prestresse impatiente enrage Par la caserne : et d'autant que la rage, Qui l'aiguillonne, elle veut surmonter, D'autant plus fort elle se sent dompter Le cœur despit, et le parler félon, Rangez par force au plaisir d'Apollon. De leur bon gré les cent portes s'ouvrirent, Et parmi l'air les oracles s'enfuirent.

O toy sauvé, dit la fatale voix, Des grands dangers de la mer (mais qui dois D'autres plus grands estre agité encores Dessus la terre) oste le soin qui ores Livre ton cœur, car tes Dardaniens Seront conduits aux champs Laviniens : Mais ils voudroyent quelquefois en ces terres N'estre venus, Guerres, horribles guerres Je voy desja, et le Tybre escumeux De sang humain tout bouillant et fumeux. Simoïs, Xanthe, et le camp Grégeois Ne defaudront, quelque part tu sois. Un autre Achille y est destiné Qui est aussi d'une Déesse né. Et puis Junon des Troyens adversaire N'y faudra pas. Lors en si grand'affaire Et au plus fort de tes nécessitez, A quelles gens, ou Latines citez Ne prendras-tu humblement ton addresse ? Une autre espouse encores ton hostesse, Un autre lict encores estranger Te causeront cet extresme danger.

Ne donne lieu au mal qui te menace, Mais t'y appose avec plus grand'audace Que ne permet ta contraire adventure De ton salut la premire ouverture Chose qui t'est à croire difficile,

1^4 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Te doit venir d'une grégeoise ville.

Apres ces mots sortans du sacré lieu. La grand'Cumee et prestresse du Dieu Par l'antre noir chante doutes horribles Et retentit de muglemens terribles, Enveloppant l'obscur au véritable. Avec tels freins la vierge espouvantable Est par la main d'Appollon façonnée Et coup sur coup au cœur espoinçonnee. Incontinent que la rage passa Et quel horreur de sa bouche cessa, Le grand Enee ainsi luy fait responce :

Ton saint parler, ô vierge, ne m'annonce Rien de nouveau : car ains qu'ici venir, J'ay discouru tous ces maux advenir Je te requiers seulement une chose : Puis que d'enfer la grand'porte desclose Se trouve ici, le triste Acheron Son noir palud regorge à l'environ. Me soit permis dessous ces obscurs lieux De mon cher père aller devant les yeux. Monstre la voye, et descouvre l'entrée De cest enfer à la porte sacrée. Je l'ay sauvé sur ces espaules ci De mille feux et traicts suivans aussi, Hors de danger moy-niesme je l'ay mis L'ai le milieu des scadrons ennemis. Ce bon vieillard, compagnon de ma fuite, Comme le ciel, ((mire la mer despite Avecques moy toujours se defencïoit Outre ses ans, voire et me commandoit En me priant de venir quelque jour Dévotement visiter ton séjour

Te plaise donc, ô vierge, à ma prière Avoir pitié et du fils et du père. Car tu peux tout : et la Royne infernale N'a mis en vain la forest Avernale Entre tes mains. Si le prestre ancien Par les accords du lut Threicien Peut de sa femme impetrer le retour : Si Pollux meurt pour son frère à son tour, Et tant de fois repasse un mesme port : Quant à Thesee, et Alcide le fort, Qu'est-il besoin de te les reciter? Je suis, comme eux, du sang de Juppiter.

Ainsi prioit, embrassant les autels O fils d'Anchise, et sang des immortels

LE SIXIÈME L1VKE DE LENEIDE 135

(Dist-elle aduiic) la descente d'Averne Est bien facile, et si est la caverne Du noir Pluton béante nuict et jour : Mais resortir de cest obscur séjour, Et voir encor la clarté souveraine De nostre ciel, gist l'œuvre et la peine. Ceux qui jadis un tel pouvoir ont eu, Ce sont ceux-là, que l'ardente vertu Ou le bon Dieu a eslevez aux cieux, Mais ils sont peu, et de race des Dieux. Car le milieu du sentier Avernal Est plein de bois, et le trouble canal Du noir Cocyt à l'entour va coulant. Mais si tu as désir si violent, Que de passer deux fois l'eau Stygienne Et voir deux fois la nuict Plutonienne, St tu te plais en si pénible affaire, Enten premier ce qu'il te faut parfaire, Un rameau souple en fueillage doré, Qu'à Proserpine on dit estre sacré, D'une forest au plus profond se cache Dans un grand chesne : or faut-il qu'on l'arrache, Quiconque veut en la caverne entrer Et au secret des enfers pénétrer, Ce riche don Proserpine la belle Se fait porter : et sa nature est telle, Que l'un cueilli, un autre naist encore, Qui de métal semblable se redore, Cerche le donc, maintenant bas et haut. L'ayant trouvé pren-le ainsi comme il faut, Avec^ la main : car ce rameau sacré, Sans autre effort te suivra de son gré, Si le destin t'y appelle : autrement Tu ne l'auras par force, ou ferrement. Outre ceci, le corps d'un ami tien Souille tes nefs (helas tu n'en scais rien). Pendant qu'ici tu demandes conseil, Et que tu vas musant à nostre sueil. Premièrement donne-luy donc la terre, Et mets son corps sous la funèbre pierre, Fay sacrifice aussi de brebis noires, Ces choses soyent tes premiers purgatoires, Ainsi pourras voir les bois, et les lieux Qui des vivans sont incognus aux yeux. Ces mots finis, sa bouche elle pressa. Enee adonc, qui l'oeil triste abaissa Laisse la grottte et discourt au dedans

1$6 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

De son esprit maints douteux accidens,

Acate y est, qui accompagne aussi

Fidèlement ses pas et son souci :

De maint propos ce couple devisoit,

Quel ami mort la prophète disoit :

Quel corps estoit à mettre en sépulture,

Et sur ce point ils vont voir d'aventure

Dessus le fer de la rive prochaine

Misene occis d'une mort inhumaine :

L'Eolien Misene, souverain

A émouvoir les hommes par l'airain,

Et allumer aux cœurs des fiers soldars

Par ces chansons la fureur du Dieu Mars.

Cestuy jadis fut compagnon d'Hector, D'Hector le Grand, et si portoit encor, Lorsqu'on donnoit des batailles le signe, Fort bravement la hache et la buccine. Après qu'Achille eut desfait cestuy-là De vaillant homme adoneques s'en alla Devers Enee, et a quelque autre moindre Pour compagnon ne se voulut point joindre.

Mais de malheur, pendant que sur la mer, Voulant les Dieux à la guerre animer, 11 fendoit l'air de sa coquille creuse, Triton le prit dedans l'onde escumeuse Entre des rocs, et luy fit par envie (S'il est croyable) ainsi perdre la vie.

Les Troyens donc ce corps mort gemissoyent, Et d'un grand bruit tout autour fremissoyent, Mais par sur tous le pitoyable Enee, Lors en pleurant, ceste tourbe estonnee Haste l'office enjoint par la Sibille. D'arbres couppez, pour la funèbre pyle, A qui mieux mieux on dresse un grand apprest On va dedans une antique forest, Profond séjour des dangereuses bestes. Des pins gommeux les plus superbes testes, Tombent par terre, et l'yeuse gémissant A haute voix se plaint du fer blessant, On rue à bas les gros chevrons de fresne, On fend de coings le bien esclattant chesne, Et le grand orme ami de la montaigne Tombe en roulant au bas de la campaigne

Enee aussi des premiers à l'ouvrage Aux compaignons donne force et courage, Tenant en main les mesmes ferremens : Puis regardant en tristes pensemens

LE SIXIÈME LIVRE DE l'eNEIDE *37

La grand'forest, oh ! (dit-il) si nos yeux Descouvroyent or'ce rameau pTecieux Parmi l'obscur d'une ombre si espesse ? Puisqu'ainsi est (helas) que la prestresse De toy, Misene, a trop bien deviné. Ce mot estoit à peine terminé Quand devant luy voici deux colombelles Venir du ciel, qui à pareilles ailes Se vont planter sur la belle verdure, Lors ce grand Roy voyant telle aventure, Cogneut soudain les oyseaux de sa mère Et tout joyeux, fit ainsi sa prière.

Conduisez moy, s'il y a quelques sentes,

O saincts oyseaux, et adressez mes plante*.

Par vostre vol, dedans le bois sacré. Me descouvrant le beau fueillard doré De ce rameau qui la fertile terre

De son ombrage heureusement enserre :

Lt toi aussi, ô ma mère Déesse,

En ces chemins fortune m'addresse,

Je te supply, ne m'abandonne pas.

Disant ces mots, il arreste ses pas,

Considérant quels signes annonçoycnt

Par leur voler ces oyseaux qui paissoyent,

Et quelle part ils s'en voudroyent aller.

Eux aussi loin se prindrent à voler,

Comme les yeux de ceux qui les suyvoient,

Du plus aigu remarquer les pouvoyent. Or estoyent ils arrivez à grand'peine

Aux bords d'Averne à la puante aleine,

Que vers le ciel, d'un plein vol se haussèrent,

Et puis en l'air plus serain s'abbaisserent,

Joyeusement pliant l'une et l'autre aile

Dessus le tronc de nature jumelle,

treluisoit d'une couleur diverse

Un rayon d'or, qui les fueilles traverse.

Tel, comme on voit au temps de la froidure,

Le guy prenant aux forets nourriture.

Se reverdir d'une branche nouvelle

Qui n'est pourtant à l'arbre naturelle ;

Et s'enlacer d'un fueillard jaunissant

Autour du tronc en rondeur finissant.

Dans l'arbre espez cest or ainsi brilloit,

Sa fueille ainsi d'un doux vent petilloit.

Enee alors, d'un convoiteux désir De ce rameau se va souda. n saisir, Non sans un peu s'efforcer, et sur l'heure

13^ ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Le porta au lieu, Sibille demeure.

En cependant la grand'tourbe Troyene Pleuroit tousjours le trespas de Misene Sur le rivage, et s'efforçoit de rendre L'honneur dernier à son ingrate cendre.

Premier ils ont un grand amas dressé D'arbres gommeux, et de chesne entassé De noirs fueillards l'entourant près à près, Puis eslevant des funèbres cyprès, Ornent le haut de maints harnois qui font Grande lueur. Pendant les autres vont Puiser de l'eau dedans l'airain bouillante : Et sur le feu par onde tressaillante : Puis vont laver, et joindre doucement Les membres froids : un grand gémissement Se fait par tout, et après tout ce deuil Le corps pleuré fut mis dans le cercueil : Et au-dessus maints riches vestemens, Du trespassé les cognus ornemens.

Les autres vont portant la grande chasse Triste service, et destournant la face, Comme aux prochains est chose accoutusmee, Tiennent dessous une torche allumée. On rue au feu viandes amassées, Huiles, encens, et couppes renversées Sur le corps mort puis la flamme cessant, Et la matière en cendre s'abbaissant, On abbreuva les cendreuses flammesches De vin coulant sur les reliques seiches. Lors Corinee a choisi quelques os Qui d'un vaisseau d'airain furent enclos, Luy mesme encor d'une saincte rochee Trois fois en rond a la trouppe arrousee, En secouant une branchette vive De la fertile et bienheureuse Olive, Puis en purgeant le peuple çà et là, Les derniers mots finablement parla.

Mais le bon Roy sur les cendres àsseit Un grand sepulchre, et avec elle meit Armes trompettes, et aviron de l'homme, Sous un haut mont, qui Misene se nomme, Tenant encor de ce beau surnom Qui de Misene éternise le nom. Ceci parfait, il despesche l'affaire, Que la Sibille avoit enjoint de faire. se trouva une grand'fosse creuse, Dont l'ouverture horriblement pierreuse,

LE SIXIÈME LIVRE DE L'ENEIDE 1 39

D'un noir palud cstoil en\ ironnee,

Et çà et d'ombrage cntournee,

nul oyseau impuni ne passoit

Par le dessus, telle odeur s'eslançoit

Du noir gozier, dont la mortelle peste

Corrompoit l'air de la voûte céleste,

Ce fut pourquoy ceste ombreuse caverne

Receut de Grecs le triste nom d'Averne. Premièrement, au bord de ce manoir

Quatre taureaux, dont le dos estoit noir,

Furent conduits. Le ministre divin

Dessus le front leur espanche du vin.

Puis arrachant le dur poil de leur teste,

Du feu sacré les premiers dons appreste.

Huchant Hécate, et sa deité grande.

Qui dessus terre, et sous terre commande. Les autres vont supposer les cousteaux

Et recevoir dedans larges vaisseaux

Le tiède sang de la gorge couppee.

Enee mesme occit de son espee

Une brebis à la noire toison,

Pour honorer la nocturne saison.

Et sa grand'sreur, d'une vache brehaigne.

Il t'honora, de Pluton la compaigne :

Puis commença, d'un nocturne service, Au Roy d'enfer le dernier sacrifice.

Luy consacrant sur les flammés huilées,

Des gras taureaux les entrailles grillée-.

Voici adonc, un peu devant le jour,

Mugler la terre et trembler tout autour

Les grands forests, on vit à ceste fois

Les chiens huiler en nocturnes abbois,

s'approchant l'infernale Déesse.

Arrière, arrière, escria la prestresse,

Vous qui encor n'estes prestres des ] )ieux,

Et n'approchez du Bois devoticux.

Toy pren la voye aux Enfer- conduisant,

Et tire hors ton glaive trèsluisant.

Ores, Enee, il faut avoir bon cour.

Ores ne faut, que l'on tremble de peur,

Disant ces mots, la vierge s'avança,

Et furieuse en l'antre se lança :

Luy, qui la suit par ceste obture voye,

A pas égaux bravement la costoye. Dieux des Enfers, et vous paisibles ombres, Toy vieil Caos, et vous visages sombres De Phlegeton, ne me -oit défendu

140 ŒUVRES COMPLETES DE J. DM BELLAY

De raconter ce que j'ay entendu : Permettez-moi, descouvrir le bas monde, Et les secrets de la terre profonde.

Parmi l'horreur des images ombreuses Par le désert des maisons ténébreuses, Et par le vague, jamais il ne luit Ils cheminoyent sous l'éternelle nuict : Comme Ion va sous une lueur brune Par les forests, au decours de la Lune, Quand Jupiter couvre d'ombre les cieux, Et la nuict rend tout obscur à nos yeux. Devant le porche, et la gueule première Du noir séjour, avoyent fait leur litière Les triples Pleurs, les Soucis punissans, Et ce qui rend les membres pallissans, fut Vieillesse à la soigneuse chère La Peur, la Faim, mativaise conseillère La Pauvreté de crasse toute plaine, (Horreur à voir) puis la mort, et la peine, Les vains Plaisirs là-dedans tiennent fort, Et le Sommeil le germain de la Mort, De l'autre part est la Guerre homicide, Les licts de fer de la troppe Eumcnide, Discorde foie en tresses recueillant Ses longs serpens sous un fronteau sanglant.

D'un grand vieil Orme au milieu se respandent I ."s longs rameaux, et les vieux bras, pendent Sous chaque feuille un million de songes Pleins (comme on dit) de fables et mensonges :

sont encor monstres de toutes sortes : Les Mi-chevaux s'establent dans les portes, Accompaignez des Scylles à deux formes : Ici encor sont les cent bras difformes De Briaree, et la beste de Lerne Sifflant horrible, est en ceste caverne, Ceinte de feux la chimère est ici, peut-on voir les Gorgonns aussi : Encor y est maint' harpie affamée, Et de trois corps une image formée.

Enee alors, qu'une telle fureur Fit hérisser d'une soudaine horreur, Sacque à l'espee, et contre la venue De ces esprits, offre la pointe nue* : Et n'eust esté, que sa prudente guide L'admonestoit, dessous l'image vuide D'un air sans corps, ces âmes voleter, H s'en nlloit encontre elles jetter ;

LE SIXIEME LIVRE DE L ENEIDE 14I

Et çà et eust avecque le fer Batu en vain les fantômes d'enfer.

Passant plus outre, ils vont trouver la fente, Qui est au port d'Acheron conduisante, fut un gourd plain de fange et de bourbe, Qui son eau trouble horriblement recourbe, En bouillonnant d'un gouffre espouvantable, Qui en Cocyt regorge tout le sable.

Sur ce rivage un passager estoit Crasseux, hdeux, qui la face portoit De barbe blanche espessement couverte : Seux yeux flamboyent, d'une paupière ouverte : Son vil habit des espaules pendoit, Avec un cœur luy les ombres guidoit Et d'une verge, et d'une voile aussi, Dans son basteau de rouille tout noirci. Dcsjà chenu, mais bien qu'il soit vieillard, Sa deité le rend verd et gaillard, Toute la foule, et grand1 tourbe des âmes Se rendoit : les Seigneurs, et les Dames, Et les esprits des vaillans Demi-dieux, Vierges, enfans, et ceux-là, que les yeux De père et mère ont veu blanchir en cendre, Autant qu'on voit en automne descendre Au premier froid, de feuilles avallees : Ou que l'on voit sur les plaines salées S'emmonceller de tourbillons d'oiseaux, Lorsque l'hiver outre les grandes eaux Les va chassant aux campagnes ouvertes, Qui au soleil sont les plus descouvertes. Chacun prioit estre du premier port Et d'une ardeur d'atteindre à l'autre bord Tendoit les mains : mais ecluy qui passoit Ores ceux-ci ,ores ceux-là reçoit Tout renfrongne, les autres repoussez Sont loin du bord sur la sable chassez.

Enee adonc, qui estonné se trouve Vierge (dit-il) d'où viennent à ce fleuve, Et que faut-il à ces esprits, qui font Un si grand bruit? d'où vient que les uns vont Loin de la rive, et les autres traversant, Qui d'avirons les flots plombez renversent ? Lors brevement la prestresse chenue : Fils d'Anchises, race des Dieux venue, Du grand Cocyt tu vois les eaux profondes. Et les maraiz de Stygiennes ondes, De qui les Dieux craignent tant de jurer

J-P ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

La deité, et de se parjurer,

Tous ces esprits, c'est une pauvre bande

Que le repos du sepulchre demande :

Ce passeur est appelé Caron :

Les enterrez traversent Acheron :

Il n'est permis que sur l'horrible rive

Parmi ces flots enrouez on arrive,

Que paravant les ossemens enclos

Sous le tombeau ne gisent en repos :

Et cependant les âmes vagabondes

Volent cent ans à l'entour de ces ondes,

Finalement, en la barque tirées,

S'en vont revoir les eaux tant désirées.

Le fils d'Anchise alors s'arreste là, Songeant, rêvant, de grand'pitié qu'il a : Et en pensant à si triste avanture, Il en voit deux privez de sépulture, Qui compaignons à la fuite de Troye Hommes et nefs furent donnez en proye Aux flots venteux de l'eau qui le surmonte : L'un fut Lencaspe, et l'autre fut Oronte, Qui conduisoit la Lycienne flotte.

Voici venir Palinur le pilotte, Qui peu devant au retour de Lybie, Lorsque soigneux les astres il espie, Fut de sa nef renversé dedans l'onde. Enee à peine en cette nuict profonde L'entrevoyant : quelle céleste injure Te fit noyer (dit-il) ô Palinure, Et qui t'osta n'agueres à nos yeux ? Dy hardiment, lequel est-ce des Dieux, Car Apollon, duquel auparavant N'avoy trouvé l'oracle décevant, M'a seulement abusé ceste fois : Ly qui avoit chanté que tu devois Et des dangers de la mer te sauver, Et sur le bord d'Ausonio arriver, Est-ce la foy, que l'on m'avoit promise?

Lors Palinur' ô prince fils d'Anchise, Ni de Phœbus la fatale courtine Ne t'a deçeu ny par la main divine Dedans la mer noyé je ne fus pas : Mais en tombant la teste contrebas. Le gouvernail, que ferme je tenois, Et dont le cours des nefs je gouvernois, D'une grand force adonqucs s'arracha. Et avec mov dafl§ la mer trébucha.

LE SIXIÈME LIVRE DE L*ENEIDE I 43

La fière Mer j'atteste, et jure ici, Que je n'eus point alors tant de souci Pour mon salut, comme pour tes vaisseaux Craignant de voir sous la fureur des eaux Ta nef, de guide et d'armes démontée, Etre à la fin des ondes surmontée,

Trois nuicts d'hyver un vent impétueux Me transporta par les chants fluctueux De la grand mer, et à peine au quart jour Je descouvray l'Italien séjour, Dressant le chef sur le plus haut de Tonde. Lors peu à peu laissant la mer profonde, Devers le bord commençois à nager : J'estois deijà eschappé du danger, Si une gent cruelle, me voyant Tout degouttoux, et èncor'effrayant D'une main croche attaindre le rocher, Avec le fer ne m'eust fait trébucher, Ayant sur moy (dont elle fut deceuë) De butiner espérance conceuë, Ores mon corps sur les ondes séjourne. Ores le vent au rivage me tourne.

Mais je te pry par la douce lumière De vostre ciel, par l'âme de ton père, Et par l'espoir de ton croissant, Iule, Toy, qui jamais par adversité nulle Ne fus donté, que tu me jettes hors De tant de maux, on enterre mon corps : Car tu le peux. Quiers le port de Velie, Ou s'il y a d'ici quelque saillie, Que t'ait monstre ta mère la Déesse, (Car sans avoir quelque divine addresse Tu n'entreprens si grands fleuves passer, Et le palud stygien traverser) Tire sur l'eau, d'une main secourable, Avecque toy ce pauvre misérable, A fin au moins qu'en plus doux élément Je puisse mort reposer mollement. Ces derniers mots Palinur' avoit dit, Quand la prophète ainsi luy respondit : Quelle fureur, Palinurc, te poingt, Toy cpii l'honneur du sepulchre n'as point : Iras-tu voir les Stygiens rivages, Et l'onde triste aux infernales rages Entreprens-tu sans congé de passer A l'autre bord ? Or, cesse de penser Que les destins des; Dieux, à ta prière,

144 ŒUVRES COMPLÈTES DE J, DU BELLAY

Puissent jamais retourner en arrière.

Mais entends bien ces mots, et t'en souvienne

Soulagement de la fortune tienne,

Car tes voisins, qui par mille citez

Fatalement doyvent estre agitez,

De ton trespas les obsèques feront,

Et sur tes os un tombeau poseront,

Donnant au lieu par service annuel,

De Palinur' le nom perpétuel.

Par ces propos fut osté le souci, Et quelque peu de regret addouci Du triste cœur, la terre maintenant De Palinur' va le nom retenant.

Eux vont suyvant leur commencé voyage Et peu à peu s'approchent du rivage, Mais d'aussi loin, que le vieillard Nocher A pas secrets les a veus approcher Parmi un bois, le premier il s'avance, Et par tels mots à haute voix les tanse :

Quiconque fois, qui armé viens ici : Parle, di moy, ce qui t'ameine ainsi A notre port, et ne t'avance pas D'en approcher tant seulement d'un pas : Voici le lieu des ombres, et du somme, Et de la nuict charmant les yeux de l'homme : Homme ne doit passer dedans ma barque, S'il n'a passé par les mains do la Parque.

Je voudrais bien n'y avoir autrefois Reçu Thesee, Hercule, et Pirithois, Bien que des Dieux ils fussent descendus. Et d'un pouvoir superbe défendus. L'un arracha du throsne de mon Roy Le chier portier tremblant d'horrible effroy, Le mit au ceps, les autres tant osèrent, Que de la Royne au lict ils s'adressèrent. Lors brevement la prestresse d'Anchise :

Ne crains ici une telle entreprise. Paisibles sont les armes que tu vois ; Le grand portier aux éternels abbois Peut à son gré de ses voix menassantes Espouvanter les ombres palissantes, Près de son oncle, et sans peur de rapine. Peut demeurer la chaste Proserpine, Le pitoyable et magnanime Enec, Qui est sorti de Troyenne lignée, Au fond d'Enfer descendre délibère Pour visiter l'ame de son cher père,

LE SIXIEME LIVRE DE L ENEIDE 14C

S'il ne te chaut d'une pitié ai forte, Cognois au moins se rameau, que je porte, (Elle a monstre le rameau promptement, Qui se cachoit dessous son vestement) Lors de Caron le cœur gros de courroux Soudainement devient paisible et doux. Ce fut assez : luy trouvant admirable Du sainct rameau l'offrande véritable Que de longtemps ce vieillard n'avait veuë, Devers le port tourne sa barbe bleue, Puis les esprits d'un long ordre arrangez Il a des bancs rudement deslogez, Ensemble il met le grand Enee au large, La barque en a gémi dessous la charge, Et beaucoup d'eau a pris à ceste fois Par les partuis et jointures du bois, Finablement outre l'onde arresté, Homme et prophète il met en seurcté, Sur le bourbier du limonneux herbage, Qui jaunissant croist au bord du rivage, Le grand Cerbère, et portier à trois teste Abboye ici trois horribles tempestes, Tout renverse dans la caverne obscure, Auquel voyant hérisser la hure De gros serpens, tout soudain la prophète Pour l'endormir une souppe lui jette De miel, de grains, et d'herbes destrempee, Cest enrage l'a gloutement happée Tenant de faim ses trois gosiers ouverts, Puis se veautrant le long, et de travers, Or'sur le dos, et ores sur le ventre, Se coucher à plat tout au travers de l'anfe.

Estant ainsi endormi le portier, Le brusque Enee occupe le sentier De la caserne, et à l'onde laissée, Qui au retour ne peut estre passée. Soudainement dessus le premier sueil, Ils vont ouyr la complainte et le dueil, Les piteux cris et regrets gemissans Des enfans morts aussi tost que naissans, Qui arrachez de la douce mammelle Furent esteincts par une mort cruelle, Près de ceux-ci estoyent ceux, qui à tort Sont condamnez par sentence de mort.

Or ne sont pas les sièges des damnez. Sans quelque sort et jugement donnez : Minos qui a la charge principale

146 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

De la tortue, hoche l'urne fatale, Puis au conseil les ombres il assemble, En s'informant, ainsi que bon luy semble, Dessus la vie et crime des humains. Apres on voit ceux-là, qui de leurs mains Par desespoir, et morts non méritée-). Ont jette leurs âmes despitees. O combien doux ceux-ci trouveroyent ores Nos durs travaux, et pauvretez encores ! Mais les destins, et l'onde lamentable Du grand Palud, qui n'est renavigable, Et Styx qui fait neuf courses à l'entour, De ces esprits empesche le retour.

De toutes pars se descouvrent ici Les champs de pleur, on les appelle ainsi : Là, peut-on voir ceux que l'amour cruel D'un long venin, lent et perpétuel, Souloit ronger marchant à pas secrets Par les sentiers, que les Myrtes sacrez De tous costez couvrent l'obscure nuict. L'amour encor après la mort les suit. Ici Procris, ici Phèdre il rencontre, Ici la triste Eriphile, qui monstre Les coups receus par la dextre cruelle De ^on fils mesme. Evadne est avec elle, Pasiphe aussi en la mesme campaigne Laodomic avoit pour sa compaigne. Le jadis homme, ores femme, Cenee, Et par sa mort derechef retournée Au premier poinct de sa forme ancienne, Se monstroit là. Didon Phénicienne ; Sanglante encor, avecques ceste bande Alloit errant par une forest grande.

Incontinent que le prince de Troye La recogneut par ceste ombreuse voye, Comme quelqu'un voit la Lune cornue, On pense voir au travers de la nui:. Il fut touché d'un amour addouci. Et en pleurant se prit à dire ainsi :

Celuy qui fut de ta mort messager, Povre Didon, n'estoit donq' mensonger Celuy qui dit que tu avois la vie Avec le fer à toymesme ravie : Las je te fis ceste mortelle injure : Mais par les Dieux, par les astres je jure. Et si la foy jusqu'aux enfers arrive, Qu'outre mon gré je party de ta rive.

LE SIXIÈME LIVRE DE l' ENEIDE I |,

Le vueil des Dieux qui or parmy tes ombre»,

Parmy ces lieux qui sont reclus et sombres,

Et par la nuict ténébreuse me font

Cercher d'enfer le séjour plus profond,

Me força lors et ne pouvois penser

Que mon départ me deust tant offenser !

Je te supply, arreste un peu tes pas,

Et de nos yeux ne te desrobe pas.

De qui fuis-tu ? escoute un peu ma voix,

Je parle à toy pour la dernière fois.

Pendant qu'Enee avec propos si doux

La consolait, elle ardant de courroux

Se destournoit, de travers l'aguignoit,

Et l'œil fiché contre terre tenoit

Moins qu'un caillou son cœur est addoucy

Ou de Marpese un rocher endurcy.

Finablement, de grand despit quelle a.

Se tuurne court, et en fuyant de

Sous un vieux bois s'en va toute faschee

Trouver encor son ancien Sichee,

Qui respondoit à ses affections

En fort égal de mesmes passions.

Enee aussi, qui moins tritste n'estoit

De tant d'ennuis, qu'à tort elle portoit,

Faisant de loin ses larmes devallcr,

D'un oui piteux la regardait aller.

De là, suyvant leur chemin entrepris»,

Ils tenoyent les champs, qui des esprits

Des bons guerriers aux armes tant vantez

Sont les derniers secrettement hantez. Ici Tidé se voit parmy la troppe,

Et se voit le vaillant Parthenope,

Ici l'esprit d'Àdraste pallissant :

Ici encor' il voit en gémissant

Des bons Troyens tant regrettez sur terre,

Et accablez sous le fais de la guerre,

L'n long scadron : Glauque, et Medonte encor'

Et Thexsiloq', les trois fils d'Antenor,

fut aussi le prestre de Cerés

Dit Polybete : Idé venoit après

Tenant encor' et son char et ses armes ;

Autour d'Enee estoyent tous ces gendarmes,

Et ne suffit l'avoir veu seulement,

Chacun y veut rester plus longuement.

De l'aborder chacun se met en peine,

Chacun désire entendre qui le meine.

Mais des Grégeois les chefs de plus haut nom

148 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Et les scadrons du prince Agamernnon Parmi l'obscur des ombres avisant Ce grand guerrier au harnois reluisant, Les uns tremblans d'une peur estonnee Soudainement ont l'espaule tournée, Comme jadis, quand ils prindrent la fuite A leurs vaisseaux autres à voix petite Veulent crier : la clameur commencée Fraude en béant leur craintive pensée.

Deiphobe il apperçoit alors Tout découpé le visage et le corps : Les bras sans mains, sans oreilles la teste, Sans nez la face, outrage deshonneste. A peine donc recognoissant celuy Qui vergongneux s'alloit cachant de luy, Vint au devant, et d'un parler cognu : Avec tels mots aborder l'est venu, O Deiphobe aux armes valeureux, Le sang de Teucre illustre et généreux, Qui t'a ainsi cruellement traité? Qui a sur toy pris si grand liberté? La nuict qvii fut nostre dernière nuict, De toy ne vint aux oreilles un bruit; Qu'ayant des Grecs fait horrible carnage, Et défaillant la force à ton courage, Tu tombas mort sur le monceau des corps, Un vain tombeau je t'erigeay alors Au bord Rhetee, et d'une haute voix Ton ame errante appellay par trois fois : Encores sont, pour éternel renom, Sur ce bord tes armes et ton nom. Je ne te peu (amy) appercevoir, Et au party n'eu jamais le pouvoir De te donner l'honneur de sépulture Dessus le lieu de nostre nourriture. Lors, Deiphobe, amy tu fis alors Ton plain devoir, et ce qu'on doit aux morts Me fut par toy payé fidèlement : Mais tout ce mal ne vient fatalement Par le forfait de la meschante Hélène, Qui ce beau don m'a laissé pour estrene.

Bien te souvient (fascheuse souvenance) Quand le cheval par fatale ordonnance Gros de soldats sur nos murs fut conduit, Des faux plaisirs de la dernière nuict. ••

Elle faignant les danses Orgyennes, Menoit en rond les dames Phrygiennes.

LE SIXIÈME LIVRE DE L'ENEIDE t4Ç)

Et au milieu un grand flambeau tenoit. Dont le signal aux Grecs elle donnoit D'une tour haute : adonques travaillé Et de soucy et d'avoir trop veillé, Je me jettay pesant et langoureux, Tout estendu sur mon lict malheureux, tout soudain le sommeil doux et fort Silla mes yeux comme une douce mort.

Ma bonne espouse en cependant ostoit Ce qui chez moy pour ma défense estoit Et me fut lors ma tant fidelle espee Dessous le chef par elle desrobee. Puis Menelas en la chambre elle appelle, Luy ouvre l'huis, volontiers pensoit-elle A son amy présenter un beau don, Et qu'au moyen d'un si ample guerdon Facilement tous ses forfaits passez Du souvenir pourroyent estre effacez. Qu'atten-je plus ? ils entrent outrageux Dedans ma chambre, et Ulisse avec eux, Tousjours auteur de tels forfaits secrets, Rendez Dieux) ceste pareille aux Grecs, Si justement vengeance je vous crie. Mais à ton ranc, conte-moy, je te prie. Toy qui jouis de la clarté humaine, Est-ce l'erreur de la mer qui t'ameine ? Sont-ce les Dieux ou quelque autre hasard, Qui t'ait forcé de venir ceste part Voir nos maisons tristes et séparées, Qui du soleil ne sont point esclairees ?

Entre-parlant ainsi de telles choses, La belle Aurore au chariot de roses Avait desja, d'une céleste trace Passé l'esseul par le moyen espace Et tout le temps qui leur estoit donné P?r aventure eussent-ils démené En tels propos, n'eust été la prestresse Qui de partir soudainement les presse. Voici la nuict, et pendant que tu pleures, Enée, ici nous consumons les heures. Cestuy sentier en deux chemins se fend, Par l'un aux murs de Pluton on descend, C'est à la dextre : et par ceste brisée Nous faut aller au beau champ Elysée ; Mais cestui-là, qui à gauche traverse, Conduit au lieu, qui de tormens exerce Ces forfaitures, et les abyme au fond

j c^o ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Du lieu cruel. Deiphobe respond,

Ne t'esmeu point (dit-il) prestresse grande,

Je m'en iray, j'amoindriray la bande,

Et me rendray au séjour ténébreux.

Va nostre honneur, va, et sois plus heureux

Que je ne suis (dit-il au prince Enee)

Et sur ce mot a l'espaule tournée.

Soudain Enee à gauche regardant Au pied d'un roc voit Phlegeton ardent, Qui de ses flots horriblement courans Ceint un grand tour de muraille à trois rancs, Et fait rouler mainte pierre qui sonne.

Un grand portail, une grosse colonne De diamant, une grand' tour de fer Arment le front de cest horrible enfer, Qui ne craindroit aucun pouvoir humain, Non pas des Dieux la foudroyante main, Tisiphoné ceinte dessus le flanc D'un long habit tout rougeastre de sang, Garde l'entrée et de jour et de nuict Tousjours veillant, de s'entend le bruit Des gemissans sous le fouet esclattant, Et des gros fers tirez en cracquetant, Enee alors tout court s'est arresté, Et en effroy a ce bruit escouté.

Quels grands forfaits se punissent ici ? De quels tourments sont-ils punis aussi ? Et de qui sont tant de plaintes que j'oy ? Virgil' (dit-il) je te pry' ,dy le moy. Lc-rs la prophète, ô preux Dardanien, 11 n'est licite à nul homme de bien De s'arrester sur l'exécrable entrée. Mais quand je fus par Hecatre sacrée Garde d'Averne, elle mesmes adonc Tous les enfers me monstra bien au long.

Ces lieux cruels sont dessous Radamante Le Gnosien, qui les esprits tormente, Ouy leurs forfaits, et d'avouer les presse Ce que chacun, d'une vaine finesse, Joyeux d'avoir desrobbé son péché, Jusqu'à la mort avoit tenu caché. Lors Tisiphoné ayant tousjours es mains Le fouet vengeur du crime des humains, Les criminels fouette de la main dextre, Sautant de joye et bruslant à senestre Ses gros seipens au regard de travers, Huche ses sœurs les bourreaux des enfers.

LE SIXIÈME LIVRE DE L'ENEIDE I 5 1

Et sur ce poinct la grancTporte exécrable Fait en s'ouvrant un bruit espouvantable.

Vois-tu ici quelle horrible portière Gai de le sueil ? Des Hydres la plus fiere Clause iu dedans des infernaux manoirs, Ouvre en béant cinquante gosiers noirs. Et puis d'enfer le gouffre plus profond Deux fois autant s'abbaisse vers le fond, Comme du ciel la hauteur azurée Avecques l'œil peut estre mesurée. les Titans, le vieux sang de la Terre, Roulent au fond accablez du tonnerre. J'ay veu ici de Neptune la race, Ces deux grands corps qui voulurent d'audace Rompre le ciel, et des souverains lieux Pousser à bas le souverain des Dieux. J'ay veu aussi cruellement damnée Au mesme lieu, l'ombre de Salmonee Qui contrefit pour la foudre imiter, Par un flambeau le feu de Juppiter. Quatre coursiers son chariot trainoyent Qui par la Grèce en pompe le menoyent. Voire au milieu d'Elide la cité, Et se donnoit tiltre de deité, Outrecuidé, qui du Dieu souverain, En galoppant dessus un pont d'airain, Contr' imitoit l'inimitable orage ; Mais Juppiter par un espais nuage Darda son trait (non la vapeur fumeuse Sortant du feu d'une torche gommeuse) Et accabla ce chef tant orgueilleux, D'un tourbillon terrible et merveilleux. Là, Tityon, nourrisson de la Terre Mère de tout, dessous son corps enserre Neuf pleins arpens, un grand aigle demeure Sur sa poictrine, et pinçant d'heure en heure De son gros bec le non mourant gezier, Remplit, goulu, son dévorant gozier. Des petits bouts des entrailles croissam.es, A leur tourment coup sur coup renaissantes.

Qu'est-il besoin que je te remémore De Pirithois, des Lapythes encore, Et d'Ixion la peine si notoire ? Dessus lesquels pend une pierre noire Preste à tomber. Iri voit-on encor Haut eslevez luire sur tretteaux d'or Les mots tapis des couches géniales,

152 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Et un apprest de viandes royales, Devant leurs yeux la plus grande Furie Séant auprès horriblement s'escrie, Retient leurs mains, et sa torche eslevant Contre eux s'eslance, et se jette au-devant.

On voit ici ceux, qui durant leur vie Ont exercé sur leurs frères envie Poussé leur père, ou trompé leurs parties, Ou ceux desquels n'ont esté départies A leurs amis les richesses trouvées, Ainçois les ont soigneusement couvées, Et ceste tourbe est la plus grande ici. Puis les occis pour adultère aussi, Et ceux qui ont injustes armes prises, Favorisant meschantes entreprises : Et ceux encor qui ont abandonnée La foy jadis à leurs maistres donnée, Tous dedans attendent leur tourment. Ne t'enquiers point quels tourmens ou comment, Ni quel malheur en ce lieu les enserre. Les uns ici roulent une grand' pierre, Ou aux rayons d'une roue attachez Pendant en l'air. Ici pour ses péchez Thesee habite, et éternellement Habitera. misérablement Le par sur tous infortuné Phlegie A hautes voix par les ombres s'escrie Vous advertis, la justice apprenez, Et comme moy, les Dieux ne contemnez.

C'estuy pour or sa patrie a vendue, Et d'un tyran sujecte l'a rendue. Il a les loix pour le gain establies, Et puis les a pour le gain abolies. Cest autre ardent d'incestueux désir, N'a craint au lict de sa fille gésir. Bref, tous ceux-ci, quelque horrible forfait Ont entrepris, et l'ont mis en effet. Je ne pourrois, quand par cent langues ores Je parlerois, et cent bouches encores, Et quand j'aurois la parole de fer, Te discourir de ceste horrible enfer Tous les tourmens, ni comprendre les formes Des criminels, ni leurs péchez énormes.

Quand de Phcebus la prestresse au long aage Sur tels propos eut fini son langage, Marche (dit-elle) et suy ton entreprise : Avançon' nous, les murailles j'avise

LE SIXIÈME LIVRE DE L'ENEIDE 1 53

Qui sont des mains des Cyclopes sorties.

Je voy l'arceau des grands portes basties

Par le devant : c'est Ion nous commande

Expressément de laisser nostre offrande. Elle avait dict, et à pas égalez

Au plus couvert du chemin dévaliez

Par le milieu se hastent de marcher,

Et puis s'en vont des portes approcher.

Enee adoncq' vient occuper l'entrée,

Et en entrant s'arrouse d'eau sacrée,

Puis au devant a le rameau fiche.

Finablement tout ceci despesché,

Et acquittez ainsi vers la Déesse,

Ils sont entrez au séjour de liesse,

Sous la verdeur des forets amoureuses,

Heureux repos des âmes bienheureuses. Parmi ces champs de pourpre colorez

Un autre jour à rayons mieux dorez

Et son soleil, et ses astres cognoist

Les uns aux lieux la verdure croist

Font quelque jeu, et leurs corps exerçant,

Luttent dessus la table jaunissant :

Les autres font quelques joyeuses danses,

Et aux chansons me furent leurs cadences.

se monstroit le grand prestre de Thrace

A long habit, qui d'une bonne grâce 'v

Contr'accordoit sept différentes voix,

En fredonnant de la main quelquefois, Et quelquefois avec l'archet d'yvoire.

se monstroit l'excellence et la gloire Du sang Troyen, ces antiques aveux Du bon vieux temps, ces vaillans demi-dieux Ile, Assarac, et Dardan fondateur, Qui des Troyens fut le premier auteur. Enee alors eslongnant son regard, Esmerveillé apperçoit à l'escart Et les harnois, et les chariots vuides, Haches debout, et les chevaux sans brides Parmi les champs paissans à leur désir. Ceux qui ont mis aux armes leur plaisir, Ai'x chariots, et aux chevaux polis, Ont mesme soin estant ensevelis.

Puis regardant à dextre et à senestre, Les autres voit joyeusement repaistre, Et renversez parmi les prez herbus Chanter en rond les Hymnes de Phœbus, Dessous un bois de laurier odorant

154 ŒUVRES COMPLETES DE J. DU BELLAY

Source du Pan vers l'aurore courant.

Ici voit-on ceux qui n'ont craint d'espandre L'ame et le sang, pour leurs païs défendre, Des prestres saincts de chasteté louez, Les bons esprits de Phœbus advouez, Et ceux qui ont jadis mis en lumière De quelques arts l'invention première ; Et ceux encor, qui par bienfaits louables Se sont rendus les autres redevables : Tous ces esprits portent la teste ceincte Du blanc attour d'une coifure saincte. Auxquels adonc, les voyant çà et Meslez en rond, Sibille ainsi parla, Et par sur tous s'addresse au bon Musée, Car elle voit une tourbe amusée A contempler cestuy, qui au milieu Apparoissoit comme un grand demi-dieu.

Heureux esprits, et toy surtous encores, Prophète sainct, dictes moy, est ores L'ame d'Anchise, et sa demeure aussi : Car pour le voir sommes venus ici : Pour luy avons les enfers traversez, Et des enfers les grands fleuves passez.

Le demi-dieu luy respondit à l'heure : Nous n'avons point de certaine demeure : Chacun habite, et se couche à son gré Sous l'espesseur de quelque bois sacré, Sur les tapis des humides rivages, Et sur le frais des verdoyants herbages. Mais s'il vous plaist que je vous y convoyé, Montez ce mont, c'est vostre droicte voye. Ces mots finis, devant il s'achemine, Puis leur monstra du haut de la colline Une luisante et fort belle campagne, Et i jr ce poinct ils laissent la montagne.

Mais le bon père Anchise d'aventure Au plain d'un val tapissé de verdure Soigneusement les armes regardoit Que pour ici renvoyer on gardoit, Et denombroit ses chers nepveux alors leurs faits, leurs mœurs, leurs fortunes, et mort; Mais aussi tost qu'Enee il apperçoit, Qui devers luy par l'herbe s'avançait, Tous resjouy les deux bras estendit, Et en plorant doucement luy a dit :

Tu es venu donques, tu es venu, Et ton amour de ton père cognu

LE SIXIÈME LIVRE DE L'ENEIDE 1 55

A surmonté d*un désir pitoyable

Du long chemin le labeur incroyable.

C'est maintenant (mon fils) que je te voy,

Que je l'escoute, et que je parle à toy :

Certainement je pensois bien tousjours

Qu'ainsi seroit, et en contant les jours

J'avois n'aguere en mon esprit conceu

Un bon espoir, qui ne m'a point deceu.

Par quantes mers, et peuples estrangers

Et par combien de travaux et dangers

Te voy-je ici maintenant, mon cher fils ?

Et le séjour qu'en Carthage tu fis,

O que j'ay craint qu'il t'apportast dommage !

Enee adonc, Père, ta triste image

Souvente fois apparue à mes yeux,

M'a commandé visiter ces beaux lieux :

Ores mes nefs demeurent sans ramer

Dessus le bord de la Tyrrhene mer. Donne la main, père, et si promptement Ne te desrobe à nostre embrassement. Ainsi parlant, il arrousoit sa face D'un large pleur, par trois fois il enlace Les bras au col de son père et en vain Trois fois l'embrasse, et trois fois prend sa main, Pareille au vent l'ombre s'esvanouit Volant par l'air, comme un songe qui fuit.

Pendant Enee apperçoit à l'escart Au plan d'un val, une forest à part, Dont les lions, et branches rejettees Siffloient menu. les ondes Lethees Vont arrousant ce bienheureux séjour, voletoyent maints esprits à l'entour : Comme l'esté rassérénant le ciel On voit assoir force mouches à miel Parmi les prez de diverses couleurs, S'esparpillant ores dessus les fleurs, Or' à l'entour du beau lis blanchissant, Le champ est plein de ce bruict frémissant. Enee alors, qui le fait n'entendoit, Tout effrayé la cause en demandoit, Quel fleuve c'est, et quelle gent arrive A si grand'foule autour de ceste rive. Tous les esprits, respond Anchise alors, Qui retourner doyvent en nouveau corps, Pour s'asseurer, boyvent dedans ceste onde Le long oubli des misères du monde. Longtemps y a certes que je désire

156 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Te recorder, dénombrer et descrire

Notre lignée, afin que quelque jour

Plus doux te soit le désiré séjour

De Fltalie. O père, est-il croyable

Que ces esprits (quel désir misérable

De la lumière) ayent encore envie

De retourner à leur première vie ?

Mon fils (dit-il) je t'osteray ce doute.

Anchise adonc à raconter ce boute

De poinct en poinct les grands secrets du monde.

Premièrement, le Ciei, la Terre et l'Onde, La Lune claire et les astres ardans, Sont d'un esprit nourris par le dedans, Esprit infus parmi toute la masse De l'univers, qu'il agite et embrasse, Faisant mouvoir par difrerens accords Egalement le rond de ce grand corps.

Par cest accord hommes, bestes, oyseaux, Monstres de mer vivans dessous les eaux, Tiennent du feu la nature divine, Et leur semence a céleste origine, Sinon d'autant qu'à l'esprit est nuisant Le corps mal-sain, lourd, terrestre et pesant. De provient que nostre ame est attainte D'aise, d'ennuy, de désir et de crainte, Et que jamais ne peut voir le beau jour, Close en son noir et ténébreux séjour : Mesmes estant de son corps séparée, Encore n'est la pauvre malheuree Nette du tout, mais retient quelques restes De ses péchez et corporelles pestes, Et faut long temps à la matière imbuë De longue main d'une humeur corrompue Pour la réduire à sa pure substance. Les âmes donc tirent la pénitence De leurs vieux maux. Les unes haut pendues Sont parmi l'air à l'essor estenduës : Aucunes sont dedans la mer plongées, Les autres sont par la flamme purgées, Chacun de nous endure ses enfers. Puis à la fin les champs nous sont ouvers Par Elysée, et sommes peu d'esprits Qui possédions ce bienheureux pourpris, Jusques à tant qu'ayant par mainte année Parfait le tour de nostre destinée, Soyons purgez, et que le feu céleste De notre esprit pur et simple nous reste.

LE SIXIÈME LIVRE DE L'ENEIDE 157

Tous ceux-ci donc, après avoir tourné Le rond du temps, que mille ans ont borné, Huchez du Dieu l'eau d'oubli viennent boire A grands troppeaux, à fin que sans mémoire Retournent voir la grand' voulte des cieux. Et d'autres corps deviennent envieux. Anchise ayant raconté tout ceci, Tire son fils, et la Sibylle aussi, Par l'assemblée, et frémissante troppe, Puis a choisi une petite croppe, Pour voir de loin ceux qui venoyent en place, Les remarquer et cognoistre à la face. Or fus (dit-il) je te vois discourir Ceux qui feront nostre race florir : Je te diray la gent Dardanienne, Et nos nepveux de race Italienne, Nobles esprits à nostre nom promis, Et les destins les Dieux t'ont soumis. Ce jeune-là, le premier de la tourbe, Qui sur le fust d'une hache se courbe, Est destiné à la place première : Il doit premier sortir à la lumière, Entremeslé au sang Italien. Il portera le nom de Sylvien, Qui familier aux rois d'Albe sera, La Lavinie aux bois l'enfantera, Après ta mort, l'ayant conceu de toy Sur tes vieux ans, celui-ci sera Roy D'Albe la longue, et ceux qui en viendront Le sceptre aussi d'Albe longue tiendront. Cest autre-là, qui tient le prochain ranc, Sera Procus, homme de nostre rang, Voici Capys, et voilà Numitor, Et Sylvien qui fera vivre encor Le nom, la force, et .la bonté d'Enee, Si jamais Albe est par luy gouvernée.

Quels jouvenceaux ! voy quelle hardiesse, Et quelle monstre ils font de leur prouesse! Mais ceux qui ont les couronnes civiles, Dessus les monts imposeront les villes Des Fidenates, Gabiens, Nomentins, Ceux-ci feront les chasteaux Colatins, Et Pomerie, et la fortresse encore Du Dieu Rustic, avecque Bolle et Core. De ces beaux noms se verront honorezj Les lieux qui sont maintenant ignorez. Ilie aussi que Troyenne sera,

ŒUVRES COMPLETES DE J. DU BELLAY

Du sang de Mars Romule enfantera,

Ce grand Romule à qui l'on verra pendre

L'arme en la main pour son ayeul défendre,

Vois-tu comment au plus haut de sa teste

Son morion s'esleve à double creste,

Et comme le père luy fait signe

Que des honneurs célestes il est digne ?

Sous cestui-ci (mon fils) prendra naissance Rome la grand, Rome, qui sa puissance De la rondeur du monde bornera, Et son courage aux cieux égalera. Elle emmurant sept montagnes ensemble, Grosse d'enfans à Cybele ressemble, Mère des Dieux qui de tours couronnée, Et sur un char de triomphe menée, Des Phrygiens traverse les citez, S'esjouyssant de tant de deitez, Et de se voir cent nepveux autour d'elle, Tous jouyssant de nature immortelle, Tous possédans le haut séjour des cieux.

Détourne ici maintenant tes deux yeux, Voy ceste gent, César, et tes Romains, Et tous ceux-là qui au ranc des humains Doyvent un jour par Iule être mis. Voici celuy qui t'est souvent promis C'est celui-ci, le grand Ccesar Auguste, Race des Dieux sous qui le siècle juste Retournera, et l'or qui dominoit, Lorsque Saturne aux Itales regnoit.

Il estendra l'empire Ausonien Au Garamante et au peuple Indien. Et jusqu'aux lieux des astres destournez, Lieux qui ne sont du cours de l'an bornez, C'est, Atlas sur son espaule forte L'esseul voisin des estoiles supporte. A l'arriver de ce grand Empereur Qu'annoncera une fatale horreur, Je voy trembler le marais Scythien, Et les derniers du peuple Assyrien : Je voy le fleuve égyptien, qui trouble Tout effrayé, son canal sept fois double.

Hercule aussi n'a point tant voyagé, Ores qu'il ait de son arc saccagé Le cerf léger, le porc Erymanthee, Et la fureur de Lerne espouvantee : Tant voyagé n'a le vainqueur insigne Ce bon Bacchus, qui de branches de vigne

LE SIXIÈME LIVRE DE L'ENEIDE 159

Guide le cours de tigres attelez,

Du haut sommet de Nise dévaliez.

Et doutons-nous par faits dignes de gloire

De nos vertus estendre la mémoire ?

Ou s'il y a quelque peur qui nous tienne

De posséder la terre Ausonienne ?

Qui est celuy à l'escart, qu'une branche D'olive entourne ? à voir sa barbe blanche Son poil chenu, et les Dieux en sa main, Je recognois le sage Roy Romain. Cestui-ci de Curienne race, Deviendra grand, d'une maison fort basse, Et le premier les Romains fera vivre Dessous les loix. Tulle qui la doit suivre Du long séjour de son peuple ennemi Eveillera le silence endormi De la cité, animant aux alarmes Les vieux scadrons desapprenans les armes.

Voici après l'Ante l'audacieux, Qui trop desjà me semble ambitieux, Veux-tu ici voir les Tarquiniens Marcher au ranc des Rois Ausoniens ? Veux-tu encor voir les haines conceuës Du vangeur'Brute, et les verges reçeuë's ? Cestuy sera le premier jouyssant Du Consulat au glaive punissant. Et ses enfans faisans nouvelle emprise, Fera mourir pour la belle franchise, Infortuné, quoy que nostre lignée Doyve juger de telle destinée. Mais tout sera vaincu par la mémoire De la patrie, et l'ardeur de la gloire. A ce propos, regarde loin d'ici Les Deciens, et les Druses aussi. Voy ce Torquat' aux sévères coignees Et ce Camil aux aigles regaignees. Quant à ces deux luisans d'armes pareilles Comme tu vois, or amis à merveilles, Pendant qu'ils sont pressez d'obscur séjour, Si une fois ils parviennent au jour, O quelle guerre et carnage ils feront, Quand Port Hercule, et les Alpes verront De leur sommet le beaupere descendre Pour s'opposer à l'effort de son gendre Et cestui-ci faire marcher encore Contre Occident les peuples de l'Aurore !

N'accoustumez, ce? guerres je vous prie,

IÔO ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

O mes enfans, et de vostre patrie.

Par la fureur de si grandes batailles,

Ne vueillez point saccager les entrailles.

Et toy premier, dont la race divine

De Jupiter tire son origine,

Je te suppli espargne ces débats :

Jette (mon sang) jette ces armes bas.

Ce guerrier-là pour avoir quelquefois Domté Corinthe, et deffait les Grégeois, Au Capitole ira porter sa gloire, Haut eslevé sur un char de victoire. Cest autre-là d'Argos triomphera, D'Agamemnon la cité domptera Et domptera une Eacide encores, Race d'Achille. Ores se verront, ores Par lui vangez les bons Troyens ayeux, Vangé sera l'outrage injurieux Fait à Minerve. Et qui te laisseroit, O grand Caton ? Cosse, qui passeroit Sans te nommer? Qui des Gracques la gloire Tairoit aussi ? Qui tairoit la mémoire Des Scipions, deux foudres de la guerre Gresle et degast de l'Africaine terre ? Fabrice, pauvre, et riche de courage, Et toy, Seran, faisant ton labourage ?

O Fabiens, me ravissez-vous D'esjà lasse ? c'est toy l'honneur de tous, Qui remets sur nostre force destruite Temporisant par prudence conduite.

Les uns par art animeront le cuivre, Autres (je croy) le marbre feront vivre. Ces bien-disans les causes défendront : Ceux-là du bout d'une verge peindront Le cours du ciel. Te souvienne, Romain, De gouverner les peuples sous ta main. Voici tes arts : Imposer loix nouvelles, Garder les tiens, et domter les rebelles.

Anchise ainsi ravissoit les oreilles, Et puis encore adjouste à ces merveilles : Voy ce Marcel, quels butins il rapporte Victorieux! mais voy de quelle sorte Il apparoist parmi tous ses gendarmes! Cestuy premier, avec ses hommes d'armes Appaisera la publique terreur, Et apprendra, renversant la fureur Des Africains et des Gaulois mutins, Au Dieu Quirin les troisiesmes butins.

LE SIXIÈME LIVRE DE L'ENEIDE l6l

Enee ici (pource qu'il avisoit Un jouvenceau, qui sur tous reluisoit Tant en harnois qu'en beauté merveilleuse, Mais il avoit la chère peu joyeuse. Et tenoit l'œil fiché sur la campagne).

Père celuy, qui Marcel accompagne, Est-il son fils ? ou quelqu'un de la bande Qui doit sortir de nostre race grande? Quel bruit de gens est autour de cestuy ! O qu'il y a de majesté en luy! Mais une nuict, qui dessus luy s'arreste, D'un noir brouillas lui ombrage la teste

O mon cher fils (dist Anchise en pleurant) Ne te va point du grand dueil enquerant De tes nepveux. Les destins monstreront Cestuy sans plus, et puis le cacheront. Le sang Romain, le sang Romain, ô Dieux, Sur sa grandeur vous eust faict envieux, S'il eust vescu. Combien de toutes parts Au champ voisin de la cité de Mars S'assembleront de complaintes et pleurs ? Quel appareil de funèbres douleurs Verras-tu Tybre, à l'heure que ton fleuve Arrousera la sépulture neuve ?

Nul autre aussi de la gent d'Ilion Excitera si grand' opinion A ses ayeux : et cette terre encore Qui par le nom de Romule s'honore. Ne pense pas que jamais elle enfante Un nourrisson, dont plus elle se vante. O pieté ! ô joy antique ! ô dextre, Dextre indomtable, aux armes tant adextre ! Estant armé, nul ne se fust vanté De s'estre à luy impuni présenté, Ou fust à pié, ou fust que tout fumant Il eust piqué le cheval escumant. Ah ! pauvre enfant, si quelque sort cruel Tu peux domter, tu seras un Marcel.

Donnez des Lis à pleines mains, je veux Espandre ici sur l'un de mes nepveux Les fleurs, qui ont du pourpre la teinture, Et l'honorer de vaine sépulture.

Ainsi s'en vont errants de toutes pars Parmi les champs de ce grand vague espars Ou le bon père Anchise conduisoit Son fils Enee, et son cœur attisoit Par un désir de sa gloire à venir ;

\Ù2 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Par quelle guerre il luy faut parvenir Aux champs Latins, il luy recorde après Par quels labeurs, par quels moyens exprès Il peut fuir ou domter la fortune.

Le Dieu du somme a deux portes, dont Tune Qui (comme on dit) est de corne bastie. Aux songes vrais donne prompte sortie : L'autre reluit d'yvoire blanchissant, Mais par vont les faux songes issant.

Anchise donc ayant jusques ici Instruit son fils, et la Sibylle aussi, Du long discours de la Romaine histoire, Les met dehors par la porte d'yvoire. Enee adonc estant parti de là, De vers ses nefs et compagnons alla, Puis costoyant tousjours la droite rive Bientost après à Gaiette il arrive : L'ancre soudain de la prouë est jettee, Dessus le port la pouppe est arrestee.

Fin du sixième chant de l'Enéide

SONNET

Par mon destin ou par le vueil des Dieux Je suis tombé au gouffre espouvantable, du Palais la foudre inévitable M'abisme au fond d'un Enfer odieux.

cent Minos, juges industrieux

A tourmenter un esprit misérable, Me font souffrir d'un œil inexorable, De cent fureurs les fouets injurieux :

Mais vostre main à secourir habile

Me peut tirer trop mieux que la Sibyle, Hors de l'Enfer de tant d'adversitez.

Et me guider en la droite brisée,

Qui au sommet des hautes dignitez Monstre d'honneur le beau champ Elysée.

gni

L'ADIEU AUX MUSES

PRIS DU LATIN DE BUCCANAN

Adieu ma Lyre, adieu les sons Ue tes inutiles chansons : Adieu la source, qui recrée De Phcebus la tourbe sacrée, J'ay trop perdu mes jeunes ans En vos exercices plaisans : J'ay trop à vos jeux asservie La meilleure part de ma vie, Cerchez mes vers, et vous aussi, O Muses, jadis mon souci, Qui à vos douceurs nonpareilles Se loisse flatter les oreilles : Cerchez qui sous l'œil de la nuict Enchanté par vostre doux bruit, Avec les Nymphes honorées Danse au bal des Grâces dorées ; Vous trompez, ô mignardes Sœurs, La jeunesse par vos douceurs : Qui fuit le Palais, pour élire Les vaines chansons de la Lyre : Vous corrompez les ans de ceux Qui sous l'ombrage paresseux Laissent languir efféminée La force aux armes destinée. L'hyver, qui naist sur leur printemps Voûte leui corps devant le temps : Devant le temps l'avare Parque Les pousse en la fatale barque. Leur teint est tousjours palissant, Leur corps est tousjours languissant.

l64 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

De la mort l'effroyable image

Est tousjours peinte en leur visage.

Leur plaisir traîne avecques luy

Tousjours quelque nouvel ennuy :

Et au repos ils se baignent,

Mille travaux les accompagnent,

Le misérable pionnier

Xe dort d'un sommeil prisonnier :

Le nocher au milieu de l'onde

Sent le commun repos du monde :

Le dormir coule dans les yeux

Du laboureur laborieux :

La mer ne sent tousjours l'orage :

Les vents appaisent leur courage ;

Mais toy sans repos travaillant,

Apres Caliope baiilant,

Quel bien, quel plaisir as-tu d'elle,

Fors le parfum d'une chandelle ?

Tu me semblés garder encor'

Les chesnes se courbans sous l'or,

Et les pommes mal attachées,

Par les mains d'Hercule arrachées.

Jamais le jour ne s'est levé Si matin, qu'il ne t'ait trouvé Resvant dessus tes poésies, Toutes poudreuses, et moisies ; Souvent, pour un vers allonger, Il te faut les ongles ronger, Souvent d'une main courroucée L'innocente table est poussée.

Ou soit de jour ou soit de nuict, Ceste rongne tousjours te cuit, Jamais ceste humeur ne se change : Tousjours le stile te démange. Tu te distilles le cerveau Pour faire un poëme nouveau : Et puis ta Muse est desprisee Par l'ignorance autorisée : Pendant, la mort qui ne dort pas, Haste le jour de ton trespas : Adoncques en vain tu t'amuses A ton Phebus, et à tes Muses. Le serpent qui sa queue mord Nous tire tous après la mort. O fol, qui haste les années Qui ne sont que trop empennées ? Adjouste à ces malheurs ici,

L'ADIEU aux MUSES 165

De pauvreté le dur souci,

Pesant fardeau, que tousjours porte

Des Muses la vaine cohorte :

Ou soit, que tu ailles sonnant

Les batailles d'un vers tonnant :

Ou soit, que ton archet accorde

Un plus doux son dessus ta corde,

Soit, cu'au théâtre ambicieux

Tu monstres au peuple ocieux

Les malheurs de la Tragédie,

Ou les jeux de la Comédie.

Sept villes de Grèce ont débat Pour l'auteur du Troyen combat : Mais le chetif vivant n'eust oncques Ny maisons ny pais quelconques. Tityre pauvre, et malheureux, Regrette ses champs plantureux, Le pauvre Stace à peine évite De la faim l'importune suite : Ovide au Getique séjour, Fasché de la clarté du jour, De son banissement accuse Ses yeux, ses livres, et sa Musc : Mesmes le Dieu musicien Sur le rivage Amphrysien D'Admete les bœufs mena paistre, Et conta le troppeau champestre, Mais faut-il pour les vers blasmer, Nombrer tous les flots de la mer, Et toute l'arène roulante Sur le pavé d'une eau coulante ? Malheureux, qui par l'univers Jetta la semence des vers : Semence digne qu'on évite Plus que celle de l'aconite. Malheureux, que Melpomené Vit d'un bon œil, quand il fut né, Luy inspirant dès sa naissance De son sçavoir la cognoissance.

Si le bon-heur est plus amy De celui qui n'a qu'à demy Des doctes sœurs l'expérience, O vaine, et ingrate science ! Heureux et trois et quatre fois Le sort des armes et des lois : Heureux les gros sourcils encore

IÔ6 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Que le peuple ignorant adore.

Toy que les Muses ont esleu,

De quoy te sert-il d'estre leu ?

Si pour tout le gain de ta peine

Tu n'as qu'une louange vaine :

Tes vers sans fruict laborieux,

Te font voler victorieux,

Par l'espérance qui te lie

L'esprit d'une douce folie ;

Tes ans, qui coulent cependant,

Te laissent tousjours attendant :

Et puis ta vieillesse lamente

Sa pauvreté, qui la tormente :

Pleurant d'avoir ainsi perdu

Le temps aux livres despendu

Et d'avoir semé sur l'arène

De ses ans la meilleure grene.

<t Donne congé, toy qui es fin,

« Au cheval qui vieillit, à fin

<< Que pis encor ne luy advienne

« Et que poussif il ne devienne !

« Que songes-tu : le lendemain

« Du corbeau, n'est pas en ta main.

<< Sus donq', la chose commencée

« Est plu- qu'à demy avancée.

« Malheureux, qui est arresté

a De vieillesse, et de pauvreté :

(< Vieillesse Pauvreté abonde,

(( C'est la plus grand'peste du monde. »

C'est le plaisir que vous sentez

O pauvres cerveaux éventez :

C'est le profit, qui vient de celles

Que vous nommez les neuf pucelles.

Heureuses Nymphes, qui vivez

Par les forests vous suyvez

La saincte vierge chasseresse,

Fuyant des Muses la paresse,

Soit donc ma lyre un arc turquois,

Mon archet devienne un carquois

Et les vers que plus il n'adore,

Puissent traits, devenir encore.

S'il est ainsi je vous suyvray

O Nymphes, tant que je vivray :

Laissant dessus leur double croppe

Des Muses l'ocieuse troppe.

TRADUCTION D'UNE ODE LATINE DU MESME BUCCANAP!

La merveille des siècles vieux

Estonnez par la main d'Alcide

De tant de monstres homicide,

Le fit assoir au rang des Dieux :

Et le dompteur de Méduse empierrante Fut estoillé d'une flamme esclairantc. Si sous un juge d'équité

La vertu qui est simple et nuë

Requeroit estre maintenue

En l'honneur qu'elle a mérité.

Le brusc Hercul' Henry te cedroit ores Et te cedroit l'aislé Percée encores ; Qui d'un monstre plus plantureux

Que l'Hyd~e de diverse forme,

D'un m-c^stre di-je tant énorme,

Plus que Méduse dangereux

As rebouché l'horreur prodigieuse Et la fureur \ ainement furieuse. Charles à sa suite attirant

Toute la force occidentale,

L'Ourse et l'Autruche orientale,

Ainsi d'un hivernal Torrent,

Ce furieux et saccageur de villes Brusloit de voir toutes citez servilles. La vertu germaine trembloit

Dessous Ca'sar le demy-maure :

O vergongne ! Et l'Itale encore

Qui le joug dédaigner souloir,

En grommellant d'une plainte craintive, Souffroit de voir sa liberté captive. L'espoir flatteur qui nourrissoit

Ceste importune convoitise,

Le terme de son entreprise

Du rond du monde finissoit :

Et cest orgueil, devin plain de mensonge, Tout l'univers se promettoit en songe. Tu as, ô Prince vertueux

Prince de la guerrière France

Arresté la prompte espérance

De ce cœur tant présomptueux :

Tu as surpris d'un las inévitable Ceste fureur autrefois indomtable.

i(>8 ŒUVRES COMPLETES DE J. DU BELLAY

Qucir estoit alors sa couleur.

Et, de quelle fureur cruelle

Perdoit le fond de ses moelles,

Quand l'impatiente douleur

De la Moselle il voyou la fortresse, Et l'esquadron de la brave jeunesse. Ainsi l'onde va bouillonnant

Contre les roches opposées : m

Ainsi les flammes embrasées

Dans leurs fourneaux vont forcenant : Ainsi la dent de l'Hyrcane Tigresse Sanglante mord le lien cjui la presse. Mais quand le bras cogneu de Mars

Guise, dont la vertu compaigne

Impatiente se dédaigne

De se voir close de rempars,

Vint esclairer et dessous le Tonnerre Des Cornepieds fit retrembler la Terre. Comme les animaux couards,

De nuict courageux et adextres

A forcer les loges champestres,

Hardis sur les troupeaux fuyards,

Au seul regard du Lyon qu'ils redoutent Tous effrayés en leurs creux se reboutent. Ainsi celuy qui d'un espoir

insatiable il se fonde,

Naguère embrassoit tout le monde,

A peine ayant le cœur de voir

Du grand Henry les forces domteresses, Refuit mal-caut à ses vieilles finesses.

LES VERS CITEZ PAR LOYS LE ROY

EN SES COMMENTAIRES SUR LE SYMPOSE DE PLATON TRADUITS PAR J. DU BELLAY

AU PREMIER LIVRE

Virgil. 6. Eglog. Namque canebat uti

magnum, etc. fueil. il. p. 2.

Car il chantoit comment par la vague du monde Les semences du feu, de la terre, et de l'onde S'assemblèrent en un, et comment toutes choses De ce commencement furent premier escloses. Comme la terre fut de la mer séparée. Se formant peu à peu toute chose créée.

Lucain au 2. de la guerre Pharsal. Sire parens rerum, etc. fueil. II. p. 2.

Soit que nature, lors que le monde difforme, Se retirant le feu, prit sa première forme, Establist pour jamais les causes éternelles De tout ce^ qui est, mesmes sujecte à elles Bornant d'un cours fatal ceste grand' masse ronde Par siècles ordonnez qui gouvernent le monde.

Virgil. 6. de l'Eneid. Cui talia fanti, etc. fueil. 12, p. 2.

Parlant ainsi au devant de la porte, Sa face n'eut les traicts de même sorte, Xi mesme teinct : ses cheveux hérissez Dessus le chef ne se tindrent pressez,

ŒUVRES COMPLETES DE J. DU BELLAY

Ain.- sa poictrine haletante de rage Horriblement lui grossit le courage ; Ceste fureur plus grand forme luy donne, Rien de mortel sa langue plus ne sonne, Lorsque le Dieu en sa poictrine enflée Sa deité de plus près est soufflée.

Et après. .1/ Phœbi nondum patiens, etc.

Mais de Phœbus la grand'prestresse enrage Par la caverne, et d'autant que la rage Qui l'aiguillonne, elle \ eut surmonter. D'autant plus fort elle se sent douter, Le cœur despit et le parier félon Rengez par force au plaisir d'Apollon.

JuvENAL, 6. Satir. S-pectant subeuntem, etc. fueil. 13. p. 1.

Elles contemplent Âlceste,

Qui d'un magnanime geste S'ose à la mort présenter, i'i;ir son mari racheter : Mai i telle recompen: e Leur fut permise, je pense Que perdre elles voudroyent bien ! es leurs pour un petit chien.

Properce. Fcelix Eois lex funeris, etc., fueil. 14, p. 1.

Heureuïe Joy funèbre aux maris nue l'Aurore De ^es chevaux colore ! Car estant mis le feu pour les obsèques faire

Dans le lict mortuaire, De- espouses adonc la tourbe eschevelee,

Pi ur \ ivre estre bruslee Pieteuse combat. C'est honte de survivre,

El son mari ne suivre. Celles qui ont vaincu, se jettent violentes

Dans les flammes ardentes, Et a\c< leur- maris bruslent de grand courage Visage sur visage.

Lucre, livre I. /Eneadum genitrix, etc. fueil. 23, p. 1 et

O la mère d'Enee, ancestre des Romains La seule volupté des Dieux et des humains,

LES VERS CITEZ PAR LOYS LE ROV

Qui peuples l'air, la terre et la mer navigable, Et tout cela qui est sous le ciel habitable, Saincte et grande Venus, d'autant que ton amour Fait que tous animaux viennent en ce beau jour, Les nues et les vents, ô Déesse, te fuyent, La campagne en fleurit, et les ondes en rient, Et la mer qui par loy douce et calme se rend, Luit dessous ta clarté, qui sur elle s'estend.

Et peu APRES Qnœ quonîam rerum naturam, etc.

Et pour re que toy seule entretiens la nature, Et que sans toy ne sort aucune créature, Aux i ayons du beau jour, et que rien entre nous Ne peut estre sans toy, qui soit aymable et doux : Pource ta deité maintenant je désire Estre compagne aux vers, que je pretens d'escrire.

PON'TAN. I; de l'Uranie. His Cytherea suit m posait, etc.

Cytheree fit son astre e^tincelcr, Astre, duquel conçoit la mer, la terre, et l'air : Et dont tous animaux à procréer s'incitent, Et d'un doux mouvement secrettement s'agitent.

AU MESME LIVRE, fueil. 30, p. 2

Ordine certo fert natura vices, etc.

Par un ordre certain toutes choses se muent, Et par ordre certain les Astres se remuent. Causant divers effets, et parfaisans leurs cours, Comme il est ordonné, font leurs tours et retours. Les elemens leur font devoir d'obéissance, Et craignent violer la loy de leur puissance. Voilà comment du ciel la nature despend Et aux lois qu'il escrit humble et serve se rend.

LE MESME AUTHEUR aux Météores, fueil. 30, p. 2. Principio genus omnc anhudntutn, etc.

Pour le commencement, tout cela que nous sommes De poissons, et d'oyseaux et de bestes et d'hommes. Toute herbe florissant, tout haut arbre croissant, Est des quatre elemens en ce monde naissant. Aussi tous animaux de prennent leurs vies, Et là, quand par la mort leurs âmes sont ravies,

172 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Se réduisent encor : mais leurs commenccmens

Demeurent éternels es premiers elemens :

Ou soit que leurs vertus es choses ils respandent,

Soit qu'ils cèdent leurs droits, ou qu'ils les redemandent.

Ou soit que rechangez d'un désir mutuel,

Ils varient entre eux leurs cours perpétuels :

De toute semence est au monde éternelle,

Eternelle d'autant que la cause en est telle.

L'homme des elemens tient ses complexions,

Comme donnant la loy à nos affections :

Eux sont sujects au ciel, et cela qu'ils nous donnent,

Comme leurs souverains, les Astres leur ordonnent.

AUX MESMES METEORES, fueil. 31, p. I Précipite tamen iii gremio, etc.

Le soleil toutesfois exerce sur la terre Son principal pouvoir, de laquelle il desserre Les semences de tout, l'herbe convertissant En fueilles, et tirant le bouton florissant Du rameau, du bouton l'odorant fruict nous donne Qui avecques le temps sa verdeur assaisonne : En espics hérissez il fait les bleds heureux, De pampre il revestit les raisins plantureux. Tout naist, tout croist par Iuy, et toute créature De cela qu'il produit emprunte sa pasture : Mesme il attire à soy les terrestres vapeurs, Lesquelles il résout en diverses humeurs : En rosée abreuvant la campagne altérée En espesse bruine, ou en pluye azurée.

AUX MESMES METEORES, fueil. 31, p. I

Nimque fer obliquum, etc.

Car les astres errans font cinq cours tous dn-crs Par l'oblique rondeur de ce grand Univers, Et îoulcnt opposez par les Astres insignes, Qui sont vulgairement nommez les douze Signes. Ils ont pour gouverner le Soleil radieux, Le Soleil souverain des hommes et des Dieux, Des longs siècles auteur, de toutes choses père, Qui ciel, et terre, et mer de ses rayons esclaire La Lune l'accompagne, ornement de la nuict, Qui d'une autre clarté douteusement reluit : Dont le père Océan et Thetis la chenue Révèrent estonnez la puissance cognuc

LES VERS CITEZ PAR LOVS LE ROY 173

Sur toute la grand' mer, qui ses tours et retours Reigle selon la Lune au variable cours.

De prennent leur suc les semences des choses, Et de les humeurs dans nos veines encloses Coulent par tout le corps : de le sang espars Par les membres molets discourt de toutes pars, Attendrissant les corps d'une influence humide, Pour autant que la Lune au corps humain préside. Le soleil donne vie, agite, et sa chaleur Distille dans les os sa céleste vigueur ; Bref le Soleil sur nous fait office de père. Comme la Lune aussi fait office de mère : Qui d'un char vagabond errant1 de çà, de là, Or' s'attache à ceux-ci, ores laisse ceux-là : Et des Dieux implorans la puissance éternelle, La renverse sur nous, d'une amour maternelle.

FRACAST. in Siphil. fueil. 52, p. 1 /;/ ftrimis tum sol. rutilus, etc.

Premier le clair Soleil, et les Astres aussi Changent la terre, l'air et la mer tout ainsi Comme ils changent de place. Ainsi les elemens Transforment leurs grands corps en divers changemens. Considèrent comment, lorsque le Soleil tourne Ses chevaux au Midi, et de nous se destourne, La terre s'endurcit par l'hyver froidureux, Et couverts de frimats sont les champs plantureux. Et les fleuves encor' bridez de froide glace Arrestent de leurs cours la vagabonde trace Aussi quand de plus près il nous va regardant Sur les champs, sur les bois va les flammes dardant. Sur les prez altérez : et la plaine poudreuse Esprouve de l'esté la force chaleureuse : Et ne faut point douter que l'honneur de la nuict, La Lune, qui au ciel d'un front doré reluit, A laquelle obéit la mer, et toute chose Laquelle dedans soy a quelque humeur enclose : L'Astre Saturnien de tous le plus nuisant Et l'Astre Iovial plus doucement luisant, Le beau feu de Venus, Mars, et toute la bande Des autres feux du ciel, ici-bas me commande : D'un tour perpétuel -changeant les elemens, Et causent çà et plusieurs grands mouvemens. Surtout quand en un lieu plusieurs d'eux se conjoignent Ou quand d'un divers cours l'un de l'autre ils s'éloignent.

IJ4 (KrYRKS COMPLÈTES DE J. DTT BELLAY

Pont. i. de l'Uranie, fueil. 35, p. 1. Stellœ sefisibus afficiwit variis variosque agitatus, etc.

Le ciel donne aux esprits diverses passions, Diverses volontez, et inclinations A mestiers tous divers, et chaque créature Son esLude et plaisir apporte de nature. Le vouloir toutesfois, la nécessité Changeant souvent le cours de la fatalité : (( Et souvent nous voyons demeurer sans rien faire a Un bon esprit qui a la pauvreté contraire. » Le destin neantmoins ne s'esmeut pour cela. Ams planté fermement s'arreste tousjours là, Et la nature encor pour quelques actions Ne remonte jamais à ses affections Soit en bien, soit en mal, ains retourne facile Aux choses elle est volontiers plus habile. S'elle trouve passage, et le contraire effort Des astres opposez ne se trouve plus fort.

HOMER. Odyssée. A. fueil. 90, p. 2 Ten de met? ifhimedeian alors fafacoitin, etc.

Euphimedic après ceste-ci j'apperçou, La femme d'Aloé, disant avoir conçeu De Neptune deux fils, auxquels jadis la vie En la fleur de leurs ans avoit esté ravie : Le fameux Ephialte, et Ote de grand co ur, Que la terre fit croistre en extresme longueur, Et après Orion leur donna l'advantage Sur tous autres humains en beauté de visage. Ils n'avoyent que neuf ans, et si avoyent adonc Neuf coudes de largeur, et neuf brasses de long Ils menassoyenl les Dieux d'une soudaine guerre Ils vouloyent pour le ciel asservir à la terre Mettre Osse sur Olymp', voire plus courageux Dessus Osse planter Pelion l'ombrageux Et l'entrepris^ à chef (peul estre) eussent menée S'ils eussent peu toucher la quatorzième année : Mais celui qu'enfanta 1. atone aux beaux cheveux Le fils de Jupiter les fit mourir tous deux. Ains que du premier poil la toison colorée Eust frizé leur menton d'une barbe dor.ee.

HOMER. Iliad. fueil. 65, p. 1 Presbalios (thygater). Ate} he fantas aâtee, etc.

La fille à Jupiter, Aie la redoutable,

LES VERS CITEZ PAR LOYS LE ROY [75

Ate pernicieuse, à chacun dommageable,

Ses pieds sont tendrelets, et ne va point touchant

La terre, ains elle va sur nos testes marchant :

Nous trouble, nous séduit, nous fait dommage extresme.

La cruelle osa bien contre Jupiter mesme

Exercer autrefois son courage odieux,

Bien qu'il soit le meilleur des hommes et des Dieux.

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LES VERS CITEZ AU SECOND LIVRE

TRADUITS PAR IOACH. DU BELLAY

Ovid. 4. de la Metamorph. fueil. 74, p. i.

Perçue abdita longé Deviàque et silvis Iwrrentia saxa fragosis, etc.

Il racontoit comment par les roches désertes D'ombrageuses forests horriblement couvertes Il avoit de Gorgone approché le séjour, Et comme il avoit veu par les champs d'alentour, Et parmi les chemins, d'hommes maintes figures, Et maints corps d'animaux changez en pierres dures Au regard de Méduse : et qu'il avoit pourtant Au bouclier qu'il alloit en sa gauche portant Veu (comme en un miroir) l'espouvantable forme De l'horrible Gorgone, à qui le chef difforme Il trancha cependant qu'un sommeil endurci La tenoit endormie et ses serpens aussi.

LUCAIN, livre 9, fueil. 74, p. 1. Hoc monstrum t'enuit genitor, etc.

Phorce le Dieu marin de Gorgone le père, De Gorgone les sœurs, de Gorgone la mère, Ce monstre eraignoyent bien, qui pouvoit de son œil Ciel, mer, terre assopir d'un estrange sommeil. Les oyseaux accablez d'une charge soudaine Touchez de son regard, tomboyent dessus la plaine En pierres transformez : et les bestes aussi Transformées comme eux en rocher endurci, S'arrestoyent tout court : la gent 3'EtlvTopie Voisine d'alentour, fut en marbre assopic Tout ce monstre fuyoit, mesme de l'autre part Ses serpens destournez evitoyent son regard.

LES VERS CITEZ AU SECOND LIVRE

PROrERCE, fueil. 82, p. I Qûicumque Me fttit puerum, etc.

Quiconques fit le Dieu d'amour enfant Ne fut-il pas un peintre bien sçavant ? Cestuy la veid sans cognoissance vivre Ceux qui l'amour ont entrepris de suyvre : Et que l'on perd suyvant ce fol désir Beaucoup de bien, pour bien peu de plaisir. Cestuy encor' des deux venteuses ailes Non sans raison luy garnit les aisselles, Et fit voler inconstant et léger Dedans nos cœurs cest Amour passager. Aussi semblable est notre vie à l'onde Qui à tout vent est tousjours vagabonde. De traicts crochus cest enfant inhumain Arme à bon droit aussi sa dextre main : Et à bon droit leur trousse Gnosienne Bat en sonnant dessus l'espaule sienne : Pource qu'il sçait en trahison frapper, Et que nul peut de ces traicts eschapper.

Virgil. 4, de l'Eneid. fueil. 90, p. 2 Hœc se carminibus, etc.

Elle promet deslier les pensées Qui de l'amour se trouvent offensées, Et si promet par ses vers enchantez Rendre leurs cœurs de l'amour tourmentez, Arrester court des fleuves la carrière, Et destourner les astres en arrière. Tu luy verras par ces vers murmurez Tirer de nuict les esprits conjurez, Mugler sous toy les tremblantes campagnes, Et devaller les arbres des montagnes. O chère sœur, par les Dieux je t'asseure, Et par ton chef bien aimé je te jure. Que malgré moy je fais expérience De la sorcière et magique science.

ET peu après, fueil. mesme.

Stant arœ circum.

Les aulels sont dressez de toutes pars. Lors la prestresse aux longs cheveux espars Trois cens Dieux tonne avec horribles mots, Invoque aussi TErebe, et le Chaos.

178 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. l>\. BELLAY

Et d'Hecaté trois fois jumelle encore Dévotement les trois fronts elle adore : Espanche aussi quelques eaux desguisees Qu'ell' feint d'Averne avoir esté puisées : L'herbe nouvelle on fauche au clair serain, Pour la bouillir dedans vaisseaux d'airain. Avec le suc du noir venin terrible, On cherche encor ceste apo.-tume horrible Que la jument arrache en la suççant Dessus le front de son poulain naissant.

LE MESME AUTHEUR en i'Eglogue 8j au mesme passage. Effer aguam, et molli cinge hœc altaria, etc.

Apporte ici de l'eau et que sur l'autel sainct De l'hostie le front d'un mol bandeau soit ceint : Fay parfum d'encens masle, et de prasse vervaine, Afin de faire ici une espreuve certaine, Si je p'Hiiroy si bien Daphnis ensorceler Que je le puisse à moy par force r'appeler.

Et PEU APRES

Par vers la Lune mesme aux sorciers fait service, Par vers Circe changea les compagnons d'Ulysse, Et le serpent qui est si froid a le taster Se rompt dedans les prez à force de chanter.

Le mesme autheur, fueil. 90, p. 1

Na&cuntur -plurima Poiito, etc.

Ci herbe$-là qui tels changements font Naissent espaig dedans l'Ile de Pont J'ay \cn Mceriai souvent changer sa forme, En corps de loup effroyable et difforme, Dedans les bois se cacher, et les corps De leur cccueil j'ay veu sortir dehors : Et les moissons le suyvant à la trace Souvent aussi j'ay veu changer de place.

Ovid, fueil. 98, p. 2.

Dnm spectant lœsos, etc.

Les yeux donnent aux yeux leur mesme passion, Et passent bien avant dedans l'affection,

LES VERS CITEZ AU SECOND LIVRE 1/9

VlRG. 4. /Eneid. ( ar-pit enim Tires, etc.

Car peu à peu l'amour croist, et la femme De son regard le cœur de l'homme enflamme.

Properce

Cyntkia prima suis, etc.

Cynthie la première avec ses yeux m'a pris, Moy chetif qui n'avois d'amour esté surpris.

Le mesme

Crescit enim assidue, etc.

Car l'amour prend des yeux sans cesse accroissement Et se donne luy-mesme un grand nourrissement.

Le mesme Quantum oculis, animo tara frocul ibit auior.

De nostre cœur l'amour est séparée Autant qu'elle est de notre œil égarée.

CORNEL. GALL, fueil. 3, p. 2.

Pande paella, fande capillalos.

Esparpillez de toutes parts Belle, ces beaux cheveux espars, Et d'un beau fin cr blondoyantes. Monstrez ce beau col blanchissant Sur blanches espaules croissant : Monstrez ces deux flammes nuisantes Sous deux noirs sourds reluisantes : Monstrez ces joues, dont le teinct De couleur de roses est peinct : Et ceste coraline bouche, D'un long baiser la mienne touche.

LE MESME AUTHEl'R AU MESME LIEU

Honehaii! tenues, etc.

J'avais horreur des trop maigres, ainsi Comme j'avois des trop grasses aussi. Point ne me pleut la taille raccourcie, Et aussi peu la longue mal bastie : Je prins plaisir d'embrasser seulement Celles qui sont grandes moyennement :

l8o ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Car le moyen, quelque chose qu'on face En toute chose est de meilleure grâce. La gresle aussi, pourveu que l'embonpoinct Xe luy faillist, ne me desplaisoit point. L'embonpoint est à tels jeux convenable, Car à la chair la chair est agréable. Je ne fis cas aussi de la blancheur, S'il n'y avoit quelque peu de rougeur Qui exprimait une couleur pareille A la couleur d'une rose vermeille. Les cheveux blonds sur un col tendrelet Représentant une couleur de laict. Me rapportoyent en une face belle Te ne sçay quoy de grâce naturelle. La lèvre aussi qui s'enfloit un petit Par sa rougeur me donnoit appétit : Car je baisois volontiers une bouche Qu'à plain baiser c'es deux lèvres on touche, Les sourds noirs, les yeux noirs, et le front. Dont la beauté se descouvre en plain rond, J'y prenois garde, et volontiers mon ame S'en embrasoit de l'amour d'une dame.

VERS CITEZ PAR LOVS LE ROY iSl

OVID. fueil. III, p. I. Prima sit in vobis marum tutela

Le premier soin, vous le devez donner A la beauté de l'esprit façonner : Par la beauté de l'esprit on s'enflamme Facilement de l'amour d'une femme : L'amour basti dessus tel fondement Comme certain dure éternellement, L'autre beauté avec le temps s'efface. Et est sujette aux rides de la face : Le temps viendra que regret vous aurez Quand vous mirant, si laides vous verrez, Et ce regret fera que le visage S'enlaidira encore davantage, Mais la vertu se conserve toujours : Tel amour fait heureusement son cours.

VlRG. 3. Géorgie, fueil. 113, page 2. Otnne adeo genus in terris, etc.

Tout genre d'animaux, hommes, bestes sauvages, Poissons, troppeaux, oyseaux peints de divers plumages Se ruent au printemps en amour et chaleur, Tous sont espoinçonnez d'une mesme fureur.

LUCR. I. de la Nature, fueil. 113, page 2.

Au mesme lieu.

N on simul ac species, etc.

Car si tost que le ciel le printemps nous rameine Et que le doux Zephir d'une amoureuse haleine Regaillardist le corps, les oyseaux tout premier Annoncent, ô Venus, ton retour coustumier, Et sentant ta vertu qui leur poingt les courages, Les animaux aussi parmi les gros herbages Bondissent à grands sauts, et d'amour furieux Passent les fiers torrens, pour te suivre en tous lieux. Bref, par fleuves, par mers, et par hautes montagnes. Par les bois ombrageux, par les verdes campagnes, Poussant dedans les cœurs un amoureux désir, Tu maintiens toute espèce en éternel plaisir.

!82 REVUE DE LA RENAISSANCE

COLUMEL. io. Livre de l'Agriculture, fueil. 114, page 1. Nunc sunt genitalia femina mundi.

C'est ores la saison qu'on voit de toutes choses Multiplier par tout les semences encloses ; C'est ores que l'amour se haste d'engendrer Et que de l'univers l'esprit on voit entrer En l'ardeur de Venus, et que par tout le monde Il respand çà et sa semence féconde. Or le père Océan, et le Dieu de la mer Par doux allechemens s'efforcent enflammer De leurs femmes les cœurs, que chacun d'eux incite, Cestui-là sa Thetis, celui son Amphitrite. Desjà de son mari l'une et l'autre a conceu, Chacune rend au sien le fruit qu'elle a receu, Et du peuple azuré que l'une et l'autre enfante, S'emplist toute la mer d'une troppe nageante. Mettant sa foudre à part Jupiter mesme encor Coulant comme jadis en une pluye d'or Au sein de Danaé, en pluye espesse et drue Au giron maternel de la terre se rue : Elle son fils reçoit, et ne desdaigne point Ce doux embrassement, par amour qui la poingt. De soit sur la terre, ou sous la mer profonde Un gracieux printemps florist partout le monde, Amour règne partout, et jusqu'au fond du cœur Hommes, bestes, oyseaux, esprouvent son ardeur, Jusqu'à tant que Venus de semence remplie Par ce doux feu nouveau soit du tout assouvie : Repeuplant l'univers d'un éternel plaisir. Pour ne laisser le monde en paresse moisir.

Viroil. 2. Georg. fueil. 114, page 2. Ver aàeo frondi nemorum, etc.

Aux rameaux des foresfs le printemps est utile, Le champ par le printemps se fait gras et fertile : Adoncques l'air, qui est Jupiter tout puissant, D'une pluye féconde en terre s'eslançant, Se jette au large sein de son espouse aimée, Et se meslant parmi toute chose animée, Nourrist tout ce grand corps : adonq' le^ arbrisseaux

VERS CITEZ PAR LOVS LE ROY 183

Resonnent à l'escart du doux chant des oiseaux,

Et les troppeaux esmeus de ces chaleurs nouvelles,

En certaines saisons retournent aux femelles :

La terre devient grosse, et le champ qui est plein

A ce doux renouveau se descharge le sein ;

Une humeur tendre et molle abonde en toute chose,

La semence qui fut si longuement enclose,

Se fiant maintenant en la douceur du temps,

S'ose bien descouvrir aux chaleurs du printemps,

Le tendre cep ne craint ni le vent ni la gresle

Que le fort Aquilon fait tomber pesle mesle,

Ains pousse ses bourgeons, et fait sortir au tour

Le pampre verdissant, qui s'espand tout autour.

Je ne croy que les jours eussent autre lumière

Lors que ce monde prist sa naissance première.

Cela fut un printemps, et ce grand monde adonq'

L'emenoit un printemps, le plus doux qui fût adonq'.

Les trouppeaux nouveaux nez, et la dure semence

Des hommes qui le fer imitent de naissance,

Les bestes des forests, et les flammes des cieux

Tendres ne porteroyent ce fais laborieux,

Si la bonté du ciel entre chaud et froidure.

N'entremesloit ainsi ceste température.

Ponta.N". I. de TUranie, fueil. 115, page 1. Qiuuii premit auratos, etc.

C'est lors que le Soleil entre dans la maison Du Mouton Phryxean à ta blonde toyson : Lorsqu'on voit retourner la douce Primevère, Qui apporte la pluye : et que la terre mère Enfante toute chose, et que grosse de fruit Son bouton et sa fleur toute plante produit : Quand tout bois reverdist : et parmi les boccages Les oyseaux biens chantants degoisent leurs ramages, Les feres, et troupeaux, qu'amour vient enflammer, Se ruent sur Venus ; les monstres de la mer Sentent aussi leur feu, tant que mesme Protee Craint de ses ba^ufs marins la fureur indontee.

Ovid, fueil. III, page 1. Condidior folio titres Galathea, etc.

REVUE DE LA RENAISSANCE

Galathee au teint blanchissant Plus que n'est le lis palissant Plus qu"une pree florissante, Plus que l'aune en hauteur croissante, Plus claire que verre esclarci, Et plus fo'lle qu'un dain aussi. A toucher plus polie et fine Que n'est une coque marine, Plus douce qu'un chaud hyvernal. Et plus qu'un ombrage estival, Plus qu'une pomme désirable, Et plus qu'un haut pin vénérable, Plus que la grâce reluisant, Et plus qu'un doux raisin plaisant, Plus molle que le mol plumage D'un cigne, ou qu'un tendre fourmage, Et si tu ne fuyois ainsi, Plus belle qu'un jardin aussi.

Le mesme autheur. fueil. III, page i. I-psa qaoquc assiduo, etc.

Comme un fleuve, le temps coule éternellement, Le fleuve ne se peut arrester nullement, Ny l'heure, mais ainsi que l'onde pousse l'onde, Et que premier à l'une, à l'autre elle est seconde, Ainsi le temps léger se fuit en se suyvant Et tousjours est nouveau : car ce qui fut devant Vient après, et se fait ce qu'il n'estoit à l'heure : Ainsi jamais le temps sur un poinct ne demeure.

HORACE, de l'Art poétique, fueil. 123, page 1.

Par Peletier. Œtatis cujusque notariat sttnt tibi mores, etc.

Le naturel te convient regarder, De chacun aage, et entier le garder : Et exprimer les gestes bien seans Aux changemens des natures et ans.

L'enfant petit qui desjà sçait parler, Et qui seulet fermement peut aller Est de jouer à ses pareils bien aise :

VERS CITEZ PAR LOYS LE ROY l8;

Il se courrouce, et soudain se rappaise, Et à tous coups change d'affection.

L'adolescent hors la correction Du pédagogue, aime chevaux et chasse, Et au soleil sus l'herbe se délasse : Facilement à malice s'applique, Et rudement au remonstrant réplique, Est bien à tard de son bien provident, Prodigue, fier, convoiteux et ardent, Tost ennuyé de son premier plaisir.

L'aage viril change, et met son désir A biens avoir et amis mériter, Craint son honneur, et sçait bien éviter Ce que changer conviendroit par après.

Plusieurs ennuis environnent de près L'homme vieillard : car estant plantureux En biens acquis, tant il est malheureux, Il les espargne, et user il n'en ose, Il est timide et froid en toute chose, Grand dilayeur, long d'espoir, imbécile Et curieux du futur, difficile, Plein de chagrin, louant le temps premier Qu'il estoit jeune, et censeur coustumier Des jeunes gens. Les premiers ans qui sortent Plusieurs bontez avec eux nous apportent. Plusieurs aussi emportent en allant.

JUVENAL, Saty. 7. fueil. 130, page 1. DU majorum umbris, etc.

Dieux, permettez qu'une légère terre A tout jamais nos grands pères enserre, Flairent saffran leurs urnes en tout temps, Et y florisse un éternel printemps : D'avoir voulu que non moins que le père, Le précepteur sainctement on révère.

VlRGIL. 10. de l'Eneid, fueil. mesme, un peu après. Felices ambo, etc.

O tous deux bienheureux ! vostre nom désormais, Si mes vers ont pouvoir, vivra pour tout jamais.

l86 REVUE DE LA RENAISSANCE

HORACE 4. Od. fueil. mesme, page mesme. Gauàes carininibus, etc.

Les vers te plaisent, et je suis Riche de vers, et si je puis Les mettre à pris. Car ny la gloire Sacrée en marbre à la mémoire, Par qui les guerriers estimez De nouveau sont reanimez, D'Annibal les fuites hastees. Ny ses menaces rejectees, Ny le sac par le feu Romain Du Cartaginois inhumain, Qui donna le surnom publique D'Africain au donteur d'Afrique, Monstrent un los mieux que la voix Et le son des vers Calabrois, Aussi, quoy que tu puisses faire, N'auras-tu jamais le salaire De tes biens faicts, si par les vers Au monde ils ne sont descouvers, Que seroit-ce du fils d'Ilie Et de Mars, si ores l'envie Cachoit à la postérité Ce que Romule a mérité ? La faveur et la voix encores Des poètes, qui tirent ores Eaque des flots stygiens, L'ont mis aux champs Elysiens, La Muse aux bons sauve la vie, La muse l'homme déifie.

Au MESME, livr. fueil. 130, page 2, un peu après. Vixere fortes ante Agamemnona ftuilti

Plusieurs devant Agamemnon De vertueux ont eu le nom, Mais tous sans renom et sans gloire Sont pressez d'ignorance noire, Pource que leur los n'a esté D'un sacré poëte chanté, Car la différence est petite

VERS CITEZ PAR LOYS LE ROY 187

D'une vertu qui n'est escrite,

A un qui est ensevely

Au fond du paresseux oubly.

Le mesme. 2. des Odes, fueil. 130 en la mesrae page. Non Jisitata nec tenui, etc.

D'une aile accoutusmee et basse Je n'irai par ce grand espace Demy-oyseau, et ne suis pas Pour plus longtemps vivre ici-bas, Vainqueur des envies civiles, Je laisseray les grandes villes.

Et A LA FIN de la mesme Ode, fueil. 131, page l. Absint inani fwiere œniœ, etc.

Les pleurs soyent loin de mon cercueil, Les vaines larmes, et le dueil, Cesse toute complainte folle Aux morts inutile et frivolle.

Le mesme, 3. des Odes, en la mesme page 1. Exegi monumentum, etc.

J'ay parachevé de ma main Un ouvrage plus dur qu'airain, Un ouvrage duquel l'audace L'orgueil des Pyramides passe : Que l'eau rougearde, ny l'horreur De la Scytienne fureur Que des ans l'innombrable suite. Ny du temps la légère fuitte, Ne pourront renverser à bas. Tout entier je ne mourray pas. De moy la meilleure partie De la mort sera garantie : Et d'un los tousjours se suivant, A moy je seray survivant.

Ovid. 15. de la Metamorph. fueil. 131, page is Jamque opus exegi quoi nec lovis etc.

l88 REVUE DE LA RENAISSANCE

Un œuvre j'ay parfait, que le feu ny la foudre, Ny le fer, ny le temps ne pourront mettre en poudre, Cestuy-là qui sera le dernier de mes jours De mon aage incertain vienne borner le cours Quand bon luy semblera, sans plus il a puissance Dessus ce corps qui est mortel de sa naissance. Ce qui est le meilleur de moy, me portera Sur les Astres bien haut, et mon nom ne pourra Jamais estre effacé, quelque part se nomme Le nom victorieux de l'empire de Romme, Je seroy leu du peuple. Et s'il faut donner foy Aux poètes devins, qui prédisent de soy, A jamais je vivray, et la durable gloire De mes œuvres, sera d'éternelle mémoire.

Horace. Epître 2. à Augu. fueil. 132, page 2. Romulus, et Liber -pater, et cum Castore, etc.

Le bon Bacchus, et Romulus encor', Pollux aussi, et son frère Castor Apres leurs faits grands et victorieux, Estans receus dans les temples des Dieux. Pendant qu'ils ont faict cultiver les terres, Ordonné loix, et appaisé les guerres, Borné les champs, et basty les citez, De n'avoir eu les honneurs méritez Se sont complaints. Cil qui rompit la teste A l'Hydre horrible et venimeuse beste. Et qui fatal les monstres surmonta Si renommez il expérimenta Que la vertu sinon après la vie, Ne peut donter la force de l'envie. Car cestuy-là qui la gloire d'autruy Par sa vertu abbaisse dessous luy, Nous esblouist la veuë, et cestuy mesme Pour ses vertus après sa mort on l'ayme. Nous te donnons, voire devant tes yeux, Et non trop tost, les hauts honneurs des Dieux : Nous ordonnons que ton saint nom se jure : En confessant que jamais la nature Rien de si grand ne fera naistre ici Que toy, César, et n'a fait naistre aussi.

VERS CITEZ PAR LOVS LE ROY 189

Virgil. 6. de l'Eneid. fueil. 133, page 1. Quique sacerdotes casti, etc.

Les prestres saincts de chasteté loviez, Les bons esprits de Phcebus advouëz5 Et ceux qui ont jadis mis en lumière De quelques arts l'invention première Et ceux encor' qui par bienfaicts louables Se sont rendus les autres redevables ; Tous ces esprits portent la teste ceincte Du blanc atour d'une coeffure saincte.

Pontan. I. de l'Uranie. fueil. 133, page 1. Mos erat antiquo in Latio, etc.

Des vieux pères Latins la coustume fut telle, De mettre au ranc des Dieux par louange immortelle Ceux-là qui par quelque art dextrement inventé, Avoyent de leurs païs le profit augmenté, Comme Janus, et Faune, et celuy que la sage Circe avait bigarré d'un estrange plumage : Comme furent aussi les deux Pilumniens, Et le Dieu qui servi fut des Pinnariens, Et la Dame qui fist qu'une porte de Romme Carmentale du nom de Carmente Ion nomme. Le pourpre estant aussi devenu précieux, Lorsque l'ambition leva le chef aux cieux, Les Adrians adonc' et les Nerves encore : Et tant de Dieux Césars qu'à Rome Ion adore Fussent déifiez, ô ignorance humaine ! De quoy servent les Dieux, et leur puissance vaine ? De quoy sert le parfum que dessus tant d'autels Pour impetrer la paix, leur donnent les mortels ? Il n'y a qu'un seul Dieu autour de toute chose, Qui toute chose aussi à son plaisir dispose, Qu'à l'homme il n'est permis de toucher ou de voir. Mais qu'on peut seulement en esprit concevoir : Car il voit de là-haut sous ses pieds les nuages, Et comme seul ouvrier des plus parfaicts ouvrages, Et cause de tout bien, gouverne tout aussi ; Ce Dieu demeure au ciel, et n'a point de souci Des temples eslevez sur colonnes marbrines,

IÇjO REVUE DE LA RENAISSANCE

Ni de l'or précieux, ni de ces pierres fines

Qui viennent du Levant, ni de ce vif airain

Que Phidie souloit animer de sa main,

Ni du sang des taureaux dont on fait sacrifice,

La dévote oraison, l'ame nette de vice,

Le peuvent appaiser, avec un peu d'encens,

Car la grandeur de Dieu ne cerche autre presens.

Yirgil. 6. de l'Enéide, fueil. 134, page 2. Et dabitamus adhuc, etc.

Et doutons-nous encor' par faicts dignes de gloire De nostre renommée estendre la mémoire ?

VlRGIL. fueillet mesme, page mesme. Stat sua cuique dies, etc.

Nos jours sont limitez, et nostre courte vie Ne retourne jamais depuis qu'elle est ravie : Mais par louables faicts son nom perpétuer. C'est l'œuvre la vertu se doit évertuer.

Manilius Astron. 4. fueil. mesme, page mesme. ] am nusquam natura latct. etc.

Nature désormais ne nous est pas cachée. Toute, en tout, et partout nous l'avons recerchee : Nous jouyssons du monde, ainsi que l'ayant pris. Nous avons en esprit nostre père compris, Comme estans une part de l'essence divine, Et retournons au ciel qui est nostre origine. Qui doute, ce grand Dieu en nos cœurs séjourner ? L'ame venir du ciel et au ciel retourner ? Et comme en ce grand corps, dont est basti le monde Parmi le feu et l'air, parmi la terre et l'onde Est un esprit mouvant, qui par commandement Du souverain auteur régit le firmament, Ainsi estre nos corps d'une terrestre masse Et nostre esprit de feu, qui gouverne et compassé Toutes nos actions. S'il est donques ainsi Que le monde est en nous, quel miracle est-ce aussi Que nous le cognoissions ? Veu mesme que l'image

VERS CITEZ PAR LOVS LE ROY 191

De Dieu se voit en nous, qui sommes son ouvrage,

Faut-il croire, d'ailleurs, que du ciel l'homme est ?

Tout autre animal est, ou vers terre tourné,

Ou caché dessous l'onde, ou d'aile balancée,

Est pendu parmi l'air, une mesme pensée,

Qui est de se nourrir, est en eux, et leur soin

Repose dans le ventre, et ne s'estend plus loir.,

Pource que de raison ils n'ont aucun usage

Comme privez du tout de sens et de langage,

Le seul homme discourt, seul s'explique, et entend,

Et à divers mestiers son industrie estend.

Ce gentil animal qui régit toute chose

En la terre habitable a sa demeure enclose,

L'a dontee au labour, les animaux a pris,

S'est fait chemin sur mer, et pour n"estre surpris

S'est retiré au chef, comme en la forteresse,

dessus tous les sens la raison est maîtresse.

Levé les yeux au ciel, ces deux célestes yeux,

Et de plus près encor' regarde dans les cieux,

Il cerche Juppiter et si ne se contente,

Sans plus du front des Dieux, que le ciel représente,

Il fouille jusqu'au fond, et toujours s'approchant

Comme venu du ciel, au ciel se va cerchant.

VlRGlL. 6. de l'Enéide, fueil. 156, page 1. Princifio cœlum, etc.

Premièrement le feu, l'onde, et la terre, Et tout cela que chacun d'eux enserre, La Lune claire, et les astres ardens, Sont d'un esprit nourris par le dedans, Esprit infus parmi toute la masse De ce grand corps qu'il agite et embrasse. De cet esprit hommes, bestes, oyseaux, Monstres de mer vivans dessous les eaux. Tiennent du feu la nature divine. Et leur semence a céleste origine : Sinon d'autant qu'à l'esprit est nuisant Le corps mal sain, lourd, terrestre, et pesant, De provient que nostre ame est atteinte D'aise, d'ennuy, de désir, et de crainte, Et que jamais ne peut voir le beau joui- Chose en son noir et ténébreux séjour.

IÇ2

REVUE DE LA RENAISSANCE ET PEU APRES

Donec longa aies ferfecto temporis orbe, etc.

Jusques à tant qu'ayant par mainte année, Parfait le tour de nostre destinée, Soyons purgez, et que le feu céleste De nostre esprit, pur et simple nous reste.

VlRGlL. IV. Georg. fueillet mesme, page 2. His quidam signis, atque hœc exempta, etc.

Pour ces signes on dit que les mouches à miel Ont humé quelque part de cet esprit du ciel, Qui se mesle partout, ciel, terre, et mer profonde, Et que tous animaux, qui naissent en ce monde, Hommes, bestes, oyseaux, de cet esprit divin Prennent chacun leur vie, ils sont à la fin Pareillement reduicts, et que point ils ne meurent, Ains éternellement immortels ils demeurent, Tournoyant çà et comme les astres font, Et qu'en un autre ciel habiter ils s'en vont.

Traduction dune Épistre Latine

Sur un nouveau moyen de faire son profit de l'estude des lettres.

MOY A TOY SALUT

Quant à ce que tes vers frissonnent de froidure, Que tes labeurs sont vains, et que pour ta pasture A grand' peine tu as un morceau de gros pain, Voire du pain moisi, pour appaiser ta faim : Que ton vuide estomac abboye, et ta gencive Demeure sans mascher, le plus souvent oisive : Comme si, le jeûner exprès te fust enjoint Par les Juifs retaillez : que tu es mal en poinct, Mal vestu, mal couché : Ami, ne pren la peine De faire désormais ceste complainte vaine.

Tu sçais faire des vers, mais tu n'as le sçavoir De pouvoir par ton chant les hommes décevoir : Car le Dieu Apollon avec le Dieu Mercure S'assemble, ou autrement de ses vers on n'a cure. Mercure par finesse et par enchantement Dedans les cœurs humains glisse secrettement ; Il glisse dans les cœurs, il trompe la personne, Et d:un parler flatteur les âmes empoisonne : Avec tel truchement peut le Dieu Delien Possible quelque chose, autrement ne peut rien.

Celuy qui de Mercure a la science apprise, En Cygne d'Apollon bien souvent se desguise :

194

REVUE DE LA RENAISSANCE

Encor que le bray d'un asne, ou la chanson

D'une importune roue ait beaucoup plus doux son.

Veux-tu que je te monstre un gentil artifice Pour te faire valoir ? Pousse-toy par service : Par art Mercurien trompe les plus rusez, Et pren à tels appas les hommes abusez. Tu feras ton profit, et bravement en poinct, De froid, comme tu fais, tu ne trembleras point.

Premier, comme un marchand, qui par le navigage S'en va cercher bien loin quelque estrange rivage, A fin de trafiquer, et argent amasser, Tu dois voir l'Italie, et les Alpes passer : Car c'est de que vient la fine marchandise, Qu'en béant on admire, et que si haut on prise. Si le rusé marchand est menteur asseuré, Et s'il sçait pallier d'un fard bien coloré Mille bourdes qu'il a en France rapportées, Assez pour en charger quatre grandes chartees ; S'il sçait parlant de Rome, un chacun estonner, Si du nom de Pavie il fait tout resonner Si des Vénitiens, que la mer environne. Si des champs de la Pouille il discourt, et raisonne, Si vanteur il sçait bien son art authoriser. Louer les estrangers, les François mespriser, Si de lettres l'honneur à luy seul il reserve, Et dédaigne en crachant la Françoise Minerve :

Il te faut dextrement ces ruses imiter, Le sçavoir sans cela ne te peut profiter, Si le sçavoir te faut, et tu entens ces ruses, Tu jouyras vainqueur de la palme des Muses, Ne pense toutefois pour un peu t'estranger De ces bavardes sœurs, que tu sois en danger De perdre tant soit peu, tu n'y auras dommage, Car aux Muses souvent profite un long voyage, Tu en rapporteras d'un grand clerc le renom, Et de sage et sçavant mériteras le nom ; Mais si tu veux ici te morfondre à l'estude, Chacun t'estimera fol, ignorant, et rude.

Doncques en Italie il te convient cercher La source Cabaline, et le double rocher, Et l'arbre qui le front des poètes honore. Mais retien ce précepte en ta mémoire encore :

TRADUCTION D'UNE ÉPISTRE LATINE 195

C'est que tu pourras bien François partir d'ici. Mais tu retourneras Italien aussi De gestes, et d'habits, de port, et de langage : Bref d'un Italien tu auras le pelage, Afin qu'entre les tiens admirable tu sois. Ce sont les vrais appasts pour prendre nos François. Lors ta Muse sera de cestuy-là prisée, Auquel auparavant tu servois de risée. Il sera bon aussi de te faire advouër De quelque Cardinal, ou te faire louer Par quelque homme sçavant, à fin que tes louanges Volent par ce moyen par les bouches estranges : Mais il faut. que le livre, ton nom sera mis. Tu donnes çà et à tes doctes amis. Ainsi t'exempteras du rude populaire, Ainsi ton nom partout illustre pourras faire. Car c'est un jeu certain, et quiconque l'a sçeu, Jamais à ce jeu-là ne s'est trouvé deçeu. Sur tout courtise ceux, auxquels la court venteuse Donne d'hommes sçavans la louange menteuse : Qui au bout d'une table au disner des Seigneurs Desplient tout cela, dont furent enseigneurs Les Grecs, et les Latins qui de fausses merveilles Emplissans, ignorans, les plus grandes oreilles : Et abusent celuy qui par nom de sçavant Désire, ambitieux, se pousser en avant.

Ces gentils reciteurs te loueront à la table Non comme au temps passé, aux horloges de sable : Ils ne dédaigneront avec toy practiquer, Et avecques tes vers les leur communiquer. Puis que tu as le goust, et l'air de l'Italie, Mais rend leur la pareille, et fay que tu n'oublie, De les contre-louër : aussi, quand à ce poinct, Le tesmoin mutuel ne se reproche point : D'en user autrement, ce seroit conscience.

Sur tout je te conseille apprendre la science De te faire cognoistre aux Dames de la Court, Qui ont bruit de sçavoir : c'est le chemin plus court, Car si tu es un coup aux dames aggreable, Tu seras tout soudain aux plus grands admirable. Par art il te convient à ce poinct parvenir, Par art semblablement t'v faut entretenir.

196 REVUE DE LA RENAISSANCE

Il te faut quelquefois, soit en vers, soit en prose, Escrire finement quelque petite chose Qui sente son Virgile, et Ciceron aussi. Car si tu as des mots tant seulement souci, Tu seras bien grossier et lourdau'c, ce me semble, Si par art tu ne peux en accoupler ensemble Quelque peu, car ici par un petit chef-d'œuvre Assez d'un courtisan le sçavoir se descœuvre.

Je ne veux toutefois qu*on le face imprimer : Car ce qui est commun se fait desestimer, Et la perfection de l'art est de ne faire, Ains monstrer desdaigner ce que fait le vulgahe. Mesmes ce qui sera des autres imprimé. Afin que tu en sois plus sçavant estimé. Il te le faut blasmer : mais il te faut eslire Des loueurs à propos pour tes ouvrages lire, Et n'en faut pas beaucoup. Avec telles faveurs Recite hardiment aux Dames et Seigneurs, Tu seras sçavant homme, et les grands personnages Te feront des presens : et seras à leurs gages. Mais si tu veux au jour quelque chose éventer, Il faut premièrement la fortune tenter, Sans y mettre ton nom, de peur du vitupère Qu'un enfant abortif porte au nom de son père, Car en celant ton nom, d'un chacun tu peux bien Sonder le jugement, sans qu'il te couste rien : D'autant que tes escrits vaguent sans cognoissance Ainsi qu'enfans trouvez, publiques de naissance. Mais ne faut pas aussi, si tu les vois louer, Maistre, père, et autheur, pour tiens les avouer.

Le plus seur toutefois seroit en tout se taire : Et c'est un beau mestier, et fort facile à faire, Le faisant dextrement. Fay courir qu'entrepris Tu as quelque poè'me, et œuvre de haut pris, Tout soudain tu seras monstre parmi la ville, Et seras estimé de la tourbe civile.

L"n vieux ruzé de Court nagueres se vantoit Que de la republique un discours il traittoit : Soudain il eut le bruit d'avoir épuisé Romme, Et le sçavoir de Grèce, et qu'un si sçavant homme Que luy ne se trouvoit. Par il se poussa, Et aux plus hauts honneurs du Palais s'avança,

TRADUCTION DINE EPISTRE LA UNE 197

Ayant mouché les Rois avec telle pratique,

Et si n'avoit rien fait touchant la republique.

Toutefois cependant qu'il a esté vivant,

Il a nourri ce bruit qui le mist en avant,

Jusqu'à tant que la mort sa ruze eut descouverte :

Car on ne trouve rien en son estude ouverte,

Ains par la seule mort au jour fut révélé

Le fard, dont il s'estoit si longuement celé.

Quelque autre dit avoir entrepris un ouvrage

Des plus illustres noms qu'on lise de nostre aage,

Et douze ou quinze ans noue déçoit par cest art :

Mais il accomplira sa promesse plus tard

Que l'an du jugement. Toutefois par sa ruse

Des plus ambitieux l'espérance il abuse.

Car ceux-là qui sont plus de la gloire envieux,

Le flattent à l'envy, et taschent curieux

De gaigner quelque place en ce tant docte livre,

Qui peut à tout jamais leur beau nom faire vivre,

Ce trompeur par son art très riche s'est rendu

Et son silence aux Roys chèrement a vendu,

Noyant en l'eau doubly les beaux noms dont la gloire

Seroit, sans ses escrits, d'éternelle mémoire.

Car les Parthes menteurs, faux, il surmontera Et nul (comme il promet) n'immortalisera : Mais il peindra le nez à tous, et pour sa peine De les avoir trompez d'une espérance vaine. Dessus un cheval blanc ses monstres il fera Par la ville, et du Roy aux gages il sera.

C'est un gentil appas pour les oyseaux attraire, Ce que d'un autre dit le commun populaire, Qui par les cabarets tout exprès delaissoit Quatre lignes d'un livre, et outre ne passoit Avec un tiltre au front qui se donnoit la gloire D'estre le livre quart de la Françoise histoire. Qui doneques, je te pry, niera que cestuy-ci Ne soit des plus heureux sans se donner souci. Qui quatre livres peut de quatre lignes faire, Qui du doigt pour cela est monstre du vulgaire,

198

ŒUVRES COMPLÈTES DE J. UU BELLAY

Qui pour cela de France est dit l'historien,

Et auquel pour cela on fait beaucoup de bien ?

J'ay fils d'un laboureur, discouru brevement Tout ce fascheux propos, moy qui ay bravement Délaissé les râteaux pour m'attacher aux Muses : Tu pourras par usage apprendre d'autres ruses. Or adieu, pense en moy, et pour attraper l'heur, Suy Mercure, qui est le plus fin oyseleur.

Epitaphes et autres Poésies

SUH LA MORT DE JOACHIM DU BELLAY

gentilhomme Angevin, et excellent poète de ce temps.

Epitaphe de l'Autheur

composée par lujr mesme, quelque temps

avant son trespas.

Clara progenie et domo vetusta (Quod nomen tibi sat meum indicarh) Natus, contegor hac, viator, urna. Sum Bellaius, et Poëta, jam me Sat nosti, puto, num bonus Poëta, Hoc versus tibi sat mei indicarint. De me dicere, me pium fuisse, Xec laesisse pios : puis si et ipse es, .Mânes laedere tu meos caveto.

LA MESME EN FRANÇOIS

PAR I. DE MOREL, AMBR.

De noble race et maison ancienne

(Ce que mon nom assez te monstrera) Issu je suis. Or cette tombe mienne

ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

M'enclost (passant) tant qu'au Seigneur plana Du Bellay suis, celuy qui fust Poëte : (Assez par tous me discerneront) Bon ou mauvais si sçavoir tu souhaite, Mes vers bien leus mieux te le monstreront. Ceci de moy seulement te puis dire,

Que je suis bon, et n'ay par mes escrits Blessé les bons. Toy donc ne vueilles nuire, Si tu es bon, à nos muets esprits.

AUTREMENT PAR JACQUES MONIQUET

De race noble issu (tesmoin mon nom) l'arreste Sous ce tombeau, nommé Du Bellay, et Poëte ; t'est assez mon nom cogneu, comme je croy ; Quel Poëte je fus mes vers t'en, facent foy. Av vescu, n'offençant onc des bons le renom. Passant, si tu os bon aussi, fay que jamais N'offences mes esprits, qui ci gisent en paix.

AUTRE PAR JACQUES GREVIN

Ici, sous ceste tombe close

Passant, enserré je repose Avec les autres trespassez : Moy (dis-je) issu de noble race Et d'une maison dont la grâce Fait que mon nom se monstre assez.

Je suis Du Bellay, et Poëte : Tu as cognoissance parfaite (Comme je pense) de mon nom : Ces vers que je donne à la France Te donneront ferme asseurance, Si je suis bon Poëte ou non.

Or tout seulement je désire,

Que de moy je te puisse dire,

Que j'ay esté devotieux,

Et que d'une bouche animée

Je n'ay touché renommée

T>c ceux qui ont aimé les cieux.

Aussi si la foy Chrestienne

Te touche au cœur, qu'il te souvienre

EPITAPHES

De n'empescher mon doux repos ; Garde qu'une langue menteuse N'offence ceste gloire heureuse Compagne à mon ame et mes os.

AUTRE EPITAPHE

PAR LE MESME GREVIN à l'imitation du latin de Monsieur de la Haye.

Cv-dessous est gisant Du BELLAY le Poëte,

Cogneu par tout le monde. Or entens, viateur, La cause trop subite et le nouveau malheur Qu'en son sein luy gardoit une mort indisrrctte.

Desjà la nuict couvoit sous un obscur silence Le doucereux repos de ce grand univers Et cependant le miel de ses plus doctes vers Distilloit de sa bouche avec une accordance.

Cependant attentifs, ainsi que de coustume,

Du devis des neuf Sœurs heureux il jouyssoit, Et du père Apollon, que tant il caressoit, Pour en avoir reçeu le stile de sa plume.

Il se sentit alors d'une fureur sacrée.

Attiré sainctement de leurs divins efforts, Qui luy firent laisser le vague de son corps Pour voler au saint lieu de l'immortelle Astree

son ame affranchie et libre du servage De son hoste, sentit ses ailes esbranler Entre les deitez, qu'ell' contemploit en l'air, Oubliant le chemin de son premier voyage :

contemploit errante en la belle campagne

Tous les divers pays que lors ell' pouvoit voir, Appellant Du Bellay afin de l'esmouvoir, Mais le Poëte sourd n'entendit sa compagne.

Et ainsi, viateur, ceste ame bienheureuse

Demoura dans le ciel, et seulement les os Sous ce marbre engourdi demeurent en repos Attendans le retour de l'ame désireuse.

SONNETS DE JACQUES DE LA TAILLE

Ici gist Du Bellay qui par l'arrest des deux

Mourut au bord de Seine et nasquit dessus Loyre

ŒUVRES COMPLETES DE ]. DU BELLAY

Mais, passant, si son nom ne Lest encor notoire, Je crois que tu nasquis sans aureille et sans yeux.

Certe ainsi que jadis les Gaulois, nos ayeux Avec les Espagnols incitez de la gloire D'un Tive-Live, autheur de la Romaine histoire, Vindrent à Rome exprès pour le cognoistre mieux.

(Car tant estoit prisé le sçavoir d'un seul homme, Qu'une gent lors barbare, et d'un lieu si lointain Vint à Rome pour voir autre chose que Rome) :

Aussi de la mer dont la terre est enclose,

Voir de l'Isle Thulé, on viendra pour certain Voir quelque jour la tombe Du Bellay repose.

Du Bellay qui en France a les neuf Sœurs menées Et premier s'avança d'une audace nouvelle De chasser des François l'ignorance rebelle, Nagueres fut la nuict attaint des Destinées.

O nuict, le deshonneur des nuicts infortunées,

Indique que la Lune et que la moindre estoille Te preste sa lueur ! ô nuict pire que celle Qui tourmente là-bas les ombres condamnées :

Duucques, ô nuict obscure, et toy Parque meurtrière As-tu si tost estaint des poètes la lumière : Il meritoit le pris dessus tous à bon droit.

O quelle perte en France ! ô quel dur reconfort ! Mais pour bien regretter de Du Bellay la mort, Un autre Du Bellay, certes il nous faudroit.

SONNET DE DAMOISELLE ANT. DELOINES

D'où vient que quand je pense à la Muse gentille Du docte Du Bellay que le ciel a ravi, Mon cœur qui de jetter souspirs n'est assouvi. Me rend comme une souche ou un tronc inutile ?

La vertu, le sçavoir, le doux et grave stiîe

De son divin esprit, me poussent à l'envy,

Et moy qui tant de biens ensemble oncques ne vy

Trouve pour tel suject ma Muse trop débile.

Si je ne puis pourtant exprimer par ma voix

Ce qu'estimeront tant les Princes et les Rois, Je diray pour le moins avec toute la Fr.inre.

Que Du Bellay estoit dc^ Poëtcs l'honneur :

EPITAPHES 203

Ei si ne perdray pas de Ronsard la faveur,

Car je ne puis ne veux luy faire aucune offence.

ODE DE J. GREVIN A Charles Utenhove Gantois

En vain Ion pourra chant'er, En vain Ion pourra vanter Le devoir et l'entreprise De la pudique Artemise : Car seulement pour un temps, Et bien peu de nombre d'an95 Aux oreilles est volée La gloire du Mausolée : Le marbre tant soit-il fort Ne nous peut vanger de mort, Car il n'a pas la puissance De faire au temps résistance.

Seulement les mieux nourris, Les enfans plus favoris D'Apollon et de la Muse Nous vangent de telle ruse : Le temps mesme mange fer N'en peut oncques triompher : Il triomphe des ruines Et des reliques Romaines, Dont jadis furent auteurs Les grands Rois et Empereurs, Mais nous oyons la trompette Et les doux sons d'un Poëte.

Nous oyons encor la voix Resonnante par les bois, D'un berger chargeant la gloire Sur le dos de la Mémoire Pour faire entendre aux nepveux La clémence de ses Dieux, Nous oyons un vers qui sonne, Nous oyons un vers qui tonne Les batailles, les efforts. Et le sac de plusieurs forts, La muable destinée D'un Priam et d'un Enee.

204 ŒUVRES COMPLETES DE J. DU BELLAY

Heureux celuy dont les jours Ont peu tromper les destours De la mort, qui nous enserre Aux entrailles de la terre Avec l'oubli du tombeau : De la mort, qui comme l'eau Ne tenant aucune trace Du bateau qui dessus passe, Ou du plomb au fond jette, Fait que la postérité Ne peut après recognoistre Qui fut jadis son ancestre.

Mais or' que Du Bellay n'eust Quelqu'un qui chanter le sçeut, Si est-ce que la France Combat contre l'ignorance, Reprenant comme envieux Ces Quintils audacieux, Qui sous sa plume féconde Sont trébuchez comme en l'onde Fait un nocher agité, Depuis qu'un vent incité Redoublé d'une tempeste Luy a foudroyé la teste.

Et puis je voy ces ouvriers Ces bons tailleurs, ces premiers. Et ceste brigade heureuse, Dont la main industrieuse A le tombeau commencé : Et l'ayant avancé, Eli' fait suffisante preuve Quel sera ce beau chef-d'œuvre. Ne sens-tu point dans ton cœur, Utenhove, un dieu vainqueur Qui veut que fus quelque frize On cizelle une entreprise ?

Je le sen, je l'apperçoy M'attirer avecques soy, Pour esprouver mon service Au fait d'un si juste office Comme est celui d'un tombeau : Et ores que mon ciseau

EPITAPHES

N'ait une trempe assez bonne Pour faire ce que j'ordonne. Si n'en auray-je pourtant Le bon vouloir moins constant, Sentant un dieu qui m'attire Pour esbaucher ce porphyre.

Je basti dans ce plat-fond Les deux crouppes du haut mont Dont il print jadis la force : Puis je fay à demi-bosse Un corps qui se convertit Desja petit à petit En un cygne qui s'esgaye Voyant sa celesye voye, Et que semble imiter Celuy-là que Juppiter Mist dans la plaine estoilee Tesmoin d'une violée.

Desjà ce plumage mol S'appreste pour faire un vol Voire jusques le Gange Abbreuve le peuple estrange : Desjà le plus grand des dieux L'attire à soy dans les cieux, L'accompagnant d'un semblable Que nous voyons admirable Lentement se pourmener, Et dans son ciel se tourner, Comme la sagesse bonne De nostre grand Dieu l'ordonne.

Pour faire les cieux plus beaux Il y mist bien deux chevaux Et deux bestes plus cruelles, Ce sont les Ourses rebelles, Deux Couronnes, et deux Chiens. Ainsi parmi tous ces biens, Et ceste douce harmonie, Qui d'une course infinie Et branslement éternel S'entrefuit dedans le ciel, Il veut croistre l'assemblée D'une lumière doublée.

206 ŒUVRES COMPLÈTES DE ]. DU BELLAY

Voy sur le Tybre Latin, Utenhove, l'Aventin Qui tout orgueilleux se vante D'une poésie excellente Qu'il esmailla doctement, Lors que pleurant son tourment, Par une phrase Latine Il célébra sa Faustine : Puis après d'un autre vers Les beaux reliques couvers Sous l'eschine Exquilienne, Et la hauteur Celienne.

Voy moy ces doctes Regrets Honte des Latins et Grecs : Voy moy dessus ceste rive De Loire, la verde Olive, Dont ainsi comme premier Il emporta l'Olivier, Digne ornement de sa teste, Ainsi que brave conqueste. Apres qu'il eut combatu L'ennemie de vertu, Qui d'une fiere arrogance Eslevoit son ignorance. Or sus donc, prens ce tableau Que j'ay fait pour son tombeau, Pren donc ce petit ouvrage Qui possible d'âge en âge Témoignera la grandeur Et l'esprit d'un bon sonneur : Pren, mon Utenhove, et pense Si mes vers n'ont la puissance D'apparoistre près les tiens Que des Poètes anciens Aucuns ont sonné la Lyre Pour s'efforcer de bien dire.

psriç»

A MONSIEUR DE MOREL

AMBRUNOIS, SEIGNEUR DE GRYGNVj F:T DU PI.ESSIS LE COMTE

G. Aubert, de Poictiers, Advocat en la Court du Parlement de Paris, salut.

Monsieur, je pense bien qu'un gentil-homme ayant tant de bonnes parties, comme avoit defunct M. Du Bellay, ne sera moins regretté) après sa mort, qu'il estoit renommé, honoré et admiré durant sa vie. Mais cette manière de regret que chacun a pour la perte d'un homme docte, est bien petite à la comparaison des mortelles angoisses que souffrent ceux, lesquels, outre la plainte commune des lettres, endurent encore leurs passions privées pour avoir perdu un ferme et constant ami, que la bonté du naturel, l'amour de la vertu, l'affection des scion- ces, et le plaisir de la conversation leur avoyent conjoint, avec telle res- semblance de mœurs d'affections, et d'esprits, qu'il n'estoit possible les séparer sinon avecques mesme douleur que le corps se sépare de son âme. Ainsi, vous et M. Du Bellay estans joints de si fermes et constans liens, en une tant pure, tant sincère et tant affectionnée amitié de l'un envers l'autre, il m'a esté facile de penser ayant eu le bien de vous cognoistre tous deux, que le trespas du corps du premier mourant aban donnoit le dernier en une extrême agonie d'esprit, et en toutes les per- turbations qui ont accoustumé d'agiter les plus constans en tel infor- tune. Mais de mon costé ayant eu tant d'heur les années passées de par- ticiper en vos doctes devis, et me trouver souventefois en vostre com- pagnie, je ne sçay comment (car c'est sans mérite) je me suis apperceu par mile démonstrations d'une entière benevolence, que j'estois aimé et favorisé de l'un et de l'autre. Ce qui me gaigna peu à peu, et ravit tel- lement hors de moy, qu'entre les meilleures fortunes qui me fussent peu advenir, j'eusse bien et à bon droit, mis ceste-cy au rang des plus gran- des : c'est à savoir, que j'estois cogneu et bien voulu de deux gentils hommes non seulement très doctes et vertueux, selon mon jugement, mais encores douez d'infinies autres rares perfections, qui rendent les hommes aimables et admirables, et surpassans de beaucoup le commun ordinaire des autres hommes. Mais si ce plaisir m'estoit extrême, l'en- nuy d'estre privé de l'un des deux ne m'a esté moindre : car aux pre- mières nouvelles de sa mort, encores que par le passé je me fusse assez bien défendu contre plusieurs autres, desastres, si est ce qu'à ce seul coup, quelque effort que je fisse, je fus contraint abandonner toutes

2o8 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

choses pour faire place à la douleur, et consumer en gémissement les jours, que l'extrême dueil me defendoit d"employer autre part. En ceste confusion je m'allay reconforter, ou plus tost recommencer mes do- léances avecques les Muses : et combien que la rigueur des affaire? m'eust, long temps y a, fait abandonner la douceur de telles occupations, si est-ce que je ne pouvois moins espérer sinon que la véhémence de m;» douleur suppleeroit au défaut de ma poésie, et me remettroit en me- moir le mestier que j'avois oublié par une longue desaccoustumance. Ainsi, estant beaucoup plus animé d"un juste regret, que favorisé d'Appollon, j'escrivy sur le trespas d'un mien bon seigneur, et d'un vostre très cher et très singulier amy, les vers que je vous envoyé : vous suppliant, Monsieur, leur estre aussi favorable en les lisant, comme j'ay esté passionné en les escrivant.

Monsieur, je supplie nostre Seigneur vous donner en bonne santé, lon- gue et heureuse vie, et me maintenir tousjours en vos bonnes grâces. De Paris, ce troisiesme jour de janvier 1560.

ELEGIE SUR LE TRESPAS

DE M. JOACHIM DU BELLAY

Par G. Aubert de Poictiers advocat en la Court

Le docte Du Bellay, dont la Muse seconde

S'est tant fait renommer et louer par le monde : La perle de ce temps, de sa race l'honneur, Du pays Angevin le plus rare bon-heur, En la moitié du cours que la nature ordonne Hélas ! nous est ravi par la parque félonne !

Ainsi sont pris sans plume au nid les oisillons,

Et les espics tous verds tranchez de leurs sillons

Ainsi devant l'automne un violent orage

Des tendres arbrisseaux abbat l'aigre fruitage.

O destin inhumain, ô Parque trop cruelle, Qui t'a fait accourcir sa vie naturelle ? Ses vertus, ses bontez, son débonnaire amour Meritoyent à bon droit, qu'en ce mortel séjour D'âge en âge il vesquist autant de longues vies. Qu'en vivront après luy ses douces poésies. Tu les admireras, juste postérité,

EPITAPHES

Et luy rendras le los qu'il a tant mérité.

Tu feras retentir le son des louanges,

Tant par mer que par terre es pays plus estrângea

Depuis l'Inde emperlee, levé le soleil

Jusques en l'Amérique, il prend son sommeil.

Longtemps après sa mort illustrant sa mémoire

Tu solenniseras son renom et sa gloire.

Ainsi qu'en son vivant les Princes et les Rois

La souloyent célébrer eux-mêmes de leur voix.

Mais bien peu sont les vers, et leur douce harmonie

Si les autres vertus ne leur font compaignie,

Du Bellay envers tous se monstra droiturier,

Preudhomme, craignant Dieu, sage, discret, entier, Non ingrat du plaisir, de conscience bonne, Profitant à chacun et n'offensant personne, Bénin, libéral, humble, et doux à ses amis : Et constant à tenir ce qu'il avoit promis : Il couvroit neantmoins sous son courtois langage Un magnanime cœur, tesmoin de son lignage.

Comme as-tu donc ozé, meurtrière des humains Eslancer dessus luy tes venimeuses mains ? Je puis assez penser, ô dure destinée, Que tu n'as eu reepect à sang ni à lignée : Car souvent on te voit attacher aux grands Rois, Aussi tost qu'aux bergers vivans parmi les bois. Tu n'as point eu degard pour addoucir ton ire Aux gracieux accords de sa céleste lire. Et qu'il n'avoit encore atteint que la moitié De ses ans naturels : car tu ne prens pitié Du docte jouvenceau que Phœbus favorise, Plus que de l'ignorant qui a la teste grise. En la fleur de leurs ans ainsi tu pris Catulle, Et le guerrier Virgile et l'amoureux Tibulle.

Mais si tu ne voulois pour cela retarder

Ta fureur, pour le moins tu devois regarder, Ravissant Du BELLAY, quel dueil, quelle tristesse Tu ferois à maint Prince et à mainte Princesse. Car l'un et l'autre Royne honoroit les douceurs Que lui donnoyent à gré les Muses, les neuf sœurs, Et la docte Duchesse ores laissant la France, Pour prendre en son Piedmont nouvelle demourance Et ce grand Cardinal sur lequel nostre Roy

209

ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU JiELLAV

Appuyé sa couronne, et l'Eglise sa loy : Tous ensemble ils prisoient l'excellence et la grâce Que tu avoiSj BELLAY, apprise clans Parnasse. Mais si les Princes grands ton sçavoir estimoyent Les doctes beaucoup plus tes bonnes mirurs aimoyenl, Car outre les bienfaits des Muses favorables Chacun voyoit en toy mile vertus aimables. Ces deux sages prélats tant aimez d'Apollon, Pleins de faveur du ciel, de Riez et Thoulon, Le très prudent Morel, et ceux que les sciences T'avoyent accompagné de chères cognoissances, T'aimoyent, et en t'aimant tes œuvres admiroyent Et en les admirant tes bontez honoroyent, Regarde maintenant, cruelle destinée,

Quelle estrene tu as à nos Princes donnée,

Et à ces bons esprits qui de le lamenter

Xe pourront, mais en vain, hélas ! se contenter.

Certes, cruelle mort, des hommes l'ennemie,

Je croy que tu luy as ainsi roigné la vie,

Parce que luy vivant il venoit secourir

Ceux que tes cruels dards avoyent fait mourir.

Ceux que tu engoufrois sous une tombe obscure

Il les ressuscitoit hors de la sépulture :

Il faisoit eschappcr de leurs tombeaux froissez

Maugré toy, fièrc Mort, ses amis trespassez :

Et gaignant dessus toy une noble victoire.

Ils vivoyent par ses vers en éternelle gloire.

Ainsi, ses jours passez il sauva par son art, De l'oublieux tombeau le président Minard, Et du juste Minos il luy donna en change Le nom et le renom, l'honneur et la louange.

Ainsi du Roy Henry il chanta la bonté, Ses gestes généreux, sa magnanimité, Ses vertus, ses hauts faits, ses combats, ses alarmes Et l'immortel renom qu'il conquit par les armes. Puis nostre nouveau Roy luy fit pour le guerdon De sa divine Muse un magnifique don, Qu'il clevoit chacun an sur son espargne prendre Si l'envieuse Mort l'eust souffert tant attendre : Mais elle l'a ravi, car trop luy desplaisoit La libéralité que le Roy lui faisoit.

EPITAPHES

De là, Princes et Rois, apprenez, je vous prie, A estre libéraux avant qu'on vous supplie, Hastez-vous de bien faire à tous gentils esprits, De peur que de la mort ne les trouvez surpris Si lors qu'ils n'auront plus besoin de vos largesse.-. Vous leur offrez en vain vos tardives richesses.

Comme le jardinier arrouse de ses eaux

L'ente encore jeunette, et ses chers arbrisseaux, A fin que les poussant à leur juste croissance, Il ait tost de leurs fruits la douce jouissance : Ainsi pour le service, ou bien pour le plaisir, D'une fort longue main' il vous convient choisir, Entre les jouvenceaux, ceux-là que la nature A fait dignes d'un prince, et de sa nourriture, Puis les faire enseigner, et prévoir de bien loin Qu'ils puissent dextrement vous servir au besoin, Et non pas employer pour parler d'une affaire Tel qui n'a seulement bien appris à se taire.

Mais qui te fait, ma Muse, abandonner ton cours, Et cercher à l'escart ces égarez discours : Est-ce point la douleur qui ton bon sens transporte Certes elle te fait resver en cette sorte. Retourne à ton Bellay, retourne à son cercueil : Morel son plus cher frère acoompaigne ton dueil. Pleurons donques, Morel, nostre perte commune, Nostre cher Du Bellay, et si nostre infortune Et les mortels ennuis de nos tristes douleurs Nous peuvent tout permettre au milieu de nos pleurs, Apres avoir longtemps plaint sa mésaventure, Gravons cest ccriteau dessus sa sépulture.

LE DEFFUXCT EARI.E

Le nom de DU-BELLAY monstre assez mon lignage, Mon esprit est assez descouvert par mes vers, Mes amis de ma vie ont fait beau tesmoignage. Mon renom immortel vole par l'univers : Je n'ay donc plus, passant, à te dire autre chose, Sinon qu'en ce tombeau ma seule ombre repose.

CHANT PASTORAL

SUR LA MORT DE JOACHIM DU BELLAY ANGEVIN par R. Bcllcau

LES PASTEURS THOINET, BELL1N ET AN. BE. NYMPHE DE LA SEINE

BELLIN

De vivoter chetif, Thoinet, que je suis las !

Sans trêve le malheur va tallonnant mes pas,

Onques je n'esprouvay le repos de la vie,

Je porte sur le clos une éternelle envie

Qui va trompant mon heur, et fauçant mon dessein.

THOINET

Or! que j'aille à poings clos, le bon-heur de ma main

S'envole avec le vent: j'ay tenté la. Fortune

En cent et cent façons, mais sa main importune

Tout-à-coup me renverse, et me fait tresbucher.

peu cruel destin, que ne vins-tu trancher

Le filet de mes ans, lorsqu'aux voix des cigallcs

On me fit accorder les flustes inesgales,

Les chalumeaux d'avoine, et quelquefois aussi

Le flageol amoureux, et d'un vent addoucri

Traîner à petits sauts la troupe camusette

Aux fredons animez du son de ma musette?

Thoinet, mon cher souci, Thoinet, il ne faut point

Se repentir d'avoir si prompterr.ent conjoint

Les chalumeaux ensemble, et d'avoir mis en bouche

Le pipeau qui si bien en tes lèvres s^embouche :

Pan flusta le premier, et les Faunes après,

Qui firent tressaillir les monts et les forets

Au son de leur bouquin, et n'eurent jamais honte

CHANT PASTORAL 213

De faire des Bergers quelque petit, de conte : Puis tu n'as point appris à manier les doigts Sous un petit sonneur, Janot a fait ta voix, Il t'a montré comment (et en a pris la peine) Il falloit retrancher les souspirs et l'aleine : L'entonner doucement, l'allonger, l'accourcir, Le haster, l'enaigrir, le feindre, l'adoucir : Comme il falloit aussi dessus la chalemie Chanter une chanson en faveur de l'amie : Puis n'as tu pas gardé avec les Pastoureaux Et Perot et Bellot, les boucs et les chevreaux, Et cent fois avec eux dedans les eaux clairettes Relavé la toison des brebis camusettes ? Soufflé dans leur pipeau et de tes propres dains Corne à corne conté leurs chèvres et leurs dains ?

THOINET

Bellin, ces deux bergers ne sont plus es montagnes, Ils ont abandonné les bois et les campagnes, Les argentins ruisseaux, et les tertres bossus, Et se sont desrobez de ces antres moussus, Loin de leurs compagnons, pour aller à la ville, Pour laisser Galatee et cercher Amarille, Eschange qui leur plaist, pour avoir eu cest heur De trouver la fortune et tromper le malheur.

Ils y vont bien souvent, ayant les mains chargées De fourmage, et de laict, et de fresches jonchées, Ou d'une peau de chèvre, ou de quelque toison, Sans rapporter leurs mains vuides à la maison: Puis ils ont d'héritage un troupeau sous leur garde Et tousjours le dieu Pan de bon œil les regarde, Tousjours les favoris, et nous pauvres chetifs Nous languissons es bois entre les plus petits.

BELLIN

Mais qu'est-ce que je sens? las, je voy, ce me semble. Au bord de ce ruisseau, à l'ombre de ce tremble Quelque divinité: car une horreur je sens,

214 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Qui me fait hérisser, et chanceler mes sens: Une froide sueur s'escoule dans mes veines, Qui me glace le sang, les choses ne sont vaines.

THOINET

Le présage est certain, car je sens comme toy Rouler une frayeur haut et bas dedans moy : J'ay crainte que ce jour ne couve que tristesse.

BELLLN

Hà, Thoinet, je la voy, hà, c'est une Déesse,

Je recognoy ces pas, son visage et sa voix:

Il y a du malheur espandu par ces bois,

Car elle est des Bergers messagère fidelle,

Mais tousjours apportant quelque triste nouvelle.

THOINET

Hà, Pan, Dieu des forests, oncques je n'eus ceste heur

De recevoir de toy quelque douce faveur,

Contre le ciel despit ta puissance est mal heure :

Nous avions entrepris de chanter par gageure

L'un à l'autre à l'envy, mais tousjours le destin

Sur le poinct du plaisir nous tranche le chemin.

BELLJN

Approchons, mon Thoinet, les dieux sont accostables, Nous entendrons au vray ces plaintes lamentables.

LA NYMPHE

Pleurez, Nymphes, pleurez, et vous coustaux bossus, Prez, monts, jardins, et fleurs, et vous antres moussus, Accompagnez ma voix, et ma juste complainte: Seine retient tes pas, si que ton eau contrainte Renforce de souspirs sous le marbre glissant De ton peuple escaillé le mouvoir languissant.

CHANT PASTORAL 215

Pleurez, Nymphes, pleurez et portez la nouvelle De la funèbre nuict, ô nuict trois fois cruelle, Jusqu'aux flots escumeux des rives de la mer : Puis les souspirs des vents le soufflent parmi l'air, L'air le pleuve çà-bas, pour pleurer la mémoire De l'honneur Angevin, et des Nymphes du Loyre,

Il est mort Du-Bellay, Du Bellay que les Dieux Avoyent transmis du ciel, pour estre en ces bas lieux Le mignon d'Apollon, et des denses la grâce Eh le plus rare honneur de son antique race : Las ! il nous est ravi, n'ayant parfait le cours Qu'à demi seulement du plus beau de ses jours.

Comme le laboureur, d'une espérance vaine, S'attend à la moisson d'avoir sa grange pleine, Ne voyant seulement que les sillons couvers D'une espèce vesture, et de fourments tous verds : Puis ne restant sinon la dent de la faucille, Une gresle survient qui renverse, et qui pille, Qui froisse le tuyau, et qui le plus souvent Emporte la moisson et l'espérance au vent : Lors triste et tout honteux, l'œil bas, baisse la teste. Va recueillant après l'outrageuse tempeste, Ce qui reste espandu çà et grain à grain, Pour le mettre au grenier, d'une soigneuse main : Ainsi nous a deçeu l'attente tromperesse Que nous avions de luy pour sa docte jeunesse. Ainsi, Pasteurs, cueillez et recueillez encore Le reste de l'orage, et le riche trésor De ces vers doux coulans, qui vivront d'aage en aage Pendant que le François n'oublira son langage, Et pendant qu'Apollon aura quelque souci De l'honneur de ses Soeurs^ et de son luth aussi, Pendant qu'à flots ondez les coulantes rivières Dresseront dans la mer leurs humides carrières. Loire trop heureux d'avoir dessus tes bords Reçeu les doux accens et les graves accords Du pouce Vandomois, et la touche argentine Des fredons animez de la lyre angevine. Or' face maintenant la puissance des Dieux, Qu'ell' puisse accompagner celle qui luit aux cieux, Et l'autre, or qu'elle soit veusve de sa compagne, Sans jamais s'engourdir, que tousjours accompagne

2l6 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

La majesté des Rois, enyvrant le souci Des bergers attristez, de son trait addouci.

Pleurez, Nymphes, pleurez, et en pleurant, à force De main et de poinçon engravez sur l'escorce De ces ormeaux feuillus, ce desastre malheur, Tesmoins à l'advenir de ma triste douleur.

Couppe tes blonds cheveux, Apollon est desnuë Les filets ordonnez de. ta lyre cornue : Redoublez vos sanglots, et versez larmes d'yeux Satyres chevrepiez, Faunes, et Demi-dieux, Nymphes aux beaux sourcis, Déesses des Orcades Abandonnez vos monts, et vous belles Nayades Le cristal refrizé de la doux-coulante eau, Et venez larmoyer autour de ce tombeau, De ce tombeau muet, tombeau qui tient enserre Ce que le ciel gai doit de gentil sur la terre. .

Et vous, Muses, troublez vos argentins ruisseaux Et le parlant cristal de vos coulantes eaux, Puis de face honteuse et de bouche craintive Laschez la bride au dueil, haussez la voix plaintive, Jusqu'au ciel azuré si que l'astre mutin Cognoisse son forfait, accusant le destin, D'avoir ravi l'honneur de vostre bande heureuse Pour estre le jouet de la Parque orgueilleuse1 : Luy qui par l'univers vostre nom espandoit Et qui devant les Rois immortel le rendoit.

Froisse ton arc Amour, et à plumes pendante* Frappe ton estomach, tes sagettes bruyantes Languissent sur ta corde et ton ardent flambeau La guide de ces yeux, soit guide à son tombeau. Que de rayons dorez le sourci des montagnes Ne soit plus embelli, que les vertes campagnes D'un voile noir obscur, brunissant leurs couleurs, Facent porter le dueil aux plus vermeilles fleurs : Une éternelle nuict, une horreur solitaire Me soit le clair flambeau de la lampe ordinaire. Et mesme que les feux qui redorent les nuicts Sillent mes yeux couvers d'une nuë d'ennuis!

Que le fier estomach des roches plus hautaines Destrempe son orgueil aux plus humbles fontaines: Soit morte] Amaranthe, et de la Rose peint De brunette couleur, le pourpre et le beau teint.

CHANT PASTORAL 217

Qu'on aye des oyseaux les gorgettes sereines Ramollir en pitié les plus chaudes aleines Des Zéphirs animez au bransle des cerceaux, De leurs dos enlassé dedans ces verds rameaux.

Double et double la voix, et les plaintes modestes Peintes dessus l'esmail de tes lettres funestes Hyacinth', et te plaignant fay plaindre avecques toy Narcisse, en se mirant trop amoureux de soy. Qu'on n'entende par l'air que le chant de l'orfraye, Au lieu d'espics crestez, qu'il ne naisse qu'yvraye: Que des lauriers sacrez les cheveux verdoyans Eschangent leur couleur en cyprez larmoyans, Comme des lys froissez la teste blanchissante Se penche contre bas peu à peu languissante, Ou comme dans les prez à l'ardente chaleur On voit l'herbe fanir, et perdre sa couleur.

La céleste rosée et la pluye menue Qui tombe au mois d'avril, en larmes se transmue, Et les pipeaux moyteux des pasteurs attristez Soyent animez de plaints et de pleurs irritez.

Que le miel doucereux dans la ruche ecclissee Se destrempe en aigreur, et la fleur amassée Au lever du soleil, des fillettes du ciel, Ne se puisse confire en la douceur du miel. Et bref que l'univers pleure ce saint Poëte, Qui n'est plus qu'ombre vain sous la cendre muette, Rien plus qu'un masque feint, luy qui par l'univers Nostre France honorant faisait bruire ses vers.

Sus donc, larmes, sortez, sortez, et faictes place A mes souspirs enclos sous une espèce glace, Qui tient serré mon cœur, et re.nglasse mes os, Sans donner à mes yeux ni trêve ni repos : Car à fin que ma pi aye immortelle apparoisse Je veux de jour en jour qu'en empirant ell' croisse : Or puisse donc ma vie estre éternelle, à fin Que ma triste langueur ne puisse prendre fin. Entre les durs rochers Echo toute esploree Ne va plus imitant ta bouchette sacrée : Les bois ne parlent plus, les pastoureaux sont sourds, Et leur pipeau muet qui chantoit les amours. Jamais des arondeaux la querelleuse trouppe Ne mena si grand dueil dessus la longue crouppe

218 ŒUVRES COMPLÈTES DE J. DU BELLAY

Des sommets sourcilleux, ni plus de passions Dessus les bords marins n'eurent les alcyons :

Jamais pour douze enfans passez au fil des armes Niobe ne jetta plus justement des larmes, Larmes qu'on voit encor en un marbre pleurant : Ni Priame d'Hector, pour l'avoir veu mourant, Ni l'oyseau de Memnon es secrettes vallées De l'Oriant perleux, à petites volées Qui se bat à l'entour d'un malheureux cercueil, Du fils Tithonien ne mena si grand dueil, Que de compagnes Sœurs la trouppe non mortelle Doit aigrement porter ceste playe cruelle, Despitant le malheur, le destin et le sort, Et la meurtrière main de l'importune mort.

A tant se teut la Nymphe, et toute eschevelee S'eslance dans la grotte, en un fond recelée, Tirant à longs souspirs de la bouche un helas, Qui la vapeur suivant, et talonnant ses pas Jusque dedans le creux, vieillir délibère A jamais, de langueur, et d'ans, et de misère.

Lors Thoinet et Bellin tous deux la larme à l'œil, Tous deux noirs de souspirs, tous deux noyez en dueil A pas mornes et lents vont à l'urne sacrée, Et de cresme et de vin et de manne sucrée, De roses et d'encens vont parfumant le lieu, Disant à leur ami un éternel adieu.

Mois pour trop souspirer ne se pouvant entendre, Entaillèrent ces vers dessus l'escorce tendre, De ces jeunes ormeaux à fin qu'a l'advenir En croissant, de ce'rMT^PoJsé^te'fcsouvenir.

CHANT PASTORAL

SONNET DE JEH. CHRESTIEN PROVENÇAL

Quand Du-Belloy mourut, sa merveilleuse Lyre Fut faite astre du Ciel, qui désormais luira : Le Ciel fit Du-Bellay, le Ciel le retira Pour entendre les vers qu'il savoit si bien dire,

Mais à peine, dit-on, commençoit-elle à luire, Qu'un chacun dans le Ciel à soy la désira. Venus voulut l'avoir, Saturne y aspira, Et chacun à l'envy ceste lyre désire.

Phœbus mesme monstra qu'il estoit despité Ou bien estoit honteux de si belle clarté Veu qu'il prive nos yeux de sa lumière belle.

Voilà que c'est, la Mort toute pleine d'orgueil,

Laissa le monde en pleurs, triste et couvert de dueil Et meut dedans le Ciel une cxtresme querelle.

219

FIN

11 2

514

La Bibliothèque

Université d'Ottawa

Échéance

UOFE

*

The Library

University of Ottawa

Date due

CE PQ 1668

A5 1913

COO OU BELLAY,

ACC# 1387575

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